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« Révolution bolivarienne » au Venezuela (1ère partie) :


Le prétendu « socialisme du XXIème » siècle à l’épreuve des faits

Le « socialisme du 21ème siècle » selon le colonel Chavez …


A Caracas, un nouveau Messie en uniforme s’est levé, dont les prêches mêlent aussi bien les références à Marx et Trotsky, que celles à Jésus-Christ et Saint Thomas d’Aquin ou même Khadafi : le colonel Chavez dont la geste n’est pas sans évoquer un avatar du général Alcazar, en plus fantasque, comme on le verra au fil de cet article.

Au dernier forum social mondial à Caracas, le 28 janvier, Chavez a fait tourner la tête des altermondialistes. Il s’est adressé à eux pour les sommer au milieu d’un discours fleuve de deux heures, « mêlant l'héritage des "peuples indigènes", la "parole du Christ", le guérillero argentin Che Guevara et les héros de l'indépendance latino-américaine » (AFP), de choisir entre le « socialisme et la mort », selon la formule de Rosa Luxembourg pas moins, voilà qui a dû faire frissonner plus d’un lecteur du Monde Diplomatique.
"Nous ne pouvons pas perdre de temps, il s'agit d'essayer de sauver la planète, en changeant le cap de l'histoire, en construisant un mouvement authentiquement socialiste sur la planète", que "le capitalisme est en train de tuer", a-t-il expliqué pour leur vendre son « socialisme du XXIème siècle »… un socialisme qui pour reprendre ses propres mots lors de son show télévisé du 22 mai 2005  « n’est pas en contradiction avec les compagnies privées, (qui) n’est pas en contradiction avec la propriété privée ».


… fait tourner bien des têtes


Les groupies du colonel Chavez se bousculent à la porte, couvrant un large spectre politique, de Villepin jusqu’au sénateur Mélenchon qui s’est fendu d’une tournée vénézuélienne, en passant par une large variété des chapelles du mouvement dit « trotskyste ». Une anecdote permet de le mesurer. Lors de l’instauration de l’Etat d’urgence en France, Chavez prit position en soutien au « gouvernement frère » (sic !) de Dominique de Villepin. Ulcéré, un rédacteur du site internet de la Ligue Communiste révolutionnaire mit en ligne un communiqué affirmant :
« toutes les crapules qui bafouent les idées révolutionnaires dévoilent, un jour ou l’autre, leurs réelles intentions et se discréditent. Les chemins seront plus long et plus tortueux, mais c’est une des meilleure opportunité pour faire renaître un véritable mouvement révolutionnaire international. »

Que n’avait-il pas fait là ! Rapidement, la direction de la LCR le désavouait : pas touche à Chavez. Trop tard : le CCI, courant communiste internationaliste du Parti des travailleurs, s’était emparé de cette petite affaire. Une de ses nouvelles militantes à Montpellier écrivait indignée :
« Comment la LCR ose-t-elle s’en prendre au président [sic !] Chavez qui refuse la privatisation des industries pétrolières et réquisitionne les terres au profit des paysans, au grand dam de l’impérialisme américain qui essaie par tous les moyens de le chasser du pouvoir ».
Il faudrait donc laisser le « président » soutenir Chirac-Villepin, au nom de la lutte contre l’impérialisme US.

 Notons que, emportée par son élan, dans le même courrier, on lit que « c’est le rôle d’un parti révolutionnaire digne de ce nom que de poser clairement la rupture avec le capitalisme »… ce que son propre parti, le PT, ne fait strictement jamais. A cette lettre, la direction de ville LCR de Montpellier répondit que, pour elle, Chavez était un allié. Plus « bolivarien » que moi, tu meurs. Peu leur importe que la production d’énergie au Venezuela « bolivarien » soit de plus assurée par les multinationales, qu’aucune latifundia n’ait été touchée par la réforme agraire…

D’autres sont plus lucides. Lors de la dernière tournée de Chavez en France Alain Krivine et Olivier Besancenot ne furent pas les seuls à faire antichambre pour lui expliquer leur vision du socialisme, Libération (22/10/2005) explique ainsi :
« Avant de retrouver, mercredi, des amis à la mairie du XIe arrondissement à qui il a expliqué que Judas était le premier capitaliste («il a vendu Jésus, le premier socialiste»), Chavez a été reçu à l'Elysée par le «Chi», dont il «partage la même vision internationale du monde». Et puis, il y a «Dominique», le Premier ministre: la lune de miel s'est même prolongée après minuit, mercredi soir, pour un souper entre «amis» autour, selon Matignon, d'«une vision commune des relations entre le Nord et le Sud»...

Et tout cela juste avant de rendre visite au gratin du patronat français devant lequel il n’hésite pas à qualifier le MEDEF de « puits de science moderne », pour les choses sérieuses, les affaires…..

A l’évidence, la nécessité de faire le point sur ce qu’il en est de cette « révolution bolivarienne » s’impose.


Six ans de pouvoir


Dans un prochain numéro de notre bulletin nous reviendrons plus largement sur les événements depuis l’élection de Chavez en décembre 1998, à la tête d’un pays alors en déliquescence. En effet aux années de relative prospérité du « Venezuela saoudite » avait succédé une profonde récession commencée à la fin des années 70, les partis bourgeois étant quant à eux à bout de souffle depuis le soulèvement populaire, le Caracazo, de février 1989. La première tâche de Chavez sera de s’attaquer à la réforme de l’Etat bourgeois en faillite, par la promulgation d’une nouvelle Constitution, celle de la Vème République, qui va prendre la forme d’un bonapartisme exacerbé, qui sous ses dehors excentriques s’appuie au premier chef sur l’armée..

Très rapidement la bourgeoisie vénézuélienne qui a d’abord soutenu Chavez va se retourner contre lui au gré des mesures qu’il va prendre et qui la heurteront, comme le fait de décider de faire payer les impôts...

