Article paru dans Combattre pour le Socialisme n°77 (avril 1999)

 

Au sujet de l'appel de Carré Rouge

à des "journées d'étude pour un programme anticapitaliste placé sous le signe des Etats-Unis

socialistes et démocratiques d'Europe"

 

La revue Carré Rouge a lancé un appel pour la tenue de journée d'études "pour un programme anticapitaliste, placé sous le signe des Etats-Unis socialistes et démocratiques d'Europe". "Les amis de Carré Rouge" ont fait parvenir, dans ce but, le texte de cet appel "aux organisations, courants, de même qu'à des militants individuels".

Notre Comité pour la construction du parti révolutionnaire, pour la construction de l'internationale ouvrière révolutionnaire a également reçu cet appel.

 

La revue Carré Rouge affirme vouloir offrir "un cadre permettant un débat unitaire sur un terrain qui a l'avantage de ne pas être celui d'une organisation constituée." Dans son numéro d'octobre 1998, elle publie par conséquent les réponses et les contributions d'un certain nombre de militants, organisations ou rédacteurs réguliers de la revue. La question n'est pas tant de savoir s'il s'agit d'une organisation constituée ou non, mais dans  quel cadre ce débat se déroule et ce qu'il sert.

 

 


La lettre qui nous a été adressée et qui accompagne l'appel de Carré Rouge considère que 1999 sera:

 "une année particulière qui verra se confirmer aussi bien l'exigence d'un programme anticapitaliste, que la réunion des conditions politiques originales permettant de le défendre publiquement avec la certitude d'avoir un très large impact populaire."

 

1999 sera une année particulière, précise l'appel, car:

 "avec l'entrée en vigueur de l'euro et le début du fonctionnement de la Banque centrale européenne, les classes ouvrières d'Europe et les organisations politiques et syndicales auxquelles elles ont donné naissance au long de leur histoire, vont se trouver confrontées à une nouvelle configuration économique aussi bien que politique." 1999 "sera aussi l'année où les mécanismes de propagation de la crise économique mondiale partie d'Asie touchera l'Europe entière, sans doute de façon brutale."

 

Enfin,

"l'année 1999 est bien sûr celle des élections à l'Assemblée européenne de Strasbourg"

qui, organisée au scrutin de liste à la proportionnelle,

"accroît les possibilités de défendre efficacement un programme politique ouvrier et populaire clairement anticapitaliste".


Pour un programme anticapitaliste, pour les Etats Unis socialistes d'Europe, pour un gouvernement ouvrier


La survie du système capitaliste ne peut qu'entraîner barbarie, misère, déchéance. La crise du système capitaliste signifie pour le prolétariat et la jeunesse de nouveaux coups, l'aggravation de leur conditions d'existence. Pour le prolétariat mondial, l'alternative se pose objectivement dans les termes : socialisme ou barbarie.

 

Face aux attaques brutales auxquelles la classe ouvrière et la jeunesse sont confrontées, un programme anticapitaliste doit désigner avant tout les moyens politiques pour abattre le capitalisme, le gouvernement bourgeois qui le sert, en France le gouvernement Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Zuccarelli. Le programme anticapitaliste n'est pas un programme s'il ne comporte pas de réponse à la question du pouvoir. Autrement, il est une simple liste de revendications, un catalogue. Il doit inclure au premier chef, sans quoi il est du vent, de la poudre au yeux, l'objectif politique d'un gouvernement ouvrier, ayant rompu avec les exigences du capital, expropriant le capital, s'engageant dans la voie du socialisme, organisant la production selon les besoins des masses et non plus du profit.

 

Un programme anticapitaliste doit indiquer les moyens pour parvenir à cet objectif et pour cela répondre concrètement, dans la situation actuelle, à la question du pouvoir : formuler la nécessité, l'exigence, que les directions des organisations ouvrières rompent avec le gouvernement bourgeois, constituent un gouvernement sans représentants du capital.

 

Dans le cadre du mode de production capitaliste, les forces productives étouffent dans le carcan de la propriété privée des moyens de production et d'échange, carcan dont les verrous sont les Etats bourgeois nationaux. L'unification de l'Europe est une nécessité objective; elle est impossible dans le cadre du régime capitaliste.

