Article paru dans Combattre pour le Socialisme  n°80 de janvier 2000

 

Elections générales du 2 juin 1999 en Afrique du Sud :

Une nouvelle fois, les masses noires

ont exprimé leur exigence : le pouvoir noir !

 

 

Résultats des élections nationales du 2 juin 1999


Le 2 juin 1999 ont eu lieu en Afrique du sud des élections générales. Plus de 18 millions d'électeurs ont élu 400 députés à l'Assemblée nationale et 430 représentants dans les assemblées régionales des 9 provinces du pays. L'Assemblée Nationale a élu le président de la république le 14 juin. 16 partis et organisations présentaient des candidats à l'échelle nationale.

 

Cinq ans après le bouleversement politique des élections d'avril 94, dans lesquelles l'ANC avait remporté une victoire écrasante et pris la présidence de la république, ce scrutin constituait un élément important pour apprécier la situation politique en Afrique du Sud. Pour dégager la signification des résultats du 2 juin il est indispensable d'établir un tableaude comparerant les scores des principaux partis en 1994 et en 1999.


 

Partis et organisations

1994

1999

 

voix

% exprimés

sièges

voix

% exprimés

sièges

ANC

12 237 655

62,65

252

10 601 330

66,35

266

Parti National (NP/NNP)

3 983 690

20,39

82

1 098 215

6,87

28

Inkatha (IFP)

2 058 294

10,54

43

1 371 477

8,58

34

Front de la Liberté (FF)

424 555

2,17

9

127 217

0,80

3

Parti Démocratique(DP)

338 426

1,73

7

1 527 337

9,56

38

PAC

243 478

1,25

5

113 125

0,71

3

ACDP

88 104

0,45

2

228 975

1,43

6

UCDP (scission ACDP)

-

-

-

125 28O

0,78

3

UDM (scission ANC)

-

-

-

546 790

3,42

14

Autres

159 296

0,82

0

239 625

1,50

5

Total exprimés

19 533 498

100

400

15 975 052

100

400

 


Parmi les petits partis obtenant des sièges à l’Assemblée nationale du fait de l’instauration de la proportionnelle intégrale, on compte l’Alliance Fédérale (2 sièges), le Mouvement d’unité Afrikaner (1 siège), le Front de la minorité ((1  siège) et l’AZAPO (0,17% des exprimés, 1 siège). Il convient aussi de souligner l’échec de la tentative de lancer l’UDM (Mouvement Démocratique Uni), scission de l’ANC, se présentant sur la ligne ouverte de la réconciliation entre les noirs et les blancs, cherchant à capter l’électorat des métis et se posant comme le parti des petits-bourgeois noirs ayant tiré économiquement profit de l’arrivée de l’ANC au pouvoir, postulant à devenir ainsi le parti d’une bourgeoisie noire en formation.

 

Il convient de préciser qu’en 1999, le nombre d’inscrits était d’environ 18,2 millions, ce qui conduit à une participation massive aux élections approchant les 88 %. Ce nombre d’inscrits a fortement diminué par rapport à 1994 où il était théoriquement d’environ 23,5 millions environ, selon les résultats officiels d’alors. Mais il faut se souvenir que les résultats des élections de 1994 avaient donné lieu à de sombres manipulations. En effet, pour minimiser la victoire de l’ANC, en quelques jours après le scrutin, avant que ne soient publiés les résultats définitifs, le nombre d’inscrits était passés de 22,7 à 23,5 millions, au profit du Parti national et de l’Inkatha. Il n’en reste pas moins qu’il est incontestable, comme la presse l’a souligné, qu’une fraction significative de la jeunesse issue des rangs de la population noire, arrivée en âge de voter, n’a pas jugé utile de s’inscrire sur les listes.

 

 

 

Les résultats de 1999 ont peut-être eux aussi fait l’objet de quelques tripatouillages. En effet, dés les premiers résultats provisoires connus, une question a étreint les “ observateurs  : l’ANC allait-elle obtenir 267 sièges, c’est-à-dire atteindre le seuil de la majorité des deux tiers obligatoire pour rendre possible par voie légale toute modification de la constitution ? Le hasard fait bien les choses et tel n’a pas été le cas…


Résultats des élections provinciales


Le résultats des élections des provinces doivent aussi être rappelés car ils présentent un intérêt politique. Sur les 400 députés à l’Assemblée nationale 200 sont élus sur le base d’un scrutin proportionnel prenant en compte les résultats nationaux en voix et 200 le sont en fonction d’un scrutin proportionnel dans les 9 provinces (le système a été mis en place afin de tenter de diminuer le poids de l’ANC). Par ailleurs les élections nationales sont concomitantes avec les élections des assemblées provinciales où au total 430 sièges sont à pourvoir. En sièges, les résultats sont les suivants.


 

provinces

ANC

IFP

DP

NNP

UDM

ACDP

MF

UCDP

FF

PAC

FA

Kwazulu-Natal

32

34

7

3

1

1

2

0

0

0

0

Western Cape

18

0

5

17

1

1

0

0

0

0

0

Gauteng

50

3

13

3

1

1

0

0

1

0

1

North West

27

0

1

1

0

0

0

3

1

0

0

Northern Cape

20

0

1

8

0

0

0

0

1

0

0

Northern Province

44

0

1

1

1

1

0

0

0

1

0

Mpumalanga

26

0

1

1

1

0

0

0

1

0

0

Free State

25

0

2

2

0

0

0

0

1

0

0

Eastern Cape

47

0

4

2

9

0

0

0

0

1

0

TOTAL

289

37

35

38

14

4

2

3

5

2

1

 


Sur les 400 députés à l’Assemblée nationale 200 sont élus sur la base d’un scrutin proportionnel prenant en compte les résultats nationaux en voix et 200 le sont en fonction d’un scrutin proportionnel dans les 9 provinces (le système a été mis en place afin de tenter de diminuer le poids de l’ANC, avec l'accord de celle-ci).

L’ANC obtient 67,27 % des sièges et est hégémonique dans 7 provinces sur 9. Seules lui échappent le Kwazulu-Natal, fief zoulou de l’Inkatha et le Western Cape où se concentre une grande partie de la minorité blanche.

 

Il faut mettre en rapport le score de l’ANC avec le fait que 77 % de la population est noire.

 

Dans la province du Mpumalanga, où la population comprend 10% de blancs et 90% de noirs, l'ANC obtient 85,26% des voix. Dans la province de l’Eastern Cape (moins de 8% de blancs, 85% de noirs) l'ANC obtient 73,91%. Dans le Western Cape, l'ANC devient majoritaire avec 42% des voix contre 38,4% au PN (dans cette province, il y a 24% de blancs et 56% de "métis" selon un recensement d'octobre 1995). Il n'y a que le Kwazulu-Natal où l'ANC n’a ni majorité absolue ni relative (42% pour l'Inkatha et 39 % pour l'ANC). Encore faut-il préciser ici que c'est délibérément que l'ANC laisse la province à l'Inkatha pour lui permettre de  se maintenir et de justifier ainsi sa présence au gouvernement. Pour s'en convaincre, il suffit de rappeler que lors des élections municipales du 26 juin 96 dans cette province, l'Inkatha avait été balayée par l'ANC dans toutes les villes.

 

Une nouvelle fois, comme en 1994, les masses noires ont voté en bloc pour l’ANC.

 


Comme en 1994, les masses noires se sont rassemblées pour voter pour le pouvoir noir


Le fait politique fondamental des élections du 2 juin c'est la victoire écrasante de l'ANC. Les masses noires ont massivement voté pour l'ANC, organisation nationaliste petite-bourgeoise, qui est leur organisation historique. Du côté de la bourgeoisie blanche, le parti de l'Apartheid, le Parti National, est défait tandis que la tentative de lancer un parti multiracial, l’UDM est un échec.

 

Ce qui s'est exprimé à travers le vote massif pour l'ANC, c'est la volonté des masses noires de voir réalisée leur aspiration la plus fondamentale: le pouvoir noir. Et cela malgré la politique bourgeoise menée par l'ANC au pouvoir depuis 1994. Tel est l'enseignement essentiel de ces élections. Les masses noires, qui composent 77% de la population du pays (contre 11% de blancs, 9% de "métis", 3% "d'asiatiques"), se sont, une fois encore, saisies du votee l'ANC pour exprimer politiquement leur volonté: en finir avec la domination impérialiste, chasser l'oppresseur et l'exploiteur blanc en résolvant ainsi la question nationale, liquider réellement l'Apartheid, en finir avec la politique de protection de la bourgeoisie blanche menée par l'ANC, voir satisfaites leurs revendications élémentaires.