Cette opposition, d’abord sourde, va devenir ouverte à partir de la promulgation de 49 décrets lois en novembre 2001, qui comprennent notamment une réforme agraire, une loi sur les hydrocarbures, etc. Dans le même temps les classes moyennes voient leur sort inchangé, tandis que la part la plus pauvre de la population connaît une amélioration relative de son sort grâce aux missiones, les programmes sociaux.

Une première escarmouche aura lieu avec la « grève générale » de décembre 2001 convoquée par le patronat et … la centrale syndicale CTV ! Puis, la bourgeoisie vénézuélienne s’appuyant sur l’impérialisme américain, qui souhaiterait installer un gouvernement complètement à sa botte au Venezuela tentera un putsch les 12 et 13 avril 2002 dirigé par le patron des patrons Pedro Carmona, profitant de la lassitude des masses après quatre années sans amélioration substantielle de leur situation.
En décembre 2002-janvier 2003, c’est cette fois-ci un lock-out organisé par la FEDEMARCAS (la principale fédération patronale) et la bureaucratie dirigeante de PDVSA, qui va durer quasiment deux mois.
Enfin, en août 2004, la bourgeoisie réussit à faire tenir un référendum pour se prononcer sur le maintien ou non de Chavez à la présidence, référendum négocié entre le pouvoir et l’opposition afin de ramener la classe ouvrière sur le terrain de la légalité bourgeoise.

Par trois fois ce sont les masses qui vont sauver Chavez, deux fois sur leur propre terrain, celui de la rue, et une fois dans les urnes lors du référendum révocatoire. Alors que Chavez choisira de rester passif notamment au moment du putsch d’avril 2002 où ce sont les masses, qui prenant la rue dans l’inorganisation et la confusion la plus totale, chasseront les putschistes, permettant son retour. Lors du lock-out, c’est la classe ouvrière qui va prendre elle-même le contrôle des entreprises et les faire tourner.

Cela atteste l’existence d’un niveau élevé d’activité du prolétariat au Venezuela, tout comme il l’est dans la plupart des pays du sous-continent sud-américain (on pense bien sûr à la Bolivie, cf. les précédents articles de CPS, ou à l’Equateur).
Chavez en a bénéficié politiquement, cela lui a servi à établir le mythe de la « révolution bolivarienne », à devenir une référence aux yeux des masses. Prestige mis au service du maintien de l’ordre établi, comme à l’été 2005, lors de la grève des ouvriers du pétrole en Equateur, lors de laquelle le Venezuela « bolivarien » est venu au secours du gouvernement équatorien en lui offrant gratuitement du pétrole pour qu’il puisse faire face à ses engagements. En termes non diplomatiques, cela s’appelle briser une grève…

Mais qu’en est-il donc de cette « révolution bolivarienne » et du « socialisme du 21ème siècle » qui l’accompagne ? Huit années de pouvoir ont donné à Chavez le temps et les moyens politiques et économiques, du fait des cours élevés du pétrole de transformer le pays.

Un bilan est possible.


La question agraire, question cruciale


Au XIXème siècle, la population  rurale du Venezuela représentait 70% de la population totale. La terre était déjà la propriété de quelques gros latifundiaires, qui l’ont acquise soit par le vol, soit comme récompense de la part des caudillos qui se succèdent au pouvoir. Ce qui suscite de nombreux soulèvements paysans dominés par la figure d’Ezequiel Zamora (1817-1860) et la lutte contre les godos (les colons espagnols). Mais à partir du début de l’exploitation du pétrole la population rurale connaît un déclin très rapide, de 60% en 1935 à 35% dans les années 1960, pour ne plus représenter que 14% de la population aujourd’hui. La part de l’agriculture suit une courbe comparable, l’agriculture ne représente déjà plus que 22% du PIB en 1935, elle tombe à 6% en 2002 (le chiffre le plus bas en Amérique latine !), si bien que le pays est le seul importateur de produits agricoles du continent (70% de sa consommation).

La propriété foncière est si concentrée que 3% des propriétaires possèdent 77% des terres agricoles du pays alors que les 50% de paysans les plus pauvres ne possèdent que 1% des terres agricoles, près de 30 millions d’hectares restent inexploités. Dans les années 60, Romulo Betancourt va entreprendre une réforme agraire mais sans effet, 90% des bénéficiaires ne recevront jamais leurs titres de propriété. Un tiers de ses bénéficiaires quitteront d’ailleurs définitivement les campagnes pour s’installer dans les villes. En effet le boom pétrolier et la modernisation de l’agriculture entraînent un exode rural massif, même les gros propriétaires vendent leurs terres, ce qui entraîne un chômage de masse chez les journaliers agricoles.

La question de la réforme agraire est donc une question clé.  Elle va servir de vitrine au pouvoir de Chavez, qui inscrit la question dans la Constitution bolivarienne de 1999, où l’article 307, qui se place uniquement sur le terrain de la productivité agricole et non pas de la justice sociale, indique que « la prédominance » (pas l’existence !) des latifundia est contraire aux intérêts de la société et que « l’Etat protégera et favorisera les formes coopératives et privées de propriété de la terre ».


La Ley de Tierras de novembre 2001


Cependant Chavez va attendre trois années après son arrivée au pouvoir pour lancer le processus de sa réforme agraire. La Ley de Tierras fait partie du paquet des 49 décrets-lois promulgués en novembre 2001.

Celle-ci crée trois organismes. L’Institut National de la Terre (INTI) est chargé de la gestion des terres de l’Etat. Il doit aussi déterminer le droit de propriété des terres privées, c’est-à-dire si elles ont été acquises à juste titre, déterminer la qualité des terres et en assurer la redistribution le cas échéant. L’ Institut National pour le Développement Rural (INDER) est chargé de procurer des infrastructures agricoles (technologies, routes, crédit, formation). Enfin, la Compagnie Agraire Vénézuélienne (CVA) doit aider les fermiers et les coopératives à écouler leurs produits.

