Article
paru dans Combattre pour le Socialisme n°4 (86) de juin
2001
Une précision nécessaire à propos des Balkans
Un
précédent article de CPS, paru dans le numéro n°2 nouvelle série du 12 janvier 2001
abordait la question du mouvement qui avait conduit à la chute de Milosevic.
Sa
conclusion essayait de tracer une orientation politique pour le prolétariat et
la jeunesse de Serbie, orientation dont la conclusion était le paragraphe
suivant :
"La
seule perspective correspondant aux intérêts des prolétariats de la région,
c'est la Fédération socialiste des Balkans, elle-même constitutive des
Etats-unis socialistes d'Europe, respectueuse du droit des peuples à disposer
d'eux-mêmes. Pour combattre sur une telle orientation, le prolétariat de Serbie
a besoin de sa confédération syndicale et d'un parti ouvrier, indépendants de
l'appareil d'Etat, du SPS de Milosevic et de l'ODS de Kostunica. Ainsi serait
ouverte la voie pour la construction d'un véritable parti ouvrier
révolutionnaire."
Si
l'orientation générale nous paraît toujours valide, il était par contre pour le moins cavalier de notre part
d'avancer comme mot d'ordre celui de "parti ouvrier indépendant de
l'appareil d'Etat, du SPS de Milosevic et de l'ODS de Kostunica".
En
effet, poser la question dans ces termes serait passer aux pertes et profits
toute l'histoire du mouvement ouvrier dans les Balkans. Ne serait-ce que la
résurgence récente en Bosnie d'un parti social démocrate, sans préjuger aucunement
de la nature de classe de ce parti, mais dont il faut relever qu'il se réfère
ouvertement à la tradition de la social démocratie dans les Balkans, montre
qu'une telle approche est erronée.
Dans
un article paru en 1991 dans le numéro 37 (ancienne série) de Combattre pour
le Socialisme, de nécessaires et précieux rappels étaient opérés. Nous les
reprenons ici. La conclusion est que le mot d'ordre de "Parti
ouvrier" pour les Balkans n'est pas de mise. La tâche immédiate à y
entreprendre est celle de la construction du parti ouvrier révolutionnaire.
les sources du mouvement
ouvrier yougoslave
Ce
n’est que dans la seconde moitié du 19e siècle que débute l’industrialisation
de ce qui deviendra la Yougoslavie, industrialisation concentrée pour
l’essentiel dans la partie nord du pays. Avec la formation d’une classe
ouvrière se créent les premières organisations social-démocrates liées à la
Seconde Internationale. Ces organisations se constituent dans le cadre des
frontières de cette époque : PSD en Serbie, PSD en Croatie et PSD de
Bosnie (régions soumises à l’Empire d’Autriche-Hongrie, assez tardivement pour
la Bosnie : 1908).
Le combat de ces organisations intègre immédiatement la question nationale sous
la forme du combat pour une fédération balkanique socialiste. Mais la faiblesse
de ce jeune prolétariat balkanique — la situation est analogue en Roumanie et
en Bulgarie — leur interdit de jouer un rôle réel dans les mouvements
nationaux qui accompagnent, au début du siècle, la décomposition de l’Empire
ottoman, et se traduisent en particulier par la guerre des Balkans (1912-1913),
guerre qui permet la création d’Etats nationaux unifiés : Bulgarie,
Roumanie, Serbie, Monténégro... Lénine explique ainsi :
«Cette tâche, les peuples balkaniques aurait
pu la mener à bien dix fois plus facilement que maintenant, et avec cent fois
moins de sacrifices, par la constitution d’une république balkanique
fédérative. Ni l’oppression nationale, ni les querelles nationales, ni l’exacerbation
des différences de religion n’auraient été possibles dans le cadre d’une
démocratie complète et conséquente. Un développement réellement rapide, ample
et libre, aurait été assuré aux peuples balkaniques.
