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Article paru dans CPS n°33 de juin 2008

Quelques enseignements de la grève générale de mai-juin 1968

Le texte qui suit a servi de trame pour l'exposé introductif lors d'une réunion d'étudiants à l'invitation du Groupe

Sarkozy a placé son quinquennat sous le thème : "liquider mai juin 68". Or les contre réformes de son gouvernement ne remettent pas en cause les conquêtes ouvrières de 68 (et pour cause, car il n'y en eut pas!) mais celles de 45 (statut de la fonction publique, sécurité sociale, ...).  Mais ce faisant c'est le programme du général de Gaulle qu'il réalise, programme dont la mise en oeuvre a été interrompu par l'échec du référendum de 1969 lui même contrecoup de la grève générale. Sarkozy s'appuie à fond sur l'apparente absence d'alternative politique engendrée par le rétablissement du capitalisme en Russie qui a également pour conséquence la coopération ouverte des dirigeants syndicaux à l'élaboration des contre réformes. Ouvertement revendiquée également l'adhésion sans réserve du PS et du PCF au capitalisme et aux institutions de la V° République.

C'est sur cette situation politique, particulièrement difficile pour la classe ouvrière et la jeunesse, qu'il compte pour vaincre sans être confronté à un affrontement centralisé qui poserait la question du pouvoir. C'est sans compter avec les développements de la crise du capitalisme et leurs conséquences dramatiques pour des centaines de millions d'hommes. Ils font et feront inévitablement surgir les questions : qui doit gouverner? Au compte de qui?

La seule alternative à la propriété privée des moyens de production c'est leur socialisation. C'est cette aspiration à en finir avec l'exploitation capitaliste qui nourrissait le formidable mouvement de la grève générale. Il n'est au pouvoir de personne de la faire disparaître définitivement. Mais le mouvement spontané de la classe ouvrière et de la jeunesse a lui seul ne suffit pas à balayer les obstacles, de ce point de vue "s'approprier" la grève générale de 68 c'est à dire en tirer les enseignements est indispensable au combat pour la construction du Parti Ouvrier Révolutionnaire et de l'Internationale Ouvrière Révolutionnaire.

Le contexte international

L’image qui exprime au plus haut point l'enjeu historique dans cette année 68, est peut être la photo reproduite il y a quelques semaines en dernière page de "Il Manifesto", une photo sur laquelle on voit trois jeunes pragois interpeller un soldat russe (très jeune lui aussi) debout sur son char. On est place Wenceslas à Prague au mois d'août quelques heures après l'invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes de la bureaucratie du Kremlin. Incompréhension, angoisse, rage dans les yeux des jeunes tchèques et profond malaise du soldat russe. Sous la photo un titre, le cri lancé aux soldats russes : " Nous, nous sommes communistes, vous qui êtes vous? Un peu plus loin ils répondent eux mêmes : "Les esclaves aveugles de Brejnev ". Dans le corps de l'article ce dialogue entre un jeune officier russe et les manifestants qui l'entourent.

- Un manifestant : " Comment tu t'appelles? Pourquoi vous nous massacrez, pourquoi vous êtes venus, qu'est ce qu'on vous a fait ? "

- L'officier : " Je ne sais pas, ils nous ont dit que c'étaient les troupes allemandes et américaines qui occupaient la ville et que les contre révolutionnaires massacraient les communistes, que vous vouliez sortir du pacte de Varsovie comme la Hongrie de 56 ... mais  ici ce sont des jeunes comme moi qui me crient en face qu'ils sont communistes ... moi qu'est ce que je fais ici? Je m'appelle Serguei ... quoiqu'il en soit mon peloton ne  tire plus, pour moi il ne doit plus tirer ". Il prend alors le téléphone et donne l'ordre de ne plus tirer. Dans les jours suivants la bureaucratie du Kremlin remplace ces troupes par des soldats du Kirghizstan qui ne parlent ni ne comprennent le russe...

Dans cette interpellation, en août 68, s'exprime la volonté des ouvriers et jeunes tchèques de se débarrasser de la dictature stalinienne, de revenir à la démocratie des conseils ouvriers. Cette profonde aspiration à mettre bas le stalinisme et à restaurer le  socialisme en Pologne et en Tchécoslovaquie qui a un écho jusqu'en URSS se combine avec le mouvement qui en France, en Italie, mais aussi en Allemagne, au Japon, aux Etats Unis dresse la jeunesse et souvent de larges secteurs de la classe ouvrière contre l'impérialisme et ses gouvernements.

Les manifestations contre le génocide du peuple vietnamien rassemblent des centaines de milliers de jeunes et d'ouvriers partout dans le monde, en premier lieu aux Etats Unis. 

En finir avec l'impérialisme, en finir avec l'exploitation capitaliste, en finir avec le stalinisme, voilà ce qui en dépit des frontières, des distances et de conditions nationales différentes unit les mouvements de la jeunesse et de la classe ouvrière de cette année là, voilà pourquoi elle marque à ce point la fin du XX° siècle.

La situation française

H.Weber a publié en 1998 un livre intitulé " Faut-il liquider 68?". En 1968 Il était dirigeant de la LCR, lorsqu'il écrit son ouvrage, il est devenu député européen PS et conseiller de L.Fabius. Il se présente avec l'autorité d'un homme qui est censé avoir combattu pour la révolution prolétarienne mais qui, grâce à Dieu? plus sûrement sous l'attraction des salons ministériels, a compris qu'il s'était fourvoyé.  C'est ce qu'il prétend démontrer. Pour se faire il trempe sa plume dans le même encrier que le directeur du "Monde" , P.Vianson Ponté, qui écrivait le 1° Mai 68 : " La France s'ennuie" et pour qui la grève générale a surgi comme un coup de tonnerre dans un ciel serein.

Pour tout examen de la situation de la classe ouvrière et de la jeunesse, de la politique et des objectifs de la V° République il expédie ces deux phrases (page 21) :

 "Qu'au plus fort des trente glorieuses, alors que le PNB croît de 5% l'an, que le chômage est à peine "frictionnel", que les menaces de guerre s'éloignent à l'horizon, que la société d'abondance, de loisirs, de communication adopte sa vitesse de croisière, que tous les plaisirs de la vie semblent s'offrir aux citoyens des pays développés, la jeunesse des pays développés, la jeunesse occidentale lève soudainement l'étendard rouge et noir de la révolte, voilà qui me paraît toujours inexpliqué, inexplicable.

Que ce raz de marée déferle, avec une incroyable synchronisation, sur les démocraties d'Occident, mais aussi et simultanément dans nombre des pays de l'Est et du tiers monde, voilà qui me paraît non moins surprenant".

Une évocation idyllique de l'époque après laquelle la grève générale paraît tout à fait "inexplicable" et "inexpliquée" ! Mais une évocation qui est une falsification grossière de la réalité. Comment oser écrire : "les menaces de guerre s'éloignent à l'horizon" alors que le général Westmoreland, chef d'état major américain au Vietnam a déclaré : "Nous les réduirons à l'âge de pierre" et conduit une guerre qui fera plus de 5 millions de morts parmi les vietnamiens?

Quant aux "plaisirs de la vie" que promet le gaullisme aux travailleurs et aux jeunes de ce pays en 1968 nous allons en parler.  Nous en sommes alors à la dixième année du régime pour lequel le général De Gaulle s'était préparé depuis son départ du gouvernement d'Union Nationale en 1946. Mais de ce régime, pour H.Weber, il n'est pas question d'esquisser la moindre analyse, à l'inverse :

" Au débit du Mai français, je mettrais surtout le vif retour de flamme de la culture révolutionnaire et de l'anticapitalisme de principe, qui avaient amorcé une lente régression  à la faveur des trente glorieuses, mais qui a été puissamment réactivés par les "événements". Ce regain de l'idéologie de "lutte des classes" a considérablement renforcé les rigidités de la société française à un moment où le ralentissement de la croissance, la révolution technologique, la mondialisation  de l'économie, le renouvellement et la différenciation de la demande, l'inefficacité croissante des régulations étatiques imposaient un énorme effort de redéploiement et de modernisation. ... " (page 12).