La Ley de Tierras laisse l’appréciation de la taille maximale légale des exploitations à l’appréciation de l’INTI, à savoir de 50 hectares pour les terres de bonne qualité à 3000 hectares pour les terres moins productives, et ceci il faut le souligner, uniquement dans le cas où elles ne sont pas exploitées. Si le latifundiaire exploite ses terres, grand bien lui fasse ! Toutefois ces seuils sont tout théoriques nous le verrons.

Tout Vénézuélien chef de famille, ou âgé de 18 à 25 ans, peut prétendre bénéficier de la redistribution du moment qu’il ne revende pas sa terre. La réforme prévoit aussi une taxe sur toutes les propriétés laissées en friche à plus de 80%, mais elle est assortie dès le départ d’un moratoire de 5 ans, pour les inciter à les remettre en exploitation.


L’application de la réforme agraire.


Adoptée tardivement, la réforme agraire va se mettre en place très lentement en dépit du battage qui est fait autour d’elle. En novembre 2002, d’ailleurs la Cour Suprême annule deux articles de la loi : l’article 89 qui entérine les occupations de terres par les paysans pauvres (ocupación previa) et l’article 90 qui prévoit que l’Etat n’a pas à indemniser les infrastructures construites par les propriétaires. La Cour Suprême ne faisant que qu’agir en accord avec les propres paroles de Chavez : « Nous ne sommes pas les ennemis de la propriété. Nous n'allons pas les brûler. Nous n'allons pas les envahir » (septembre 2004).
Mais dans le même temps, nombre de paysans pauvres, lassés d’attendre, multiplient les occupations. En 2003, Chavez lance le « plan Ezequiel Zamora » et charge son frère, Adán Chavez, de diriger la manœuvre. Fin 2004, ce sont 2 millions d’hectares de terres, propriétés d’Etat, qui sont distribuées, sans qu’un seul hectare de terre privée n’ait été touché. En outre la plupart de ces distributions ne font qu’entériner des occupations de fait.

Cela ne calme pas l’agitation dans les campagnes. Pour canaliser les initiatives des gouverneurs de Cojedes, Monagas et Yaracuy, qui, sous la pression des occupations, qui avaient eux-mêmes signé des décrets d'application en décembre 2004, Chavez décide de reprendre la main. Dans son show télévisé « Alo Presidente » il limoge en direct le ministre de l’Agriculture, il signe le 10 janvier 2005 le décret sur la « réorganisation de la propriété et de l'usage des terres à vocation agricole », il nomme cette fois ci le capitaine Eliecer Otaiza qui a la réputation d’être un « radical » à la tête d’une Commission Agricole Nationale qui est mise en place à titre provisoire pour vérifier la situation de 40 000 exploitations et déterminer … quelles sont les terres inexploitées. Le tout en continuant à donner des gages aux grands propriétaires. Ainsi le nouveau ministre explique :
 « il n’a rien à craindre celui qui démontre que les terres sont à lui et qu’elles sont productives. Si il démontre qu’il est propriétaire des terres et qu’elles ne sont pas productives, il devra payer seulement l’impôt » (Ultimas Noticias, 16/01/05)

En mars 2005, l’INTI déclare que … 5 exploitations ( !) peuvent être redistribuées. Il s’agit d’exploitations dont les titres de propriété ne peuvent être produits. Une grande partie des terres sont dites à  «titularidad precaria » statut prévu par le Code Civil, qui reconnaît la propriété de la terre à une personne qui l’exploite. En juin ce sont 200 exploitations qui pourraient être sujettes à redistribution selon Otaiza. Rien ne les presse…

Et les choses continuent à traîner en longueur. Chavez ne cesse d’appeler au dialogue : « nous souhaitons parvenir à un accord et travailler ensemble pour accroître la productivité » (discours du 20/09/05) ou encore «  Si tu crois que tu es propriétaire de ces terres défend-les. Nous n’allons pas combattre, nous utiliserons les voies légales… Je lance un appel à parvenir à un accord convenable pour tous… Il y a ici un gouvernement qui tend la main à tous de façon égale » (Alo Presidente, 23/10/05). Jusqu’à Elias Jaua qui explique : “bien plus nous avons combattu les occupations” (c'est-à-dire les paysans pauvres) (25/09/05, entretien au El Nacional). Fin 2005, plusieurs accords avec des latifundiaires sont conclusen conséquence.

Alors quel bilan ? La nature de la réforme agraire se lit dans deux exemples.
Pour la finca La Marqueseña, dont le propriétaire Azpurua n’a pas pu produire de titres de propriété, ce dernier va devoir « céder » à l’Etat 7 000 ha, le gouvernement lui en laissant 1 500, tout en l’indemnisant et en lui ouvrant des crédits pour les mettre en exploitation .

Pour la propriété de Paraima, le latifundiaire Branger va céder 30 000 ha sur les 54 000 qu’il détient. Ainsi, la limite des 3000 proclamée par loi n’est vraiment qu’une farce !
Pedro Carreño second vice président de l’Assemblée explique au journal El Nacional le 10/10/05 :
« la ley de tierras leur (aux propriétaires fonciers – NDLR) permettra d’être compétitifs, en terme de prix et de qualité, avec les biens d’importation… La transformation agraire ne portera pas préjudice à ceux qui ont des unités productives… Au contraire quand se dissiperont les mensonges, les entrepreneurs pourront compter sur un grand allié pour moderniser la production, comme ça s’est passé à La Marqueseña… Nous ne voulons pas commettre les erreurs et les excès, comme il s’est passé au début de la ley de tierras » (référence aux occupation par les sans terre- Ndlr).
« Etre compétitifs », tout est dit sur l’objectif de cette réforme.


