Article paru dans CPS n°33 de juin 2008 Quelques enseignements de la grève générale de mai-juin 1968Le texte qui suit a servi de trame pour l'exposé introductif lors d'une réunion d'étudiants à l'invitation du Groupe Sarkozy a placé son quinquennat sous le thème : "liquider mai juin 68". Or les contre réformes de son gouvernement ne remettent pas en cause les conquêtes ouvrières de 68 (et pour cause, car il n'y en eut pas!) mais celles de 45 (statut de la fonction publique, sécurité sociale, ...). Mais ce faisant c'est le programme du général de Gaulle qu'il réalise, programme dont la mise en oeuvre a été interrompu par l'échec du référendum de 1969 lui même contrecoup de la grève générale. Sarkozy s'appuie à fond sur l'apparente absence d'alternative politique engendrée par le rétablissement du capitalisme en Russie qui a également pour conséquence la coopération ouverte des dirigeants syndicaux à l'élaboration des contre réformes. Ouvertement revendiquée également l'adhésion sans réserve du PS et du PCF au capitalisme et aux institutions de la V° République. C'est sur cette situation politique, particulièrement difficile pour la classe ouvrière et la jeunesse, qu'il compte pour vaincre sans être confronté à un affrontement centralisé qui poserait la question du pouvoir. C'est sans compter avec les développements de la crise du capitalisme et leurs conséquences dramatiques pour des centaines de millions d'hommes. Ils font et feront inévitablement surgir les questions : qui doit gouverner? Au compte de qui? La seule alternative à la propriété privée des moyens de production c'est leur socialisation. C'est cette aspiration à en finir avec l'exploitation capitaliste qui nourrissait le formidable mouvement de la grève générale. Il n'est au pouvoir de personne de la faire disparaître définitivement. Mais le mouvement spontané de la classe ouvrière et de la jeunesse a lui seul ne suffit pas à balayer les obstacles, de ce point de vue "s'approprier" la grève générale de 68 c'est à dire en tirer les enseignements est indispensable au combat pour la construction du Parti Ouvrier Révolutionnaire et de l'Internationale Ouvrière Révolutionnaire. Le contexte internationalL’image qui exprime au plus haut point l'enjeu historique dans cette année 68, est peut être la photo reproduite il y a quelques semaines en dernière page de "Il Manifesto", une photo sur laquelle on voit trois jeunes pragois interpeller un soldat russe (très jeune lui aussi) debout sur son char. On est place Wenceslas à Prague au mois d'août quelques heures après l'invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes de la bureaucratie du Kremlin. Incompréhension, angoisse, rage dans les yeux des jeunes tchèques et profond malaise du soldat russe. Sous la photo un titre, le cri lancé aux soldats russes : " Nous, nous sommes communistes, vous qui êtes vous? Un peu plus loin ils répondent eux mêmes : "Les esclaves aveugles de Brejnev ". Dans le corps de l'article ce dialogue entre un jeune officier russe et les manifestants qui l'entourent. - Un manifestant : " Comment tu t'appelles? Pourquoi vous nous massacrez, pourquoi vous êtes venus, qu'est ce qu'on vous a fait ? " - L'officier : " Je ne sais pas, ils nous ont dit que c'étaient les troupes allemandes et américaines qui occupaient la ville et que les contre révolutionnaires massacraient les communistes, que vous vouliez sortir du pacte de Varsovie comme la Hongrie de 56 ... mais ici ce sont des jeunes comme moi qui me crient en face qu'ils sont communistes ... moi qu'est ce que je fais ici? Je m'appelle Serguei ... quoiqu'il en soit mon peloton ne tire plus, pour moi il ne doit plus tirer ". Il prend alors le téléphone et donne l'ordre de ne plus tirer. Dans les jours suivants la bureaucratie du Kremlin remplace ces troupes par des soldats du Kirghizstan qui ne parlent ni ne comprennent le russe... Dans cette interpellation, en août 68, s'exprime la volonté des ouvriers et jeunes tchèques de se débarrasser de la dictature stalinienne, de revenir à la démocratie des conseils ouvriers. Cette profonde aspiration à mettre bas le stalinisme et à restaurer le socialisme