Quelle raison historique a fait que les questions vitales des Balkans ont été
réglées par une guerre inspirée par des intérêts bourgeois et
dynastiques ? La principale raison est la faiblesse du prolétariat dans
les Balkans ; ce sont ensuite les influences et les pressions réactionnaires
de la puissante bourgeoisie européenne». (“La Pravda”, 29 mars 1913 -
Œuvres, T.19, page 29).
L’année suivante, l’attentat de Sarajevo donnait le point de départ de la
première guerre mondiale : le PSD serbe et le parti bolchevique furent les
seuls partis de la IIe Internationale à refuser de voter les crédits de guerre.
Cette position originale eut de grandes conséquences : au lendemain de la
guerre, le PSD serbe fut le cadre naturel de constitution du parti ouvrier
révolutionnaire.
premiers combats du parti
communiste yougoslave
La
dislocation de l’empire d’Autriche-Hongrie en 1918, la constitution du premier
Etat ouvrier, sur les décombres de l’empire du tsar, provoqua dans les Balkans,
une vague révolutionnaire menaçant d’emporter toute la région : le royaume
des “Serbes, Croates, Slovènes”, fut alors constitué comme barrage à cette
vague révolutionnaire.
Tandis que les dirigeants du PSD croate avalisaient la participation de l’un
des leurs au gouvernement bourgeois de la yougo-slavie ainsi constituée en
royaume, l’aile “gauche” du PSD croate constituait avec le PSD serbe et le PSD
de Bosnie, en janvier 1919, un parti social-démocrate de toute la Yougoslavie.
Un dirigeant de ce nouveau parti, Milkic, participait au premier congrès de
l’Internationale Communiste, en mars 1919. L’adresse envoyée au congrès
affirmait en particulier :
«La “paix sociale” n’a jamais eu droit de
cité chez nous. Nous ne connaissons qu’une guerre, la guerre entre les
travailleurs et le capital (...). Les ouvriers de Croatie et de Slovénie sont
avec nous convaincus que le chemin vers le socialisme passe par la dictature du
prolétariat et que cette dictature revêt la forme du gouvernement des soviets.»
En
1920 est constitué le Parti Communiste Yougoslave, adhérent à la IIIe
Internationale.
Durant cette période marquée par l’effervescence révolutionnaire en Europe
centrale et des grèves spontanées en Yougoslavie, le PCY devient très rapidement
une organisation importante exerçant une influence considérable dans le
prolétariat et la paysannerie. Cette influence se traduit sur le terrain
électoral : il conquiert 59 sièges de députés aux élections pour
l’Assemblée Constituante, y devenant le troisième parti par sa représentation.
Aux
élections municipales de 1920, il emporte de nombreuses municipalités dont
celle de Belgrade.
Paniquée, l’oligarchie militaire et financière organise la répression de la
grève générale des cheminots en août 1920, dissout la municipalité communiste
de Belgrade, décrète la dissolution des organisations communistes et
syndicales. La loi de juin 1921 met hors la loi le PCY et destitue tous ses
élus ; l’Assemblée Constituante entérine ces décisions.
Lors de son 4e congrès (novembre 1922), l’Internationale Communiste fit un
bilan sévère des erreurs qui avaient conduit à ce désastre : l’absence
d’initiative face au début de la répression, l’absence d’organisation
clandestine pour se défendre de la terreur blanche, la propension à
l’électoralisme, voire la non publication aux militants des 21 conditions
d’adhésion à la IIIe Internationale, prouvaient combien était grand l’écart
entre l’adhésion à l’IC et la constitution d’une véritable direction et d’un
véritable parti bolcheviques. En conclusion de sa résolution sur la question
yougoslave, l’IC se fixait l’objectif d’aider à la reconstruction du parti
yougoslave, dans le cadre d’une fédération communiste des Balkans. Un nouveau
comité central était constitué. Fin 1923, le PCY, qui s’était jusqu’alors peu
soucié de la question nationale, proclamait le droit des peuples de
yougo-slavie à la sécession.
le PCY, parti stalinien
La
dégénérescence de la IIIe Internationale, la soumission croissante de chaque PC
aux intérêts de la bureaucratie du Kremlin, va toucher un PCY affaibli par ses
erreurs politiques et par la répression. Durant les années de dictature qui
suivirent le coup d’Etat du roi (1929), de nombreux militants communistes
furent mis en prison.
