Éditorial du bulletin « Combattre pour le socialisme » n°82 (n°164 ancienne série) - 9 mars 2022 :

L’élection présidentielle, déroute annoncée pour le prolétariat, ne peut que constituer un tremplin pour une nouvelle et violente offensive anti-ouvrière !

Il faut dès maintenant militer pour que les organisations
du mouvement ouvrier rejettent le programme commun de la bourgeoisie et de ses candidats, rompent avec la bourgeoisie,
annoncent clairement leur refus de collaborer
à la mise en œuvre de ce programme via le « dialogue social »

L’élection présidentielle : la ré-intronisation du Bonaparte

Les 10 et 24 avril prochains aura lieu l’élection présidentielle. Les thuriféraires de la Ve République présentent les élections comme l’expression la plus achevée de la « démocratie ». C’est exactement l’inverse.

Rappelons-le , c’est à la suite du referendum initié par De Gaulle en 1962 qu’a été instaurée l’élection du président de la République au suffrage universel. Le but était d’en finir avec le « régime des partis », le système parlementaire qui prévalait sous la IVe République. Il s’agissait pour De Gaulle de dresser l’élection du président de la République comme la véritable source du pouvoir, la représentation parlementaire ayant désormais vocation à être réduite à une assemblée de godillots.

Ainsi, le premier ministre est-il nommé par le président de la République. Ce dernier peut d’ailleurs, au nom de « circonstances exceptionnelles » que lui seul détermine comme telles, accaparer tous les pouvoirs (article 16). Il est chef des Armées et dispose de la décision de la guerre et de la paix. Le gouvernement peut légiférer par ordonnances, l’Assemblée ne pouvant contester une telle législation que par le dépôt d’une motion de censure (article 49 ter). Le pouvoir de l’Assemblée sur le budget est lui-même limité par l’interdiction de tout amendement ayant pour effet l’augmentation des dépenses (article 40), etc.

Les mois qui viennent de s’écouler ont illustré jusqu’à la caricature le caractère violemment anti-démocratique de la Ve République. Le vote de l’« état d’urgence sanitaire » a abouti à la concentration des décisions les plus importantes dans les mains d’un « conseil de défense » entièrement sous le contrôle du président de la République.

Quant aux modalités de l’élection présidentielle, qui conditionnent la possibilité même de se présenter au parrainage de 500 maires, elle vise encore à écarter les candidats jugés inopportuns.

Il est donc évident que toute organisation du mouvement ouvrier devrait formuler comme une exigence immédiate l’abrogation de la Ve République. Or non seulement ce n’est pas le cas, mais c’est à qui se présentera comme le meilleur défenseur de celle-ci, chacun y allant de son hommage à De Gaulle. Du reste, c’est le Parti socialiste, par l’intermédiaire de Jospin, qui a renforcé le caractère bonapartiste de la Ve République en faisant procéder les élections législatives de l’élection présidentielle pour faire en sorte – autant que faire se peut – que la majorité des députés soit aux ordres du président.

Et même un candidat comme Mélenchon, qui formellement se prononce pour une « VIe République », indique qu’il commencerait par exercer totalement les prérogatives que lui donnent les institutions de la Ve (voir article dans ce numéro de CPS consacré à Mélenchon).

Ainsi, l’élection présidentielle ne peut avoir d’autre fonction que de ré-introniser un Bonaparte. Comme on le verra, c’est particulièrement le cas de cette élection-ci où la classe ouvrière n’a aucune possibilité réelle de voter pour tenter de défaire sur le plan électoral les candidats de la bourgeoisie.

Au cours des cinq dernières années, avec les gouvernements Macron, la bourgeoisie a accompli des pas de géant dans le sens de la réalisation de nombre de ses objectifs historiques

Sans sous-estimer le moins du monde les réalisations des gouvernements antérieurs au compte de la bourgeoisie, les coups portés aux acquis du prolétariat durant les cinq années de la présidence Macron ont été d’une violence et d’une ampleur inédites. Les conquêtes de 1936 et de la Libération – où dans la crainte de tout perdre, à savoir le pouvoir lui-même, la bourgeoisie avait dû faire de profondes concessions à la classe ouvrière – ont été profondément entamées. Le prolétariat n’a encaissé que de nouvelles défaites, sans combat, ou à l’issue de grèves considérables mais entièrement maîtrisées et donc trahies par les appareils syndicaux contre-révolutionnaires. Des défaites historiques dans ce qui demeurait deux bastions, malgré la succession d’échecs : la SNCF a été privatisée et le personnel a perdu ses droits fondamentaux, en commençant par son statut (garantie de l’emploi) ; la RATP est entrée dans un processus de privatisation totale, en application de la loi LOTI (Loi d’orientation des transports intérieurs), avec la perte simultanée du statut des personnels et d’autres acquis. Le retard historique pris à cet égard par la bourgeoisie française par rapport à ses rivales européennes a été en grande partie comblé. Si, dans le même temps, la situation de la bourgeoisie française a continué à se détériorer, comme le montre l’ampleur du déficit commercial, ce n’est plus essentiellement à cause d’un moindre taux d’exploitation, mais à cause des faiblesses intrinsèques de l’appareil de production du pays.

Parmi les coups portés au prolétariat, et sans prétendre tous les citer, notons les suivants.

