Article paru dans Combattre pour le socialisme nouvelle série n°19, avril 2005

 

Enseignement public :

Après le vote du projet de loi d’orientation

 


Le 24 mars, l’Assemblée et le Sénat ont adopté le texte définitif du projet de loi d’orientation, adoption saluée ainsi par Fillon : «Ce texte a été débattu dans un contexte de revendications, auxquelles le Gouvernement n'a pas cédé. ». Et Fillon d’en souligner la portée :

« Cette loi, sur laquelle le débat aura été l'un des plus longs dans l'histoire des lois sur l'école, va changer profondément le visage de l'école de la République. ».

En réalité, ce projet marque une étape significative dans la réalisation d’objectifs de longue date de la bourgeoisie française, qui étaient notamment énoncés dès 1995 dans le cadre de la « commission Fauroux » (c’était le « survival kit » au lieu du « socle commun »). Déjà à l’époque il s’agissait de casser le cadre national et l’enseignement et des diplômes qu’il délivre pour faire baisser la valeur de la force de travail, adapter étroitement l’enseignement aux besoins du patronat, en faire baisser le coût, et ce faisant tenter de disloquer le corps enseignant, qui a souvent été l’épine dorsale de la résistance aux attaques des gouvernement successifs de la Cinquième République.

 

La contre-réforme de l’enseignement figurait en bonne place du programme du candidat Chirac en 1995. Les grèves et manifestations de novembre-décembre 1995 en défense des régimes spéciaux de retraite, le recul opéré parle gouvernement sur les retraites des fonctionnaires pour pouvoir faire passer le plan Juppé, avait amené Chirac à différer son attaque. Il escomptait la reprendre après sa victoire aux législatives de 1997. On sait ce qu’il en a été.  

C’est dans la foulée de la victoire remportée en mai juin 2003 sur cette même question des régimes de retraites que la « loi d’orientation » a été mise sur les rails. Avec le vote, le 24 mars, de cette « loi de Chirac » selon les termes même de Fillon, il n’est pas exagéré de dire ces objectifs sont en passe d’être réalisés.


 « Changer profondément le visage de l’école » (Fillon) :
l’implosion du cadre national de l’enseignement public est en marche


Ce ne sont pas là des paroles en l’air que prononce Fillon. Que prévoit en effet la loi d’orientation ?  Tout d’abord, la destruction du cadre national de l’enseignement public. Le levier essentiel en est l’autonomie des établissements. Le rapport annexé à la loi le souligne sans ambages :

« La loi organique relative aux lois de finances va donner aux établissements une responsabilité budgétaire plus grande en fonction d'objectifs pédagogiques clairement déterminés dans le cadre d'un contrat entre l'académie et les établissements. Cette nouvelle marge d'initiative doit être utilisée par les établissements au profit d'une organisation plus efficace. »

 

L’instrument essentiel de ce « contrat » entre l’académie et les établissements est le projet pédagogique, au primaire comme dans le second degré, lequel projet va en réalité conditionner localement la nature des enseignements, des services des enseignants et les moyens alloués.

 

A cette fin, les établissements du second degré se voient affublés d’un nouveau conseil, le « conseil pédagogique », sorte de pépinière à petits chefs, chargée non seulement d’établir la partie pédagogique du projet d’établissement, mais encore de fliquer les enseignants (ce qui se dit dans le projet de loi « veiller à la cohérence pédagogique des enseignements à chaque niveau » ou encore « proposer les actions locales de formation continue des enseignants »- rapport annexé).

Ainsi, avec la contractualisation des moyens établissement par établissement, dans la logique de l’alignement de l’enseignement sur les normes de fonctionnement des entreprises du privé, l’autonomie des établissements, c’est un processus d’implosion du cadre national de l’enseignement public qui est engagé. C’est tout le sens du « socle commun » défini par la loi : au delà de celui-ci, défini a minima, plus de programmes nationaux.