Dans le cadre de la politique de Front Populaire, le PCY se prononce pour une
“fédération” yougoslave, c’est-à-dire pour un aménagement de l’Etat
yougo-slave : il n’est plus question du droit des peuples à la sécession.
Crises et purges se succèdent au sein du PCY, devenu parti stalinien.
A partir de 1937, un certain Josip-Broz Tito jour un rôle croissant à la tête
du PCY : nommé secrétaire général du PCY par le komintern, il séjourne
fréquemment à Moscou où on le forme comme dirigeant stalinien : son
dernier séjour s’y achève en mars 1940. Le pacte germano-soviétique, en 1939,
s’il a désorienté les militants, n’a pas provoqué de réaction au sein du PCY et
de sa direction, et jusqu’au 22 juin 1941, date de l’entrée en guerre de
l’Allemagne contre l’URSS, le PCY et Tito se soumettent aux exigences de la
bureaucratie du Kremlin. C’est ainsi qu’en octobre 1940, la 5e conférence
nationale du PCY, clandestine, qui se tient avec Tito mais en l’absence de
représentant du Kremlin, adopte des positions tout à fait conformes à celles du
Kremlin. C’est ainsi que la direction du PCY ne réagit pas lorsque le 6 avril
1941 l’armée allemande envahit la Yougoslavie en représailles du coup d’Etat
organisé par des officiers qui n’avaient pas accepté l’adhésion de la
Yougoslavie à l’Axe (adhésion décidée par le roi le 25 mars 1941) : durant
les trois premiers mois d’occupation, la direction du PCY reste silencieuse.
Pourtant, dès avril 1941, se créé un Front de Libération Nationale Slovène ;
des soulèvements spontanés ont lieu en Herzégovine.
Ce n’est qu’après le 22 juin, après l’invasion de l’URSS par l’armée allemande,
que le PCY se manifeste : le 12 juillet est lancé un appel à
l’insurrection générale.
«une combinaison tout à fait
exceptionnelle de circonstances»
En
1938, Trotsky envisageait :
«La possibilité théorique de ce que, sous
l’influence d’une combinaison tout à fait exceptionnelle de circonstances
(guerre, défaite, krach financier, offensive révolutionnaire des masses,
etc...) des partis petits bourgeois, y compris les staliniens, puissent aller
plus loin qu’ils ne le veulent eux-mêmes dans la voie de la rupture avec la
bourgeoisie.» (Programme de Transition).
Incontestablement, la situation de la Yougoslavie en 1941 constitue une telle
combinaison tout à fait exceptionnelle et débouche sur la réalisation de ce qui
n’était qu’une possibilité théorique.
Quels
en sont les principaux éléments ?
•
d’abord, la désagrégation brutale de l’appareil d’Etat qui, depuis des années,
maintenait opprimées les masses yougoslaves, désagrégation consécutive au coup
d’Etat puis à l’intervention armée de l’Allemagne ;
•
une telle désagrégation ouvrait la voie à une résurgence du mouvement national,
d’autant plus puissante qu’elle renouait avec une tradition de combats
nationaux, mettant cette fois l’ensemble des peuples de Yougoslavie, Serbes
inclus, face à une même armée étrangère ;
•
enfin la faiblesse relative du PCY : d’un côté le PCY était quasiment la
seule organisation ouvrière et pouvait se prévaloir d’une certaine légitimité
(trouvant sa source dans le vote du PSD contre la guerre en 1914 et la place
occupée en 1919-21 par le PCY) ; il en découlait un certain prestige dans
les masses dont témoigne le fait que les mouvements spontanés, limités avant
l’appel du PCY à l’insurrection générale, deviennent massifs aussitôt après.