● Les ordonnances Macron (2017) font disparaître pour l’essentiel le « principe de faveur » par lequel un accord d’entreprise ne pouvait être moins favorable au salarié que l’accord de branche, lequel ne pouvait faire exception au code du travail. Désormais l’accord d’entreprise peut être dérogatoire. C’est ce qui s’est concrétisé avec l’accord conclu sur le télétravail en 2020, à la suite d’une négociation à laquelle tous les appareils syndicaux ont participé, qui renvoie au niveau de chaque entreprise, c’est-à-dire là où le rapport de forces est le plus favorable au patron, la détermination des normes censées protéger les salariés ; et dernièrement, avec l’accord conclu dans la métallurgie substituant aux 74 conventions collectives existantes une « convention collective » qui ne constitue plus qu’un socle et renvoie à des négociations boîte par boîte pour déterminer dans les 42 000 entreprises concernées la classification des emplois, ce qui constitue un recul considérable pour les travailleurs de la métallurgie.

Par ailleurs, outre l’instauration, dans les entreprises de moins de 20 salariés, d’un diktat total du patron qui peut proposer un accord par referendum, celui-ci peut soumettre également à referendum un accord minoritaire (signé par des syndicats représentant seulement 30 % du personnel). Un accord modifiant le contrat de travail pour adapter l’entreprise à de « nouvelles conditions du marché » pourra être signé. Le travailleur refusant ce nouveau contrat (augmentation du temps de travail, baisse du salaire) peut désormais être licencié sans recours (ce qui s’est produit dans de nombreux cas, en particulier en 2020 lors de la première vague du COVID).

En outre, les ordonnances Macron liquident les délégués syndicaux et délégués du personnel au profit d’un « Conseil social et économique », instance de participation-cogestion.  L’instauration d’une protection sociale complémentaire obligatoire – récemment adoptée aussi avec le soutien de tous les appareils syndicaux dans la Fonction publique d’État – est un coup décisif à la Sécurité sociale (voir dans ce numéro de CPS l’intervention de la représentante du courant Front unique au congrès national de la FSU).

● L’assèchement méthodique des ressources de la Sécurité sociale dans la perspective de sa liquidation au profit de systèmes d’assurances privées notamment. Il faut noter à cet égard ce que représente le remplacement du CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’Emploi) par des diminutions massives de cotisations sociales pour les salaires entre 1 et 2,5 SMIC à partir de 2019. Une des conséquences en est la fermeture chaque année de milliers de lits dans l’hôpital public y compris depuis le développement de la pandémie.

● Les baisses massives d’impôts pour les patrons. Le journal Les Echos les évalue à 23 milliards d’euros auquel le ministre Reister propose de rajouter 10 milliards sur la seule année 2022, soit les trois cinquièmes du budget annuel de l’Éducation nationale !

● La brèche profonde portée au statut général de la Fonction publique à travers la loi dite de « transformation de la Fonction publique ». Elle contient en particulier la liquidation des commissions paritaires qui avaient en charge le respect des garanties statutaires en matière de promotion, mutation des personnels au profit d’un système de mutations sur profil et de promotions au mérite à la discrétion de la hiérarchie. Elle contient également une remise en cause profonde du droit de grève, en particulier dans la Fonction publique territoriale, l’augmentation massive du temps de travail dans celle-ci, la possibilité élargie du recours dans toute la Fonction publique aux contrats de droit privé et à l’apprentissage, la dislocation des garanties nationales au profit de la « négociation » locale, etc.

● Les attaques tous azimuts contre le droit à l’instruction et le statut des enseignants de l’enseignement primaire à l’université. Macron a réussi là où d’autres avant lui s’étaient cassé les dents, en particulier Chirac, qui dut retirer la loi Devaquet. Le baccalauréat a cessé d’être le premier diplôme universitaire permettant la poursuite d’études supérieures. Désormais, et depuis l’adoption en 2018 de la LORE (Loi d’orientation et de réussite des étudiants), les universités recrutent sur dossier, chacune selon ses propres critères : c’est la mise en place de Parcourssup. La liquidation du baccalauréat remplacé par un diplôme-maison qui se passe pour une large part sous forme d’un contrôle continu s’articule sur la contre-réforme du lycée qui liquide les sections et les classes, ce qui a permis la suppression de milliers de poste en même temps que d’heures de cours.

La LORE a trouvé son complément logique dans la LPPR (Loi de programmation pluriannuelle de la recherche). Celle-ci liquide le cadrage national des diplômes, en particulier de la licence, donc le caractère national des diplômes universitaires. Elle instaure un financement sur projet, donc pose en principe l’inégalité entre les différentes universités. Elle liquide profondément le statut des enseignants-chercheurs et des chercheurs, individualisant les salaires, multipliant les formes de recrutements précaires.

Alors que les gouvernements Macron s’attaquaient au droit aux études - d’abord celui des étudiants étrangers, via le décret qui multiplie quasiment par 10 les droits d’inscription pour les extra-communautaires -, ils œuvraient au développement massif des formes de surexploitation de la jeunesse, en particulier via un développement sans précédent de l’apprentissage, dont le financement public permettait aux patrons de disposer d’une main-d’œuvre quasiment gratuite. L’instauration du SNU (Service national universel) relève de la même logique, ajoutant à la surexploitation l’embrigadement réactionnaire au nom des « valeurs de la république ».

À ce terrible état des lieux, il faut ajouter la progression spectaculaire de l’enseignement supérieur privé (25% des étudiants), qui n’est ouvert véritablement qu’à ceux qui sont issus des couches les plus aisées ou à ceux qui n’auront d’autre choix que de s’endetter pour des années, comme c'est le cas aux USA ou en Angleterre.

L’enseignement primaire n’est pas épargné. Là aussi, Macron a réussi là où ses prédécesseurs avaient essuyé de cuisants échecs. Le ministre Monory, ministre de Chirac entre 86 et 88, s’était ainsi cassé les dents sur le projet des « maîtres-directeurs » visant à faire des directeurs d’école des fonctionnaires d’autorité par rapport à leurs adjoints. La loi Rilhac elle, fraîchement adoptée, accorde aux directeurs d’école une « autorité fonctionnelle », ce qui constitue un pas décisif dans ce sens.

