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Article paru dans CPS nouvelle série n°24 de mars 2006

48ème Congrès :

sous le drapeau du « nouveau statut du travail salarié »,
la direction confédérale veut faire franchir à la CGT un nouveau pas
dans l’adaptation aux besoins du patronat et du gouvernement

 

La  CGT : une place centrale…


Les rapports politiques entre les classes à l’échelle internationale comme en France donnent une importance toute particulière à la politique des appareils syndicaux. En effet, d’un côté, les bourgeoisies impérialistes sont à l’offensive partout, détruisent progressivement les acquis qui se sont inscrits dans le cycle historique ouvert par octobre 1917 et clos par la restauration du capitalisme en Russie. Mais elles n’ont nulle part dans les pays capitalistes avancé la force à elles seules d’arriver à leurs fins, comme l’a analysé le texte « Actualité du Combat pour le socialisme » adopté par la III° conférence du Cercle.

Inversement, le prolétariat, bien que politiquement désorienté et ayant subi d’importantes défaites, garde une capacité de combat menaçante pour la bourgeoisie. Comme dans ce même processus la décomposition des organisations du mouvement ouvrier, syndicats et partis, se poursuit, la place des appareils des organisations syndicales notamment devient plus importante pour faire passer les plans des capitalistes.

 

Et  en même temps, leur marge de manoeuvre s’accroît – en relation avec les développements de la lutte des classes. Et tous les appareils, dans tous les pays, par-delà des différences considérables existant dans les situations politiques nationales, vont dans le sens de l’adaptation ouverte aux exigences de la bourgeoisie.

Dans ce mouvement général, la direction de la CGT occupe une place particulière. Des années durant, elle fut en effet dirigée et contrôlée par le PCF, l’agence française de la bureaucratie du Kremlin. Avec l’explosion de l’appareil international du stalinisme, la bureaucratie de la CGT a entamé une évolution l’amenant à prendre de plus en plus de distances avec le PCF pour tenter d’occuper une place incontournable en tant qu’interlocuteur du patronat et du gouvernement. L’appareil utilise la force sans équivalent restant à la CGT, l’histoire de la CGT, liée indissolublement aux grandes luttes de classes de ce pays, pour ses propres fins. Le 45ème congrès de 1995 avait marqué une étape très importante en ce sens, avec notamment l’enterrement de l’ancienne déclaration de principe de la CGT qui lui donnait comme objectif « la suppression de l’exploitation capitaliste ».


… par le prisme du rapport d’activité


On s’en doute, le rapport d’activité s’emploie à dissimuler autant que faire se peut ce rôle central de la direction confédérale dans les dures défaites subies notamment depuis celle de la bataille contre la « réforme » des retraites en 2003. A qui la faute ? Pour l’appareil, pas de toute, c’est la faute aux travailleurs.

 

En 2003, rappelons-le, la direction CGT s’était engagée à fond dans la concertation avec le gouvernement. Début janvier, l’ensemble des confédérations lançait un appel conjoint à se mobiliser… « pour une réforme », en ne faisant aucune référence aux 37 annuités et demie, alors que c’était la première cible du gouvernement, contre tous les travailleurs de la fonction publique. Fillon avait alors réagi ainsi : «  Cette plate-forme montre que les organisations syndicales se placent dans la démarche que nous leur proposons, c’est-à-dire une démarche de négociation, de dialogue, de concertation». Lors du congrès confédéral du printemps 2003 une seule intervention, rapportée par la grande presse, se prononcera contre cette « négociation ». Le rapport d’activité défend l’alignement sur les positions de la CFDT « car l’absence d’unité aurait dès le départ réduit la portée du mouvement ». Comme s’il était possible d’en réduire plus « la portée » en escamotant la revendication de la défense des régimes de retraite, du code des pensions.

 

Malgré cela, en mai et notamment autour de la journée de grèves massives du 13 mai, la question de l’appel à la grève générale était posée. Réponse de l’appareil confédéral :

« Rappelons que pour la Cgt la grève générale ne se décrète pas. Elle est le résultat de la généralisation de la grève et des mobilisations tant dans le public que dans le privé.Objectivement les conditions n’ont pu être remplies et le mouvement des retraites n’a pu aboutir à la construction de ce rapport de forces optimum. ».