Comment ne pas mettre cette condamnation de la lutte de classe du prolétariat en parallèle avec celle proférée par De Gaulle le 29 juin 1947 (discours de Lille) :

" Il est donc clair que les conflits inspirés par la lutte des classes ne correspondent plus en rien aux réalités d'aujourd'hui et ne peuvent  que nous mener tous à la ruine, à la misère et à la servitude".

Même objectif, mêmes moyens. Dès 1958 le plan Rueff Armand se fixe comme objectif (d') "asseoir sur des bases solides la capacité concurrentielle de l'économie française" par la constitution  " d'un petit nombre d'entreprises ou de groupes de taille internationale". C'est très exactement la "modernisation", en régime capitaliste il n'y en a pas d'autre possible, dont ce réclame H.Weber ce qui explique qu'à aucun moment il ne remette en cause la V° République et déplore la grève générale qui a entravé sa glorieuse marche en avant! Quel est le contenu de cette "modernisation"?  En 1965, la revue patronale "Entreprise" le donne:

" 1) Il n'y a pas d'indépendance sans le développement régulier des exportations.

 2) Il faut donc améliorer l'appareil industriel en accélérant le mouvement de fusion des entreprises et favoriser le rajeunissement de l'industrie en rendant l'investissement plus attrayant". (…)

C'est peut être à propos  des échanges extérieurs qu'apparaît le plus clairement l'effort à réaliser... La modernisation de l'équipement est, par l'abaissement des prix de revient qu'elle permet, la condition nécessaire de notre expansion commerciale à l'étranger.".

Pour "abaisser les prix de revient" et soutenir le taux de profit il faut faire baisser le coût du travail c'est à dire profiter des concentrations d'entreprise pour réduire les effectifs, déqualifier les emplois pour faire baisser les salaires, accélérer les cadences de travail.

Ces objectifs nécessitent d'affronter le prolétariat, de remettre en cause les conquêtes ouvrières arrachées dans la crise révolutionnaire de 1945 et donc de renforcer l'État. Pour cela De Gaulle développe considérablement les pouvoirs de l'exécutif. Il institue un régime présidentiel, les pouvoirs spéciaux, renforce l'appareil policier (CRS, polices urbaines, gardes mobiles), réorganise l'appareil préfectoral et le ministère de l'intérieur, procède à la quasi suppression de toute indépendance pour les juges du parquet, réforme de la procédure de l'instruction avec institution du « secret », de l'allongement des délais de garde à vue ...

Bien entendu ce programme s'accompagne d'une menace sur les organisations syndicales ouvrières sommées d'accompagner l'entreprise de "modernisation" de l'appareil de production pour le rendre concurrentiel à la veille de l'ouverture du marché commun prévue en mai 1968.

Au lendemain de la grève générale des mineurs, lors de sa conférence de presse du 29 juillet De Gaulle exige :

 " de la part des syndicats, un renouvellement quand à leur volonté de prendre part d'une manière constructive à ce qui est projeté et exécuté".

Cette politique a des effets bien visibles (sauf pour le H.Weber de 1998). Des journalistes de la presse radiophonique qui ont couvert les "événements" et publié immédiatement après "Le mai de la révolution" notent (p.20): " La situation sociale n'est pas très bonne. Les chômeurs sont nombreux. Surtout chez les jeunes ; au total il y en aurait 500000." Chez les jeunes de 18 à 24 ans le chômage a augmenté de 50% dans la seule année qui précède la grève générale.

Une parenthèse sur "le chômage à peine frictionnel"  (selon H.Weber) une façon de dire qu'il n'y avait pas de quoi fouetter un chat et encore moins de déclencher une grève générale. Tout le monde sait que la situation  n'a cessé de se dégrader par la suite, mais considérer que  les jeunes de 68 auraient du se satisfaire de leur sort du fait que ce serait pire plus tard est, au minimum, une ânerie ; c'est comme dire (après coup) qu'on ne comprend pas que les soldats russes de 1917 se soient révoltés contre la poursuite de la première guerre mondiale au motif que la seconde serait beaucoup plus sanglante.  Parallèlement le processus de modernisation de la production s'accompagne d'une tendance à la déqualification d'une bonne part des emplois industriels. La course à l'élévation de la productivité entraîne d'autre part une dégradation des conditions de travail, les trop fameuses "cadences infernales".

Mais quand on aborde la question des qualifications il faut en venir à la formation et donc au système scolaire.

Les réformes scolaires et universitaires

Si ils veulent bien évoquer les revendications de la jeunesse concernant la mixité dans les cités universitaires, au demeurant parfaitement justifiées, les "historiens" des "événements" sont beaucoup plus discrets sur le contenu réel des réformes voulues par le général, réformes dont le maître mot est sélection.

Le "Mai de la révolution" est beaucoup plus honnête lorsqu'il relate cette confidence du général De Gaulle à des universitaires de Bucarest, où il est en visite officielle le 18 mai 1968 (on est en pleine extension de la grève) :

" On m'a dit ce matin que vos jeunes passaient un examen à la fin du secondaire. Chez vous il y a un examen spécial pour entrer à l'Université. Vous avez bien raison. Nous, nous ne l'avons pas et alors nous sommes submergés par un certain nombre d'étudiants qui ne peuvent pas, qui ne veulent pas suivre, alors naturellement ils s'agitent. Il faut que nous réformions cette sélection suivant cet exemple." 

Pour le général la mise en place de la sélection à tous les échelons de la scolarité est une obsession, c'est une partie du "plan" de modernisation de l'économie.

Du point de vue du capital il faut assurer la  formation des cadres techniques et commerciaux, des ingénieurs mais dans la stricte limite de ce qui est apprécié comme nécessaire par le patronat c'est à dire sans tenir compte aucun compte ni des aptitudes ni des aspirations de l'immense masse des jeunes et de leurs familles. Dans une société où, pour l'écrasante majorité, la seule voie pour assurer  des conditions de vie meilleures à la nouvelle génération c'est la réussite scolaire et la poursuite des études, la régulation autoritaire des flux scolaires est une contrainte intolérable non seulement pour les jeunes directement concernés mais aussi pour leurs parents ; évocation qui suffit à faire litière du soit disant conflit de générations.

Ce qui est en jeu  le général De Gaulle qui le dit avec la plus grande netteté comme on peut le voir dans ce compte rendu d'un conseil restreint du 26 mai 1966 :

« Il faut que les nombres soient fixés par l'Etat, en particulier pour l'enseignement supérieur, et il faut que le ministre de l'Éducation nationale les impose... Il ne faut pas reculer devant cette critique. (…)

Devant les hésitations de ses ministres à prendre les dispositions adéquates il revient à la charge un an plus tard :

"Il s'agit d'aboutir, pour cette histoire d'orientation, qu'elle ait lieu, qu'elle se fasse, selon une idée nouvelle : nouvelle au moins, aujourd'hui, car autrefois, elle se faisait. L'Etat donne l'instruction à ceux qui peuvent en profiter, et dans la mesure où cela peut servir la collectivité. Sinon, il n'est pas obligé de la donner - et puis voilà ! » (Compte rendu du conseil restreint du 14 novembre 1967)

Dans l'ouvrage "l'histoire des universités en France"  on commente :

" La réforme Fouchet (...), va faire monter la tension dans les facultés de lettres et de sciences en 1966 et 1967 où la première année du dispositif va être mise en place. (...) Elle vise aussi à susciter les sorties d'étudiants aux différents niveaux du cursus, en particulier après un premier cycle de deux ans sanctionné par un diplôme  spécialisé (DUEL ou DUES) qui remplace l'année propédeutique. (…) LA MISE EN PLACE DU SYSTÈME SUPPOSE EN EFFET LA SÉLECTION À L'ENTRÉE DES FACULTÉS DONT ON PARLE DE  PLUS EN PLUS EN 1966 ET SURTOUT EN 1967 POUR LA RENTRÉE 1968. Les doyens de quelques grandes facultés parisiennes se taillent alors une réputation de durs en en dénonçant les "étudiants fantômes", en criant qu'il faut sauver l'Université qui ploie sous une masse d'inaptes et de désinvoltes."    

