Editorial du n°16 de Combattre pour le Socialisme – 29 mai 2003
Pour sauver
l’assurance-maladie :
combattre, vaincre et chasser le gouvernement UMP Chirac-Raffarin.
Il y a un peu moins d’un an
Ernest-Antoine Seillière saluait la contre-réforme des retraites, la
liquidation des 37,5 annuités dans la fonction publique, en ces termes :
« Dans l’histoire
économique et sociale de notre pays, c’est une page qui se tourne (…) nous
sommes dans un pays réformable qui reconnaît que l’organisation sociale
« modèle 1945 » doit évoluer. »
Il y a deux mois, le
gouvernement UMP Chirac-Raffarin subissait une véritable déroute lors des
élections régionales et cantonales, ses ministres, sa « majorité »
UMP-UDF étant battus à plate-couture. Mais Chirac et Raffarin
annonçaient : « le cap est maintenu ». Ils avaient déjà
affirmé « ce n’est pas la rue qui gouverne ». Ils pourraient
bien ajouter : « ce n’est pas le suffrage universel qui
gouverne ». Le gouvernement UMP, Chirac à l’Elysée, c’est la dictature
du Medef, du capital financier.
C’est pourquoi, le
gouvernement Chirac-Raffarin prépare pour ce mois de juillet la mise à mort
d’un autre élément constitutif de cette « organisation sociale modèle
1945 » : l’assurance-maladie - à moins qu’il soit mis d’ici là hors
d’état de nuire par le mouvement de la classe ouvrière sur son propre terrain,
imposant à ses organisations de réaliser le front unique pour le combattre, le
vaincre et le chasser.
Le plan Douste-Blazy de destruction de
l’assurance-maladie : faire payer les travailleurs…
C’est masquer le contenu
du projet du gouvernement que de déclarer, comme Ségolène Royal, au nom du PS,
face à Douste-Blazy à la télévision :
« Ce qui me frappe, c'est
l'immense décalage entre les quelques mesures que vous avez annoncées et
l'ampleur de l'enjeu qui est devant nous »
Car la « réforme »
de l’assurance-maladie concoctée par le gouvernement ne s’arrête pas aux
« quelques mesures » mises en avant par le ministre. Celles-ci
néanmoins donnent le ton. Il s’agit une nouvelle fois de faire payer les
travailleurs les plus pauvres et leurs familles (avec l’instauration d’une
franchise fixe d’un euro sur les consultations médicales, la hausse de la CSG,
en tout cas pour les retraités, le prolongement de la CRDS, la hausse
vraisemblable du forfait hospitalier). Presque par provocation, le patronat
voit lui une taxe augmenter de … 0,03% ! Non content de faire
payer le prolétariat, le gouvernement veut même le culpabiliser, au nom de la
« chasse aux fraudeurs », multiplier les barrages à l’accès aux soins
(et notamment aux urgences des hôpitaux), aux arrêts maladie, voire aux
« fausses cartes vitales ».
Une première remarque
s’impose. Si « surconsommation médicale » il y a, la source
serait-elle à chercher ailleurs que dans le système de médecine et de
pharmacies libérales, privées, ailleurs que dans la pression énorme exercée par
l’industrie pharmaceutique française, dans la place des assurances et mutuelles
complémentaires ?
Or, précisément, ce sont ces
dernières que le gouvernement à l’intention de faire entrer … à la tête de
l’assurance maladie ! Car, et c’est là le point fondamental de cette
contre-réforme, le plan Douste-Blazy prévoit de modifier la nature, la fonction
des organismes de direction de l’assurance maladie, d’instaurer une
« nouvelle gouvernance » : détruire la Sécurité Sociale.
(suite page 2)
… instaurer une « nouvelle gouvernance » …
Un objectif immédiat pour le
gouvernement, la bourgeoisie, est de restreindre le droit aux soins, du moins
de restreindre le remboursement des soins. Pour ce faire, en parallèle avec le
plan hôpital 2007, dont CPS a déjà largement parlé, seraient créés pour
diriger l’assurance-maladie (selon la note d’orientation publiée
mi-mai):
- une « haute Autorité
Scientifique », qui devrait habiller de considérants scientifiques des
déremboursements allant bien au delà de ce que l’on a connu ces dernières
années. Pour garantir son « indépendance », ces « sages »
seraient nommés, qui par Chirac, président de la République, qui par le
président de l’Assemblée, qui par le président du Sénat, qui par le président
du Conseil Economique et Social, soit autant d’ « éminents
scientifiques », en tout cas en matière de mauvais coups contre les
masses.
- Un « comité
d’alerte » chargé de rappeler à l’ordre l’assurance-maladie en cas de
dépassement du budget de la Sécurité sociale (voté par le parlement depuis
1996.)
Celle-ci devrait alors
impérativement prendre les mesures sur le « périmètre » de
remboursement et le taux de remboursement par les caisses d’assurance-maladie.
Mais pour y parvenir, le plan Douste-Blazy prévoit de modifier leur
composition, d’en changer qualitativement la nature.
- Serait créée une UNCAM
(Union Nationale des Caisses d’Assurance maladie), nouvel organisme de
direction de l’ensemble de l’assurance-maladie, rassemblant le régime des
travailleurs salariés, celui de la mutualité agricole et celui des artisans et
indépendants, chapeauté par le gouvernement. Cette UNCAM aurait comme mission
de préparer le projet de budget de la Sécurité Sociale pour le parlement et
d’appliquer le budget voté par l’Assemblée.
- Un « conseil
d’orientation » dirigerait cette UNCAM, représentant la « société
civile », mettant fin à la gestion paritaire de l’assurance-maladie, tout
en intégrant, sous la direction de l’Etat, les confédérations syndicales.
- Serait aussi créée une
caisse des organismes complémentaires (mutuelles, assurances) avec lesquelles
la nouvelle assurance-maladie devrait impérativement travailler de concert,
notamment pour définir le périmètre et le taux de remboursements des soins .
… pour faire main basse sur le salaire différé de
toute la classe ouvrière …
Conquête historique du
prolétariat obtenue dans le cadre de la montée révolutionnaire de l’après
seconde guerre mondiale, la Sécurité Sociale a fonctionné depuis sur le
principe du salaire différé : une fraction du salaire de chaque
travailleur allant alimenter une caisse commune qui le reverse à ceux des
travailleurs qui en ont besoin, sous forme de prestations.