en Pologne et en Tchécoslovaquie qui a un écho jusqu'en URSS se combine avec le mouvement qui en France, en Italie, mais aussi en Allemagne, au Japon, aux Etats Unis dresse la jeunesse et souvent de larges secteurs de la classe ouvrière contre l'impérialisme et ses gouvernements. Les manifestations contre le génocide du peuple vietnamien rassemblent des centaines de milliers de jeunes et d'ouvriers partout dans le monde, en premier lieu aux Etats Unis. En finir avec l'impérialisme, en finir avec l'exploitation capitaliste, en finir avec le stalinisme, voilà ce qui en dépit des frontières, des distances et de conditions nationales différentes unit les mouvements de la jeunesse et de la classe ouvrière de cette année là, voilà pourquoi elle marque à ce point la fin du XX° siècle. La situation françaiseH.Weber a publié en 1998 un livre intitulé " Faut-il liquider 68?". En 1968 Il était dirigeant de la LCR, lorsqu'il écrit son ouvrage, il est devenu député européen PS et conseiller de L.Fabius. Il se présente avec l'autorité d'un homme qui est censé avoir combattu pour la révolution prolétarienne mais qui, grâce à Dieu? plus sûrement sous l'attraction des salons ministériels, a compris qu'il s'était fourvoyé. C'est ce qu'il prétend démontrer. Pour se faire il trempe sa plume dans le même encrier que le directeur du "Monde" , P.Vianson Ponté, qui écrivait le 1° Mai 68 : " La France s'ennuie" et pour qui la grève générale a surgi comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Pour tout examen de la situation de la classe ouvrière et de la jeunesse, de la politique et des objectifs de la V° République il expédie ces deux phrases (page 21) : "Qu'au plus fort des trente glorieuses, alors que le PNB croît de 5% l'an, que le chômage est à peine "frictionnel", que les menaces de guerre s'éloignent à l'horizon, que la société d'abondance, de loisirs, de communication adopte sa vitesse de croisière, que tous les plaisirs de la vie semblent s'offrir aux citoyens des pays développés, la jeunesse des pays développés, la jeunesse occidentale lève soudainement l'étendard rouge et noir de la révolte, voilà qui me paraît toujours inexpliqué, inexplicable. Que ce raz de marée déferle, avec une incroyable synchronisation, sur les démocraties d'Occident, mais aussi et simultanément dans nombre des pays de l'Est et du tiers monde, voilà qui me paraît non moins surprenant". Une évocation idyllique de l'époque après laquelle la grève générale paraît tout à fait "inexplicable" et "inexpliquée" ! Mais une évocation qui est une falsification grossière de la réalité. Comment oser écrire : "les menaces de guerre s'éloignent à l'horizon" alors que le général Westmoreland, chef d'état major américain au Vietnam a déclaré : "Nous les réduirons à l'âge de pierre" et conduit une guerre qui fera plus de 5 millions de morts parmi les vietnamiens? Quant aux "plaisirs de la vie" que promet le gaullisme aux travailleurs et aux jeunes de ce pays en 1968 nous allons en parler. Nous en sommes alors à la dixième année du régime pour lequel le général De Gaulle s'était préparé depuis son départ du gouvernement d'Union Nationale en 1946. Mais de ce régime, pour H.Weber, il n'est pas question d'esquisser la moindre analyse, à l'inverse : " Au débit du Mai français, je mettrais surtout le vif retour de flamme de la culture révolutionnaire et de l'anticapitalisme de principe, qui avaient amorcé une lente régression à la faveur des trente glorieuses, mais qui a été puissamment réactivés par les "événements". Ce regain de l'idéologie de "lutte des classes" a considérablement renforcé les rigidités de la société française à un moment où le ralentissement de la croissance, la révolution technologique, la mondialisation de l'économie, le renouvellement et la différenciation de la demande, l'inefficacité croissante des régulations étatiques imposaient un énorme effort de redéploiement et de modernisation. ... " (page 12). Comment ne pas mettre cette condamnation de la lutte de classe du prolétariat en parallèle avec celle proférée par De Gaulle le 29 juin 1947 (discours de Lille) : " Il est donc clair que les conflits