Article paru dans CPS 38 de juin 1991

 

Le brûlot yougoslave

 

pression de l’impérialisme

nouveaux incidents sanglants

serbie : la grève

un accord inappliqué

référendum

plus de président et incidents en slovénie

l’appui au gouvernement central de ante markovic



pression de l’impérialisme




A mois de mars, la Yougoslavie semblait être sur le point de se disloquer et la guerre devoir éclater entre la Serbie d’un côté, la Croatie, la Slovénie et peut-être la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine de l’autre. Les dirigeants de la Serbie, Slobodan Milosovic en premier ont reculé. Borisav Jovic, représentant serbe au conseil de présidence de la République yougoslave, et président en exercice de ce conseil, avait quitté cet organisme. Sous les directives du gouvernement serbe, qui contrôle le Kossovo et la Voïvodine, les représentants de ces “territoires autonomes”, l’avaient suivi, ainsi que le représentant du Monténégro. Mais le gouvernement serbe avait été contraint de faire marche arrière. Son représentant au conseil de la République yougoslave, ceux du Kosovo et de Voïvodine, enfin celui du Monténégro, avaient réintégré cet organisme. Ce dernier pouvait donc à nouveau fonctionner.


Un nouveau cadre, qui n’est pas constitutionnel, était formé : celui de rencontres entre les présidents des six républiques et des deux “territoires autonomes”. La première de ces rencontres avait lieu le jeudi 28 mars à Split, sur la côte Dalmate en République de Croatie. La pression de l’impérialisme américain et celle de la CEE n’étaient pas étrangères à la tenue de ces rencontres. Ce même 28 mars, Georges Bush adressait une lettre au premier ministre de la République yougoslave, Ante Markovic qui spécifiait que les USA n’appuieraient “aucun groupe ethnique ou nationaliste”, “n’encourageraient pas ceux qui veulent diviser le pays”, car “ce serait tragique, si la Yougoslavie ne peut comprendre le moment historique qui lui donne la possibilité de mettre en place une nouvelle structure démocratique et de trouver une place dans une Europe qui serait une entité libre”.


Georges Bush exprimait lourdement à Ante Markovic “son admiration pour son courageux programme de réformes”. Il réitérait son soutien à “une Yougoslavie démocratique et unie”.


“Libération” du 4 avril rappelait que :


«Il y a un an, la Yougoslavie paraissait l’un des pays les mieux placés pour réussir sa transition à l’économie de marché. Les occidentaux s’émerveillaient devant les résultats obtenus par le premier ministre (de la Yougoslavie) Ante Markovic, en particulier devant l’arrêt de l’hyper-inflation passée d’un taux annuel de 2500 en 1989 à 120 % en 1990. Les investissements occidentaux promettaient d’alléchantes coopérations... Aujourd’hui, les occidentaux ont pratiquement bloqué tous leurs projets... L’économie, à peine stabilisée, risque à nouveau de sombrer. La récession industrielle s’installe et, sous la pression des républiques, le premier ministre Markovic, qui avait fait de la stabilité monétaire l’un des piliers de sa politique, a dû se résoudre en décembre 1990 à dévaluer le dinar de 28 %».


“Libération” ajoutait :


«Il est clair que la communauté européenne entend accueillir une Yougoslavie stable. Même souci pour les bailleurs de fonds internationaux. Le FMI a posé une question au gouvernement Markovic avant d’accorder de nouveaux crédits : qu’il fasse voter 11 amendements par les républiques, garantie que la politique de rigueur fédérale soit appliquée dans tout le pays».




nouveaux incidents sanglants




A peine les dirigeants des six républiques et des deux “territoires autonomes” s’étaient-ils rencontrés une première fois à Split, qu’éclataient, les 31 mars, des incidents à Plitvice en Croatie qui provoquaient plusieurs morts (2 Serbes et 1 Croate) et onze blessés. Les Serbes sont 600 000 en République de Croatie et représentent 12 % de la population. Ils sont largement majoritaires dans la province de Krajina. Le 21 décembre 1990, ils ont déclaré que cette province se considérait comme autonome par rapport à la Croatie. Le 14 mars, alors que la crise, qui semblait devoir disloquer la Yougoslavie et aboutir à la guerre, faisait rage, ils ont décidé que le Krajina était indépendant. Les Serbes ont constitué leurs milices et créé un ministère de l’intérieur.


