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Cet article est paru comme supplément au numéro 79 de Combattre pour le Socialisme (décembre 1999)

A nouveau sur la guerre impérialiste contre la RFY
et contre tous les peuples des Balkans

Pour des militants trotskystes: une question de principe

Maximum d'impudence, minimum de logique

Nos divergences

Quelques données sur la question nationale au Kosovo

Février-mars 1998, la guerre civile reprend au Kosovo: les impérialistes laissent les mains libres à Milosevic

Un risque "d'instabilité et de tension" (Clinton)

Rambouillet

Milosevic, et l'UCK dans un premier temps, refusent le diktat impérialiste

Inconditionnellement contre l'accord de Rambouillet,

accord contre le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes

Les buts de guerre des impérialismes: ramener l'économie de la RFY "au Moyen Age"

Parmi les objectifs de la coalition impérialiste: en finir, si possible, avec Milosevic

Les masses en mouvement?

"Cette guerre n'est pas la nôtre"? Un amalgame indigne pour couvrir une capitulation honteuse

Pour combattre Milosevic, il fallait prioritairement combattre l'impérialisme

Quelques mots sur la politique de la LCR

L'intervention des militants du groupe de Serge Goudard dans les syndicats: une capitulation confirmée à la seule lecture de la brochure Une discussion…

Il est plus que temps d'ouvrir les yeux

  * * * *

De fin mars à début juin 1999, pour la première fois depuis 1945, les grandes puissances capitalistes réunies au sein de l'OTAN ont lancé une guerre en plein cœur de l'Europe, une guerre d'agression, contre la République Fédérale de Yougoslavie (Serbie-Monténégro), contre tous les peuples des Balkans. C'est un fait d'une première importance.

Le bilan de cette guerre n'a rien d'agréable. Il ne servirait pourtant à rien de le taire. L'impressionnante armada des bombardiers américains, français, britanniques, allemands, … a systématiquement détruit les infrastructures économiques de la République Fédérale de Yougoslavie (Serbie-Monténégro). Cette destruction a réuni les conditions objectives d'une soumission dorénavant complète de la RFY à l'impérialisme. En même temps, elle a réduit le poids du prolétariat serbe à bien peu de chose pour la période à venir.

Au Kosovo, c'est un protectorat de type colonial qui a été mis en place, appuyé sur des dizaines de milliers de soldats d'occupation. Après avoir été précipités dans l'exode, des centaines de milliers de Kosovars ne sont rentrés dans leurs foyers après des mois d'errance et de traque que pour découvrir, une nouvelle fois, leur pays occupé par les forces armées impérialistes.

Ce n'est pas tout: les prolétariats d'Europe, la jeunesse, n'ont pu trouver les ressources politiques pour s'opposer aux brigands impérialistes. En Grande-Bretagne, en France, en Allemagne notamment, les dirigeants sociaux-démocrates et "socialistes" se sont faits les champions de cette guerre. Les partis issus du stalinisme ont totalement couvert la guerre des impérialistes, propulsant même, comme le PCF en France, des listes dans les élections européennes où figuraient en bonne place des partisans de l'anéantissement total de la Serbie. Avec les directions des organisations syndicales, ils ont pesé de toutes leurs forces pour réduire les classes ouvrières d'Europe (et des Etats-Unis) à l'impuissance politique, et y sont parvenus.

Pour des militants trotskystes: une question de principe

 Ces premiers éléments de bilan suffisent à démontrer que l'impérialisme, et au premier chef l'impérialisme américain, a remporté une sérieuse victoire politique. Ils confirment a posteriori que le cadre général dans lequel devait être définie l'orientation des militants révolutionnaires face à cette guerre était:

"La défaite de tout gouvernement impérialiste dans la lutte contre un Etat ouvrier ou un pays colonial est le moindre mal." (Programme de transition adopté par la conférence de fondation de la IV° Internationale, 1938).

Bien que les lecteurs de CPS la connaissent déjà, il faut rappeler la manière dont Trotsky éclairait cette position de principe en envisageant une guerre hypothétique entre un impérialisme "démocratique" (l'Angleterre) et un Etat semi-colonial (le Brésil):

"Je prendrai l'exemple le plus simple et le plus évident. Il règne aujourd'hui au Brésil un régime semi-fasciste qu'aucun révolutionnaire ne peut regarder sans haine. Supposons cependant que, demain, l'Angleterre entre dans un conflit militaire avec le Brésil. Je vous demande: de quel côté sera la classe ouvrière?

Je répondrai pour ma part que, dans ce cas, je serai du côté du Brésil "fasciste" contre l'Angleterre "démocratique". Pourquoi? Parce que, dans le conflit qui les opposerait, ce n'est pas de démocratie ou de fascisme qu'il s'agirait. Si l'Angleterre gagnait, elle instaurerait à Rio de Janeiro un autre fasciste, et enchaînerait doublement le Brésil. Si au contraire le Brésil l'emportait, cela pourrait donner un élan considérable à la conscience démocratique et nationale de ce pays et conduire au renversement de Vargas [président du Brésil à l'époque – Ndlr] La défaite de l'Angleterre porterait en même temps un coup à l'impérialisme britannique et donnerait un élan révolutionnaire au mouvement du prolétariat anglais.

Réellement, il faut n'avoir rien dans la tête pour réduire les antagonismes mondiaux et les conflits militaires à la lutte entre fascisme et démocratie. Il faut apprendre à distinguer sous tous leurs masques les exploiteurs, les esclavagistes et les voleurs." (La lutte anti-impérialiste, septembre1938)

Qui pourrait prétendre que cela ne vaut pas pour la RFY (Serbie-Monténégro)?

Il y a maintenant presque deux ans, Serge Goudard et Hélène Bertrand organisaient une scission sans principe qui a provoqué l'éclatement du Comité, la dispersion les forces rassemblées autour de Stéphane Just en défense des acquis politiques et théoriques de la IV° Internationale, pour la construction du parti ouvrier révolutionnaire qui devra faire sien ces acquis. Ils ont entamé la publication d'une édition pirate de notre bulletin, sous le nom du Comité.

Face à cette situation qui ne peut manquer d'engendrer la plus grande confusion politique, décourager ceux qui (militants, lecteurs de CPS) cherchent une issue politique, nous sommes intervenus, publiquement, à plusieurs reprises sur le seul terrain qui permettre de s'y retrouver - et éventuellement de surmonter partiellement la dispersion de ces forces: l'examen des orientations politiques en présence.

C'est dans cet objectif qu'en mai dernier, nous avons publié un supplément à CPS n°77 qui mettait en évidence que, alors que le groupe de S.Goudard détient un certain nombre de positions syndicales, il ne les avait pas utilisées contre la guerre impérialiste et contre le gouvernement Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Zuccarelli, gouvernement criminel qui a participé à la destruction de la Serbie; et que cette capitulation était en relation étroite avec l'orientation politique développée dans les tracts publiés par ce groupe.

Or, en date du 30 juin, une brochure était publiée par le groupe de Serge Goudard et d'Hélène Bertrand, en tant que "supplément à CPS n°78". Elle est intitulée "Une discussion à propos de l'intervention impérialiste dans les Balkans". Mais c'est par antiphrase: elle vise seulement à interdire toute réflexion critique sur l'orientation développée par ce groupe.

Maximum d'impudence, minimum de logique

 Voici en effet les conclusions auxquelles aboutit ce texte (1) : c'est une incroyable salade éclectique.

  • D'une part, il y aurait accord entre nous sur les mots d'ordres à avancer, sur la question du retrait des troupes impérialistes "Lestang est d'accord avec nous comme nous sommes d'accord avec lui" (p.10), accord sur la question du respect du droit à l'indépendance pour le Kosovo "félicitons-nous que Lestang soit, sur ce point, d'accord avec notre orientation" (p.10).
  • D'autre part, dans le même temps, le Comité aurait eu une position de "petit soldat de la Grande Serbie" (nous dit le sous-titre de cette brochure), dont la logique serait: "les déserteurs de l'armée serbe devraient être fusillés" ('Une discussion', p.11).
  • Et cela n'empêcherait pourtant pas les membres du groupe Goudard/Bertrand et les "petits soldats de la grande Serbie" de pouvoir discuter, "sereinement", et par dessus le marché "au sein de la même organisation" (p.14)!

Pour en arriver à un tel fatras, chacun comprend qu'il aura fallu largement falsifier nos positions. Craignant d'épuiser la patience de nos lecteurs par un inventaire, nous nous contenterons d'un petit échantillon qui se passe de commentaires pour quiconque connaît le Comité (d'autres trucages seront abordés en temps voulu):

 "O.Lestang – et c'est chez lui une constante – en reste prudemment à la position du PT et de Blondel, lesquels se refusent à exiger l'abrogation de la loi Aubry." ('Une discussion', p.15).

Quant à savoir en quoi se résumeraient les divergences, le rédacteur de la brochure affirme, sans rire (p.4):

"Elles portent sur deux points: nous avons osé parler de l'ex-Yougoslavie en lieu et place de la "république fédérale de Yougoslavie" et, corrélativement, d'avoir rappelé les massacres commis par les forces de Milosevic en 1995, pour s'emparer de Srebrenica et de Zepa avec l'accord des impérialismes, lesquels se moquaient alors éperdument de ses "méthodes". "

Voici les divergences avec "des petits soldats de la grande Serbie" réduites à peu. D'une part, une question présentée comme lexicale. D'autre part une accusation tellement bête que lui-même se trouve obligé de citer sur la même page (incomplètement, certes) un des rappels que le Comité a fait des massacres commis par les troupes de Milosevic.