« Objectivement », vous dit-on. Tout aussi objectivement, un ministre de Chirac confiait à la presse fin août 2003 : "Avant l'été, si la CGT l'avait voulu, le pays basculait dans la grève générale."

 

C’est faute de l’ouverture de la perspective du combat pour faire mordre la poussière au gouvernement, que concentrait l’appel à la grève générale, et aussi parce que, à la SNCF, à la RATP, l’appareil CGT s’est opposé à la poursuite de la grève après le 13 mai, que les grèves ne sont pas devenues la grève, la grève générale. Bernard Thibault affirmait dans le JDD fin mai : « Arrêtons d'agiter ce vieux chiffon rouge. Nous ne faisons pas une manifestation avec l'objectif de renverser le gouvernement. ». Il tiendra ce même cap devant les dizaines de milliers de participants au meeting de Marseille du 12 juin.

Le document d’orientation pour sa part ne se prononce pas pour l’abrogation de cette « réforme », le retour à 37,5 annuités pour tous.

Autre point d’importance concernant la CGT : la privatisation d’EDF-GDF. Là encore, le rapport d’activité évoque la fatalité : « Comme pour d’autres privatisations c’est avant tout le soutien de l’opinion publique et un engagement suffisant des salariés quia fait défaut malgré les efforts importants réalisés par nos organisations, le plus souvent dans l’unité. » Black-out sur le fait que les directions CGT, confédérale et fédérales ont négocié ligne à ligne le projet de loi qui privatisait EDF, avant de cesser même d’en exiger le retrait.


La préparation du congrès : les actes…


Le rapport d’activité lâche une plainte :

Ainsi dans les trois années écoulées riches en événements économiques et sociaux majeurs, la place laissée aux contradicteurs syndicaux des politiques mises en oeuvre dans les entreprises n’est apparue, de façon classique, qu’au travers des conflits les plus «durs»,susceptibles d’une exploitation médiatique faisant la part belle au sensationnel ou aux«analyses» stéréotypées.L’image d’un syndicalisme uniquement contestataire qui serait le nôtre a régulièrement été alimentée, faisant souvent l’impasse sur les propositions alternatives dont nous pouvons être porteurs dans de nombreux domaines.

 

Fin août 2005, Bernard Thibault s’était déjà agacé dans les colonnes du Figaro de l’image « d’avocat de la revendication sociale » qui colle à la peau de la CGT. A l’automne 2005, concomitamment à la préparation du congrès, la direction confédérale a redoublé d’efforts pour réussir sa mutation, pour réaliser le mot d’ordre des congrès précédents : « passer du syndicalisme de contestation au syndicalisme de proposition ».

 

A la SNCM, comme l’a montré l’article publié dans le précédent numéro de CPS, la direction de la confédération comme celle des marins de la compagnie n’ont jamais pris position pour la défense du statut 100% public de la compagnie, contre les suppressions d’emploi. Pis encore, si possible, Bernard Thibault se rendait à sa propre initiative à Matignon pour discuter du plan gouvernemental, le jour même où la répression militaire, policière et judiciaire la plus forte s’abattait sur les marins entrant dans le port de Bastia. Après n’avoir pas levé le petit doigt face à l’instauration de l’état d’urgence dans le pays, la direction confédérale dénichait une autre trouvaille : appeler à une « journée d’action »,  le 31janvier… sans même appeler à la grève. Coïncidence ou pas, c’est ultérieurement au nom de cette journée d’action, tombant le même jour que l’examen en première lecture du projet de loi sur le C.P.E., que la direction confédérale fermait la porte à toute initiative sérieuse contre ce projet lors du début de son examen.