 

Concrètement que signifient "les Etats-Unis socialistes d'Europe" ? Pour qui sait comprendre ce que les mots veulent dire, cela signifie : la fédération, la coopération, l'union des états européens où se seront constitués des gouvernements ouvriers, des gouvernements s'engageant dans la voie du socialisme. Le mot d'ordre "Etats-Unis socialistes d'Europe", le combat pour cet objectif, est donc inséparable de celui pour un gouvernement ouvrier dans chaque pays, et donc des moyens pour y parvenir, au premier rang desquels figure celui de construire une force politique, un parti révolutionnaire.

 

Le mot d'ordre "Etats-Unis socialistes d'Europe" exprime de manière tangible pour la classe ouvrière et pour la jeunesse de tous les pays concernés comme pour celles du monde entier, que le socialisme ne peut être accompli qu'à l'échelle internationale et que,  pour cela, il faut construire une internationale ouvrière révolutionnaire.

Il n'y a pas de "socialisme dans un seul pays".

 

Voilà ce qu'il conviendrait d'exprimer à l'occasion des élections européennes mais aussi tous les jours. Et pour cela, les grands discours ne sont pas nécessaires : il suffit de parler clair.


Carré Rouge, en sigisbée de "LO, de la LCR, de VDT, etc."


L'appel de Carré Rouge déclare :

" En1999, le rejet profond de la politique du PS et du PCF crée les conditions où un regroupement politique de la classe ouvrière autour de candidats pouvant effectivement être élus est un objectif immédiatement réalisable. La perspective d'un accord entre la LCR et Lutte ouvrière correspond à une exigence de milliers, même de millions de salariés, de chômeurs, d'exploités qui recherchent une politique rompant avec celle de soumission et d'adaptation à la mondialisation impérialiste." (...) " Les résultats obtenus par les candidats de LO, de la LCR, de VDT, etc. lors des élections présidentielles, régionales ou cantonales attestent qu'un regroupement massif est aujourd'hui possible sur le plan électoral (...)".

 

Ainsi, Carré rouge laisse entendre qu'il appellera à voter pour la liste LO-LCR.

Or, LO et la LCR ont conclu un accord dont le contenu est exposé dans une "profession de foi" commune. Selon cet accord, une liste LO-LCR serait présentée aux prochaines élections à l'Assemblée européenne. Le "projet de profession de foi LO-LCR" s'intitule: " Pour l'Europe, des mesures radicales contre le chômage" (la virgule n'est pas une coquille). On ne sait pas de quelle Europe il s'agit ("Pour l'Europe").

Mais le texte débute ainsi : "L'Europe unie, sans frontières entre les peuples, c'est l'avenir". Maintenant, on sait qu'il s'agit d'une Europe sans frontières. Va-t-on apprendre quelle est la nature de classe des états qui constitueront cette "Europe sans frontières", de ce mot passe-partout de "peuples" ? Ouvrier ou bourgeois ? Le texte n'en dit pas un mot. Cependant, un préambule à ce texte, signé Alain Mathieu et François Ollivier, la LCR précise que le projet de profession de foi

"comprend une claire critique des Traités de Maastricht et d'Amsterdam, y compris du Pacte de stabilité (y compris, tout de même...). Une dénonciation claire de la droite et de l'extrême droite. Une opposition déterminée à la politique du gouvernement Jospin qui refuse de s'attaquer aux capitalistes (litote ou antiphrase?), qui ne combat pas radicalement (tout de même un peu ? après tout ne s'agit-il pas du gouvernement de la "gauche plurielle" ?) le chômage et la misère."

Le texte de la profession de foi nous indique quelles seraient les "mesures radicales contre le chômage". Citons :

 "Les bénéfices accumulés par les grandes entreprises devront servir à supprimer le chômage, au lieu d'alimenter les circuits financiers qui menacent l'économie d'une catastrophe majeure." Et encore : "Mais le gouvernement Jospin, comme ses prédécesseurs, refuse de puiser dans les profits énormes des grandes entreprises, seul moyen pourtant de financer la création d'emplois utiles, en nombre suffisant pour résorber le chômage et la précarité".

 

C'est ce qui s'appelle entrer en résonance, en l'occurrence avec ce qui suit:

"Les difficultés de l'emploi, de l'investissement réel, de la croissance perdurent tandis que continuent de se gâcher d'énormes masses d'argent en Bourse, en spéculations, en opérations financières (...)"