 

Le rapport politique adopté par la onzième conférence de notre comité, publié dans le  numéro 78 de CPS du 31 mai 1999 indiquait:

“ Sans doute les prochaines élections en Afrique du Sud permettront-elles de mieux apprécier les processus en cours”.

 

Plus de six mois après les élections de juin dernier, il est nécessaire de procéder à cette appréciation, dans la continuité des acquis politiques du Comité.

 


Aaprès les élections de 1994


Suite aux élections de 1994, Lla huitième conférence du Comité, tenue les 11,12 et 13en novembre 1994, caractérisait les élections de 1994 ainsi:

adoptait la position suivante :

 

“ Devant l’impossibilité de réduire le mouvement des masses noires l’impérialisme américain vise à utiliser la direction de l’ANC pour établir un régime où les “ élites ” noires assument la responsabilité du pouvoir aux côtés des dirigeants politiques blancs, dans le cadre de l’État colonial blanc. (…) L’accession de Mandela et de l’ANC, placés à la tête d’un gouvernement d’union avec les colons blancs devait être une première étape allant dans ce sens. Mais alors que Mandela et la direction de l’ANC “ négociaient ” avec le gouvernement, le pouvoir blanc, les masses noires ont sans cesse combattu. Le processus révolutionnaire n’a pas été liquidé, au contraire. Les élections ont été outrageusement truquées. Pourtant l’ANC a recueilli la majorité écrasante des voix exprimées et la majorité à l’Assemblée nationale. Ainsi contradictoirement au but recherché (enliser les masses noires dans les filets d’une légalité fondée sur la coopération noirs blancs, la coopération de “ toutes les composantes du peuple sud-africain ”), s’est manifestée la réalité : les masses noires sont le “ peuple ” sud-africain. En ce sens les élections sont une victoire politique des masses noires. ” (souligné par nous – ndlr)

 

Pour le comité, il est clair que Lles développement de la lutte des classes qui ont conduits aux élections de 1994 ont d’abord pour origine le mouvement révolutionnaire des masses noires et l’incapacité de la bourgeoisie blanche de l’affronter. Dans ces conditions, l’impérialisme américain a manœuvré à reculons avec la complicité des dirigeants de l’ANC. A partir de 1989, l’impérialisme américains, qui occupe une place dominante depuis l’après deuxième guerre mondiale, a jugé que le dispositif de l’apartheid n’était plus adapté à la situation pour contenir le mouvement des masses noires. Aussi CPS n° 53 du 6 juin 1994 pouvait indiquer :

 

“ Ces élections sont l’aboutissement d’un processus qui s’est ouvert le 11 février 1990 avec la libération de Mandela et l’ouverture de négociation entre le pouvoir blanc et l’ANC dans l’objectif de réorganiser le mode de domination, l’apartheid instauré depuis 1948 ayant épuisé ses possibilités. Les négociations conduites durant quatre ans furent difficiles : la mobilisation des masses noires (grève générale, affrontements avec les milices de l'Inkatha, avec les collaborateurs, la police blanche ; oppositions puissantes au sein des organisations syndicales…) a contraint l'ANC à de longues interruptions des négociations officielles.

Mais peu à peu, la direction de l'ANC a pu s'engager sur le terrain choisi par la bourgeoisie blanche : ayant dès l'origine rejeté l'exigence du pouvoir noir et de l'expropriation du capital, elle a peu à peu capitulé abandonnant sa propre ligne, renonçant à exiger une assemblée constituante, acceptant la nécessité d'une majorité qualifiée, la mise en place d'une constitution négociée, de pouvoirs fédéraux (lesquels garantissent des "sanctuaires" aux Blancs et aux Zoulous)… Finalement, faute de pouvoir imposer l'exigence du "pouvoir noir" les masses n'ont pu empêcher ce processus d'arriver à son terme. Tout au plus l'ont-elles ralenti.”

 

Dans ce contexte, la résolution de la huitième conférence déjà citée poursuivait :

 

 

“ Le sens politique du résultat de ces élections est contradictoire à la constitution d’un gouvernement de coalition à l’image de cette Assemblée (gouvernement auquel participent aussi bien le Parti national de de Klerk que l’Inkatha de Buthélézi) et au maintien de l’État colonial blanc ; loin de mettre fin au mouvement révolutionnaire des masses noires ces élections marquent une étape de ce mouvement ; la revendication du pouvoir noir est plus que jamais actuelle, sous une forme immédiatement saisissable : dirigeants de l’ANC vous avez obtenu une majorité écrasante dans le pays, vous disposez d’une majorité absolue à l’Assemblée Nationale, rompez avec le Parti national, rompez avec l’Inkatha, formez un gouvernement de la seule ANC, portez la hache dans l’État colonial blanc en vous appuyant sur les masses noires ”. (souligné par nous – ndlr)

 

Le bouleversement politique des élections de 1994 confirmait qu'il n'était plus possible pour la bourgeoisie blanche de maintenir son système de domination de classe sous la forme de l'Apartheid tel qu'il s'est constitué en 1948 avec la prise du pouvoir par le PN.

 

Ce sont 40 ans de combats révolutionnaires des masses noires contre l'Apartheid qui sont à l'origine de la défaite de la bourgeoisie blanche en 1994 et cela bien que le processus qui a conduit aux élections ait été à l’initiative de l’impérialisme américain.

 


Aaprès les élections de 1999


Les élections du 2 juin 1999 confirme que le retour en arrière est impossible pour la bourgeoisie blanche. C'est ce qui s'exprime à travers la débâcle du PN dans ces élections, et aussi à travers le score ridicule des regroupements "néo-nazis" hostiles à tout compromis avec l'ANC, par exemple le "Freedom Front" dirigé par le général Viljoen (0,80 % en 99 contre 2,17 % en 94).

 

Pour la bourgeoisie blanche la seule voie actuelle consiste à "déléguer" le pouvoir politique à ses lieutenants noirs de l'ANC, chargés de contenir, de cadenasser politiquement les masses noires, pour préserver l'essentiel: la propriété privée - et dans les mains des blancs - des moyens de production. Telle est la raison pour laquelle le Parti Démocratique fait un petit bond électoral au détriment du PN. Ce parti, parti des "milieux d'affaires" blancs, seule "opposition" légale sous l'Apartheid, explique depuis des années que telle est la solution la plus appropriée pour la bourgeoisie blanche. Il a réussi à rassembler dans ces élections toute une partie de l'électorat afrikaner traditionnellement regroupé derrière le PN.

 

Les résultats des élections du 2 juin sont l'expression du fait que les rapports politiques entre les classes de 1994 n'ont pas été effacés. Les masses noires veulent le pouvoir noir. Pour cela, compte tenu de l'absence de toute organisation ouvrière sur le plan politique, les masses noires sont contraintes d'utiliser l'ANC, organisation nationaliste petite-bourgeoise.

 

Les deux gouvernements constitués sous la direction de l’ANC entre 1994 et 1999 (gouvernement ANC-PN-Inkatha jusqu'e en 1996 puis gouvernement ANC-Inkatha, tous deux baptisés “ gouvernement noirs ” par les spécialistes en confusion politique, les mêmes qui qualifient le gouvernement Jospin-Gayssot-Voynet-Chevénement-Zuccarelli de “ gouvernement socialiste ”) ont réussi à contenir le mouvement des masses noires. Ils n’ont pas réussi à le défaire et c’est ce que traduit le résultat des élections du 2 juin.

Plus que jamais reste à l’ordre du jour l’orientation avancée par le Comité en 1994. Face au gouvernement ANC-Inkatha, constitué par Thabo Mbeki, exiger des dirigeants de l’ANC : vous avez obtenu une fois de plus une majorité écrasante dans le pays, vous disposez d’une majorité absolue à l’Assemblée Nationale, rompez avec l’Inkatha, formez un gouvernement de la seule ANC, portez la hache dans l’État colonial blanc en vous appuyant sur les masses noires.

 

Comme en 1994, cette orientation se situe dans celle définie dans le programme de transition, lequel indique :

“ De tous les partis et organisations qui s’appuient sur les ouvriers et les paysans et parlent en leur nom, nous demandons qu’ils rompent politiquement avec la bourgeoisie et entrent dans la voie de la lutte pour le gouvernement ouvrier et paysan ”

Fidèle à cette orientation, Stéphane Just précisait :

 

" Le dispositif des forces et partis politiques est encore tel que les partis social-démocrates et les partis staliniens, dans les pays capitalistes avancés, avec souvent les organisations petites-bourgeoises nationalistes dans les pays semi-coloniaux, sont toujours les partis dirigeants du prolétariat et des masses exploitées. C'est vers eux que les masses se tournent, en espérant qu'ils réaliseront leurs aspirations. Au nom des masses, nous devons formuler la revendication: rompez avec la bourgeoisie, prenez le pouvoir". (souligné par nous – ndlr -La Vérité n° 588, page 289).