inspirés par la lutte des classes ne correspondent plus en rien aux réalités d'aujourd'hui et ne peuvent que nous mener tous à la ruine, à la misère et à la servitude". Même objectif, mêmes moyens. Dès 1958 le plan Rueff Armand se fixe comme objectif (d') "asseoir sur des bases solides la capacité concurrentielle de l'économie française" par la constitution " d'un petit nombre d'entreprises ou de groupes de taille internationale". C'est très exactement la "modernisation", en régime capitaliste il n'y en a pas d'autre possible, dont ce réclame H.Weber ce qui explique qu'à aucun moment il ne remette en cause la V° République et déplore la grève générale qui a entravé sa glorieuse marche en avant! Quel est le contenu de cette "modernisation"? En 1965, la revue patronale "Entreprise" le donne: " 1) Il n'y a pas d'indépendance sans le développement régulier des exportations. 2) Il faut donc améliorer l'appareil industriel en accélérant le mouvement de fusion des entreprises et favoriser le rajeunissement de l'industrie en rendant l'investissement plus attrayant". (…) C'est peut être à propos des échanges extérieurs qu'apparaît le plus clairement l'effort à réaliser... La modernisation de l'équipement est, par l'abaissement des prix de revient qu'elle permet, la condition nécessaire de notre expansion commerciale à l'étranger.". Pour "abaisser les prix de revient" et soutenir le taux de profit il faut faire baisser le coût du travail c'est à dire profiter des concentrations d'entreprise pour réduire les effectifs, déqualifier les emplois pour faire baisser les salaires, accélérer les cadences de travail. Ces objectifs nécessitent d'affronter le prolétariat, de remettre en cause les conquêtes ouvrières arrachées dans la crise révolutionnaire de 1945 et donc de renforcer l'État. Pour cela De Gaulle développe considérablement les pouvoirs de l'exécutif. Il institue un régime présidentiel, les pouvoirs spéciaux, renforce l'appareil policier (CRS, polices urbaines, gardes mobiles), réorganise l'appareil préfectoral et le ministère de l'intérieur, procède à la quasi suppression de toute indépendance pour les juges du parquet, réforme de la procédure de l'instruction avec institution du « secret », de l'allongement des délais de garde à vue ... Bien entendu ce programme s'accompagne d'une menace sur les organisations syndicales ouvrières sommées d'accompagner l'entreprise de "modernisation" de l'appareil de production pour le rendre concurrentiel à la veille de l'ouverture du marché commun prévue en mai 1968. Au lendemain de la grève générale des mineurs, lors de sa conférence de presse du 29 juillet De Gaulle exige : " de la part des syndicats, un renouvellement quand à leur volonté de prendre part d'une manière constructive à ce qui est projeté et exécuté". Cette politique a des effets bien visibles (sauf pour le H.Weber de 1998). Des journalistes de la presse radiophonique qui ont couvert les "événements" et publié immédiatement après "Le mai de la révolution" notent (p.20): " La situation sociale n'est pas très bonne. Les chômeurs sont nombreux. Surtout chez les jeunes ; au total il y en aurait 500000." Chez les jeunes de 18 à 24 ans le chômage a augmenté de 50% dans la seule année qui précède la grève générale. Une parenthèse sur "le chômage à peine frictionnel" (selon H.Weber) une façon de dire qu'il n'y avait pas de quoi fouetter un chat et encore moins de déclencher une grève générale. Tout le monde sait que la situation n'a cessé de se dégrader par la suite, mais considérer que les jeunes de 68 auraient du se satisfaire de leur sort du fait que ce serait pire plus tard est, au minimum, une ânerie ; c'est comme dire (après coup) qu'on ne comprend pas que les soldats russes de 1917 se soient révoltés contre la poursuite de la première guerre mondiale au motif que la seconde serait beaucoup plus sanglante. Parallèlement le processus de modernisation de la production s'accompagne d'une tendance à la déqualification d'une bonne part des emplois industriels. La course à l'élévation de la productivité entraîne d'autre part une dégradation des conditions de travail, les trop fameuses "cadences