On aurait pu attendre du rédacteur de cette brochure qu'il en lâche la plume de consternation face à l'incohérence de sa propre pensée.

Au contraire pourtant, il poursuit ce qui n'est plus alors une polémique, mais un soliloque. Le ton employé, d'une grande morgue, montre quant à lui que l'on peut trouver les traces de la décomposition actuelle du mouvement ouvrier jusque dans les petits groupes (2): un texte malhonnête à la logique indigente leur paraît être un chef d'œuvre de littérature marxiste.

Il est vrai que sa conclusion le hisse sur les plus hauts sommets de la pensée humaine: "la vie réelle est compliquée". C'est certes là un fait que nous ne contesterons pas. Mais nous ajouterons qu'en l'espèce, le rédacteur de cette brochure eût été inspiré de ne pas en rajouter.

Car somme toute, les divergences qui nous opposent sont assez simples à dégager.

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(1) Précisons que dans la brochure "Une discussion", le Comité n'est jamais mentionné autrement que sous couvert du nom du directeur de publication de CPS, O.Lestang. En un sens, c'est un aveu qu'il est impossible au groupe dirigé par S.Goudard que d'aborder publiquement et de front la question de la crise du Comité: la responsabilité écrasante de son noyau dirigeant apparaîtrait immédiatement.

(2) Se grisant de mots, le rédacteur de ce texte croit malin de railler dès son introduction le caractère "confidentiel" de nos publications, sans même se rendre compte (semble-t-il) qu'à ce compte là, il tourne son propre groupe en ridicule…

Nos divergences

 Rien ne doit empêcher la politique de reprendre ses droits. Que nous reproche en réalité la brochure du groupe Goudard, et quelle accusation portons-nous contre la politique de ce groupe? Derrière l'épithète de "petit soldat de la grande Serbie" ("soldats" qui sont, selon l'aveu même du groupe Goudard pour le droit à l'indépendance du Kosovo, comprenne qui pourra…) se profile une divergence capitale.

Dans cette guerre (Une discussion…p.7), le Comité : "adopte la posture de défenseur de la "RFY" placée sur le même plan que "les peuples des Balkans"

Voilà effectivement le premier point clair, net et précis qui nous oppose: nous étions, conformément à toute la tradition révolutionnaire, inconditionnellement pour la défense de la RFY (Serbie-Monténégro) contre l'agression impérialiste. Pas le groupe dirigé par S.Goudard.

Deuxième point, qui est lié, mais pas mécaniquement: tandis que nous avons centré notre politique contre le gouvernement Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Zuccarelli, le groupe de S.Goudard a centré son combat contre Milosevic, il a hurlé avec les loups impérialistes, mettant au centre de sa politique, non pas le combat contre le gouvernement français, mais contre le gouvernement de la RFY, sur la ligne "A bas Milosevic" (dès leur déclaration du 27 mars 1999, mais discrètement) et (cette fois-ci en titre gras dans leur déclaration du 25 mai 1999): "Pour la chute du régime militaro-policier de Milosevic".

Or, quand bien même il eût été faux de défendre la RFY contre l'impérialisme, l'ennemi principal du prolétariat français n'en serait pas moins resté le gouvernement Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Zuccarelli.

Quels arguments arrive-t-on à trouver dans les textes du groupe de S.Goudard pour justifier leur position?

Dans leur brochure, le principal argument pour ne pas se prononcer en défense de la RFY contre les bombardements impérialistes est avancé sous couvert de "dialectique".

La brochure Une discussion… reprend en effet la comparaison que nous avions fait au mois de mai dernier entre la guerre contre la RFY et la guerre menée en 1991 contre l'Irak.

Après avoir admis que, comme en 1991, l'impérialisme a bien agressé un Etat dominé, le rédacteur de cette brochure "démontre" qu'il n'y a pas identité entre toutes les guerres impérialistes (on les félicite de cette autre grande découverte scientifique) et qu'on ne saurait en conséquences "répéter strictement les mêmes mots d'ordres" (p.5) que ceux mis en avant par le Comité au moment de la guerre menée contre l'Irak et les peuples du Moyen-Orient en 1991. Fort bien.

Mais cela ne nous explique toujours pas pourquoi la position de principe devrait être différente, quand bien même les mots d'ordres tactiques, comme toujours, restent en permanence à préciser pour être aussi efficaces que possibles.

L'essentiel des raisons mises en avant dans le texte Une discussion…se résument ainsi (p.5):

"Nous pouvons considérer que nous avons affaire dans les deux cas [Irak et RFY - Ndlr] à une agression impérialiste et que nous pouvons donc adopter les mêmes mots d'ordres généraux justes d'un point de vue général [lapalissade - Ndlr]. Mais doit-on en rester là et considérer que la question du Kosovo s'appréhende dans les mêmes termes que celle du Koweït?"

C'est là, non un argument, mais une argutie. On pourrait se contenter (mais nous ne nous en contenterons pas), puisque nous avons affaire à des militants qui se réclament du Comité pour la construction du parti ouvrier révolutionnaire, de rappeler que CPS n°36 du 4 février 1991, après avoir démontré que le Koweït est une création totalement artificielle de l'impérialisme, précisait qu’en tout état de cause:

"le retrait ou non des troupes irakiennes a pris un contenu politique qui dépasse de loin la question du Koweït : c’est devenu la concrétisation de la capitulation ou non de l’Irak devant le Diktat de la coalition impérialiste."

Sans doute les dirigeants du groupe de Serge Goudard n'ont-ils pas oublié ce texte. Aussi, d'autres arguments viennent à la rescousse dans la brochure Une discussion… Pêle-mêle: le rôle des rivalités inter-impérialistes, la "profonde continuité" des actuels événements avec le dépeçage de l'ex-Yougoslavie impulsé depuis 1991 par les grandes puissances capitalistes, la mobilisation des masses.

L'été passe, et ce dernier aspect devient le point central de l'analyse que fait alors ce groupe de la guerre impérialiste. Dans l’édition pirate (n°79-80 du 2 octobre 1999) de CPS dont H.Bertrand a la responsabilité, la guerre impérialiste contre la RFY est comparée à l'intervention au Timor-oriental (intervention menée, faut-il le rappeler, en coordination avec l'armée indonésienne!), en ceci:

"il s'agit de réaffirmer le sens des propos tenus par Clinton lors de l'intervention au Kosovo: dorénavant les forces impérialistes interviendront partout dans le monde, chaque fois que la mobilisation des masses mettra en cause le pouvoir en place. "

Donc, cette fois, ce serait pour défendre le "pouvoir en place", en clair: pour protéger Milosevic, que les Etats-Unis auraient ravagé la Serbie !

Pour démêler cet embrouillamini, il faut reprendre, dans son développement, le processus qui a amené les impérialistes, et d'abord américains, à utiliser la question du Kosovo pour lancer cette guerre. 

Quelques données sur la question nationale au Kosovo

 En 1989, Milosevic et l'appareil bureaucratique grand-serbe organisent une immense manifestation de Serbes au Kosovo pour célébrer les 600 ans de la bataille de Kosovo. Celle-ci est supposée marquer, bien qu'il s'agisse d'une défaite, la naissance de la nation Serbe, dont le Kosovo serait le berceau (la "vieille Serbie"), et ceci bien que les serbes en aient été chassés vers 1690 par les ottomans et remplacés depuis lors par des populations albanaises. Milosevic et les bureaucrates serbes réactionnaires et chauvins vont utiliser la question du Kosovo pour asseoir leur autorité sur la Serbie alors que le processus de dislocation de l'ancienne fédération Yougoslave s'amorce.

Alors que cette région est peuplée à 90% d'albanais, alors qu'au sein de la Fédération Yougoslave le Kosovo a fini par obtenir (en 1974) un statut d'autonomie au sein de la Serbie, les bureaucrates serbes vont répandre le poison du nationalisme en remettant en cause ce statut d'autonomie, puis le suppriment en mars 1989. La population kosovare s'est soulevée contre le gouvernement serbe, les mineurs en particulier font grève: la répression est féroce.

Des dizaines de milliers de travailleurs sont licenciés et remplacés par des Serbes, non seulement aux postes de responsabilité, mais y compris dans les mines, par exemple. En 1990, le parlement local, qui tente de résister, finit par être dissous, et le gouvernement local est révoqué par Belgrade. Une nouvelle vague de terreur est lancée contre la population kosovare (soulignons que cette répression va accélérer le processus de dissolution de l'ancienne fédération yougoslave).

Les masses du Kosovo subissent terriblement le choc de la répression et connaissent un profond recul politique. En témoigne l'ascension de Ibrahim Rugova, qui va devenir "président" clandestin d'un "Kosovo" tout aussi clandestin. Celui-ci va être surnommé (en tout cas par la presse française) "le Gandhi des Balkans": il prône en effet la soumission: la "résistance passive".