 D’ailleurs il est significatif que la loi substitue au conseil national des programmes un « haut conseil à l’éducation ». En ce sens, le basculement du bac vers le contrôle continu, prévu explicitement dans la première mouture de la loi, est la partie émergée de l’iceberg du projet – dont se sont saisis les lycéens. Mais quand bien même la mention explicite du baccalauréat a disparu, le contrôle continu, les diplômes maisons, prolongement de l’autonomie des établissements, sont toujours prévus dans la loi, article 29:

« En vue de la délivrance des diplômes, il peut être tenu compte, éventuellement en les combinant, des résultats d'examens terminaux, des résultats des contrôles en cours de formation, des résultats du contrôle continu des connaissances, et de la validation des acquis de l'expérience. Lorsqu'une part de contrôle continu est prise en compte pour la délivrance d'un diplôme national, l'évaluation des connaissances des candidats s'effectue dans le respect des conditions d'équité. »

 

Autre instrument de l’éclatement des conditions d’enseignement, établissement par établissement, école par école : les « programmes personnalisés de réussite éducative » conclus avec les élèves en difficulté en primaire et au collège. En effet, leur nombre déterminerait en partie les moyens alloués aux établissements (« Au collège, la dotation des établissements comprendra un volet « programme personnalisé de réussite éducative», calculé en fonction du nombre d'élèves repérés en difficulté lors des évaluations. » dit le rapport annexé).

 

Avec ceux-ci se profilent la destruction des ZEP, Zones d’Education Prioritaires. C’est paradoxal : ces dernières avaient été mises en œuvre précisément comme un cheval de Troie de la casse du cadre national de l’éducation. Mais au final, elles sont devenues un moyen de revendiquer des moyens supplémentaires et un complément de salaires dans les nombreuses villes sinistrées par la crise récurrente de l’économie capitaliste. C’est pour cette raison que la loi d’orientation exige leur mise à mort, ce qui relèverait du désastre dans nombre de cas :

« L’efficacité pédagogique et éducative des zones d'éducation prioritaire sera améliorée (…). Ce dispositif sera centré sur les établissements les plus en difficulté, en liant l'obtention du statut de zone d'éducation prioritaire à un contrat d'objectifs, et en permettant des mesures dérogatoires dans les établissements très difficiles. »

 

Déroger aux statuts déjà dérogatoires… Ce qui est vrai pour les ZEP l’est même pour les dispositions nouvelles instaurées par la loi d’orientation. Ainsi, « à titre dérogatoire », le projet d’établissement peut prévoir de s’affranchir de quelque règle que ce soit (article 34) :

 « le projet d'école ou d'établissement peut prévoir la réalisation d'expérimentations, pour une durée maximum de cinq ans, portant sur l'enseignement des disciplines, l'interdisciplinarité, l'organisation pédagogique de la classe, de l'école ou de l'établissement, la coopération avec les partenaires du système éducatif, les échanges ou le jumelage avec des établissements étrangers d'enseignement scolaire.»

 

Toujours à titre expérimental, les lycées techniques ou professionnels peuvent être présidés par une « personnalité extérieure », comprenez, un patron (article 39). Les établissements de natures diverses peuvent constituer des « réseaux au sein d’un bassin de formation » : la concurrence sauvage entre établissements pour capter les rares moyens accordés trouve ainsi une forme évoluée. Qui dit concurrence dit bien sûr enseignement privé sous contrat, lequel peut s’intégrer dans les dits « réseaux » (article 36) et, précise le rapport annexé : « doit être mis en situation de pouvoir remplir ses missions », missions qualifiées de « service public ».

 

Il s’agit donc bel et bien d’une loi qui donne un cadre au franchissement d’un saut qualitatif dans le démantèlement de l’enseignement public. Mais cela serait impossible sans s’attaquer au statut des personnels, et singulièrement des personnels enseignants.


De larges brèches dans le statut des personnels


Pour réaliser les objectifs de la loi Fillon, il faut briser l’obstacle du corps enseignant, de ses statuts. D’importants jalons sont posés dans cette voie – qui s’ajoutent à la hausse exponentielle du recrutement de personnels enseignant sous statut précaire, vacataires et autres contractuels par dizaines de milliers.

 

Pour soumettre les enseignants localement aux exigences du « projet local », rien n’est épargné. D’abord bien sûr l’obligation de remplacer les collègues absents à concurrence de 72 heures par an. Les « professeurs disponibles (…) proposeront des enseignements en relation avec leurs propres compétences et les besoins des élèves » précise le projet de loi. « Compétences », « besoins », bref, surtout pas le respect des qualifications, des statuts. En réalité, c’est un levier pour aller vers une plus grande flexibilité des enseignants du second degré.

Pour y pousser, sont prévus notamment la reconversion des enseignants de lycées professionnels en professeurs bivalents en collège (« Le statut des professeurs de lycée professionnel sera adapté en conséquence» - rapport annexé), mais aussi l’instauration lors du passage des concours d’enseignement de « certifications complémentaires » en lettres, langues et mathématiques (rapport annexé) : la bivalence ou plus précisément la flexibilité serait ainsi étendue.