Combattre pour le
socialisme n°57, du 4 avril 1995,
écrivait à ce sujet :
« La part patronale est
une obligation qui s'impose à l'employeur. Elle limite le montant de la plus‑value
extraite du travail salarié, elle est un élément du capital variable d'où
l'expression de "salaire différé". La cotisation "ouvrière"
est évidemment de par sa nature partie intégrante du salaire différé, c'est
aussi une fraction du capital variable. Ainsi, de la même façon que pour les
ouvriers du XIXème siècle dans leurs mutuelles ou sociétés de secours, la
Sécurité Sociale organise la solidarité ouvrière, mais elle le fait à l'échelle
de toute une classe. Cette institution rassemblant la part de salaire différé
de tous les salariés et ouvrant à ces derniers le droit aux multiples
prestations de la Sécurité Sociale est un facteur d'unification de toute une
classe. »
Et encore :
« Que les cotisations
soient versées par les patrons ou prélevées sur les salaires directs n'est
cependant pas indifférent. En réduisant la cotisation patronale, on ampute le
salaire différé, on fait baisser la valeur de la force de travail au profit du
patronat : c'est donc une diminution du salaire.
La masse financière globale
appartient aux salariés. C'est ce qui fonde le droit qui devrait être
imprescriptible des ouvriers et des travailleurs à la gestion des
caisses : il s'agit de la gestion d'une fraction du capital variable,
d'une partie supplémentaire du salaire arrachée à l'employeur par la lutte de
classe du prolétariat et centralisée en commun. C'est l'expression d'un rapport
de forces général entre les classes. »
Cette masse financière sans
cesse croissante que représente le salaire différé a depuis longtemps nourri
les appétits de la bourgeoisie et les attaques contre la sécurité sociale,
depuis la participation du patronat à la gestion des caisses où il n’avait rien
à faire, au nom de la « part patronale », aux ordonnances de 1967
découpant la Sécu en quatre branches et instaurant un strict paritarisme
syndicats/ patronat.
Après la création de la CSG
(Rocard), instrument de fiscalisation de la Sécurité sociale, le « plan
Juppé » de 1995 a été une étape essentielle. Il avait comme ambition de
faire fixer par l’Etat (le gouvernement, le parlement) l’enveloppe globale des
dépenses de santé et leur répartition. A l’époque, Marc Blondel avait pu parler
de « hold up du siècle » à
juste titre, puisqu’il s’agissait de faire passer le budget de la Sécurité
Sociale sous le contrôle de l’Etat. Mais cette prise de contrôle était restée
inachevée, dans la mesure où les caisses d’assurance-maladie elles-mêmes
n’avaient pas été transformées en organisme d’application du budget de la
Sécurité Sociale voté au parlement et qu’en conséquence, « aujourd’hui,
l’Etat fait, dans son petit coin tranquillement, son Assurance maladie ou
presque. Son budget, il est voté par le Parlement et après, tout le monde s’assoit
dessus » (Douste-Blazy sur France 2, le 17 mai). C’est à cela que la
« nouvelle gouvernance » veut mettre fin.
Le plan Douste-Blazy serait,
s’il se réalisait, l’étape ultime de la destruction de la Sécurité Sociale. Le
« salaire différé » et sa gestion échapperaient totalement à la
classe ouvrière, à ses organisations syndicales, les organismes de gestion
devenant des instruments d’application de la politique gouvernementale,
étroitement encadrés, n’ayant comme marge de manœuvre (généreusement rétrocédée
par l’Etat) que de choisir à quelle sauce les salariés devraient être mangés
(l’UNCAM fixerait les taux de remboursement dans le cadre de l’enveloppe
financière votée par le parlement).
D’où la position du patronat,
annoncée le 19 mai par Seillière :
« Le MEDEF prend acte de
ce que le Gouvernement renonce à la gestion paritaire syndicats-employeurs
de l’assurance maladie et rappelle qu’il en a dénoncé l’inefficacité au
point de la quitter il y a trois ans. Il approuve la mise en place d’un système
de gestion qui donne à une Direction nommée par l’Etat et inamovible pour cinq
ans le pouvoir de décision. Il accepte dans ces conditions de participer à un
Conseil d’Orientation représentatif de la Société Civile. »
… au nom d’un déficit fabriqué de toutes pièces.
Comme toujours, c’est le
déficit de la sécurité sociale qui est invoqué pour justifier ces mesures.
Quand on veut tuer son chien l’accuse d’avoir la rage. Or, ce déficit est le
résultat, non pas de la prétendue faillite de l’assurance-maladie, mais d’un
gigantesque détournement de fonds.
Rappelons-en les principaux
éléments. D’abord, pour ce qui relève strictement du salaire différé, pour
2003, le patronat a bénéficié de 20 milliards d’exonérations de charges, soit
plus de 113 milliards depuis 1991. Or, l’Etat n’en a compensé qu’une partie.
Ainsi il manque deux milliards pour la seule année 2003 – et M.Douste-Blazy a
annoncé que l’Etat en rendrait un, en ayant le culot de présenter ceci comme
une « aide » ! Depuis 1991, près de 22 milliards d’exonérations
n’ont pas été compensées. Ce seul montant dépasse de loin le déficit annoncé de
l’assurance-maladie, qui est ainsi victime d’un double détournement de
fonds : l’Etat est intervenu pour maintenir ou accroître le taux de profit
des entreprises en leur permettant de transformer une partie du salaire
(« charges ») en plus-value. Et il n’a pas compensé ces exonérations,
faisant peser sur le budget de la Sécurité sociale un déficit qui est celui de
l’Etat, imitant en cela les pratiques courantes du patronat (les entreprises
ont pour 2003 plus d’un milliards 300 millions d’euros d’impayés, 13 milliards
au total). A ceci il faudrait ajouter les pertes nettes que doit supporter le
régime général suite à la mise en place des fonds de pension d’entreprises « Fabius »,
exonérés de charges, et bien sûr … les intérêts des emprunts contractés par
l’assurance maladie pour couvrir ce « déficit » !