Mais à partir de 1996, souterrainement, puis ouvertement à partir de 1997, le rejet de cette ligne de soumission se traduit par le soutien apporté par la population kosovare aux premières unités de l'UCK, l'armée de libération du Kosovo, qui engage des attaques contre les troupes serbes d'occupation. Bien évidemment, la révolution prolétarienne qui secoue l'Albanie en 1997 (voir CPS n°67) nourrit la volonté de combat des Kosovars, et les approvisionne largement en armes par la même occasion.

Aussi, à partir de février 1998, le gouvernement de Milosevic relance la guerre civile au Kosovo pour lutter contre l'UCK, et en, réalité contre les aspirations légitimes et incontestables des Kosovars à l'indépendance.

Le 28 mars 1998, les ultra-nationalistes du parti radical serbe rentrent au gouvernement: c'est un gouvernement de guerre civile qui est constitué. Une nouvelle fois, le Kosovo sert de levier pour la politique intérieure de S.Milosevic, qui veut ainsi clore définitivement l'étape de difficultés politiques qu'il a traversé (sa défaite dans les élections municipales et les manifestations massives contre les fraudes; les manifestations étudiantes).

Février-mars 1998, la guerre civile reprend au Kosovo:
les impérialistes laissent les mains libres à Milosevic

A la fin du mois de février 1998, les troupes serbes lancent une première offensive contre l'UCK, dans le centre du Kosovo. On dénombre des dizaines de morts. Le 5 mars 1998, premier massacre d'Albanais dans un bastion de l'UCK: 50 morts. Contre cette répression, pour la première fois depuis presque dix ans, des dizaines de milliers de Kosovars manifestent à Pristina. Sous la pression de ces événements, même l'agneau Rugova doit renoncer à participer à des "négociations" sur le Kosovo auxquelles il était convié par le gouvernement serbe.

Quant aux impérialistes, eux qui utiliseront le massacre de Raçak, en janvier 1999, pour intervenir directement, ils laissent alors les mains libres à Milosevic. Le groupe de contact sur l'ex-Yougoslavie (qui regroupe les puissances occupant la Bosnie) condamnera même, toujours en mars 1998, "le recours excessif (sic!) à la force contre les civils", renvoyant dos à dos les troupes d'occupation serbes et les combattants de l'UCK.

Pourquoi cette position? Les impérialistes ont tous intérêt à ce que Milosevic règle le problème kosovar lui-même. D'abord, tous sont contre l'indépendance du Kosovo, en particulier suite à une guerre de libération nationale, parce que l'accession du Kosovo à l'indépendance provoquerait des réactions en chaîne dans toute la région, où les nationalités sont extraordinairement imbriquées. Ensuite, un affaiblissement très important de la RFY, et de Milosevic, résulterait inéluctablement de la perte du Kosovo.

Or, depuis en particulier les accords de Dayton, en 1995, une sorte de modus vivendi s'est installé entre les différents impérialismes. Il a consisté en la définition d'une "moyenne-Serbie", la RFY, agrégeant le Monténégro à la Serbie, plus "l'entité Serbe de Bosnie" découpée sur le terrain par Milosevic avec les massacres que l'on sait dans les enclaves bosniaques, massacres entérinés par les accords de Dayton. En réalité, la Serbie est le pôle autour duquel se sont ordonnés tous les "plans" impérialistes pour la région.

Ainsi, après être entrés sur la scène des Balkans en tant que défenseurs de la Bosnie, les Etats-Unis se sont ravisés et ont soutenu la création de cette "moyenne Serbie" seule à même à faire barrage à l'influence allemande dans les Balkans. Ils ont supplanté alors la France comme "parrain" de la Serbie.

Notons toutefois que l’influence de l’impérialisme allemand ne s'en étend pas moins progressivement: l'adoption par le Monténégro du Mark allemand comme monnaie officielle, après que le gouvernement colonial dirigé par Kouchner en ait fait autant au Kosovo, en est un signe irréfutable. Il préfigure l'éclatement à terme de la RFY actuelle.

En réalité, ainsi que l'indique l'éditorial du n°79 de CPS,

" la mise en coupe réglée des Balkans qui se poursuit sous l'égide des grandes puissances capitalistes, n'est pas une solution définitive. La politique des impérialismes consiste dans la fragmentation de la région, la destruction massive des moyens de production, l'exacerbation des vieilles haines nationales pour tracer des frontières de sang entre les peuples, pour placer les Balkans sous la botte et se soumettre le peu de segments économiques qui soient viables pour le Capital.

Seuls les prolétariats et la jeunesse des Balkans, par leur action politique, peuvent au contraire ouvrir la voie d'une coopération sur un pied d'égalité entre les peuples des Balkans, en réalisant une Fédération Socialiste des Balkans, libérée du joug impérialiste et des régimes réactionnaires des divers clans issus de l'ancienne bureaucratie yougoslave."

Durant l'été 1998, des centaines de milliers de kosovars sont chassés de leurs villages par les troupes de la RFY. Alors, ainsi que le note rétrospectivement Libération du 23 avril 1999:

"Milosevic s'inquiète d'autant moins d'éventuelles opérations militaires que la France conditionne toujours une intervention de l'Otan à un mandat précis du conseil de sécurité auquel, il peut en être sûr, la Russie opposera un veto. Les occidentaux, dans le même temps, commencent à s'inquiéter ouvertement de la montée en puissance de l'UCK et répètent régulièrement leur opposition à une indépendance ou à la partition du Kosovo".

Mais les impérialistes s'inquiètent: malgré le redoublement de la répression, Milosevic ne parvient pas à instaurer au Kosovo, comme il le fit en Bosnie, la paix des cimetières. La raison en est évidemment la radicalisation de toute la population albanaise du Kosovo, sa volonté, après plusieurs années d’oppression, de reprendre le combat pour en finir avec l’oppression grand-serbe. 

Un risque "d'instabilité et de tension" (Clinton)

 Les puissances impérialistes s'engagent alors plus en avant. Le 13 octobre 1998, un accord est passé entre Milosevic et Holbrooke, émissaire de la Maison-Blanche. Milosevic obtient de Holbrooke, en échange du déploiement d'observateurs (de l'OSCE) la reconnaissance de la souveraineté serbe sur le Kosovo. Soulignons que le gouvernement américain dicte directement ses conditions à l'ensemble des puissances impérialistes, qui n'ont plus qu'à les agréer.

Les impérialistes continuent donc de couvrir Milosevic et la répression massive. Mais leur inquiétude est fondée. Quand il justifiera l'engagement de la guerre contre la RFY, le 23 mars 1999, Bill Clinton dira clairement ce qu'il en est (3):

"Si nous ne faisons rien (…), ce sera interprété par M. Milosevic comme une autorisation pour tuer. Il y aura davantage de massacres, de réfugiés, de victimes, de gens réclamant vengeance. Et ils se répandront dans les pays voisins, qui ont leurs propres tensions ethniques. Et alors il n'y aura plus seulement le problème du Kosovo, mais le même genre d'instabilité et de tension, et le même poids financier des réfugiés dans les pays alentour.(…)

Vous devez décidez si vous êtes d'accord avec moi qu'au XXI° siècle l'Amérique, la superpuissance mondiale, doit se dresser contre la purification ethnique, alors que nous avons les moyens de le faire et que nous avons des alliés qui nous aideront à le faire " (nous soulignons).

C'est cette "instabilité", cette "tension" généralisée que Milosevic, chargé de juguler, accroît au contraire, et qui tourmente dès l'automne 1998 les impérialistes - et seule "la superpuissance mondiale", les USA, est en mesure d'imposer une solution, comme ce fut le cas en Bosnie-Herzégovine.

Se saisissant d'un massacre commis à Raçak (50 Kosovars tués par les troupes d'occupation), les Etats-Unis se préparent à imposer une solution brutale et rapide.

Mais ils ne peuvent empêcher encore que s'expriment les rivalités inter-impérialistes.

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(3) On aimerait savoir où et quand Clinton aurait déclaré que l'intervention visait "à protéger le pouvoir en place contre le mouvement des masses" (c'est ce que prétend l'édition pirate de Cps éditée par H.Bertrand, comme on l'a vu).

Rambouillet

 Après le massacre de Raçak, ainsi que le rappellera Libération du 23 avril 1999, tandis que l'impérialisme américain veut engager au plus vite des frappes aériennes, la France tente de jouer son jeu:

"le Quai d'Orsay fait valoir que "donner le feu à des frappes aériennes obligerait à retirer les observateurs, détruirait tout espoir de négociation et ferait le jeu des indépendantistes" de l'UCK, soupçonnés de jouer les provocateurs pour obtenir au moins la partition du Kosovo."

En d'autres termes: l'impérialisme français tente de reprendre le rôle de protecteur de la Serbie qui lui a été ravi par les Etats-Unis depuis 1995, en appuyant les revendications serbes sur le Kosovo contre les USA. C'est dans ce cadre qu'il obtient de convoquer le sommet de Rambouillet, quoiqu'il soit dès le départ flanqué d'un cheval de Troie de l'impérialisme américain: la Grande-Bretagne (4).

Ce sommet, qui s'ouvre le 6 février, se situe, à son point de départ, dans la continuité de ce qui a été fait par les impérialismes au sein de l'ex-Yougoslavie depuis 1991: utiliser les antagonismes nationaux pour asseoir l'emprise impérialiste dans les Balkans, selon les rapports de forces militaires sur le terrain et, surtout, ceux entre les puissances capitalistes concernées.

