2001 : Offensive gouvernementale et patronale contre les retraites complémentaires

 

 

Extrait de l'éditorial de Combattre pour le socialisme n°2 (84)  janvier 2001

I. Mise en cause des retraites complémentaires

 

Retraite à 60 ans : offensive du Medef …


Le 22 décembre 2000, à l'aube, le patronat a lancé un nouveau défi au prolétariat. Sur la lancée de la victoire qu'est pour lui l'agrément par le gouvernement de la convention Seillière-Notat de destruction de l'assurance-chômage avec le PARE, le Medef s'en prend au droit à la retraite à 60 ans.

 

C'est sur le terrain des retraites complémentaires que le patronat a choisi de porter le fer, grâce à la participation des dirigeants confédéraux CGT et FO au groupe de travail de la "refondation sociale" créé à cet effet. En conclusion des travaux de ce groupe, le patronat a octroyé  une alternative qui rappelle à quel point il est naturel pour les héritiers de maîtres des forges de se comporter en vulgaires maîtres chanteurs.

En effet, le premier terme de l'alternative est qu'un accord soit signé qui instaure le principe de la "retraite à la carte". Cela signifie calculer l'âge de départ autorisé (sans pénalités) individuellement, en retraite en fonction du nombre d'année de cotisations et de l'espérance de vie moyenne. Dans un premier temps, le Medef veut porter progressivement à 45 ans la durée de cotisation nécessaire pour bénéficier d'une retraite complémentaire à taux plein.

 

Deuxième terme de l'alternative: le patronat cesse de payer,  sans attendre 2004, pour l'accord 'ASF', accord qui depuis 1983 assure le versement de la retraite complémentaire à taux plein à l'âge de 60 ans, et qui venait à échéance au 31/12/2000. En conséquence, les retraites complémentaires (en moyenne un tiers du montant total des retraites des salariés) baisseraient de 22%.

 

Derrière le vocable de "retraite à la carte", l'objectif des capitalistes français et de leur aile marchante, le Medef, c'est de payer le moins possible et le moins longtemps possible pour les retraites. Objectif collatéral: proposer les produits financiers de leurs entreprises comme planche de salut pour éviter des retraites de misère (D.Kessler, artisan de la "refondation"/démolition patronale n'est-il pas patron du premier groupe français d'assurance?)

 

L'attaque patronale contre les retraites complémentaires est un levier pour faire la même chose dans le régime général. D'ailleurs, le patronat propose de faire entrer sa contre-réforme en vigueur en 2004, pour qu'elle prenne ainsi le relais de la "réforme" Balladur de 1993, qui aura porté, de 1993 à 2003, la durée de cotisation de 37 annuités et demi à 40 dans le privé pour un départ en retraite à taux plein; et baissé le montant des retraites en changeant leur mode de calcul.

 

… et du gouvernement Jospin-Gayssot-Voynet-Schwartzenberg


Parallèlement à la liquidation de l'ASF par le Medef, le gouvernement de la "gauche plurielle" s'en prend lui aussi aux retraites et pensions. Le ministre Sapin annonçait sur LCI le 3 janvier que le gouvernement "allait bouger" sur la question des retraites. C'est être trop modeste: le gouvernement a déjà "bougé". Il a non seulement préservé la contre-réforme Balladur au lendemain des élections de 1997, mais aussi, en particulier, fait adopter la loi sur l'épargne salariale qui est un levier pour que se multiplient des fonds de pension d'entreprises cogérés par les organisations syndicales avec sortie en rente: des pas significatifs vers la retraite par capitalisation, les produits "d'épargne retraite".

 

Et après l'épargne salariale-fonds de pension, le gouvernement a fait savoir, au travers d'un mémorandum sur les finances publiques de 2002 à 2004 adressé à la commission de Bruxelles le 21 décembre 2000, qu'il comptait bien "Poursuivre une réforme progressive des retraites", prétendument "pour consolider les régimes par répartition", ce qui selon le gouvernement passe notamment par "l´alignement progressif de la durée de cotisation sur celle des salariés du secteur privé".

C'est pour faire avaler cette pilule aux travailleurs de la fonction publique que le gouvernement a constitué un Conseil d'orientation des retraites auquel participent dirigeants syndicaux CGT, FO, FSU, et FEN.