Dans le même temps, les indemnités spécifiques des professeurs seront toutes remises en question, mutualisées en quelque sorte au niveau de l’établissement pour servir de carotte (et de bâton) :

« le fondement de décharges spécifiques désormais non justifiées devra être réexaminé de sorte que les établissements disposent de moyens propres pour mettre en œuvre leurs priorités pédagogiques au service de la réussite de tous les élèves. » (rapport annexé)

 

D’autres mesures valent d’être mentionnées : l’extension du recrutement de « professeurs associés », recrutés en CDD mais sur la dotation globale horaire de l’établissement (article 50), la mise en place des « équipes de réussite éducatives » déjà prévues par le plan Borloo fonctionnant en dehors des horaires scolaires, mais comprenant « selon les besoins des élèves » des enseignants. Dans le primaire, la loi annonce (article 35) un nouveau décret pour redéfinir le statut de directeur (article 35). Le renforcement de la hiérarchie n’est pas réservé on le voit aux enseignants du second degré.

 

Enfin on peut ajouter que, l’encre de la loi était à peine sèche que le ministère annonçait la mise en place de groupes de travail chargés de remettre en cause le statut des CPE, pour les soumettre à l’équipe de direction.


Une loi d’ignorance, loi patronale, loi cléricale, loi réactionnaire


La loi du gouvernement Chirac-Raffarin-Fillon programme le développement de l’ignorance. Le « socle commun », mesure phare de ce texte, est un « ensemble de connaissances et de compétences » minimales, auxquelles seraient cantonnés nombre d’élèves, interdits d’accès aux autres disciplines tant que ce socle ne serait pas maîtrisé. Dès l’âge de 13 ans et la classe de quatrième, l’apprentissage patronal tendrait ses bras avides vers les élèves, pour prendre son rythme de croisière dès la classe de troisième (six heures par semaine !). Les lycées professionnels, eux, sont sommés de « contribuer au succès du plan de relance de l’apprentissage » inclus dans le plan Borloo dit de « cohésion sociale ».

D’une manière générale, le visage de la bourgeoisie française transparaît ligne après ligne de ce projet de loi, et son mépris pour les classes populaires, indignes d’accéder (sauf quelques « méritants ») au savoir, destinées à servir de main d’œuvre gratuite, devant être orientées en fin de troisième en tenant compte «des spécificités économiques locales et des perspectives d'emploi ». Pour aider à une telle « orientation » expulsant nombre de jeunes du système scolaire en fin de troisième, l’introduction d’une note de conduite, la note de « vie scolaire ».

 

Les enseignants devraient, eux, s’incliner devant le patronat : « le système éducatif doit mieux prendre en considération le rôle fondamental que les entreprises jouent dans le développement économique et social du pays ». La loi prévoit ouvertement, une fois passé le recours au minimum du « socle commun » au primaire et au collège : « de réduire le nombre des options au lycée et de tendre vers un plafonnement de l'horaire maximal de travail des lycéens. ».

 

Suppression massive de postes et d’heures de cours, recours aussi précoce que possible à l’apprentissage, le tableau ne serait pas complet si l’on ne mentionnait pas les amendements apportés par le parlement à ce projet. D’une part, de renforcer l’endoctrinement politique à l’école. Notamment en confiant la tâche à l’école primaire d’inculquer la marseillaise à tous les enfants. Mais aussi, en demandant, aux termes d’un projet de loi voté discrètement dans la foulée de la loi d’orientation que :

«Les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit. »

Chauvinisme et obscurantisme vont de pair comme sabre et goupillon : il n’y aurait donc pas lieu de s’étonner que le parlement ait intégré au « socle commun », non, pas, qu’on se rassure l’histoire, ou la biologie, mais « l’enseignement du fait religieux ». L’offensive anti-laïque entamée par le vote de la loi Fillon sur les « signes religieux » se poursuit comme nous l’avions prévu à l’époque. Mais c’est à l’initiative de Jean-Pierre Brard, député PCF, que cet amendement a été intégré – tout comme de son côté le sénateur PS Mélenchon a fait intégrer un amendement préservant le label « lycée des métiers » qu’il avait créé lors de son passage au ministère de l’Education. Tout ceci alors que, officiellement, tant le PS que le PCF se prononçaient pour le retrait du projet de loi Fillon ! On touche là du doigt la réalité de leur « opposition » à ce projet de loi, et du coup la raison fondamentale qui explique que ce projet ait été voté.


