Extrait de l'éditorial de Combattre pour le socialisme n° 75 (sptembre 1998)

 

Le prolétariat face à la crise qui vient

 

I. Vers une récession mondiale

Un événement politique considérable

une accélération brutale

Effondrement en Russie

Une récession mondiale s'avance

La "forteresse euro": une mystification

ce que signifie la crise économique pour le prolétariat

 

II. C'est la question du régime qui est posée

haro sur les "spéculateurs"

la véritable raison des crises

Un régime banqueroutier

L'amorce d'un tournant?

la seule issue: exproprier le capital

 

 

I. Vers une récession mondiale

Un événement politique considérable


Depuis le mois d'août, sur l'ensemble des places financières de la planète, "jeudis noirs", "vendredis noirs" et "lundis noirs" s'enchaînent. L'Asie, et surtout le Japon, est plongée dans une profonde récession économique. L'économie russe s'effondre. L'Amérique latine est entraînée vers le fond. Les dévaluations forcées se succèdent, y compris en Europe.

 

Une récession à l'échelle internationale s'annonce, comme l'indiquait le 23 septembre Alan Greenspan, directeur de la banque fédérale américaine: "la crise financière fait courir à l'économie américaine une risque accru de récession".

Cela vaut pour l'Europe, quoiqu'en disent les propagandistes de l'Euro et de l'Union Européenne.

 

Les derniers développements de la crise économique et financière démarrée en Thaïlande il y a un peu plus d'un an ont une importance considérable. Depuis plusieurs années, et en particulier depuis l'effondrement de l'URSS sans que la révolution politique ne déferle et la restauration du capitalisme, les porte-parole du régime capitaliste n'ont eu de cesse de marteler que le capitalisme était le seul mode de production viable, capable d'assurer l'avènement d'un nouvel ordre mondial. Nous devions entrer dans l'ère de la "mondialisation" dans laquelle la lutte des classes devrait quitter la scène de l'histoire au profit de la "citoyenneté". Pour la classe ouvrière, cela signifiait: "il te faut accepter les sacrifices, suivis encore d'autres, et demain, ça ira mieux". Les directions des organisations ouvrières traditionnelles se sont empressées de reprendre ce refrain, de répandre confusion et impuissance dans la classe ouvrière.

 

Et voilà maintenant que le régime capitaliste se trouve dans une situation où un des plus notoires des requins de la finance, George Soros, déclare devant la chambre des représentants des États-Unis: 

"le système capitaliste mondial, qui a engendré une remarquable prospérité dans ce pays ces dix dernières années, est en passe de se désintégrer."

 

On ne peut affirmer aujourd'hui que la crise actuelle débouchera immédiatement sur la dislocation du marché mondial et des échanges, un krach financier, précipitant l'humanité dans une catastrophe d'une plus grande ampleur encore que la crise des années 30. La bourgeoisie peut trouver un répit. Mais c'est bien une telle échéance qu'annoncent les développements en cours.


une accélération brutale


Début juin, l'aggravation de la situation économique au Japon qui s'est révélée au début juin, la chute du Yen qui en a suivi, malgré l'intervention de la Banque fédérale américaine, a précipité une nouvelle phase de la crise financière, boursière et économique, d'autant plus que s'y est conjugué une crise financière en Russie d'une telle ampleur qu'elle s'apparente à un infarctus.

 

En réaction, de la mi-juillet à la fin septembre, tous les indices boursiers des pays capitalistes dominants, Europe comprise, ont baissé de 15 à 25%. La bourse de New York a ainsi effacé toute sa progression depuis le début de l'année, celle de Toronto est en baisse plus de 10% sur la même période. En Asie, depuis le début de l'année, la bourse du Japon a reculé de près de 10% après un recul de près de 25% depuis juillet 1997. Pour les autres places financières, ce recul est environ de 20% en Corée (après 50% du 2 juillet au 31 décembre 1997), de 30% à Hongkong (après 30%). En Amérique latine depuis le début de l'année, le recul est proche de 50% en Argentine et au Chili, de 40% au Mexique et au Brésil (après 20% de recul).

En Afrique du Sud, la chute approche les 25%. Quant à la Russie, la chute des cours depuis janvier avoisine les 90%!

Il n'y a que dans l'Union Européenne où les indices boursiers gardent encore un bilan positif par rapport au début de l'année.