Il s'agit dès les pourparlers de Rambouillet d'imposer une solution tout à fait similaire à celle employée en Bosnie: préserver la souveraineté théorique de la Serbie, contre le droit à l'indépendance du Kosovo, mais déployer une force "de paix" de plusieurs dizaines de milliers d'hommes: instaurer un protectorat sur le Kosovo.

Les clauses secrètes du traité de Rambouillet, qui seront connues bien après les déclenchement des bombardements, précisent que le champ d'action des forces d'occupation inclut l'ensemble de la RFY sans restriction.

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(4) Relevons au passage une falsification de la brochure Une discussion…. On nous y reproche, p.7: "Si l'on comprend bien, cette rivalité [entre les puissances impérialistes] ne jouerait plus aucun rôle aujourd'hui".

Or, dès notre déclaration du 28 mars, nous écrivions notamment:

"En accueillant et co-présidant la conférence de Rambouillet, Chirac et le gouvernement Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Zuccarelli, au nom des "intérêts supérieurs de la Nation", ont d'abord essayé de jouer leur propre jeu, qui n'est pas plus ragoûtant que celui des Etats-Unis. Mis en échec, ils ont pris place sans hésiter derrière la bannière américaine dans la guerre en cours. Ils espèrent ainsi garder quelque influence dans les développements ultérieurs."

Puisque le rédacteur de la brochure en question nous conseille "d'apprendre à penser", nous lui proposerions bien pour notre part de rechausser ses lunettes, ou d'apprendre à lire, si nous ne pensions pas que tout ceci est délibéré.

Milosevic, et l'UCK dans un premier temps, refusent le diktat impérialiste

 Or, un événement se produit: Milosevic refuse d'entendre parler de l'entrée de forces d'occupations militaires au Kosovo et dans la RFY.

Ses raisons n'ont rien de mystérieuses: accepter la mainmise impérialiste sur le Kosovo revient à signer son arrêt de mort politique en Serbie même, et à perdre le contrôle à très brève échéance du Monténégro. Pour ses propres raisons, il refuse en réalité de renoncer aux miettes de souveraineté nationale qu'il a pu préserver en dix ans. Mais telle est pourtant la logique du mode de production capitaliste à notre époque: l'indépendance des petites nations dominées tend à être vidée de tout contenu réel. Jusqu'ici, Milosevic a parfaitement su s'inscrire dans le "grand jeu" diplomatique dans les Balkans. Refusant le diktat de Rambouillet, qui lui demande plus que ce qu'il ne peut donner, Milosevic risque de coaliser contre lui et la RFY l'ensemble des puissances impérialistes.

Mais l'impérialisme français tente désespérément de lui sauver la mise, en utilisant la position de l'UCK. Car celle-ci n'est venue que sur la pointe des pieds à Rambouillet. Son principal dirigeant, Demaqi, a refusé de venir à Rambouillet, et réussit à imposer que l'UCK ne signe pas l'accord. Le Monde du 28 février 1999 le cite:

"A.Demaqi s'est lui élevé, vendredi, contre " les pressions internationales qui veulent nous imposer une fausse autonomie qui maintiendrait les Albanais en esclavage ".

Du sommet à la base, l'UCK, organisation nationaliste petite-bourgeoise, est divisée. Mais l'impérialisme américain va rapidement briser ce petit os qui l'empêche, par son refus des accords de Rambouillet, de déployer sa puissance militaire: le 2 mars, A.Demaqi démissionne de sa fonction de porte-parole de l'UCK, tandis qu'un gouvernement provisoire est formé par l'UCK et les partisans de I.Rugova, chantre permanent de la capitulation. Libération du 9 mars annonce:

"Les pressions américaines ont été efficaces. L'état-major de l'Armée de libération du Kosovo (UCK) a finalement accepté la signature du projet d'accord de paix élaboré à Rambouillet. Il aura fallu six heures de négociations au médiateur Christopher Hill, ambassadeur des Etats-Unis en Macédoine, qui a rencontré les commandants de l'UCK en un "lieu secret" du Kosovo, pour arracher la décision."

La voie est ouverte à l'intervention militaire pour briser l'esquisse de résistance de Milosevic. Le deuxième round de négociations à Paris n'est qu'une formalité. Les Etats-Unis ont réuni les conditions de l'intervention armée. Les autres brigands impérialistes n'ont plus qu'à s'aligner, s'ils veulent rester à la table des "grands". Au demeurant, tous sont d'accord sur un point: il n'est pas acceptable qu'un gouvernement quelconque de la région refuse leur autorité.

Inconditionnellement contre l'accord de Rambouillet,
accord contre le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes

 Indépendamment tant de Milosevic et de l'UCK, aucun militant révolutionnaire ne pouvait cacher sa position sur l'accord de Rambouillet: indiquer que les organisations ouvrières, partis et syndicats, devaient le rejeter.

"Dans la question de la guerre, plus que dans toute autre question, la bourgeoisie et ses agents trompent le peuple par des abstractions, des formules générales, des phrases pathétiques : " neutralité ", " sécurité collective ", " armement pour la défense de la paix ", " défense nationale ", " lutte contre le fascisme ", etc.

Toutes ces formules se réduisent, en fin de compte, à ce que la question de la guerre, c'est-à-dire du sort des peuples, doit rester dans les mains des impérialistes, de leurs gouvernements, de leur diplomatie, de leurs états-majors, avec toutes leurs intrigues et tous leurs complots contre les peuples." (Léon Trotsky - Programme de transition)

Or, nous avons déjà souligné dans notre supplément de mai dernier que la "déclaration" du 27 mars publiée par le groupe de S.Goudard refusait de dénoncer le plan de Rambouillet, mais parlait de "tous les plans de règlements impérialistes", et de "toutes les interventions des puissances impérialistes au sein de l'ex-Yougoslavie". Pour paraphraser le style inimitable de la brochure Une discussion … , il s'agit là de "mots d'ordre généraux justes d'un point de vue général", mais tout à fait faux dans le cas particulier.

On peut maintenant comprendre de quoi parle la brochure une discussion… quand elle affirme que la première des divergences serait: "nous avons osé parler de l'ex-Yougoslavie en lieu et place de la "république fédérale de Yougoslavie".

De quoi s'agit-il? Pas d'un problème lexical. Pour S.Goudard, l'ex-Yougoslavie va de Slovénie à la Macédoine (citons: "nous avons utilisé les termes de "Serbie, Monténégro, Kosovo", qui sont les pays bombardés au sein de l'ex-Yougoslavie" (Une discussion…, p.10 - c'est nous qui soulignons). Donc, quand la déclaration du 27 mars de son groupe condamne "tous les plans", "toutes les interventions impérialiste au sein de l'ex-Yougoslavie", c’est pour ne pas parler de l’intervention militaire effective, de la guerre en cours contre la RFY (Serbie Monténégro), c’est pour ne pas parler du plan de Rambouillet, c'est, en un mot, pour ne pas se prononcer sur la question de l'heure, délibérément, car:

"nous n'avons pas eu recours pour nommer le "pays" attaqué au terme de RFY qui aurait pu laisser croire que nous étions attachés à la défense de ce dispositif étatique" (ibid.)

Il y a là une traduction concrète de ce qui sert d'analyse - en tout cas par moments - au groupe de Serge Goudard: l'affirmation que "il y a une profonde continuité" entre la présente guerre et la situation prévalant dans l'ex-Yougoslavie depuis le début des années 1990.

Et c'est cette affirmation qui lui permet de ne pas se prononcer en défense du "dispositif étatique" (sic!) de la RFY contre l'agression impérialiste (5) , d'abandonner clandestinement ce qui est une position de principe fondamentale pour les trotskystes.

"Profonde continuité"? Le texte Une discussion… manipule des citations de Trotsky sur la dialectique, notamment celle-ci: "la pensée dialectique analyse toutes les choses et tous les phénomènes dans leur continuel changement".

Ces citations sur la dialectique servent même, à défaut d'arguments, d'ultima ratio à Serge Goudard et son petit rédacteur pour expliquer leur position, ou plutôt le rejet de la nôtre, la défense de la RFY contre l'impérialisme, position qualifiée de "sophisme" (p.5).

Mais la dialectique a ses lois. Il est utile de citer Trotsky sur la dialectique. Encore faut-il le comprendre. Car celui-ci soulignait, et ce dans le même texte ("L'opposition petite-bourgeoise du SWP"):

"Dans tous les domaines de la connaissance, y compris la sociologie, une des tâches les plus importantes consiste à saisir à temps l'instant critique où la quantité se transforme en qualité" (Léon Trotsky. -, Défense du marxisme, EDI 1976 page 146).

Or c'est justement au nom de la "continuité", "profonde", même, avec le processus de démantèlement de l'ancienne fédération Yougoslave, que le groupe de Serge Goudard efface tout ce qu'il y a de nouveau dans la situation.

En Europe, pour la première fois depuis 1945, les principales puissances impérialistes ont mené une guerre ouverte, de concert. Cette guerre a amené à la destruction presque complète de l'économie de la RFY, à l'instauration d'un protectorat impérialiste sur le Kosovo.

Qu'en dit la brochure du groupe de Serge Goudard? "Profonde continuité"!

