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Article paru dans Combattre pour le Socialisme  n°66 (février 1997)

Les routiers dupés: sous couvert de revendications de travailleurs,
les appareils syndicaux font passer les revendications des patrons

Le mouvement des salariés routiers, commencé le 18 novembre s’est achevé au bout de 12 jours. Les revendications des salariés routiers portent sur la retraite à 55 ans, l’augmentation des salaires, la réduction de l’exorbitante durée de travail et le paiement de toutes les heures de travail.

Ampleur et limites du mouvement des chauffeurs routiers

" Journées d’action "...

Le 14 octobre, les 5 fédérations syndicales, CGT, FO, CFDT, FNCR et CFTC lancent un appel pour le 18 novembre. Il s’adresse aux travailleurs des transports routiers, marchandises et voyageurs. Selon les termes de la CGT, " les fédérations considèrent le 18 novembre comme une étape à la mobilisation dans un processus d’actions coordonnées et convergentes qui ne restera pas sans lendemain ". La fédération CGT avait déjà fixé le cadre : " Ensemble, entreprise par entreprise, construisons une démarche offensive, coordonnée et convergente dans la branche du transport routier "(bulletin sept-oct 1996). Cette formulation, "entreprise par entreprise" est assassine et dérisoire quand on sait que 85% des 32 000 entreprises de la branche ont moins de 5 salariés.

... et "participation" : les 2 facettes d’une même politique

Une assemblée générale du Conseil national des transport est déjà fixée le 18 novembre. Le CNT est un organisme de " participation " où se retrouvent les représentants de l’État, des patrons et des syndicats (des relais existent au niveau régional, les CRT..). "1ère question mise en débat (...) : comment préparer le transport routier marchandises aux échéances de 1998 (ouverture du cabotage)" !

Lundi 18 novembre : Au lieu de la journée d’action attendue, c’est un mouvement qui jaillit de la base. Les travailleurs ne veulent pas d’une journée d’action. Ils commencent à organiser des barrages. Au fil des jours, ils vont s’étendre, autour des grandes villes de province. Des dépôts de carburant, des raffineries sont bloquées.. "Nous ne savions pas que cela continuerait sous cette forme", avouera le dirigeant de la fédération CGT des transports.

Cette mobilisation (essentiellement dans le transport routier de marchandises) surprend les dirigeants syndicaux. Elle ne les contraint pas pour autant à modifier leur orientation. Ils ne lancent pas le mot d’ordre de grève générale. Ils maintiennent les routiers sur leurs sites respectifs. La détermination des routiers ne faiblit pas mais ils restent confinés site par site. Paris est - et restera - exclu du blocus. Les dirigeants des Fédérations syndicales FO et CGT n’appellent pas à la constitution de Comités de grève, intégrant les responsables syndicaux, à la Constitution d’un Comité central de grève. Les dirigeants, et eux seuls, ont une vision d’ensemble du mouvement. Ils rencontrent le patronat, le gouvernement. Ils "négocient". C’est par les bureaux fédéraux que passe la centralisation du mouvement. Ce sont donc eux qui peuvent l’orienter, le maîtriser. Résultat : au bout d’une semaine, les revendications principales des travailleurs paraissent inaccessibles ; le patronat, le gouvernement n’ont rien cédé.

Lundi 25 : "Marcher sur Paris" ?

" Certains chauffeurs routiers ont menacé de marcher sur Paris " (Le Monde du 30/11).

Affronter le gouvernement (tel est le sens d’une marche sur Paris) est la seule ouverture et, selon les furtives indications de la presse, une partie, au moins, des routiers y pense. C’est d’ailleurs cette possibilité qui nourrit la popularité que rencontre, selon les media, le mouvement des routiers, dans l’"opinion publique".

Les directions des organisations syndicales, elles, ne veulent pas d’une "marche" sur Paris. L. Viannet, secrétaire général de la CGT et membre du comité national du PCF, déclare : "Il ne s’agit pas de transférer sur le gouvernement des responsabilités qui sont du ressort du patronat (...) Nous demandons aux routiers de tenir bon... ". Les cinq fédérations de la SNCF appellent les cheminots à soutenir les "routiers par les moyens qu’ils jugeront utiles".

Mercredi 27 : les dirigeants de la CGT organisent une journée nationale d’action et de solidarité.