Parallèlement, et avant que soient connus les textes du congrès, J-C.Le Duigou, éminence grise de la direction confédérale – et aussi le plus mal élu de ses membres au dernier congrès -  publiait à la rentrée en son nom un « manifeste du nouveau syndicalisme », « demain le changement » . Le « nouveau syndicalisme » a des présupposés qui eux ne sont pas nouveaux:

« « Le marché, nous le connaissons. Nous cherchons à l’orienter, à la maîtriser, à le transformer. Nous ne sommes pas pour l’abolir comme cela a été fait dans l’expérience soviétique ! […] Nous voulons conquérir une économie de marché, avec ses règles, ses institutions, ses garanties, mais aussi ses outils publics et ses dimensions non marchandes. […] Certes, certains rêvent encore d’une « abolition globale du marché », plutôt que d’une transformation de celui-ci. Cela me paraît aussi décalé que les exhortations de M. Seillière, qui affirme que « l’économie doit rester à l’écart de la politique ». (p248)

Cet ouvrage, on le vérifiera, est comme une clé de décryptage du document d’orientation proposé pour le 48ème congrès, il en donne le ton : pas question de combattre le capitalisme. D’ailleurs comment Le Duigou pourrait-il ne serait-ce que l’envisager ? Il co-dirige avec par exemple Jean-Pierre Brard, l’association « confrontation », créée en 1991 par Philippe Herzog, alors PCF, et à la direction de la quelle il côtoie les grands patrons comme Jean Peyrelevade, sous le haut parrainage des Jean Gandois ou Francis Mer (ministre de Chirac),. Ajoutons que cette association a appelé à voter « oui » à la constitution européenne. 

Evidemment, les prises de positions de le Duigou ne se situent pas dans la sphère éthérée des idées pures.


… le texte d’orientation : pas un mot contre le gouvernement, pas une revendication


Le document d’orientation a en effet ceci de particulier qu’il méconnaît aussi bien l’existence de revendications de défense des travailleurs que celle du gouvernement Chirac-Villepin-Sarkozy, jamais nommé (on y évoque le « pouvoir », sans autre précision). L’un va de pair avec l’autre : poser les revendications ouvrières implique de répondre à la question de comment les arracher, et donc du combat pour infliger une défaite au gouvernement UMP.

 

Il ne s’agit pas d’un oubli malencontreux, d’autant que le rapport d’activité ne pouvait lui esquiver de remarquer que

« ces trois dernières années ont été caractérisées (…) par une offensive permanente et conjointe du patronat et du gouvernement en France et cela dans tous les domaines ».

Ce qui rend plus assourdissant le silence sur cette offensive dans le document qui doit définir l’orientation !

Avis de la direction aux amateurs qui chercheraient les moyens de mettre fin à cette offensive : qu’ils passent leur chemin (ajoutons que la « classe ouvrière », les « ouvriers », sont des termes qui n’ont pas non plus droit de cité dans ce document).

Les 25 « décisions » qui y sont soumises pour adoption au congrès confédéral de Lille n’en parlent point.

Ainsi, on cherchera en vain tout mot d’ordre de combat contre les licenciements. Il faut dire que J-C.Le Duigou avait averti dans son ouvrage sus-mentionné (p106):

« Il n’est pas question d’ignorer la contrainte de compétitivité des entreprises. L’idée « d’interdiction des licenciements » est de ce point de vue ni réaliste, ni ambitieuse. Sa mise en œuvre se retournerait très vite contre les salariés. Il faut être beaucoup plus ambitieux et créer un droit d’intégration dans l’emploi. »

Le respect de la propriété privée des moyens de production et la génuflexion devant l’économie de marché ont leurs conséquences. Le rapport d’orientation évite, nous l’avons dit, de parler de « licenciements ». Il parle « des transitions entre deux emplois que leur [les salariés] imposent les restructurations, délocalisations, ou fermetures d’entreprises dictées par les stratégies économiques et industrielles. » (II-22).

En matière de privatisations, le rapport spécifie :

« Autant les graves remises en cause actuelles sont inacceptables, autant nous ne pouvons nous contenter de défendre le statu quo. (…) la Cgt entend élaborer les réponses avec tous les intéressés, usagers particuliers et entreprises [pour ne pas dire : patronat – Ndlr], salariés, associations et collectivités publiques [pour ne pas dire : gouvernement – Ndlr]. Elle veut ouvrir d’autres voies d’évolution en France et en Europe qui fassent droits aux attentes des usagers et des salariés des secteurs concernés. »

D’abord, les attentes des « usagers » des services publics, ensuite, seulement, celles des salariés, le tout à discuter avec patronat et gouvernement.