Vers la fin du mois de mars, la municipalité serbe de Titovo Korénice a décidé de prendre le contrôle du Parc national de Plitvice qui se situe sur le territoire de cette commune. Le 31 mars, le ministère de l’intérieur croate faisait réinvestir par sa police ce parc. Dans la journée, la radio de Knin, principale ville de la province de Krajina, a appelé les Serbes possédant des fusils à constituer des détachements armés afin de reprendre le contrôle du parc. Face à cette situation, la présidence collégiale de la République yougoslave a décidé l’occupation du parc national dont se retiraient les unités spéciales de la police croate. Par ailleurs, des unités des forces armées yougoslaves patrouillaient désormais dans toute la province de Krajina.


Pourtant, le 4 avril, le gouvernement fédéral (le gouvernement yougoslave) condamnait la décision des Serbes de Croatie de se séparer de cette République et de se rattacher à la Serbie. “Le gouvernement et le parlement de Serbie se prononçaient également contre la proposition du mouvement serbe du Renouveau de proclamer le rattachement à la Serbie de la province de Krajina car elle remet en question la déclaration du Parlement de Serbie selon laquelle “la crise doit être réglée pacifiquement”” (“Le Monde” du 6/4/91). Le même jour, les six dirigeants des républiques, et ceux du Kosovo et de Voïvodine se réunissaient à nouveau, à Belgrade cette fois.

Le 12 avril, troisième réunion des dirigeants des six républiques et des deux territoires autonomes, à Brdo, en Slovénie, cette fois. Ils ont décidé que serait, en principe, organisé d’ici la fin mai, un référendum sur le devenir de la Yougoslavie. Mais ils restent en désaccord sur cet avenir. Les dirigeants de Serbie et du Monténégro estiment que le maintien de la fédération peut seul sauvegarder un Etat yougoslave. Pour Slobodan Milosevic, Serbe, une confédération ferait disparaître la Yougoslavie. Les dirigeants des quatre autres républiques se prononcent pour une confédération d’Etats souverains. Mais alors que les dirigeants de la Slovénie et de la Croatie sont pour une union de Républiques souveraines, ayant chacune son armée et sa monnaie, ceux de Bosnie-Herzégovine voudraient que la fédération constitue un Etat, ayant une armée et une monnaie uniques. Les dirigeants de la Slovénie se déclarent partisans de droit de chaque République à se séparer de la confédération. En tout état de cause, les dirigeants serbes ne veulent pas renoncer à leur thèse selon laquelle tous les Serbes vivant dans quatre républiques doivent être réunis dans un même Etat. Par contre, ceux de Bosnie-Herzégovine redoutent la dislocation de cette République où vivent des Serbes, des Croates et des Slaves islamisés.




serbie : la grève




Le 16 avril, 700 000 ouvriers de la métallurgie et du textile de Serbie, soit à peu près un tiers de la population active, engageaient une grève générale pour leurs revendications. Un grand nombre d’entre eux ne sont pas payés depuis plusieurs mois. Ceux qui le sont, le sont le plus souvent avec un retard de plusieurs mois. Ils exigeaient donc : le paiement immédiat et régulier du salaire minimum garanti par le gouvernement serbe ; l’établissement des conventions collectives et un réajustement de la politique fiscale mise en œuvre en Serbie le 28 décembre 1990. Ils demandaient que soit mis fin à la politique de libéralisation des importations qui a asphyxié la production nationale. Florence Hartmann écrit encore dans “Le Monde” du 18 avril :


«Le premier ministre de Serbie, M. Dragutin Zelenovic, s’est adressé, mardi 16 avril, aux grévistes réunis au siège des syndicats. Au cours de son intervention, fréquemment sifflée, il a affirmé qu’il était impossible de réduire les impôts et de trouver en même temps des fonds pour garantir les salaires. En fin de journée, après de nouvelles négociations, le gouvernement serbe a finalement cédé. Il a promis de verser, d’ici la fin avril, les salaires minima de janvier et février. Lorsque les revendications adressées au gouvernement de Serbie auront été satisfaites, les grévistes feront sans doute pression sur le gouvernement fédéral.»


Le 19 avril, Ante Markovic devait accepter une nouvelle dévaluation de 44,4 % du dinar. Elle devrait être accompagnée d’une réduction des dépenses publiques, du freinage de la hausse minimale des salaires. Dans son discours, il s’en est pris aux Républiques de Croatie, de Slovénie, de Serbie qu’il accuse d’avoir les unes et les autres fait échec aux réformes économiques engagées en 1990. Il a déclaré que le cahot économique et juridique menait à une catastrophe et il a appelé les dirigeants des Républiques à «laisser de côté leurs querelles sur la souveraineté, l’armement, les frontières et leurs ambitions de “grands et petits Etats” et à se tourner vers «la démocratie et le pluralisme». Ante Markovic a derrière lui le FMI qui menace de ne pas accorder un nouveau crédit d’un milliard de dollars si le programme, qu’il a formulé, n’est pas appliqué dans toutes les Républiques.




