Extrait de l'éditorial de Combattre pour le socialisme n°4 (86) de juin 2001

 

Leçons de la grève SNCF


 

Du 29 mars au 15 avril, les conducteurs de la SNCF ont engagé la grève pour leurs revendications au centre desquelles se trouvait l'exigence du retrait du projet "cap client" de réorganisation de l'entreprise.

 

C'est contre la politique gouvernementale que les conducteurs ont engagé le combat. Le projet "cap client" est un projet de découpage de la SNCF en plusieurs entités internes autonomes, "promouvoir "l'esprit d'entreprise", doter chacune des directions d'objectifs financiers et de moyens pour les atteindre" tels "l'intéressement des cadres aux résultats de leur activité" (Libération du 29 mars 2001). Bef, un plan de "rationalisation", vers la privatisation, inscrit dans la perspective de l'ouverture du rail à la concurrence, celle de la filialisation des activités. La SNCF a supprimé 80 000 emplois en quinze ans et l'accord ARTT signé et promu par la fédération CGT ne prévoir que fort peu de créations nettes, et généralement pas sous statut.. Ce plan n'est que l'application de la politique du gouvernement à la SNCF. Exemple: à EDF, c'est en trois tronçons que l'entreprise doit être également découpée.

 

Les conducteurs ont utilisé un appel unitaire à la grève pour le 29 mars pour, contre toute attente des appareils, reconduire le lendemain dans une moitié des dépôts. Pourtant, la journée du 29 mars, "journée européenne d'action" contre la "libéralisation du rail" inscrite dans une "semaine d'action", cadrée par les négociations en cours depuis des mois dans l'entreprise, n'avait certainement pas pour objectif de déclencher une paralysie, partielle mais durable, du trafic.  Aussi, lorsque la grève est reconduite, principalement sur la question de "cap client" (même si les revendications notamment salariales sont présentes), c'est le branle-bas de combat au sommets  des fédérations syndicales cheminotes. Il s'agit d'éviter que se produise ce que réclament par exemple, selon Informations ouvrières n°482, les cheminots de St-Lazare qui se sont adressés :

"aux fédérations pour qu'elles appellent dans l'unité l'ensemble des cheminots à la grève générale pour la satisfaction des revendications", le "retrait de cap client".

 

La direction de la SNCF avance, à la demande des fédérations syndicales, une séance de négociation prévue pour le 9 avril au 5 avril. Aussitôt, la direction CGT appelle à une journée d'action pour ce 5. Mais entre-temps, elle n'appelle pas à la grève, ni au retrait de "cap client", même si sur le terrain les sections CGT doivent suivre quand la tendance est à la grève. L'appareil fédéral pèse ainsi de tout son poids dans le sens de l'isolement des conducteurs du reste des cheminots, en lien direct avec le ministre des transports Gayssot. Pour qui le retrait de cap client eût été une défaite terrible.

 

Il est fort bien épaulé par les autres fédérations syndicales de la SNCF. La FGAAC, fédération majoritaire chez les conducteurs en conséquence de la politique de trahison ouverte de l'appareil CGT:

"a précisé qu'elle appelait, seule, les agents de conduite à poursuivre la grève sur la base de leurs revendications propres, qui concernent la rémunération et le reclassement des agents de conduite" (Le Monde des 1er et 2 avril 2001).

Autrement dit: elle œuvre à l'isolement des conducteurs ce qui passe d'abord par l'escamotage de la revendication commune à tous les cheminots: le retrait de "cap client".

La direction fédérale FO:

"ne lance pas d'appel national à la poursuite de la grève, mais soutient les agents qui décident localement en Assemblée générale de continuer le mouvement" (idem)

 

Enfin, un point important doit être souligné. Les conducteurs, bien que confrontés à la division syndicale, aux manœuvres d'appareil, n'ont pas dépassé les formes héritées du mouvement de novembre-décembre 1995, les assemblées générales locales et isolées – dites mensongèrement "souveraines" alors que dans cette situation seul règne l'émiettement et grâce à lui les manœuvres d'appareil. SUD-Rail s'est fait le chantre de cette atomisation de la lutte.

 

Tout au contraire, sur l'objectif du retrait du projet "cap client", les cheminots avaient besoin de centraliser leur lutte, de contrôler leur grève, de se soumettre leurs fédérations syndicales, rompre leur isolement des autres catégories. Seule le permettait la constitution d'un comité central de grève intégrant les organisations syndicales, émanant des comités de grèves élus dans chaque dépôt et centre.

 

Au 5 avril, les "propositions" de la direction sont de faire une "pause" dans "cap client", et de procéder à un saupoudrage en matière de salaire et de recrutement, saupoudrage effectué dans le cadre de l'accord d'ARTT que les cheminots avaient combattu – et la fédération CGT soutenu. La CFDT, la direction CGT, vont accueillir très favorablement ces propositions. Pas les conducteurs, à qui on ne la fait pas. Ils pressentent ce que Galois confirmera, la grève passée, dans Le Monde du 19 avril au sujet de "cap client" : "il s'agit d'une simple pause de travail". Et ils savent que leurs autres revendications non plus ne sont pas satisfaites. Ainsi, malgré la position de la direction CGT, de la CFDT, au lendemain des négociations, 22 dépôts sur 49 continuent la grève au 7 avril, début des vacances scolaires. C'est alors un déchaînement réactionnaire qui s'engage contre la grève. Parallèlement au matraquage sur le thème du "service minimum", la direction CGT en appelle à la fin de la grève, dans la foulée de Gayssot, les deux affirmant que poursuivre la grève creuse la tombe du "service public". Après la grève, arme des trusts (Thorez), la grève armes des privatiseurs. La honte n'étouffe pas ces gens-là.

 

Malgré tout, les conducteurs vont poursuivre encore une semaine dans une vingtaine de dépôts. Mais ils doivent reprendre le travail. La direction fait savoir que les jours de grève seront presque intégralement prélevés. C'est un échec lourd  pour les conducteurs.


Le combat de l'heure


Mais qui pourrait croire que les leçons à tirer de cette grève s'arrêtent aux seuls cheminots? D'ici les échéances électorales du printemps prochain, il est absolument certain que le gouvernement ne fléchira pas dans son offensive contre les acquis ouvriers et les droits élémentaires du prolétariat et de la jeunesse. La nécessité de trouver les voies du combat contre lui, pour lui infliger une défaite, la nécessité en conséquence de se regrouper sur la ligne du front unique des organisations ouvrières (partis et syndicats) contre le gouvernement est la question centrale. Un autre gouvernement est immédiatement possible: il faut l'imposer aux députés du PS et du PCF. Qu'ils cessent de soutenir le gouvernement de la "gauche plurielle", qu'ils chassent Chirac en investissant un gouvernement sans ministre capitaliste émanant de leur majorité et responsable devant elle, voilà ce qu'il faut revendiquer d'eux, ce que les confédérations et fédérations syndicales ouvrières enseignantes, étudiantes, doivent revendiquer d'eux, ce qui sous-tend l'exigence qu'ils rompent avec le gouvernement Jospin-Gayssot-Voynet-Schwartzenberg.

 

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