La décision n°16 consacrée à la question ne propose donc logiquement qu’un « grand débat public » sur des services publics que la direction CGT voudrait « outils de citoyenneté », rien de moins.

Là encore, un « citoyen » bien informé, J-C.le Duigou, précisait dans son manifeste (p.216) :

« « L’évolution du secteur public doit donc s’inscrire dans une réflexion plus globale sur une  problématique de « désétatisation des entreprises publiques » qui n’abandonne pas l’objectif de nouvelle efficacité économique face à la contrainte des marchés et de la rentabilité. Il faut savoir distinguer entre les fins et les moyens : des moyens qui deviennent partiellement obsolètes et qu’il faut renouveler ; et des fins, notamment une maîtrise collective de la politique de développement économique et social, qui demeure un objectif plus que jamais indispensable »

« Désétatiser » les entreprises publiques : le propos est clair, et il suffit une nouvelle fois d’avoir à l’esprit les positions de la direction CGT sur la SNCM, ses « plans alternatifs » proposant une privatisation « acceptable », un plan social « acceptable ».

Rajoutons qu’en matière de rattrapage et de défense du pouvoir d’achat, donc d’augmentation des salaires, ou encore de lutte contre les suppressions de postes dans la fonction publique, le document reste obstinément muet. Quant aux conventions collectives, le texte d’orientation dit qu’il faut en défendre… les « fondement » (décision 7).

On peut comprendre le satisfecit adressé par l’éditorial de M.Noblecourt dans Le Monde du 20 janvier :

« La CGT n'était jamais allée aussi loin. Ainsi, à trois mois de son congrès, M. Thibault n'a pas choisi une posture de radicalité pour le gagner. »


  Sous le drapeau du « nouveau statut du travail salarié »


C’est donc le « nouveau statut du travail salarié » qui est mis en avant pour recouvrir toute trace de revendication dans le document d’orientation.Ce n’est pas en soi une nouveauté, le 47ème congrès déjà voyait ce concept croître comme de la mauvaise herbe. 

Un indice. Alors que la direction confédérale reconnaît dans son rapport d’activité que ces dernières années furent marquées par l’offensive conjointe du patronat et du gouvernement « dans tous les domaines », autant elle indique dans le même temps que ceux –ci seraient « sur la défensive » dans un domaine:

« « Le nouveau statut du travail salarié et la sécurité sociale professionnelle étaient les revendications centrales avancées au dernier congrès. En trois ans celles-ci sont devenues incontournables dans la Cgt et bien au-delà.Souvent reprises par les différents acteurs sociaux et les salariés confrontés à une insécurité et précarité croissantes, gouvernement et patronat ne peuvent plus les ignorer et se retrouvent souvent sur la défensive pour les combattre. »

La conclusion logique en découle : le « Nsts », pour reprendre le diminutif affectueux employé tout au long du texte d’orientation, ne s’inscrit pas à contre-courant de cette offensive généralisée, mais au contraire l’accompagne.

De quoi s’agit-il ? Selon la direction, de substituer aux garanties collectives existantes de la classe ouvrière et des travailleurs salariés en général des garanties individuelles transférables d’une entreprise à l’autre, d’une branche à l’autre, y compris du public vers le privé et vice-versa.

Est-ce « sur la défensive » que le gouvernement avait signé avec la CGT l’accord sur la formation professionnelle, qui, au nom de l’individualisation du droit à la formation, aboutissait à pouvoir exclure la formation professionnelle du temps de travail ? Non. La majorité UMP l’avait ratifié avec joie, comme composante de la loi Fillon sur le « dialogue social ».

En réalité, l’objet du « Nsts » est de servir de cheval de Troie, en opposant les garanties individuelles aux garanties collectives, pour la mise à mort de ces dernières.