Les conséquences de la réforme agraire


La campagne vénézuélienne ressemble aujourd’hui plus au far-west qu’à un pays dont l’agriculture irait vers le socialisme. Interviewée par la BBC, la dirigeante paysanne Emma Ortega explique :
« Il y a suffisamment de terres de l'Etat pour résoudre le problème des paysans pauvres, dit-elle. Mais il faudrait s'en prendre aux intérêts de beaucoup de militaires, qui occupent illégalement des terres ».
Les campagnes sont la proie des sicarios (les tueurs à gage des latifundiaires). Entre 2001 et 2003, 100 syndicalistes paysans, ont été abattus, en juin 2004 on en dénombrait 24 depuis le début de l’année (soit un rythme d’un par semaine !). Les paysans sont aussi confrontés aux trafiquants de drogue, aux groupes para-militaires colombiens en goguette et aux forces armées corrompues.
En juillet 2005 la Coordination agraire nationale (Canez), le Front Ezequiel Zamora ont organisé une manifestation de 6000 paysans à Caracas pour que l’Etat se décide enfin à prendre en main les problèmes d’assassinats de paysans, ce qui a poussé l’Assemblée … à mettre sur pied une commission.  Quelle audace !..
Sur le rôle de l’armée à la campagne voici ce qu’explique au sujet du général Bracho le journal Prensa Rural (03/2005) :
«  D’après le maire de la municipalité de Zamora (…), Levic Emilio Mendez, cet officier « intimide de manière permanente les paysans sans terre, accuse ses dirigeants d’être des guérilleros parce qu’ils occupent et défendent leurs terres et il a même emprisonné cinq d’entre eux pour rébellion et possession d’armes et de projectiles. Par contre, il ne dit rien ni agit pour arrêter les bandes armées des propriétaires terriens ».

Si de nombreux paysans d’Amérique latine ont les yeux rivés sur le Venezuela de Chavez, chez les paysans vénézuéliens elle est cause de nombreuses frustrations.  Pour conclure voici ce qu’explique un texte du Congrès Paysan Vénézuélien (5 et 6 février 2005) :
« Bien qu’il y ait un appui généralisé envers le président Hugo Chavez, la Loi de réforme agraire a été durement critiquée car elle ne permet d’exproprier que les terres de plus de 5.000 hectares inexploités. Les paysans ont critiqué l’Institut national des terres (INTI), lui reprochant sa lenteur et son bureaucratisme. Les latifundistes transforment des bois entiers en terre avant que l’INTI ne prenne une décision. De plus, l’Institut a distribué des semences défectueuses. De nombreux paysans qui ont directement pris des terres se sont plaints du fait que les juges locaux sont du côté des grands propriétaires et qu’ils utilisent la police locale pour les chasser. »

Parce qu’il refuse de s’en prendre aux gros propriétaires terriens, leurs bandes armées, et moins encore aux militaires, la « réforme agraire » ne peut pas être autre chose qu’un miroir aux alouettes. Dans le Monde du 6 décembre 2005, elle est résumée sans fard:
« Notre objectif n'est pas la destruction de la propriété privée, mais la mise en valeur de toutes les terres du territoire", assure Richard Vivas, directeur de l'Institut national des terres (INTI). »


Le « socialisme du 21ème siècle » pour les travailleurs


Sous la république bolivarienne, les grandes familles de la bourgeoisie prospèrent (Mendoza-Polar, Cisneros, Boulton, Stelling, Wolmer, Tinoco, Delfino). Les taux de profit atteignent des records, selon la Superintendance Nationale des Banques :
«  les banques privées en 2004 ont obtenu des profits de plus de 42% par rapport au capital investi, aucun autre secteur économique n’atteint ce résultat de rentabilité ».
Cette prospérité est liée d’une part au cours élevé du pétrole qui irrigue l’économie vénézuélienne, mais aussi paradoxalement à la politique sociale du gouvernement du fait de l’endettement public qu’elle entraîne, en 2004 les dépenses de l’Etat ont augmenté de 47% et le gouvernement le finance largement auprès des banques vénézuéliennes, la dette interne est passée de 2 milliards à 27 milliards. Un banquier explique ainsi que le gouvernement dépose les revenus du pétrole à des taux de 5% tandis qu’il emprunte à 14%. Joli jackpot pour les banques !

Dans le même temps à la grande satisfaction de la bourgeoisie et de l’impérialisme, Chavez n’est revenu sur aucune des mesures de privatisation prises par ses prédécesseurs – CANTV (telecoms), ELECAR, SIDOR (siderurgie) – malgré la grève des travailleurs de SIDOR pour demander leur renationalisation ou la récente manifestation de milliers de retraités de CANTV, en plein Forum Social Mondial, pour réclamer le retour à leurs anciens droits, et qui n’auront pas l’heur de croiser sur leur chemin le moindre altermondialiste, bien trop fascinés par la « révolution bolivarienne » pour regarder le Venezuela d’aujourd’hui.
Dans la patrie « socialiste du XXIème siècle », le taux de chômage reste endémique, il est monté à 21% en 2003 pour retomber aux alentours de 12% mais les statistiques restent peu fiables. La proportion de la population pauvre serait passée de 54% à 60% de 1999 à 2004, la moitié de la population n’a pas de logement décent, la moitié des travailleurs dépendent du secteur informel et nombreux sont ceux qui pour survivre ont deux emplois. Le salaire minimum continue de perdre de la valeur (405 000 bolivars) du fait de l’inflation (environ 15% malgré une baisse notable après les plus de 20% de 2003-2004) et du fait des dévaluations continues du bolivar, alors que le panier de base d’une famille est estimé à 600 000 bolivars et que selon Orlando Chirino, dirigeant de l’UNT, ce salaire minimum n’est respecté nulle part. Le coût moyen de l’heure de travail serait passé de 3,22$ en 2000 à 2,11$ en 2003.

Les prix des produits de base ne cessent d’augmenter, d’autant plus que depuis l’arrivée de Chavez la TVA a fortement augmenté. Le gouvernement envisage même la création d’une taxe de 4% sur les dépenses de santé, alors que rien que pour l’année 2005 l’Assemblée Nationale a aboli l’Impôt sur les Actifs Patronaux et a exonéré d’impôt sur les revenus les chefs d’entreprises agricoles et les banquiers du moment qu’ils investissent dans « le développement technologique »… Facile ! La répartition entre les classes du revenu national demeure quasiment inchangée par rapport aux gouvernements précédents.