Cette dernière phrase est extraite... du journal l'Humanité du 2 juillet 1998 intitulé "Une loi pour mieux taxer les patrimoines financiers".

 

En fait de "mesures radicales", intention qui laisserait supposer qu'il faut combattre pour l'expropriation du capital, pour l'interdiction des licenciements, pour le socialisme, et pour cela pour le gouvernement ouvrier, pour les Etats-Unis socialistes d'Europe, "il faut imposer, poursuit le projet de profession de foi LO-LCR, beaucoup plus les revenus et taxer lourdement les profits spéculatifs." Comme le PCF, qui recommande un "prélèvement sur les profits financiers et les grandes fortunes". Ah, belle marquise, mais à "gauche de la gauche"...

 

Le Monde Diplomatique s'était fait l'initiateur de la fondation de l'association ATTAC (Association pour la taxation des transactions et l'aide aux citoyens). Y participaient les dirigeants de la FSU, du SNES, du Snuipp, du SNESsup, de la fédération CGT des Finances... Le but de l'ATTAC fut formulé ainsi :

" il faut en revenir à un régime dans lequel la finance est non le maître, mais le serviteur de l'investissement et de la production " "retirer aux investisseurs institutionnels la capacité de dicter leur politique" (le Monde du 8/09/98).

Ces phrases sont extraites d'une interview donnée par F. Chesnais, membre du conseil scientifique de l'ATTAC est l'un des promoteurs de l'appel de Carré Rouge.

 

La boucle est bouclée. Ils partagent tous le même constat : le capitalisme serait malade de la finance, il s'agirait de le curer en quelque sorte. Au contraire, avec Marx nous disons :

"Si vers la fin d'une période commerciale déterminée, la spéculation apparaît comme le prodrome immédiat de l'effondrement, il ne faudrait pas perdre de vue que la spéculation a été engendrée elle-même par la phase précédente du cycle, de telle sorte qu'elle n'est qu'un résultat et un phénomène et non la cause profonde et la raison. Les économistes qui prétendent expliquer les secousses régulières de l'industrie et du commerce par la spéculation ressemblent à l'école désormais morte de la philosophie de la nature qui considérait la fièvre comme la véritable raison de toutes les maladies."

(recueil "La crise" ed. 10/18, p.162)


Les points sur les i


La profession de foi LO-LCR précise : "Pourtant, l'Europe dont ont besoin les salariés, les chômeurs les jeunes c'est : (suit une liste de revendications depuis les droits démocratiques, jusqu'à l'annulation de la dette du tiers-monde en passant par le droit à l'avortement, le respect de l'environnement, la régularisation des sans-papiers, etc.). Pour toutes ces raisons, dit la profession de foi : (suit là encore une série de revendications telles que "cesser les cadeaux de l'état au grand patronat", "donner la priorité à des services publics de qualités", "interdire les licenciements collectifs", etc., etc. ), il faudrait voter pour la liste LO-LCR, ce qui serait "approuver une politique de mesures radicales (...), affirmer que pour une Europe sans chômage et sans misère, il faut enlever aux capitalistes le contrôle de l'économie". Etc., etc.

Grandes déclarations. Mais quel moyen, à l'aide de quel instrument enlever aux capitalistes le contrôle de l'économie? Aucune réponse. Rien, absolument rien quant au combat à mener pour un gouvernement ouvrier. Rien, absolument rien sur les Etats-Unis socialistes d'Europe. Et Carré Rouge, qui se prononce pour des "Etats-Unis socialistes  et démocratiques d'Europe", dans "l'année particulière de 1999" appelle à voter pour la liste LO-LCR... dont la profession de foi n'en dit pas un mot. Cela doit s'appeler de la stratégie. Pire : Carré Rouge ne dit à aucun moment que la profession de foi LO-LCR ne dit rien à ce sujet. Tactique ?

En fait, ces refrains remplissent une fonction : protéger le capitalisme, tout au plus chercher à l'aménager, d'aucuns diront de le dépasser. Et Carré Rouge, qui fièrement pose la question en tête de son éditorial du n° 9 de sa revue (octobre 1998), " "Corriger" le capitalisme, ou le balayer" finit par apporter son aide zélée à cette entreprise.


