Article paru dans Combattre pour le socialisme n°80 de janvier 2000

 

Notes sur la situation économique

 

Un an après


A l'occasion de son assemblée annuelle, au mois de septembre 99, le FMI a présenté les chiffres suivants sur la situation de l'économie mondiale pour l'année 1999 : la croissance du PIB mondial prévue est +3%. Pour les USA, le FMI prévoit une croissance de +3,7% du PIB. Pour la "zone euro", les prévisions de croissance s'établissent à +2,1% avec pour l'Allemagne une croissance de +1,4% et de +2,5% pour la France. Alors que le Japon a connu une récession en 1998 avec une diminution de son PIB de 2,8%, pour 1999, le FMI y prévoit une croissance de +1%.

Bien sur, ces chiffres ne sont que des prévisions et le critère de l'évolution du PIB ne donne qu'une image déformée de la situation économique réelle. Mais il faut se rappeler les propos tenus par M.Mussa, principal économiste du FMI, il y a seulement un peu plus d'un an, en octobre 98, alors qu'un nouveau pas de la crise économique et financière enclenchée en Thaïlande à l'été 97 était franchi avec l'effondrement du Real brésilien :"l'état actuel n'est pas tout à fait celui d'une récession globale, mais nous approchons clairement de cet état ."

 

Il faut constater que depuis, le capital est parvenu à empêcher que la crise économique et financière enclenchée pendant l'été 97 en Thaïlande ne se transforme en récession mondiale. La "reprise" actuelle atteint même certains pays qui ont pourtant été frappés de plein fouet par la crise. Pour la Corée, par exemple,  l'évolution du PIB s'établit, selon le FMI, de la manière suivante:-5,8% en 98/+6,5% en 99.

 

Du coup, une fois de plus, tous les apologistes et défenseurs du régime bourgeois, à commencer par les dirigeants du mouvement ouvrier, se pressent pour expliquer les avantages de la "mondialisation", de la "nouvelle économie", pour vanter la capacité du mode de production capitaliste à absorber les crises et, finalement, assurer au prolétariat et à la jeunesse des conditions d'existence décentes, aux prix, bien entendu, de "nécessaires adaptations".

 

Réuni le 8 novembre, le "congrès de l'internationale socialiste", a adopté une déclaration intitulée Les défis de la mondialisation qui s'ouvre sur ces mots:

"L'humanité vit un changement d'ère, marqué par le phénomène de la mondialisation. Nous passons de la société industrielle à la société de l'information, de la connaissance, avec une rapidité et une profondeur inconnues dans les changements historiques antérieurs".

 

En fait de "plein emploi"  et de "nouvelle ère ", ce qui a été à l'origine de la possibilité pour le capital d'endiguer le développement de la crise, d'empêcher qu'elle ne débouche, à cette étape, sur une récession généralisée , sur une crise disloquant le marché mondial, et de connaître un nouveau moment de "reprise" économique, ce sont justement les coups portés au prolétariat, une dégradation significative de ses conditions de travail et d'existence dans toute une série de pays.


A l'origine de la "reprise" actuelle : des coups significatifs portés aux masses


Il faut d'abord préciser qu'en 1998 nombre de pays ont connu une récession réelle. Le PIB de l'Indonésie a chuté de 18,4%, celui de la Corée de 5,8%, celui de la Malaisie de 5,8%. La chute du PIB a atteint 8% en Thaïlande et 2,8% au Japon. Les effets de la crise sur l'Amérique latine continuent de se faire sentir. D'après le rapport annuel du FMI l'évolution du PIB du Brésil s'établit de la manière suivante: +3,7% en 97, +0,1% en 98 et -1% en 99. Dans ce pays la production industrielle a baissé de 2% au cours de l'année 1999. La tendance est identique en Argentine.

 

Il faut rappeler ici que c'est seulement au prix d'interventions financières massives, des centaines de milliards de dollars de "plans de sauvetage" successifs, en particulier du FMI mais aussi des gouvernements des pays du G7, que l'effondrement pur et simple d'un certain nombre de pays (Corée,  Brésil, Russie) a pu être évité.