Ces doyens de choc ce sont Grapin à Nanterre, et Zamansky à la Sorbonne sciences. Deux lieux qui sont souvent évoqués à propos du déclenchement de la grève générale des universités mais sous l'angle de l'influence supposée des "gauchistes" et du rôle supposé du chouchou des médias D.Cohn Bendit, jamais pour dire que ce sont deux facultés pour lesquels  avaient été annoncé la mise en place de la sélection à la rentrée 68 ... A ces annonces ajoutons celle, lapidaire, du ministre de l'Education nationale Alain Peyrefitte  le 17 janvier 1967 à Caen: "Il y trop d'étudiants dans les universités".

La palme d'or de la formule la plus raffinée revenant au recteur Capelle (coauteur de la réforme Capelle - Fouchet) :

"Faire de l'Université une entreprise rentable (...) Eliminer les 2/3 de déchets".

Précisons qu'il ne s'agit pas seulement de l'Université, la réforme Fouchet de 1963 a  réorganisé les études à la sortie de l'école primaire. Tous les élèves ont désormais accès au collège mais celui ci partage les élèves en 3 flux : l'un pour ceux qui sont destinés à rejoindre la vie active sans qualification, le second pour les élèves qui seront orientés sur un cycle court à l'issue du collège et le troisième qui ouvre sur le lycée et les études supérieures. L'importance relative de ces flux doit être fixée en fonction des besoins en main d'oeuvre déterminés par le patronat et repris dans le Plan du gouvernement.

La jeunesse étudiante qui ne se résigne pas aux "plaisirs de la vie" que lui réserve la société capitaliste et tente de s'organiser pour défaire les réformes gaullistes ne va pas tarder à goûter les "plaisirs" que le renforcement de l'appareil d'état lui a préparé.

Avec la complicité du P.C.F, De Gaulle donne l’ordre du passage en force

La date du 3 mai peut être retenue comme celle du début du processus qui débouchera une dizaine de jours plus tard sur le déclenchement de la grève générale. La veille le doyen Grappin a annoncé la fermeture de la faculté de Nanterre, 7 étudiants sont convoqués devant le conseil de discipline. L'UNEF convoque un meeting de protestation l'après midi du 3 à la Sorbonne. Rétrospectivement nombre de commentateurs bourgeois ont déclaré que l'intervention policière à la Sorbonne ce jour à 16 heures avait été une erreur du gouvernement. Facile à dire après coup. Mais le gouvernement savait bien qu'il ne pouvait pas éviter le choc avec la jeunesse étudiante, le tout était d'obtenir que la répression puisse se faire sans que bouge la classe ouvrière ; seule face à l'État bourgeois la jeunesse étudiante était condamnée à l'écrasement.

C'est pourquoi on peut dire que le feu vert à la répression vient du PCF dont le quotidien "L'Humanité" affiche à la "une", le matin même du 3 Mai, un pavé : " La faculté de Nanterre fermée à partir d'aujourd'hui". En page 6, on trouve la reproduction de la  déclaration du doyen Grappin et ce commentaire : " Ainsi les activités des groupes pseudo-révolutionnaires - que nous n'avons cessé de dénoncer- ont abouti à une mesure qui lèse gravement la masse des étudiants". Le PCF est alors le parti dominant dans la classe ouvrière, il a des dizaines de milliers de militants, il contrôle la direction de la CGT, est solidement implanté dans tous les secteurs décisifs de la classe ouvrière en premier lieu dans la métallurgie. Aux élections de Mai 67 ses candidats ont réuni plus de 22% des suffrages.

Sur 3 colonnes en première page un long article de G.Marchais, membre du Bureau Politique du PCF intitulé : "De faux révolutionnaires à démasquer". On y lit :

" Les groupuscules gauchistes s'agitent dans tous les milieux ... Non satisfaits de l'agitation qu'ils mènent dans les milieux étudiants - agitation qui va à l'encontre des intérêts de la masse des étudiants et favorise les provocations fascistes- voilà que ces pseudo révolutionnaires émettent maintenant la prétention de donner des leçons au mouvement ouvrier... ces faux révolutionnaires doivent être énergiquement démasqués car, objectivement, ils servent les intérêts du pouvoir gaulliste... C'est pourquoi il faut combattre et isoler complètement tous les groupuscules gauchistes..."

Toujours ce 3 mai les groupuscules (ce terme en l'occurrence convient) fascisants, dont les liens avec la police sont évidents, ont affirmé qu'ils " nettoieraient la Sorbonne de la "racaille marxiste”. Plusieurs centaines de militants du 22 mars, de la JCR, des groupes pro-chinois, de la Fédération des étudiants révolutionnaires se sont rassemblés dans la cour de la Sorbonne à l'appel de l'UNEF.

De considérables forces de police cernent la Sorbonne et ensuite y pénètrent à l'appel du recteur. Ils arrêtent les militants de ces organisations, qu'ils embarquent dans des cars. Spontanément, plusieurs milliers d'étudiants se rassemblent dans les rues avoisinantes de la Sorbonne, Ils manifestent. Un cri jaillit : "Libérez nos camarades !  ” Des arrestations, des condamnations à des peines de prison ferme sont prononcées. La Sorbonne est fermée et occupée par les forces de police. L'UNEF et le SNESUp lancent l'ordre de grève générale des étudiants et des professeurs d'université. Ils adressent un appel aux travailleurs, leur demandant de manifester leur solidarité.

Le mouvement étudiant est ordonné par des revendications précises : levée des poursuites administratives, judiciaires et universitaires engagées contre les étudiants, non-lieu sur les enquêtes en cours, libération des détenus, retrait de toutes les forces de police de tous les lieux universitaires et de leurs environs, réouverture des établissements universitaires.

Cependant, y compris telle qu'elle est engagée, l'épreuve de force avec les étudiants n'effraie pas le gouvernement Pompidou-de Gaulle. L'Etat bourgeois a les ressources d'écraser les étudiants... si la classe ouvrière ne se met pas en mouvement. C'est de son intervention que dépend entièrement l'issue de la lutte.

Le processus qui aboutira à la grève générale de vingt-quatre heures et à la manifestation du 13 mai s'amorce au cours des journées du 6 et du 7 mai, lorsque par milliers les jeunes travailleurs rejoignent les manifestations étudiantes et participent aux engagements avec la police et les CRS. On peut se faire une idée de la pression qu'y s’exercent les directions des syndicats à travers la motion adressée par les syndiqués SNES du lycée d'Aubervilliers dès le 7 mai 68 :

" 1) (la section) APPELLE les enseignants à se solidariser avec l'U.N.E.F et le S.N.E Sup et à manifester le 7 mai à 18H30 aux côtés des étudiants

  2)(la section) S'INDIGNE de l'absence de réactions syndicales ... ". (publiée dans le numéro d'avril 2008 du SNES, sous le titre général "Le SNES dans les luttes de mai juin 68", les "luttes", surtout pas la grève générale ...). De l'aveu même de la direction nationale aujourd'hui, des adresses de ce type la direction nationale en a alors reçu des milliers jusqu'au 10 juin.

Le "tournant"

Cette adhésion spontanée d'une avant garde ouvrière aux manifestations,  la solidarité jeunes travailleurs-étudiants qui s'affirme dans le combat contre les forces de police va imposer  un  "tournant" aux organisations du mouvement ouvrier, à ce titre l'évolution du discours de la direction de la CGT est extrêmement significative.  Le 7 mai, G Séguy, secrétaire général de la CGT  est encore sur la "ligne Marchais" du 3 mai :

 "La solidarité entre les étudiants, les enseignants et la classe ouvrière est une notion bien connue de tous les militants de la CGT. C'est une tradition qui nous incite justement à n'avoir aucune complaisance envers les éléments troubles et provocateurs qui dénigrent la classe ouvrière l'accusant d'être embourgeoisée et ont l'outrancière prétention  de venir lui inculquer la théorie révolutionnaire et diriger son combat.