 

C’est cette même orientation que l’OCI, sous la plume de Stéphane Just développa en 1979 suite au mouvement révolutionnaire qui porta au pouvoir le Front Sandiniste de Libération Nationale (FSLN) :

 

"Le FSLN n'est pas un parti de la "bourgeoisie nationale" mais une organisation petite-bourgeoise dans un pays semi-colonial n'ayant pas accompli les tâches démocratiques et agraires. Dans ces conditions, le mot d'ordre "rompez avec la bourgeoisie, prenez le pouvoir" correspond au mouvement au travers duquel les masses peuvent se poser la question d'un gouvernement sans représentants de la bourgeoisie et de leur propre pouvoir." (La Vérité n° 589, page 72).


La clé de la révolution prolétarienne en l’Afrique du sud: la question du pouvoir noir


Dés 1986, le Comité a accordé une attention particulière aux développements de le lutte des classes en Afrique du Sud. En témoigne en particulier le fait qu’à de nombreuses reprises sont parus dans CPS des articles analysant le processus de le lutte des classes dans ce pays (notamment CPS n° 40 de décembre 1991, n° 53 de juin 1994 et n° 64 de septembre 1996). Cela résulte du fait que le comité a considéré que l’Afrique du Sud constituait, avec à l’époque la Palestine, l’une des régions du monde où des situations à caractère un foyer révolutionnaire pouvaient surgir.

 

Ainsi le rapport politique adopté par le  comité national du Comité en 1986 indiquait :

 

“ Un nouveau foyer de la révolution prolétarienne s’est allumé au cours de ces dernières années en Afrique du Sud. Il s’agit sans doute du plus important de ceux qui se sont allumés depuis plusieurs années dans plusieurs pays par son importance dans le pays même et ses conséquences du point de vue de la lutte des classes dans le monde. Le combat que lea peuple noir a engagé pour son indépendance, le droit à une nation est forcément d’emblée la révolution prolétarienne ; c’est à la fois une lutte nationale et le combat pour l’expropriation du capital ; le pouvoir blanc ne recule devant l’utilisation d’aucun moyen pour noyer dans le sang la révolution noire contre l’apartheid, le pouvoir blanc, pour la république noire, le pouvoir noir.

L’Afrique du Sud est une création de l’impérialisme anglais. L’impérialisme US l’a depuis en partie relayé. Le capitalisme sud-africain est lié et subordonné à ces deux impérialisme. ”

 

Ce rapport poursuivait plus loin :

 

 

“ En Afrique du Sud, le pouvoir bourgeois s’identifie au pouvoir blanc. Sa base de masse c’est la totalité de la population blanche. Certes, tous les blancs ne sont pas des capitalistes. Une grande partie est composée de prolétaires qui occupent dans la production les postes qualifiés. D’autres sont fermiers. D’autres sont socialement des petits-bourgeois. Mais leur situation sociale, leur mode et niveau de vie dépendent du maintien du pouvoir blanc, de l’exploitation et de l’oppression sans limite des noirs, du maintien de l’apartheid, de la privation, pour la population noire de tout démocratique élémentaire mais réel. ;Et ils en sont pleinement conscients. A l’inverse, la solution de la question nationale exige le pouvoir noir et le pouvoir noir ne peut être réellement réalisé que par le prolétariat noir. Sans  doute, une partie de la population d’Afrique du Sud est composée de métis, d’émigrés indiens et autres. Souvent socialement, ils s’apparentent à la petite bourgeoisie. En général leur standard de vie est supérieur à celui de la population noire mais ils n’ont politiquement aucun droit. Ils n’ont d’issue sociale et politique qu’en s’alignant derrière les noirs et en les appuyants” (souligné par nous – ndlr)

 

Et il indiquait encore :

 

“ En Afrique du Sud la révolution est un concentré pratique de la théorie de la révolution permanente. Moins que dans aucun pays semi-colonial il ne peut y avoir d’étape démocratique. La question à résoudre est d’abord et avant tout la question nationale, la constitution de la nation noire, du pouvoir noir contre l’impérialisme représenté directement par le pouvoir blanc, la population blanche dans son ensemble. Les blancs sont placés devant l’alternative se soumettre ou pouvoir noir ou partir. La révolution noire, révolution prolétarienne doit être une révolution radicale, non seulement politiquement mais socialement et économiquement dès la prise du pouvoir. Tout aussi radicale que toute révolution prolétarienne dans les pays capitalistes, impérialistes dominants ” (souligné par nous – ndlr)

 

Pour analyser la situation politique en Afrique de Sud, il faut bien évidemment déterminer si cette caractérisation de la “ formation sociale ” (termes utilisés par les pédants de l’université) en Afrique du Sud doit être fondamentalement remise en cause du fait des développements de la lutte des classes depuis 1986. De cette caractérisation il ressort que l’Afrique du Sud est un État semi-colonial où l’une des questions essentielles, non résolue, reste la question nationale, question qui à l’époque de l’impérialisme, stade suprême du capitalisme ne peut trouver de réponse pratique que par le mouvement du prolétariat s’engageant dans la voie de la révolution.

 

Pour analyser la situation politique en Afrique de Sud, il faut bien évidemment déterminer si cette caractérisation doit être fondamentalement remise en cause du fait des développements de la lutte des classes depuis 1986.

 

 

En d’autres termes, la venue de l’ANC au pouvoir en 1994 a-t-elle permis de  résoudre la question de la libération nationale du peuple noir d’Afrique du Sud ? Aurait-on assisté depuis 1994 dans ce pays à une infirmation de la théorie de la révolution permanente qui veut qu’à notre époque seul le prolétariat organisé en classe dominante et prenant le pouvoir peut réaliser complètement les tâches démocratiques ? Ou encore, cas imprévu par la théorie marxiste, depuis 1994, a-t-on assisté à la constitution d’une bourgeoisie noire qui aurait été à même de résoudre contre la domination impérialiste la question nationale en Afrique du Sud ?

 

 


Constitution d’une bourgeoisie noire ?


Déjà en 1996, le n° 64 de CPS répondait ainsi et fort justement à cette question, dans un chapitre intitulé “ constituer une bourgeoisie noire ” :

 

“ La population noire ne constitue pas un "peuple classe". Si l'essentiel de cette population est constituée de prolétaires et de chômeurs, si la colonne vertébrale de son combat pour le pou­voir noir est constituée par la classe ouvrière et la jeunesse qui combat au côté de celle-là, il existe une réelle petite bourgeoi­sie noire ainsi qu'une très mince couche de bourgeois noirs. De ces couches sont issus en particulier les dirigeants de l'ANC, organisation nationaliste petite bourgeoise, mais aussi ceux des autres organisations telle le PAC. Leurs intérêts de classe poussent ces couches à rechercher une alliance avec la bour­geoisie blanche, à se satisfaire de quelques maigres concessions "démocratiques" au détriment des revendications fondamentales du prolétariat et de la jeunesse noirs.

 

L'objectif clairement exprimé du gouvernement de Mandela, avec le soutien de l'impérialisme, est de constituer une véri­table classe bourgeoise noire. Mais au bout de deux ans, les résultats sont maigres. Sous le titre : "Black managers : moins de 250 noms" , Le Figaro se lamente :

 

"La réalité est là. Malgré la présence depuis deux ans de plusieurs sociétés à capitaux noirs, l'économie sud-africaine est toujours dominée par cinq conglomérats. Deux groupes industriels, l'Anglo American-De Beers-Minorco et le Rembrandt Group, respectivement contrôlé par les familles Oppenheimer et Rupert, et trois compagnies d'assurances (Old Mutual, Salam, Liberty Life) continuent de se partager le marché sud-africain. Les "big five" détiennent toujours plus de 80% de titres de la Bourse de Johannesburg, tandis que le business noir arrive péniblement à maintenir ses 2% de parts du marché."

 

Aussi l'ANC, à travers son principal dirigeant, a-t-elle décidé de consacrer tous ses efforts à cette question. Son secrétaire général, Cyril Ramaphosa, démissionnait de son poste de se­crétaire de l'ANC en même temps que de celui de président de l'Assemblée nationale le 12 avril 1996 pour se "reconvertir dans le secteur privé" :

 

"Son départ aurait pu être interprété comme une perte pour le monde politique. Il a finalement été accueilli comme une aubaine par les milieux d'affaires noirs. Deux ans après l'accession au pouvoir de l'ANC, le marché sud-africain est toujours contrôlé par une poi­gnée de trusts familiaux blancs.