Ce carton plein au service de la bourgeoisie n’a été possible que par la coopération constante des appareils syndicaux tout au long du quinquennat. Chacune de ces offensives s’est accompagnée de dizaines de réunions de concertation où les appareils syndicaux discutaient dans le détail de chaque élément de la contre-réforme gouvernementale. Et lorsqu’elle était adoptée, ils étaient encore assidûment présents dans les différents « comités de suivi » mis en place. C’est en accompagnement de ces « comités de suivi » et autres « concertations » qu’étaient – que sont – périodiquement convoquées des journées d’action du reste de plus en plus désertées par les travailleurs.

Si l’on tire le bilan de cinq années de contre-réformes et de collaboration des appareils syndicaux, Il faut évoquer la question de la réforme-destruction des retraites. Il est d’autant plus nécessaire de le faire que les appareils syndicaux se glorifient de la « victoire » qu’aurait constitué le retrait de la dite réforme. C’est là une falsification complète. Lorsque l’épidémie du COVID a frappé avec la virulence et la soudaineté que l’on sait, la contre-réforme était adoptée. Elle avait été votée en première lecture à l’Assemblée nationale. C’est au nom du besoin impérieux de l’union nationale que Philippe – soutenu en cela par Berger, dirigeant CFDT pourtant supporter inconditionnel de la « retraite par points » et aussi par Roux de Bézieux, président du MEDEF - a annoncé la suspension de la dite réforme. Il y avait plus urgent : faire accepter aux travailleurs les accords d’entreprise comprenant baisse brutale de salaire et licenciements du fait de l’effondrement économique. C’est pourquoi Macron, anticipant sa propre victoire, a annoncé qu’une réforme portant l’âge de la retraite à 65 ans et liquidant totalement les régimes spéciaux et le code des pensions de la Fonction publique constituerait le premier point à l’ordre du jour du prochain quinquennat.

Pendant les cinq années Macron, le dialogue social permanent a eu comme corollaire la répression policière permanente : lycéens mis à genoux à Mantes-la-Jolie, enseignants mutés d’office, suspendus ou sanctionnés, maccarthysme à l’université au nom de la lutte contre l’« islamo-gauchisme », manifestants traînés par terre, matraqués jusque dans les hôpitaux et les facs, violences policières entraînant la mort de Zineb Redouane (à Marseille) ou de Cedric Chouviat (à Paris).

Le gouvernement Macron a accéléré la marche à l’État policier avec la loi « Sécurité globale », qui dote de pouvoir judiciaire les polices municipales, autorise l’usage de drones pour surveiller les manifestants. L’article 24 de cette loi permettant de punir de peine d’emprisonnement les auteurs de vidéos d’interventions policières réalisées en particulier par les journalistes a été « retoqué »… et réintroduit, à quelques virgules près, sous la forme de l’article 18 de la loi « séparatisme ».

La dite loi « séparatisme » vient compléter l’arsenal policier. Elle s’en prend en particulier à la liberté d’association dont elle prétend conditionner le financement à la signature d’une « charte des valeurs de la République ». La cible est claire : c’est la population des banlieues d’origine immigrée.

Cinq années de Macron, c’est cinq années d’interventions impérialistes, cinq années de soutien aux gouvernements les plus réactionnaires et sanguinaires en Afrique et en Asie. Ce sont les cinq années d’intervention au Sahel. Qu’une des dernières décisions de Macron soit le retrait des troupes du Mali (mais leur transfert au Niger voisin, où les convois de l’uranium doivent être « sécurisés ») signe l’échec de l’impérialisme français à assurer la défense de son « pré carré » en Afrique. Cependant, les Rafale interviennent désormais directement au Yémen pour écraser de bombes la population yéménite. En même temps, le gouvernement français livre des Rafale à l’Égypte et à l’Inde, et à leurs gouvernements sanguinaires.

Ainsi peut être résumé le bilan de cinq années Macron. C’est pourtant pour Macron que les appareils syndicaux (en particulier CGT, FSU, UNEF) s’apprêtent sous une forme ou une autre, à demander aux travailleurs de voter, pour peu que le second tour de la présidentielle le mette en face d’un candidat dit d’« extrême droite » : Zemmour ou Le Pen.

La bourgeoisie française exige de continuer et d’accélérer
l’offensive anti-ouvrière après la présidentielle

Or non seulement ce « carton plein » n’a pas permis le rétablissement de la situation du capitalisme français, mais encore cette dernière s’est profondément dégradée. Deux chiffres le manifestent de manière impitoyable. Le déficit du commerce extérieur vient de battre de nouveaux records, passé en un an de 64,2 milliards à 84,7 milliards. Et la dette publique atteint désormais 113,3 % du PIB (à comparer aux 69,8 % de l’Allemagne).

Voilà pourquoi, de manière complémentaire, MEDEF et Cour des comptes (présidée par Moscovici, ancien ministre PS de Jospin) exigent que des mesures soient prises pour frapper le prolétariat encore et encore.

La Cour des comptes exige que soient engagées des « réformes structurelles » dans les plus brefs délais. Outre la nouvelle contre-réforme des retraites (retraite à 65 ans, liquidation totale des régimes spéciaux et du code des pensions de la Fonction publique), elle demande que soit revue la part respective de l’assurance maladie obligatoire (Sécurité sociale) et des complémentaires. Elle demande que soit limité drastiquement l’accès au soin à travers le développement de la télémédecine, c’est-à-dire la médecine… sans auscultation, et même le plafond annuel de dépenses santé par patient (« développer le versement de rémunérations au forfait, expérimenter une enveloppe annuelle individualisée par patient et modulée en fonction de l’état de santé »).