Mais surtout, ce sont le prolétariat, les masses laborieuses, qui ont payé le prix de la crise. En Indonésie, le taux de la population vivant sous le "seuil de pauvreté" est passé de 20% en 1997 à 50% en 1998. Le taux de chômage a atteint 20% de la population active fin 98, soit 20 millions de chômeurs supplémentaires. En   Russie, plus de la moitié de la population vit en dessous du "seuil de pauvreté" (53%, soit 79 millions de russes). En Corée, le taux de chômage a été multiplié par 3 en un an en 1998. Au Brésil, plus de la moitié de la population vit en dessous du "seuil de pauvreté". Ford, Général-Motors, Volkswagen, y ont réalisé des licenciements massifs.  Au Japon, de septembre 1997 à septembre 1998, le nombre de chômeurs s'est accru de 600000. Le taux de chômage est passé d'environ 2% de la population active en 1992 à 4,7%  aujourd'hui.

 

Voilà ce que signifie le maintien du régime capitaliste pour les masses. La crise économique et financière qui s'est développée de juillet 97 à octobre 98 a eu des conséquences dramatiques sur les conditions d'existence du prolétariat dans ces pays. La crise a joué, même si c'est seulement partiellement, son rôle dans le régime capitaliste: élimination de toute une partie du capital obsolète, dévalorisation du capital constant et de la force de travail. Ainsi la "reprise" s'appuie sur les coups portés aux masses. Pour qu'elle continue, l'offensive du capital doit se poursuivre et se renforcer. L'exemple du Japon est particulièrement illustratif: au cours du seul mois d'octobre 1999, 60.000 suppressions d'emplois ont été annoncées dont 21.000 chez Nissan, 10.000 chez Mitsubishi et 20.000 chez NTT (Télécom).


Le "secret" de la "locomotive américaine":

"Quand les gens travaillent pour 2 dollars l'heure, le chômage disparaît "


Mais c'est surtout aux Etats-Unis que se trouve l'origine de la "reprise" actuelle. Rappelons en effet qu'en novembre 1998, l'OCDE prévoyait que le PIB américain n'augmenterait que de 1,5% pour l'ensemble de l'année 98. Finalement sa croissance s'est établie à +3,9%, égalant ainsi les résultats de 1997.

Ainsi le Bilan du Monde  édition 99 souligne:

"La principale  surprise de cette année aura sans doute été la performance de l'économie américaine. Il semblait acquis que la chute des cours de bourse enregistrée à la fin de l'été allait marquer le point de retournement d'une phase d'expansion de sept ans, exceptionnellement longue par rapport aux cycles habituels de l'économie d'outre-Atlantique (...) Et voilà qu'au lieu du ralentissement attendu, c'est une nouvelle accélération de la croissance américaine qui s'est produite (…) "

L'impérialisme américain peut alors continuer à jouer le rôle de locomotive de l'économie mondiale.

 

Au fondement de la croissance américaine il y a d'abord et avant tout les "gains de productivité" réalisés sur le dos des travailleurs. Dans un rapport issu de sa réunion du 30 juin 1999 la Banque Fédérale explique que, bien que:

"Le marché du travail ait continué à se resserrer au cours des derniers trimestres, les pressions inflationnistes ont pu être contenues grâce à la consolidation de la croissance de la productivité".

 

En fait, si le coût du travail a augmenté de 3% en 98, cela constitue la plus faible progression depuis 17 ans. La productivité du travail a été considérablement augmentée, avec notamment l'allongement de la durée du travail à 2000 heures annuelles en 97, c'est à dire une augmentation de 4% depuis 1983. Ce qui signifie une hausse de la plus-value absolue.

 

Le taux de chômage est à son plus bas niveau historique, à 4,1% de la population active, mais il y a eu 4 millions de licenciements sur les 4 dernières années, en particulier dans le secteur manufacturier en 98. 35,6 millions de personnes vivent en dessous du "seuil de pauvreté" (7000 francs/mois pour un foyer de quatre personnes) et 40 millions de personnes (une sur six) sont dépourvues d'assurance sociale. Telle est la réalité du "plein emploi" dans le régime capitaliste.

Lester Thurow, "gourou de la prospérité américaine " selon L'Expansion, ancien conseiller économique de J. Carter, résume parfaitement les choses:

 

"Le plein-emploi ? Rien de plus facile et rien à voir avec la technologie: il suffit de baisser le salaire de 60% de la population active. Quand les gens travaillent pour 2 Dollars l'heure, le chômage disparaît ."