La première des 25 décisions soumises au vote du congrès de la CGT est tout à fait significative.

Décision 1.Pour répondre aux enjeux sociaux de notre temps, relever les défis de la mondialisation, combattre les mises en concurrence, transformer le travail, le congrès décide de placer la solidarité au coeur des objectifs de la Cgt:

- par une action revendicative qui réponde aux aspirations individuelles des salariés, chômeurs et retraités et à leurs besoins de solidarité commune;

- par une lutte déterminée contre tout ce qui divise et oppose, notamment le sexisme, le racisme, la xénophobie, l’homophobie.

D’abord les aspirations individuelles, ensuite la « solidarité commune » (pour ne pas parler de luttes). Et immédiatement après des thèmes « sociétaux » dont la présence ne prend son relief que mise en rapport avec l’absence que nous avons soulignée de toute revendication en matière de salaires, de licenciements, de privatisations, de retraites, etc. La décision 6 enfonce le clou en invitant « à mettre la vie syndicale CGT au service de la citoyenneté à l'entreprise ».

C’est au nom de ce que « le travail change » que la direction confédérale justifie le « Nsts ». Sous ce vocable, elle englobe notamment l’accroissement de la précarité et son cortège de conséquences, mais aussi cette « révélation » que :

« Les objectifs de travail s’affichent de plus en plus ouvertement en termes de valorisation boursière ou de profit financier. Cela heurte de plein fouet les aspirations individuelles à se valoriser à travers l’utilité sociale de son travail. » (I-45)

Dit autrement : « Ainsi, l’aspiration des salariés au travail bien fait se heurte souvent à l’impossibilité d’y parvenir du fait des organisations du travail et de la logique des marchés. » (I-37).

On voudrait bien savoir quand, à quelle époque, voire dans quel monde, s’agissant de la classe ouvrière, son travail n’a pas été dominé par les logiques du marché, ses aspirations collectives et même individuelles au « travail bien fait » et « socialement utile » n’ont pas été piétinées et brisées sur l’autel de l’exploitation capitaliste, dont l’existence est le fondement même de la constitution de syndicats pour résister à cette exploitation, et, ce faisant, permettre d’améliorer les conditions de travail !

Disons-le : lorsque la CGT fut constituée, en 1895, n’existaient ni conventions collectives, ni droit du travail ou approchant, sans parler de l’assurance-maladie, de l’assurance-chômage, etc.

Les premiers militants syndicaux n’en avaient pas tiré comme conclusion qu’il était hors de propos de mettre en avant des revendications pour y substituer la discussion avec les exploiteurs sur les mécanismes sociaux d’amortissement des conséquences de l’exploitation.


Au nom du Nsts : laisser détruire les statuts et garanties collectives, aller vers la cogestion


Cette question du « Nsts », « au cœur du congrès » comme l’écrivent les dirigeants de la fédération de la Chimie dans un document du 7 mars, est concentrée dans la décision n°7 proposée au congrès :

« Le Congrès engage la CGT, par ses propositions, à conquérir et à nourrir un nouveau statut du travail salarié. Sa mise en œuvre doit renforcer le Code du travail, consolider et développer les fondements des conventions collectives et statuts existants, par la conquête d’un ensemble commun de garanties individuelles et collectives, instaurant :

II-42. - des droits transférables lors de la mobilité des salariés d’une entreprise à l’autre.

II-43. - une sécurité sociale professionnelle pour tous les salariés du privé comme du public, pour que leur contrat de travail soit maintenu même si leur emploi est supprimé ;

II-44. - une protection sociale élargie et démocratisée, au financement garanti par une réforme de la cotisation patronale. »

Qu’en termes élégants ces choses là sont dites ! On commence par jurer, cracher, qu’on va défendre les conventions collectives et les statuts… ou presque : leurs « fondements » - c’est-à-dire ce qui reste quand tout l’édifice a été détruit. Ensuite de quoi on propose d’attacher les « droits », non plus  la convention collective, mais à l’individu.