 

Une telle situation est grosse d'un krach boursier, et particulièrement aux États-Unis. Signes annonciateurs: la faillite frauduleuse le 23 septembre du plus gros fonds spéculatif de la planète, le "LCTM" américain, et le krach spectaculaire de l'action d'Alcatel, le 17 septembre.

 

Le rendement des actions américaines (le rapport entre leur cours et les dividendes servis) est tombé en dessous de 2%, le niveau le plus bas jamais atteint depuis le début du siècle. Or, le ralentissement économique annoncé implique la baisse des profits des entreprises, des dividendes servis, et peut entraîner le cours de leurs actions dans le gouffre. Paradoxalement, cela est partiellement compensé par le mouvement de "fuite vers la qualité": les banques, fonds de pension, les grands groupes capitalistes, se débarrassant précipitamment de leurs "actifs" douteux pour se réfugier dans les jupes de leur mère à tous: la dette publique des grandes puissances capitalistes dont ils achètent les titres, ce qui fait baisser leur rendement, et revalorise artificiellement le marché des actions.

Ce n'est pas tout. Successivement, à partir du début du mois  d'août, le Vietnam, la Russie, le Venezuela, la Norvège, la Colombie, l'Ukraine puis l'Équateur ont dévalué leur monnaie, plus ou moins ouvertement. Le même sort guette le dollar de Hongkong, le Yuan chinois (le président chinois déclarait le 2 septembre à propos du maintien de la parité du Yuan: "il est improbable que cela continue éternellement"). De plus, sans avoir été dévalués officiellement, les dollars canadien et australien sont au plus bas face au dollar américain depuis leur création, il y a plus d'un siècle.


Effondrement en Russie


Le plus marquant et le plus significatif est sans doute la situation en Russie. Loin de créer une situation stable, la restauration du capital y a précipité un profond chaos. Alors que depuis 1991, le PIB avait déjà chuté de plus de moitié, la situation des masses s'aggravant rapidement, la seule véritable "croissance" qu'a permis le retour au capitalisme, outre celle des mafias et de la décomposition sociale, c'est celle des dettes.

La dette représentait 44% du PIB en juillet contre 28% un an auparavant. Le déficit budgétaire a atteint 7% du PIB.

 

Il était parfaitement logique que, pour tenter de récupérer une partie des pertes qu'ils ont subies en Asie, les différentes fractions du capital financier se débarrassent de leurs "actifs" particulièrement douteux en Russie, entraînant ainsi la chute du rouble. Dès la mi-mai, la banque centrale russe devait rémunérer les placements en rouble à 50%, puis à 150% fin mai, pour freiner la fuite des capitaux, avant d'appeler le FMI à l'aide. Le 13 juillet, celui-ci mettait sur pied prêt qualifié "d'historique", d'un montant de 22,6 milliards de dollars, en échange d'un nouveau "plan anticrise" élaboré par le gouvernement Elstine-Kirienko. Le premier versement du FMI, de 4 milliards de dollars, passait entièrement dans la défense du rouble. En vain. Le 17 août, le rouble est dévalué et plonge par rapport au dollar. La Russie en banqueroute décrète un moratoire sur sa dette publique.

Dans tous le pays, l'effondrement du rouble, à un point qu'il ne remplit plus de fait les fonctions d'une monnaie a entraîné la paralysie foudroyante de l'économie et des échanges.

 

Les banques en faillite ne peuvent rembourser leurs clients qui affluent aux guichets dans des scènes identiques à celles qui ont suivi le krach de 1929. La pénurie alimentaire menace plusieurs régions. Une inflation dévorante s'engage. Une nouvelle vague de centaines de milliers de licenciements s'annonce. Les gouverneurs des régions, nouveaux boyards de la Russie, s'engagent dans un "chacun pour soi" qui préfigure une dislocation complète de la fédération de Russie.


Une récession mondiale s'avance

 


Les profondes secousses qui ébranlent la sphère financière traduisent l'arrivée d'une nouvelle crise économique.

Cette crise s'était annoncée. Dès septembre 1996, Combattre pour le Socialisme caractérisait de "signal d'alarme" la déflation, la baisse des prix, qui refaisait son apparition pour la première fois depuis les années trente. Effectivement, cette baisse traduisait la marche à une nouvelle crise de surproduction. Celle-ci a été particulièrement sensible pour les pays d'Asie du sud-est, car, d'une part, les secteurs les plus touchés étaient ceux qui concernaient les principaux secteurs industriels de ces pays (semi-conducteurs, microprocesseurs, mémoires d'ordinateurs), et, d'autre part, d'importantes augmentations de salaires y avaient été arrachées par le prolétariat, réduisant ainsi le taux de profit.