un accord inappliqué




Pendant ce temps, l’armée fédérale a multiplié ses interventions en Croatie. Par exemple, le 28 avril, dans le petit village de Kijevo situé en pleine province de Krajina, mais dont la majorité des habitants est croate, l’armée yougoslave a sommé les forces armées croates d’évacuer le village. Les incidents les plus graves se sont produits le jeudi 2 mai à Borovo-Selo, village à majorité croate situé en Slovanie. Douze policiers croates y ont été tués. Ils l’auraient été par un commando de nationalistes extrémistes venu de Serbie. Un nationaliste serbe a également été tué. L’armée yougoslave était mise en état l’alerte. Mais les représentants de la Slovénie et de la Croatie à la présidence fédérale se sont opposés à l’extension des pouvoirs des militaires, estimant qu’il appartenait au gouvernement croate de régler les problèmes qui se posent en Croatie y compris ceux qui se posent dans la province de Krajina. “Le Monde” du 7 mai décrivait ainsi la situation :


«Depuis les premiers incidents sanglants du début du mois d’avril dans le parc national de Plitvice, dans la région “autonome” serbe de Krajina, dans le sud-ouest de la Croatie, et l’ouverture d’un nouveau foyer de crise en Slovanie, dans l’est de la République, l’armée yougoslave a été déployée sur la moitié du territoire croate. Tendant à éviter l’amplification des conflits inter-ethniques, les forces armées n’ont pas, cependant, réussi à rétablir le calme dans la région. Ce week-end, Boroso-Selo et les autres villages du district de Vukovar, en Slovanie, ont vécu en état de siège. Isolés par des barricades gardées par des civils armés — des Serbes, lorsqu’il s’agit d’agglomérations à majorité serbe, et des Croates, dans les villages à majorité croate, — les habitants de cette région frontalière avec la Serbie sont coupés du monde et difficilement ravitaillés. Le transit est devenu quasiment impossible et des coups de feu résonnent de temps à autres.»


Le 9 mai, après trois jours de discussions, la présidence collégiale de l’Etat yougoslave parvenait à un accord. L’armée était chargée, sans obtenir des pouvoirs spéciaux, d’assurer la paix dans les parties de la Croatie en proie à des troubles. Dans ces régions, seuls les “organes légaux de police” devraient maintenir l’ordre. La présidence a ordonné la démobilisation des forces de réserve et le désarmement des civils recrutés soit par les autorités croates, soit par les indépendantistes serbes de la province de Krajina.


La présidence collégiale a exigé l’ouverture de négociations entre Serbes et Croates dans le cadre d’«un comité paritaire formé de représentants de la République de Croatie et de représentants légitimes du peuple serbe en Croatie». Le comité devrait discuter des «litiges à l’origine de la crise entre nationalités».

La mise en application de ces décisions est plus qu’aléatoire. Le président croate Franjo Tudjman a dit clairement que s’il appelait les habitants des villages croates de la région d’Imotski, limitrophe de la Bosnie et de la Croatie, à laisser passer les convois de blindés se dirigeant vers la Croatie, il a ajouté que la police croate ne démobiliserait pas ses réservistes et qu’il ne négocierait pas avec ceux qui sont à la tête de la “rébellion” de la province de Krajina. Il s’est déclaré pour coopérer avec l’armée yougoslave, mais contre l’occupation de la Croatie et qu’il appellerait à y résister.




référendum




Le gouvernement de Croatie ayant pris la décision d’organiser le 19 mai un référendum où la question suivante serait posée aux habitants de la République : «Voulez-vous vivre dans un Etat souverain et autonome qui garantie l’autonomie aux Serbes» et qui formerait avec les cinq autres Républiques de Yougoslavie : «une communauté d’Etats souverains», le leader serbe de la Krajina lui a demandé d’annuler cette décision. Il a demandé au président Tudjman de se mettre d’accord avec ceux des autres Républiques pour l’organisation d’une consultation populaire simultanée concernant l’avenir de la Yougoslavie. A défaut les dirigeants Serbes ont organisé le dimanche 12 mai un référendum dans la province de Krajina où la question suivante était posée :


«Voulez-vous que la région autonome de la Krajina se rattache à la Serbie et qu’elle reste en Yougoslavie, comme la Serbie, le Monténégro et toutes les autres»