C’est trait pour trait le projet de « contrat de travail unique » que proposent un certain nombre de rapports et qu’esquisse la convention de reclassement personnalisée

Ce contrat, « maintenu » et qui aurait comme effet de substituer aux rapports collectifs pour défendre arracher des garanties, branche par branche, entreprise par entreprise, des rapports individuels, de gré à gré, dont serait garante… la « puissance publique » pour emprunter une expression à la direction de la CGT. Soit : le gouvernement UMP. Une pique en passant : proposer d’étendre ces « droits » à la fonction publique, c’est proposer de l’aligner sur le privé en matière de destruction des contrats de travail tels qu’ils existent actuellement, avec les garanties collectives qui y sont rattachées.

Le tableau ne serait pas complet si l’on ne mentionnait pas un autre volet du « Nsts » : la revendication de la cogestion, de la « démocratie participative en territoires avec (…) de réelles prérogatives » (II-45), « de nouveaux droits de négociation pour les salariés quelle que soit la taille de l’entreprise. » (II-70), « des droits et moyens nouveaux dans les comités d’entreprises, CCE, comités de groupe nationaux et européens, dans l'ensemble des institutions représentatives, afin de permettre l’intervention légitime des salariés sur les choix de gestion. » (II-92).


Un objectif immédiat du 48ème congrès pour la direction confédérale :
un véritable « plan de restructuration » des fédérations syndicales


Il est aisé de comprendre que la création d’un Nouveau Statut du travail salarié, faits de droits transférables d’une entreprise à une autre, est en contradiction totale avec le mode d’organisation de la CGT, structuré par des fédérations professionnelles correspondant grosso modo aux conventions collectives de branche existantes et construites notamment pour la défense de revendications professionnelles dans ce cadre.

Répétons ce que nous avons dit plus haut : ces fédérations furent constituées, contre le corporatisme de métiers, en relation avec la lutte de classe du prolétariat, dans des conditions où la précarité et l’exploitation, dont la direction CGT prétend faire découler son « Nsts », étaient autrement plus importantes qu’aujourd’hui (fin 19ème, début 20ème). Mais elles se sont constituées sur des revendications, branche par branche.  Les remettre en question, c’est remettre en question les instruments qui furent ceux de la conquête de droits collectifs d’importance – dans le cadre des rapports généraux entre les classes. C’est un corollaire de l’abandon de toute revendication de défense des travailleurs.

Le texte d’orientation affirme que le syndicalisme a été créé « pour solidariser les salariés ». L’objectif de la CGT était de regrouper « tous les travailleurs conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat » (article 2 des statuts de 1895).

C’est au nom du « Nsts » qu’on entend contraindre les fédérations à se rapprocher et fusionner entre elles. La décision 24 engage en effet « une cohérence d’évolution de l’organisation professionnelle de la CGT », demandant que les fédérations « couvrent plusieurs métiers, entreprises, conventions collectives, statuts, en cohérence avec la conquête d’un nouveau statut du travail salarié ».

Sur cette base, le CCN recevrait mandat, comme cela se pratique dans les entreprises capitalistes, de faire un véritable audit des fédérations existantes, avec « évaluation », puis « expérimentations » d’évolution. La même méthode est prônée en ce qui concerne les structures locales. Concernant les unions locales, la direction entend même que le congrès décide d’organiser une conférence nationale pour les remettre à plat suite à cet audit qui ne dit pas son nom.

Pour en revenir aux fédérations, le document propose (III-89) de les refondre en neuf grandes fédérations :

« en lien avec le nouveau statut du travail salarié et la sécurité sociale professionnelle, il est proposé de réfléchir autour de champs d’activités tels que: industrie, services, commerce, transports, santé et protection sociale, culture et éducation, environnement, communication, financement. » Exit, donc, les fédérations des métaux, de la chimie, de la Poste, du textile, des finances, etc. 

Certes, on précise aussitôt (III-90) : « Ces exemples ne préjugent en aucun cas du contour que pourraient prendre les fédérations.C’est une base de réflexion issue d’un travail commun. » C’est pour mieux intimer: « Les fédérations en concertation auront à proposer les évolutions de structures nécessaires. ». De telles fédérations géantes seraient des structures plus éloignées des syndiqués, l’appareil y aurait les mains plus libres pour mener sa politique. Ce sont des instruments d’une politique d’adaptation aux besoins du capital.