Un projet de loi « porté avec les dirigeants syndicaux » (Fillon)


En octobre 2004, après la remise du rapport Thélot (cf. CPS n°17 nouvelle série), Fillon déclarait « Je souhaite porter la réforme avec les syndicats (…) aller le plus loin possible ensemble dans la construction du projet de loi ».

 

A l’époque, dans un supplément enseignant (19 novembre) à CPS, dont nous reprenons les termes ici, nous soulignions : « Tout le dispositif gouvernemental depuis plus d’un an y concourt, depuis le « grand débat sur l’école » qu’ont cautionné les directions syndicales jusqu’à des tables rondes quasi- permanentes depuis la parution du rapport Thélot, avant que le PS et le PCF ne passent sur le devant de la scène lors de la discussion parlementaire. « On se revoit lundi !» a lancé Fillon à G.Aschiéri, secrétaire de la FSU, devant les caméras. Et après que ce dernier ait salué les « objectifs » du ministre, n’ait rien dit des revendications enseignantes pour faire des « propositions » au ministre !

 

Des « propositions » ? Mais les dirigeants syndicaux savent ce que sera ce «projet de loi Chirac » (Fillon dixit)! Ne savent-ils pas que la loi de décentralisation adoptée en juillet autorise « à titre expérimental» la création de super-établissements dans le primaire ? Ignoreraient-ils que le plan Borloo donne une nouvelle impulsion à l’apprentissage? Ne protestent-ils pas eux-mêmes contre les nouvelles règles du mouvement des enseignants qui «élargissent les pouvoirs des chefs d’établissements» (pétition SNES) ? Et qui ignore que le budget de l’éducation procède à des milliers de suppressions de postes ?

Les enseignants, eux, le savent : ce gouvernement, qui a cassé les régimes de retraites, le statut d’EDF-GDF, l’assurance-maladie, facilite les licenciements, ne peut vouloir et rechercher qu’une chose : la destruction de l’enseignement public. Ils savent que pour vaincre ce gouvernement, la responsabilité des directions syndicales est totale, comme ces enseignants d’un collège de Fontenay (92) qui exigeait d’eux qu’ils rompent avec le gouvernement et appellent «à une manifestation nationale à l’Assemblée contre l’adoption par les députés du budget 2005 de l’Education». Mais les dirigeants syndicaux ont regardé passer le budget en agitant leurs dérisoires «cartons rouges» tout en répondant aux convocations de Fillon pour «porter ensemble» le projet de loi, lui ouvrant la route.  Aussi, pour barrer la route au projet de loi d’orientation, pour empêcher la destruction des statuts du cadre national, doit monter à l’adresse des directions syndicales l’exigence exprimée le 9 novembre par l’assemblée générale des enseignants d’un lycée de Nice:

 Votre rôle n'est pas de définir de manière concertée la mise à mort de  l'école publique et des statuts des personnel. - Rejetez de manière pure et simple de rapport Thélot!- Ne participez pas à la concertation sur la loi d'orientation! »

 

Le 16 décembre, le CSE discutait du projet de loi, sans qu’aucun de ses membres ne manque à l’appel. Ni ceux du SE-UNSA qui avaient estimé que « on attendait pour l’Ecole une grande bouffée d’oxygène. Le projet de loi ministériel est-il déjà condamné à n’exhaler qu’un maigre souffle ». Ni ceux de la FNEC-FO (qui rencontrait directement Fillon le 27 novembre sans que celui, « n’apaise leurs craintes » - sic !). Ni bien sûr ceux de la FSU, proposant au lieu de sonner l’alarme contre ce projet

« une campagne de débats et d’information pour faire connaître la réalité des choix gouvernementaux et ses propositions pour une école de la réussite pour tous (…) d’interpellation du pouvoir et des parlementaires » (résolution du CDFN du 13 décembre). Le même CDFN votait quasi-unanimement contre une motion du courant Front Unique proposant de se prononcer pour le retrait du projet de loi d’orientation et pour la rupture de la concertation. Ainsi, à quelques encablures du vote de l’adoption de ce projet de loi en conseil des ministres, la direction de la FSU choisissait délibérément de bercer les enseignants et les personnels de rassurantes sornettes selon lesquelles les « parlementaires » (UMP) pourraient être sensibles aux « propositions » de la FSU !