infernales". Mais quand on aborde la question des qualifications il faut en venir à la formation et donc au système scolaire. Les réformes scolaires et universitairesSi ils veulent bien évoquer les revendications de la jeunesse concernant la mixité dans les cités universitaires, au demeurant parfaitement justifiées, les "historiens" des "événements" sont beaucoup plus discrets sur le contenu réel des réformes voulues par le général, réformes dont le maître mot est sélection. Le "Mai de la révolution" est beaucoup plus honnête lorsqu'il relate cette confidence du général De Gaulle à des universitaires de Bucarest, où il est en visite officielle le 18 mai 1968 (on est en pleine extension de la grève) : " On m'a dit ce matin que vos jeunes passaient un examen à la fin du secondaire. Chez vous il y a un examen spécial pour entrer à l'Université. Vous avez bien raison. Nous, nous ne l'avons pas et alors nous sommes submergés par un certain nombre d'étudiants qui ne peuvent pas, qui ne veulent pas suivre, alors naturellement ils s'agitent. Il faut que nous réformions cette sélection suivant cet exemple." Pour le général la mise en place de la sélection à tous les échelons de la scolarité est une obsession, c'est une partie du "plan" de modernisation de l'économie. Du point de vue du capital il faut assurer la formation des cadres techniques et commerciaux, des ingénieurs mais dans la stricte limite de ce qui est apprécié comme nécessaire par le patronat c'est à dire sans tenir compte aucun compte ni des aptitudes ni des aspirations de l'immense masse des jeunes et de leurs familles. Dans une société où, pour l'écrasante majorité, la seule voie pour assurer des conditions de vie meilleures à la nouvelle génération c'est la réussite scolaire et la poursuite des études, la régulation autoritaire des flux scolaires est une contrainte intolérable non seulement pour les jeunes directement concernés mais aussi pour leurs parents ; évocation qui suffit à faire litière du soit disant conflit de générations. Ce qui est en jeu le général De Gaulle qui le dit avec la plus grande netteté comme on peut le voir dans ce compte rendu d'un conseil restreint du 26 mai 1966 : « Il faut que les nombres soient fixés par l'Etat, en particulier pour l'enseignement supérieur, et il faut que le ministre de l'Éducation nationale les impose... Il ne faut pas reculer devant cette critique. (…) Devant les hésitations de ses ministres à prendre les dispositions adéquates il revient à la charge un an plus tard : "Il s'agit d'aboutir, pour cette histoire d'orientation, qu'elle ait lieu, qu'elle se fasse, selon une idée nouvelle : nouvelle au moins, aujourd'hui, car autrefois, elle se faisait. L'Etat donne l'instruction à ceux qui peuvent en profiter, et dans la mesure où cela peut servir la collectivité. Sinon, il n'est pas obligé de la donner - et puis voilà ! » (Compte rendu du conseil restreint du 14 novembre 1967) Dans l'ouvrage "l'histoire des universités en France" on commente : " La réforme Fouchet (...), va faire monter la tension dans les facultés de lettres et de sciences en 1966 et 1967 où la première année du dispositif va être mise en place. (...) Elle vise aussi à susciter les sorties d'étudiants aux différents niveaux du cursus, en particulier après un premier cycle de deux ans sanctionné par un diplôme spécialisé (DUEL ou DUES) qui remplace l'année propédeutique. (…) LA MISE EN PLACE DU SYSTÈME SUPPOSE EN EFFET LA SÉLECTION À L'ENTRÉE DES FACULTÉS DONT ON PARLE DE PLUS EN PLUS EN 1966 ET SURTOUT EN 1967 POUR LA RENTRÉE 1968. Les doyens de quelques grandes facultés parisiennes se taillent alors une réputation de durs en en dénonçant les "étudiants fantômes", en criant qu'il faut sauver l'Université qui ploie sous une masse d'inaptes et de désinvoltes." Ces doyens de choc ce sont Grapin à Nanterre, et Zamansky à la Sorbonne sciences. Deux lieux qui sont souvent évoqués à propos du déclenchement de la grève générale des universités mais sous l'angle de l'influence supposée des "gauchistes" et du rôle supposé du chouchou des médias D.Cohn Bendit, jamais pour dire que ce sont deux facultés pour lesquels