Outre la contre-réforme des retraites, le MEDEF exige que soient accélérées les mesures de diminution de la fiscalité du Capital avec une nouvelle diminution des impôts de production de 35 milliards sur cinq ans, une accélération du transfert de la protection sociale sur l’impôt, la liquidation de toute référence législative à la limitation du temps de travail qui devrait être défini par la seule négociation d’entreprise, etc.

Telles sont les injonctions du Capital. Tel est le programme des candidats de la bourgeoisie.

Macron offre les meilleures garanties pour la bourgeoisie française

Il est certain que, pour atteindre les objectifs fixés conjointement par le MEDEF et la Cour des comptes, Macron a fait ses preuves.

Il a d’abord pour lui les cinq années qui viennent de s’écouler. Alors qu’il n’est pas officiellement candidat, il a posé les jalons de son « programme », qui reprend à son compte tous ces objectifs, complétés sur quelques questions cruciales.

● Il a ainsi indiqué son intention de parachever le travail de liquidation du droit aux études pour la jeunesse, en particulier pour les jeunes d’origine populaire. Ainsi, Macron cité par Le Monde du 16 janvier indique :

« Emmanuel Macron a estimé qu’“on ne pourra pas rester durablement dans un système où l’enseignement supérieur n’a aucun prix pour la quasi-totalité des étudiants, où un tiers des étudiants sont considérés comme boursiers et où, pourtant, nous avons tant de précarité étudiante, et une difficulté à financer un modèle beaucoup plus financé par l’argent public que partout dans le monde” ».

Il précise encore son intention de chasser une fraction considérable d’étudiants, quitte à trafiquer quelques chiffres :

 « Nous avons injecté un milliard d'euros de moyens en plus dans le premier cycle depuis 2017 et créé donc plus de 84 000 places dans nos universités et permis à 29 000 étudiants de bénéficier d'un parcours personnalisé pour les aider à réussir en première année de licence. Formidable. Et pourtant, 50% des étudiants seulement se présentent aux examens de première année. Nous devons regarder cette réalité en face, ce qui montre bien que nous avons un problème, malgré tout cet investissement, ces améliorations, d'orientation et de choix, en tout cas de la première année universitaire.(...) C'est intolérable pour nous tous parce que c'est un formidable gâchis. »

Dans le même discours, il enfonce le clou :

« Quand on ouvre des filières qui correspondent certes aux demandes d'inscription ou à la structure de notre offre éducative, mais qu'il n'y a pas derrière des perspectives, nous conduisons un investissement, en l'espèce, à perte, parce que nous formons pendant plusieurs années des jeunes qui n'auront pas de perspectives ».

L’objectif est clair. Le 1,7 million d’étudiants constituent une charge insupportable pour la bourgeoisie française. L’éviction de l’enseignement supérieur de tous ceux qui ne pourront pas payer - les jeunes d’origine populaire – est à l’ordre du jour. La fermeture de toutes les filières ne fournissant pas au patronat une main-d’œuvre immédiatement rentable doit être menée à bien.

● Il a programmé, via la « conférence salariale » de son ministre Montchalin, qu’ont dû quitter après de longues semaines de participation les dirigeants syndicaux, le parachèvement de la liquidation du statut de la Fonction publique à travers celle du point d’indice comme référence commune du salaire de tous les fonctionnaires, au bénéfice d’une définition contractuelle et individualisée du salaire.

● Il a initié (avec la participation des directions syndicales présentes dans tous les comités de mise en place et de suivi, et malgré la résistance des professeurs d’école) la nomination des professeurs d’école par les directeurs d’école à travers l’expérimentation de Marseille ayant vocation à être généralisée. Il s’est plus récemment prononcé (interview dans le journal Sud-Ouest) pour la fin du recrutement sur concours des professeurs, en particulier pour la fin du CAPES, et pour la fin de l’« emploi à vie » des enseignants.

● Il a annoncé vouloir résoudre plus radicalement la question de l’afflux des migrants en renforçant Frontex et de faire traiter les dossiers du droit d’asile à l’extérieur de l’UE.

● Il a enfin indiqué sa volonté de doubler le nombre de flics dans les cinq années à venir.

Pour l’ensemble de son œuvre et de ses propositions, il a sans aucun doute conquis les galons de meilleur candidat de la bourgeoisie française.

Pécresse, la candidate du parti historique de la Ve République

C’est un statut auquel postule également Pécresse. Elle est candidate LR, mais ne fait pas l’unanimité dans son propre parti. En témoigne le fait que, à ce jour, elle n’a pas obtenu le soutien de Sarkozy, et qu’un homme aussi central que Woerth dans l’histoire du parti gaulliste (président de la commission des finances à l’Assemblée nationale et mêlé de près à toutes les « affaires » du parti gaulliste ces dix dernières années) ait décidé de soutenir Macron.

Lui reste la ressource de faire de la surenchère par rapport à Macron, créneau étroit compte tenu du programme de ce dernier. Ainsi promet-elle de supprimer 200 000 emplois de fonctionnaires, de tailler plus radicalement encore dans les cotisations patronales, de « ressortir le Karcher » (référence à Sarkozy). Mais à vrai dire, rien ne distingue réellement le programme de Pécresse de celui de Macron. C’est « bonnet blanc et blanc bonnet ».

Les candidats dits d’« extrême droite » Le Pen et Zemmour

« Le principal problème de la France, c’est l’immigration ». La déclaration est de Zemmour, mais elle vaut pour les deux candidats dits d’« extrême droite », quelles que soient par ailleurs leurs différences.