 

Les coups que la bourgeoisie américaine a réussi a porter au prolétariat expriment les rapports politiques entre les classes dans la première puissance économique mondiale. Peter Drucker, autre "gourou", y voit avec raison l'origine de la "prospérité américaine":

 

"Il n'y a pas eu de lutte des classes dans ce pays, en dehors de conflits localisés (...), sans dimension politique."


En France


Au mois de décembre 1999 l'INSEE a publié un rapport intitulé: "La conjoncture en France " dans lequel on lit:

"(...)l'activité en France connaît une vigoureuse accélération au second semestre de 1999: de l'ordre de 2% (en rythme annualisé) jusqu'au printemps, la croissance dépasserait 4% à la fin de l'année. La demande intérieure hors stocks contribue pour l'essentiel de la croissance du second semestre (...) les entreprises maintiennent la vive progression de leurs investissements. Après avoir bien résisté au ralentissement industriel de l'hiver 1998/1999, l'investissement devrait croître à un rythme annuel de l'ordre de 8% tout au long de l'année. "

 

Si la "demande intérieure" a joué un rôle incontestable dans la "croissance", notamment grâce à la baisse des taux d'intérêt au cours de l'automne 98, ce sont d'abord les exportations qui ont tiré l'économie française. La production manufacturière a progressé de 12% en rythme annuel d'avril à décembre 1999. Pendant la même période les exportations ont augmenté de 30%. C'est donc d'abord la "demande extérieure" qui est à l'origine de la progression de la "demande intérieure". L'INSEE précise:

 

" Le fort rebond de la demande mondiale, ainsi que les gains de compétitivité consécutifs à la dépréciation de l'euro, occasionnent en effet une amélioration substantielle du solde extérieur, en dépit de la vigueur de la demande intérieure. Les échanges extérieurs devraient ainsi apporter une contribution significative à la croissance lors du second semestre, de l'ordre de 0,2 point par trimestre, si bien que le rythme de croissance du PIB s'établit à plus de 1% par trimestre"

 

S'exprime ainsi la dépendance de l'économie française par rapport au marché mondial. Un retournement de tendance à l'échelle internationale aurait inévitablement d'importantes conséquences sur la "croissance" française.


Une nouvelle impulsion au développement du crédit et du capital fictif


Pour faire face au développement de la crise économique et financière la FED avait abaissé son taux d'intérêt directeur à 4,75 % pour soutenir le cours des valeurs boursières (le cours des actions ayant tendance à évoluer en sens inverse des taux d'intérêts). En même temps cette mesure a permis de faire face à une baisse des profits qui s'annonçait par le recours élargi au crédit pour financer les investissements productifs mais aussi les "investissements" spéculatifs, de poursuivre l'accumulation du capital.  Ainsi L'Expansion (7 au 21 octobre 99) note:

"(...)les ménages se sont endettés pour consommer et se loger, et les entreprises, pour investir et racheter leurs propres actions. La production a été dopée(+4% l'an), mais l'épargne nette du secteur privé est négative:-5% du PIB, sans précédent historique aux Etats-Unis. Ceux-ci doivent donc emprunter environ 1 milliard de dollars...par jour (...) La prospérité des américains, enviée par le reste du monde, dépend entièrement de ses crédits !"  

L'endettement privé est évalué à 110% du PIB. Il croit de 6 à 7 points du PIB chaque année. L'endettement des entreprises représente jusqu'à trois fois et demi leur marge brute d'autofinancement ("cash-flow").

 

Un fait tout à fait significatif: cette nouvelle impulsion donnée à la distribution de crédit, à l'endettement, a servi à nourrir les marchés boursiers. Pour donner une idée de la dimension du nouveau développement de la masse de capital fictif, il suffit d'indiquer que le Dow Jones s'établissait à 7968,8 points en octobre 98 pour "grimper" à 10286,6 en octobre 99 et qu'il est aujourd'hui bien au-delà des 11000 points.

 

Cela est vrai également en Europe. L'Expansion (21 octobre-4 novembre 99) note que la vague spéculative "résulte, comme le gouverneur de la banque de France, J.C. Trichet, l'a à juste titre relevé, d'une distribution généreuse de crédit: +10% l'an au secteur privé dans la zone (Euro-ndlr)." A tel point que la masse monétaire en Europe ("M3": les pièces, les billets en circulation, les placements financiers à cours terme) a augmenté de 6,1% sur un an, bien au-delà de la référence fixée par la BCE qui est de 4,5%.