Le conseil national serbe, gouvernement auto-proclamé de la province de Krajina, a annoncé que 99 % des 200 000 Serbes qui habitent cette région avaient répondu OUI. Le gouvernement croate avait déclaré que ce référendum était illégal sans s’y opposer par la force. Le scrutin s’est déroulé sous la protection des milices serbes. Le 19 mai, 95 % des votants au référendum organisé par le gouvernement croate ont, de leur côté, répondu oui à la question que celui-ci posait. Mais seulement 70 % des inscrits ont participé au vote, les Serbes (11 % de la population) l’ont boycotté. Le référendum dont avait convenu les conférences des présidents de républiques sur l’ensemble de la Yougoslavie n’a jamais eu lieu.




plus de président et incidents en slovénie




Selon la constitution de la République de Yougoslavie, celle-ci doit être présidée à tour de rôle, pendant une durée d’un an, par un représentant d’une des six républiques ou des deux “régions autonomes” qui la composent. Le mandat de Borislav Jovic (Serbie) est venu à expiration le 15 mai. Normalement, ce devrait être le tour de Stipe Mésic (Croatie) d’assurer à partir du 16, la présidence de la République de Yougoslavie. Le représentant de la République de Serbie a bloqué son élection. Il a pu le faire parce que la Serbie dispose en fait de trois voix : la sienne, plus celles des “régions autonomes” de Voïvodine et du Kosovo, régions qui sont sous sa botte, de plus le Monténégro bloque avec elle. Enfin, le vice-président de la République de Yougoslavie ne peut assurer la fonction de président par intérim parce que la semaine précédente le parlement fédéral n’a pas entériné la nomination du représentant du Monténégro, lequel devait devenir vice-président. En conséquence, la Yougoslavie n’a plus ni président, ni vice-président, ni chef de l’armée puisque celui-ci est nommé par le président et dépend de lui. L’armée est devenue de facto indépendante.

Le jeudi 23, des incidents ont éclaté qui ont mis aux prises, près de Maribor, l’armée yougoslave et, cette fois, la défense territoriale Slovène. A la suite de quoi le gouvernement de Slovénie a décrété la mobilisation partielle des réservistes de la défense nationale. Ces incidents sont politiquement d’autant plus graves qu’en mars dernier le gouvernement slovène a décrété : désormais les milices territoriales ne seront plus placées sous le contrôle de l’armée yougoslave, les conscrits slovènes ne feront plus leur service militaire dans cette armée ; en conséquence du référendum qu’il a organisé en décembre 90, l’indépendance de la Slovénie serait proclamée le 29 juin prochain. La présidence de Slovénie a déclaré au cours de sa session du 24 mai, c’est :


«le début d’une large action des forces armées yougoslaves contre les autorités locales slovènes (...). L’armée fédérale a montré une fois de plus qu’elle n’était pas prête à se retirer de la vie politique et à permettre un dénouement pacifique et démocratique de la crise yougoslave».




l’appui au gouvernement central de ante markovic




Le gouvernement central de Ante Markovic bénéficie du soutien total des principales puissances capitalistes. Le 24 mai, Ante Markovic est venu en France où Mitterrand l’a chaleureusement reçu, lui affirmant qu’il pouvait compter sur la France pour l’aider dans la poursuite des réformes entreprises et le «maintien de la stabilité du pays dans le respect des minorités». Mitterrand lui a dit :


«Nous souhaitons le succès de votre œuvre et nous vous y aiderons. Nous ne pouvons être indifférents à ce qui se passe dans cette région de l’Europe. Nous ferons tout notre possible pour contribuer à votre réussite.»

Une dépêche de l’AFP, en date du 27 mai, annonce :


«Commentant samedi 25 mai le rétablissement de l’aide américaine à la Yougoslavie, à l’exception de la Serbie, la télévision de Belgrade, véritable porte-parole du pouvoir serbe, a accusé les Etats-Unis de s’ingérer de “la manière la plus grossière” dans les affaires intérieures yougoslaves.


Le secrétaire d’Etat américain James Baker avait annoncé vendredi la reprise “sélective” de l’aide des Etats-Unis à la Yougoslavie, suspendue depuis le 5 mai, tout en dénonçant la répression exercée par la Serbie contre la minorité albanaise du Kosovo. Ce geste “anticonstitutionnel sans précédent” et “malveillant” est, selon la télévision, “une offense grave au peuple serbe”».