avaient été annoncé la mise en place de la sélection à la rentrée 68 ... A ces annonces ajoutons celle, lapidaire, du ministre de l'Education nationale Alain Peyrefitte le 17 janvier 1967 à Caen: "Il y trop d'étudiants dans les universités". La palme d'or de la formule la plus raffinée revenant au recteur Capelle (coauteur de la réforme Capelle - Fouchet) : "Faire de l'Université une entreprise rentable (...) Eliminer les 2/3 de déchets". Précisons qu'il ne s'agit pas seulement de l'Université, la réforme Fouchet de 1963 a réorganisé les études à la sortie de l'école primaire. Tous les élèves ont désormais accès au collège mais celui ci partage les élèves en 3 flux : l'un pour ceux qui sont destinés à rejoindre la vie active sans qualification, le second pour les élèves qui seront orientés sur un cycle court à l'issue du collège et le troisième qui ouvre sur le lycée et les études supérieures. L'importance relative de ces flux doit être fixée en fonction des besoins en main d'oeuvre déterminés par le patronat et repris dans le Plan du gouvernement. La jeunesse étudiante qui ne se résigne pas aux "plaisirs de la vie" que lui réserve la société capitaliste et tente de s'organiser pour défaire les réformes gaullistes ne va pas tarder à goûter les "plaisirs" que le renforcement de l'appareil d'état lui a préparé. Avec la complicité du P.C.F, De Gaulle donne l’ordre du passage en forceLa date du 3 mai peut être retenue comme celle du début du processus qui débouchera une dizaine de jours plus tard sur le déclenchement de la grève générale. La veille le doyen Grappin a annoncé la fermeture de la faculté de Nanterre, 7 étudiants sont convoqués devant le conseil de discipline. L'UNEF convoque un meeting de protestation l'après midi du 3 à la Sorbonne. Rétrospectivement nombre de commentateurs bourgeois ont déclaré que l'intervention policière à la Sorbonne ce jour à 16 heures avait été une erreur du gouvernement. Facile à dire après coup. Mais le gouvernement savait bien qu'il ne pouvait pas éviter le choc avec la jeunesse étudiante, le tout était d'obtenir que la répression puisse se faire sans que bouge la classe ouvrière ; seule face à l'État bourgeois la jeunesse étudiante était condamnée à l'écrasement. C'est pourquoi on peut dire que le feu vert à la répression vient du PCF dont le quotidien "L'Humanité" affiche à la "une", le matin même du 3 Mai, un pavé : " La faculté de Nanterre fermée à partir d'aujourd'hui". En page 6, on trouve la reproduction de la déclaration du doyen Grappin et ce commentaire : " Ainsi les activités des groupes pseudo-révolutionnaires - que nous n'avons cessé de dénoncer- ont abouti à une mesure qui lèse gravement la masse des étudiants". Le PCF est alors le parti dominant dans la classe ouvrière, il a des dizaines de milliers de militants, il contrôle la direction de la CGT, est solidement implanté dans tous les secteurs décisifs de la classe ouvrière en premier lieu dans la métallurgie. Aux élections de Mai 67 ses candidats ont réuni plus de 22% des suffrages. Sur 3 colonnes en première page un long article de G.Marchais, membre du Bureau Politique du PCF intitulé : "De faux révolutionnaires à démasquer". On y lit : " Les groupuscules gauchistes s'agitent dans tous les milieux ... Non satisfaits de l'agitation qu'ils mènent dans les milieux étudiants - agitation qui va à l'encontre des intérêts de la masse des étudiants et favorise les provocations fascistes- voilà que ces pseudo révolutionnaires émettent maintenant la prétention de donner des leçons au mouvement ouvrier... ces faux révolutionnaires doivent être énergiquement démasqués car, objectivement, ils servent les intérêts du pouvoir gaulliste... C'est pourquoi il faut combattre et isoler complètement tous les groupuscules gauchistes..." Toujours ce 3 mai les groupuscules (ce terme en l'occurrence convient) fascisants, dont les liens avec la police sont évidents, ont affirmé qu'ils " nettoieraient la Sorbonne de la "racaille marxiste”. Plusieurs centaines de militants du 22 mars, de la JCR, des groupes pro-chinois, de la Fédération des étudiants révolutionnaires se sont rassemblés dans la cour