 

C'est à ce propos que les économistes bourgeois parlent de "tensions inflationnistes". En fait, l'inflation dont il s'agit aujourd'hui n'est pas celle des prix des marchandises à la consommation, qui reste très basse (moins de 2% aux USA), mais celle du crédit et du capital fictif.

 

Le recours élargi au crédit, avec son corollaire, la spéculation boursière et financière effrénée, ont permis, sur la base de la "reprise" et la nourrissant à leur tour, de repousser les limites du "marché".

Dans le Capital, Marx expliquait déjà à propos du rôle du crédit dans le mode de production capitaliste:

"(...)Accélération par le crédit des différentes phases de la circulation, de la métamorphose des marchandises, outre la métamorphose du capital; partant, accélération du procès de reproduction en général. (Par ailleurs, le crédit permet de garder plus longtemps séparés les actes de l'achat et de la vente et sert donc de base à la spéculation.) "

(Capital  livre III - chapitre XXVII).

 

Une nouvelle impulsion est donnée au procès de reproduction et d'accumulation du capital ainsi qu'à sa centralisation et sa concentration à une nouvelle échelle. La chaîne du crédit, le capital fictif, semblent devoir se développer à l'infini. Marx écrivait:

"Tout dans ce système de crédit se dédouble et se détriple et se mue en simple fantasmagorie "

 

Mais, si le recours généralisé au crédit, à la spéculation, constitue, à un moment donné, un moyen de "contrecarrer" la loi de la baisse tendancielle du taux de profit, il reste un instrument artificiel pour élargir le "marché", incapable de supprimer ce qui est sa "raison d'être": la propriété privée des moyens de production.

 

Le crédit est "le moyen le plus puissant de faire dépasser à la production capitaliste ses propres limites et en fait un des véhicules les plus efficaces des crises et de la spéculation" (Marx). Ce qui, dans un premier temps, a permis, de repousser l'échéance d'un krach, d'une récession, et une nouvelle impulsion à la "croissance américaine", le recours encore élargi au crédit et à la spéculation boursière et financière, finit par aggraver encore les difficultés "structurelles" des USA et de l'ensemble de l'économie mondiale, et tend de plus en plus à jouer comme un puissant facteur d'une nouvelle crise.


Une nouvelle phase de concentration du capital


Dans le même mouvement que celui du développement à un nouveau sommet du crédit et du capital fictif, ces dernières années ont été marquées, par une intense phase de concentration du capital, sous forme de "fusions-acquisitions" notamment. Le lundi 27 septembre 1999 la "Conférence des Nations-Unies sur le commerce et le développement"(Cnuced) a fait paraître un rapport dont le journal Le Monde  a rendu compte dans son édition du 29 septembre. On y apprend qu'une centaine de groupes, dont General Electric (USA), Ford (USA), dominent aujourd'hui l'économie mondiale:

"(...)ces grands groupes, issus pour la plupart, des Etats-Unis et de l'Europe, détiennent, ensemble, 1800 milliards de dollars d'actifs à l'étranger, emploient plus de six millions de personnes dans le monde, et réalisent un chiffre d'affaires de 2100 milliards de dollars(...).En 1998, les investissements directs à l'étranger, outil de la mondialisation de la production, ont atteint 644 milliards de dollars, en hausse de 39% par rapport à l'année précédente(...). L'impressionnant mouvement de fusions-acquisitions transfrontalières, qui s'amplifie de part et d'autre de l'Atlantique, est à l'origine de cette hausse spectaculaire. Le total des rachats mondiaux a atteint 411 milliards de dollars en 1998, en augmentation de 74% par rapport à 1997, année qui avait déjà enregistré une progression de 45%.La Cnuced souligne que les transactions du premier semestre de 1999 équivalent déjà au total des fusions de 1998 ."

 

Ce mouvement de centralisation et de concentration du capital répond aux mécanismes fondamentaux du mode de production capitaliste. Il s'agit d'abord d'augmenter le taux de profit par la "diminution des coûts".