En acceptant de "libérer" Cyril Ramaphosa de ses fonctions, Nelson Mandela a en effet expliqué que son ex-collaborateur avait "un rôle vital à jouer pour com­bler le fossé entre les milieux d'affaires blanc et noir". "Si la communauté noire ne s'empare pas du pouvoir économique, cette démocratie sera en danger, et avec elle tout le monde, y compris le business blanc", a confirmé le responsable sortant.

Début mai, Cyril Ramaphosa sera officiellement nommé président adjoint de Nail (New Africa Investments limited), au côté de Nthato Motlana. Le docteur et ami personnel de Nelson Mandela y détient 52% du capital. L'aventure de Nail est considérée comme le plus gros succès du business noir des an­nées 90. Son premier investissement a été l'acquisi­tion de la compagnie d'assurances Metropolitan Life. Puis le groupe a racheté  The Sowetan , le plus gros quotidient du pays." (Le Figaro du 2 mai).

 

Malheureusement pour le journaliste du Figaro, un tel exemple est exceptionnel : "la prise du pouvoir économique se heurte tôt ou tard au manque de ressources financières ou d'expérience commerciale de la poignée d'hommes d'affaires noirs. L'Afrique du Sud manque désespérément de patrons noirs."

" Or cette contradiction n'est pas prête d'être résolue, dans la me­sure même où le capitalisme s'est constitué en Afrique du Sud sur la base du colonialisme, de la soumission de l'Afrique du sud à la bourgeoisie blanche, système qui s'est perpétré par des décennies d'Apartheid ; or tout le dispositif actuel vise à préserver le capitalisme sud-africain tel qu'il s'est historique­ment constitué.

 

Avec l'appui financier et politique du gouver­nement sud-africain, il est possible de renforcer la couche de capitalistes noirs : ceux-ci resteront économiquement et poli­tiquement soumis, assujettis à la bourgeoisie blanche. ”

 

Cette conclusion sur ce point de CPS n° 64 esta été pleinement vérifiée par les faits. La revue “ problèmes économiques ” n° 2549 du 31 décembre 1997 confirme si besoin est :

 

 

“ En 1990, aucune entreprise détenue par des noirs n’était cotée à la bourse de Johannesburg. Actuellement, 17 des 626 entreprises cotées à la bourse de Johannesburg sont contrôlées par des noirs, pour une capitalisation marchande totale de 28,4 milliards de rands ” tout en précisant “ Les actions acquises grâce à des capitaux empruntés imposent des restrictions aux nouveaux propriétaires noirs ; Les prêts constituent l’essentiel du patrimoine et les actions appartiennent en définitive aux prêteurs. Les propriétaires noirs n’ont qu’un pouvoir limité concernant la gestion. La productivité étant le critère déterminant, les entreprises accordant des pouvoirs aux noirs sont réticentes à l’idée de remplacer des dirigeants blancs expérimentés de leurs sociétés exploitantes par crainte que le cours des actions ne s’effondre ”

 

A cela il faut ajouter que fondamentalement les caractéristiques de l’économie Sud Africaine reste inchangées : celle d’un pays entièrement dominé par l’impérialisme, essentiellement basée sur l’exportation de matière premières (en 1993, les exportations de matières premières constituaient 70 % des exportations de l’Afrique du Sud), tributaire des investissements des compagnies étrangères des grandes puissances impérialistes, la propriété de la terre restant pour l’essentiel entre les mains des colons blancs.

 

 

Par ailleurs, il ne fait aucun doute que la venue au pouvoir de l’ANC a permis à toute une série de parvenus noirs de bénéficier des prébendes liées à l’exercice du pouvoir et à certaine facilités pour se lancer dans la constitution d’entreprises capitalistes. Mais sur le fond, cela reste un phénomène limité : il n’y a pas de place pour que se développe une véritable bourgeoisie noire, ayant une indépendance politique significative vis-à-vis des impérialismes dominants.

 

 

La seule tentative dans ces élections de constituer un parti bourgeois multiracial, voulant représenter les nouvelles élites noires et la bourgeoisie blanche a été l’UDM (Mouvement Démocratique Uni), fondé par un ancien dirigeant de l'ANC et un ancien dirigeant du parti national. L'UDM se présentait sur la ligne ouverte de la réconciliation entre les noirs et les blancs, cherchant à capter l’électorat des métis et se posant comme le parti des petits-bourgeois noirs ayant tiré économiquement profit de l’arrivée de l’ANC au pouvoir, postulant à devenir ainsi le parti d’une bourgeoisie noire en formation. L'UDM a obtenu 3,4% des  voix.

 


Ccinq ans de gouvernements dirigés par l’ANC


La venue au pouvoir de l'ANC en 1994 n'a pas signifié la réalisation du pouvoir noir, le début de ce que certains appelleraient une “ révolution nationale. ”. Au contraire, toute la politique de l'ANC au gouvernement s'est dressée contre cette revendication fondamentale des masses noires.

 

Dès 1994, L'ANC a composé un gouvernement "d'union nationale" avec le PN et l'Inkatha, elle a négocié avec le PN une nouvelle constitution, qui garantit les "droits" des blancs.

 

L'un des axes principaux de la politique des gouvernements dirigés par l'ANC a été "la lutte contre les déficits". Pour prendre la mesure de ce qui a été réalisé sur ce point, et aussi des coups qui ont été portés contre les masses, il suffit de mentionner que le déficit public était de 5,1% du PIB en 96 et qu'il est estimé à 3,9% dans le budget 98.

 

Le plan GEAR ( plan dit "croissance, emploi et répartition"), présenté en 1997, a encore amplifié l'offensive contre les masses noires. Le "Monde Diplomatique" de mars 99 présentait ainsi le plan du gouvernement: un plan "qui prévoit de poursuivre la privatisation des entreprises d’État et de donner plus de flexibilité au marché du travail". Ainsi, en mars 97 était ouvert le capital de Telkom, entreprise nationale de télécommunication, à hauteur de 30%, pour être cédé à un consortium américain. 500.000 postes de travail ont été supprimés ces 4 dernières années dans le secteur privé et la terre reste très largement aux mains des blancs. En cinq ans le taux de chômage de la population active est passé de 30 % à 37 %.

 

C'est cette politique qui a conduit le quotidien économique de la bourgeoisie blanche, "Business Day", à appeler à voter ANC pour les élections du 2 juin en expliquant:

 

"La performance de l'ANC aurait pu être meilleure mais aussi pu être bien pire...le maintien de la discipline fiscale menée de pair avec la tenue de quelques promesses électorales au milieu d'une crise des marchés émergents a été un acte remarquable d'équilibre"

 

Dans ce contexte, les conditions d'existence de la population noire ont empiré : 27% des foyers noirs vivent avec moins de 500 F/mois contre 1,3% des familles blanches; 42% des noirs sont au chômage contre 4% des blancs; 1 blanc sur 30 a accès à l'université contre 1 noir sur 2000; 1/4 de la population sud-africaine, presque exclusivement des noirs, vit dans des bidonvilles, le plus souvent sans eau potable ni électricité.

 

Pour l'ensemble de la population noire, les conditions d'existence sont restées fondamentalement identiques à celles vécues sous l'apartheid. Si l'apartheid "légal" a été officiellement abrogé, il reste économiquement une réalité pour l’immense majorité des masses noires.


Lle nouveau gouvernement: encore un gouvernement de coalition ANC-Inkatha


L'ANC a mené campagne en rassurant systématiquement la bourgeoisie blanche.  Avant les élections Mandela a appelé les blancs à ne "pas gaspiller leur voix et à rejoindre l'ANC". Quant à Mbeki, dans une "lettre ouverte" à la population blanche, il a expliqué: "allez voter pour le parti de votre choix, sans crainte que votre décision pourrait d'une quelconque façon compromettre votre avenir en Afrique du sud"

 

Dans le cadre de la préparation des élections l'ANC a fait de la "nécessité de poursuivre et d'accélérer les réformes" le leitmotiv de sa campagne, soutenu en cela par ses alliés du SACP et les dirigeants de la COSATU.

 

Dès le 3 juin 1999 Mbeki faisait une déclaration politique. Il y déclarait notamment:

 

"Le peuple a renouvelé sans équivoque notre mandat. Mais l'ANC abordera l'exercice du pouvoir sans arrogance, avec humilité et un profond sens des responsabilités, afin que nous soyons capables de construire ensemble une Afrique du Sud qui appartienne vraiment à ceux qui y vivent, noirs comme blancs".