La volonté de combat des enseignants se manifeste, les lycéens s’engagent


Mais, bien qu’encore sonnés par leur défaite de 2003, et malgré le dispositif rappelé ci-dessus, les enseignants ont mesuré le danger que représentait la loi d’orientation et cherché à la combattre. Ainsi, dès le 7 décembre, une grève dans le second degré, appelée par la seule direction SNES, rencontrait un écho limité mais indéniable.

 

Le calendrier gouvernemental s’était précisé : adoption le 12 janvier en conseil des ministres, puis débat à l’Assemblée du 15 au 18 février, pendant les vacance scolaires. Provocation supplémentaire : une gigantesque descente de police organisée le 6 janvier devant plusieurs établissements scolaires, chiens policiers et fouille au corps à l’appui, incarnation du contenu et de l’esprit du projet de loi d’orientation, descente qui ne suscitera qu’une vague réprobation de la part des directions syndicales enseignantes, pas sur le fond, mais sur la forme.

 

Les fédérations de l’éducation (FSU, CGT, UNSA-Education, SGEN-CFDT et FAEN) avaient décidé le 21 décembre d’appeler à une journée de grèves fin janvier pour « l’abandon du projet de loi » et « l’ouverture d’une véritable négociation pour élaborer une loi ambitieuse», termes qui sur le fond ne varieront plus, et viennent s’opposer au mot d’ordre de « retrait », lequel implique non pas une « négociation véritable », mais l’affrontement avec le gouvernement et pour cela la rupture avec lui.

La participation importante des enseignants à la journée du 20 janvier va indiquer qu’ils cherchent les moyens de combattre pour le retrait de ce projet de loi (sans que nulle part ne se produise un quelconque débordement hors du cadre de la dite journée du 20 janvier). C’en est sans doute un aspect que, en janvier, le SNES prenne position – après le SNU-IPP, contre l’intégration des syndicats de l’enseignement privé à la FSU, proposition qui était celle de la direction fédérale FSU dans le but d’aller plus loin dans la dégénérescence de cette fédération et de ses syndicats, mais aussi dans la perspective d’appliquer sur son propre plan la loi d’orientation, laquelle on l’a vu augure de beaux jours pour l’enseignement privé, confessionnel ou non. Le 25 janvier, les syndicats de la FSU, et d’abord le SNES, quittent le groupe de travail qui avait été mis en place par le gouvernement pour préparer la « réforme » du bac.

 

Avec l’annonce du débat parlementaire le 15 février, la question de l’appel des directions syndicales à la manifestation de tous les enseignants à l’Assemblée pour exiger le retrait du projet de loi Fillon pouvait cristalliser la volonté des enseignants de ne pas laisser cette loi passer sans réagir. En région parisienne, 34 enseignants du lycée de Brunoy (91), 31 du collège la Pléiade de Sevran (93), et une trentaine dans d’autres établissements allaient prendre position en ce sens en contresignant un appel, se constituant en collectif. Le même appel recueillit également 40 signatures au lycée de Riom et l’unanimité des enseignants présents à la réunion syndicale du lycée bristol de Cannes. Le 20 janvier, par 77 voix contre 2, l’assemblée des instituteurs grévistes de Montpellier adoptait la même position (puis 55 enseignants réunis en assemblée au lycée J-B.Dumas d’Ales). A Clermont Ferrand, pas moins de vingt cinq enseignants se réunissaient le 20 janvier sur cette même exigence et allaient la porter en délégation à la FSU départementale.

 

C’est dans ce contexte que les lycéens commencent à faire irruption sur la scène. Entrés localement en mouvement d’abord pour des questions de postes, en Lorraine, dans le Gard, l’Aveyron, en région parisienne, leurs revendications se centralisent vite sur les questions du « socle commun », du contrôle continu au baccalauréat, pour aboutir à un mot d’ordre qui début février est sur toutes les lèvres : « retrait du projet de loi Fillon ».

 

Le 10 février, ils sont 100 000 dans la rue, à la veille des vacances scolaires.


 « Fillon démission ? Ce mot d’ordre n’est pas le nôtre » (Gérard Aschieri, FSU)


La situation impose pour le gouvernement que soit mis en place un nouveau dispositif le protégeant, et tout particulièrement sa couverture parlementaire qui va se saisir du projet de loi, et permettant d’en finir avec ces manifestations de lycéens, que l’on compare volontiers rue de Grenelle à un « dentifrice » qui ne saurait regagner le tube d’où il est sorti, et qu’il faudra donc désorienter et disperser par tout les moyens, les vacances scolaires risquant de ne pas suffire.