Avec d'autres gauchistes, des éléments s'emploient à vider le syndicalisme étudiant de son contenu revendicatif, démocratique et de masse au préjudice de l'UNEF. Mais ils agissent à la satisfaction du pouvoir et des cercles réactionnaires qu'ils entretiennent dans les milieux universitaires dans le but de s'emparer de la direction du mouvement étudiant. Le mouvement ouvrier n'a nul besoin d'encadrement petit bourgeois..."

Mais le lendemain 8 mai un responsable de la CGT intervient au meeting parisien convoqué par l'UNEF et le SNESup, il appelle "Les étudiants à renforcer l'union avec les travailleurs".

Les 9 et 10 mai les directions des organisations ouvrières, particulièrement celle de la CGT mais aussi celles des grands partis ouvriers, singulièrement celle du PCF, sont contraintes, en raison de l'indignation, de la colère, du sentiment de solidarité nécessaire avec les étudiants qui s'emparent des travailleurs, de "tourner". En contact avec l'UNEF, le jeudi 9 mai et le vendredi 10 mai, elles projettent pour le mardi 14 mai une manifestation qui doit affirmer la solidarité des travailleurs avec les étudiants. Dans la nuit du 10 au 11 mai, sans aucune perspective, sous la direction de Cohn Bendit et de la JCR, plusieurs milliers d'étudiants se laissent enfermer par des milliers et des milliers de policiers, de CRS, de gardes mobiles comme dans une nasse au coeur du quartier Latin. Ils construisent des barricades se battent avec acharnement et courage contre les forces policières.

Cohn Bendit proposait comme objectif à cette manifestation la réoccupation de la Sorbonne par les étudiants. Quelques heures plus tard, à 6 heures du matin il ne peut qu'en appeler aux organisations syndicales contre la répression (quel aveu d'échec pour cet adversaire déclaré du mouvement ouvrier qui déclarait quelques semaines auparavant : "Les syndicats sont des bordels, l'UNEF est une putain" ; malheureusement de cette expérience il ne tirera aucun enseignement).

Fort heureusement, la mobilisation de la classe ouvrière est suffisamment engagée

Les travailleurs ne sauraient en effet tolérer la répression subie par les étudiants. Ils ont acquis la conviction que leur écrasement par les forces de l'appareil d'Etat serait une victoire politique du gouvernement Pompidou-de Gaulle qui lui donnerait les moyens de précipiter son offensive contre la classe ouvrière. Le matin du 11 mai, les centrales syndicales se rendent compte que la classe ouvrière n'est pas décidée à se laisser faire : elles donnent l'ordre de grève générale et de manifestations pour le 13 mai.

A peine de retour d'Afghanistan, Pompidou rectifie le tir et opère une retraite stratégique : les forces de police évacueront la Sorbonne, il n'y aura pas de sanctions, les emprisonnés seront libérés. Trop tard : l'appel des centrales syndicales a cristallisé l'aspiration des travailleurs à engager le combat contre le gouvernement, contre de Gaulle, qui se développe depuis des années.

Le 13 mai, un million de travailleurs et de jeunes se rassemblent et s'unifient comme classe, au cours de la manifestation, sur le mot d'ordre politique : " De Gaulle, dix ans ça suffit ! ". Ils ouvrent la voie à 10 millions de travailleurs qui vont se précipiter dans la grève générale.

La grève générale est venue de loin

(Cette partie est largement reprise de l'article de Stéphane Just dans "La Vérité" N° 591 d'avril 1980)

Les éléments de l'explosion se sont accumulés tout au long de la période 63-68.  Pourquoi depuis 63?  De 58 à 62 le général De Gaulle avait du régler la question coloniale (...)  Dans toute les colonies les masses se dressaient ou étaient prêtes à se dresser contre le régime colonial. Il lui était indispensable de mettre fin à l'ancien colonialisme, d'accorder aux anciennes colonies leur indépendance politique. Accorder l'indépendance politique, particulièrement à l'Algérie, vouée depuis 1830 à devenir une colonie de peuplement, amenait inéluctablement à une nouvelle crise politique qui fissurait de haut en bas la bourgeoisie, le corps des officiers, l'État. A sa prise de pouvoir de Gaulle devait tenir compte de ces données. Il lui fallait ménager les anciens partis et les organisations ouvrières tant que cette question ne serait pas réglée, pour faire face et mettre en échec, au cas d'une nouvelle crise "nationale" déchirant l'État, les forces attachées au colonat, qui avaient pourtant contribué à le porter au pouvoir.

Mais une fois réglé le problème de l'Algérie, le régime bonapartiste doit s'atteler à réaliser pleinement le programme qui le justifie aux yeux du grand capital : bouleverser radicalement les rapports entre les classes en France, détruire le mouvement ouvrier organisé, syndicats et partis, broyer la classe ouvrière.

Grâce à l'appui des partis ouvriers, qui ont appelé à répondre "oui”, de Gaulle a obtenu 90,70 % au référendum du 8 avril 1962 ratifiant les accords d'Evian. Le 28 octobre 1962 il  procède au référendum qui institue l'élection du président de la République au suffrage universel (62,25 % de oui). Au mois de novembre, lors des élections législatives, une majorité de députés inconditionnels est élue à l'assemblée nationale.

Le succès politique remporté par de Gaulle en octobre 1962, que complétaient les élections de novembre à l'Assemblée nationale, ne suffisait pas. Il était trop tard pour espérer, à froid, briser la classe ouvrière, intégrer les organisations syndicales, établir le corporatisme, "en finir avec les partis", Une bataille d'une importance capitale était devenue inévitable entre l'Etat bonapartiste que de Gaulle incarnait et le prolétariat. De Gaulle a cru qu'il pouvait gagner cette bataille décisive au détriment des mineurs. (…)

Depuis la fin de l'année 1962, une forte agitation se manifestait dans les mines. Les mineurs veulent que leurs revendications soient satisfaites ou engager le combat. Le 28 février, Bokanowski, ministre du Travail, reçoit quelques minutes les représentants des fédérations du sous-sol. Il leur signifie le "non” du gouvernement aux revendications des mineurs. Les mineurs rejettent les "grèves tournantes” et autres "actions” bidon. Ils veulent et imposent aux dirigeants syndicaux la grève générale jusqu'à satisfaction. La grève est décidée à partir du lundi 4 mars, où seules travaillent les mines de Lorraine. De Gaulle décrète la réquisition des mineurs. En Lorraine où, au référendum d'octobre 1962, de Gaulle a obtenu 92% de oui, la grève des mineurs est générale le 4. Elle est générale dans tous les bassins le 5 mars. La réquisition a échoué. Pendant cinq semaines, la grève générale des mineurs va se poursuivre, inébranlable.

Contre la tentative de de Gaulle de porter un coup décisif à toute la classe ouvrière, par mineurs interposés, s'affirme la volonté de riposte de la classe ouvrière tout entière !  Le mercredi 13, plusieurs milliers de mineurs de fer venus de Lorraine sont concentrés place des Invalides. Ils viennent à Paris exiger satisfaction à leurs revendications. Le matin, les ouvriers du dépôt de Clichy de la RATP ont décidé de débrayer et d'aller les accueillir. Place des Invalides, ils déploient une banderole où on lit: "Grève générale ; c'est l'aide aux mineurs. ” D'innombrables adresses sont envoyées aux bureaux confédéraux qui leur demandent de s'entendre et d'appeler ensemble à la grève générale. Le bureau confédéral de la CGT répond par une lettre type. On y lit :

" ... Vous proposez la grève générale à l'appel des trois centrales nationales, c'est une idée aussi séduisante qu'utopique. Séduisante, car c'est, qu'on le veuille ou non, une solution de facilité qui n'engagerait pas les organisations, mais les seules confédérations. Utopique, car elle laisse croire que tous les problèmes du régime gaulliste peuvent être réglés par ce moyen. Ce qui laisse imaginer facilement sur quoi déboucherait une telle initiative. ”

Le bureau confédéral de la CGT ne veut pas de la grève générale,  même position de la direction de FO et de la FEN. Sur ce point unis, ils y opposeront, pendant 5 ans, les grèves tournantes qui permettent au patronat et au gouvernement de continuer de réaliser leurs "réformes". Dans les limites de cette intervention on ne reprendra pas toutes les tentatives de la classe ouvrière d'engager le combat pour mettre un coup d'arrêt à l'offensive de la bourgeoisie.