Pour la dictature du prolétariat


Il n'est pas de bon ton, aujourd'hui que toutes les forces attachées à la défense de l'ordre bourgeois se déchaîne contre le socialisme, de se prononcer pour la dictature du prolétariat. Dans ce contexte, l'appel de Carré Rouge déclare:

"la classe ouvrière et la jeunesse sont à la recherche de solutions politiques qui permettent d'échapper aux conditions qui leur sont faites par ce capitalisme triomphant " et que, "en cas de dépression mondiale, le besoin d'un programme anticapitaliste et d'une issue politique se dressant contre les solutions que vont préconiser les pays du G7, le FMI et l'Union européenne, se fera sentir de façon encore plus forte."

"Issue politique", "solutions"...Lesquelles ? L'appel ajoute :

"Contre les organisateurs du Traité de Maastricht, il faut élaborer avec les travailleurs, les militants, un programme d'urgence, de mobilisation des travailleurs en Europe et en France. Un tel programme permettrait de rassembler dans les usines, les localités, les villes, des regroupements militants contre l'Europe de Maastricht et d'Amsterdam, ouvrant la voie à la satisfaction des revendications, posant le problème du socialisme. (...)".

Un programme, même "un programme d'urgence"... mais qui ne pose pas la question du pouvoir, du gouvernent ouvrier. C'est-à-dire qui laisse en définitive les choses en l'état, qui n'est pas un programme, nous l'avons vu plus haut.

 

Au lieu de cela, on retient "une issue politique se dressant contre les solutions que vont préconiser les pays du G7, le FMI et l'union européenne", comme le dit l'appel. Eventuellement, on pourra soutenir telle ou telle disposition allant dans ce sens, comme le fait par exemple Jacques Kirsner dans le Monde à propos de la loi sur l'audiovisuel (J. Kirsner est aussi connu par les lecteurs de Carré Rouge sous un autre nom de plume. Sinon, qu'ils questionnent.) :

 "On peut donc proposer, critiquer, suggérer. C'est notamment l'objet de la discussion parlementaire, du débat démocratique (...). Le projet de loi, si limité et perfectible soit-il va dans la bonne direction : en cela, il s'oppose aux groupes privés. Je n'occulte rien: ni le refus d'abroger les lois Pasqua-Debré, ni les privatisations à marche forcée, ni la calamiteuse loi sur les 35 heures organisant précarité, flexibilité et baisse de salaires.

C'est-à-dire que j'apprécie que sur la télévision publique, comme sur l'AMI, le gouvernement donne l'impression d'aller dans une autre direction".

Non, toujours la même direction, celle de la défense de l'impérialisme français contre ses concurrents étrangers, comme l'a si bien expliqué Jack Lang, autre fervent anti-AMI, dans les colonnes du même quotidien.

 

Il est parfois fort utile de se reporter aux classiques du marxisme car ils portent le témoignage d'affrontements politiques que la classe ouvrière et l'avant-garde révolutionnaire ont eu à mener dans le combat pour la révolution prolétarienne et qui ressemblent étrangement au combat qu'il faut mener aujourd'hui.

 

Commentant la lettre de Marx  à Weydemeyer (1852), Lénine écrivait dans l'Etat et la révolution :

"L'essentiel de la doctrine de Marx, c'est la lutte des classes. C'est ce qu'on dit et c'est ce qu'on écrit bien souvent. Mais c'est inexact. Et, de cette inexactitude, résultent couramment des déformations opportunistes du marxisme, des falsifications tendant à le rendre acceptable pour la bourgeoisie. Car la doctrine de la lutte des classes a été créée non par Marx, mais par la bourgeoisie avant Marx ; et elle est, d'une façon générale, acceptable pour la bourgeoisie. Quiconque reconnaît uniquement la lutte des classes n'est pas pour autant un marxiste ; il peut se faire qu'il ne sorte pas du cadre de la pensée bourgeoise et de la politique bourgeoise. Limiter le marxisme à la doctrine de la luttes des classes, c'est le tronquer, le déformer, le réduire à ce qui est acceptable pour la bourgeoisie.