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(5) Autre falsification, particulièrement grossière. On nous reproche benoîtement:

"Mais d'où vient la RFY? Mystère. Et comment a-t-elle été définie, découpée? Mystère".

Or, dès le 28 mars, nous écrivions: "Dans les Balkans, les différents impérialismes ont utilisé systématiquement les questions nationales (que la variante yougoslave du stalinisme n'a pu et ne pouvait résoudre) pour les dévoyer, pour se tailler chacun sa propre zone d'influence. Ainsi procéda l'Allemagne en s'offrant deux semi-colonies: la Croatie et la Slovénie, en 1991. Ainsi ont procédé à leur tour les USA qui ont organisé au travers des accords de Dayton, en 1995, le dépeçage de la Bosnie en deux, s'appuyant à ce moment sur la Serbie"

C'est sans équivoque: les dirigeants du groupe Goudard falsifient nos publications, aussi allègrement que Serge Goudard avait, après le congrès de la FSU de décembre 1997, fait paraître dans La Lettre de liaison des interventions largement réécrites par rapport celles qu'il avait réellement faites à la tribune de ce congrès - nous l'avons démontré, publiquement, et sans démenti.

Les buts de guerre des impérialismes: ramener l'économie de la RFY "au Moyen Age"

 Ces propos tenus par un général de l’OTAN rappellent évidemment la guerre du Vietnam, pays qu’une autre ganache galonnée voulait renvoyer " à l’âge de pierre ". La destruction du potentiel économique de la RFY ne s’est pas improvisée au jour le jour. Dès le départ, trois " phases " étaient prévues dans le plan de guerre des stratèges de l’OTAN. La troisième était surnommée " Dresde ", en référence aux bombardements américains sur cette ville d’Allemagne qui causèrent des dizaines de milliers de morts.

Pourquoi un tel plan? Les raisons en sont politiques (d’autant que, militairement, quelle que soit la " tactique " des impérialistes, Milosevic n’avait pas l’ombre d’une chance). Nous l'avons déjà souligné: face au pôle constitué sous domination allemande (Slovénie, Croatie), seule la RFY peut servir de point d’ancrage aux autres impérialismes (hier la France, aujourd’hui les Etats-Unis).

Le refus de Milosevic de plier (éventuellement avec l'aiguillon de quelques bombardements minimes, comme ce fut le cas en Bosnie) sur la question du Kosovo n’en était que plus inadmissible pour les Etats-Unis, comme d’ailleurs les autres puissances impérialistes. En détruisant le potentiel économique de la RFY, celle-ci a été mise à genoux, une condition fondamentale de sa docilité ultérieure a été assurée, tandis que le Kosovo était mis en coupe réglée.

Naturellement, certaines puissances impérialistes, et aussi la Russie, ont cherché, pour jouer un rôle, à se poser dans un premier temps comme protecteurs de la RFY. Ce fut le cas de la France. Mais après avoir retardé l’échéance, elles ont dû s’aligner derrière les USA et leurs buts de guerre.

Cherchant par tous les moyens possibles à justifier qu’il ne fallait pas défendre la RFY contre l’agression impérialiste, la brochure Une discussion... livre un aphorisme:

"Bien médiocre politique est celui qui se laisse prendre par la "langue de bois" diplomatique de ses adversaires. Or, cette apparence d'unité n'est pas nouvelle, et nous n'avons cessé de montrer qu'il ne s'agissait que d'une façade masquant de profonds antagonismes".

La seule "médiocrité " qui soit ici, c’est celle de l’argument: même pendant la guerre contre l’Irak, le camp impérialiste était tiraillé par d’importantes contradictions. La France était plus que renfrognée à l’idée d’écraser son principal client au Moyen-Orient. Elle a essayé, à sa mesure, pour empêcher une telle issue. Mais ayant échoué, Mitterrand, l’impérialisme français, ont participé à l’écrasement de l’Irak. A nouveau, avant, pendant et depuis l’agression dans les Balkans, de telles contradictions se sont manifestées.

Mais c’est être un éclectique sans vie que de nier, au nom de ces contradictions, l'événement politique qui s’est produit au printemps dernier. De la même manière que, malgré les contradictions inter-impérialistes, c’est ensemble, derrière les Etats-Unis, que toutes les puissances impérialistes ont écrasé l’Irak, infligeant une dure défaite aux masses arabes, en particulier pour ce qui est de la Palestine, la RFY a été écrasée de bombes américaines, britanniques, allemandes, et françaises.

Qui ira expliquer aux ouvriers serbes ou monténégrins que ces bombes étaient " contradictoires ", " antagonistes "?

Parmi les objectifs de la coalition impérialiste: en finir, si possible, avec Milosevic

On doit ajouter que, dans les buts de guerre de la coalition figuraient le renversement de Milosevic lui-même, pour une raison fort simple: le remplacer par un instrument plus docile, corrélativement avec l’affaiblissement de la néobourgeoisie serbe produit par la destruction du potentiel économique de la RFY.

Une nouvelle illustration en a été donnée par l’instauration de sanctions par l’ONU contre la RFY avec cette précision qu’elles seraient levées avec le départ de Milosevic. Ou encore l’organisation de rencontres telles que celle que rapporte Le Monde du 5 novembre 1999:

"Huit dirigeants de l'opposition serbe ont été reçus à la Maison Blanche et au département d'Etat, mercredi 3 novembre(…) Dragoslav Avramovic, candidat de l'Alliance pour le changement au poste de premier ministre pour un éventuel gouvernement de transition, Zoran Djindjic, président du Parti démocratique, Goran Svilanovic, président de l'Alliance civique de Serbie, et les maires des villes de Nis et de Cacak. Coïncidence ou non, le président monténégrin, Milo Djukanovic, se trouve au même moment dans la capitale des Etats-Unis. (…)

Bien qu'elle s'en défende, l'administration américaine a fait, mercredi, un pas en direction de la position européenne. Alors qu'il y a peu elle critiquait la décision des Quinze de donner un petit coup de main aux adversaires de Slobodan Milosevic en levant l'embargo sur le fuel domestique au profit de deux villes administrées par l'opposition serbe, la voilà désormais qui reconnaît qu'un geste en direction de cette dernière pourrait améliorer ses chances de remporter des élections.

Comme l'a déclaré Mme Albright, " nous allons consulter le Congrès et nos partenaires européens sur l'étendue de l'assistance qui pourra être accordée après des élections libres et la mise en place d'un nouveau gouvernement. Nous pensons qu'il est vital que le peuple serbe comprenne que s'il a le courage de renverser le mur de la répression qui le sépare d'un avenir démocratique, il ne fera pas face à cet avenir seul ", a ajouté la secrétaire d'Etat."

Il faut vraiment avoir une idée fixe- ne pas se prononcer inconditionnellement en défense de la RFY contre l’impérialisme - pour affirmer, ainsi que le fait le CPS pirate édité par H.Bertrand, déjà cité, que l’intervention impérialiste avait pour but de protéger Milosevic! 

Les masses en mouvement?

 "Holà, holà, et que faites-vous de l'activité des masses?", nous interpelle le groupe Goudard. Et de citer pêle-mêle les manifestations de l'hiver 1996-97 en Serbie, la révolution prolétarienne en Albanie, les mouvements (mutineries, manifestations) qui ont secoué la RFY à partir de la mi-mai.

Soyons clair. Nous ne pouvons croire que quiconque s’imagine sérieusement que les impérialistes auraient bombardé la RFY à cause des manifestations étudiantes de l’hiver 1996-97, ni de la défaite de Milosevic lors des élections municipales, ni enfin des manifestations qui ont jailli à cause de l’annulation de ces élections. Au contraire, nous l’avons rappelé, la guerre civile au Kosovo a servi de levier pour étouffer et empoisonner les masses en Serbie et au Monténégro.

Quant aux premiers éléments de désagrégation de l'armée, aux premières mutineries, et premières manifestations spontanées aux cris de " "Les morts n'ont pas besoin du Kosovo ! Nous voulons que nos fils rentrent, mais pas dans des cercueils ! " (selon Le Monde du 21 mai), ils ont bien sûr précipité la capitulation de Milosevic. Ils ont aussi précipité la publication d'un tract (daté du 25 mai) du groupe de Serge Goudard qui s'enflamme sur "ces événements à caractère révolutionnaire", l'essentiel en étant aussi reproduit dans l'article annexé à la brochure Une discussion… .

On doit d'abord souligner que ces manifestations sont indissociables des ravages qu’ont exercé les bombardements impérialistes. Ou Serge Goudard et ses camarades pensent-il que les impérialistes, bien que voulant défendre Milosevic, auraient atteint le résultat contraire? Que la désagrégation de l’armée de la RFY était totalement étrangère à la situation de la RFY dans son ensemble: sonnée par les bombes, incapable de lever le petit doigt pour se défendre - d'autant que Milosevic le lui interdisait en adoptant comme "tactique" de guerre de faire le dos rond, de faire tonner la DCA, et… d'organiser des concerts en plein centre de Belgrade (espérant sans doute cyniquement qu'une bombe lui procure prestement quelques milliers de martyrs et cause d'importantes difficultés politiques aux membres de la coalition impérialiste).