A ce titre, participant aux travaux de "déminage" au compte du gouvernement, ils sont bien informés, tel Marc Blondel (FO) quand il déclare:

" Si le Premier ministre considère que la retraite à soixante ans n´est plus de mise et qu´elle doit être jetée aux orties, qu´il le dise ! " (le 2 janvier sur LCI)

Et de poursuivre éhontément:

" S´il[Jospin – Ndlr] revient sur un engagement politique, c´est son problème, et les gens jugeront. (…) Ce que j´attends de Lionel Jospin, c´est qu´il prenne ses responsabilités."

 

Que le gouvernement "prenne ses responsabilités"? Blondel se situe d'emblée sur le terrain qui a permis l'agrément du PARE. Car, effectivement, pour le gouvernement, comme pour le Medef, c'est aux orties que doit être jeté le droit à la retraite à 60 ans ainsi que, d'une manière générale, le régime de retraite par répartition assis sur la solidarité ouvrière ainsi que le code des pensions de la fonction publique.


"Les cinq centrales annoncent qu'elles vont établir début janvier des contre-propositions"


Au sortir de l'ultime séance de négociations avec le patronat, " les cinq centrales annoncent qu'elles vont établir début janvier des contre-propositions" (Humanité du 26 décembre). Un communiqué CGT affirmait pour sa part que "les syndicats ont opposé un front commun tout au long de la négociation"… "front commun" qui rappelle celui établi un temps pour l'Unedic, et qui n'avait alors signifié que l'alignement des confédérations CGT et FO sur les positions CFDT, désarmant ainsi la classe ouvrière, jusqu'à ce que le cheval de Troie cédétiste regagne finalement les pénates patronales.

C'est depuis le siège de la très chrétienne CFTC que, le 5 janvier, les cinq confédérations appelaient pour le 25 janvier à une journée

"d'actions dans les entreprises y compris avec arrêts de travail, rassemblements, manifestations".

Cette forme de journée d'actions éclatées correspond pleinement aux objectifs fixés par le communiqué commun:

" - Poursuivre la négociation afin de préserver le droit effectif à la retraite complémentaire des salariés à 60 ans en garantissant le paiement des retraites sans abattement entre 60 et 65 ans, objet de l'ASF.

- Mettre à profit les années 2001-2002 pour déterminer d'un commun accord les mesures indispensables à mettre en œuvre pour assurer la pérennité des régimes de retraites complémentaires des salariés."

 

"Préserver le droit effectif à la retraite à 60 ans"? Encore faut-il dire clairement par quoi et par qui il est menacé. L'évolution démographique? La réalité, c'est que le chômage, pas la démographie, mine les retraites par répartition assises sur le salaire différé, et donc le patronat et le gouvernement qui en portent la responsabilité.

La réalité, c'est que les capitalistes sont ceux qui menacent les retraites, qui, pour leur taux de profit, cherchent à faire baisser le salaire différé versé au compte des retraites.

Quant au régime des pensions qui est celui des fonctionnaires, rien d'autre ne le menace en fin de compte que les nécessités du capital financier, dont le gouvernement est l'interprète fidèle, de diminuer les déficits et la dette de l'Etat pour mieux financer les allègements de charges, d'impôts, et les subventions massives aux entreprises réclamés par la bourgeoisie.

 

De tout cela, dans les "mesures indispensables" évoquées par les dirigeants syndicaux, pas un mot. La CFDT est partisane de la "retraite à la carte". Les dirigeants CGT pour leur part mettent en avant :

"l'exigence de réformes positives permettant de faire face aux besoins de financement à moyen et long terme des régimes." (communiqué cité)

Pas question ici de s'en prendre à ceux qui tarissent les sources de financement de la retraite par répartition.

 

Défendre les retraites complémentaires exige en premier lieu que, au lieu de faire des "contre-propositions" et de demander la réouverture des "négociations", les directions syndicales CGT et FO, et avec elles celles de la FSU et de la FEN appellent les travailleurs au combat en direction de la majorité PS-PCF à l'Assemblée, par exemple en convoquant une manifestation nationale des travailleurs salariés et retraités pour imposer aux députés PS et PCF qu'ils garantissent le maintien effectif de la retraite complémentaire à 60 ans sans abattement, en faisant payer les patrons.