 

C'est ce ralentissement économique à partir de 1996 qui a provoqué l'effondrement des places financières (voir CPS n°69). A son tour, la crise financière a attisé et accéléré la crise économique en précipitant la faillite d'entreprises, et surtout de banques, dont l'essentiel du "capital" est fait de ce papier monnayable (actions, obligations etc...) de ces "actifs" financiers. La crise économique s'étend, inexorablement.

 

Les prévisions du FMI sur la croissance mondiale pour 1998, , qui étaient de 4,25% en octobre 1997, ne sont plus que de 2%.

En Asie, bien que les différentes prévisions soient révisées à la baisse jour après jour, elles permettent de se faire une idée de l'ampleur de la catastrophe. Le Japon, deuxième puissance économique de la planète, a connu son quatrième trimestre de recul économique consécutif au deuxième trimestre de l'année, subissant sa plus grande crise depuis la seconde guerre mondiale. Son PIB devrait reculer de 2% cette année. La banque centrale japonaise a en réaction diminué ses taux d'intérêts à court terme pour les amener à 0,25%.

"Cette décision a été interprétée comme le geste désespéré d'une banque centrale qui craint l'effondrement possible d'un système financier asphyxié par les créances douteuses et incapable de réinjecter des liquidités dans une économie minée par le doute" (Le Monde, 13/14 septembre).

 

En Corée du sud, le PIB a reculé de 3,9% au premier trimestre, de 6,6% au second. Sur l'année, le recul annoncé atteindrait les 8%! Pour la Malaisie, le recul devrait être de 7%, pour Hongkong, d'au moins 5%. Là encore, une telle débâcle est sans précédent depuis la seconde guerre mondiale.

Enfin, l'Indonésie connaît ce que l'on doit appeler un véritable effondrement. Selon les prévisions, le PIB y diminuerait de 17 ou de 25%, nul n'étant capable de le dire avec certitude.

 

Cette récession générale en Asie, avec une telle ampleur accroît à son tour la crise de surproduction mondiale qui l'a précipitée.

D'abord, en accroissant mécaniquement la pression à la baisse dans le monde entier sur les prix des marchandises produites dans cette zone, une concurrence accrue.

C'est particulièrement net pour ce qui est des matières premières. Selon l'indice Merrill Lynch publié par L'Expansion, le prix des matières premières a reculé de 24% sur un an.

Il en va de même dans le secteur de l'informatique, des communications, mais aussi de la sidérurgie. Résultat: la baisse des prix empêche la réalisation sur le marché de la plus-value créée dans la production: elle amène à la baisse des profits.

 

Ensuite, il se trouve que la croissance mondiale de ces dernières années a été puissamment tirée par le développement du commerce mondial, et notamment par le dynamisme de l'Asie du sud-est. Leur crise implique: la contraction brutale de ces marchés jusque là "porteurs".

 

Enfin, l'effondrement ou la baisse des marchés financiers, la dévalorisation des actifs financiers entraînent une brutale restriction de l'activité des banques, de leur capacité de prêt, annoncent une contraction importante du crédit.

 

C'est pourquoi, d'ores et déjà, de nombreux signes attestent du ralentissement économique engagé partout sur la planète. C'est le cas en Amérique du sud. Selon L'expansion, le Brésil, économie déterminante dans cette zone connaîtrait en 1999 une récession avec une croissance négative de 2,5%, après une stagnation en 1998. Mais encore une fois, on peut attribuer à ces prévisions qu'une valeur de tendance. Il est plus que probable que dès cette année, les effets de la crise seront plus profonds qu'il est annoncé.

 

Mais c'est surtout l'économie la plus puissante du monde, celle des USA, particulièrement menacée par la crise en Amérique du Sud et celle qui point au Canada, qui donne des signes de ralentissement: en rythme annuel, la croissance n'a été que de 1,6% au second trimestre. De son côté, le patronat britannique annonce une stagnation économique pour 1999 dans son pays.