Bien que ne relevant pas du
salaire différé, on ne peut passer sous silence que 10 milliards d’euros de
taxes sur le tabac et l’alcool et mises en place pour financer la Sécu ont été
détournés par l’Etat. Il est à noter que le PS en demande maintenant la
restitution à l’assurance-maladie, ce à quoi le gouvernement oppose une fin de
non-recevoir, autre manière de faire payer aux salariés les déficits du budget
de l’Etat (par exemple le coût de la baisse de l’impôt sur le revenu des plus
riches).
« Nous
jugeons la réforme indispensable » (communiqué CGT, FSU, UNSA)
Avec l’ensemble des éléments
qui précède, la position des directions syndicales, du PS, du PCF, devrait être
nette : retrait du projet Douste-Blazy. L’ensemble des organisations du
mouvement ouvrier devrait exiger la restitution des exonérations non
compensées, des taxes détournées, et les directions syndicales en particulier
devraient revendiquer la gestion de l’assurance-maladie par les seules
organisations syndicales ouvrières. Le front unique des organisations ouvrières
pourrait se former contre le gouvernement sur ces revendications, avec comme
première matérialisation la rupture immédiate des discussions de cette
« contre-réforme », considérant que le rôle des organisations du
mouvement ouvrier n’est pas de prêter la main à la liquidation de
l’assurance-maladie, et qu’en cas de difficultés financières réelles, renoncer
à augmenter les cotisations patronales reviendrait à renoncer à revendiquer des
augmentations de salaires !
Mais c’est le chemin
strictement inverse que prennent les directions syndicales, et avec elles le
PS, le PCF. La bouche pleine du mot « réforme », « qu’elles
jugent indispensable » dit un communiqué CGT-FSU-UNSA), réforme que
bien entendu elles souhaitent « construite autour des principes de
progrès et de solidarité » (sans blague !), elles exigent « de
réelles négociations » (toujours selon le même communiqué), et donc un
calendrier qui les permette .
J-C Mailly,
secrétaire de FO, invité sur le même plateau que Douste-Blazy, lançait quant à
lui sur ce point:
« on
ne peut quand même pas jouer le calendrier et traiter de l’Assurance maladie
entre la météo des plages, et les bouchons sur les routes. »
Mais n’est-ce pas de sa responsabilité? J-C.Mallet, chargé du dossier pour la
confédération Force Ouvrière, s’étourdit à force de discussions nocturnes avec
le ministre :
« On est tout à fait au
même point, c’est la première fois de ma vie que je passe une nuit virtuelle,
où je ne savais plus très bien où j’étais et où je ne le sais pas plus ce
matin. » (Humanité du
19 mai)
Quoi d’autre que la poursuite
de ces « discussions », concertations avec le gouvernement, pourrait
permettre au gouvernement de tenir son calendrier, à savoir, faire durer la
discussion au parlement en juillet (comme il le fit pour les retraites) ?
Comment accepter que se poursuivent ces discussions alors que, et depuis
longtemps, les objectifs du gouvernement Chirac-Raffarin, du Medef, sont
connus ?
Rappelons comment a été
ouvert « le chantier de la réforme du régime de sécurité sociale », le Figaro
du 31/1/2004 rapportait les propos de Douste-Blazy:
« Le Haut conseil pour
l’assurance maladie vient de remettre son rapport. Son travail a été salué
unanimement. Je m’en félicite. En aboutissant à ce « diagnostic
partagé » que le gouvernement a souhaité, le Haut Conseil a obtenu un
succès dont il faut souligner la portée. (…) Ce rapport dresse un tableau
lucide et exigeant de notre système de soins et de couverture maladie. Il
permet ainsi au gouvernement d’engager, avec l’ensemble des partenaires sociaux
et des acteurs du système de santé, la 2ème phase de préparation de
la modernisation de l’assurance-maladie, celle du dialogue social et de la
concertation ».
G.Sarkozy (Medef) louait lui
un rapport « rédigé de manière astucieuse (dont) la description
des dysfonctionnements donne forcément des pistes de réforme ».
La poursuite des discussions,
concertations intenses avec le gouvernement n’a qu’une signification :
dans le prolongement du « diagnostic partagé », véritable coup de
poignard dans le dos de l’assurance-maladie, les dirigeants syndicaux confédéraux
se positionnent en aides de camp du gouvernement sur la question de la Sécurité
sociale.
C’est dans ce cadre que
s’inscrivent les « actions » et manifestations décentralisées du 5
juin. Quels que soient les appels à manifester ce jour là, un point commun à
tous : aucune des forces décisives du mouvement ouvrier ne réclame le
retrait du plan Douste-Blazy.
A ce sujet, soyons
justes : Mailly, en se plaignant d’un calendrier
qu’il aide le gouvernement à tenir en poursuivant les discussions, n’est pas le
seul à jouer le rôle de l’ingénu. Il a un sérieux rival en la personne de
Bernard Thibault, qui déclarait le 19 mai :
« Il est maintenant
indispensable que le gouvernement convoque rapidement, comme je l’ai demandé
hier au nom de la CGT, une réunion de négociation réunissant syndicats et
patronat afin que l’ensemble de nos concitoyens sache réellement à quoi s’en
tenir sur l’avenir de la Sécurité sociale. »
Bernard Thibault serait bien
le seul à ne pas « savoir réellement à quoi s’en tenir » sur la
Sécurité sociale. En cas de besoin, il pourrait se reporter au projet de loi
sur « l’autonomie », adopté le 11 mai dernier.
Le projet de loi « autonomie » voté par
l’Assemblée nationale
En effet, ce n’est pas un
projet mineur que ce projet de loi adopté pourtant dans une relative
tranquillité (sinon que l’UDF a voté contre) en première lecture par
l’Assemblée UMP, et il n’est pas sans rapport, tant s’en faut avec le plan
Douste-Blazy sur l’assurance-maladie, au point que certains députés UMP
(Méhaignerie) suggérèrent d’en discuter après que le plan Douste-Blazy aura ou
a été rendu public. Ce projet de loi est en effet une sorte de prélude au plan
sur l’assurance-maladie.