Aux élections de mars 1967 qui voient une progression des partis ouvriers, le parti gaulliste est encore majoritaire. Cela suffit à de Gaulle pour faire voter les pouvoirs spéciaux qui lui permettent de gouverner par ordonnances, celles ci sont promulguées dans l'été. Elles portent sur :

 - l'emploi (création de l'Agence nationale de l'emploi qui vise à favoriser la mobilité),

 - la sécurité sociale (relèvement des prestations, limitation des risques couverts, réduction du ticket modérateur, ...),

 - l'intéressement (faire participer les travailleurs à leur propre exploitation, d'enchaîner les organisations syndicales à la réalisation des objectifs de production de l'entreprise),

 - l'adaptation des entreprises au Marché commun (allégements fiscaux aux entreprises qui se modernisent).

Intensification de la lute des classes et renforcement de l’avant-garde

Dans cette situation les trotskystes de l'OCI qui, à l'université, impulsent la construction du CLER (comité de liaison des étudiants révolutionnaires), prennent des initiatives de combat pour le front unique ouvrier sur une ligne de recherche de la centralisation du mouvement de la classe ouvrière et de la jeunesse contre le gouvernement. Le 24 juin 1967 ils réunissent 1000 jeunes à Paris qui ouvrent la perspective d'une manifestation centrale de la jeunesse contre la déchéance et la misère ; un mois plus tard sous l'impulsion de militants du CLER de l'AGE de Clermont,  le congrès national de l'UNEF de Lyon  adopte   une résolution sur le principe d'une manifestation centrale contre le plan Fouchet.  Le 25 juin 1100 militants sont réunis à la Mutualité pour les "Assises nationales d'unité d'action."

Fin 67 début 68 la résistance des travailleurs et des jeunes s'amplifie. Le 4 octobre à Limoges et au Mans de violentes batailles rangées opposent paysans et CRS. A nouveau au Mans, le 10 octobre, de violents affrontements opposent travailleurs et CRS, nouvelle manifestation au Mans le 26 octobre, en dépit de l'interdiction de la préfecture 15000 travailleurs imposent le droit de manifester contre les CRS et les garde mobiles. Le 9 novembre 5000 étudiants participent à un meeting devant le siège de l'UNEF rue Soufflot, les étudiants regroupés autour du CLER proposent de se rendre à la Sorbonne; le SNES et le SNEsup sont obligés d'appeler  à aller manifester. Un heurt violent et bref à lieu entre les étudiants et les forces de l'ordre, avant que 5000 étudiants manifestent aux cris de "A bas la sélection", "A bas le plan Fouchet", "Vive les travailleurs du Mans", "Non au gouvernement".

Fin janvier, début février, excédés des grèves tournantes et débrayages sans résultats, les ouvriers du montage des camions de la Saviem à Caen," montent dans les bureaux", ils votent "la grève illimitée jusqu'à satisfaction des revendications", bientôt ce sera la "marche sur Paris". Rejoints par des milliers de métallos et de travailleurs d'autres corporations, ils livrent bataille aux CRS. A Caen même plusieurs manifestations voient les étudiants et les travailleurs affronter les forces de l'ordre au coude à coude.

C'est aussi dans cette période que différents groupes, déboussolés par la politique des appareils du mouvement ouvrier qui semble fermer toute issue par un combat ordonné de la classe ouvrière et de la jeunesse vont développer une politique qui vise à "électriser la  classe ouvrière" par des "actions exemplaires" ou échafaudent les plans d'une utopique "révolution" de la seule institution universitaire. C'est sur cette voie de garage que certains voulaient entraîner le mouvement étudiant, parmi eux Cohn Bendit qui rapidement atteint une certaine notoriété "publique" puisque il est interviewé par Radio Luxembourg dès le mois d'avril.

C'est à l'inverse, pour donner aux étudiants une organisation combattant pour la construction d'une organisation révolutionnaire de la jeunesse regroupant jeunes travailleurs manuels et intellectuels dans la lutte pour le socialisme que les 27 et 28 avril, 200 délégués représentant 1000 militants constituent  à Paris la FER (fédération des étudiants révolutionnaires). Elle intègre l'activité passée du CLER comme celle des militants qui se sont rassemblés dans les comités contre la réforme Fouchet. Défendant l'organisation syndicale étudiante, l'UNEF, comme une organisation de masse, la FER ouvre en se battant pour la manifestation centrale de la jeunesse, pour le Front Unique Ouvrier une perspective politique au mouvement étudiant qui si il reste isolé est voué à l'impasse.

Incontestablement, même si cela ne sera pas retenu et pour cause par les "historiens" de la grève générale, ce combat n'est pas pour rien dans la prise de position de la direction nationale de l'UNEF qui dès le 4 mai s'adresse aux travailleurs et à leurs organisations :

" ... La bourgeoisie cherche à isoler et à diviser le mouvement ; la riposte doit être immédiate. C'est pourquoi : l'UNEF propose aux syndicats enseignants et ouvriers de reprendre le processus unitaire qui s'est opéré dans les faits dans la manifestation: ouvriers, lycéens et étudiants ont ensemble riposté spontanément avec l'UNEF face à l'agression policière ..."

Dans sa construction l'organisation révolutionnaire est un point d'appui pour ordonner l'activité des masses, c'est ce qu'illustre aussi le déclenchement de la grève générale le 14 mai à l'usine Sud Aviation de Nantes-Bouguenais.

Sud aviation Bouguenais montre la voie à tous les travailleurs


Le 14 mai, les travailleurs de cette entreprise débrayent pour soutenir une délégation intersyndicale, devant le refus patronal, ils décident la grève totale illimitée avec occupation, ils retiennent le directeur dans son bureau. Le drapeau rouge flotte sur l'usine, c'est la grève générale qui commence. Quels sont les facteurs qui ont placé Sud Aviation Bouguenais à l'avant garde de la grève générale? Incontestablement il y a une tradition de combat du prolétariat nantais. Lors de la grève générale de 1953 c'est à Nantes qu'elle atteint son plus haut degré dressant son comité central de grève face au pouvoir d'état. En septembre 1955 le prolétariat nantais isolé par les appareils a mené un combat de classe d'une extraordinaire puissance, se heurtant à nouveau à l'état.

 Dès 1953 les militants trotskystes  comptaient parmi les organisateurs du combat. C'est ainsi qu'en 1964 c'est de Nantes qu'est parti un appel exprimant les aspirations ouvrières au "Tous ensemble" qui marqua une étape importante dans le  regroupement national d'une avant garde combattant pour le Front Unique contre le pouvoir gaulliste.

 Sud Aviation Bouguenais fait partie d'un ensemble qui réunit 25000 travailleurs, qui compte des usines à Saint Nazaire, Rochefort, ...et qui est dirigé par l'ancien préfet de police M.Papon. Dégradation des conditions de travail, diminution des horaires avec réduction de salaire, menaces de licenciements, telle est la situation dans l'entreprise. On ne peut pas reprendre l'ensemble des initiatives politiques prises par les trotskystes mais on peut mesurer la préparation du terrain politique à travers cet appel signé fin 1967 par 271 travailleurs nantais, appel en direction des confédérations syndicales :

 " Nous considérons comme inadmissible le retour à la politique des grèves tournantes, fractionnées, dispersés... c'est pourquoi nous vous demandons de préparer une grève de grande envergure en convoquant dans toutes les entreprise de assemblées de travailleurs qui éliront leurs comités de préparation à la grève ... nous estimons qu'il est indispensable qu'en même temps vous rompiez avec tous organisme (CODER, commissions du plan...) par lesquels l'État tend à associer les syndicats à ses décisions."