Le Rassemblement national a lui-même initié à la suite du départ de l’armée US d’Afghanistan une pétition : « Mais le droit d’asile ne doit pas continuer à être, comme il l’est actuellement, le cheval de Troie d’une immigration massive, incontrôlée et imposée, de l’islamisme, et dans certains cas du terrorisme, comme ce fut le cas avec certains assaillants des attentats du 13 novembre 2015. (...) Alors comme nous, DITES NON À L’ACCUEIL MASSIF DE RÉFUGIÉS AFGHANS ! »

Les candidats dits d’extrême droite ne font qu’en rajouter par rapport à Macron lui-même, comme par rapport à Pécresse flanquée de Ciotti. Pas besoin que Zemmour ou Le Pen soient aux commandes pour que les flics lacèrent les tentes des migrants et les laissent cyniquement mourir dans la Manche en choisissant délibérément de ne pas répondre aux messages de détresse des naufragés. Pas besoin qu’ils soient aux commandes pour engager une campagne d’état contre l’« islamo gauchisme » à l’université, etc.

L’écho électoral que rencontrent Le Pen et Zemmour dans la petite bourgeoisie mais aussi dans certaines fractions du prolétariat est à la mesure de la rage de ces couches sociales devant le déclassement et la paupérisation qu’ils subissent dans une situation où les dirigeants « officiels » du mouvement ouvrier n’offrent pas d’autre perspective que la collaboration étroite avec Macron, la coopération aussi bien aux contre-réformes que, dans les entreprises, à la mise en œuvre des plans de licenciement.

Cela étant, s’ils prennent appui sur la petite bourgeoisie, c’est bien la politique du grand capital qu’ils défendent. Dans la grande bourgeoisie, leur discours – en particulier celui de Zemmour - résonne dans la conscience qu’a celle-ci de son propre déclin sur l’arène mondiale, de l’effondrement de son empire colonial, sentiment encore aiguisé par la douleur brûlante du départ du Mali. Notons-le : Le Pen a remballé sa rhétorique anti-Union européenne, consciente du fait que désormais dans les sphères du grand capital, l’adhésion à l’UE ne fait plus question. De même, elle a remballé sa proposition incongrue pour la bourgeoisie de retraite à 60 ans. Les deux promettent moins de cotisations sociales, moins d’impôts pour les patrons, etc.

Si en concurrence à Le Pen, Zemmour a surgi (avec le soutien d’une partie du grand capital, Bolloré notamment, et d’une large partie des médias), c’est parce que Le Pen, dans son désir de « normaliser » le RN, lui libérait une place. Zemmour ne s’embarrasse pas de précautions. Il désigne ouvertement la population immigrée entière comme population délinquante devant être chassée. Il indique que la police doit pouvoir se livrer à cette chasse sans limite. Il propose d’instaurer un véritable droit de tuer en situation «de peur et non seulement de danger imminent ». Le 23 janvier, participant au « Grand oral » convoqué par Alliance, le « syndicat policier », il promet « la présomption de légitime défense (pour les forces de l’ordre, afin que ce ne soit) plus au policier de prouver son innocence, mais au juge de prouver la culpabilité » (de l’agent qui aura blessé ou tué). Son discours a été applaudi, souligne Le Monde. Sur cette orientation, il a très clairement repris le projet de « recomposer » la « droite » dont il est persuadé qu’une large partie de l’état major LR partage ses positions.

Jadot, l’écologie « Medef‑compatible »

Les médias ont coutume de classer les candidats comme étant de « droite » ou de « gauche ». Dans cette classification, ils ont coutume de placer la candidature Jadot (et plus généralement EELV) à « gauche ». En réalité, d’un point de vue d’une caractérisation de classe des candidats et des partis politiques, une telle classification n’a aucune signification. La candidature Jadot est une candidature purement bourgeoise.

Sa place particulière tient au fait qu’il préempte les thèmes dits « écologiques ». La question de la préservation des conditions d’existence de l’humanité, donc de la préservation de l’environnement naturel de l’être humain, est une question non seulement sérieuse mais même dramatique. Nous renvoyons à cet égard nos lecteurs à la brochure édité par le Cercle des jeunes révolutionnaires (« Socialisme ou Barbarie ») qui montre l’incompatibilité absolue entre une telle préservation et le maintien du système capitaliste.

Jadot quant à lui indique à qui veut l’entendre son attachement absolu au système capitaliste. En réalité, il en a fait son slogan de campagne central : « la transition écologique se fera avec les entreprises ou ne se fera pas ». C’est clair.

Son programme est celui de l’association capital-travail :

« A Bruxelles, j'ai pu observer ce qui s'est passé en Allemagne où tout le pays se mobilise pour la voiture électrique ou la sortie du nucléaire et du charbon. Je veux construire un consensus à partir des acteurs économiques et sociaux, en sortant des oppositions politiques stériles.

La relation avec les grandes entreprises n'est pas saine : il faut sortir du co-pilotage court-termiste pour aller vers une co-construction qui nous projette vers l'avenir. Avec des signaux clairs sur le long terme, et la garantie d'une stabilité fiscale et réglementaire. Je veux miser sur la capacité extraordinaire des entreprises à transformer les contraintes en opportunité, une fois que le cap est fixé. »

Jadot indique ainsi la voie par laquelle pourra être réalisée la « transition écologique » - qui promet à la classe ouvrière licenciements massifs, déqualification et baisse brutale du niveau de vie puisque c’est sur elle que la classe dominante entend faire retomber le fardeau. Cette seule voie, c’est l’association étroite des directions syndicales à ladite transition, le renoncement de la classe ouvrière à défendre ses intérêts propres « en sortant des oppositions – de classe, ndlr - stériles ».