Celui-là seul est un marxiste qui étend la reconnaissance de la lutte des classes jusqu'à la reconnaissance de la dictature du prolétariat. C'est ce qui distingue foncièrement le marxiste du vulgaire petit (et aussi du grand) bourgeois. Il n'est pas étonnant que lorsque l'histoire de l'Europe eut amené la classe ouvrière à aborder pratiquement cette question, tous les opportunistes et les réformistes, mais aussi les "kautskistes" (ceux qui hésitent entre le réformisme et le marxisme) se soient révélés de pitoyables philistins et des démocrates petits-bourgeois, négateurs de la dictature du prolétariat." (tous les mots soulignés le sont par Lénine).

Notre Comité reprend ces citations à son compte. Mais nous voilà déjà accusés "d'ânonner les textes sacrés" (Charles Jérémie, dans le numéro de Carré Rouge déjà cité). Notre Comité les fait siennes car elles sont l'expression de ce qui est nécessaire au prolétariat pour vaincre contre la bourgeoisie, de ce qu'il faut réaffirmer aujourd'hui pour dresser "un cadre unitaire" afin de combattre pour un état ouvrier et pour organiser la production selon le besoin des masses ; nous les faisons nôtres car elles sont les bases sans lesquelles ne pourrait se construire le parti révolutionnaire, l'instrument indispensable pour parvenir à cet objectif.


Contre le gouvernement


Mais construire un tel parti ne peut se faire que sur une orientation claire de combat contre le gouvernement Jospin-Gayssot-Chevènement-Voynet-Zuccarelli et sa politique au service du capital. Or, la prise de position mentionnée plus haut de J.Kirsner dans les colonnes du Monde en faveur d'un soutien, fut-il "critique", au gouvernement n'est pas un accident. C'est l'application de la ligne tracée depuis les élections de juin 1997 dans Carré Rouge.

Dès le n°5 de cette revue (été 1997), F.Chesnais, énumérant (p.11) les "engagements" du gouvernement que sont les "emplois-jeunes" et les (dites) "35 heures", concluait:

"les engagements du gouvernement Jospin sont donc des plus modestes (sic! - Ndlr). Rocard et Delors , dès le début de la campagne, les ont pourtant jugés "irréalistes". Ils n'ont d'ailleurs pas tort, car même pour les mettre en œuvre, il faut aujourd'hui être disposé à récupérer l'usage des moyens de politique économique actuellement perdus, et pour cela porter un tant soit peu (mais point trop n'en faut – Ndlr) aux "prérogatives de l'entreprise" ainsi qu'aux positions du capital financier. "

S'est vérifié depuis que, pour créer des dizaines et des dizaines de milliers d'emplois précaires et les utiliser comme cheval de Troie contre le statut de la fonction publique; que pour lancer les "négociations" qui, au nom des "35 heures", servent à détruire les conventions collectives, point n'était besoin de s'en prendre aux "prérogatives des entreprises", au "capital financier": tout au contraire.

 

La forme prise par ces attaques contre le prolétariat et la jeunesse était nécessaire au gouvernement pour faciliter l'engagement à ses côtés des dirigeants syndicaux CGT, FO, FSU et FEN. La revue Carré Rouge, qui n'a jamais un mot trop dur pour les directions syndicales, pas plus que n'en ont la LCR et LO qu'elle veut soutenir aux élections européennes, s'est inscrite totalement "pour" l'application de ces mesures prises par le gouvernement dirigé par Jospin.

 

Le soutien apporté à ce gouvernement au service du capital montre ce qu'il en est des grandes phrases de Carré Rouge sur le socialisme: elles s'évaporent à la lumière des faits.


A propos du mot d'ordre de Carré Rouge : "Etats-Unis socialistes et démocratiques d'Europe"*


Carré Rouge corrige le mot d'ordre internationaliste révolutionnaire "Etats-Unis socialistes d'Europe" en ajoutant "démocratiques". La perspective des Etats-Unis socialistes d'Europe, indique l'appel,

"a été la réponse proposée à l'aspiration des peuples d'Europe, des nations européennes, à un continent de paix, de progrès, de civilisation, à leur haine des dictatures et du fascisme, de l'holocauste et des génocides ; la réponse à leur aspiration à la démocratie et à la liberté. Car la perspective des Etats-Unis socialistes d'Europe contient une partie de la réponse à la question absolument vitale des rapports entre le socialisme et la démocratie."