La "forteresse euro": une mystification


Et pourtant, Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie et des finances de son état, affirmait encore le 27 août, sourire aux lèvres: "il n'y a pas lieu de s'inquiéter outre mesure", avant que d'annoncer lors de la présentation de son budget, le 9 septembre, qu'il tablait sur une croissance de 2,7% pour 1999 au lieu d'une prévision initiale de 2,8%. Mais comme le souligne Le Monde du 10 septembre:

"Pour ne pas semer l'inquiétude, le ministre des finances est obligé de minimiser les conséquences de la crise financière internationale".

 

A en croire le ministre des finances, il y aurait un "effet euro" qui protégerait les 11 participants à la monnaie unique des effets de la crise. Cette chanson, on la connaît: c'est "tout va très bien, madame la marquise"...

 

Mais pas plus que les USA, l'Union Européenne ne saurait être à l'abri. D'ailleurs, au premier trimestre 1998, le PIB de l'Italie a reculé de 0,4% en rythme annuel. En Allemagne, au second trimestre, le PIB a stagné. En France, la chute des prix commence a toucher des secteurs de plus en plus nombreux dans l'industrie (sidérurgie, énergie, chimie) et l'agriculture (l'effondrement en Russie a fait chuter les cours du porc).

Il est tout à fait révélateur que les actions des banques françaises aient chuté les 10 et 11 septembre, après la publication de résultats affichant pourtant des profits records, comme beaucoup d'entreprises françaises. C'est qu'en même temps que leurs profits, elles révélaient qu'elles pourraient perdre des dizaines de milliards de francs en Asie et en Russie.

 

Et que dire du krach de l'action d'Alcatel, -38% sur la seule séance du 17 septembre! C'est l'action d'un des groupes emblématiques du capitalisme français, engagé dans les secteurs de pointe, qui s'est effondrée, après pourtant l'annonce d'importants profits. Cela montre la conscience que commencent à avoir les financiers que, si les profits records perdurent encore, il en ira tout autrement à l'avenir.

 

Circonstance aggravante, le dollar amorce un sérieux mouvement à la baisse par rapport aux monnaies de la "zone Euro". Sa cause immédiate est la baisse de Wall Street, donc la revente d'actifs libellés dans cette monnaie, sa cause profonde les déficits commerciaux records des USA. Ainsi, l'impérialisme américain qui laisse filer le dollar montre qu'il entend bien "partager les fruits" de la crise économique avec l'Europe.


ce que signifie la crise économique pour le prolétariat


La situation des masses en Asie permet d'esquisser ce que sont les conséquences de la récession pour le prolétariat, y compris pour les classes ouvrières des pays capitalistes dominants. Le Japon compte 600 000 chômeurs de plus en un an. En Corée du sud, le chômage est passé de 2,5% en juillet 1997 à 8,6% en juillet. En Thaïlande, 700 000 licenciements ont eu lieu depuis un an. En Indonésie, plus de la moitié de la population est passée sous le "seuil de pauvreté" (qui est de 24 francs par mois!), contre 20% de la population il y a un an.  La famine progresse. Il faut y ajouter la baisse générale des salaires, l'intensification de l'exploitation des travailleurs qui ne sont pas au chômage.

 

C'est ce qui s'annonce partout dans le monde: les bourgeoisies vont chercher à faire payer la crise aux masses.

 

En Europe, le gouverneur de la Banque Centrale Européenne, Duisenberg, constatant: "l'environnement économique et financier de la future zone euro s'est clairement dégradé", en appelle le 11 septembre à de nouveaux coups: "si les gouvernements s'en tiennent uniquement aux objectifs initiaux en matière de déficits pour 1999, la position structurelle des budgets de nombreux pays de la zone sera détériorée".

 

Voilà ce à quoi le prolétariat français, lui aussi, doit se préparer: une offensive d'une violence extrême contre tous ses acquis, d'une toute autre ampleur que les coups, pourtant sérieux, qui lui ont déjà été portés.


 

II. C'est la question du régime qui est posée

 


Pour le prolétariat mondial, l'alternative se pose objectivement dans ces termes: "socialisme ou barbarie". Devant lui se présentent des années qui seront dures et plus que tourmentées.

 

Dans un premier temps, la crise signifie pour le prolétariat de nouveaux coups, l'aggravation brutale de ses conditions d'existence. Mais c'est une loi de l'histoire que les développements de toute crise économique d'envergure propulse la lutte des classes. De grands combats de classes s'engageront. Tout dépend de savoir si le prolétariat pourra, dans ces grands événements, surmonter son extrême confusion politique actuelle, renouer avec les enseignements fondamentaux d'un siècle et demi de lutte pour l'émancipation de la classe ouvrière. Et cela alors qu'il subit de plein fouet une entreprise de désarmement politique portée par les appareils de ses organisations traditionnelles, entreprise qui a connu une grande impulsion à partir de l'engagement de la restauration du capital en ex-URSS. En dernière analyse: tout se ramène à la question de surmonter  la crise de la direction révolutionnaire.