Suite au lock-out patronal de décembre 2002, pour compenser les pertes des patrons, responsables de ce lock-out, ont fermé des entreprises, ont licencié à qui mieux mieux, ont baissé les salaires. Le gouvernement  n’a pas bougé le petit doigt, alors qu’il avait pourtant  promulgué une loi d’" d’inamovilidad laboral ", qui institue un moratoire, régulièrement prolongé, sur les licenciements économiques ! Pendant que le Parlement les suspend en théorie, les charrettes continuent donc comme avant au pays du « socialisme du XXIème siècle ».

Le gouvernement Chavez a également été parfaitement éclairant sur sa conception du « socialisme », par le dépôt de deux propositions de lois qui ont finalement été retirées devant le tollé qu’elles ont soulevé.
L’article 9 de la réforme du Code Pénal déposé en juin prévoyait :
« celui qui effectue une action quelconque tendant à interrompre le fonctionnement ou l’activité normal d’une ou de plusieurs entreprises de base ou stratégique de l’Etat, sera sanctionné d’une peine de prison de 16 à 18 ans »
Autrement dit tous les travailleurs de secteurs clés se seraient vus interdire le droit de grève, dans cet article les blocus de routes et les occupations de terres voyaient également les peines qui les sanctionnent alourdies. L’article 6 de la Ley de Educacion,lui, prévoyait d’interdire le droit de grève aux enseignants…. Pas besoin de commenter…..

L’année 2005 a également été marquée par des manifestations sévèrement réprimées, par exemple les ouvriers du pétrole au forfait (les « chanceros ») qui protestaient contre de nouvelles conditions d’embauche à Anaco ou les travailleurs contractuels de la China National Petroleum Corporation à Morichal ont été matés par la Garde Nationale. Et alors qu’il réprime les grèves, le gouvernement ouvre le dialogue avec le patronat.
Ainsi fin 2005, des discussions prennent la forme de groupes de travail qui se réunissent de manière hebdomadaire entre gouvernement et fédérations patronales. La FEDEMARCAS ayant adouci sa position face à Chavez, sans doute impressionnée (favorablement !) par l’ampleur des réalisations « socialistes » de celui-ci…


La vitrine de la « révolution, bolivarienne » : les Missiones


Tout visiteur à destination de Caracas se verra immanquablement présenter les missiones comme la vitrine du « socialisme bolivarien ».  J-L.Mélenchon, qui a passé une semaine au Venezuela en février dernier, les qualifie même de « structures de base du processus politique en cours ici ». Il s’agit de programmes sociaux, souvent lancés avec l’aide d’experts étrangers, notamment des médecins cubains en échange de pétrole, dans les domaines de la santé, de l’enseignement ou du logement. Les budgets des ministères concernés ont été sensiblement augmentés, tout en partant de niveaux très bas. Par exemple entre 1999 et 2001, le budget de l’éducation publique est passé de 3,3 à 5,2%, celui des logements publics et des services communautaires de 0,8 à 1,5 % et celui de la santé de 1,1 à 1,4 %. Pour la seule année 2005, 4,4 milliards de dollars de la rente pétrolière ont été puisés sur PDVSA pour être consacrés à ces programmes.

Dans le domaine de la santé le programme Barrio Adentro a permis la création de dispensaires pour 17 millions d’usagers potentiels, qui fonctionnent avec 17 000 coopérants cubains, ces dispensaires sont gérés par des comités locaux élus dans les quartiers.
Dans le domaine de l’éducation, les missiones sont constituées en dehors du système d’éducation publique existant avec des volontaires à tous les niveaux, depuis les classes d’alphabétisation des adultes jusqu’au niveau tertiaire. Par ce biais  1 300 000 adultes ont appris à lire. Rien que pour l’année 2002, le taux de scolarisation a augmenté de 25%, notamment du fait de la distribution de repas gratuits aux élèves. Un système de bourses d’études a également été institué et une Université Bolivarienne ouverte.

Dans le domaine économique, le contrôle des prix a été institué sur 160 produits alimentaires et 60 biens de première nécessité et une chaîne de supermarchés où les produits sont largement subventionnés a été ouvertes et accueille 35 à 40% de la population. Des soupes populaires ont été instituées dans les quartiers, que les habitants prennent directement en charge. Des banques ont été ouvertes spécialisées dans les micro-crédits destinés aux plus pauvres et aux coopératives ouvrières.
Tout ceci n’est pas rien : l’injection de la rente pétrolière dans les rouages sociaux y joue indéniablement un rôle de lubrifiant. Mais il faut y regarder de plus près.


Externalisation de la question sociale


Au Venezuela près de 90% de la population vit dans les villes, sur ce chiffre on estime à 60% ceux qui vivent dans des bidonvilles pudiquement appelés « barrios », installés sur des terrains précaires, qu’ils ont occupé illégalement et qu’ils squattent, comme les collines environnant Caracas (souvent sujettes à des glissements de terrain). A la suite du Caracazo c’est dans ces bidonvilles que se sont constituées les Asambleas de Barrios, assemblées de quartiers qui réclamaient la légalisation de ces occupations et qui contribueront largement à l’élection de Chavez.

Après son arrivée au pouvoir Chavez laisse la question de côté. C’est le parti d’opposition Primero Justicia, qui se réclame d’une sorte de « libéralisme populaire », qui s’en empare en soumettant un projet de loi proposant le transfert de la propriété des barrios aux habitants, si les terrains sont propriétés d’Etat ou bien s’ils sont occupés depuis dix ans ou plus, bien évidemment au passage le projet de loi confirme le caractère sacré de la propriété privée et prévoit une peine de cinq années d’emprisonnement pour toute nouvelle occupation.

Ce projet est repris par Chavez dans son décret du 04/02/2002, entre la grève générale de décembre 2001 et le putsch d’avril 2002, à un moment où il s’aperçoit qu’il perd sa base…. Toutefois ce décret est en recul même par rapport au projet de Primero Justicia, puisqu’il ne prévoit le transfert des titres que lorsque les terrains sont propriétés d’Etat. Il faut noter aussi que durant le mois de janvier 2006, un certain nombre d’habitants des barrios de la capitale, chassés par des pluies torrentielles ont occupé des immeubles, des dizaines ont été jetés en prison sur les ordres du maire bolivarien de Caracas…..