de la Sorbonne à l'appel de l'UNEF. De considérables forces de police cernent la Sorbonne et ensuite y pénètrent à l'appel du recteur. Ils arrêtent les militants de ces organisations, qu'ils embarquent dans des cars. Spontanément, plusieurs milliers d'étudiants se rassemblent dans les rues avoisinantes de la Sorbonne, Ils manifestent. Un cri jaillit : "Libérez nos camarades ! ” Des arrestations, des condamnations à des peines de prison ferme sont prononcées. La Sorbonne est fermée et occupée par les forces de police. L'UNEF et le SNESUp lancent l'ordre de grève générale des étudiants et des professeurs d'université. Ils adressent un appel aux travailleurs, leur demandant de manifester leur solidarité. Le mouvement étudiant est ordonné par des revendications précises : levée des poursuites administratives, judiciaires et universitaires engagées contre les étudiants, non-lieu sur les enquêtes en cours, libération des détenus, retrait de toutes les forces de police de tous les lieux universitaires et de leurs environs, réouverture des établissements universitaires. Cependant, y compris telle qu'elle est engagée, l'épreuve de force avec les étudiants n'effraie pas le gouvernement Pompidou-de Gaulle. L'Etat bourgeois a les ressources d'écraser les étudiants... si la classe ouvrière ne se met pas en mouvement. C'est de son intervention que dépend entièrement l'issue de la lutte. Le processus qui aboutira à la grève générale de vingt-quatre heures et à la manifestation du 13 mai s'amorce au cours des journées du 6 et du 7 mai, lorsque par milliers les jeunes travailleurs rejoignent les manifestations étudiantes et participent aux engagements avec la police et les CRS. On peut se faire une idée de la pression qu'y s’exercent les directions des syndicats à travers la motion adressée par les syndiqués SNES du lycée d'Aubervilliers dès le 7 mai 68 : " 1) (la section) APPELLE les enseignants à se solidariser avec l'U.N.E.F et le S.N.E Sup et à manifester le 7 mai à 18H30 aux côtés des étudiants 2)(la section) S'INDIGNE de l'absence de réactions syndicales ... ". (publiée dans le numéro d'avril 2008 du SNES, sous le titre général "Le SNES dans les luttes de mai juin 68", les "luttes", surtout pas la grève générale ...). De l'aveu même de la direction nationale aujourd'hui, des adresses de ce type la direction nationale en a alors reçu des milliers jusqu'au 10 juin. Le "tournant"Cette adhésion spontanée d'une avant garde ouvrière aux manifestations, la solidarité jeunes travailleurs-étudiants qui s'affirme dans le combat contre les forces de police va imposer un "tournant" aux organisations du mouvement ouvrier, à ce titre l'évolution du discours de la direction de la CGT est extrêmement significative. Le 7 mai, G Séguy, secrétaire général de la CGT est encore sur la "ligne Marchais" du 3 mai : "La solidarité entre les étudiants, les enseignants et la classe ouvrière est une notion bien connue de tous les militants de la CGT. C'est une tradition qui nous incite justement à n'avoir aucune complaisance envers les éléments troubles et provocateurs qui dénigrent la classe ouvrière l'accusant d'être embourgeoisée et ont l'outrancière prétention de venir lui inculquer la théorie révolutionnaire et diriger son combat. Avec d'autres gauchistes, des éléments s'emploient à vider le syndicalisme étudiant de son contenu revendicatif, démocratique et de masse au préjudice de l'UNEF. Mais ils agissent à la satisfaction du pouvoir et des cercles réactionnaires qu'ils entretiennent dans les milieux universitaires dans le but de s'emparer de la direction du mouvement étudiant. Le mouvement ouvrier n'a nul besoin d'encadrement petit bourgeois..." Mais le lendemain 8 mai un responsable de la CGT intervient au meeting parisien convoqué par l'UNEF et le SNESup, il appelle "Les étudiants à renforcer l'union avec les travailleurs". Les 9 et 10 mai les directions des organisations ouvrières, particulièrement celle de la CGT mais aussi celles des grands partis ouvriers, singulièrement celle du PCF, sont contraintes, en raison de l'indignation, de la colère, du sentiment de solidarité nécessaire avec les étudiants