C'est à partir de cette orientation que les militants révolutionnaires agissent à Sud Aviation : en janvier, 138 travailleurs de l'entreprise signent un manifeste des travailleurs de l'aéronautique s'adressant à leurs fédérations syndicales demandant la préparation de la grève générale de l'aéronautique contre les licenciement, pour les 48 heures payées 40, pour la retraite à 60 ans.

Un autre exemple de l'influence du combat de l'avant garde nous est donné par le déclenchement de la grève générale à la RATP ;  tout part du terminus des lignes 2 et 6 (Nation) , le 17 mai les militants révolutionnaires proposent une assemblée générale : 80 présents sur 350. Le représentant du PCF invoque la  démocratie :" il faut consulter les 350 ". On lui fait remarquer que pour décider des grèves tournantes les dirigeants ne consultent personne. La discussion se poursuit, finalement la grève est décidée pour le lendemain, un comité de grève provisoire est élu. Le lendemain les lignes s'arrêtent les unes après les autres.  Dès novembre 1967, 190 travailleurs de Nation 2 et 6 se sont adressés aux dirigeants syndicaux pour demander "à l'ensemble des bureaux syndicaux une assemblée générale des travailleurs du métro". En mars 68 un militant de ce terminus intervient au congrès CGT du réseau ferré sur l'orientation discutée parmi ces collègues de travail : " ... Ce que nous voulons, c'est la préparation d'une grève véritable de tous les travailleurs de la RATP, une grève jusqu'à satisfaction de nos revendications, qui fera reculer le pouvoir ... ".

En même temps comme le souligne F.de Massot dans La grève générale (un livre publié par l'OCI peu de temps après les événements et auquel nous empruntons beaucoup d'éléments d'information) ces conditions de préparation sont exceptionnelles et cela explique les difficultés que vont rencontrer les travailleurs et la  jeunesse dans le cours même de la grève générale. Mais ces exceptions sont la preuve que le facteur décisif pour l'issue de la lutte des classes est le facteur conscient c'est à dire la  construction du parti ouvrier révolutionnaire.

Les directions des confédérations n’appellent pas à la grève

L'extension  rapide de la grève dans les grandes entreprises de la métallurgie y compris aux usines Citroén où la moitié des travailleurs sont des immigrés et où le patron fait régner la terreur la grève totale dans des milliers de petites entreprises où il n'y avait jamais eu grève, crée une situation sans précédent qui déclenche une " Panique- le mot n'est pas trop  fort-dans l'état major des syndicats ouvriers" ("Le mai de la révolution"). Benoît Frachon (président de la C.G.T, membre du Bureau Politique du P.C.F) rentre en vitesse du Japon, un Comité Confédéral National de la C.G.T est convoqué pour le 17 mai. Dans sa déclaration on lit:

  " D'heure en heure, la grève avec occupation d'usines s'étend dans le pays. L'action engagée dans le pays à l'initiative de la C.G.T (sic!) et avec d'autres organisations syndicales crée une situation nouvelle et d'une importance exceptionnelle.

 Le C.C.N adresse son salut fraternel aux travailleurs déjà en grève ... Il appelle tous les travailleurs à se rassembler dans les entreprises, à élaborer leurs revendications avec leurs responsables syndicaux, à déterminer les formes de lutte qu'exige la situation présente ... ".

Suit le rituel des mises en garde contre les provocations qui impose au mouvement de ne pas se fixer d'objectif politique (chasser de Gaulle). Mais le C.C.N est obligé de lui donner sa caution ce qui est indispensable pour éviter l'explosion de l'appareil syndical sous la pression des masses ; en même temps cela permet aux cadres intermédiaires du syndicat de maintenir la grève sur une ligne qui la réduit  à une addition de grèves particulières. Chaque secteur doit mener "sa" grève pour "ses" revendications et donc y mettre fin si elles sont satisfaites.Dans la conférence de presse  qui suit le C.C.N Séguy précise qu' " il n'est pas question de lancer un mot d'ordre de grève générale ".

L'attitude de la  direction confédérale de la C.G.T est bien comprise par la bourgeoisie, "Le Figaro" commente le C.C.N :

" Elle (la C.G.T) était, toute proportion gardée, placée dans une situation comparable à celle du pouvoir. Une tacite solidarité se profilait entre le gouvernement et les syndicats. Pour ne pas être dépassée, la CGT était vouée à se durcir, à montrer un visage plus révolutionnaire que la veille."

Le 20 mai le journal patronal " Les Echos " explique le refus des directions confédérales d'appeler à la grève générale:

 " ... un ordre de grève générale supposait la nécessité d'obtenir des satisfactions substantielles aux revendications qui étaient posées pour pouvoir ensuite donner l'ordre de reprise du travail. Dans l'état actuel des choses, au contraire, différentes solutions peuvent être envisagées. Les dirigeants syndicaux souhaitent l'ouverture de négociations avec le patronat et le gouvernement : on peut imaginer que la reprise du travail se fasse au fur et à mesure, par secteur, en fonction des discussions paritaires qui s'instaureraient"

Nous ne traitons ici que des positions de la C.G.T parce qu'elle occupe une position clef dans les secteurs décisifs de la classe ouvrière, par ailleurs ni F.O, ni la F.E.N ne s'en démarquent. La position du S.N.E.S (il est passé dans les mains de la tendance proche du P.C.F l'année précédente) est illustrative des manoeuvres qui ont cours : le 19 mai il appelle à la "grève généralisée" une formule qui a servi depuis chaque fois qu'il a fallu que les dirigeants se dressent contre l'aspiration à la grève générale tout en semblant épouser le mouvement.

Dans la bourgeoisie on commence  à se poser des questions. Dès le 17 mai "Les Échos" titre " La France ne peut se payer une crise majeure" l'article se conclut : "Quel que soit le gouvernement de demain ... " On ne peut pas dire plus clairement qu'une fraction de la bourgeoisie envisage un changement de gouvernement pour sortir de la "crise".

La grève générale pose la question du pouvoir

Les appareils syndicaux ont beau affirmer qu'il  ne s'agit que d'une collection de grèves revendicatives, la grève générale est là et on ne peut que recourir à ce que Trotsky  disait en 1936 :

 " ... ce ne sont pas des grèves corporatives, ce ne sont même pas des grèves. C'est la grève. C'est le rassemblement au grand jour des opprimés contre les oppresseurs, c'est le début classique de la révolution."

 Encore Trotsky à propos de la grève générale anglaise de 1926 :

" Le conseil général des Trades Unions (direction des syndicats) a commencé par commettre une déclaration ridicule dans laquelle il assurait que la grève générale n'était pas une grève politique, et en  aucun cas dirigé contre le pouvoir d'état, les banquiers, les patrons et les propriétaires fonciers, ni contre le sacro saint parlement britannique. Cette déclaration de guerre des plus respectueuses et soumises ne semble pourtant pas avoir convaincue le gouvernement ... Car ce dernier constatait  que par les conséquences de la grève les instruments réels du pouvoir lui échappaient. Le pouvoir de l'état n'est pas une idée mais un appareil matériel. Si l'appareil répressif et administratif est paralysé, le pouvoir de l'état l'est également. Dans une société moderne nul ne peut gouverner sans contrôler les chemins de fer, les ports, l'énergie, les postes, les mines, ... Le fait que les dirigeants assurent sous la foi du serment qu'ils n'ont pas de buts politiques les caractérise comme individus mais ne définit nullement la nature de la grève générale qui, si elle est poussée jusqu'au bout, conduit la classe révolutionnaire à faire face à la tâche d'édifier un nouveau pouvoir d'État."

A l'époque la SFIO n'est pas encore devenue le PS et elle est la force militante d'une coalition, la FGDS (Fédération de la Gauche Démocrate et Socialiste), avec diverses organisations étrangères au mouvement ouvrier comme celle que dirige alors F.Mitterrand. Le 17 mai la FGDS publie un communiqué qui en dit long sur son souci de préserver les institutions :

 " La FGDS se félicite de voir les grévistes et manifestants affirmer leur volonté de modifier les structures de la société pour créer un régime fondé sur la participation et garantissant les libertés... Ayant exprimé sa volonté de voir ce gouvernement disparaître et la nation désigner dans de nouvelles élections ses représentants, la FGDS souhaite que les organisations syndicales et politiques établissent avec précision ce que sont les réformes de structure et les améliorations sociales qui sont immédiatement réalisables.