Mais ces manifestations sont restées limitées. La raison fondamentale en est d'ailleurs donnée, à juste titre, dans l'article annexé à Une discussion… (p.16):

"les bombardements des forces impérialistes ont été d'une redoutable efficacité lorsqu'il s'est agi d'anéantir l'économie de la Serbie et du Kosovo, en particulier de détruire les usines. C'est ainsi une véritable entreprise de destruction du prolétariat comme classe qui a été conduite (…)".

Fort juste. Et c'est justement cela qui donnait d'emblée une limite à tout mouvement jaillissant, comme c'est toujours le cas, à l'approche de la défaite.

C'est sans aucun doute une expression de ces limites que la plus grande des manifestations qui ait eu lieu contre le gouvernement Milosevic, à Belgrade, rassemblant 150 000 personnes, ait été ainsi cadrée:

En début de rassemblement, un message de l'Eglise orthodoxe, rédigé par l'évêque Artémije de Raska et Prizren (Kosovo), a été lu : " Le président Milosevic doit se retirer, non seulement parce qu'il a perdu quatre guerres, mais parce qu'il les a commencées ", assénait le religieux, saluant " une opportunité historique de libérer la Serbie des chaînes du communisme ". Et le texte poursuivait : " Il nous faut rompre avec un nationalisme malsain, cet amour du pouvoir et de toutes sortes de crimes, il nous faut en finir avec le parasitisme de la clique qui gouverne, qui se nourrit sur le dos de la nation entière. " C'est l'Eglise qui avait proposé la date du 19  août, fête de la " transfiguration " orthodoxe, afin de pouvoir tirer un parallèle avec une " transfiguration de la Serbie ". (Le Monde du 21 août)

Un rappel s'impose. En 1991, à la fin de la guerre contre l'Irak, d'importants mouvements ont eu lieu, réprimés par Saddam Hussein à qui les impérialistes avaient laissé, comme à Milosevic, les moyens militaires de maintenir l'Etat en place. Voici comment CPS n°37 en rendait compte:

" Georges Bush savait qu’au Kurdistan un soulèvement se préparait d’autant plus qu’il semble bien qu’au point de départ il l’ait encouragé. Il était averti que les Ayatollahs d’Iran allaient impulser le soulèvement des Chiites du sud de l’Irak. Opposé fondamentalement à l’indépendance des Kurdes, opposé à ce que l’Irak devienne une "république islamique" liée à Téhéran, ou même à ce que le sud de l’Irak devienne une "république chiite islamique" dépendante de l’Iran, Bush, plutôt que d’impliquer directement l’armée américaine à l’intérieur de l’Irak, a laissé entre les mains de la caste des officiers irakiens et, éventuellement, de Saddam Hussein une armée de guerre civile. Certes, nombre de soldats de l’armée irakienne en déroute ont rejoint au sud le soulèvement chiite et au nord l’insurrection kurde, mais Bush a permis à une importante partie de la garde républicaine engagée au sud, dans les combats, de se replier sur la rive gauche de l’Euphrate. (…)

Pendant un mois, la coalition impérialiste, l’impérialisme américain en premier lieu, a surveillé de près le déroulement des opérations ."

Le froid réalisme de Stéphane Just du temps où il dirigeait Combattre pour le Socialisme tranche totalement avec l'enthousiasme montré par S.Goudard et H.Bertrand à l'annonce des premières mutineries. A l'époque, ni tambours, ni trompettes, dans des circonstances qui auraient poussé H.Bertrand à patronner un tract saluant les "événements révolutionnaires".

Mais ce contraste n'est pas le produit du gai caractère de ceux-ci. Il s'agit pour eux de se mettre à couvert des déserteurs de l'armée de la RFY (6), si l'on peut dire, pour avancer enfin, fin mai, donc, le mot d'ordre qui les tenaillait depuis mars et qu'ils n'avaient pas osé faire leur: "cette guerre n'est pas la nôtre".

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(6) Notons que, quand le groupe de S.Goudard profère que la "logique" de la position qui est la nôtre, celle de la défense de la RFY face à l'impérialisme, aurait comme conséquence "les déserteurs de l'armée serbe devraient être fusillés", c'est soit une imbécillité provocatrice de plus, soit une attaque contre la position du Comité pendant la "guerre du Golfe".

"Cette guerre n'est pas la nôtre"?
Un amalgame indigne pour couvrir une capitulation honteuse

 Quand les soldats de la RFY désertent, et affirment que la guerre que Milosevic leur fait mener au Kosovo depuis 1989, et surtout depuis 1998 n'est pas la leur, il va sans dire qu'un soutien inconditionnel doit leur être apporté, en particulier de la part de ceux qui, comme nous, se sont prononcés pour le respect du droit à l'indépendance du Kosovo. Mais si cette guerre-là n'est pas la leur, par contre, une guerre contre l'armada aérienne qui a détruit leurs foyers, leurs quartiers, leurs routes, les usines, qui a ramené leur pays des dizaines d'années en arrière, une telle guerre est une guerre juste. Mais cette guerre n'avait aucune issue favorable sur le terrain militaire. La seule issue positive était politique, elle dépendait d'abord de l'intervention sur leur propre plan des travailleurs, de la jeunesse des principales puissances impérialistes engagées dans l'offensive militaire.

Or, en se drapant dans le mot d'ordre "cette guerre n'est pas la nôtre", le groupe de Serge Goudard a contribué à nourrir une position abstentionniste dans cette guerre.

Reprenons une dernière fois l'argument qui se voudrait "massue" de la brochure Une discussion…. Il s'agit de rejeter en ce qui concerne la RFY la ligne générale appliquée en 1991 par le Comité pour la construction du parti ouvrier révolutionnaire pendant l'agression contre l'Irak, au nom du caractère progressiste de l'invasion du Koweït par l'Irak, opposé au caractère réactionnaire de la guerre menée par Milosevic au Kosovo.

"Le caractère insoutenable du sophisme de Lestang apparaît ici en toute clarté: car Lestang est bien évidemment dans l'incapacité d'écrire que le combat mené par le régime de Milosevic en défense des frontières actuelles de "l'entité" RFY et contre le droit du peuple albanais du Kosovo à son indépendance est un point d'appui pour les masses des Balkans!" (une discussion… p. 7)

Dans la mesure où nous avons suffisamment répondu à ce tour de passe-passe, il ne reste qu'à redonner la conclusion de l'éditorial du numéro 36 de CPS, et à demander aux militants du groupe de S.Goudard: comment se fait-il que vos dirigeants, qui ont publié la brochure Une discussion… et connaissent ce texte, ne s'y soient pas référés? La réponse que nous vous proposons est simple: ils ne le pouvaient pas car ils y sont devenus étrangers (ce qui est souligné l'est par nous):

Trotsky écrivait aussi : "Le caractère de la guerre n’est pas déterminé par l’épisode initial pris en lui-même ("violation de la neutralité", "invasion", etc...) mais par les forces motrices de la guerre, son développement et les conséquences qu’il entraîne finalement" (Œuvres - Tome 4, page 58).


Quelle que soit l’appréciation que l’on ait de l’appartenance ou non du Koweït à l’Irak, pas plus dans cette guerre que dans une autre, on ne peut déterminer le caractère de cette guerre en partant de l’épisode initial ou prétendu tel : en l’occurrence, l’occupation et l’annexion du Koweït par l’Irak. Il faut partir des rapports historiques, économiques, sociaux et politiques entre les pays composant la coalition impérialiste, les pays et les peuples de cette région du monde.

Du côté de l’impérialisme, la guerre est une guerre pour maintenir et renforcer sa mainmise sur le Moyen-Orient, sa victoire signifierait l’écrasement des peuples de cette région. La victoire de l’Irak exigerait la mobilisation et l’engagement massif dans un combat ouvert des peuples de ces pays, l’action contre la guerre et "la paix" impérialiste des prolétariats des pays capitalistes dominants. L’entrée massive des peuples du Moyen-Orient dans le combat ouvert contre l’impérialisme donnerait, en dépit et finalement contre Hussein et son régime, une formidable impulsion à la lutte de ces peuples pour leur indépendance et liée à elle pour résoudre la "question sociale" des ouvriers, des masses exploitées et opprimées de cette région du monde. La défaite de la coalition impérialiste provoquerait une crise politique sans précédent de tout le système et dans chacun des pays qui le composent. La voie de la révolution prolétarienne serait ouverte. Du côté de l’impérialisme cette guerre est une guerre de rapine, de superforbans. Indépendamment du régime existant en Irak, de Saddam Hussein, du côté de l’Irak et des peuples du Moyen-Orient (Palestiniens, de Syrie, des émirats d’Arabie Saoudite, d’Egypte, etc...) c’est une guerre juste.

Pour qui veut prendre la peine de lire, de penser, ces lignes sont une condamnation sans appel de l'orientation suivie par le groupe de Serge Goudard.

Nous osons même suggérer à nos lecteurs une relecture complète de tous les numéros de Combattre pour le Socialisme d'alors (ceux qui ne les auraient pas peuvent nous les commander), et nous attirons leur attention sur un point: on y trouvera jamais le mot d'ordre "A bas Saddam Hussein". CPS n'avait pas fait sien, sans prendre aucune responsabilité pour le régime de Saddam Hussein, un mot d'ordre qui était d'abord celui du département d'Etat américain.