Mais d’un autre côté, les erreurs commises en 1920-21, la longue période de
répression et de clandestinité qui avait suivi, puis la soumission à une
Internationale dégénérée, sa transformation en parti stalinien appliquant la
politique dictée par le Kremlin, avait réduit le PCY à un appareil squelettique
et à une poignée de militants.
En l’absence d’un authentique parti bolchevique, une telle organisation allait
pouvoir se mettre à la tête du mouvement des masses, en constituer la direction
politique et militaire en même temps qu’elle allait devoir, par la faiblesse de
l’encadrement, faire nombre de concessions à un puissant mouvement de masses,
devoir louvoyer entre la volonté des masses en armes et les exigences de la
bureaucratie du Kremlin. C’est ce qui marque toute la situation de 1941 à 1948.
le gouvernement de l’avnoj
Durant
l’année 1941, le mouvement des masses se développe largement contre les forces
d’occupation : à la fin de l’année, ce sont 80 000 partisans qui sont
organisés, toutes nationalités réunies. Afin d’encadrer ce combat, la direction
du PCY décide dès l’été 1941 de constituer un comité national de libération et
envisage de constituer un gouvernement provisoire.
Aussitôt, en août 1941, le Kremlin désapprouve cette initiative : il vient
d’établir lui-même des relations avec le gouvernement royal en exil. Le PCY se
soumet et reporte sa décision de constituer un gouvernement provisoire. A
Moscou, la radio yougoslave “libre” se tait sur la collaboration des tcheniks
de Mihajlovic avec l’occupant allemand, ce même personnage était ministre du
gouvernement royal en exil jusqu’en janvier 1942.
Tito lui-même, à l’automne 1941, rencontre à deux reprises Mihajlovic. Mais sur
le terrain, les brigades des partisans donnent à leur combat un caractère de
classe. Ce n’est pas seulement contre l’armée occupante, c’est aussi contre les
“partisans” de Mihajlovic, contre les débris de l’ancien appareil d’Etat et de
la bourgeoisie, contre les gros propriétaires terriens qu’ils combattent. Le
26.9.1941 est décidée la création d’un état major suprême des comités de
libération.
L’année 1942 marque un tournant : c’est la rupture du fait entre la
politique dictée depuis le Kremlin et celle poursuivie par le PCY pour ne pas
perdre le contrôle des masses.
Le
26.6.1942, l’IC envoie le télégramme suivant aux sections :
«Il est vital de développer un mouvement sous
le mot d’ordre de Front national uni... gardez à l’esprit que l’étape actuelle
est celle de la libération du joug fasciste et non de la révolution
socialiste.»
Et à Tito il est dit : «Ne répandez pas le mot d’ordre de République.»
Mais en Yougoslavie occupée, c’est la création de la première brigade
prolétarienne et la constitution, les 26 et 27 novembre 1942, par les délégués
des partisans de l’AVNOJ (Conseil anti-fasciste de libération nationale). Ce
conseil est l’organisme politique d’où est issu le Comité exécutif, succédané
du gouvernement dont Moscou refuse la création.
Fin 1942 est mise en place l’Armée de Libération Nationale, émanation des
peuples yougoslaves en armes : elle regroupe 300 000 partisans fin
1943 et impose la capitulation à l’armée italienne. Il y a dès lors une
contradiction à trancher : réunie les 29 et 30 novembre 1943, l’AVNOJ se
constitue en corps législatif et constitue son propre gouvernement : le
NKOV, niant ainsi le gouvernement royal en exil. Il est décidé que l’Etat sera
doté d’un statut fédératif sur la base de l’égalité des peuples, la question de
la monarchie devant être réglée à la fin de la guerre, concession ainsi faite
au Kremlin et à l’impérialisme.
Réunie au même moment (28 novembre au 1er décembre 1943), la conférence de
Téhéran confirme que l’aide sera désormais apportée par les alliés à Tito et
non plus à Mihajlovic. Mais si, pragmatiques, les “trois grands” reconnaissent
l’armée populaire comme une alliée, ils ne reconnaissent pas pour autant le
gouvernement mis en place par l’AVNOJ.
une rupture incomplète
Si
le PCY et Tito ont dû aller beaucoup plus loin que le voulaient le Kremlin et
l’impérialisme, la politique de collaboration se poursuit.