 

Comme Léon Trotsky l'écrivait en 1935:

"Le révolutionnaire prolétarien doit comprendre avant tout que le marxisme, unique théorie scientifique de la révolution prolétarienne, n'a rien de commun avec l'attente fataliste de la "dernière crise". Par son essence même, le marxisme est une direction pour l'action révolutionnaire. Il n'ignore pas le courage et la volonté, mais les aide à trouver la voie juste.

Aucune crise ne peut d'elle-même être mortelle pour le capitalisme. Les oscillations de la conjoncture ne font que créer une situation dans laquelle il sera pour le prolétariat plus facile ou plus difficile de renverser le capitalisme. (...)

Si pourtant le parti ouvrier, malgré les conditions favorables, se révélait incapable de mener le prolétariat à la prise du pouvoir, la vie de la société continuerait sur des bases capitalistes - jusqu'à une nouvelle crise ou une nouvelle guerre, et peut-être à l'effondrement total de la civilisation européenne".

(Encore une fois, où va la France)

 

Au moment présent, les masses laborieuses, la jeunesse, sont désarmées face à la question cruciale: quelle est l'origine de la crise, quelle politique y opposer?

Fort révélatrice de ce désarroi est la situation en Indonésie. Des centaines de milliers de manifestants ont exigé la fin de Suharto et de son régime. Les étudiants, appuyés sur l'ensemble de la population laborieuse, ont occupé le parlement. En catastrophe, sous l'injonction de l'impérialisme américain, Suharto a été escamoté au profit d'un clone, Habibie. Les manifestations ont cessé, alors que la situation ne cesse d'empirer. Il est certain que cette première explosion sera suivie d'autres, mais l'expectative qui s'est provisoirement réinstallée montre combien sera long le chemin à parcourir.

 

Et dès maintenant, en Europe, en France, les appareils des organisations ouvrières s'emploient à accroître la confusion.


haro sur les "spéculateurs"


A l'Université d'été du Parti Socialiste, L.Jospin déclare:

"(...) les crises financières  nous rappellent que le capitalisme est peut-être une force qui va (sic!), mais qui ne sait pas où elle va. La mission des socialistes est d'en maîtriser le cours, de le réguler et de le transformer pour plus de justice."

Pour sa part, lors de la fête de l'Humanité,

"M. Robert Hue a beaucoup insisté sur la "tourmente financière" - crises russe et asiatique - "dont il est illusoire de penser que l'Europe est à l'abri", puisque cette dernière est placée "sous la domination des marché financiers" (Le Monde du 15 septembre).

 

Les appareils syndicaux ne sont pas en reste: celui de FO, liés au PS, prônent la "régulation" depuis longtemps; celui de la CGT reprend les antiennes de la place du colonel Fabien sur "la domination des marchés financiers".

Dans ce registre, il faut noter la participation des dirigeants de la FSU, du SNES, du SNUIPP, du SNESup, ou encore de la fédération CGT des finances, à la fondation d'une association lancée par le Monde Diplomatique: l'ATTAC (Association pour la Taxation des Transactions et l'Aide aux Citoyens). Son objectif? Laissons la parole à François Chesnais, membre du conseil scientifique de cette association (interview publiée par Le Monde du 8/09):

" il faut en revenir à un régime dans lequel la finance est non le maître, mais le serviteur de l'investissement et de la production", "retirer aux investisseurs institutionnels la capacité de dicter leur politique",

 

L'ATTAC revendique l'instauration d'une taxation sur les transactions, dans la lignée de la "taxe Tobin", que Jospin avait reprise à son compte pendant la campagne des présidentielles de 1995. L'objectif de la "taxe Tobin" , selon Chesnais, était de:

"préserver l'autonomie des gouvernements en matière de politique macro-économique".

 

Ainsi, tous partagent le même constat: le capitalisme serait malade de sa finance, il s'agirait donc de le curer, et pas d'en finir avec lui, de "revenir" en arrière en rendant au gouvernements leur "autonomie" perdue (sic!), pour Chesnais et ses compères du Monde Diplomatique, de le "réguler" selon Jospin pour qu'il retrouve jeunesse et vigueur.