Pour le reste, Jadot entend bien être le meilleur défenseur de l’OTAN dans le conflit avec la Russie, le meilleur supporter de Macron dans la répression aux Antilles, etc. En bref, la candidature Jadot doit être caractérisée : réactionnaire sur toute la ligne.

Mélenchon, l’« Union populaire », union de toutes les classes

Ce numéro de CPS consacre un article spécifique à la candidature Mélenchon. La raison est la suivante : électoralement, Mélenchon vise à ramasser ce qu’était l’électorat du PS et du PCF. Sans aucun doute une fraction de cet électorat se reportera sur Mélenchon, même si celui-ci sera très loin de rassembler ce qui a pu constituer l’électorat ouvrier de ces dernières décennies.

Cela ne fait pas de la candidature Mélenchon une candidature relevant du mouvement ouvrier. Mélenchon n’est pas le candidat d’un parti. Il s’est fait plébisciter comme candidat à travers une procédure typiquement bonapartiste où quelques dizaines de milliers de « citoyens » l’ont intronisé comme candidat. Il a décidé qu’il était candidat de l’« Union populaire ». L’« union populaire » (sous ce titre ou sous le vocable « union du peuple de France ») a toujours été opposée – en particulier par les PC, partis staliniens – comme alliance avec la bourgeoisie, au front unique ouvrier. La perspective politique du gouvernement de l’union populaire a toujours été dressée contre celle du gouvernement de front unique ouvrier. Il ne s’agit pas d’un simple rappel historique. L’union de toutes les classes, c’est bel et bien la perspective actuelle de Mélenchon. Dans l’émission Elysée 2022 du 12 février sur France 2, face à Roux de Bézieux, il a expliqué : « Les chefs d’entreprise , je les connais. Quand je discute avec eux ils me parlent de carnets de commande. Quand le patron a un carnet de commande rempli, il fait ce qu’il faut. Si je veux que l’entreprise bosse, je lui passe des commandes. Avec la commande publique on fait tourner la machine... » Et de citer les éoliennes of shore, le « pôle public de l’énergie », etc. « je vous garantis le prix, je vous garantis la mise en service... »

L’important n’est pas la prétendue « démonstration » économique de Mélenchon à laquelle il ne croit probablement pas lui-même. L’important est le projet politique visant à associer dans un prétendu intérêt commun patrons et ouvriers. Sous une autre forme et comme pour Jadot, c’est encore un projet d’association capital-travail.

Ni de près, ni de loin, la candidature Mélenchon n’ouvre une issue aux travailleurs et à la jeunesse. L’« Union populaire » de Mélenchon n’a pu prospérer – prospérité relative du reste - qu’en même temps qu’agonisaient les vieux partis ouvriers (PS et PCF). Loin d’être une manifestation de sa renaissance, c’est un produit de la décomposition du mouvement ouvrier, étranger au mouvement ouvrier lui-même.

Hidalgo, candidate de la destruction du PS

Hidalgo n’est pas la candidate du PS. C’est là un constat de fait, pas une interprétation. Sa candidature a été annoncée en dehors du PS. Son programme, si tant est qu’il y en a un, n’est pas celui du PS. Les modalités de sa candidature épousent étroitement les institutions de la Ve République pour lesquelles la présidentielle est « la rencontre d’un homme et d’un peuple », transcendant les partis.

Lors de son congrès, le PS n’a eu d’autre choix que d’entériner une candidature qui était déjà effective, Hidalgo n’ayant même pas éprouvé le besoin de s’y déplacer.

Mais en l’occurrence, les prétentions « gaulliennes » d’Hidalgo, malgré son pèlerinage à Colombey-les-Deux-Églises, tournent à la farce. Ce qui s’annonce, c’est une Berezina électorale. Une grande partie de l’appareil du PS du reste n’est guère disposé à s’associer au désastre annoncé. Sans compter le fait qu’une nouvelle vague de responsables du PS profite de cette situation pour passer avec armes et bagages chez Macron (Touraine, Guigou, Rebsamen) et que d’autres ont cru bon de soutenir contre Hidalgo la candidature de Taubira, candidature elle-même totalement étrangère au mouvement ouvrier, promise au même désastre si toutefois elle va à son terme.

Quant au « programme » d’Hidalgo, tout est dit dans le titre : « Réunir la France ». Le reste est du même tabac : augmentation du budget militaire, augmentation des effectifs de la police, défense de l’Union européenne et au milieu de cela, en guise de trompe-l’œil qui ne trompe personne, une vague référence à l’augmentation du SMIC, mais surtout l’appel aux dirigeants syndicaux à travers une conférence sur les salaires avec les dirigeants patronaux .

Hidalgo n’est pas la candidate du PS. Le désastre de la candidature Hidalgo n’en sera pas moins un désastre pour le PS. Le coup le plus violent contre l’existence du PS lui a été porté par le quinquennat Hollande. La candidature Hidalgo est un coup supplémentaire, une étape supplémentaire dans les convulsions de l’agonie de celui-ci.