Le 16.6.1944, sous la pression des Anglais, le gouvernement royal en exil
reconnaît l’armée de libération nationale (mais non pas le NKOV). Un accord est
passé entre Tito et Subasic, premier ministre du gouvernement royal en exil.
En
août 1944, Tito rencontre Churchill puis se rend à Moscou (septembre 1944).
Les combats se poursuivent jusqu’au printemps 1945 ; la puissance du
mouvement des masses est telle que, dès la fin de 1944, l’essentiel du
territoire yougoslave est sous son contrôle.
La
Yougoslavie connaît ainsi, avec l’Albanie (et aussi, pour une grande part, avec
la Grèce), une situation radicalement différente de celle de la Pologne ou de
la Hongrie dont les territoires sont libérés et aussitôt contrôlés par les
armées du Kremlin.
Tito et la direction du PCY n’en poursuivent pas moins leur collaboration avec
des forces bourgeoises réduites à une ombre.
• En novembre-décembre 1944 sont signés des accords entre Tito et Subasic qui
réduisent l’AVNOJ à un rôle simplement législatif et qui mettent en place une
régence et un gouvernement commun ; une assemblée constituante décidera
ultérieurement du sort de la monarchie.
• En février 1945, la conférence de Yalta amène à élargir l’AVNOJ à d’anciens
députés bourgeois ; et les décisions de l’AVNOJ devront être soumises à
l’assemblée constituante. De même que l’Assemblée constituante était donc mise
en avant pour détruire les organes de pouvoir des partisans, détruire leur
gouvernement.
•
En mars 1945, le roi nomme des régents et Tito forme un gouvernement d’union
nationale, incluant Subasic et quelques autres membres du gouvernement royal en
civil.
Ainsi, les masses qui avaient payé d’un prix très lourd le combat mené contre
les armées d’occupation et les forces de collaboration (un million de morts dont
300 000 partisans), se voyaient dessaisies du pouvoir au profit d’un
gouvernement bourgeois, conformément à la volonté des impérialismes et du
Kremlin de reconstruction des Etats bourgeois.
Mais la reconstruction d’un tel Etat bourgeois était très difficile en
Yougoslavie : l’appareil d’Etat bourgeois avait été anéanti, à lui
s’étaient substitués les organismes des masses armées, la bourgeoisie comme
classe et en particulier la couches des grands propriétaires fonciers était
disloquée. Les partisans avaient le pouvoir réel et entendaient le conserver.
De nouveau, le PCY devait aller plus loin que prévu.
1945-1948 : rupture avec le
kremlin
Aux
élections de novembre 1945 sont présentées des listes de Front populaire :
elles obtiennent 88,5 % des suffrages exprimés. L’Assemblée Constituante,
contrairement à ce pour quoi elle avait été constituée, proclame la République
populaire fédérative. Exit la monarchie.
La politique impulsée alors pendant les deux années qui suivent diffère
radicalement de celle appliquée au même moment par le Kremlin dans les pays qui
sont sous son contrôle militaire : une constitution est adoptée, calquée
sur celle de l’URSS ; les propriétés des ennemis et des collaborateurs
sont confisquées, puis rapidement c’est l’essentiel de l’économie qui passe
sous contrôle de l’Etat : tous les transports, les banques, le commerce
extérieur et le commerce de gros, 80 % de l’industrie. La réforme agraire
est réalisée. Et, en 1947, le premier plan quinquennal est lancé.
En
apparence, des relations étroites sont établies entre le PCY et le Kremlin.
Pourtant, la politique appliquée en Yougoslavie est intolérable pour Staline.
Il tente “d’aider” le PCY à se ressaisir... en installant le Kominform à
Belgrade. En vain : les émissaires du Kremlin sont fraîchement accueillis.
Le 28 juin 1948 est rendue publique l’exclusion de la Yougoslavie du Kominform.