D’un côté, il vole une
journée de travail à tous les travailleurs salariés, au titre de la solidarité,
rallonge ainsi la durée annuelle du travail à 1607 heures, fait entrer dans le
code du travail la notion de travail non payé (et permet au passage au
patronat, d’arrondir ses profits, puisque le prélèvement opéré sera, dans la
plupart des cas, inférieur au bénéfice engrangé). Il est à noter que la dite
journée reste par défaut le lundi de pentecôte, sauf dérogation ou en cas
d’accord entre « partenaires sociaux » (si il ne peut leur être
imposé le boycott des négociations de branche ou d’entreprises visant à organiser
le travail gratuit).
Mais qu’est-ce que le
gouvernement a-t-il prévu de faire des sommes ainsi extorquées aux travailleurs
au titre de la « solidarité » ? Les affecter à une nouvelle
caisse, la caisse de solidarité pour l’autonomie, laquelle serait structurée
avec un conseil de surveillance et un conseil scientifique, laquelle
associerait des élus (nationaux et départementaux ?) ainsi que des
associations. Comment ne pas voir dans une telle structuration, un tel
financement, un jalon dans la voie de la casse de l’assurance-maladie ?
Or, les dirigeants syndicaux,
le PS et le PCF n’ont pour ainsi dire pas levé le petit doigt pour empêcher le
passage de cette loi. Il faut dire que combattre réellement contre ce projet,
contre le vol d’une journée de travail, contre la mise ne place d’une nouvelle
caisse, eût interdit à Mailly par exemple de tenir
des propos tels que « j’accuse le gouvernement de camoufler les objectifs
de sa réforme » (le 26 mai !). Rien n’est camouflé sinon par les
appareils eux-mêmes.
Un autre point doit être
souligné. Le projet de loi sur l’autonomie a été adopté le 11 mai. Le 14 avril,
c’était l’un des textes les plus importants dans la politique de
Chirac-Raffarin qui était voté (en première lecture), celui sur le transfert de
compétences aux collectivités territoriales, « l’acte II » de la
décentralisation (avec certes l’assurance donnée aux députés UMP que la seconde
lecture offrirait la possibilité de modifier ce texte – mais on sait qu’avec
Chirac les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent.). Or, les 21 et 28
mars, le gouvernement, la majorité UMP-UDF, subissaient une déroute électorale
d’une ampleur rare. Comment se fait-il que malgré celle-ci le gouvernement
Chirac-Raffarin à peine remanié, puisse encore continuer sa route ?
Le « 21 avril à l’envers » de
Chirac-Raffarin, de l’UMP
Les élections régionales et
cantonales des 21 et 28 avril ont tourné à la Berezina pour les troupes de
Chirac, les candidats du gouvernement, ouvrant une nouvelle situation
politique. Faute d’avoir pu le faire sur leur propre terrain de classe, des
millions de travailleurs, de jeunes, se sont saisis de ce scrutin pour exprimer
leur volonté d’en finir avec Chirac et Raffarin, avec la « majorité »
UMP à l’Assemblée, pour exprimer leur rejet des projets de
« réformes » de ce gouvernement. Selon Le Monde, l’Elysée au
soir du second tour, plus calamiteux encore que le premier pour les listes
UMP/UDF bruissaient de rumeurs (et de sondages) faisant état d’une
« situation insurrectionnelle » dans le pays, indiquant la profonde
inquiétude de l’Etat-major politique de la bourgeoisie.
Il faut dire que rarement
défaite électorale fut aussi cinglante, avec la perte de la presque totalité
des régions, dont certaines paraissaient devoir rester pour des lustres entre
les mains des partis bourgeois (pays de la Loire).
Le score de l’UMP- UDF, 35%
des exprimés au premier tour, 20,72% des inscrits, est à rapporter à ceux des
régionales de 1998 (19,8% des inscrits) et des législatives de 1997 (23,4% des
inscrits avec une participation plus élevée), bien en deçà de celui des
législatives 2002 (27,5% des inscrits au premier tour). A cela s’ajoute l’échec
propre à l’UMP, créée pour devenir le parti unique de la « majorité
présidentielle », et qui n’a pu museler l’UDF.
Le résultat de ces élections
est un cataclysme pour l’UMP, dont l’appareil est touché de plein fouet par la
perte des positions dans les conseils régionaux et généraux, et n’a pas manqué
d’en faire grief aux responsables en chef: Chirac et Raffarin. Sa crise ne peut
que rebondir.
Il est certain que l’UMP a
aussi payé la situation particulièrement difficile de la bourgeoisie française
toujours embourbée dans la crise économique, ce dont l’UDF, et bien entendu le
Front National, ont largement profité. Ce dernier, bien que reculant en nombre
de sièges du fait de la modification du mode de scrutin, a encore progressé
dans ce type de scrutin, avec 15% des exprimés au premier tour (et des pointes
à 23% en Picardie et PACA !). Il faut toutefois dire que, comme en 1998,
la progression électorale du FN, dans la mesure où elle ne peut déboucher au
moment présent sur le pouvoir, pourrait fort nourrir une nouvelle crise en son
sein.
La formule du « 21 avril
à l’envers » employée par François Fillon a le mérite de souligner le fait
fondamental de ces élections : même si les rapports politiques de 2002
(Chirac à l’Elysée, majorité UMP) n’ont bien sûr pas été effacés, ils sont
minés en profondeur. Après ces élections, le gouvernement, Chirac, sont
affaiblis.
Une nouvelle fois, malgré
tous les obstacles, à commencer par la composition de leurs listes, intégrant
systématiquement des représentants des formations bourgeoises, c’est vers le
PS, et le PCF, que les travailleurs et les jeunes se sont tournés pour
manifester leur volonté d’en finir avec le gouvernement et sa politique.
L’attestent les résultats aux élections cantonales, où chaque parti se
présentait seul, dans lesquelles dès le premier tour les candidats PS et PCF
ont recueilli, 26,2% et 7,8%, puis 38,5% et 4,7% au second.
Les élections régionales et
cantonales n’ont ainsi pas seulement marqué le rejet du gouvernement
Chirac-Raffarin, elles ont aussi remis le PS et le PCF face à la question du
pouvoir.