Le candidat du PCF

Roussel se distingue des candidats évoqués plus haut en ce sens qu’il est, lui, candidat au titre d’un parti, le PCF, parti ouvrier par ses origines mais associé depuis des décennies à plusieurs reprises à plusieurs gouvernements de maintien de l’ordre bourgeois et de prise en charge des objectifs de la bourgeoisie (du gouvernement tripartite à la Libération au gouvernement d’« union de la gauche » en 1981, jusqu’au gouvernement de la « gauche plurielle » en 1997). Le PCF est donc un parti contre-révolutionnaire, définitivement passé du côté de l’ordre bourgeois. Son rôle contre-révolutionnaire ne se limite d’ailleurs pas aux épisodes de participation directe au gouvernement. Dans les périodes où la classe ouvrière à travers sa mobilisation révolutionnaire postulait directement à la prise du pouvoir (à la Libération, en Mai-Juin 1968), le PCF a joué un rôle décisif pour permettre à la bourgeoisie de rétablir sa position, pour briser la grève générale en 1968, par exemple.

Pendant des décennies, les travailleurs n’en ont pas moins cherché à se saisir de ce parti comme du PS pour défaire les partis de la bourgeoisie. Mais l’influence électorale du PCF a brutalement décliné non seulement comme conséquence de ses trahisons successives, mais aussi avec le rétablissement du capitalisme en Russie car sa place était intrinsèquement liée à l’existence de l’Union soviétique, premier état où, à la suite d’une révolution prolétarienne, le Capital avait été exproprié.

En 2017, le PCF avait renoncé à se présenter à l’élection présidentielle en soutenant la candidature de Mélenchon. Mais à nouveau cette année, il a décidé, au prix de tiraillements internes (certains de ses élus, comme Jumel, choisissant de soutenir Mélenchon) de se présenter sous ses propres couleurs.

Pour apprécier la candidature de Roussel, on peut d’abord évoquer son programme. On y trouve un certain nombre de revendications ouvrières (le SMIC à 1500 euros nets, l’augmentation sensible des salaires des fonctionnaires, le recrutement massif d’enseignants, l’ouverture ou la réouverture d’hôpitaux dotés de maternités et de services d’urgence, etc.). Mais comment ces revendications pourraient-elles être satisfaites quand, dans le même temps, Roussel se présente comme le meilleur défenseur de la compétitivité de « nos » entreprises ? Comment ces revendications pourraient-elles être satisfaites quand Roussel ne touche pas réellement à la propriété privée des moyens de production ? Certes il évoque « la nationalisation des groupes stratégiques » : la Poste, l’Énergie, quelques laboratoires et quelques banques et assurances (BNP, Société Générale, Axa). Mais outre le fait qu’il ne précise pas si les travailleurs devront payer le rachat de ces entreprises, il oppose ces « nationalisations » à une « étatisation », préférant parler de « pôles publics décentralisés ». On peut d’autant plus s’interroger sur ces « nationalisations » que par ailleurs le programme du candidat du PCF se prononce très ouvertement pour la « cogestion », l’« intervention dans l’organisation du travail, la gestion et les orientations stratégiques de l’entreprise ». Or la cogestion est parfaitement compatible avec le maintien de la propriété capitaliste et revient à associer les travailleurs aux objectifs de l’entreprise qui ne peut être autre que la réalisation du profit. Autrement dit la cogestion revient à associer les travailleurs à leur propre exploitation.

Pour le reste, le programme de Roussel se situe entièrement sur le terrain de la défense de l’État bourgeois ; il promet un renforcement de l’armée, en défense de l’impérialisme français : « Un outil militaire moderne et cohérent sera reconfiguré. Il devra disposer de moyens non vulnérables, être polyvalent et apte à répondre au surgissement des crises souvent inattendues. Il s’appuiera sur des forces armées garantes de la sécurité du pays, de la métropole et des territoires d’outremer et de la défense des intérêts nationaux, notamment du vaste domaine maritime de la France ».

Il n’est donc pas question de retrait des troupes impérialistes françaises, ni du départ des Antilles des forces de répression, ni du droit à l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie.

Quant à l’État policier, il suffit de rappeler la présence de Roussel à la manifestation des flics le 19 mai 2021, aux côtés de Le Pen, Zemmour, Faure (PS) Jadot, etc., avec comme personnage central Darmanin lui-même, manifestation contre le « laxisme de la justice ».

Cela situe mieux le contenu de la candidature de Roussel que toutes les déclarations programmatiques...

La ou les candidatures d’« extrême gauche »

Pour être à peu près complet, il faut dire deux mots de la candidature (ou des candidatures) d’extrême gauche. Nathalie Arthaud sera candidate pour Lutte ouvrière. Les travailleurs n’ont pu que constater que l’orientation de Lutte ouvrière sur un plan pratique ne se distinguait en rien de celle du PCF. Certes, sur un plan purement idéologique, Lutte ouvrière se réclame du « communisme », de la « propriété collective des moyens de production ». Mais pratiquement, Lutte ouvrière est le meilleur soutien de la politique des appareils syndicaux, des journées d’action. Ses militants intégrés à l’appareil syndical font la politique de celui-ci et négocient les plans de licenciements, comme ils l’ont fait à PSA, dont le dirigeant CGT, Mercier, est aussi un dirigeant de Lutte ouvrière.

Il est possible que ni Poutou ni Anasse Kazib, éventuels candidats de deux fractions du NPA ayant récemment scissionné, ne puissent se présenter du fait de la condition réactionnaire des 500 parrainages nécessaires. Mais il faut pourtant dire qu’à aucun moment ces candidatures, elles aussi comme celle d’Arthaud, se situant sur un terrain d’extrême dépendance par rapport à la politique des appareils syndicaux, n’offriraient une perspective politique, fusse à une avant-garde de la classe ouvrière.

Quel programme d’action défendrait un candidat révolutionnaire ?

Pour des militants révolutionnaires, la présentation ou non présentation aux élections est affaire de circonstances, non de principe. Si les militants regroupés autour de Combattre pour le socialisme en avaient les moyens politiques et organisationnels, il serait parfaitement justifié qu’ils présentent un candidat. Ce n’est pas le cas.