 

Au contraire, la situation vérifie ce qu'écrivait Marx:

"Si vers la fin d'une période commerciale déterminée, la spéculation apparaît comme le prodrome immédiat de l'effondrement, il ne faudrait pas perdre de vue que la spéculation a été engendrée elle-même par la phase précédente du cycle, de telle sorte qu'elle n'est qu'un résultat et un phénomène et non la cause profonde et la raison. Les économistes qui prétendent expliquer les secousses régulières de l'industrie et du commerce par la spéculation ressemblent à l'école désormais morte de la philosophie de la nature qui considérait la fièvre comme la véritable raison de toutes les maladies."

(recueil "La crise" ed. 10/18, p.162)


la véritable raison des crises


La seule "régulation" que le mode de production capitaliste ait jamais connu, c'est précisément au moyen de crises chroniques.

Ces crises du mode de production capitaliste sont le produit de la contradiction entre le caractère social de la production et le caractère privé de l'appropriation des moyens de production, qui pousse à une production sans cesse élargie pour poursuivre l'accumulation du capital, pour cela à la diminution tendancielle de la capacité de consommation des larges masses.

En liquidant et dévalorisant le capital existant, elles permettaient un redémarrage sur un échelle plus large et relativement assainie de l'accumulation du capital.

 

Mais le mode de production capitaliste est rentré au début de ce siècle dans son époque impérialiste. Avec la domination des monopoles, la fusion du capital industriel et du capital bancaire pour former le capital financier, caractérisé par l'exportations de capitaux; avec le partage du monde entre les grandes puissances capitalistes et leurs grands groupes, il a perdu la souplesse qui permettait aux crises de jouer pleinement leur rôle. Aussi, ces dernières n'ont pu être surmontées qu'en développant considérablement le système de crédit pour aboutir à une véritable cavalerie financière des emprunts en couvrant d'autres. Au cœur de ce développement se trouve la nécessité de financer les dépenses croissantes des États dans la sphère économique, dont la principale manifestation a été le développement de budgets d'armement colossaux.

"La dette publique a donné le branle aux sociétés par actions, au commerce de toute sorte de papiers négociables, aux opérations aléatoires, à l'agiotage, en somme, aux jeux de bourse et à la bancocratie moderne."  (K.Marx, Le Capital, Livre I, ch. 31).

 

Le développement du crédit, les débouchés artificiels ouverts par l'État aux groupes capitalistes, qui résultent de l'impasse historique du mode production capitaliste. Ils sont à l'origine du développement de la masse de titres (actions et obligations) qui sont échangés sur les marchés financiers. Mais la "valeur" de ces titres est fictive: les actions et obligations sont en fait du papier monnayable, ce sont des titres de propriété sur le capital réel qui ouvrent droit au versement des dividendes, ou des titres de créance sur l'État.

 

Aussi, la "revendication" d'utiliser "l'argent de la spéculation" dans la production que met en avant le PCF et que reprennent les dirigeants CGT et FSU est une escroquerie. Autant proposer d'attraper de la fumée à mains nues. Cette "exigence" n'a qu'un but: ne pas mettre en cause le mode de production capitaliste lui-même. Car c'est dans les rapports de production, pas dans ceux de distribution (comme l'expliquent les tenants de "la relance par la consommation") ou dans la "spéculation", qu'est l'origine de toutes les crises capitalistes.


Un régime banqueroutier


Avec la réapparition de la crise récurrente du mode de production capitaliste dans les années 70, un nouvel élargissement du système du crédit est devenu nécessaire. En août 1971, la convertibilité du dollar américain  en or était supprimée, permettant ainsi d'élargir considérablement les émissions monétaires et les emprunts pour couvrir des déficits croissants. Il s'agissait là du verdict de faillite du régime capitaliste, de l'affirmation que, pour fonctionner, le système financier devait s'affranchir de toute référence à une valeur réelle. S'en est suivie une vague d'inflation aux effets de plus en plus dislocateurs pour les échanges mondiaux.

 

Au début des années 80, au prix d'une profonde récession, un tournant dans le financement du parasitisme était opéré, vers une politique "monétariste": le recours à l'emprunt, aux marchés, pour financer les déséquilibres du capitalisme. Pour cela, les obstacles à la circulation des capitaux dans la sphère financière ont été progressivement levés, les marchés ont été décloisonnés, déréglementés, pour permettre à cette sphère de s'élargir sans cesse.