 

 

Extrait de l'éditorial de Combattre pour le Socialisme n°3 (85) de mars 2001

II. 300 000 manifestants pour défendre le droit effectif à la retraite à 60 ans

 


Un article de ce numéro de CPS rappelle dans quelles conditions le Medef a pris l'initiative de la "refondation sociale" pour faire avancer les revendications des capitalistes en associant à des "chantiers" les dirigeants confédéraux CGT et FO. Sur l'Unedic, le Medef a remporté un succès en obtenant l'agrément de la nouvelle convention co-rédigée par MM.Seillière et Notat et son PARE, succès obtenu après que les dirigeants CGT et FO aient tout fait pour annihiler eux-mêmes ce que représentait leur refus de signer cette convention. Reste néanmoins, bien que la convention Seillière-Notat soit de toute façon sur les rails, à faire voter par l'Assemblée nationale les mesures de financement de cette convention.

 

Or, nous avons souligné que ces mesures ont dû être retirées de la loi fourre-tout présentée par le gouvernement en janvier au sein de laquelle elles tentaient de passer incognito. Mais les dirigeants CGT et FO, tout en proclamant leur refus du PARE, cherchent à garder autant de place que possible au sein de l'UNEDIC redessinée par Seillière-Notat. Le 22 mars, FO annonçait un accord avec le Medef sur les statuts de la nouvelle Unedic qui fait de FO une organisation "réputée adhérente à la convention [Seillière-Notat]du premier janvier 2001". La direction CGT devrait suivre.  Voilà qui augure de la ligne que les dirigeants des confédérations entendent suivre lors du vote à l'Assemblée des mesures de financement du PARE: la capitulation, qui arrangera bien les députés PS et PCF au moment du vote.

 

Grâce à cette politique capitularde, grâce à la poursuite de la participation des confédérations CGT et FO à la "refondation sociale", le patronat a enchaîné sur un accord concernant la "santé au travail", accord lui aussi entériné par le gouvernement Jospin-Gayssot-Voynet-Schwartzenberg lors de la réunion annuelle de la commission plénière du Conseil supérieur de prévention des risques professionnels, qui s'est tenue le 28 février 2001. Puis il s'en est pris aux retraites complémentaires, en aboutissant (cf. le précédent numéro de CPS) à une situation dans laquelle les retraites complémentaires liquidées à 60 ans seraient baissées de 22% à compter du premier avril.

 

Le 25 janvier, des centaines de milliers de manifestants et de grévistes se sont exprimés clairement: pour la défense inconditionnelle droit au départ en retraite à soixante ans, dans le public comme dans le privé. Ils se sont exprimés en dépit du cadre disloqué de cette journée d'action: manifestations émiettées sans même un appel général à la grève, exigence mise en avant de la "réouverture des négociations" avec le Medef, le tout s'inscrivant dans une série de journées d'action à répétition (18 janvier fonction publique, 25 janvier, 30 janvier salaires fonction publique, 1er février RATP, 6 février hôpitaux…) qui confine au sabotage.

 

Du coup, changement de ton au Medef, d'autant plus net que la veille encore son président Seillière brocardait les "bataillons de fonctionnaires" qu'il s'attendait à voir dans la rue. Mais, d'autant que les fédérations de fonctionnaires avaient retiré leur appel initial à la grève pour le déplacer au 30 janvier, c'est en grande majorité du secteur privé que venaient les manifestants. Des "négociations" (exigence de l'appel des cinq confédérations à la journée du 25) furent convoquées pour le 9 février. Cette date ne doit rien au hasard: c'était le jour de la fin de la session parlementaire. Il s'agissait d'éviter que ne soit posée la question de se tourner vers les députés PS-PCF, que soit convoquée par les dirigeants confédéraux CGT et FO, avec les dirigeants FSU, SE, une manifestation leur imposant de décréter le maintien du droit à la retraite complémentaire à 60 ans en faisant payer les patrons, rompant ainsi avec le gouvernement qui déclarait de son côté vouloir "laisser sa chance à la négociation" (Guigou).