Pour combattre Milosevic, il fallait prioritairement combattre l'impérialisme

 Il ne reste en effet qu'un point sur lequel nous ne nous sommes pas encore penchés: l'accusation selon laquelle notre position serait que "les révolutionnaires devraient taire toute caractérisation du régime de Milosevic". Mais en fait, cette accusation repose toute entière sur un faux. S.Goudard cite un passage de notre déclaration du 8 mars où il est question des : "massacres commis par les troupes de Milosevic dans les enclaves bosniaques". Pour en tirer la conclusion que pour nous, "la question n'est plus d'actualité!". Archi-faux. Voilà la phrase tronquée par le Déroulède qui a rédigé cette brochure:

" les USA (…) ont organisé au travers des accords de Dayton, en 1995, le dépeçage de la Bosnie en deux, s'appuyant à ce moment sur la Serbie, entérinant et utilisant les massacres commis par les troupes de Milosevic dans les enclaves bosniaques, dont ils se sont parfaitement accommodés, comme ils s'en accommoderont peut-être également en ce qui concerne le Kosovo"

Chacun comprend que la suppression du dernier membre de phrase est un aveu: le ou les rédacteurs de cette brochure ne croient pas un seul mot de ce qu'ils écrivent. Ils cherchent seulement à brouiller les cartes. Mais pour dissimuler quoi? Leur refus de répondre à la vraie question que nous avons posée: sans rien cacher de ce que nous pensons du régime de Milosevic, c'est-à-dire en premier lieu que les impérialistes coalisés en ont fait longtemps leur instrument dans les Balkans, quel gouvernement ont combattu les militants du groupe de Serge Goudard? Quitte à nous répéter, dans la mesure où la brochure Une discussion… et le tract du groupe de Serge Goudard du 25 mai qui met franchement en avant le mot d'ordre "A bas Milosevic!" confirment malheureusement notre analyse, répétons-nous donc:

"Pour les révolutionnaires, en cas de guerre, le premier mot d'ordre est celui lancé par Karl Liebknecht: "l'ennemi principal est dans notre propre pays". Ce qui est au centre, c'est le combat contre le gouvernement à la solde du capital, c'est à dire pratiquement le combat pour la rupture des organisations ouvrières, partis et syndicats, avec ce gouvernement.

Or, à la lecture du tract des Goudard, Bertrand et Ribes, on constate que le gouvernement de la dite "gauche plurielle" n'est nommé qu'une seule fois, pour indiquer qu'il participe aux bombardements. Jospin est nommé encore une autre fois.

A l'inverse, ce tract réserve ses qualificatifs les plus durs … à Milosevic. Celui-ci est au centre de l'explication politique que donne ce tract: "terreur organisée" (alors qu'aujourd'hui, la terreur organisée contre laquelle il s'agit de combattre en premier lieu, c'est celle organisée par la coalition impérialiste); "massacres et déportations" (alors qu'aujourd'hui, ce qu'il faut dire, c'est que les impérialistes s'accommodent parfaitement de l'expulsion massive des Kosovars, traités comme des chiens dans les camps où ils sont parqués, renvoyés plus loin encore de leur pays pour des dizaines de milliers d'entre eux. Ce qu'il faut dire, c'est que les généraux de l'OTAN savaient parfaitement qu'ils précipiteraient l'offensive de Milosevic au Kosovo par leurs bombardements, mais qu'ils n'ont rien prévu, rien organisé, parce que tel n'est pas leur souci); "répression massive", "exacerbation du nationalisme et du chauvinisme" (alors qu'en France, une campagne inouïe de propagande "humanitaire" bat son plein); et, pour conclure: "à bas le régime de Milosevic" (alors que le caractère de ce régime n'est qu'un prétexte, car chacun sait que les puissances impérialistes, à commencer par la France, n'ont aucun scrupule à défendre les massacreurs, comme ils l'ont fait au Rwanda).

Le moins que l'on puisse dire, c'est que la campagne de propagande orchestrée par la bourgeoisie française, par le PS, le PCF, les appareils syndicaux, n'est pas menée en vain: ce sont ses échos que l'on retrouve dans le tract des Goudard, Bertrand, et Ribes."

(Supplément à CPS n°77)

Quelques mots sur la politique de la LCR

Il est particulièrement éclairant dans ce cadre de relever quelques traits saillants de la politique menée par la LCR, et avec elle LO, face à la guerre impérialiste.

Leur position: "Ni OTAN, ni Milosevic", a été traduite par Arlette Laguiller et Alain Krivine dans une tribune dans Libération du 13 avril 1999 qui mettait sur le même plan deux revendications: "arrêt des bombardements" et "retrait des troupes serbes du Kosovo".

Quant au mode opératoire de la satisfaction des exigences immédiates de l'impérialisme (le retrait des troupes serbes du Kosovo) sans qu'il y ait effusion de sang (l'arrêt des bombardements sans qu'il soit question du retrait des troupes françaises, sans même parler du front unique des organisations ouvrières), il fut donné par le maître à penser de la LCR, Daniel Bensaïd, dans Le Monde du 9 avril 1999:

"Notre appel collectif (Le Monde du 31 mars) suggère "l'organisation d'une conférence balkanique à laquelle participent les représentants des Etats et de toutes les communautés nationales de ces Etats"

Cette perspective pose la question d'une force d'interposition, non pour dicter la loi des plus forts, mais pour garantir un compromis consenti. Sous quelle autorité? Les troupes de l'OTAN sont disqualifiées pour une telle mission: on imagine mal les belligérants d'aujourd'hui métamorphosés demain en "soldats de la paix" reconnus par les deux camps. Toute autre solution, excluant les pays qui ont directement participé à l'intervention, peut être envisagée dans le cadre des institutions internationales: si la crise balkanique est une crise européenne, elle concerne toute l'Europe, de l'Atlantique à l'Oural, et non les seuls membres de l'OTAN ou de l'Union européenne." (nous soulignons).

Le message est clair: la capitulation de la RFY doit être organisée, "pacifiquement", "dans le cadre des institutions internationales", par les impérialismes les plus fréquentables, c'est à dire hors l'OTAN,. Avec de telles intentions, il n'y eut rien d'étonnant à ce que l'activité de la LCR et de LO se soit bornée à la participation aux manifestations organisées et dirigées par le PCF. Dans une interview à Politis en date du 6 mai, Alain Krivine cherche à se défausser:

"Question [pertinente - Ndlr]: Mais après deux défilés, vous avez arrêté de manifester...

Alain Krivine: La France est le seul pays où il n'y a pas eu de manifs anti-guerre, à cause du PCF. Nous avons aidé à convoquer les deux premières réunions unitaires. A la deuxième, nous avons été plus fermes sur les mots d'ordre de solidarité avec les Kosovars à cause de la présence des Serbes [sic! - Ndlr]. Nous faisons tout pour qu'il y en ait d'autres."

"Tout pour"? Le 29 mai 1999, la LCR fait partie des organisateurs d'une "marche contre le chômage" à Cologne. Le Monde en rend compte ainsi:

"La délégation de marcheurs qui rassemble des membres des collectifs français de chômeurs AC ! et MNCP, du comité belge d'exclus de Charleroi, des syndicalistes de la CGT espagnole et de SUD-PTT, a imposé une banderole de tête exclusivement centrée sur l'emploi et la précarité. Pas de mention générale "contre la guerre", que souhaitaient, entre autres , les communistes allemand s. "Il y a désaccord politique sur cette question. Si l'on met "contre la guerre", la moindre des choses, c'est d'afficher aussi "contre Milosevic" [nous y voilà! - Ndlr]. Ils nous disent qu'ils n'ont pas la place pour le rajouter. On nous prend pour des cons !", grogne un responsable syndical.

Quelques minutes plus tard, le mini-incident éclate. Et la banderole "contre la guerre", qui tentait de s'imposer, est évacuée par des militants d'AC ! et de SUD-PTT : "Ici, c'est la marche contre le chômage !", "sur votre truc, il n'y a pas un mot sur les Kosovars."

L'interpénétration entre la LCR et "SUD-PTT" ainsi que "AC!" n'est un secret pour personne. Ce sont en fait des militants et sympathisants de la LCR qui ont évacué une banderole "contre la guerre", parce qu'y manquait la sempiternelle dénonciation de Milosevic, "ticket d'entrée" à payer pour avoir le droit de s'exprimer sur la guerre en toute sérénité dans le milieux des appareils syndicaux et de la petite-bourgeoisie.

Krivine, Laguiller, ont "tout fait pour" que rien ne vienne heurter le gouvernement Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Zuccarelli, et en particulier le PCF, avec un sens des responsabilités proportionnel à leurs scores électoraux.

Ajoutons que, en plus de leur orientation révisionniste, la pusillanimité de la LCR (eux qui sont pourtant si prompts à lancer des manifestations en direction de telle ou telle ambassade quand il s'agit de protester contre les atteintes innombrables aux libertés démocratiques existant sur cette planète) fut directement motivée par la campagne des élections européennes dont maints responsables et militants de la LCR et de LO ont déploré qu'elle ait été "brouillée" par la guerre contre la RFY.