Ce développement du système de crédit et bancaire a pu être  "le moyen le plus puissant de faire dépasser à la production capitaliste ses propres limites" (Le Capital, livre III, ch. 36). Sans ce développement, la production n'aurait jamais atteint les dimensions actuelles.

Cependant il ne faut pas perdre de vue que la base sur laquelle a pu se poursuivre le développement du système de crédit, ce sont les coups assénés aux travailleurs qui ont permis d'accroître leur exploitation, coups dont les gouvernements Reagan et Thatcher ont donné le signal. Ce sont aussi les crédits massifs injectés par les États bourgeois pour soutenir l'économie directement ou à travers des organismes type FMI. Il faut le rappeler d'autant qu'on assiste à cet incroyable travestissement des choses qu'est la fable de la disparition des États face aux "marchés". C'est l'exact contraire.

 

Mais avec son développement, le système de crédit est devenu plus que jamais "un des véhicules les plus efficaces des crises et de la spéculation" (Ibid). Toute crise, avec les faillites qu'elle entraîne, voit ses effets décuplés par le château de cartes de crédits qu'elle fait s'écrouler. De plus, les exigences propres au maintien et au développement de ces "bulles de savon gonflées de capital-argent nominal" (Marx) pèsent de plus en plus lourdement comme un carcan sur l'économie capitaliste.

Pour que la cavalerie se poursuive, il faut une rémunération suffisante de l'argent investi dans la sphère financière. Il faut que soit honoré le payement, sinon du principal, du moins des intérêts de la dette. Il faut de même une stabilité monétaire pour garantir les investissements. Ce sont ces conditions que la crise économique est en train de mettre à bas. 


L'amorce d'un tournant?


En effet, une série de signes qui indiquent qu'une limite est proche d'être atteinte. Ce sont d'abord les dévaluations successives et contraintes qui ont déjà été mentionnées. Mais encore: le 11 août, l'Indonésie annonçait qu'elle interrompait le remboursement de sa dette, tout en continuant à en payer les intérêts. Le 1er septembre, le premier ministre de la Malaisie rétablissait le contrôle des changes, rejetant les conseils du FMI, en déclarant: "La seule façon de gérer l'économie est de nous isoler des spéculateurs". Le 3 septembre, la Corée du sud annonçait un plan de relance de la consommation, en creusant massivement les déficits publics, opérant ainsi "un virage à cent quatre-vingt degrés de la politique menée depuis l'entrée en fonction du président Kim Daejung" (La Tribune du 3 septembre). Début septembre encore, Hongkong restreignait les mouvements des capitaux pour limiter la chute de la bourse, suivi par Singapour.

 

Au Japon, Keizo Obuchi, le nouveau premier ministre annonçait dans son discours d'investiture le 7 août l'abandon de la loi, votée l'année précédente, qui prévoit le retour à l'équilibre budgétaire, alors que la dette publique du Japon atteint 100% du PIB et son déficit budgétaire 7% du PIB.

 

En Russie, après la dévaluation forcée du rouble était annoncé un moratoire unilatéral sur le payement de la dette, avant que les clans de la néo-bourgeoisie russe ne s'engagent dans une véritable fuite en avant pour tenter d'éviter sa soumission complète à l'impérialisme.

 

Le premier acte de Tchernomyrdine, une fois imposé à Elstine, était déjà d'annoncer un plan de restructuration de la dette russe au terme duquel, selon La Tribune du 27 août, les investisseurs "scandalisés" "ne devraient récupérer que 20% de leur mise". Le programme sur lequel Tchernomyrdine devait être investi, qui vaut sans doute encore pour Primakov, est résumé dans un document adopté fin août conjointement par la Douma, le Conseil de la Fédération et le gouvernement.

C'est "une réorientation totale de la politique menée jusqu'ici": "retour à l'émission monétaire, nationalisations dans les secteurs stratégiques de l'économie, soutien aux producteurs nationaux et protection des monopoles naturels" (Le Monde du 28 août). Mais les couches dominantes russes ne peuvent que s'incliner, en fin compte, devant l'impérialisme.

 

Mais les États capitalistes dominants eux-mêmes prennent conscience que leur capacité d'intervention va être de plus en plus restreinte s'ils ne peuvent accroître, comme le fait le Japon, leurs déficits, et éventuellement recourir à nouveau à l'inflation.