Mais ce gouvernement central, tout comme les gouvernements des républiques, se heurtent à la conjonction de questions nationales, économiques et sociales auxquelles il est incapable d’apporter des solutions. Véronique Soulier rapporte dans “Libération” du 4 avril :


«Le problème des “privatisation”


“L’économie agonise, tranche Zoran Popov, professeur à l’Institut d’économie de Belgrade” chaque République défend ses propres intérêts, la plupart des nouveaux pouvoirs ne comprennent pas ce qu’est la transition économique et gardent la vieille vision selon laquelle le capital appartient au peuple”. Zoran Popov ne voit de salut que dans les pressions de la CEE et des Etats-Unis en faveur du maintien d’une Yougoslavie unie».


“Libération” poursuit :


«Les à-coups de la réforme Markovic montrent bien le cercle vicieux yougoslave : la crise économique nourrit les revendications nationalistes, et à son tour l’élection de directions nationalistes dans les républiques aggrave les problèmes économiques.


La réforme radicale introduite en janvier 1990 par l’équipe Markovic s’appuyait sur plusieurs leviers : une politique fiscale et monétaire rigoureuse, la convertibilité interne du dinar (7 dinars valant 1 deutschemark et le nouveau dinar remplaçant 10 000 dinars anciens), la libéralisation du commerce extérieur et celle, partielle, des prix, enfin le gel des salaires.


Dans sa première phase, cette politique est une réussite. L’inflation est rapidement maîtrisée et plus de 80 % des prix sont libérés. La population reprend peu à peu confiance, ainsi que les institutions monétaires internationales, et les pays occidentaux relancent leur coopération.


Sous l’impulsion de la réforme, quelque 50 000 petites firmes privées vont se créer et le secteur privé fournit aujourd’hui 15 % du produit national brut. Le gouvernement Markovic peut se targuer d’avoir introduit l’«esprit de marché» en Yougoslavie.


Mais la réforme a ses revers : les revenus réels de la population baissent sensiblement ; les investissements poursuivent leur chute libre ; la récession et le chômage s’étendent. On estime aujourd’hui à 1,4 million le nombre de chômeurs, soit près de 15 % de la population active.»


“Libération” ajoute :


«Sur le terrain, Markovic est vite dépassé. Plusieurs républiques, en particulier la Croatie et la Slovénie qui menacent de faire sécession, font obstruction à son programme. La plupart des directions élues en 1990 retardent le moment de privatiser les grandes entreprises sociales, craignant de perdre la base économique de leur pouvoir. Des monstres continuent d’être financés à perte.


“Nous sommes pour la réforme”. A l’image de Slobodan Prohaska, vice-premier ministre de Serbie, toutes les républiques se disent pour la réforme économique. Mais de quelle réforme s’agit-il ? Aucun des nouveaux pouvoirs, encore fragiles, ne veut prendre de mesure impopulaires et courir le risque d’une explosion sociale.


Les Serbes sont parmi les plus virulents et l’on vit le président Jovic accuser Ante Markovic devant le parlement d’avoir «conduit le pays à la catastrophe». La Serbie, durement touchée par la désintégration du marché soviétique et par la guerre du Golfe, dénonce la politique monétaire restrictive et l’ouverture sauvage aux produits étrangers.


Les différentes régions ont aussi des intérêts antagoniques. La Croatie et la Slovénie, les républiques les plus développées du nord, ont longtemps bénéficié du marché commun yougoslave où elles pouvaient écouler leurs produits. Aujourd’hui avec la crise, elles estiment qu’elles n’ont plus rien à y gagner et qu’au contraire, le sous-développement du “sud” freine leur marche à l’Europe.


Le temps passe et, avec le vide juridique et la paralysie fédérale, la population a de nouveau perdu confiance. «Les chefs d’entreprise ne savent plus comment agir. Doivent-ils licencier ou au contraire défendre leurs employés ?» explique Zoran Popov. “On leur dit que l’Etat s’est retiré. Alors à qui appartiennent-ils : à la fédération, à leur république ou aux employés ? En fait pour l’instant ils n’appartiennent à personne”»


L’autogestion, le marché, l’ouverture des frontières aux marchandises et aux capitaux étrangers, le recours au FMI et les plans qu’il impose ont désintégré la planification. Ils n’ont pu encore imposer la restauration de la propriété privée de l’ensemble des moyens de production. Comment parvenir à imposer «la privatisation des grandes propriétés sociales» est une question non résolue et qui reste très difficile à résoudre face à une grande partie de la population laborieuse dont l’existence dépend du maintien de la propriété étatique de nombre de moyens de production.


La Yougoslavie déchirée de contradictions nationales, sociales et politiques reste une dangereuse charge explosive située au sud de la partie est de l’Europe que redoutent les grandes puissances impérialistes, la bureaucratie du Kremlin et les régimes instables de cette région de l’Europe.


Le 27/05/1991


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