Le plan de restructuration de Nissan par les dirigeants de Renault, entrés pour 36,8% du capital de l'entreprise japonaise en avril 1999, prévoit une réduction des coûts de 20% sur trois ans. Le nombre des fournisseurs sera réduit de moitié. Trois usines d'assemblage et deux unités mécaniques seront fermées. 21000 emplois seront supprimés, soit 14% des effectifs. L'ensemble de ces mesures de restructuration devrait permettre de réduire les capacités pour "faire tourner" Nissan à 82% de son potentiel en 2002, contre 53% actuellement! En même temps ces mouvements de fusions, d'acquisitions, permettent de réaliser d'impressionnants gains financiers et boursiers. Un numéro spécial du journal Le Monde  publié au mois de décembre 1999 note:

 

" A chaque nouvelle fusion, les investisseurs applaudissent des deux mains: ces concentrations sont, à leurs yeux, des gages d'économie d'échelle et de rentabilité future. "Il y a une prime aux grands groupes. Acquérir une taille mondiale offre une visibilité sur les marchés financiers, valorise mieux les cours de bourse et donne un meilleur accès aux capitaux ", reconnaissait le PDG de Pechiney lors de l'annonce, le 11 août 1999, de la fusion de son groupe avec le canadien Alcan et le suisse Algroup. (...)

 

La montée spectaculaire des actions permet les montages financiers les plus acrobatiques: plus rien ne se paie en argent, tout se négocie en papier. Selon le magazine Fortune, 67% des fusions-acquisitions réalisées aux Etats-Unis en 1998 ont été faites par échange d'actions, contre 7% il y a dix ans. " 


Des contradictions explosives qui continuent à s'accumuler: Japon …


En fait, aucun des problèmes qui ont été à l'origine de la crise de 97-98 ne sont réglés. Si le capital est parvenu à repousser l'échéance d'une récession généralisée disloquant le marché mondial, c'est sur la base de coups significatifs portés aux masses et au prix d'un nouveau développement du parasitisme. La situation des deux premières puissances économiques mondiales, les USA et le Japon, montre les difficultés qui rongent le mode de production capitaliste.

 

En ce qui concerne le Japon la "reprise" actuelle reste limitée et provient essentiellement de la succession de "plans de relance" élaborés par l'Etat. Le Monde du mardi 6 juillet 1999 présente les ressorts et les limites de la "reprise" japonaise:

"Paradoxalement, la croissance du PIB nippon au premier trimestre 1999 (+2%) est trop violente pour annoncer une sortie de récession. Ce premier chiffre positif après cinq trimestres de recul est trop atypique (...)

Ce retour soudain de la croissance s'explique en tout premier lieu par un accroissement de l'investissement public (travaux publics en particulier) de 10,3% par rapport au précédent trimestre. La progression dans ce domaine représente même 22,8% en glissement annuel. La consommation des ménages s'est accrue dans des proportions plus modestes (1,2% sur le trimestre), comme l'investissement des entreprises (2,5%); mais, au total, la demande privée aura diminué de 2,5% sur douze mois. (...) Le sursaut brutal du PIB s'explique donc essentiellement par le caractère exceptionnel de la relance entreprise à l'automne 1998 (1100 milliards de francs, 167,7 milliards d'euros), plan que l'entourage du premier ministre avait qualifié "d'effort de guerre"  "

 

Encore faut-il rappeler que le plan de novembre 98 était le huitième depuis 1992 ! et ajouter que le 11 novembre 1999 le gouvernement japonais a présenté un nouveau "plan de relance" presque équivalent à celui de 98, puisque son montant s'élève à 18.000 milliards de yens, soit 163 milliards d'euros.

 

La situation japonaise reste marquée par la surproduction, en particulier de moyens de production, c'est à dire une masse énorme de capital obsolète qui constitue un obstacle à ce que le taux de profit reparte à la hausse. Ainsi l'industrie japonaise fonctionne au ralenti avec un taux d'utilisation de seulement 75% depuis 1992. Il faut incorporer à cette énorme masse de capital obsolète le montant colossal des dettes, des créances "douteuses" ou non, des banques et des entreprises, évalué à 1000 milliards de dollars. Malgré les plans successifs, dont un des objectifs était d'assainir le système bancaire, malgré la vague de "restructurations", de "fusions-acquisitions", le problème est loin d'être réglé. La principale conséquence de cette "reprise" fondée sur l'investissement public est l'accroissement important des déficits de l'Etat nippon.

 

Le déficit public  a connu une nette accélération, passant de -3,3% du PIB en 1997 à -6% du PIB en 1998 et devrait encore augmenter en 1999. La dette publique est passée de 101,1% du PIB en 1997 à 127,8% en 1999.