C’est vers les listes qu’ils
dirigeaient que, au premier et plus encore au second tour, un réel mouvement
s’est opéré. Les listes LO LCR, elles, n’ont pas connu de progression
significative précisément parce qu’elles refusaient de poser la question du
pouvoir, de l’unité nécessaire des organisations du mouvement ouvrier, y
compris le PS, contre le gouvernement UMP, complétant à leur manière le
dispositif électoral du PS et du PCF qui interdisait qu’un vote de classe
s’exprime. Au passage mentionnons que le PT, qui avait appelé à l’abstention
pour les régionales, n’en a pas moins trouvé le moyen de voir dans le second
tour (où la participation a nettement augmenté) une confirmation de son
orientation ( !) alors que celle-ci venait d’être totalement invalidée par
les faits.
Il faut cependant constater
que ce mouvement vers le PS et le PCF est resté limité. L’abstention dans les
villes ouvrières est restée particulièrement élevée (et aussi bien souvent le
vote FN). Pour autant que l’on puisse additionner des listes à géométrie
variable, l’addition des scores de celles dirigées par le PS et le PCF et des
listes LO-LCR représente autour de
24% des inscrits , soit un score équivalent au premier tour des législatives de
1997, bien loin de 1981 pour donner un ordre de grandeur (à l’époque, PS et PCF
avaient reçu les voix de 37% des inscrits). Un autre fait est important: la progression des listes des Verts, systématique
là où ils se sont présentés seuls, et qu’on ne peut en conséquence tenir pour
quantité électoralement négligeable quand ils étaient présents sur les listes
de « gauche plurielle ».
Cela dit, le fait essentiel
de ces élections demeure : Chirac – Raffarin et leur
« majorité » ont été battus à plate-couture, ils ont subi une défaite
électorale dont le verdict est : « Dehors Chirac-Raffarin et leur
majorité UMP » !
Et c’est précisément pour
empêcher que la défaite électorale des partis bourgeois se transforme en
victoire politique pour la classe ouvrière et tout le prolétariat, que le PS,
surtout, ainsi que le PCF, ont volé au secours de Chirac, de son gouvernement.
« Chirac a
été élu pour cinq ans, il ira jusqu’à la fin de son mandat » F.Hollande,
29 mars 2004
Au soir du second tour, le
PS, grand vainqueur des élections réclamait à l’unisson « non pas un
changement de gouvernement, mais un changement de politique ». Le
matin suivant le second tour, François Hollande, placé en première ligne par la
prise de la quasi totalité des régions par le PS,
donnait le « la » sur les ondes de RTL.
Après avoir dit : « Chirac
a été mis en cause par le scrutin », il poursuivait
« Nul ne mettra là en
difficulté Jacques Chirac, si c'est ça qui aujourd'hui le préoccupe. Il a été
élu en 2002 pour cinq ans, il ira jusqu'à la fin de son mandat. ».
Le journaliste lui demandant
alors (avec un certain bon sens) comment il espérait qu’un changement de
politique s’impose sans changement de gouvernement, Hollande répondait :
« Ce qui est attendu
c'est tout simplement qu'il soit à l'écoute de ce que lui ont dit, de ce que
nous ont dit les Français hier. »
A l’écoute ? Hollande,
après avoir affirmé : « il faut que toute remise en cause
d'acquis sociaux soit abandonnée par le gouvernement » , livrait au gouvernement la marche à suivre pour … faire
passer sa politique :
« Nous demandons qu'il
puisse être ouvert à la négociation, à la discussion. Pas simplement avec les
partenaires sociaux, au Parlement. La moindre des choses ce serait que le
gouvernement renonce d'abord à la procédure qu'il veut utiliser, les
ordonnances (… )
Il faut que les partenaires
sociaux soient directement impliqués, associés, et qu'il y ait là une
démocratie qui soit à l'honneur de ce qu'est ce grand acquis qu'est la sécurité
sociale. Oui, il faut des réformes. Parce qu'il faudrait nous faire croire que
les Français ne veulent pas de réformes. Mais ils ne veulent pas de régression,
ils ne veulent pas de retour en arrière, ils veulent qu'on les amène vers des
progrès qui soient solidaires, avec des garanties collectives, même si il y a
des choix qui peuvent être difficiles à faire. Donc le parti socialiste, la
gauche, ira vers des réformes, vers des réformes consenties, vers des
réformes négociées, vers des avancées, mais avec le socle des garanties
collectives. »
Le moins que l’on puisse dire, c’est que ces bons conseils ne sont pas tombés
dans l’oreille de sourds. Chirac annonçait bien vite qu’il n’était plus
question d’ordonnances, et immédiatement après sa nomination, le nouveau
ministre de la santé, Douste-Blazy, en appelait à « l’union
nationale » pour sauver l’assurance-maladie.
Naturellement, la rhétorique « changement
de politique sans changer de gouvernement » a été largement reprise, à
commencer par Bernard Thibault, notamment dans le journal Sud Ouest,
dans les mêmes termes que François Hollande : « On ne peut pas
décider d’un certain nombre de réformes fondamentales sans s’appuyer sur un
minimum de légitimité des interlocuteurs sociaux (...). Il faut nous écouter.».
Mais la prise de position du PS au lendemain des élections était décisive. Que
le PS réclame immédiatement le départ de Chirac, du gouvernement, et une crise
politique explosive se serait ouverte. La seule voix à aller en ce sens fut
celle d’A.Montebourg, et encore dans des termes choisis (« dissolution
de l’Assemblée ») de façon à respecter les prérogatives confiées au
président par la constitution de la 5ème République.
La question
de « qui gouverne » a bel et bien été posée avec force par les
élections. Le verdict des élections pouvait être immédiatement exécuté, par
l’appel des directions confédérales et fédérales, entraînant le PS et le PCF, à
une manifestation à l’Assemblée pour chasser la « majorité » UMP. En
s’y refusant, renvoyant – pour le PS – tout changement à … 2007 ( !), le
PS, le PCF, les dirigeants syndicaux, ont permis à Chirac de reprendre
l’initiative.