 Moderniser les structures, améliorer les positions de la France et de l'Europe dans la compétition internationale, assurer la participation des citoyens et des producteurs ... "

Un décalque du programme gaulliste ... rien ne manque, ni la participation ni la reconquête de la place de la France dans le monde ... capitaliste.

Commence alors un jeu de rôle avec la direction du PCF qui répond le même jour dans "L'Humanité" :

 " ... Les conditions mûrissent rapidement pour en finir avec le pouvoir gaulliste et promouvoir une démocratie authentique, moderne, conforme à l'intérêt du peuple et de la France ... L'entente antre les partis de gauche sur un programme social avancé ... devient urgente ... Le parti communiste tout comme la FGDS souhaite voir disparaître le gouvernement et la majorité actuels ... Il oeuvre à l'avènement d'une majorité de gauche ... C'est pourquoi le PCF considère qu'il est urgent d'aboutir à l'accord sur un programme social avancé ... ce programme devrait établir avec précision les réformes de structures et les améliorations sociales nécessaires et immédiatement réalisables (déclaration de la FGDS) ...

Si l'entente des partis de gauche le permet les jours du régime personnel sont comptés".

Le PCF s'en remet donc à la FGDS, qui s'en remet à des élections, des élections dont la tenue suppose que la grève soit terminée ... Or on est en plein développement de la grève générale, ces propositions visent donc à réaffirmer la pérennité de l'État tout en semblant épouser les aspirations à renverser le régime qui se concentre dans ce mot d'ordre surgi spontanément : "10 ans de Gaulle ça suffit!". Mais pour que les manoeuvres conjointes du PCF et de la FGDS réussissent à éviter un renversement "à chaud" du gouvernement il faut que les dirigeants syndicaux interdisent aux grévistes d'avoir le contrôle sur leur mouvement. Ces derniers mesurent l'enjeu.  Pour la direction de la CGT l'État c'est sacré! Le 21 mai Séguy vante les mérites de son organisation :

 " ... nous avons stoppé les provocations et les mots d'ordre aventuriers. Nous seuls avons voué à l'échec le projet de manifestation devant l'ORTF. Nous avons ramené à la raison les étudiants prêts à envahir Renault ... L'opinion publique bouleversée par les troubles et la violence, angoissée par l'absence complète d'autorité de l'État a vu en la CGT la grande force tranquille qui est venue rétablir l'ordre au service des travailleurs."

A propos des dirigeants syndicaux qui dénient les tâches politiques de la grève générale, Trotsky encore :

 " ceux qui par la force des choses ont été placé à la tête de la grève générale luttent contre cela avec toute leur énergie. Et c'est là le danger principal : ceux qui, plus que de tout ont peur d'une grève victorieuse, ceux-là doivent concentrer tous leurs efforts pour limiter la grève à une semi grève semi politique c'est à dire pour la priver de sa puissance."

Qui dirige la grève? C'est là toute la question. Pour les bureaucrates syndicaux qui ont senti qu'ils ne pouvaient pas endiguer le mouvement il s'agit de ne pas en être dépossédé et pour cela de le maintenir comme une somme de mouvements particuliers ayant chacun leur indépendance.

C'est ainsi que la plate forme intersyndicale des grévistes des usines Renault ne reprend pas la revendication de "l'abrogation des ordonnances" qui unifie toute la classe ouvrière contre le pouvoir gaulliste et les institutions.

Les grévistes sont expulsés de la direction de la grève  par des comités intersyndicaux ; à Renault Billancourt dès le 17 mai un organisme comprenant 2 dirigeants CFDT, 2 CGT, 2 FO s'auto proclame direction de la grève, mobilise tous les membres de l'appareil, permanents syndicaux et militants PCF affublés d'un brassard "comité de grève",  pour restreindre l'occupation, couper les travailleurs de ceux des autres entreprises  : ce n'est que le 5 juin qu'une délégation de Renault Flins pourra pénétrer dans l'usine.

C'est la formation du comité de grève, dans chaque entreprise, centralisé au plan local puis départemental ou régional et enfin nationalement qui est au centre du problème de la direction de la grève. De véritables comités de grève de délégués élus et responsables devant l'assemblée générale des grévistes. De fait, de tels comités de délégués élus  placent sous leur contrôle les directions syndicales qu'ils associent à leur travail.

Les militants révolutionnaires ont mené ce combat mais ils n'avaient pas la force suffisante pour peser de manière décisive. De véritables comités de grève il n'y en eu qu'à une échelle restreinte. Sur cette question l'appareil CGT ne badine pas, lors d'une émission réalisée le 21 mai sur Europe1 on demande à G.Seguy :

 " Monsieur Séguy, je vous ai entendu dire que vous demandiez aux travailleurs de former des comités de grève. Je suis d'accord sur ce que vous venez de dire mais je vous demande pourquoi, vous n'appelez pas à la fédération des comités de grève existants et à la formation d'un comité national de grève."

Réponse qui se passe de commentaire:

" Eh bien, je crois que les confédérations peuvent prendre elles mêmes en charge les tâches qui leur incombent. Elles existent, elles sont structurées, elles ont leur responsables et pour ce qui nous concerne, à la CGT, nous souhaitons tout simplement que sur la base d'un tel mouvement l'ensemble des organisations syndicales ouvrières, du bas jusqu'en haut, réalisent le front syndical commun que nous n'avons jamais cessé de préconiser."

A l'issue du conseil des ministres du 21 mai on parle de  la proposition par le général de Gaulle d'un référendum en juin sur la participation c'est à dire sur le cheval de bataille du gaullisme qui est l'association capital travail, il y renoncera,   son contenu aurait été celui du texte qu'il proposera un an plus tard et dont l'échec provoquera son départ. En tout cas s'affirme la volonté du pouvoir de ne pas infléchir sa politique, besoins pressants de la bourgeoisie oblige.

Le lendemain 22 mai la CGT et la CFDT font une déclaration commune affirmant qu' "elles sont prêtes à prendre part à de véritables négociations sur les revendications essentielles des travailleurs, ..." Elles maintiennent leur demande d'abrogation des ordonnances mais n'en font pas un préalable. Pour elles le gouvernement est un interlocuteur valable et 10 millions de travailleurs en grève ne modifient en rien leur plate forme revendicative!

Le 19 mai Waldek Rochet le secrétaire national du PCF a bien déclaré : " il est temps de prévoir un gouvernement populaire" mais outre que cette formulation s'oppose à celle de "gouvernement des partis ouvriers" et laisse se profiler la perspective (si on ne peut pas l'éviter ...) d'un gouvernement d'alliance du PCF, de la SFIO et de diverses formations bourgeoises il ne s'agit en rien de s'appuyer sur la grève générale pour faire tomber le gouvernement De Gaulle- Pompidou, engager le fer contre les institutions bonapartistes.  Ce qu'il leur faut absolument éviter c'est que le gouvernement tombe sous les coups de la grève, ce qui, donnant confiance à la classe ouvrière et la jeunesse aurait pour effet de rendre la situation encore plus difficilement contrôlable. A la date du 20 mai les auteurs du "Mai de la révolution" notent ; "François Mitterrand va voir les dirigeants de la CGT et reçoit des assurances : d'accord pour renverser le pouvoir mais seulement dans la légalité absolue. ... . La rue ne doit pas amener à la tête du pays un autre gouvernement. C'est à la gauche de s'en occuper, par les voies normales."

Le 24 mai après le discours de de Gaulle qui annonce la tenue du référendum en Juin, Waldek Rochet déclare :

" Ce n'est pas un référendum qui résoudra les problèmes, le pouvoir est condamné à terme. Le régime gaulliste a fait son temps. Il doit s'en aller, le PCF, considérant qu'il faut franchir une étape vers le socialisme, propose non seulement la nationalisation des grandes banques d'affaires, mais aussi celles des grandes entreprises industrielles ..."