… Etats-Unis


Mais c'est en premier lieu l'impérialisme américain qui concentre toutes les contradictions de l'économie mondiale. Les USA ont connu neuf années de "croissance" sans interruption. Ils ont pu continuer à jouer le rôle de locomotive de l'économie mondiale en offrant des débouchés aux marchandises et capitaux de leurs concurrents. Mais la contrepartie, c'est la dégradation continue de ses comptes extérieurs.

 

Si, pour la troisième année consécutive, le budget de l'Etat fédéral doit être excédentaire (+80 milliards de dollars en 98; +115 en 99; +142 en 2000), la dette extérieur  des USA est évaluée à 2000 milliards de dollars, le déficit commercial américain s'élève à 300 milliards de dollars (soit 80% de plus qu'en 98) et le déficit de la balance des paiements courants a suivi l'évolution suivante: -1,8% du PIB en 97; -2,6% en 98; -3,5% en 99. Les Etats-Unis importent considérablement plus qu'ils n'exportent, déversant ainsi une masse énorme de dollars sur le marché mondial. Cela joue dans le sens de la dévaluation de la monnaie américaine. Si le dollar ne s'est pas encore écroulé c'est uniquement parce que les capitaux étrangers continuent à financer les déficits américains.

 

Le Japon, en particulier, détient à lui seul 20% de la dette américaine. Mais la "reprise" au Japon, même limitée, a incité les investisseurs nippons  à "rapatrier" leurs capitaux au Japon. Du coup, cela a provoqué une baisse du dollar vis à vis du yen, en particulier au cours des mois de septembre et octobre. Fin septembre, le yen atteignait son plus haut niveau face au dollar depuis trois ans et demi à 103,82 yens pour un dollar. Si depuis, ce mouvement ne s'est pas développé jusqu'à l'effondrement du dollar, c'est uniquement parce qu'il a été contenu par une série d'interventions de la banque centrale japonaise.

Mais, comme l'explique L'Expansion (7 au 21 octobre):

"La faiblesse du dollar vis à vis du yen révèle des tensions entre le débiteur et ses créanciers "

 

En même temps les tensions à la hausse des taux d'intérêts depuis le début de l'année 1999, dans un contexte marqué par un nouveau développement du crédit et du capital fictif, font peser sur l'économie américaine et mondiale le danger d'une nouvelle crise boursière et financière.

 

Aux Etats-Unis, les taux d'intérêts à long terme sont passés d'un niveau inférieur à 5,25% en janvier 99 à plus de 6%  au 31 août 99. Le mardi 16 novembre la FED a, pour la troisième fois depuis juin, encore augmenté son principal taux directeur pour le porter de 5,25% à 5,50%. La décision de la FED intervenait deux semaines après l'augmentation, le 4 novembre, par la BCE de son taux directeur à 3%.  Le Monde  du 18 novembre notait: "Le taux des fonds fédéraux est revenu au niveau qui était le sien avant la crise financière de l'automne 98, alors qu'entre temps, le Dow Jones a gagné près de 2000 points." Or, il faut rappeler que, "normalement", la valeur des actions a tendance à évoluer en sens inverse de celui des taux d'intérêts. La hausse des marchés d'actions simultanément à celle des taux d'intérêts marque donc une situation tout à fait particulière, même si ce n'est pas la première fois que cela se produit. Un banquier explique dans Le Monde  du dimanche 17-lundi 18 octobre 99:

"La situation actuelle rappelle celle de 1987. A l'époque, les taux à long terme avaient beaucoup remonté sans que le marché des actions ne s'ajuste à la baisse. Cette anomalie n'a été corrigée qu'avec le krach d'octobre 1987  "

Rien ne dit qu'à court terme la situation actuelle ne débouche sur un krach. Depuis août 99, plusieurs alertes ont déjà eu lieu à Wall Street. Les Echos du 1er septembre expliquaient:

"(...) le marché new-yorkais est aujourd'hui surévalué de 40%. Dès lors, les autorités monétaires doivent-elles, à l'inverse d'un krach, relever les taux directeurs pour crever ce qui apparaît être une "bulle boursière " ? guère possible. Du fait de l'étroite connexion entre la hausse des actions et le niveau de consommation des ménages américains fortement investis en bourse, la réserve fédérale prendrait le risque de déclencher elle-même un krach "

 

Nul ne peut dire à quel moment et exactement de quelle manière se révélera l'impasse vers laquelle se dirige inexorablement le mode de production capitaliste.