Selon L’Humanité, "le personnel roulant de Sotteville-lès-Rouen a voté hier matin la grève reconductible. Pour leurs propres revendications et en soutien à la grève des routiers". Cela ne tiendra pas 24 heures. Les cheminots ont jugé cette "action" pour ce qu’elle est : une action de bousille, comme sont jugés par les travailleurs la "journée de solidarité" et tout appel à "élargir l’action".

Jeudi 28 : nombre record de barrages sur les axes routiers : 250.

Vendredi 29 : les dirigeants syndicaux et le patronat, en relation avec le gouvernement, signent un protocole de fin de conflit. Cinq autres protocoles sont présentés. La CGT, par exemple, en signera quatre.

La CGT, comme FO et la FNCR, ne donne publiquement aucune consigne, sous le prétexte de laisser aux routiers le soin de se déterminer. Mais elle déclare : "Ils ont gagné !". L’Humanité souligne "la facilité avec laquelle les barrages se sont évanouis" et Le Monde précise : "comme un château de sable". La CFDT (majoritaire) et la CFTC appellent officiellement à lever les derniers barrages.

Les appareils syndicaux, le PCF, publient des communiqués de victoire.

La préretraite à 55 ans : une revendication patronale…

Le protocole prévoit la mise en place d’un "congé de fin d’activité" au "bénéfice" des conducteurs routiers de marchandises âgés d’au moins 55 ans ayant conduit au moins 25 ans un véhicule poids lourd de plus de 3,5 t de PTAC. Il ne s’agit pas de l’abaissement à 55 ans, sans perte de droits, de l’âge de la retraite, comme le laissent entendre les directions syndicales. Le versement de 75% du salaire brut est financé par des cotisations, ouvrières et patronales, et par l’État. Chaque départ devrait être compensé par l’embauche d’un jeune en CDI à temps plein (sic !) est assuré. Les organisations patronales avaient qualifié cette revendication d’"assez pertinente".

... et d'abord du grand capital

Les patrons de l’industrie automobile française réclament la mise en place d’un plan d’exception de mise en retraite des ouvriers de plus de 50 ans, soit 40 000 salariés dans les prochaines années contre l’embauche de 14 000 jeunes. C’est un besoin impérieux pour les firmes françaises, qui, il y a quelques années, étaient présentées comme les plus "rentables" du monde et qui, en France même, se font désormais rafler des parts de marché par leurs concurrents. Les patrons du BTP revendiquent également un plan de "dégraissage" de 30 000 travailleurs de plus de 55 ans. En combinant la baisse du nombre de travailleurs et la substitution de travailleurs jeunes, plus "flexibles", moins payés et pas encore usés), à des travailleurs âgés, ces plans permettent une augmentation drastique du taux d’exploitation (un séminaire très officiel a montré que les ouvriers de l’automobile sont usés de plus en plus tôt. Les Enjeux-Les Echos (1/97), en rapportant cette conclusion, interroge : "À quand des mesures d’âge dès 35 ans dans l’automobile ? Cette question n’est pas gratuitement provocatrice").  Le Monde du 11/12 explique :

"Aujourd’hui pour réduire leurs effectifs sans troubles sociaux, les entreprises rêvent toutes, ou presque d’un CGPS sur mesure, c’est-à-dire d’un système équivalent à celui dont a bénéficié la sidérurgie dans les années 80 pour se séparer, aux frais de l’Etat, de ses salariés les plus âgés

Mais ces plans sont surtout financés par l’Unedic.

Ce détournement, au profit des capitalistes, de fonds, appartenant collectivement aux travailleurs (salaire différé) et destinés aux chômeurs, ne peut se faire qu’avec l’accord des responsables syndicaux. Il faut rappeler l’accord du 6 septembre 1995 dit "relatif au développement de l’emploi" : en contrepartie de la cessation d’activité de salariés totalisant 160 trimestres et plus de cotisations aux régimes de base d’assurance vieillesse, les salariés peuvent partir dès 58 ans. Il a été signé par les 2 Confédérations ouvrières, CGT et FO, ainsi que par la CFDT, la CFTC et la CGC et par le patronat. La contrainte des patrons est mince : en se débarrassant par exemple de travailleurs qualifiés et à temps plein, il leur faut seulement procéder "à un nombre d’embauches équivalentes" de travailleurs sans qualification et à temps partiel.