Sont dénoncés : «l’attitude anti-soviétique des éléments nationalistes
du PCY» et un plan quinquennal «mégalomane, irréel, irréalisable».
De fait, depuis trois mois, les services de sécurité yougoslaves avaient
commencé à arrêter ceux qui, dans le PCY et le nouvel appareil d’Etat,
pouvaient être un appui pour les émissaires de Moscou.
Aussitôt
rendue publique la rupture, une campagne de calomnie fut organisée dans toute
l’Europe par la propagande stalinienne ; les incidents de frontière se
multiplièrent.
la bureaucratie yougoslave
et celles de l’europe de l’est
Cette
crise brutale, la première au sein de l’appareil stalinien international,
suscita à l’époque d’importantes illusions, dans les rangs trotskystes en
particulier. S’il était juste de combattre la campagne de calomnie orchestrée
par le Kremlin et de se déclarer aux côtés de la Yougoslavie en cas d’agression
des armées de Staline, autre chose était de croire que la nature du PCY avait
changé, ou était en train de changer et que quelques conseils judicieux
pouvaient le faire évoluer dans “le bon sens”.
Ces illusions marquent profondément la “Lettre ouverte au Comité central et aux
membres du Parti communiste yougoslave” (S.I. de la IVe Internationale, 13
juillet 1948) qui affirme notamment :
«Vos possibilités d’action sur la route du véritable léninisme s’avèrent
énormes. Mais votre responsabilité historique dépasse de loin tout ce qui est
esquissé plus haut. Des millions de travailleurs de par le monde sont
aujourd’hui profondément dégoûtés par la politique et les méthodes utilisées
par les dirigeants actuels du Kominform (...) Seule l’avant-garde de cette
masse a pu trouver actuellement la voie vers notre organisation, la IVe
Internationale. Vous pourriez devenir le centre de rassemblement pour cette
masse d’ouvriers révolutionnaires et, ainsi, d’un seul coup, bouleverser les
conditions actuelles de paralysie du mouvement ouvrier mondial (...)» et
conclut : «Communistes
yougoslaves, unissons nos efforts pour une nouvelle internationale
léniniste ! Pour la victoire mondiale du communisme !».
De
même, la “Résolution sur la Yougoslavie et la crise du stalinisme” (6e Plénum
du CEI, 9-12 octobre 1948) indique :
«Tito et la direction du Parti communiste
yougoslave représentent jusqu’à présent la déformation bureaucratique d’un
courant plébéien, anti-capitaliste révolutionnaire.»
Une telle affirmation, même entourée d’un grand nombre de précautions (telle la
possibilité évoquée que les dirigeants du PCY deviennent un “appareil
bonapartiste (...) porte-parole des forces réactionnaires à travers une série
d’étapes») n’en exprime pas moins une incompréhension de la nature du PCY, la
recherche d’un raccourci pour construire l’Internationale et préfigure la crise
pabliste qui détruira peu après la IVe Internationale.
Staline rompant avec le PCY, celui-ci n’en restait pas moins un parti
bureaucratique d’origine stalinienne. Sous la puissante poussée du mouvement
des masses le PCY avait dû rompre avec la bourgeoisie yougoslave. Il s’était
profondément transformé en intégrant des cadres militaires et politiques issus
de la résistance, sans pour autant devenir un Parti Ouvrier Révolutionnaire se
situant sur le programme de la Révolution prolétarienne mondiale ou pouvant le
devenir. De 1945 à 1948 l’appareil d’Etat et l’appareil du PCY profondément
intégrés l’un à l’autre s’étaient développés tant au niveau fédéral qu’au
niveau de chaque république. De la guerre était surgi un Etat ouvrier dégénéré
et bureaucratique, une bureaucratie yougoslave dont le PCY était le parti.
Cette bureaucratie avait face à celle du Kremlin ses intérêts spécifiques
qu’elle n’entendait pas sacrifier d’autant que sa résistance à la subordination
étroite à Moscou ne pouvait qu’obtenir le soutien des masses yougoslaves.