L'accord du 10 février, épée de Damoclès contre les retraites


Le "front syndical commun" du 25 janvier vanté par les officiels CGT a éclaté, exactement comme sur le PARE. Comme nous le pronostiquions dans le précédent CPS, "le cheval de Troie cédétiste a regagné les pénates patronales". Au matin du 10 février, Medef, Cfdt et Cftc trouvaient un accord. Au prix d'un sursis de 18 mois accordé aux régimes de retraites complémentaires (appelés néanmoins à subir une fusion/restructuration entre l'AGIRC et l'ARCCO), l'accord exige du gouvernement qu'il engage une réforme du régime général et des régimes spéciaux sur la base des "principes" patronaux. A savoir: aucune augmentation des cotisations patronales pendant dix ans ("considérant la nécessité de maintenir la compétitivité des entreprises françaises") et donc  allongement de la durée de cotisation ("privilégier la variable de la durée de cotisation pour l'accès à la retraite à taux plein"), alignement du régime des fonctionnaires sur le privé ("rechercher un traitement équitable en matière de retraite entre tous les salariés ").

 

Au passage, les patrons empochent les cotisations ASF du premier trimestre 2001 qui ne sont plus dues. Soit au moins dix milliards de francs. A titre d'acompte en attendant la "réforme" du régime général, demandée pour fin 2002, mais qui reste explosive, comme le confirme, après l'ampleur des manifestations du 25 janvier, le caractère massif de la grève convoquée dans les transports urbains régionaux pour la retraite à 55 ans à partir du 26 mars.

 

Les dirigeants FO, la CGC, étaient prêts à signer la mise en place du nouvel organisme de gestion des retraites complémentaires (l'AGFF), mais pas la partie de l'accord se prononçant pour l'accroissement de la durée de cotisation et exigeant du gouvernement qu'il le fasse vite. Ceux de la CGT n'ont pas signé. Et après? Cet accord est un accord scélérat et illégitime. Il revient aux dirigeants confédéraux CGT et FO de le dénoncer, de revendiquer le maintien sans condition de la retraite complémentaire à 60 ans. Ils doivent aussi exiger l'expulsion du patronat de la gestion des retraites complémentaires pour qu'elles ne soient plus un moyen de chantage pour le Medef.

Pour préserver la retraite à 60 ans, les dirigeants confédéraux et fédéraux doivent revendiquer que les patrons payent, c'est-à-dire la hausse des salaires directes et indirects (cotisations "patronales"); l'abrogation de la loi Balladur de 1993 et donc le rétablissement des 37,5 annuités pour tous et du calcul sur les 10 meilleures années. Ce sont ces revendications qu'ils devraient exiger de la majorité PS PCF.

 

Mais au contraire, comme pour le PARE, B.Thibault (CGT) en appelle à l'arbitrage du gouvernement:

Au nom de quoi les salariés de notre pays devraient-ils continuer à s'accommoder de règles aussi anti-démocratiques qui défient avec autant d'arrogance les principes de la République ?

Le Gouvernement, les parlementaires garants de l'ordre public social ont le devoir d'intervenir. Ils ne peuvent plus se contenter du rôle de l'observateur neutre quand le "dialogue social" tourne au chantage social. (14 février)

 

Si toutefois B.Thibaut, membre de la direction du PCF, l'a jamais su, rafraîchissons-lui la mémoire: la République (5ème de son prénom), "l'ordre social public" sont la République bourgeoise, l'ordre bourgeois. Bien que la classe ouvrière ait fait inscrire dans les lois de nombreux acquis, des garanties collectives, les "principes de la République" sont ceux des capitalistes. Et le gouvernement de cette "République"-là, loin d'être un "observateur neutre" (quel dédouanement!), agit exactement dans le même sens que le Medef. Il a mis en place le "conseil d'orientation des retraites" sous le drapeau de l'allongement de la durée de cotisation des fonctionnaires, les fonds de pension ("épargne salariale"). 

La responsabilité des dirigeants de confédérations ouvrières est de quitter irrévocablement la "refondation sociale, le conseil d'orientation des retraites, et de réaliser le front unique contre le Medef et le gouvernement.

 

 

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