De grandes manœuvres s’engagent. De son côté, le gouvernement annonce quelques modifications à son projet. Réintégration de la langue 2 dans le tronc commun au lycée (ce qui sauve l’existence des sciences économiques et sociales, soit autant de postes dont la suppression s’en trouve différée). Formule vague concernant l’enseignement du sport en collège, pour calmer les professeurs d’EPS, particulièrement remontés contre l’absence de leur matière du socle commun ; enfin et surtout, suite au capotage du groupe de travail ad hoc, report du basculement du baccalauréat vers le contrôle continu. Fillon retire le nom du baccalauréat du projet de loi, tout en maintenant le principe du contrôle continu pour tous les examens. Le groupe de travail, ou ce qu’il en reste, voit l’échéance de ses travaux reportée au … 31 mai, deux jours après le référendum sur la constitution européenne.

De leur côté, les directions des fédérations qui ont appelé au 20 janvier sortent un nouvel appel commun à « prolonger la mobilisation ». La liste des revendications qu’elles mettent alors en avant est instructive : d’abord, les suppressions de postes, ensuite, les salaires, enfin, « pour un service public d’éducation qui assure véritablement la réussite de tous, ce qui implique l’ouverture de négociations pour une autre loi ». Exit, donc, la timide demande « d’abandon » du projet de loi d’orientation. Dans le JDD du 9 janvier, le secrétaire général de la FSU n’avait-il pas caractérisé ce projet ainsi « Fillon va se contenter de poser des rustines » ? Pas de quoi, donc, fouetter un chat. Sur ce les directions fédérales renvoient toute mobilisation à leurs structures départementales, en attendant de « préparer ensemble une journée d’action comprenant une ou des manifestations à caractère national courant mars. ». La dite journée d’action interviendra en réalité en avril… une fois la loi votée.
Les dites structures départementales quant à elles ne lésinent pas sur les moyens. Initialement, rien n’était prévu pour le 15 février, date de l’ouverture des discussions au parlement. Finalement, les sections académiques parisiennes du SNES (et celles de la CGT) appellent, en mettant en avant elles aussi les mots d’ordres de postes et de salaires, à manifester jusqu’à Denfert, loin de l’Assemblée, puis à passer (sur proposition du SNEP) une « nuit blanche » encore plus loin de l’Assemblée nationale, d’abord prévue à l’hôtel de ville, puis à Bastille.

Pour la province, prétextant des vacances, le calendrier décidé par la direction du SNES ressemble à un gruyère. Académie par académie, cela donne : grève dans les académies de Lille et Reims le 25 février, rassemblements à Nice le 2 mars, manifestation le 2 mars à Dijon et grève des lycées le 7 mars dans la Nièvre, grève à Marseille le 4 mars, manifestation le 5 à Rennes, le 12 à Nancy, semaine d’action du 9 au 17 mars dans l’Hérault…


L’Assemblée nationale UMP-UDF sous protection


Le 15 février, alors que malgré tout la coordination lycéenne a décidé d’aller manifester à l’Assemblée nationale, le cortège, de plus de 50 000 personnes, essentiellement lycéennes, est disloqué place Denfert-Rochereau. Pourquoi ? Dans Le parisien du lendemain, l’explication politique est donnée par l’inimitable Gérard Aschieri. Les lycéens scandent « Fillon démission » ?

« les enseignants n’ont pas surenchéri hier aux injonctions de leurs élèves. « Ce slogan n’est pas le nôtre », souffle le secrétaire général de la FSU Gérard Aschieri »

Aller à l’Assemblée nationale était poser la question de l’affrontement avec le gouvernement. C’était remettre en cause objectivement l’existence du gouvernement. Les enseignants n’étaient pas dupes. On peut citer ici intégralement l’adresse aux dirigeants syndicaux FS, SNES, etc. adoptée le matin même par les enseignants du collège la Pléiade de Sevran et diffusé par une dizaine d’entre eux dans la manifestation qui apprécie parfaitement le caractère de la journée du 15 février:

« Les enseignants grévistes du collège La Pléïade:

_ considérant que l’itinéraire prévu pour la manifestation d’aujourd’hui laisse la majorité UMP débattre de la loi Fillon en toute tranquillité ;