Attaquer le PCY et Tito, liquider ce dernier et une partie au moins du PCY,
était d’autant plus nécessaire au Kremlin que le tournant de 1947 dans les pays
de l’Europe de l’Est amenant à l’expropriation totale du capital, au monopole
du pouvoir politique exercé par les PC, posait problème : des
bureaucraties se cristallisaient ayant leurs intérêts propres et qui devaient
tenir compte des réalités économiques, sociales et politiques existant dans
chaque pays. La résistance de Tito, du PCY, de la bureaucratie yougoslave
devenait un insupportable exemple. Très rapidement en Albanie, en Hongrie, en
Bulgarie, en Roumanie, en Tchécoslovaquie, de sanglantes épurations, touchant
tous les PC et les bureaucraties de ces pays ont déferlé. Les procès en
sorcellerie contre Kotchi Dodze en Albanie, Rajk en Hongrie, Kostov en
Bulgarie, Clémentis et Slansky en Tchécoslovaquie, etc... ont été des aspects
publics, spectaculaires de ces épurations.
... les partisans grecs
L’épuration
a touché jusqu’au Parti Communiste Grec pourtant engagé dans une guerre de
partisans contre le gouvernement du pays. En 1944, le PCG contrôlait par la
médiation de l’ELAM (Front National de Libération) et l’ELAS (forces armées de
ce front) l’ensemble de la Grèce. En août 1944, conformément aux accords passés
avec le gouvernement royal en exil, le gouvernement Papandreou, six ministres
de l’ELAM entraient dans celui-ci. En octobre, les troupes anglaises
débarquaient en Grèce et avec eux le gouvernement de Papandreou qui
s’installait au pouvoir. En décembre, les forces armées régulières assistées
par les troupes anglaises attaquaient l’ELAS. La direction du PCG capitulait
après de durs combats où l’ELAS aurait pu vaincre. Le 12 février 1945 le PCG
signait les accords de Varzika qui stipulaient le désarmement de l’ELAS.
C’était l’application du contrat passé entre Staline et Churchill : la
Grèce devait rester zone d’influence de l’impérialisme anglais.
Dès 1946, pour résister à la répression, se formait dans les montagnes du nord
de la Grèce des maquis armés et bientôt une armée de partisans dont le PCG
prenait le contrôle. En octobre 1947, le PCG la proclamait “armée démocratique
de Grèce”. Elle était placée sous le commandement du “prestigieux” général
Marcos. Le 24 décembre, le PCG créait un “gouvernement démocratique
provisoire”, mais aucune perspective de lutte pour le pouvoir n’était ouverte à
la classe ouvrière et à la population laborieuse des villes et des campagnes.
Des liens étroits s’établissaient entre le Parti communiste yougoslave, le
Parti communiste albanais et “l’armée démocratique”. La Yougoslavie et
l’Albanie servaient de sanctuaire aux partisans et armes, munitions,
ravitaillement transitaient par ces pays.
Mais dès le 20 août 1948, le “prestigieux” général Marcos était destitué sous
prétexte qu’il aurait été responsable des revers de “l’armée démocratique de
Grèce”, en réalité parce que lié au PCY. La direction de l’armée de partisans
revenait au secrétaire général du PC grec, le stalinien de vieille souche Nikos
Zachariades, les partisans et le “gouvernement démocratique provisoire” étaient
épurés. Staline en faisait des instruments de sa politique dirigée contre le
PCY et Tito. Le 24 juillet 1949, à la suite de la rupture officielle entre Tito
et Staline, le gouvernement yougoslave fermait ses frontières avec la Grèce et
cessait de soutenir “l’armée démocratique de Grèce”. Le 30 août elle était
défaite dans les monts Grammos et Vitsi. Le 16 octobre le “gouvernement
démocratique provisoire” suspendait les combats. Il dissolvait les partisans et
lui-même disparaissait, non sans vouloir faire endosser la responsabilité de la
défaite à Tito et au PCY.