Ce transfert de titres bénéficiera à terme à 40% de la population et on estime à plusieurs années le temps nécessaire pour le réaliser. Il faut souligner aussi que l’expulsion et le relogement des habitants dans des conditions décentes coûterait dix fois plus cher. D’ailleurs les programmes du gouvernement prévoyaient la construction de 150 000 nouveaux logements en 2005, et seuls 15 000 ont été réalisés. Chavez solde donc à bon compte la question des bidonvilles.

Ce transfert s’est accompagné de la création de divers conseils de participation. Et c’est là aussi une des clés du « socialisme » bolivarien : la participation. La participation a été officialisée par une loi de mai 2002 qui institue des conseils locaux de participation publique, où les habitants, en association avec les élus d’une commune, participent à l’élaboration de programmes de développement locaux (santé, éducation, etc) et gèrent les fonds dispensés par le gouvernement notamment ceux du Fonds intergouvernemental pour la décentralisation (FIDES), sur le modèle de budget participatif tel qu’il est pratiqué à Porto Alegre au Brésil. Ces conseils visent aussi à intégrer les comités mis en place spontanément par la population durant le lock-out pour organiser le ravitaillement, contrôler les routes, rouvrir les écoles.

Cela revient en fait à décharger l’Etat de ses responsabilités, à faire gérer la misère par la population elle-même, à externaliser la question sociale. D’autre part les salariés des missiones qui font le travail de fonctionnaires sont payés en dessous du salaire minimum…. quand toutefois ils sont payés comme ces infirmières qui ont manifesté au palais présidentiel durant le Forum Social Mondial pour revendiquer l’annulation de leur licenciement après avoir réclamé sept mois d’arriérés de salaires !

Au passage, on ne peut taire le fait que la situation des femmes est souvent dramatique ne serait ce que du point de vue de l’avortement. Celui-ci est toujours puni de 6 mois à deux ans de prison pour la femme qui avorte, de 12 à 30 mois pour le médecin. L’avortement est pratiqué dans de telles conditions qu’il est responsable de 31% des décès d’adolescentes âgées de 15 à 19 ans.

Il est indéniable que ces programmes ont amélioré le sort de la majorité des Vénézuéliens. Mais ils reposent d’une part sur un endettement croissant de l’Etat, d’autre part sur la rente pétrolière. Si les cours du pétrole venaient à baisser, les missiones en souffriraient immédiatement. Elles ne constituent en aucun cas à cet égard les éléments précurseurs d’une rupture avec le capitalisme, mais se situent au contraire comme des éléments d’accompagnement social de celui-ci, permettant aussi au régime de Chavez de s’assurer d’une certaine base sociale parmi les plus pauvres, en fonctionnant ainsi qu’un populisme pétrolier.


Le « contrôle ouvrier »  à la sauce bolivarienne : quelques exemples concrets


Mais, à lire la presse bourgeoise ou même certaines publications gauchistes on a parfois l’impression que des secteurs entiers de l’économie vénézuélienne sont nationalisés ou en passe de l’être. Il faut donc revenir, sur ce qu’on appelle au Venezuela, la cogestion ou même le contrôle ouvrier, puisque de toute façon, le colonel Chavez n’a jamais rien nationalisé, voire s’est opposé aux demandes de renationalisation des travailleurs comme à SIDOR, on l’a dit.
Récemment encore une liste de 700 entreprises fermées potentiellement nationalisables circulait, qui d’ailleurs ne représentent que 20 000 travailleurs, c’est dire la modestie de l’objectif. Il faut donc examiner les faits dans les entreprises déjà « sous contrôle ouvrier », et d’abord les trois premières concernées : Invepal, Inveval et Invetex.
Dans tous ces cas, le schéma a été le même. Dans un premier temps, les patrons déclarent les entreprises en faillite, et refusent d’indemniser les travailleurs, qui occupent les usines.
Ensuite, le gouvernement déclare ces entreprises « d’utilité publique » et les exproprie… contre indemnisation au prix du marché. L’Etat prend 51% du capital et les ouvriers les 49% restants sous forme de coopérative. A Invetex, qui était fermée depuis 15 ans, le patron récupère même la moitié des 49% réservés aux ouvriers et ce aux frais de l’Etat ! Donc l’Etat transforme les travailleurs en actionnaires et garde le dernier mot. Et en gagnant le statut de « socios » (d’associés), les salariés des entreprises concernées perdent toutes les garanties liées au statut de salarié. Pour preuve, les dirigeants du syndicat d’Invepal ont décidé de dissoudre le syndicat sous prétexte que tous étant associés il n’y en avait plus besoin ! Autre élément notable : avant que le patron ne mette la clé sous la porte il y avait 1600 ouvriers à Invepal, après cette pseudo-nationalisation il en reste 350.

A CADAFE, une entreprise électrique d’Etat, qui serait également sous « contrôle ouvrier », l’expérience de cogestion commence juste après le lock-out patronal. Elle consiste à nommer deux représentants des travailleurs au comité de direction qui comprend 5 membres. Ledit comité n’émet que des « recommandations », que la direction de l’entreprise, toujours nommée par le Ministère de l’Energie, n’est pas obligée de suivre, et qui la plupart du temps ne concernent que des questions d’amélioration de la productivité. Cela ne fut pas sans susciter des manifestations des travailleurs dirigées contre le Ministère.