Mais quels sont ces rapports ? Et de quelle démocratie s'agit-il ? Il est difficile de suivre le texte dans ses contorsions, dans ses silences. Nous n'apprendrons rien d'autre qu'il s'agit de démocratie, un point c'est tout. Répétons-le : il n'y a pas de "démocratie" en général. Il y a la démocratie ouvrière, ou la démocratie bourgeoise. Ne pas le préciser c'est parler de la démocratie bourgeoise, la forme démocratique de la dictature (domination) de la bourgeoisie sur la classe ouvrière.

 

Le texte de Carré Rouge poursuit :

"Le stalinisme a prétendu se justifier en affirmant que le socialisme était possible "dans un seul pays". On sait ce que cette prétendue "théorie" a coûté à l'humanité. Pour vaincre, le socialisme doit s'organiser à l'échelle des continents. C'est à cette question que la perspective des Etats-Unis socialistes et démocratiques d'Europe fournit une réponse."

Et hop, "démocratiques" est passé ! Sans plus d'explication. Et la suite du texte n'en fournit pas davantage. Pourtant, quelques indices permettent de s'y retrouver, de lever le voile (rouge) sur la signification réelle du mot d'ordre de Carré (rouge). L'un des éminents animateurs de cette revue zélée donne la clé pour comprendre. Dans un article connexe publié dans le même numéro, Charles Jérémie, du même nom que le prophète qui s'était détaché du Temple et de son culte, avoue ses questionnements, ses renoncements :

"qui, écrit-il, peut sérieusement soutenir, après le stalinisme, sa noire et sanglante nuit sur les peuples, qui peut aujourd'hui prétendre que cette stratégie, celle de la dictature du prolétariat (nous y voilà !) soit encore fondée ? (...) Qui encore, poursuit-il, peut considérer que la classe ouvrière fera du socialisme son objectif, et pas seulement celui d'une avant-garde, sans que cette finalité lui garantisse plus de liberté, plus de démocratie, un état par lui dirigé, un état minimum, un état ouvrier démocratique (...)".

 

Il est des rapprochements qui permettent de comprendre bien des choses. Charles Jérémie dit tout haut ce que ne dit pas l'appel de Carré Rouge. Et Charles Jérémie reprend en choeur ce que d'autres proclament :

"...force est de constater que les responsables bolcheviks, Lénine en tête, poussent le zèle terroriste à des extrémités que même les circonstances terribles n'exigeaient pas (...). Rien ne justifiait que, de la dictature théorique du prolétariat, on passât insensiblement vers la dictature du parti (...) Sans doute tiendra-t-on compte d'une attention insuffisante accordée à la démocratie jugée "bourgeoise" (...) La "dictature du prolétariat", la nécessité de la guerre civile et le "centralisme démocratique" faisaient un tout. En lui-même, ce tout (remarquez le "tout") ne portait pas à l'horreur du stalinisme. Mais il installait une faille dans le dispositif communiste. Staline s'y engouffra."

(Roger Martelli, dans un article intitulé "La démocratie a une valeur universelle" (sic) publié dans l'Humanité le 9 janvier 1998, plusieurs mois avant que ne soient rédigé l'appel de Carré Rouge et l'article de Charles Jérémie. Martelli est membre du Comité national du PCF.)

 

Entretenir la confusion entre stalinisme et la dictature du prolétariat, entre stalinisme et socialisme en fin de compte. Un amalgame auquel se livrent, aujourd'hui encore plus après la dislocation de l'URSS et la restauration du capitalisme en URSS, toutes les forces politiques attachées à la défense de l'ordre bourgeois et ceux qui les subissent, et qui a pour conséquence d'ajouter à la confusion et au désarroi politique de la classe ouvrière et de la jeunesse. Un discours qui rend la révolution russe, le bolchevisme et, en fin de compte, le marxisme responsables du stalinisme. C'est d'ailleurs pourquoi on trouve dans les premières lignes de l'appel de Carré Rouge l'étrange formule suivante "stalinisme soviétique". Alors que le stalinisme s'est imposé par la répression sanglante de l'avant-garde, du prolétariat et de la jeunesse russes, contre le régime des soviets, c'est-à-dire les formes vivantes, concrètes, démocratiques, de la dictature du prolétariat.