La direction confédérale sait d’expérience les limites des textes, aussi contraignants soient-ils en apparence. Aussi s’est-elle dotée de deux moyens plus efficaces pour les faire passer dans la vie. Le premier est de s’appuyer sur la transformation des syndicats, en commençant par les plus petits, sommés par décision de congrès confédéral (la n°23) de se regrouper dès lors qu’ils n’auraient pas 20 syndiqués, en créant « des syndicats locaux, de site ou de zones, constitués sur une branche ou multiprofessionels ». Il faut savoir que pour de nombreuses fédérations, par exemple la fédération de la chimie, l’immense majorité des syndicats n’atteint pas les 20 membres. Dans le même temps, le document martèle qu’en matière d’affiliation à une fédération, les syndicats sont souverains, et que ce sont eux qui décideront « des évolutions structurelles nécessaires », du « plan de restructuration » des fédérations pour le dire crûment.

Deuxième outil d’importance, qui entraîne une réforme des statuts qui figure en annexe du document d’orientation : le changement du système de cotisations.  Jusqu’ici, les cotisations transitent depuis les syndicats par les fédérations avant d’aller à la confédération. Dorénavant, si cette modification était adoptée : « Le syndicat conserve la part de la cotisation qui lui revient et reverse le reste de façon globale.Un organisme national de répartition est créé, auquel le syndicat effectue ses reversements et qui se charge de la répartition aux organisations bénéficiaires concernées. »

Résultat : les fédérations seraient court-circuitées. C’est évident à un tel point que la direction confédérale a éprouvé le besoin de se défendre de vouloir capter l’argent, arguant que l’organisme mis en place, CoGéTise, ne serait pas sous son seul contrôle. Le rapport d’activité mentionne les « suspicions » que cette réforme suscite. Et en effet : comme ce sont les syndicats qui décident à quelle fédération ils versent une quote-part, et sachant que les cotisations ne transiteraient plus par les fédérations, tous les appareils fédéraux se trouveraient sans pouvoir lutter à la merci financière d’un changement d’affiliation ou d’un non –reversement ‘accidentel’.


Des oppositions limitées et feutrées


La réforme des structures de la confédération suscite bien entendu nombre de réticences de la part de dirigeants fédéraux. Mais cette réticence demeure sourde et bornée à la question des cotisations. Selon Le Monde :

 « le 5 janvier, lors du vote sur le projet de document d'orientation, les cheminots, réservant leurs critiques pour la réforme des cotisations, ont voté pour, la Fédération du spectacle s'est abstenue. Et seule la Fédération de l'agroalimentaire, traditionnelle opposante, a voté contre. »

Bernard Thibault, dont la candidature au poste de secrétaire de la confédération a reçu, à titre indicatif, l’unanimité du CCN moins 7 refus de vote, s’en félicitait dans une interview aux Echos du 30 janvier :

 « Concernant Didier Le Reste, je ne crois pas que le terme de « désaccord » qu’il a utilisé recouvre des différences d’appréciation quant à l’orientation de la Cgt. Il n’y a eu aucun acte qui l’aurait confirmé. Au contraire, à la commission exécutive, Didier a voté le document d’orientation. »

Pourtant, il y a moins d’un an, la direction confédérale avait été mise en minorité sur la question du référendum. Sans donner franchement de consigne de vote, le CCN rejetait la position de neutralité prônée par Thibault et Le Duigou. Ce fait sans précédent était un avertissement donné à Thibault et la direction confédérale par les barons des fédérations pour qu’ils n’aillent pas trop loin.

L’avertissement est resté sans frais. Le rapport d’activité revient sur cet épisode pour condamner en termes à peine voilés la mise en minorité de la direction (des « problèmes de fonctionnement » qui « appellent une renouvellement de nos méthodes et nos pratiques »).

Le document d’orientation réaffirme quant à lui son attachement à la « Confédération Européenne des Syndicats », chaude partisane de ce traité et de l’UE dont elle est en fin de compte une excroissance.