A ALCASA qui est une société nationalisée déficitaire depuis des années, à partir de janvier 2005, une expérience de cogestion a été mise en place sous la direction de l’ancien guérillero Carlos Lanz,  expérience pilote après un discours de Chavez sur la cogestion en janvier 2005. Les salariés peuvent désigner 2 des 6 directeurs, les autres étant nommés par l’Etat. Ils désignent aussi des délégués d’ateliers, mais la direction effective de l’entreprise demeure entre les mains de la CVG, le holding d’Etat dont fait partie ALCASA, qui continue de décider du plan de production, de la commercialisation et des investissements.
Certes le syndicat de l’entreprise fait campagne pour l’élection de l’ensemble de la direction de la société mais il est passé à une conception bien étrange de la défense des intérêts des travailleurs. Dans une interview accordé à une publication gauchiste, un dirigeant du syndicat explique : « Maintenant que nous avons la cogestion le syndicat ne parle plus seulement d’augmenter les salaires… nous devons accroître la production et faire baisser les coûts » ou encore « Aujourd’hui la compagnie devient productive, mais elle ne doit pas seulement être productive, mais aussi faire du profit. ».

Ajoutons qu’un certain nombre d’autres entreprises ont été transformées en Compagnies pour la Production Sociale (EPS) sur le modèle suivi à Invepal ou Venepal mais il s’agit souvent de petites unités de production (moins d’une centaine de travailleurs) qui la plupart du temps avaient été abandonnées par leurs propriétaires.

Il ne s’agit pas de contrôle ouvrier sur la production, mesure par définition transitoire vers le pouvoir des travailleurs et donc la suppression de la concurrence capitaliste, mais de l’organisation par les travailleurs eux-mêmes de leur propre exploitation, ce à quoi en définitive aboutit toujours l’autogestion.


La cogestion au service du patronat


En réponse au lock-out patronal de décembre 2002, de nombreuses entreprises ont été reprises en main par les travailleurs, notamment dans l’industrie pétrolière, comme à la raffinerie de Puerto La Cruz ou à El Palito où les travailleurs ont interdit l’arrêt de la production. Mais dès la fin du lock-out, le gouvernement a remplacé la direction de PDVSA et renvoyé les travailleurs à leur tâche productive.

Ce mouvement de prise de contrôle d’entreprises lock-outées ou mises en faillite a dû être pris en compte par le gouvernement bolivarien, pour reprendre les choses en main et parer à une éventuelle vague d’occupations sauvages d’usines. Mais en mettant tous les garde-fous nécessaires. Dans une interview au journal argentin Pagina 12, le vice-président Rangel déclarait :
« Chavez est une digue de contention et les marchés comprennent cela. Les marchés sont beaucoup plus intelligents que les analystes politiques car ils ne peuvent jamais se permettre de perdre ».

Suite à la nationalisation de Venepal, le gouvernement avait indiqué par la bouche de la ministre du Travail María Cristina Iglesias :
«(le gouvernement) insiste pour que les travailleurs et les chefs d’entreprise dans toutes les entreprises qui ont besoin d’une augmentation de capital, d’une aide du Système Financier Public National, d’une renégociation de leur dette auprès (de la Sécurité Sociale ou des Impôts) ou de CONAVI, négocient avec les travailleurs la possibilité d’établir des régimes de cogestion » (Prensa Presidential, 31/01/2005).

De même Elias Jaua, ministre de l’Economie Populaire, indiquait en parlant de Venepal :
« Nous souhaitons que ce cas soit une exception. Nous engageons les patrons qui ont fermé leurs entreprises à établir une alliance stratégique avec l’Etat… en les soutenant avec une politique de crédit. Pour que nous puissions effectivement entreprendre la réactivation de l’appareil industriel du pays.  » (apporea.org 21/02/2005).

Ajoutons que des gouverneurs qui étaient allés trop loin ont été rappelés à l’ordre, comme dans l’Etat de Barinas où le gouverneur (M. Chavez père) avait signé un décret d’expropriation des silos de la société Polar alors même que le gouvernement négociait un accord avec les patrons de ladite société.
Il s’agit donc en fait de :
« la transformation de l’appareil productif national qui se base sur l’existence d’un dialogue social, constructif et permanent, entre le gouvernement national, les chefs d’entreprises, les travailleurs, et qui rend possible la conclusion de compromis volontaires et mutuels » (Acuerdo Marco de Corresponsabilidad para la Transformación Industrial, 26/05/2005).
Le gouvernement garantit  aux entrepreneurs la « renégociation de leurs dettes avec l’Etat », « des crédits venant du système financier public », « la participation aux programmes d’achats de l’Etat, de commerce national et international » (idem, 26/05/2005).
Le modèle privilégié par le gouvernement est, les exemples donnés plus haut l’attestent, celui où les salariés deviennent actionnaires avec comme mise d’investissement l’argent que le patron leur devait ou qu’il devait à l’Etat, transformé en capital, pour permettre de relancer l’entreprise. C’est pour le gouvernement bolivarien le bon usage de l’argent dû aux travailleurs ! En transformant les salariés en actionnaires et associés (socios), le pouvoir bolivarien les lie à la productivité de l’entreprise. L’Etat fournit aux entrepreneurs par ce biais une entreprise qu’il veut modernisée, avec crédits, accès aux marchés d’Etat … sans avoir à se préoccuper de grèves ouvrières ou d’indemnités chômage…


Le pétrole


Nous avons employé l’expression de « populisme pétrolier ». Il est en effet incontestable que tous les aspects spécifiques de la « révolution bolivarienne » dont nous nous sommes efforcés de donner un aperçu repose sur l’utilisation de la rente pétrolière offerte par des cours du pétrole qui ont triplé, en dollars, entre 2002 et 2005. Le pétrole représente la moitié des rentrées de l’Etat.
Au moment de son élection Chavez était d’ailleurs soutenu par une partie de la bourgeoisie vénézuélienne, qui souhaitait une meilleure redistribution de la rente pétrolière. Un des buts de Chavez en arrivant au pouvoir était de remettre la société pétrolière d’Etat PDVSA au pas, elle qui est au niveau du chiffre d’affaire la plus grande société de toute l’Amérique Latine… mais aussi une des moins efficaces ! On estime en effet que son coût d’extraction est le triple de celui des compagnies américaines. Elle a à sa tête une bureaucratie qui fonctionne comme un véritable Etat dans l’Etat, la parasitant en s’appropriant les royalties normalement dues à l’Etat (qui sont passées de 71 cents pour 1 $ de rapport brut en 1981 à 39 cents en 2000).
Aussi, l’un des 49 décrets-lois de novembre 2001, prévu pour prendre effet en 2003, double les royalties dues, limite à 50% les partenariats avec sociétés étrangères, impose une obligation de transparence comptable et prévoit la possibilité pour l’Etat de restructurer PDVSA. D’ailleurs si le fait que PDVSA est entreprise nationalisée et le restera est marqué au fer rouge dans la Constitution bolivarienne, cela n’empêche pas  éventuellement le gouvernement de Chavez de la scinder en plusieurs entités, ouvrant ainsi la voie à une éventuelle privatisation morceau par morceau.