 

Sur cette orientation Mbeki a composé son gouvernement, un gouvernement de coalition avec l'Inkatha. L'Inkatha dispose de trois ministères, dont celui de l'intérieur. Buthelezi, chef du parti zoulou, est encore membre du gouvernement même s'il n'a pas récupéré la vice-présidence, comme cela avait été envisagé.

 

Le nouveau gouvernement se prépare à devoir affronter les masses noires. Le mercredi 9 juin 1999, Mandela a présidé son dernier conseil des ministres. Le journal Le Monde du 11 juin 1999 rend compte de cette réunion:

 

"L'ordre du jour était consacré à la transformation de l'administration présidentielle, qui va devenir le cœur du pouvoir exécutif(...) Mbeki compte désormais utiliser pleinement tous les pouvoirs que lui donne la constitution. Le chef du Congrès national africain(...) se trouvera à partir du 16 juin à la tête d'une "super-présidence de la République", accrue de vingt personnes et absorbant la vice-présidence, qui était distincte sous Nelson Mandela. La restructuration des services de la présidence doit accroître "l'efficacité" du gouvernement, a indiqué le révérend Frank Chikane, premier conseiller de M.Mbeki..."

 

Comme les deux gouvernements précédents, le nouveau  gouvernement ANC-Inkatha est un gouvernement de défense de la bourgeoisie contre les masses noires.

  En tout cas, aucune illusion ne peut être nourrie sur ce gouvernement. C'est un gouvernement qui poursuivra l'offensive contre la population noire au service de la bourgeoisie blanche et de l’impérialisme. Cela est d'autant plus certain que la situation du capitalisme sud-africain est précaire, que les exigences de la bourgeoisie blanche vont se faire de plus en plus pressantes.

 

Le "Bilan du Monde" (édition 1999) rend compte de la situation du capital en Afrique du Sud de la manière suivante:

 

"Après la croissance générée par l'ouverture du pays et la fin de l'Apartheid, l'économie sud-africaine a subi le contrecoup de la crise internationale qui a touché les pays émergents. En 1998, la croissance semblait devoir ne pas dépasser 0,2%, faisant planer le spectre de la récession. Au milieu de l'année, le Rand a fait l'objet d'attaques spéculatives. Il a perdu plus de 20% de sa valeur par rapport au Dollar(...)Handicapé par le poids de la dette publique héritée de l'Apartheid, le gouvernement voit sa marge de manœuvre encore réduite par le ralentissement de la croissance".

 


Face aux masses noires


Les masses noires sont confrontées à la politique bourgeoise de l'ANC. Mais malgré cette politique menée, en particulier depuis 5 ans au pouvoir, avec le soutien du SACP et des dirigeants de la COSATU, l'ANC n'a pas réussit à empêcher les masses noires de se regrouper une nouvelle fois dans les élections pour affirmer leur volonté. A nouveau l'ANC a une majorité écrasante à l'Assemblée Nationale, à nouveau le président de la république est le principal dirigeant de l'ANC, successeur de Mandela, Thabo Mbeki.

 

Cela ne signifie en aucune manière que la population noire soutient la politique de l'ANC. En 1999, plus de trois millions de journées de grèves auront été enregistrées, contre 2,3 millions pour 1998. C'est le niveau le plus élevé depuis 1994 (3,9 millions).

Le "bilan du Monde"(édition 99) souligne que "l'année 1998 a été marquée par une recrudescence et un durcissement des grèves, dans l'industrie chimique et automobile en particulier".

Malgré le vote massif pour l'ANC, qui est la donnée fondamentale, un mouvement de rejet de la politique de l'ANC s'est esquissé dans ces élections. L'ANC perd plus de 1.600.000 voix par rapport à 94. Le journal Le Monde du 3 juin note que dans les Townships "moins de la moitié des 18-20 ans se sont inscrits pour voter".

Mais ce rejet de la politique de l'ANC ne trouve aucun débouché politique. Ce mouvement qui s'est esquissé dans les élections est en réalité l'expression du désarroi politique, et même le produit de la décomposition sociale dont sont victimes, en particulier, les jeunes noirs. Dans la population noire, plus de la moitié des 18-25 ans sont au chômage!

 

Mbeki n'a cessé de le répéter pendant la campagne électorale, avec Mandela : il compte bien poursuivre et même renforcer la politique des précédents gouvernements dirigés par l'ANC. Pour les masses noires Mandela est un personnage historique, un héros politique. Le fait qu'il ait été à la tête du gouvernement n'a pas été sans effet sur la capacité de l'ANC de contenir le mouvement des masses dans des limites acceptables pour la bourgeoisie blanche depuis 1994. Mbeki ne pourra pas jouer sur son influence sur les masses comme l'a fait Mandela.

C'est ce que révèle un article du Monde daté du 14 juin 1999, rendant compte des réactions des militants de l'ANC lors d'un meeting de Mbeki:

 

“ Ce que j'aime chez Mbeki, c'est sa fermeté. Mandela était attaché à la réconciliation avant tout. Il était trop indulgent, avec les Blancs en particulier ”, explique Thembi, institutrice et militante de l'ANC, venue au stade avec son mari et ses deux enfants. “ Mandela, c'est un grand-père. Il ne voulait blesser personne mais le résultat, c'est que l'apartheid est loin d'avoir entièrement disparu, constate Derrick, jeune de vingt-quatre ans au chômage. Maintenant, Mbeki doit vraiment transformer le pays et tenir les promesses faites en 1994, sinon lui et l'ANC ne survivront pas. Les gens attendent beaucoup. ”

 

Face à l'impatience que provoque la lenteur des changements dans les townships, M. Mbeki sait qu'il dispose d'une marge de manœuvre étroite pour les années à venir. Dépourvu du charisme de M. Mandela mais politicien habile, le prochain chef de l'Etat sud-africain a repris à son compte le désenchantement des cités noires en se faisant le chantre de la “ concrétisation ” des réformes."

 

M. Mbeki ne souhaite pas remettre en cause les grands équilibres d'une économie convalescente et il veut éviter de menacer une cohabitation raciale encore fragile. Mais il est conscient que son avenir politique et la stabilité du pays passent par une accélération du processus de transformation en faveur des plus démunis. “ L'Afrique du Sud demeure un pays divisé en deux nations. L'une blanche et prospère, l'autre noire et pauvre. Cette situation provoque la rage de millions de personnes et il faut y remédier rapidement ”, affirmait M. Mbeki, le 29 mai 1998, dans un discours à l'Assemblée nationale destiné à poser les jalons de la période à venir."

 

Ce que traduit cet extrait, ce sont les rapports politiques entre les classes, le fait que les gouvernements dirigés par l'ANC depuis 94 n'ont pas réussi à faire refluer les masses noires. Les masses noires ont à nouveau utilisé l'ANC pour exprimer leurs aspirations, affirmer leurs revendications, comme en 94. Mais elles ont vu et subi la politique de l'ANC au pouvoir depuis. Il est inévitable que les illusions des masses noires sur l'ANC se soient effritées.

 

Les masses noires exigent que leurs revendications soient satisfaites. Inéluctablement, elles chercheront à affronter le nouveau gouvernement. La question qui reste aujourd'hui posée est : les masses noires trouveront-elles les capacités d'engager de grands combats de classe, de s'unifier comme classe sur leur propre terrain, , pour s'ouvriront-elles la voie pour infliger une défaite politique au gouvernement ANC-Inkatha ?

 


Lles masses noires combattent


Quelques semaines après les élections du 2 juin, d'importantes grèves ont eu lieu dans les Télécommunications, à la Poste, dans l'enseignement, et la fonction publique en général, ainsi que dans les mines. Le 24 août, la direction de la COSATU a dûu appeler à la grève, grève suivie largement.

 

 

La cause immédiate des grèves dans la fonction publique est l'imposition par le gouvernement d'une hausse de 6,3% des salaires, tandis que les dirigeants de la COSATU exigeaient en moyenne une hausse de 7,3%. S'ajoute dans les mines le rejet des licenciements massifs provoqués par la chute des cours de l'or.  

 

Mais, La raison fondamentale qui a amené des travailleurs a mener d'importantes actions de grève n'est pas simplement 1% de plus d'augmentation. Ou plus précisément, au travers des revendications salariales, s'est affirmé le rejet de la politique du gouvernement ANC-Inkatha, y compris de son ministre de la fonction publique, une dirigeante du SACP, membre de l'ANC naturellement.