qui s'emparent des travailleurs, de "tourner". En contact avec l'UNEF, le jeudi 9 mai et le vendredi 10 mai, elles projettent pour le mardi 14 mai une manifestation qui doit affirmer la solidarité des travailleurs avec les étudiants. Dans la nuit du 10 au 11 mai, sans aucune perspective, sous la direction de Cohn Bendit et de la JCR, plusieurs milliers d'étudiants se laissent enfermer par des milliers et des milliers de policiers, de CRS, de gardes mobiles comme dans une nasse au coeur du quartier Latin. Ils construisent des barricades se battent avec acharnement et courage contre les forces policières. Cohn Bendit proposait comme objectif à cette manifestation la réoccupation de la Sorbonne par les étudiants. Quelques heures plus tard, à 6 heures du matin il ne peut qu'en appeler aux organisations syndicales contre la répression (quel aveu d'échec pour cet adversaire déclaré du mouvement ouvrier qui déclarait quelques semaines auparavant : "Les syndicats sont des bordels, l'UNEF est une putain" ; malheureusement de cette expérience il ne tirera aucun enseignement). Fort heureusement, la mobilisation de la classe ouvrière est suffisamment engagée Les travailleurs ne sauraient en effet tolérer la répression subie par les étudiants. Ils ont acquis la conviction que leur écrasement par les forces de l'appareil d'Etat serait une victoire politique du gouvernement Pompidou-de Gaulle qui lui donnerait les moyens de précipiter son offensive contre la classe ouvrière. Le matin du 11 mai, les centrales syndicales se rendent compte que la classe ouvrière n'est pas décidée à se laisser faire : elles donnent l'ordre de grève générale et de manifestations pour le 13 mai. A peine de retour d'Afghanistan, Pompidou rectifie le tir et opère une retraite stratégique : les forces de police évacueront la Sorbonne, il n'y aura pas de sanctions, les emprisonnés seront libérés. Trop tard : l'appel des centrales syndicales a cristallisé l'aspiration des travailleurs à engager le combat contre le gouvernement, contre de Gaulle, qui se développe depuis des années. Le 13 mai, un million de travailleurs et de jeunes se rassemblent et s'unifient comme classe, au cours de la manifestation, sur le mot d'ordre politique : " De Gaulle, dix ans ça suffit ! ". Ils ouvrent la voie à 10 millions de travailleurs qui vont se précipiter dans la grève générale. La grève générale est venue de loin(Cette partie est largement reprise de l'article de Stéphane Just dans "La Vérité" N° 591 d'avril 1980) Les éléments de l'explosion se sont accumulés tout au long de la période 63-68. Pourquoi depuis 63? De 58 à 62 le général De Gaulle avait du régler la question coloniale (...) Dans toute les colonies les masses se dressaient ou étaient prêtes à se dresser contre le régime colonial. Il lui était indispensable de mettre fin à l'ancien colonialisme, d'accorder aux anciennes colonies leur indépendance politique. Accorder l'indépendance politique, particulièrement à l'Algérie, vouée depuis 1830 à devenir une colonie de peuplement, amenait inéluctablement à une nouvelle crise politique qui fissurait de haut en bas la bourgeoisie, le corps des officiers, l'État. A sa prise de pouvoir de Gaulle devait tenir compte de ces données. Il lui fallait ménager les anciens partis et les organisations ouvrières tant que cette question ne serait pas réglée, pour faire face et mettre en échec, au cas d'une nouvelle crise "nationale" déchirant l'État, les forces attachées au colonat, qui avaient pourtant contribué à le porter au pouvoir. Mais une fois réglé le problème de l'Algérie, le régime bonapartiste doit s'atteler à réaliser pleinement le programme qui le justifie aux yeux du grand capital : bouleverser radicalement les rapports entre les classes en France, détruire le mouvement ouvrier organisé, syndicats et partis, broyer la classe ouvrière. Grâce à l'appui des partis ouvriers, qui ont appelé à répondre "oui”, de Gaulle a obtenu 90,70 % au référendum du 8 avril 1962 ratifiant les accords d'Evian. Le 28 octobre 1962 il procède au référendum qui institue l'élection du président de la République au suffrage universel (62,25 % de oui). Au