_ considérant que Fillon n’a manœuvré sur le bac que pour reprendre ultérieurement, comme il l’a annoncé, la « concertation » avec les directions syndicales ;

_ considérant que G. Aschiéri, pour la FSU, a prévu de rencontrer dès demain un représentant de l’UMP ;

_ considérant que le vote de la loi Fillon est prévu pour le 2 mars, alors que les enseignants de Région Parisienne seront en vacances ;

_ considérant que depuis le 20 janvier dernier, des dizaines de milliers d’enseignants, de personnels, de lycéens ont exprimé leur volonté de voir la loi Fillon rejetée ;

_ considérant que des centaines d’enseignants se sont déjà adressés à leurs syndicats par voie d’appels, de motions, de votes en Assemblées Générales, pour qu’ils organisent la montée nationale à Paris ; 

S’adressent une nouvelle fois, publiquement, aux dirigeants syndicaux de l’enseignement public :

_ ce n’est pas à l’Hôtel de Ville, ni à Denfert, ni à Bastille qu’il faut manifester : c’est à l’Assemblée Nationale ;

_ il est inadmissible que les dirigeants syndicaux continuent de se concerter avec ce gouvernement : la loi Fillon n’est ni négociable, ni amendable !

_ il est tout juste temps d’appeler à une manifestation nationale et centrale devant l’Assemblée Nationale, pour le retrait de la loi Fillon.

 

A la fin de la manifestation, une centaine de « casseurs » font une apparition prémonitoire. Le projet de loi suit son parcours parlementaire à l’Assemblée ainsi placée sous haute protection… par les appareils syndicaux. La majorité UMP vote ce projet une première fois le 2 mars (entre temps, quelques dizaines de milliers de lycéens ont manifesté la dernière semaine de février). C’est le 1er mars (notamment à Lille et Clermont), puis le 4 mars à Marseille, comme prévu par les appareils, que de nouvelles manifestations lycéennes se produisent (mais moins fortes que celles de février). Le gouvernement décide de recourir à la procédure d’urgence, de sorte à ce que le projet ne subisse pas de deuxième lecture. Décidément, le spectre d’une manifestation en masse à l’Assemblée nationale hante les couloirs du pouvoir. C’est le 24 mars qu’Assemblée et Sénat doivent valider le texte final. Or, le 8 mars, sortis du tunnel des vacances scolaires, les organisations lycéennes et la coordination ont appelé à une nouvelle journée de manifestations.


Un crime contre le droit à manifester, contre les lycéens


C’est donc deux jours avant la journée de grèves et de manifestations du 10 mars que sont convoquées les manifestations lycéennes, toujours émiettées ville par ville (au Val de Reuil, en Normandie, les lycéens tenteront de prendre le train de force pour aller à Paris). Entre 150 et 200 000 lycéens manifestent encore. Mais ces manifestations ressemblent à un chant du cygne. A Paris, la manifestation est brisée et doit s’interrompre : des petits groupes de bandits, venus par centaines, harcèlent, agressent, dépouillent les manifestants – s’en prenant exclusivement aux manifestants blancs de peau, insultant ceux qui ne le sont pas quand ils tentent de s’interposer.

Armés, ils font couler le sang des manifestants, les rackettent, les battent, les jettent à terre. Toutes les rues adjacentes étant barrées par la police, les lycéens se trouvent comme des poissons dans une nasse soumis aux raids de prédateurs, sous le regard rigolard des « forces de l’ordre ». Mais de celles-ci, armes de répression entre les mains de la bourgeoisie, il ne fallait pas s’attendre qu’ils défendent le droit à manifester. La responsabilité de l’assurer, y compris par la force, en balayant les bandes de voyous, issus du lumpenprolétariat, repose sur les organisations du mouvement ouvrier.

Mais les lycéens sont seuls : alors que la manifestation parisienne du 15 février a vu apparaître des bandes de casseurs qui s’en sont pris à des manifestants, il n’y a pas, ou presque, de service d’ordre sérieux. Les dirigeants de la FSU, de la CGT, de FO, du PCF, du PS, laissent les lycéens sans défense. Or, ils savent que quelque chose se prépare. Citons ici un article de Libération du 14 mars, rendant compte des termes dans lesquels le PS demande une commission d’enquête sur la manifestation.