 

Autre illustration significative de la situation,dans les mines, où dès le mois de juillet, Le Monde du 8 rapportait:

 

"Proche du pouvoir, le puissant syndicat des mineurs (NUM) est confronté à la pression de la base, comme l'a récemment illustré le lynchage d'un responsable syndical par un groupe de mineurs mécontents." (souligné par nous – ndlr)

L

Le Monde du 24 août 1999 écrivait:

"La grogne sociale qui se généralise en Afrique du Sud tiraille l'alliance de gouvernement ANC-syndicats-communistes, sans doute plus qu'à aucun moment depuis son arrivée au pouvoir en 1994. Mesure de cette tension, la journée de grève dans la fonction publique, prévue pour mardi 24 août, pourrait bien être la plus forte mobilisation syndicale dirigée contre le gouvernement depuis la fin de l'apartheid.".

 

C'est effectivement ce qui s'est passé: la grève du 24 août a été la plus forte importante depuis 1994. A la poste, dans les télécommunications, des augmentations de salaire plus importantes ont été obtenues. Face au refus du gouvernement de céder en totalité, la direction de la COSATU a dû multiplier les menaces de nouvelles grèves pour ensuite capituler face au gouvernement. De toute évidence il ne s’agit que d’une partie remise. Mais il est incontestable que les travailleurs noirs qui cherchent à obtenir satisfaction de leurs revendications par la grève, malgré la collaboration de la direction de la COSATU avec le gouvernement, sont les mêmes qui ont voté massivement pour l'ANC lors des élections législatives.

 

 Depuis 1994 de nombreuses et importantes grèves ont eu lieu contre les gouvernements dirigés par l'ANC et leur politique: étudiants en juin 1996, chimie, automobile en 98, grève de quinze jours des transports urbains au mois de mai 1999. Il est probable que les masses noires engageront des combats contre le nouveau gouvernement dirigé par l'ANC dans la lignée des mouvements de grève d’août 1999.

 

Mais le mouvement spontané des masses noires, s'il est absolument indispensable pour briser le dispositif mis en place par l'ANC, ne peut suffire.

Les problèmes posés aux masses d'Afrique du Sud sont politiques. Pour que les masses noires puissent s'ouvrir une issue, il faut un programme révolutionnaire, lequel doit d’abord ouvrir une perspective politique en vue de résoudre la question du pouvoir.

 


une question centrale : la question nationale


En Afrique du Sud, où la question nationale occupe une place centrale dans la situation politique, le programme de la révolution prolétarienne ne peut prendre comme point de départ que la revendication du pouvoir noir. Dans une lettre aux trotskistes sud-africains datée de 1935, Trotsky expliquait:

 

"Dans la mesure où la révolution victorieuse changera radicalement les rapports, non seulement entre les races et assure aux noirs la place dans l’Etat qui correspond à leur nombre, la révolution sociale en Afrique du Sud aura également un caractère national. Nous n'avons pas la moindre raison de fermer les yeux sur cet aspect de la question, ou de minimiser son importance. Au contraire, le parti prolétarien doit, en paroles et en actes, ouvertement et hardiment, prendre en ses mains la résolution du problème national(racial). Mais  la résolution de ce problème, le parti prolétarien peut et doit la réaliser par ses propres méthodes. L'instrument historique de l'émancipation nationale ne peut être que la lutte des classes(...)La révolution victorieuse, inconcevable sans l'éveil des masses indigènes leur donnera à son tour ce qui leur manque tellement  aujourd'hui: la confiance dans leurs propres forces, une conscience accrue de leur culture. Dans ces conditions la République sud-africaine deviendra avant tout une "République noire" "

 

Bien sur, de profondes modifications politiques ont eu lieu en Afrique du Sud depuis 1935 (L'Apartheid a été instauré en 1948...), mais la question nationale reste le problème central de la lutte des classes, et donc le mot d'ordre du pouvoir noir, de la "République noire" un mot d'ordre éminemment révolutionnaire.

Dans La Révolution permanente, Trotsky écrit:

 

"Pour les pays à développement bourgeois retardataire et, en particulier pour les pays coloniaux et semi-coloniaux, la théorie de la révolution permanente signifie que la solution véritable et complète de leurs tâches démocratiques et de libération nationale ne peut être que la dictature du prolétariat, qui prend la tête de la nation opprimée, avant tout de ses masses paysannes" (Thèse 2, page 124, La révolution permanente - éditions de minuit)

 

Trotsky écrit encore:

 

"Quelques soient les premières étapes épisodiques de la révolution dans les différents pays, l'alliance révolutionnaire du prolétariat et de la paysannerie n'est concevable que sous la direction politique de l'avant-garde prolétarienne organisée en parti communiste. Ce qui signifie à son tour que la révolution démocratique n'est concevable qu'au moyen de la dictature du prolétariat qui s'appuie sur son alliance avec la paysannerie et résout, en premier lieu, les tâches de la révolution démocratique" (Thèse 4, page 124-125, La révolution permanente - édition de minuit)

 

Ces rappels permettent de s'orienter dans la situation en Afrique du Sud aujourd'hui. La signification du vote des masses noires aux dernières élections consiste d'abord dans leur volonté de l'instauration du pouvoir noir, leur volonté de "récupérer leur pays", leur terre. Aucune politique révolutionnaire n'est possible en Afrique du Sud sans faire de cette aspiration fondamentale des masses noires le point de départ du programme de la révolution prolétarienne. Cette revendication du pouvoir noir pose le problème de l'expropriation du capital, c'est à dire de la bourgeoisie blanche et donc du combat contre le gouvernement ANC-Inkatha. Les mots d'ordre sur la ligne du pouvoir noir sont indispensable pour la mobilisation révolutionnaire des masses noires ; ils visent à dresser "un pont partant des conditions actuelles et de la conscience actuelle de larges couches de la classe ouvrière et conduisant invariablement à une seule et même conclusion: la conquête du pouvoir par le prolétariat"("Programme de transition") ; ils constituent la clef de voûte du programme révolutionnaire.

A l’époque de l’impérialisme, stade suprême du capitalisme, période des guerres et des révolutions, le programme révolutionnaire doit être ordonné par la nécessite de répondre à la question du pouvoir. Cela il faut le faire sur l'axe du combat pour le gouvernement ouvrier, en Afrique du Sud du gouvernement ouvrier et paysan, en fonction de la situation précise à un moment donné du développement politique et "de la conscience actuelle de larges couches de la classe ouvrières". La mise en œuvre d’une telle orientation nécessite de partir des conditions réelles et concrètes dans lesquelles combattent les masses noires.


Ll’ANC : une réalité incontournable


Le n°53 de CPS n°53, du 6 juin 1994,caractérisait ainsi l’ANC :

“ L’ANC n'est pas une organisation ouvrière, c'est une organisation nationaliste petite bourgeoise mais qui demeure la principale organisation noire, la principale organisation que suit le prolétariat noir et qui contrôle avec l'aide du parti stalinien la principale centrale syndicale, la COSATU. ”

 

Et il martelait encore :

 

“ Tous ces mots d’ordre sont unifiés par l’existence d’une majorité de l'ANC. L'ANC n'est pas une organisation ouvrière, c'est une organisation petite bourgeoise dont le programme est un programme de défense du capitalisme et de l’État colonial. Mais il s'agit de la lutte du peuple noir pour son indépendance nationale, d'un de ces pays où des mots d'ordre comme celui d'Assemblée nationale souveraine ou constituante peuvent être nécessaires, alors que de tels mots d'ordre sont inacceptables dans les pays où ont eu lieu des révolutions bourgeoises, où les questions de l'indépendance nationale, des libertés démocratiques, de la terre ont été résolues. La majorité acquise par l'ANC exprime la volonté des masses noires que soit réalisé le pouvoir noir. Alors !


L'ANC a la majorité, qu'elle prenne le pouvoir ! Que la majorité à l'Assemblée se déclare souveraine, rompe avec la bourgeoisie blanche, rejette la constitution négociée !


De tels mots d'ordre ne sont que des mots d'ordre transitoires, qui ne peuvent suffire comme programme pour une organisation révolutionnaire qui reste à construire : mais ils seraient de nature à permettre à une organisation révolutionnaire de sortir de son isolement et aux masses de se libérer de la tutelle de l'ANC tout en leur offrant une issue. ”

A l’intention de l’AZAPO, ce même numéro de CPS déplorait que cette organisation ne se soit pas située avant les élections de 1994 sur la ligne :

 

“ L'AZAPO, dans la mesure où elle se situait sur le terrain de la révolution prolétarienne, c'est-à-dire de la véritable lutte anti-impérialiste, pouvait prendre en charge des mots d'ordre permettant aux masses de s'émanciper de la politique de l'ANC : "rupture des négociations, rupture avec l'Etat colonialiste blanc !", "que l'ANC combatte pour prendre le pouvoir!". Cela ne fut pas fait. ”

 

Après les élections du 2 juin 1999, le Comité n’a aucune raison de remettre en cause la cette caractérisation de la nature de l’ANC comme organisation petite bourgeoise.