Chirac et Raffarin réajustent leur dispositif…
La reconduction de Raffarin
au poste de premier ministre assurée, au moins jusqu’à l’été, le triumvirat
Chirac, Juppé et Monod, s’est mis à la manœuvre. Le
gouvernement Raffarin « 3 » , quasi réplique
du précédent, véritable « bras d’honneur au suffrage universel »
(dixit J-M.Ayrault, PS), s’en distingue en écartant les ministres dont les
maladresses pourraient cristalliser la colère de tel ou tel secteur du
prolétariat et tout remettre en question. Exit, donc, Ferry et Mer, Haigneré et
Bachelot, place aux « politiques » , ainsi Fillon, dont la venue à l’Education sera saluée
comme telle par … Gérard Aschieri, porte-parole de la
FSU (qui demandera dans la foulée à Raffarin de « faire ses
preuves », ça ne s’invente pas).
Cette nouvelle mouture forme
un gouvernement de combat (dont témoigne à sa façon la nomination de Sarkozy
aux Finances et, devrait-on ajouter, à EDF-GDF), combat sur des objectifs
précis et limités au cœur desquels se trouve la liquidation de la Sécurité
sociale. Ainsi, il est plus que vraisemblable que la loi (dite) « pour
l’emploi » (voir le précédent numéro de CPS) devrait être reportée à la
rentrée de septembre, loi préparée dorénavant par Borloo - avocat d’affaire et
compagnon de route de Bernard Tapie, censé incarner à lui seul le
« tournant social » que les medias prêtent au gouvernement !
D’autres ajustements ont eu
lieu, mais il faut être clair : le gouvernement n’a reculé sur rien, ou
presque. Ainsi après l’aboutissement positif des démarches
judiciaires de chômeurs « recalculés », et l’invalidation de certains
articles de la convention Unedic par le conseil d’Etat, le gouvernement s’est
empressé de … re-agréer la convention, et s’est engagé à financer la
réintégration des « recalculés » sans prendre un seul centime au
patronat (mais en reportant une dette de l’Unedic envers l’Etat, dette qui
ironie de l’histoire est un sous-produit de cette nouvelle convention Unedic,
puisque que cette dernière entraînait des versements colossaux de l’Unedic à
l’Etat). Seillière pouvait conclure :
« Ce dossier a été traité
politiquement, socialement et financièrement avec intelligence. Les
discussions ont été intenses et tout semble réglé. (…) Nous assistons à la mise en place
de la deuxième grande réforme de la refondation sociale ; après la réforme des
retraites par l'allongement de la durée des cotisations, appuyée notamment par
la CFDT. Nous voyons se mettre en place un vrai partenariat, un paritarisme de
réforme appuyé par un gouvernement réformiste. Cette décision importante
"refonde" la refondation sociale. » (le Monde du 5 mai)
Et que dire des mesures
annoncées par Sarkozy et Raffarin pour « relancer la
consommation » ! Banalisation du travail du dimanche, cadeaux fiscaux
aux plus riches et même, cerise sur le gâteau,
amnistie fiscale pour les capitaux revenant au pays, ceux-ci devant servir à
financer la « solidarité », c’est dire quelle place ce beau principe
occupe dans le cœur des ministres UMP. De son côté, Fillon a annoncé qu’il
maintiendrait le transfert des TOS aux régions (et les dirigeants PS des
régions et départements n’ont pas plus l’intention de le refuser qu’ils n’ont celle d’empêcher la mise en place du RMA). Le futur
budget est d’ores et déjà présenté tout à fait ouvertement comme un budget de
rigueur extrême (sous prétexte des critères du pacte de stabilité). Le
gouvernement Chirac-Raffarin même affaibli par sa défaite électorale, continue
sur son chemin, « garde le cap» (Chirac).
En réalité, la seule décision
significative du gouvernement concerne le déblocage des postes revendiqués par
les chercheurs depuis des mois. Significative, elle l’est bien sûr en ce
qu’elle sert à désamorcer la situation pour permettre au gouvernement de se concentrer
sur l’essentiel. Mais elle l’est tout autant en ce que le déblocage des postes
gelés est une manœuvre qui permet d’associer les directions syndicales des
personnels de la recherche à l’élaboration de la future loi d’orientation sur
la Recherche, au travers du processus des Etats généraux de la recherche.
Rappelons les objectifs que Raffarin fixait dans son discours de politique générale:
« alléger
les procédures et les structures, en décloisonnant, en évaluant, en développant
les indispensables interactions entre la recherche publique et privée
(…) ».
Les « dirigeants syndicaux hors-norme » à
l’œuvre
Après les élections plus
encore qu’avant, le gouvernement ne peut pas avancer sans les directions
syndicales. A la veille du premier mai, un article paru dans le Figaro ( du 30/04) reproduisait ces propos de Jean-Louis Borloo:
« Nous avons une
génération de dirigeants syndicaux hors norme. Contrairement aux idées reçues,
ils ne sont pas dans l’état d’esprit de brandir la menace du conflit chaque
matin. Ils veulent aller au fond des problèmes de notre société et y trouver
des solutions concrètes. »
Borloo est bien placé pour
faire l’éloge des dirigeants syndicaux. Ils siègent sans discontinuer dans les
groupes de travail qui préparent sa « loi de cohésion sociale », et
poursuivent les négociations sur les « restructurations » avec le
Medef (alors que les patrons continuent de licencier à tour de bras). Selon
G.Larcher, le ministre délégué aux relations du travail, interrogé par l’Expansion,
l’objectif de Borloo est d’« associer les partenaires sociaux au
programme et au plan de la loi », projet de loi que l’Expansion
qualifie ainsi : « Une vraie « refondation sociale » à
la sauce gouvernementale. »
Une échéance majeure : EDF-GDF
Mais c’est à EDF-GDF que le
rôle de protection du gouvernement par les appareils est aujourd’hui décisif.
En effet, d’un côté, il est
impossible au gouvernement de renoncer, voire de reporter l’ouverture du
capital, la privatisation. A un mois de la date prévue pour le vote du plan de
destruction de l’assurance-maladie, ce serait commettre un suicide politique.
Et puis de toute façon, la
privatisation d’EDF-GDF est un objectif stratégique pour le capital financier,
tant politique - puisqu’il s’agit d’entamer le démantèlement d’un bastion de la
classe ouvrière qu’économique – les profits colossaux réalisés par les deux
entreprises avivant la convoitise de MM. les bourgeois.