Pour le moment les contradictions fondamentales de l'économie mondiale ont été supportées d'abord grâce aux coups portés au prolétariat. Le développement monstrueux du capital fictif s'est, pour le moment, poursuivi, malgré la hausse des taux d'intérêt, l'endettement généralisé, essentiellement parce que le taux de profit augmente sur la base de  l'augmentation de l'exploitation de la force de travail. Mais ce mouvement ne peut continuer à l'infini. En tout état de cause, les contradictions explosives accumulées par le régime capitaliste imposent à chaque bourgeoisie de mener une lutte implacable contre le prolétariat ainsi que contre ses concurrents sur le marché mondial.


L'OMC: "une caverne de brigands"


Du 30 novembre au 3 décembre les représentants de 135 pays se sont réunis aux Etats-Unis, à Seattle, dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). A cette occasion, toute une série de manifestations ont eu lieu, à Seattle et dans un certain nombre de pays, notamment à Paris, à l'appel d'associations comme ATTAC et de la plupart des dirigeants du mouvement ouvrier, pour dénoncer L'OMC et la "mondialisation" comme responsables des attaques subies par le prolétariat. Il faut rappeler rapidement ce qu'est l'OMC et quels étaient les enjeux de sa conférence de la fin 99.

 

La conférence de l'OMC devait ouvrir un nouveau cycle de négociations sur l'organisation du commerce mondial ("cycle du millénaire "). L'OMC  a succédé au GATT en janvier 1995, après "l'Uruguay Round", achevé à Marrakech en avril 1994 qui prévoyait notamment une réduction massive des tarifs douaniers, en particulier ceux des pays semi-coloniaux. Ces accords se sont réalisés sur le dos des prolétariats, au profit des grandes puissances impérialistes, d'abord de l'impérialisme US.

 

L'enjeu principal de la conférence de l'OMC de la fin 99 était de franchir un pas supplémentaire vers la levée de tous les obstacles à la circulation du capital sous sa forme marchandise. Dans le cours de la préparation de la conférence de l'OMC la commission européenne a publié un texte relatif "à la négociation d'accords" entre l'union européenne et les Etats-Unis qui indique qu'il s'agissait de  "parvenir à un engagement général en faveur de l'accès inconditionnel au marché dans tous les secteurs et pour tous les modes de fournitures ".

En clair: rien ne doit faire obstacle à ce que la loi du capital ne s'impose et cela dans tous les domaines, y compris la santé, l'éducation, etc.

 

Mais, si toutes les grandes puissances impérialistes ont intérêt à négocier des accords pour lever les obstacles à la circulation du capital, sous sa forme argent et marchandise, à l'investissement, il n'en reste pas moins que le cadre dans lequel se déroulent ces négociations reste celui d'une concurrence acharnée. Chaque impérialisme cherchant à faire en sorte que les règles de la concurrence soient fixées en fonction de ses propres intérêts. Le Bilan du monde (édition 1999) présentait ainsi les contradictions entre les puissances impérialistes qui allaient finalement déboucher sur l'échec de la conférence de l'OMC:

"Ecrasés par un déficit commercial qui pourrait atteindre 245 milliards de dollars en 1998 et 300 milliards en 1999, les Etats-Unis ont pressé l'Union européenne d'ouvrir davantage ses frontières aux importations, principalement en provenance d'Asie. Le gouvernement américain s'est plaint, à la fin de l'année (98-ndlr), d'importer deux fois plus d'acier russe et dix fois plus d'acier en provenance du Japon que l'Europe. "

 

Bill Clinton déclarait dès novembre 1998:

"Nous sommes déterminés à faire appliquer en totalité et quand cela est nécessaire, nos lois commerciales à l'encontre des pratiques déloyales affectant cette industrie et nous insisterons pour que nos partenaires commerciaux respectent les règles"

 

Clinton rappelait par ces mots qu'en matière de commerce international, comme d'ailleurs dans tout autre domaine, ce sont les Etats nationaux qui restent les maîtres de leurs décisions. En réalité, l'OMC, n'a de pouvoirs que ceux que veut bien lui reconnaître chaque Etat.

 

L'échec de la conférence de l'OMC de décembre 1999 provient, non pas des manifestations des "anti-OMC", mais de l'exacerbation des contradictions entre les différentes puissances impérialistes et de la concurrence qu'elles se livrent sur le marché mondial. Contradictions qui n'ont pas manqué de s'exprimer aussi à l'intérieur de la délégation de la commission européenne, c'est à dire entre les différents capitalismes européens. Fait significatif: les représentants des impérialismes américains, japonais et européens ne sont même pas parvenus à se mettre d'accord sur l'ordre du jour des négociations.