 Au contraire,

lLe résultat de ces élections confirme que le rapport des masses noires à l'ANC  l’ANC aux masses noires reste celui analysé en 1994. Le fait que l’ANC ait mené au gouvernement une politique de défense de l’ordre bourgeois ne permet pas d’en conclure que cette organisation se serait muée en un parti bourgeois (à ce compte-là il faudrait aussi conclure que le PS est lui aussi devenu un parti bourgeois au regard de la politique des gouvernements qu'il a dirigé depuis 1981 en France) (à ce compte il faudrait aussi conclure que le PS est lui aussi devenu un parti bourgeois au regard de la politique des gouvernements qu’il a dirigé depuis 1981 en France) .; le fait qu’incontestablement un grand nombre de dirigeants de l’ANC se soient enrichis depuis 1994 et ont même pour certains accédé au statut social de petits patrons ne transforme pas non plus la nature de l’ANC, car de toutes les façons, au stade actuel, il n’y a pas de place pour une bourgeoisie noire.

 

La nature d'une organisation se définit par ses rapports avec les classes fondamentales de la société, la bourgeoisie et le prolétariat, et en rapport avec les développements de la lutte que mènent ces deux classes l'une contre l'autre, en rapport avec la lutte des classes et son histoire. Or en Afrique du SUDsud, il n'y a pas de bourgeoisie noire (uniquement une mince couche de capitalistes noirs, parvenus issus de l'ANC mais aussi … du SACP,et de la COSATU). La classe dominante reste la bourgeoisie blanche, les colons blancs.

En même temps les rapports entre l'ANC et les masses noires sont ceux des masses avec leur organisation historique: les masses noires chargent l'ANC de réaliser leurs aspirations, utilisent l'ANC politiquement, comme l'ont confirmé, une fois de plus les élections du 2 juin.

 

La formation de l'ANC (en 1912) est liée aux à l'instauration de la ségrégation racialelois ségrégationnistes (interdiction aux noirs d'avoir un quelconque pouvoir politique, de posséder des terres, instauration du système des "pass"). Elle est devenue quasiment hégémonique et Aujourd'hui encore, l'ANC reste encore une l'organisation nationaliste petite-bourgeoise en laquelle se reconnaissent l'immense majorité des ouvriers et paysans noirs, l'organisation qu'ils ont chargée historiquement de résoudre la question nationale. La seule tentative dans ces élections de constituer un parti bourgeois multiracial, voulant représenter les nouvelles élites noires et la bourgeoisie blanche a été l'UDM, fondé par un ancien dirigeant de l'ANC et un ancien dirigeant du parti national. L'UDM a obtenu 3,4% des  voix. Au demeurantC'est d'ailleurs pourquoi on peut affirmer sans risque que, la transformation de l'ANC en parti bourgeois ne passerait pas inaperçueprovoquerait! Sans aucun doute, sans se perdre en conjectures, une profonde crise secouerait au sein de l'ANC.

 

 


"à propos du SACPL'alliance tripartite"


L'ANC a constitué autour d'elle une "triple alliance" avec la SACP et la COSATU, qui, en fait, est un instrument pour s'asservir la seule organisation ouvrière de masse du pays, la centrale syndicale COSATU.

 

En effet, l'autre membre de cette "alliance", le SACP, parti communiste sud-africain, n'est pas à proprement parler un "parti". Il est en osmose depuis plus de 60 ans avec l'ANC, obéissant dans les années 30 aux directives de la bureaucratie du Kremlin, qui le fit s'y intégrer, interdisant que ce parti ne puisse devenir un parti ouvrier, fût-il ouvrier-bourgeois.

Pendant des décennies, le SAPC s’est réduit a un appareil politique, sans base de masse, au service de la bureaucratie du Kremlin, combattant constamment contre la constitution d’un parti ouvrier révolutionnaire en Afrique du Sud. Fort des moyens mis à disposition par la bureaucratie du Kremlin, il a pris le contrôle de l’ANC, influant sa politique en fonction des besoins immédiats de l’appareil international de la bureaucratie stalinienne.

Ainsi, comme N.Mandela, Thabo Mbeki fut membre (jusqu'en 1994) de la direction du SACP - et de l'ANC. Libération du 4 juin 1999 rappelle que la formation du jeune Mbeki est passé notamment par Moscou:

"d'abord à l'institut des sciences sociales, puis dans une école militaire où il apprend à crapahuter et à manier des explosifs".

 

Suite à l’effondrement de l’URSS et à la dislocation de l’appareil de la bureaucratie du Kremlin, la donne a changé. Bon nombre de dirigeants du SACP, à la direction de l’ANC, ont quitté la navire tels les rats et ont joué leurs propres cartes.

Aujourd'hui, à en croire la revue de Lutte Ouvrière Lutte de classe (n°45, septembre - octobre 1999):

 

“ Dans les années quatre-vingt-dix, il affirmait être le parti communiste qui se développait le plus vite au monde et annonçait 80 000 membres. L’an dernier, on estimait que le nombre de ses militants actifs se situait entre 12 000 et 14 000, sans compter les simples adhérents."

 

Dans les élections, le SACP n'apparaissait pas en tant que tel. Ses membres, tous membres de l'ANC, figuraient sur les listes de cette dernière. Il a fait campagne pour le vote ANC.

En fait, ce qui reste du SACP a comme principale utilité pour l'ANC que du fait du contrôle qu'il exerce sur la centrale syndicale de la classe ouvrière noire: la COSATU. Il en a en effet pris le contrôle, en utilisant pour ce faire toutes les méthodes du stalinisme, après que se soient formées les premières organisations syndicales de masse au début des années 80, coiffant in extremis un mouvement dont il avait été initialement totalement absent.

 

C'est ainsi aujourd'hui la COSATU qui est amenée à prendre directement en charge les campagnes publiques du SACP. Ce rôle du SACP et son utilité pour l'ANC s'est ainsi manifesté lors du dernier congrès de cette centrale: les représentants du SACP sont intervenus contre la rupture de "l'alliance tripartite" qui soumet la COSATU à l'ANC, alors que cette question de la (nécessaire) rupture avec l'ANC traversait de toute évidence la centrale syndicale.

 

 

Il faut ici accorder une place particulière à la politique menée par le SACP, le parti communiste d’Afrique du Sud. Il faut d'abord indiquer que le SACP – qui depuis plus de 60 ans est une partie intégrante de l'ANC - ne se présentait pas à ces élections et ses membres constituaient une partie significative des liste présentées aux élections nationales et provinciales par l’ANC. Il a fait campagne pour le vote ANC.

 

Dans un communiqué de presse en date du 23 avril 99, il a présenté sa position ainsi:

 

"Nous appelons toutes nos structures dans les provinces respectives à peser de tout leur poids derrière les neuf têtes de liste, et derrière l'effort d'ensemble de l'ANC dans ces élections (...) En avant pour une victoire écrasante de l'ANC aux élections du 2 juin (...) Le gouvernement de l'ANC a apporté des changements majeurs pour les travailleurs".

 

Le Monde Diplomatique de mars 99 rappelait qu'en fait des dirigeants du SACP étaient sur les listes de l'ANC. Le SACP n'est pas une organisation distincte de l'ANC, elle en est organiquement membre, elle en est une composante historique. L'actuel dirigeant de l'ANC et président de la république, Mbeki, était membre du bureau politique du SACP jusqu'à la veille des élections de 94 (tout comme Mandela qui lui aussi était à la direction du SACP, comme la majorité de la direction de l'ANC jusqu'à la dislocation de la bureaucratie du Kremlin au début des années 90).

 

Le journal Libération du 4 juin 1999 a dressé le portrait de ce personnage "haut en couleur", Mbeki :

 

"Quand Thabo Mbeki, à l'époque en charge des relations internationales de l'ANC en exil, a rencontré dans le plus grand secret, le 6 septembre 1989 à Lausanne, une délégation du National Intelligence Service (NIS) sud-africain, la police politique de l'Apartheid, il s'est avancé vers les agents de l'ennemi en disant: "eh bien, nous voilà, les terroristes et, comme vous savez, communistes par-dessus le marché"; Mbeki était alors l'un des sept membres du bureau politique du parti communiste sud-africain".

 

La formation du jeune Mbeki est passé notamment par Moscou rappelle libération "d'abord à l'institut des sciences sociales, puis dans une école militaire où il apprend à crapahuter et à manier des explosifs".