Les dispositifs de préretraite se sont multipliés dans le cadre d’un Fonds national pour l’emploi dès 57 ans, de la préretraite progressive et du chômage indemnisé à partir de 55 ans. Dans la Fonction publique, à la RATP, à France Télécom, de tels accords ont été conclus avec les organisations syndicales. Des négociations sont en cours dans la Poste, à EDF-GDF, pour ne parler que de la Fonction publique et du secteur public.

Temps de travail : "satisfaction aux transporteurs" (L’usine nouvelle)

"Les routiers sont sympas", matraquait autrefois une annonce radio bien connue ; corvéables et taillables à merci, ce sont eux qui ont permis aux patrons de la route d’arracher la part du lion dans le transport de marchandises, en répondant aux besoins du "flux tendu", "zéro stock" et autres nouvelles exigences de la production et de la circulation des marchandises. Ce qui est déterminant dans la suprématie du transport par route est la flexibilité, les conditions de travail et les bas salaires des chauffeurs (les patrons du transport routier n’ont d’ailleurs jamais été moins subventionnés et aidés financièrement par l’État que les entreprises nationalisées). Selon des rapports officiels, si le droit du travail et les réglementations étaient rigoureusement respectés par les entreprises du transport routier, le coût du transport de marchandises par camions serait supérieur d’environ 20%. Une faible syndicalisation (depuis toujours), une "corporation" où beaucoup aspiraient, au prix d’une vie de "galère" à devenir son propre patron.

L’arriération de ce secteur considérablement dispersé (32 000 entreprises, 200 000 salariés - dont 70 000 dans les 11 premières sociétés) finit par coûter cher, même si les temps contraints (attentes) ne sont pas payées aux travailleurs, contrairement aux autres pays européens.

Les directions syndicales, signataires ou pas (CGT et FNCR), soutiennent les contrats de "progrès" qui ont été mis en place pour rationaliser, au profit de la "chaîne logistique", l’organisation du travail et réduire les énormes temps d’attente. Mais peu de patrons y adhèrent, malgré les avantages (le gouvernement a annoncé un "dispositif d’allégement des charges sociales") et la modestie de l’objectif : ramener la durée mensuelle de travail à 200 heures en 1999 !

Le gouvernement a été amené à publier un décret fixant le principe d’une limite à la durée des temps non rémunérés, à définir par un accord de branche. "Ce seuil maximal ne saurait en tout état de cause être supérieur à 3h30 par jour" ! Pour la CGT :  "le projet présenté convient dans l’esprit et dans la forme".

Pour L’Usine nouvelle, organe patenté du capital, il satisfait les grands transporteurs (patrons). En effet, les limites de l’expansion, dans cette branche aussi, ont fini par être atteintes. Le mouvement de concentration ne fait que commencer. La concurrence sera entièrement libre sur les routes de l’Union européenne le 1er juillet 1998. Ils disent : "On peut ainsi espérer qu’il sera plus facile d’attraper les brebis galeuses avec un tel règlement".

Les appareils syndicaux roulent pour les patrons

Passons sur la réduction de 10 à 5 jours du délai de carence en cas de congé de maladie, l’indemnisation systématique des découchers, l’interdiction de rouler le dimanche, la suppression du système des équivalences (non-paiement de 2 heures par semaine au-delà de la 39ème heure). Quant aux autres résultats, les commentaires suivants se suffisent :

Sur le droit syndical : "Tout reste flou, les sanctions infligées montrent les limites (sic !) des patrons dans ce domaine" (CGT)

Sur la prime exceptionnelle de 3 000 F (chaudement ?) recommandée par le gouvernement et les organisations patronales : pour L’Usine nouvelle, il s’agit d"une prouesse d’avoir limité le coup de pouce salarial au versement hypothétique d’une prime de 3 000 F (contre une hausse de 1% précédemment envisagée)" !

Laissons l’appréciation finale aux patrons de l’industrie et du commerce (les "chargeurs") leurs représentants déclarent : "Si les accords signés à l’occasion de ce dernier conflit permettent enfin une harmonisation des conditions de la concurrence, on ne peut que s’en féliciter". 