C'est pourquoi il est significatif que, après les États-Unis et la Grande-Bretagne, la France ait annoncé le 15 septembre, par la voix de D.Strauss-Kahn, l'émission d'obligations indexées sur l'inflation. On est jamais trop prévoyant.

 

Quand bien même la crise actuelle serait surmontée, ce ne serait que provisoire, dans la perspective de la dislocation du marché mondial. Le capitalisme ne peut revenir en arrière, se régénérer. Tout au plus peut-il espérer tenir repousser les échéances inéluctables le plus longtemps possible.


la seule issue: exproprier le capital


Combattre pour le socialisme l'a maintes fois expliqué: la situation dramatique des travailleurs et de la population des pays semi-coloniaux préfigure ce qui menace les prolétariats des pays capitalistes dominants si ce mode de production se survit. Les coups portés depuis des années, la destruction progressive bien qu'irrégulière des conquêtes ouvrières, les millions de chômeurs et de précaires, la transformation de couches entières du prolétariat et de la jeunesse en miséreux et en assistés, ne sont qu'un prélude.

 

La seule voie pour le prolétariat, c'est que soit menée une politique basée sur la satisfaction de ses besoins, en rompant avec les exigences du capital. C'est d'assurer son droit au travail en interdisant les licenciements et le travail précaire, en instaurant l'échelle mobile des heures de travail, c'est à dire la diminution massive du temps de travail, sans toucher aux acquis ni aux salaires, jusqu'à l'embauche de tous ceux qui veulent travailler. C'est la garantie des salaires par l'échelle mobile des salaires. C'est de garantir le droit à un logement décent pour tous les travailleurs. C'est d'instaurer l'égalité des droits, y compris politiques, pour tous les travailleurs, quelle que soit leur origine.

 

Ces revendications sont vitales pour le prolétariat, et la crise qui s'avance les rendra encore plus brûlantes. Elles ne sont pas exhaustives. Mais aucune n'est supportable pour le régime capitaliste. Pour qu'une telle politique soit menée, le prolétariat doit prendre le pouvoir, exproprier les groupes capitalistes qui détiennent aujourd'hui les moyens de production et les banques, briser l'État bourgeois, porter au pouvoir un gouvernement ouvrier, appuyé directement sur la population laborieuse et la jeunesse, organisée dans les organismes que sa lutte fera surgir, comités, conseils.

Ainsi il sera possible d'élaborer et de réaliser un plan de production fondé sur la satisfaction des immenses besoins des masses et non plus du profit.

Au pouvoir, le prolétariat dénoncerait la dette publique, les accords entre puissances capitalistes tels l'Union Européenne et son "Euro", l'OTAN, etc. Il combattrait pour l'émancipation réelle de la tutelle impérialiste des peuples des pays semi-coloniaux, pour la république universelle des soviets, pour le socialisme.

 

L'ABC d'une telle politique, c'est le combat contre tout gouvernement au service du capital, c'est d'ouvrir cette perspective politique au prolétariat en termes concrets, en relation avec ses organisations traditionnelles, de mener une agitation permanente pour que celles-ci rompent avec la bourgeoisie et ses gouvernements, pour un gouvernement des partis ouvriers traditionnels sans représentants d'organisations bourgeoises.

 

La crise qui s'avance porte dans ses flancs une effervescence politique grandissante dans les rangs du prolétariat et de la jeunesse. L'engagement du processus de la reconstruction du mouvement ouvrier sur l'axe de la révolution prolétarienne est inéluctable. Mais seule la lutte sur l'orientation définie ci-dessus peut permettre que ce mouvement n'avorte pas de nouveau.

 

C'est le combat dans la continuité de ce que fut celui pour la IVe Internationale, fondée il y a 60 ans, qui pourra permettre au prolétariat de surmonter les obstacles que lui opposent ses vieilles organisations dégénérées, de construire des partis ouvriers révolutionnaires et une nouvelle internationale ouvrière révolutionnaire, instruments indispensables pour le mener à la victoire.

 

C'est cette perspective d'ensemble qu'il s'agit de projeter dès maintenant, autour de laquelle il s'agit de s'organiser, dans la continuité des acquis de la IVe  Internationale, et de la lutte pour sa reconstruction (auxquels le numéro 73-74 de CPS est consacré, en hommage au combat de Stéphane Just).

 

Haut

 

Retour à la section: crises économiques

 

Retour à l'accueil