Le Venezuela « bolivarien » a aussi pour objectif de renégocier ses relations avec l’impérialisme, ce qui inclut la récupération d’une partie des royalties du pétrole qui lui échappent au travers de « marchés bilatéraux ». Pour cela Chavez impose des hausses de redevance pour des contrats déjà signés, il oblige les compagnies étrangères à revoir le cadre légal des contrats qui les lient à PDVSA. Mais cela n’inquiète pas outre mesure les impérialistes ainsi Frédéric Lasserre, responsable de la recherche sur les matières premières à la Société générale cité par Le Figaro du 12/07/05 explique : «Avec la remontée des cours, il est naturel de vouloir renégocier le partage de la rente, tous les gouvernements le font». Même si c’est de manière un peu brutale, comme lorsque le gouvernement a obligé les multinationales à signer de nouveaux contrats d’association avec PDVSA en faisant du chantage au fisc en décembre 2005, de fait tout, le gotha se presse à la table du festin, ChevronTexaco, ExxonMobil, Total ConocoPhillips, Shell, Statoil, Repsol YPF, Petrobras, car si les redevances montent la soupe reste bonne (« les majors du pétrole s’adaptent » titre un autre article du Figaro du 2 décembre 2005).

Il s’agit aussi de faire des affaires avec les grandes multinationales y compris par la privatisation progressive des ressources nationales pour ce qui est de l’extraction, du raffinage et de la distribution. De fait, la part de PDVSA dans la production nationale ne cesse de baisser 53,8% en 2004 contre 65% en 2002 (d’après la revue Pétrostratégies). D’autre part Chavez a privatisé les réserves marginales d’hydrocarbures et la question de la vente de Citgo, principal réseau de distribution d’essence sur la côte est des Etats Unis et propriété de PDVSA, a été posée à un moment. La propriété pleine et entière des gisements de gaz par les multinationales a été autorisée en 1999 par le gouvernement.

Dans le cadre de la renégociation avec les compagnies étrangères, un certain nombre de compagnies jusqu’alors absentes du pays s’y installent comme CNPC (Chine) ou Petrobras (Brésil). Chavez cherche aussi à se concilier d’autres pays impérialistes, pour en finir avec le partenariat quasi exclusif avec les Etats-Unis, par exemple Libération du 10 mars 2005 explique  « de passage éclair à Paris, hier, le président du Venezuela, Hugo Chávez, a annoncé un investissement de "plusieurs milliards de dollars" du groupe pétrolier français Total, dont la production devrait prochainement doubler dans ce pays».

PDVSA sert, on l’a vu, de vache à lait du gouvernement pour financer les programmes sociaux. Mais c’est aussi le cas pour le financement de sa diplomatie en avançant ses projets d’Alternative Bolivarienne au projet de Zone de libre-échange américain à grands coups de pétrodollars. Le Monde du 6 décembre 2005 synthétise : « sans pétrole, point de "révolution bolivarienne". »


Premières conclusions 


La rente pétrolière accrue sert aujourd’hui de matelas à Chavez pour amortir les contradictions sociales profondes du pays qui ne sont en rien résolues, pour se livrer à un numéro d’équilibriste, parfois comique au fil de ses improvisations télévisées dominicales (dans l’émission Alo presidente), louvoyant entre les aspirations des masses  et les besoins des différentes fractions de la bourgeoisie, en se présentant comme le défenseur de toute la nation contre l’impérialisme américain.

Le populisme en uniforme de Chavez s’inscrit dans une longue tradition latino-américaine, le césarisme, comme nous y reviendrons dans la seconde partie de cet article, sinon que c’est un césarisme pétrolier. Bien des militaires au pouvoir avant lui se sont parés de atours du « socialisme » en fonction des besoins du moment.
Précisément, l’avons vu, en réalité, il n’y a pas de transformation fondamentale des rapports sociaux au Venezuela. Ni expropriation des grands propriétaires terriens, ni celles des capitalistes financiers qui détiennent la dette publique, ni celles des banques ou des principales entreprises d’un pays toujours gangrené par la corruption et par la misère.

En juillet 2005, Chavez expliquait devant un parterre d’hommes d’affaires américains que, avant son arrivée au pouvoir, le pays ressemblait à une bombe, et que, depuis son arrivée, la déflagration devenait de plus en plus improbable.
De facto, le régime bolivarien a pu se maintenir en place grâce à l’intervention des masses, contre les coups répétés de l’impérialisme américain et d’une fraction de la bourgeoisie vénézuélienne pour le chasser.

Une fois établi le bilan réel de la « révolution bolivarienne » et avoir dissipé, espérons-nous, la confusion soigneusement entretenue sur sa nature prétendument « socialiste », ce qui était l’objectif en tout cas de cette première partie, il est tout aussi indispensable de comprendre comment Chavez est parvenu au pouvoir, ce qu’il en est des mouvements des masses, qui, ont l’a aperçu, ont marqué l’histoire récente du Venezuela, et, partant, comment il pourra être possible aux masses ouvrières et paysannes de se dégager du cadre politique de la « République bolivarienne » pour faire prévaloir leurs intérêts de classe. Ce sera l’objet de la seconde partie de cet article.


Le 18 mars 2006

 

 

 

 

 

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