 

Ce portrait est instructif pour connaître la personnalité politique de Mbeki mais plus encore pour comprendre les relations politiques entre le SACP et l'ANC. Le SACP n'a rien d'une "organisation ouvrière de masse", c'est plutôt une branche de l'ANC servant "d'école de cadres". En réalité les masses noires n'ont jamais, de quelque façon que ce soit, considéré le SACP comme "leur organisation". Toute l'histoire du SACP l'interdit. Le SACP s’est constitué en 1921 en organisant une fraction de l’aristocratie ouvrière blanche. Déjà en 1927, le secrétaire général de l’ANC était membre du SAPC. Dans les années 30 le SACP, en application des directives de la bureaucratie du Kremlin, entre dans l'ANC et s’y fond pour en devenir au fil des années la colonne vertébrale Il suffit de mentionner que Mandela, alors dirigeants du SACP, fut le “ commandant en chef ” de l’organisation militaire de l’ANC dans les années soixante. Ainsi, la revue  “ Lutte de classe ”, éditée par Lutte Ouvrière en France, organisation qui pourtant se distingue par sa fascination pour les partis staliniens, rappelle :

 

“ Dans les années soixante-dix et au début des années quatre-vingt, alors que les deux organisations existaient en exil, ce fut le SAPC qui fut la force motrice de l’ANC, une force complètement intégrée dans l’ANC et qui tendait à en dominer la direction. ” (Lutte de classe n°45 – septembre :octobre 1999)

 

Pendant des décennies, le SAPC s’est réduit a un appareil politique, parti sans base de masse, au service de la bureaucratie du Kremlin, combattant constamment contre la constitution d’un véritable parti ouvrier révolutionnaire en Afrique du Sud. Fort des moyens mis à disposition par la bureaucratie du Kremlin, il a pris le contrôle de l’ANC, influant sa politique en fonction des besoins immédiats de l’appareil international de la bureaucratie. Suite à l’effondrement de l’URSS et à la dislocation de l’appareil de la bureaucratie du Kremlin, la donne a changé. Bon nombre de dirigeants du SACP, à la direction de l’ANC, ont quitté la navire tels les rats et ont joué leurs propres cartes Ainsi, le numéro de “ lutte de classe ” déjà cité indique en touchant probablement du doigt la vérité :

 

“ Quant au SACP, contrairement à ce qui était le cas à l’époque de la clandestinité, il a probablement plus besoin de l’ANC que l’ANC n’a besoin de lui, du moins tant qu’il n’y a pas une nouvelle explosion de militantisme dans le pays. Dans les années quatre-vingt-dix, il affirmait être le parti communiste qui se développait le plus vite au monde et annonçait 80 000 membres. L’an dernier, on estimait que le nombre de ses militants actifs se situait entre 12 000 et 14 000, sans compter les simples adhérents. La plupart de ces militants étaient aussi actifs au sein de l’ANC (…) Quant à savoir si ses militants resteraient membres du parti si celui-ci quittait l’ANC, c’est une autre affaire. Ce qui est certain, c’est que le SAPC perdrait tous les postes qu’il occupe dans les assemblées et les gouvernements au niveau provincial et national, du moins jusqu’au prochaines élections. ”

 

Le Comité n’a jamais considéré le SACP comme un parti ouvrier, fusse-t-il ouvrier-bourgeois et n’a jamais par conséquent considéré que l’exigence à son encontre qu’il rompe avec la bourgeoisie puisse être une orientation susceptible d’ouvrir une perspective politique aux masses noires. Sur cet aspect aussi le Comité se doit de maintenir son orientation.


Qquelle orientation aujourd’hui en Afrique du Sud ?


La question fondamentale pour que les masses noires puissent s'ouvrir une issue sur leur propre terrain reste: quelle orientation permettrait aux masses de se libérer de la tutelle politique de l'ANC ?

La signification du vote des masses noires aux dernières élections consiste d'abord dans leur volonté de l'instauration du pouvoir noir, leur volonté de "récupérer leur pays", leur terre. Aucune politique révolutionnaire n'est possible en Afrique du Sud sans faire de cette aspiration fondamentale des masses noires le point de départ du programme de la révolution prolétarienne.

Cette revendication du pouvoir noir pose le problème de l'expropriation du capital, c'est à dire de la bourgeoisie blanche et donc du combat contre le gouvernement ANC-Inkatha.

 

La question fondamentale pour que les masses noires puissent s'ouvrir une issue sur leur propre terrain reste: quelle orientation permettrait aux masses de se libérer de la tutelle politique de l'ANC ?

 

Compte tenu de l'absence de Parti Ouvrier Révolutionnaire, de l'absence de parti ouvrier, les masses noires ne peuvent poser la question du pouvoir qu'à travers l'ANC. L'orientation qu'une organisation trotskyistes aurait à développer en Afrique du Sud devrait prendre en compte cette aspect de la question, armés de la méthode du programme de transition:.

 

"de tous les partis et organisations qui s'appuient sur les ouvriers et paysans et parlent en leur nom, nous demandons qu'ils rompent politiquement avec la bourgeoisie et entrent dans la voie de la lutte pour le gouvernement ouvrier et paysan"

 

Fidèle à cette orientation, Stéphane Just précisait dans un important article paru dans La Vérité n°588 (p.289):

 

" Le dispositif des forces et partis politiques est encore tel que les partis social-démocrates et les partis staliniens, dans les pays capitalistes avancés, avec souvent les organisations petites-bourgeoises nationalistes dans les pays semi-coloniaux, sont toujours les partis dirigeants du prolétariat et des masses exploitées.

C'est vers eux que les masses se tournent, en espérant qu'ils réaliseront leurs aspirations. Au nom des masses, nous devons formuler la revendication: rompez avec la bourgeoisie, prenez le pouvoir".


Elle développerait alorsDes militants trotskystes devraient  l'orientation suivante en s's'adresserant aux masses noires aujourd'hui sur l’orientation suivante:.

 

"Vous avez massivement voté pour l'ANC. Vous considérez que cette organisation peut satisfaire nos revendications.

 Nous, trotskyistes, considérons que l'ANC en est incapable. Cela est confirmé par l'expérience que vous avez vous-mêmes faites de la politique de l'ANC au pouvoir depuis 5 ans. Nous considérons que seul un POR, s'appuyant sur le mouvement des masses noires elles-mêmes, prenant le pouvoir, est capable de satisfaire les aspirations de la population laborieuse noire.

Mais vous faites encore confiance à l'ANC. L'ANC a une majorité écrasante à l'assemblée nationale. Aussi, il faut exiger de l'ANC qu'elle satisfasse nos revendications: qu'elle combatte pour la République noire!

,C cela qui exige d'arracher des mains des oppresseurs blancs les usines, les mines, les terres, qu'elles soient nationalisées sans indemnité ni rachat, cela qui exige de démanteler l'appareil d’État issu directement de l'Apartheid, d’en finir avec les bantoustans, avec le régime féodal qui prévaut dans le Natal sous la direction du parti Inkatha, nourri par le régime de l'Apartheid. Il est indispensable de liquider la constitution qui garantit sa place à l'oppresseur et l'exploiteur blanc, il faut rompre tout lien avec les partis de l'Apartheid et de la bourgeoisie blanche dans son ensemble, avec l'Inkatha, le PN.

 

 L'apartheid et le capitalisme sont les deux faces de la même médaille sanglante. Pour réaliser le pouvoir noir, il faut s'engager dans la voie de l'expropriation du capital!

 

Pour la satisfaction des revendications et aspirations fondamentales des masses noires il est indispensable de liquider la constitution qui garantit sa place à l'oppresseur et l'exploiteur blanc, il faut rompre tout lien avec les partis de l'Apartheid et de la bourgeoisie blanche dans son ensemble, avec l'Inkatha, le PN, aucune alliance avec le Parti Démocratique.

La direction de la COSATU doit rompre avec le gouvernement!

L'ANC a la majorité: dehors les ministres de l'Inkatha! Décidez que le gouvernement émane de cette majorité, est responsable devant elle !  Constituez un gouvernement de la seule ANC s'appuyant sur la mobilisation des masses noires et de leur organisation syndicale, la COSATU, pour réaliser ce programme."

 

Des dirigeants de la COSATU, puissante confédération syndicale constituée dans le combat du prolétariat noir, il faut exiger qu’il rompent avec le gouvernement ANC-Inkatha.

 

Une telle orientation serait pourrait aujourd'hui capable d'ouvrir une voie aux masses noires, de les dresser contre le gouvernement de coalition ANC-Inkatha et donc contribuerait à créer les conditions politiques pour la constitution d'une organisation trotskyste en Afrique du Sud, dans la perspective de la construction d'un véritable P.O.R.

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21/12/99

 

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