Les conditions nécessaires pour un combat victorieux

C’est sous la pression des routiers que le mouvement a atteint cette dimension. Mais il n’a pas permis d’ imposer aux appareils syndicaux un véritable combat pour leurs revendications. Ces derniers ont tout fait pour détourner les chauffeurs routiers de Paris. Des dizaines de milliers de camions manifestant et bloquant Paris auraient représenté une épreuve de force majeure pour le gouvernement Chirac-Juppé. Un tel affrontement pouvait cristalliser une puissante mobilisation de la classe ouvrière contre le gouvernement, pour le chasser.

Pour organiser leur mouvement, l’ordonner sur cet axe, les travailleurs devaient élire leurs comités de grève, avec des élus leur rendant compte, mettre en place un comité central de grève constitué de délégués élus par les comités de grève, responsables devant eux, et intégrant les représentants des fédérations syndicales (se donnant ainsi les moyens de les contrôler). C’est ce comité central de grève qui aurait eu à appeler à la grève générale de tous les travailleurs concernés et à la diriger, pour les revendications mises en avant par les travailleurs. Il aurait eu à appeler et à organiser la manifestation à Paris contre le gouvernement Chirac-Juppé.

*          *          *         

CPS 65 a montré qu’à la dernière rentrée, une nouvelle vague de mobilisation de la classe ouvrière contre le gouvernement Chirac-Juppé et pour le chasser était possible ; qu’une nouvelle fois, l’ensemble des appareils syndicaux, le PS et le PCF ont réussi à préserver le gouvernement en agençant une gigantesque opération de bousille et un soutien politique ouvertement affiché au gouvernement et à la société bourgeoise.

L’"action" préparée pour le 18 novembre devait s’inscrire dans la noria d’actions "tournantes". Le mouvement qui a surgi de la base n’a troublé que brièvement l’ordonnancement mijoté par les appareils.

Gardant les mains libres, les appareils ont pu poursuivre la " concertation", le "dialogue social" et prendre en charge les revendications patronales. Il faut relever qu’en ce qui concerne la CGT, FO et la FNCR, les dirigeants l’ont fait sans formellement prendre la responsabilité d’appeler à la levée des barrages qu’ils n’avaient formellement pas non plus appelé à constituer.

Bien plus, ils ont monté une véritable mystification.

La première revendication concernant les retraites est d’abolir la loi et les décrets Balladur de juillet et août 1993. Comment l’obtenir sans une mobilisation d’ensemble de la classe ouvrière, le Front unique des organisations ouvrières et sans chasser le gouvernement Chirac-Juppé ?

Les appareils ont utilisé le bluff sur la prétendue victoire des routiers pour orchestrer une vague de journées d’actions dans les transports urbains, au nom de la "retraite à 55 ans", et faire passer des accords favorables aux patrons. Ainsi à Rouen, "la victoire des traminots est incontestable", selon L’Humanité. Elle consiste essentiellement en une réduction du temps de travail de 38h à 34h12 payées 37 puis 36h et au retour des "repos flottants" que la CGT qualifie de "flexibilité déguisée" ! (L’Humanité du 18/12 et 19/12). L’éditorialiste de L’Humanité (14/1) commente ainsi "l’aspiration à cesser le travail à 55 ans" : "Que deux Français sur trois acceptent de limiter leur période d’activité salariale pour permettre à des jeunes d’accéder à leur emploi n’est-il pas significatif d’un regain de générosité et de solidarité dan ce pays ?" Cela n’a donc rien à voir avec la revendication ouvrière ! De quelle victoire s’agit-il ?

Pour Les Echos du 14/1/97, "la retraite à 55 ans a pris corps lors du conflit des routiers(...) sur une ambiguïté entretenue par le gouvernement. Pour "coller" aux revendications des routiers, plusieurs ministres (...) ont présenté, alors, comme une "retraite à 55 ans" ce qui n’était qu’un dispositif de préretraite géré par la pension du régime de retraite avant 60 ans".

La classe ouvrière repartira au combat. Il est notable que, pour la première fois depuis longtemps, c’est un mouvement qui a jailli dans le secteur privé. Pour mener la classe ouvrière à la victoire, un parti ouvrier révolutionnaire est indispensable. Pour contribuer à sa construction, il faut apporter les réponses nécessaires au prolétariat, quelques soient les circonstances, y compris dans les situations particulières, inattendues.

 

 

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