De l’autre, les agents ont
montré leur volonté et leur disponibilité à combattre et notamment le 8 avril lors
d’une journée de grève particulièrement suivie, au lendemain des élections,
journée lors de laquelle, même de manière fort limitée et encadrée, les agents
ont rappelé le pouvoir qu’ils ont entre les mains de couper le courant, et à
nouveau le 27 mai, journée de grève avec manifestation nationale à Paris.
L’issue de la première
bataille engagée à EDF-GDF contre le statut des agents avait marqué de son
empreinte le combat en défense des retraites du printemps 2003 et l’avait
nourri (les agents avaient infligé en janvier 2003 un « non » à la
casse de leur régime spécial de retraites, « non » à la direction et
… à la direction de la CGT).
De même, les développements
de la lutte des agents d’EDF pour le retrait du projet de loi Sarkozy vont
peser sur le sort du plan Douste-Blazy contre l’assurance-maladie.
Et c’est à un véritable pas
de deux que se livrent dirigeants fédéraux et gouvernement. Ce dernier a sorti
de son chapeau une « loi d’orientation énergétique » votée par le
parlement, dont il n’est pas exagéré de dire qu’elle avait pour seule
fonction politique d’ obtenir l’approbation de la
fédération CGT de l’Energie. Dans L’Humanité du 12 mai, F.Imbrecht, son
secrétaire, déclarait ainsi:
« Il faut d'abord
préciser que si ce débat d'orientation énergétique a lieu et qu'il fera l'objet
d'une loi votée d'ici fin mai, Francis Mer l'avait, quant à lui, enterré avant
les élections régionales et la grande journée de mobilisation des salariés de
l'énergie du 8 avril. Nicolas Sarkozy a, sur ce point du moins, entendu les
urnes et la rue, ce dont nous nous félicitons. La mobilisation qui se
confirme et s'élargit a déjà fait déplacer un peu le curseur d'une vision
exclusivement libérale et dogmatique vers celle de l'intérêt général. Que les
parlementaires puissent se saisir de la question est un événement majeur :
c'est la première fois que la représentation nationale se prononcera sur les
choix de la politique énergétique française. Sollicitée par le gouvernement,
la CGT a proposé des modifications pour en faire progresser le contenu. En
l'état, la loi d'orientation traduit des choix positifs et de nouvelles
ambitions. » (nous soulignons)
Nanti de cette appréciation
positive, Sarkozy a multiplié les effets d’annonce pour permettre aux
dirigeants CGT d’accompagner la privatisation d’EDF-GDF. Ainsi le relèvement du
seuil de l’Etat à 66%, ce qui ne change strictement rien, ni sur le principe
(l’entrée du capital privé, même à 1% c’est une privatisation), ni sur le long
terme (un seuil, ça se change, les travailleurs de France-Telecom
en ont fait l’amère expérience).
Ainsi l’affirmation que le
capital serait distribué « en priorité » aux salariés et aux
collectivités territoriales, ne serait qu’une transition vers l’objectif
immédiat de la privatisation : pouvoir nouer des alliances avec d’autres
groupes du secteur.
Maniant la démagogie avec le
même culot qu’au ministère de l’intérieur, Sarkozy a même osé dire que le
statut des agents n’était pas touché par la loi. Or son projet transpose l’accord sur
les retraites – rejeté par les agents en janvier 2003 – qui crée une caisse
pour sortir les retraites des comptes de l’entreprise ! Mais l’essentiel
était que la direction de la CGT – Energie trouve les moyens de s’associer à ce
projet, ce qu’elle a fait, revendiquant dans le même temps son retrait, ce qui
en matière de double langage est un sommet ! Le 20 avril, l’ensemble des
fédérations quittait la première réunion des groupes de travail mis en place
par le ministère. La direction CGT partait en dernier, non sans avoir précisé
qu’elle refusait de boycotter ces groupes de travail … avant de s’en prendre
publiquement aux autres directions fédérales (« Il devenait donc
difficile de négocier sérieusement sans que tout le monde soit là. Nous sommes
donc partis mais en ayant une explication avec les autres syndicats sur leur
attitude » dira une responsable CGT dans l’Humanité.)
La semaine suivante, seule la
direction FO refusait de se rendre à une réunion convoquée par Sarkozy dans des
termes limpides : « finaliser le projet de loi ».
Alors que la grève du 8 avril
donnait la possibilité à la direction CGT de lancer un ultimatum au
gouvernement : qu’il retire son projet sinon la CGT (avec FO) appellerait
à la grève générale d’EDF-GDF, alors que l’aspiration à un tel appel est grande
parmi les agents, alors que circulent maints appels allant dans cette voie, les
dirigeants CGT corédigeaient le projet de loi au lieu
de rompre les discussions.
Corollaire de cette attitude de garde du corps du
gouvernement : une série d’actions à répétition inefficaces et
démoralisatrices. Après la grève du 8 avril, une autre journée d’action le 22,
des journées d’action régionales (des jours différents!)
la première semaine de mai, l’interfédérale CGT-FO-CFTC-CGC arrêtait (le 11
mai) le plan suivant :
« Les Fédérations CGT – CFDT – FO et CFTC
réunies en interfédérale le 7 mai 2004, en réponse au calendrier resserré du
Gouvernement, proposent un cadre de réactions et d'actions fortes et
coordonnées nationalement: plusieurs journées d'actions nationales coordonnées
avec arrêts de travail, manifestations, délégations tout en poursuivant
quotidiennement la rencontre des usagers et des élus avec la carte pétition à
renvoyer à Jacques CHIRAC.
- Le 13 mai, jour où le
conseil d'Etat rend son avis sur le projet de loi : 1 heure de grève de 9h30 à
10h30 pour tous.
- Le 19 mai, son passage au
Conseil des Ministres : 2 heures de grève de 10h00 à 12h00 "entreprises
mortes" avec tous les véhicules bleus dans les rues, déclenchement des
sirènes sur toutes les installations de production et dans les vallées pour
l'hydraulique, rassemblements et manifestations.