Et il pose des jalons pour prévenir à l’avenir de nouvelles « mésaventures » de ce genre, engageant la confédération : « à contribuer aux débats politiques et sociétaux de façon ouverte, indépendante et respectueuse de la diversité des syndiqués. » (I-133)

La direction de la fédération de la Chimie (Fnic) a elle manifesté sa désapprobation du document en publiant début mars des « outils pour le débat », contribution sous forme interrogative où tous les postulats du document d’orientation sont remis en cause:

« N'est-il pas nécessaire d'affirmer ici, combattre l'exploitation capitaliste, les politiques ultra-libérales et de transformer la société plutôt que de "relever les défis de la mondialisation" ? »

Mais si la direction de la Fnic réclame par exemple d’introduire des revendications dans le document, elle est peu diserte sur l’orientation qu’il conviendrait de mettre en oeuvre, et se concentre sur la proposition de réforme des structures et du système de cotisations en séparant cette question des questions d’orientation.

De ce fait, ses désaccords feutrés – comme les « désaccords » exprimés par la fédération des cheminots – ne peuvent guère, dans l’état actuel des choses être saisis par les syndiqués qui rejettent la politique de la direction confédérale.

Ce rejet-là transparaît aussi bien dans de nombreuses contributions publiées dans le cadre de la préparation du congrès que dans la presse nationale. Ainsi, le Monde du 11 février rend compte de l’accueil glacial (« Bernard Thibault se frotte à sa base ») réservé au secrétaire général par les militants de Calais. Mais le congrès confédéral sera composé de délégués triés sur le volet.

Certes, même ainsi, dans des circonstances exceptionnelles, le congrès confédéral de la CGT peut voir s’exprimer l’écho de la volonté des masses. Ce fut le cas en novembre-décembre 1995, en plein mouvement de grèves et de manifestations contre le plan Juppé. La question de l’appel à la grève générale avait été discutée en tant que telle par le congrès. Il est possible que s’exprime au congrès la volonté de lutter contre le gouvernement, de briser son offensive, et pour cela de lutter contre la nouvelle étape de dénaturation de la confédération ouvrière que la direction veut y engager.

D’ailleurs la proximité de ce congrès n’est sans doute pas étrangère à la position que la direction confédérale a adopté face au gouvernement sur la question du C.P.E. : son exigence du retrait du projet, le refus proclamé de discuter tant que ce projet n’est pas retiré. Naturellement, à aucun moment la direction confédérale n’envisage ou ne compte utiliser les moyens de la lutte de classe pour combattre réellement, jusqu’au bout, le gouvernement Chirac-Villepin-Sarkozy. Mais il ne fait pas de doute, d’une part, que l’appareil confédéral entend faire valoir que sans lui, on ne peut faire passer facilement les contre-réformes ; d’autre part elle ne cracherait pas sur un succès qui, à un mois du congrès, lui simplifierait la tâche.

Les résistances à la ligne confédérale pourront précisément prendre appui sur les premières leçons du combat contre le C.P.E. : une des sources de difficultés pour le gouvernement a été le refus des confédérations de discuter, leur exigence dans l’unité du retrait du C.P.E.

Pour qui veut combattre pour briser l’offensive du gouvernement et du Medef, pour qui entend voir la CGT opposer à cette offensive les revendications (rattrapage du pouvoir d’achat, aucun licenciement, aucune privatisation, l’arrêt de suppressions de postes de fonctionnaires et le recrutement en masse dans les secteurs socialement utiles), c’est un élément fondamental.

En fin de compte, tout se ramène à ce que le point de départ de l’orientation de la CGT doit être de combattre pour briser l’offensive du gouvernement Chirac-Villepin-Sarkozy, et pour cela de rompre avec lui. C’est à partir de là que peuvent être réellement combattus le « Nsts » comme la réforme des structures et du système de cotisations proposées par l’appareil, que peut être défendue la CGT contre cette nouvelle étape dans sa dénaturation comme confédération ouvrière.


 

Le 19 mars 2006

 

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