« Julien Dray, porte-parole du parti, accuse: selon lui, «le ministère de l'Intérieur disposait d'informations sur la possibilité de présence de bandes» mais «on a pris la responsabilité de laisser faire».

Sous l’intertitre « des violences qui n’ont surpris personne », le même journal continue (nous soulignons) :

« Les socialistes veulent savoir pourquoi le gouvernement aurait laissé un climat de violence s'installer à l'intérieur du cortège au lieu de prévenir ces débordements prévisibles. Car ils n'ont surpris personne. A commencer par les forces de l'ordre. Plusieurs jours avant la manifestation, policiers et syndicats avaient tiré le signal d'alarme.


D’ailleurs, la police est très bien informée, à l’unité près semble-t-il, puisque Libération informe :

« Demain (…)  la police s'attend à une baisse du nombre de casseurs (400 contre 1.000 lors de la précédente mobilisation)»

Une telle précision laisse songeur. Résumons : l’attaque de bandes armées contre la manifestation du 8 mars n’a pas grand-chose à voir avec la fatalité. Les lycéens de la région parisienne ont été livrés pieds et poings liés à des hordes venues détruire leur manifestation. Le gouvernement, les appareils syndicaux, auraient voulu en finir avec les manifestations lycéennes qu’ils ne s’y seraient pas pris autrement. Le jour même, la présidente de la FIDL Coralie Caron déclare sans attendre :

« On n'est pas dans la rue pour être dans la rue. On attend des réponses à nos revendications (…). "On va continuer à manifester et évoluer vers d'autres formes d'actions comme des blocages de lycées ou des sit-in."


 « L’enterrement »


Dans ces circonstances, la voie est ouverte pour que l’Assemblée vote sans être inquiétée le projet de loi d’orientation le 24 mars. Ultime précaution : les manifestations « à caractère national » annoncées initialement pour mars auront lieu le 2 avril. Lors des congrès académiques du SNES qui se tiennent courant mars, autant l’appareil se déchire sur la question du référendum, autant il est de marbre sur la question de la loi d’orientation. Celle-ci est votée et va commencer de s’appliquer dès la rentrée. Répétons-le, c’est une défaite.

Que dans ces circonstances des lycéens s’accrochent – remplis à juste titre de haine contre le gouvernement Chirac-Fillon et sa police – ne change pas grand chose à l’affaire, sinon que la persistance d’occupations sporadiques d’établissement montre les potentialités qu’avait ce mouvement s’il avait pu être un levier pour imposer l’appel uni à manifester à l’Assemblée au moment de la discussion du projet de loi.

 

Incontestablement, l’existence d’une organisation révolutionnaire dans la jeunesse, d’une fraction révolutionnaire combattant dans l’enseignement aurait pu peser d’une manière considérable en ce sens. Tirer les leçons de cette défaite, pour les jeunes, les enseignants, c’est de participer à la construction d’une organisation révolutionnaire qui aurait agi dans la voie tracée par les initiatives dont il est fait écho dans le présent article.

 

Pour le 14 avril, la FIDL a appelé, sans rire à une journée de manifestations pour « l’enterrement de l’éducation ». « Les lycéens, c’est comme le dentifrice »… les mini-appareils lycéens, projection des courants du PS, pressent le tube jusqu’à la fin. C’est « l’enterrement » de ce mouvement lycéen qu’ils organisent, patiemment. Ils sont, de manière subordonnée aux appareils de la FSU, du SNES, et des autres fédérations et syndicats enseignants, du PS et du PCF, responsables de l’adoption de cette loi destructrice dite « d’orientation », adoption qui ouvre la voie à l’étape suivante pour le gouvernement : casser le statut de l’ensemble des fonctionnaires.

 

Quant à l’intervention qu’il faut désormais de développer, on se reportera aux interventions à divers congrès du SNES que CPS reproduit ci-après. Concernant la loi d’orientation et son application, il s’agit de revendiquer que les directions syndicales ne s’associent en rien à sa mise en place, ne discutent pas des textes d’application, et appellent au boycott de la mise en place des « conseils pédagogiques » dans les établissements du second degré, prévue dès la rentre 2005. Mais encore une fois, ces revendications, comme celle de l’abrogation du projet de loi d’orientation, n’ont de sens que dans la perspective du combat contre le gouvernement Chirac-Raffarin, pour le vaincre, en finir avec lui dans le front unique des organisations du mouvement ouvrier.


 

Le 8 avril 2005

 

Vers la section : enseignement

 

Retour à l’accueil