L'intervention des militants du groupe de Serge Goudard dans les syndicats: une capitulation confirmée à la seule lecture de la brochure Une discussion…

 L'éclectisme complet dans la caractérisation de la guerre et de ses conséquences, les déficiences logiques de la critique qui nous a été adressée, le recours systématique au faux, ne sont pas des hasards. L'incapacité - que toutes ses rodomontades veulent masquer - à fournir une critique au moins sérieuse, à défaut d'être juste, de notre politique a une racine: la nécessité de concilier l'inconciliable, se réclamer frauduleusement de la continuité avec ce que fut le Comité dirigé par Stéphane Just tout en menant une politique faite d'accommodements avec les appareils, et d'abord celui de la FSU.

Nous étions partis, dans notre supplément de mai dernier, de la critique des prises de position, ou plutôt, la plupart du temps, l'absence d'intervention dans les organisations syndicales par les membres du groupe de Serge Goudard, qui en a pourtant la possibilité.

La principale réponse de la brochure Une discussion…est que nous serions des menteurs, des affabulateurs.

Aussi, tenons-nous en - un instant seulement, compte-tenu des antécédents du congrès de la FSU de décembre 1997 (7) - à la défense que fait la brochure Une discussion… des prises de position publiques des militants du groupe de Goudard. Elle est accablante.

Reprenons. Serge Goudard est membre du CDFN de la FSU.

Que fit-il? On apprend dans Une discussion… (page 13) qu'il serait intervenu en avril au CDFN de la FSU, "aussitôt après le rapporteur, qui plus est sur cette question". Sarcastiquement, on nous précise: "on est désolé de ne pas en avoir informé notre petit enquêteur". Ce qui est "désolant" c'est que les enseignants, et en particulier ceux pour qui "Front Unique" est lié au combat mené au compte du trotskisme dans l'enseignement, n'aient pas été "informés" d'une telle intervention.

Pour les trotskystes, c'est pourtant la principale raison d'être des positions syndicales qu'ils peuvent détenir. En fait, toutes les interventions qui peuvent être faites dans les instances syndicales n'ont de sens qu'à être publiées, projetées, comme éléments indiquant ce que devrait être la position des organisations syndicales, indiquant qu'en leur sein une telle position est défendue, même faiblement.

Sinon, il ne peut s'agir que d'une volonté d'insertion dans la "discussion" interne à l'appareil, une volonté d'intégration en son sein. Que l'intervention en question, faite au CDFN de la FSU du 7 avril, si elle existe, n'ait pas été publiée est une honte et nouvelle insulte faite aux militants du Comité et leurs sympathisants qui ont lutté sous la direction de Stéphane Just pour constituer "Front Unique" dans l'enseignement public.

Mais c'est que Serge Goudard, et Jean Ribes qui édite la Lettre de liaison avaient d'autres préoccupations, ô combien plus nobles: "La Lettre de liaison n°42 n'avait qu'une seule fonction", nous explique-t-on, "rendre compte de la bataille menée par le courant "front unique" dans le SNES" pour constituer une liste.

On a du mal à y croire: la bataille pour regrouper autour d'un courant qui est issu à son point de départ du Comité nécessiterait-il de taire une intervention faite dans la plus haute instance de la FSU au sujet de l'intervention impérialiste?? Ce serait une conception du monde tout à fait étrangère à celle des militants révolutionnaires. On croirait entendre ces militants de la LCR se plaignant: "quel dommage, cette guerre en pleine campagne électorale".

Constatons en tout cas que la seule trace écrite d'une position à propos de la guerre impérialiste dont nous ayons eu connaissance au moment de la sortie de notre supplément à CPS de la mi-mai 1999, un mois et demi après le début des frappes, est celle attribuée - frauduleusement, nous le maintenons - aux délégués se réclamant de "Front Unique" dans le congrès académique du SNES Clermont-Ferrand.

Pour faire avaler cette couleuvre, piteusement, Une discussion… explique que la Lettre de liaison du 5 mai n'a publié que cette seule motion "pour éviter les redondances".

Mais à l'évidence, il s'agit d'une orientation - pas nécessairement explicite - qui découle fatalement de l'orientation "cette guerre n'est pas la nôtre" - ainsi que la LCR - , de l'analyse de la "profonde continuité" de l'intervention impérialiste avec tout ce qui s'est passé dans l'ex-Yougoslavie depuis 1991. Si l'on pense qu'il n'y a presque rien de neuf sous le soleil et que la classe ouvrière française n'est pas immédiatement intéressée à la défaite de son propre gouvernement, il n'y a rien d'étrange à l'attitude des représentants du groupe Goudard.

Elle est toute concentrée dans un fait révélateur: l'éditorial du bulletin de Serge Goudard publié une semaine après la fin de la guerre (qui fait 8 pages) ne consacre que cinq petites lignes à cette guerre! C'est ce même ordre de grandeur que l'on a retrouvé dans l'intervention publique de ses militants, ainsi dirigée.

Ainsi, pour ce qui est du SNU-IPP, Une discussion… nous narre les aventures fantastiques du représentant de Serge Goudard, Denis Bernard, pour justifier son silence lors d'une réunion de direction. Il aurait été particulièrement simple de nous répondre: en faisant connaître toute prise de position de cet éminent membre du Secrétariat national du SNU-IPP. Mais cette brochure nous confirme: il n'y en eut aucune. C'est en soi indigne d'un militant qui se prétend "trotskyste" et qui, en l'occurrence - sous la direction de Serge Goudard et Jean Ribes - a été fidèle à l'attitude de Pierre Lambert: "on ne fait de politique dans les syndicats".

Quant à l'UNEF-ID, le rédacteur de Une discussion… est visiblement excédé. Il justifie que l'intervention faite au congrès de Lyon, seul document diffusé par une militante de son groupe au congrès national de l'UNEF-ID, soit muette sur l'intervention impérialiste. Il perd le contrôle de ses nerfs: "O.Lestang confond la politique et la bouillie".

Cela confirme que c'est tout à fait délibérément que la direction du groupe de S.Goudard a décidé que sa seule militante étudiante devait se taire sur la guerre dans son congrès local. Pour notre part, nous considérons avec mépris, en particulier parce qu'il s'agit de la jeunesse, ceux qui ont donné la consigne de ne pas intervenir sur la guerre impérialiste dans les congrès locaux de l'UNEF-ID.

Les militants révolutionnaires regroupés autour de Combattre pour le Socialisme dans la jeunesse, eux, n'ont pas hésité à centrer leur intervention sur cette question partout où ils l'ont pu - même si ils savaient aller au devant d'un conflit violent avec l'appareil de l'UNEF-ID qui prônait dans les mêmes congrès … une intervention terrestre (ainsi Carine Seiler au congrès de Paris 1). Une seule exception: Toulouse, où lors du congrès local, la direction locale a failli.

Quant au congrès national de l'UNEF-ID bornons-nous à constater que, tandis que les militants du Comité diffusaient leur position sur la guerre et intervenaient sur cette question à la tribune, notre ex-camarade n'a rien diffusé au sujet de la guerre impérialiste, et l'intervention qu'elle y a faite n'a jamais été publiée (8). Dont acte.

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(7) De tels précédents créent de dangereuses habitudes: ainsi une militante étudiante présente au congrès de l'UNEF-ID l'était, nous informe dans un premier temps la brochure du groupe de Serge Goudard: "sans avoir le titre de déléguée, et sans réel droit d'intervention" (Une discussion… p.13). Six pages plus tard, dans l'article publié dans le pirate de CPS dirigé par Hélène Bertrand et annexé à ladite brochure, la voilà promue: "une déléguée au congrès de l'UNEF-ID" qui "intervint" (une discussion… p.19)…

(8) une discussion… tente , à l'occasion de la relation du congrès de l'UNEF-ID, d'introduire, pour semer la confusion, une discussion sur le mot d'ordre de boycott de l'intervention par les organisations syndicales, pour l'opposer (pourquoi?) au mot d'ordre d'appel des organisations ouvrières à manifester à l'Assemblée nationale. Mais la discussion tactique n'a aucun sens si l'on est pas d'accord sur l'orientation stratégique, à moins de n'avoir aucun principe. Ce qui n'est pas notre cas.

Il est plus que temps d'ouvrir les yeux

 Le combat pour la construction du parti ouvrier révolutionnaire a ses exigences. Seuls ceux qui restent aujourd'hui sur le terrain de la défense des acquis politiques hérités d'un siècle et demi de lutte du prolétariat pour son émancipation et les défendent publiquement, les font vivre, pourront jouer un rôle positif dans les processus de recomposition du mouvement ouvrier à venir. Les autre se noieront ou, pire, joueront ainsi que des obstacles, des facteurs de confusion politique.

Telle est bien la fonction de la brochure une discussion…éditée par le groupe de Serge Goudard: brouiller les pistes pour camoufler que, sur cette question décisive de la guerre impérialiste contre la RFY et les peuples des Balkans, ce groupe a développé une orientation de capitulation devant son propre impérialisme.

Au contraire, il est de la responsabilité de tout militant, lecteur de CPS, que d'étudier sérieusement les positions politiques en présence, et d'en tirer les conclusions qui s'imposent s'il entend jouer un rôle fructueux dans le combat pour la construction du parti ouvrier révolutionnaire.

Il n'est d'autre moyen d'aller de l'avant. "Pour faire une politique juste en temps de guerre, il faut apprendre à penser juste en temps de paix". (Trotsky - 22 mai 1938)

Le 8 décembre 1999

 

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