A terme? Ce n'est donc pas tout de suite sous les coups de la grève générale. Le lendemain commencent les négociations gouvernement-syndicats auxquelles les dirigeants se rendent sans préalable c'est à dire en légitimant le gouvernement.


Les accords de grenelle : « ne signez pas ! »

Les discussions durent deux jours (25,26 mai)au lendemain desquels Pompidou peut déclarer :

" Nous sommes arrivés à un ensemble de conclusions positives et dont on peut dire qu'elles constituent un accord. "

 Il n'est pas démenti par G.Séguy :

" ... il reste encore beaucoup à faire, mais les revendications ont été retenues pour une grande part et ce qui a été décidé ne saurait être négligé. Cependant nous ne saurions donner de réponse sans consulter les travailleurs."

Le contenu des accords se réduit à des augmentations de salaires certes non négligeables, mais ni l'abrogation des ordonnances, ni l'échelle mobile des salaires, ni les 40 heures, ni la réduction de l'âge de la retraite. Les heures de grève doivent être récupérées.

Le lundi 27 les ouvriers de Renault Billancourt sont revenus en masse dans l'usine pour écouter le compte rendu des  négociations par les dirigeants de la CGT et de la CFDT. C'est Séguy qui doit présenter les accords, il commence par dire que si les négociations avaient été mené par un syndicat unique avec un gouvernement populaire les résultats auraient été plus importants. Il est interrompu par les cris de "gouvernement populaire! "  Lorsqu'il en vient à la  récupération des heures de grève il est interrompu par une vague de cris et de huées. "Ne signez pas! Ne signez pas!", ce cri va être repris par des millions de grévistes, il proclame la réalité révolutionnaire de la grève générale.

L'explosion de colère des ouvriers de Renault qui va s'étendre à Berliet, Citroën, Rhodiaceta, Sud Aviation ... cristallise toute l'évolution accomplie durant la grève générale. La grève commence toujours sur des bases revendicatives nécessairement limitées, voir particulières ; mais lorsque la classe ouvrière prend conscience de sa force dès lors qu'elle est unie dans le combat contre le gouvernement et le patronat autre chose apparaît possible qu'un simple aménagement de l'existant.

Ce qui est supporté depuis des années parce qu'il n'y a pas d'autre horizon, devient insupportable par ce qu'une perspective de changement radical  s'ouvre.

Dès le 28 mai "L'Humanité" est obligé de titrer "ça ne fait pas le compte". L'emprise des dirigeants sur la grève est menacée. Mais il n'existe pas d'organisation ayant une influence nationale et exprimant l'unité de la grève, centralisant son combat.

Le petit jeu entre le PCF et la FGDS (qui doivent d'abord se mettre d'accord sur un programme) continue, le 30 mai de Gaulle peut passer à la contre attaque il annonce qu'il renonce au référendum, maintien Pompidou en place, dissout l'Assemblée Nationale, il menace de la guerre civile.

R. Ballanger président du groupe communiste à l'assemblée déclare :

" ... Calmes et sûrs de leur force, les travailleurs continueront à défendre les revendications pour lesquelles ils sont en grève. lls participeront ensuite avec plus de force et de confiance à la campagne électorale pour battre le pouvoir gaulliste ".

La manoeuvre est  claire : la grève est purement revendicative, la politique se cantonne dans la préparation des élections comme voulu par le général. Séguy se situe exactement sur le même terrain :

" La CGT est prête à poursuivre cette négociation à l'échelle gouvernemental et du CNPF et à tous les autres niveaux (c'est à dire entreprise par entreprise) afin de parvenir à un accord susceptible d'être approuvé par les travailleurs ... la CGT n'entend gêner en rien le bon fonctionnement de la consultation électorale".

 A un journaliste qui lui demande : " Faites vous de l'abrogation des ordonnances sur la sécurité sociale un préalable à la reprise du travail? " Il répond : " c'est un objectif essentiel de notre action. Le gouvernement nous a dit que cette question relevait de la compétence de l'Assemblée Nationale. Du fait qu'elle  est à présent dissoute, il appartient donc au corps électoral de la trancher." Au corps électoral, pas aux grévistes.

" Le gouvernement nous a dit ..." On s'exécute! S'engager à assurer le bon déroulement des élections c'est s'engager à mettre fin à la grève. Dans "Le Figaro" du 4 juin R.Aron définit ainsi la politique du PCF :

" A aucun moment le parti communiste, la CGT n'ont poussé à l'émeute, ..., n'ont voulu abattre le  pouvoir gaulliste ... les erreurs commises par le gouvernement tiennent, pour une part dans une confiance excessive dans le soutien des communistes. En dernière analyse celui ci n'a pas trompé cette confiance. Dans l'heure qui a suivi l'allocution du président, il a désamorcé la bombe et consenti à des élections qu'il n'a guère l'espoir de gagner."

Le PCF pourra bien, quelques semaines plus tard, déclarer qu'il condamne l'intervention du Kremlin en Tchécoslovaquie, outre que cette condamnation restera purement platonique : ni rupture avec la bureaucratie, ni organisation de la solidarité internationaliste, le meilleur point d'appui pour la classe ouvrière et la jeunesse tchèque aurait été la victoire politique de la grève générale.

La vigueur de la grève générale la puissance des aspirations de la classe ouvrière et de la jeunesse s'exprime dans ce qu'il faudra plus de dix jours après le discours du général et la capitulation des appareils syndicaux pour que la reprise du travail soit effective au plan national. Dix jours pendant lesquels les dirigeants font face à de multiples interpellations pour la poursuite de la grève ; l'appel à la reprise usine après usine est ressenti comme une trahison mais faute d'une centralisation de la volonté des grévistes,  ceux ci sont contraints de reprendre le travail la rage au coeur.

Quelques conclusions

Dans les limites de cet exposé il ne peut être question de revenir sur toutes les leçons de cette période.

 L'essentiel est d'avoir mesuré  l'importance de l'intervention de l'avant garde, là où elle avait pu tisser des liens avec les travailleurs et les jeunes avant même le déclenchement de la grève, et  par conséquent la place décisive du combat pour la construction du Parti Ouvrier Révolutionnaire.

Celui ci doit s'assimiler toutes les leçons de l'histoire, de sa propre histoire, c'est pourquoi il ne faut pas cacher que le combat des trotskystes de l'OCI n'a pas été exempt d'une faiblesse dont elle a commencé à tirer le bilan dans les années suivantes, mais probablement sans en extirper toutes les racines. Le mot d'ordre "chasser de Gaulle" amenait à poser la question : quel autre gouvernement? C'était la place du mot d'ordre de "gouvernement PCF-SFIO", immédiatement saisissable par les masses.  Mais chasser de Gaulle concentrait l'aspiration à en finir avec le régime qu'il avait mis en place et donc à en finir avec les institutions de la V° République ce qui aurait également du être clairement formulé.

 Cela n'aurait sans doute pas changé l'issue de la grève générale mais cela aurait permis d'aller plus avant dans la construction du Parti Ouvrier Révolutionnaire, dans la formation de ses militants, dans leur capacité à résister au révisionnisme.

Ceci étant précisé on doit revenir sur le  fait qu'au delà de ses limites politique la grève générale a marqué profondément et pour longtemps les rapports entre les classes en France, il faudra prés de 20 ans avant qu'un gouvernement propose à nouveau d'introduire un numerus clausus à l'entrée de l'Université (1986, Devaquet) et ... qu'il soit obligé de le remiser sous la menace de ... la grève générale. En réalité, c'est l'ensemble des contre réformes gaullistes que la bourgeoisie a du différer. Ces mêmes contre réformes que, dans de nouvelles conditions politiques, Sarkozy entend bien aujourd'hui mener à terme.

 A l'inverse pour nous il s'agit de s'approprier pleinement les enseignements de cette période pour affronter les combats à venir qui poseront à nouveau la question du pouvoir.


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