"L'internationale civile contre la mondialisation": chacun derrière sa propre bourgeoisie


Le 30 novembre, le jour de l'ouverture de la conférence de l'OMC, avait lieu, à Seattle, une manifestation convoquée par la direction de l'AFL-CIO. A cette occasion, Jimmy Hoffa, dirigeant du syndicat des routiers, a déclaré à Libération qu'il était à Seattle pour exiger

"une refonte complète de l'OMC pour la forcer à tenir compte des intérêts des travailleurs. Notre déficit commercial est devenu insupportable. L'Europe refuse de nous acheter notre boeuf, notre maïs, et ceci et cela! (...)les Etats-Unis n'ont jamais eu besoin de l'OMC pour commercer avec le reste du monde "

 

Pas étonnant, sur la base de cette déclaration d'amour enflammée à la bourgeoisie américaine, et dans la perspective d'un soutien de l'AFL-CIO au candidat "démocrate" pour les prochaines élections présidentielles aux Etats-Unis, que Bill Clinton ait pu inviter les "anti-OMC" à la table des négociations en affirmant:

"Je suis profondément convaincu que nous devons ouvrir le processus à tous ceux qui manifestent à l'extérieur. Ils doivent en faire partie... "

Mais les dirigeants de l'AFL-CIO n'ont pas été les seuls à prêter main forte à leur bourgeoisie. Les dirigeants du mouvement ouvrier français ont eux aussi, mais de leur côté, déployé beaucoup d'efforts pour soutenir l'impérialisme français.

 

Le 27 novembre, à Paris, une manifestation a réuni 20 à 30.000 personnes sous le "mot d'ordre" :"Le monde n'est pas une marchandise". Mais justement:

"la richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s'annonce comme une immense accumulation de marchandises"

(Marx, première phrase du Capital)

 

Pour que ce ne soit plus le cas, il est nécessaire d'en finir avec les rapports sociaux bourgeois fondés sur le propriété privée des moyens de production et le salariat. C'est justement ce à quoi s'opposent les tenants de la "lutte anti-mondialisation".


"Réguler" le capitalisme ou le combattre


L'association ATTAC (Association pour la taxation des transactions financières et pour l'aide aux citoyens) joue aujourd'hui un rôle particulier dans cette nébuleuse de "l'internationale civile contre la mondialisation". Elle est actuellement propulsée au devant de la scène par les dirigeants du mouvement ouvrier. Tous les appareils, celui de la FSU, le SNES, la CGT, l'UNEF-ID, y participent activement. Un "inter-groupe parlementaire ATTAC" a même été constitué à l'assemblée nationale. Il est constitué par 115 députés, membres des groupes du PS, du PCF, des Verts, du MDC, du PRG, mais aussi Maurice Leroy, député UDF du Loir-et-Cher.

 

 Le contenu politique des propositions d'ATTAC s'est révélé dans toute sa nudité lors du vote à l'assemblée nationale du budget du gouvernement: l'ensemble des députés du PS, du PCF, ainsi que ceux du MDC, du PRG et des Verts, et donc aussi "l'inter-groupe ATTAC", ont émis un vote favorable!

 

L'impasse dans laquelle se trouve l'économie mondiale ne provient pas d'une "mauvaise gestion" qui pourrait être corrigée par quelques mesures de "régulation", mais des contradictions fondamentales du mode de production capitaliste, dont le moteur est le profit.

 

Inévitablement, le fait que les forces productives étouffent dans le cadre des rapports sociaux bourgeois doit se révéler au grand jour à travers une crise disloquant l'économie mondiale. La loi de la baisse tendancielle du taux de profit, loi fondamentale du capitalisme,  doit finir par s'imposer. C'est cela qui est à l'origine de l'énorme développement du parasitisme, du crédit, du capital fictif, qui rongent l'économie mondiale. Déjà, ce sont le prolétariat, les masses laborieuses, qui paient le prix du maintien du mode de production capitaliste. Pour eux, il n'existe qu'une seule issue: exproprier le capital, ouvrir la voie au socialisme par la prise du pouvoir.

 

 

Le 3 janvier 2000

 

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