- Le 27 mai, une journée de
grève nationale avec baisses de production et manifestation à Paris.
- Après le 27 mai, chacun
travaille au ralenti pour peser sur le gouvernement et associer les usagers et
les élus.
- 1ère quinzaine de juin :
poursuite de l'élargissement de l'action par l'organisation d'un samedi de
manifestations départementales, régionales, ou interrégionales avec les
usagers, les salariés et leur famille, les élus et les associations.
- 15 juin, début du débat programmé à l’Assemblée nationale : nouvelle journée
d’action nationale coordonnée à construire avec les salariés. »
On a bien lu : 1 heure,
2 heures de grève ! Et que dire de la manifestation nationale du 27 mai
qui ressemble surtout à un pare-feu, à un obstacle mis à une véritable
manifestation à l’Assemblée, le 15 juin, lors de la discussion de projet ?
Le communiqué commun poursuit :
« Les actions de coupure,
uniquement décidées collectivement, doivent être ciblées, originales,
médiatiques et revendiquées.
Les Fédérations CGT – CFDT – FO et CFTC appellent leurs syndicats à provoquer
partout des assemblées générales de salariés pour débattre de ces propositions
et décider avec eux des formes originales d’actions.
Ne nous laissons pas entraîner
dans la radicalité et continuons de faire grossir ce mouvement de masse qui est
de plus en plus apprécié et qui gagne l'engagement grandissant des populations
jour après jour, action après action. »
« Ne nous laissons pas entraîner par
la radicalité »… le moins qu’on puisse dire c’est que les directions
fédérales font tout pour. Et pendant les « actions », les affaires
continuent. Le jour même de la manifestation nationale du 27 mai, Imbrecht interviewé par le Figaro, déclare :
« Soyons immédiatement
très clairs : des discussions ouvertes, franches et vives sont menées en
permanence avec le ministère de l'Economie. »
Mais au journaliste qui lui
fait remarquer « Le projet de loi relatif au changement de statut
d'EDF-GDF a été présenté la semaine dernière en Conseil des ministres, pour une
adoption avant la fin du mois de juillet. Est-ce à dire que vous avez perdu la
bataille ? » Imbrecht répond :
« Nous comptons
pleinement sur la hauteur de vue des parlementaires pour dire non à cette
évolution, tout simplement au nom de l'intérêt général. Nous savons que dans
leurs circonscriptions de nombreux députés évoquent ouvertement leur
incompréhension face au changement de statut d'EDF-GDF. Nous espérons donc fermement
que chacun va prendre ses responsabilités » y compris précise Imbrecht « dans
la majorité actuelle ».
Le salut viendrait de
l’UMP ! Et de Sarkozy ! Et de Chirac ! Sur une telle ligne, les
jeux seraient faits. Mais l’intervention des agents peut encore tout changer. Libération
du 28 mai rapporte les propos suivants d’un agent auvergnat:
«S'ils
persistent, on coupe. Et on ne coupera pas les petits usagers, mais les gros,
les copains à Sarkozy. Je crois qu'ils commencent à avoir sérieusement les jetons,
au gouvernement, poursuit-il, et puis écrivez qu'on est
beaucoup à en avoir marre des kermesses, ça lasse.»
Lors du dernier congrès
fédéral CGT, une opposition, la « plate-forme » de Biarritz, s’était
constituée contre l’orientation ouvertement capitulatrice suivie par la
direction du temps du prédécesseur d’Imbrecht, le
dirigeant du PCF Denis Cohen. La constitution d’une telle opposition, malgré
toutes ses limites, et son écho au sein de la fédération, révélait la volonté
de nombreux agents que leur fédération mène une politique conforme à la défense
de leurs revendications. Cette volonté demeure, nourrie par la détermination de
dizaines de milliers d’agents à arracher le retrait du projet de loi Sarkozy.
Elle peut s’exprimer, imposer que cessent les discussions, imposer l’appel dans
l’unité à la grève générale pour le retrait du projet, la rupture des
discussions, l’appel à manifester à l’Assemblée nationale lors de la discussion
de ce projet pour interdire à la majorité UMP de le voter.
Combattre, vaincre, chasser le gouvernement
Chirac-Raffarin
Un an après le passage de la loi
Fillon de casse des retraites, le prolétariat français, la jeunesse, sont face
à une nouvelle échéance d’une ampleur historique. Le sort d’EDF-GDF, et,
surtout, de l’assurance-maladie, ne sont pas encore scellés. Encore faut-il que
s’ouvre la seule voie qui permette de sauver ces acquis historiques de la
classe ouvrière, celle du front unique des organisations du mouvement ouvrier,
partis, syndicats, contre le gouvernement, rompant avec lui pour le combattre,
le vaincre, lui infliger une défaite décisive.
Bien entendu, la défaite subie en
mai et juin dernier n’a pas été effacée par les élections régionales comme par
un coup de baguette magique. Mais la défaite électorale du gouvernement
Chirac-Raffarin et sa majorité UMP-UDF les a affaiblis, et alimente forcément
les possibilités que s’engage le combat contre lui. La situation cruciale à
EDF-GDF, le plan d’assaut contre l’assurance-maladie en témoignent : pour
défendre les acquis, les revendications, il faut défaire le gouvernement
Chirac-Raffarin, le balayer, lui et sa majorité UMP, il faut en conséquence
imposer aux dirigeants des organisations syndicales qu’ils rompent avec lui, et
le combattent.
Les élections régionales et cantonales
l’indiquent : le combat dans l’unité CGT-FO-FSU-PS-PCF pourrait balayer le
gouvernement Chirac-Raffarin, la « majorité » UMP-UDF et porter au
pouvoir un gouvernement des partis dont, une fois de plus, les travailleurs ont
cherché à se saisir pour infliger une défaite aux candidats du
gouvernement : le PS et le PCF.
D’un tel gouvernement, produit
direct de la mobilisation des masses, bouleversant toute la situation, les
travailleurs exigeraient qu’il mène une politique conforme à leurs besoins et
aspirations, ce qui veut dire aller vers le socialisme. C’est sur cette
orientation que pour le prolétariat pourra être construit le Parti ouvrier
révolutionnaire.
Le 29 mai 2004