mois de novembre, lors des élections législatives, une majorité de députés inconditionnels est élue à l'assemblée nationale. Le succès politique remporté par de Gaulle en octobre 1962, que complétaient les élections de novembre à l'Assemblée nationale, ne suffisait pas. Il était trop tard pour espérer, à froid, briser la classe ouvrière, intégrer les organisations syndicales, établir le corporatisme, "en finir avec les partis", Une bataille d'une importance capitale était devenue inévitable entre l'Etat bonapartiste que de Gaulle incarnait et le prolétariat. De Gaulle a cru qu'il pouvait gagner cette bataille décisive au détriment des mineurs. (…) Depuis la fin de l'année 1962, une forte agitation se manifestait dans les mines. Les mineurs veulent que leurs revendications soient satisfaites ou engager le combat. Le 28 février, Bokanowski, ministre du Travail, reçoit quelques minutes les représentants des fédérations du sous-sol. Il leur signifie le "non” du gouvernement aux revendications des mineurs. Les mineurs rejettent les "grèves tournantes” et autres "actions” bidon. Ils veulent et imposent aux dirigeants syndicaux la grève générale jusqu'à satisfaction. La grève est décidée à partir du lundi 4 mars, où seules travaillent les mines de Lorraine. De Gaulle décrète la réquisition des mineurs. En Lorraine où, au référendum d'octobre 1962, de Gaulle a obtenu 92% de oui, la grève des mineurs est générale le 4. Elle est générale dans tous les bassins le 5 mars. La réquisition a échoué. Pendant cinq semaines, la grève générale des mineurs va se poursuivre, inébranlable. Contre la tentative de de Gaulle de porter un coup décisif à toute la classe ouvrière, par mineurs interposés, s'affirme la volonté de riposte de la classe ouvrière tout entière ! Le mercredi 13, plusieurs milliers de mineurs de fer venus de Lorraine sont concentrés place des Invalides. Ils viennent à Paris exiger satisfaction à leurs revendications. Le matin, les ouvriers du dépôt de Clichy de la RATP ont décidé de débrayer et d'aller les accueillir. Place des Invalides, ils déploient une banderole où on lit: "Grève générale ; c'est l'aide aux mineurs. ” D'innombrables adresses sont envoyées aux bureaux confédéraux qui leur demandent de s'entendre et d'appeler ensemble à la grève générale. Le bureau confédéral de la CGT répond par une lettre type. On y lit : " ... Vous proposez la grève générale à l'appel des trois centrales nationales, c'est une idée aussi séduisante qu'utopique. Séduisante, car c'est, qu'on le veuille ou non, une solution de facilité qui n'engagerait pas les organisations, mais les seules confédérations. Utopique, car elle laisse croire que tous les problèmes du régime gaulliste peuvent être réglés par ce moyen. Ce qui laisse imaginer facilement sur quoi déboucherait une telle initiative. ” Le bureau confédéral de la CGT ne veut pas de la grève générale, même position de la direction de FO et de la FEN. Sur ce point unis, ils y opposeront, pendant 5 ans, les grèves tournantes qui permettent au patronat et au gouvernement de continuer de réaliser leurs "réformes". Dans les limites de cette intervention on ne reprendra pas toutes les tentatives de la classe ouvrière d'engager le combat pour mettre un coup d'arrêt à l'offensive de la bourgeoisie. Aux élections de mars 1967 qui voient une progression des partis ouvriers, le parti gaulliste est encore majoritaire. Cela suffit à de Gaulle pour faire voter les pouvoirs spéciaux qui lui permettent de gouverner par ordonnances, celles ci sont promulguées dans l'été. Elles portent sur : - l'emploi (création de l'Agence nationale de l'emploi qui vise à favoriser la mobilité), - la sécurité sociale (relèvement des prestations, limitation des risques couverts, réduction du ticket modérateur, ...), - l'intéressement (faire participer les travailleurs à leur propre exploitation, d'enchaîner les organisations syndicales à la réalisation des objectifs de production de l'entreprise), - l'adaptation des entreprises au Marché commun (allégements fiscaux aux entreprises qui se modernisent). Intensification de la lute des classes et renforcement de l’avant-garde
|
|