 

Encore une fois revenons "aux textes sacrés" qui ne sont pas pour nous des dogmes mais des guides pour l'action. Dans la Critique du programme de Gotha et d'Erfurt (Marx et Engels) on peut lire :

"Entre la société capitaliste et la société communiste, se place la transformation révolutionnaire de celle-la en celle-ci. A quoi correspond une période de transition politique où l'état ne saurait être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat." A cet endroit, Engels note : "Déjà en 1852, Marx écrit dans une lettre à Weydemeyer "que la lutte des classes mène nécessairement à la dictature du prolétariat".

 

Libre à Charles, Jérémie, Jacques et consorts de suivre leur voie. La nôtre reste celle du combat pour le socialisme, du gouvernement ouvrier, de l'expropriation du capital, des Etats-Unis socialistes d'Europe. Libre à eux de tenir leurs journées d'étude dans le "cadre unitaire" dont ils ont fixé les contours. Ce n'est pas le nôtre.


Combattre pour le socialisme


La seule voie pour le prolétariat, c'est que soit menée une politique basée sur la satisfaction de ses besoins, en rompant avec les exigences du capital. C'est d'assurer son droit au travail en interdisant les licenciements et le travail précaire, en instaurant l'échelle mobile des heures de travail, c'est à dire la diminution massive du temps de travail, sans toucher aux acquis ni aux salaires, jusqu'à l'embauche de tous ceux qui veulent travailler. C'est la garantie des salaires par l'échelle mobile des salaires. C'est de garantir le droit à un logement décent pour tous les travailleurs. C'est d'instaurer l'égalité des droits, y compris politiques, pour tous les travailleurs, quelle que soit leur origine.

 

Ces revendications sont vitales pour le prolétariat, et la crise qui s'avance les rendra encore plus brûlantes. Elles ne sont pas exhaustives. Mais aucune n'est supportable pour le régime capitaliste. Pour qu'une telle politique soit menée, le prolétariat doit prendre le pouvoir, exproprier les groupes capitalistes qui détiennent aujourd'hui les moyens de production et les banques, briser l'Etat bourgeois, porter au pouvoir un gouvernement ouvrier, appuyé directement sur la population laborieuse et la jeunesse, organisée dans les organismes que sa lutte fera surgir, comités, conseils.

Ainsi il sera possible d'élaborer et de réaliser un plan de production fondé sur la satisfaction des immenses besoins des masses et non plus du profit.

Au pouvoir, le prolétariat dénoncerait la dette publique, les accords entre puissances capitalistes tels l'Union Européenne et son "Euro", l'OTAN, etc. Il combattrait pour l'émancipation réelle de la tutelle impérialiste des peuples des pays semi-coloniaux, pour la république universelle des soviets, pour le socialisme.

 

L'ABC d'une telle politique, c'est le combat contre tout gouvernement au service du capital, c'est d'ouvrir cette perspective politique au prolétariat en termes concrets, en relation avec ses organisations traditionnelles, de mener une agitation permanente pour que celles-ci rompent avec la bourgeoisie et ses gouvernements, pour un gouvernement des partis ouvriers traditionnels sans représentants d'organisations bourgeoises.

 

La crise qui s'avance porte dans ses flancs une effervescence politique grandissante dans les rangs du prolétariat et de la jeunesse. L'engagement du processus de la reconstruction du mouvement ouvrier sur l'axe de la révolution prolétarienne est inéluctable. Mais seule la lutte sur l'orientation définie ci-dessus peut permettre que ce mouvement n'avorte pas de nouveau.

C'est le combat dans la continuité de ce que fut celui pour la IVe Internationale, fondée il y a 60 ans, qui pourra permettre au prolétariat de surmonter les obstacles que lui opposent ses vieilles organisations dégénérées, de construire des partis ouvriers révolutionnaires et une nouvelle internationale ouvrière révolutionnaire, instruments indispensables pour le mener à la victoire.

 

Le Comité National , le 9 janvier 1999

 

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* Schumacher, dirigeant du SPD, proposait en 1945 "une fédération démocratique et socialiste européenne" (cité dans Histoire de la RFA, P. Whal, Ed. Cursus).