Si nous en avions les moyens, nous ne présenterions pas un candidat dans l’illusion que l’émancipation des travailleurs, qui suppose la prise du pouvoir par le prolétariat, pourrait être réalisée par la voie électorale. Les élections peuvent constituer un baromètre du rapport des forces entre les classes. Elles peuvent constituer un moment de la lutte des classes, créant une situation politique plus ou moins favorable au combat du prolétariat. Elles ne constituent jamais la bataille décisive pour le pouvoir, bataille qui ne peut avoir lieu que sur le terrain de la lutte des classes directe.

Pour les militants révolutionnaires, l’intérêt de leur participation dépend de la réponse à une question : les élections offrent-elles l’opportunité d’avancer dans la construction du Parti ouvrier révolutionnaire, de projeter à une échelle plus large leur programme d’action ?

Quels seraient les grands axes de ce programme d’action ?

La pandémie qui sévit depuis 2020 a dévoilé de manière plus aiguë l’impasse tragique que représente la perpétuation du système capitaliste.

● Les systèmes de santé, les hôpitaux ont été débordés par l’afflux de malades. Ce qui paraissait inimaginable, le tri des malades, est devenu une réalité quotidienne. La pénurie de médicaments, de matériel médical a été criante. Tout cela ne doit rien à la fatalité mais à la politique constante des gouvernements au service du Capital qui exige la baisse des cotisations sociales, l’asphyxie de la Sécurité sociale et donc la fermeture des lits.

À l’opposé de la politique des appareils syndicaux qui pavent la voie à une nouvelle étape de démantèlement de la Sécurité sociale (ce que prônent les candidats bourgeois en réclamant la suppression de cotisations sociales), en ayant signé l’accord sur la protection sociale complémentaire (PSC) qui permet aux complémentaires de se substituer de plus en plus à la Sécurité sociale, notre premier mot d’ordre serait : défense de la Sécurité sociale, annulation de toutes les exonérations accordées au patronat depuis des décennies, création des postes dans l’hôpital public autant que de besoin et augmentation massive des salaires sous forme indiciaire.

L’essentiel de la charge de la pandémie a reposé sur l’hôpital public pendant que les cliniques privées se réservaient les interventions les plus juteuses. Les cliniques privées doivent être nationalisées sans indemnité ni rachat

● La pandémie a fait surgir au grand jour la contradiction entre les possibilités qu’offrait la science pour combattre la maladie – par exemple la découverte des vaccins par ARN messager - et les barrières imposées par le système du profit à l’exploitation de ces possibilités. Les laboratoires publics ont été asphyxiés financièrement interdisant la recherche jugée « non rentable ». Les trusts pharmaceutiques, comme Sanofi, ont licencié par centaines leurs propres chercheurs. Le capitalisme fait obstacle aux progrès médicaux. Le programme d’action comprend donc comme mot d’ordre immédiat : nationalisation sans indemnité ni rachat des trusts pharmaceutiques, développement de la recherche publique avec des personnels statutaires.

● La pandémie a révélé avec quelle barbarie étaient traitées les personnes âgées notamment dans les EPHAD privés . Pour garantir des profits records, elles sont privées de soin, d’hygiène, et même de nourriture. C’est une évidence que la totalité des EPHAD doivent être nationalisés sans indemnité, ni rachat, et que dans tous les EPHAD, un recrutement massif de personnels payés à la hauteur de la difficulté de leur tâche doit être opéré. La prise en charge des personnes âgées doit être assurée par la Sécurité Sociale sur la base des cotisations patronales et non via une « cinquième branche » financée… par les personnes âgées elles-mêmes comme le proposent les programmes bourgeois

● Tout le système de santé est un système de classe. Les déserts médicaux se situent dans les zones rurales et les banlieues ouvrières. Il faut en finir avec le sacro-saint principe parfaitement réactionnaire de la « liberté d’installation ». L’affectation des médecins doit relever exclusivement des exigences de la santé publique, ce qui suppose par ailleurs que les médecins soient rémunérés à hauteur de leur qualification et recrutés à hauteur des besoins (abrogation de tous les systèmes de « numérus clausus » ouverts ou déguisés).

● La pandémie a précipité les plans de licenciements dans l’aéronautique, le transport aérien, plus généralement dans l’industrie. Des « accords de performance » incluant licenciements et baisse de salaire ont été imposés aux travailleurs. Mais à vrai dire, c’est bien avant la pandémie que licenciements massifs et fermeture d’entreprises ont été programmés. Entre 2007 et 2020, Stellantis (ex-PSA) est passé de 74 000 à 40 000 ouvriers. Au nom de la « transition écologique », une nouvelle vague de licenciements et de fermetures est programmée.

La première exigence est : pas un seul licenciement, pas une seule suppression de poste.

Les médias nous abreuvent de discours sur la réduction « historique » du chômage. Mais en même temps, on nous dit que le « halo du chômage », lui, augmente. Et les nouveaux emplois sont des emplois précaires ou des contrats d’apprentissage. Cette situation met à l’ordre du jour le combat pour le partage du travail entre toutes les mains disponibles, la diminution massive du temps de travail sans diminution de salaire, l’échelle mobile des heures de travail.

Combattre le chômage est inséparable du combat pour le droit à la retraite pour les vieux travailleurs. Il faut non seulement rejeter la nouvelle contre-réforme annoncée, mais abroger l’ensemble des contre-réformes contre le droit à la retraite (réformes Balladur, Fillon, Touraine).

● Depuis plus d’un an, l’inflation flambe. Elle a été présentée comme conjoncturelle et ne devant pas durer. Mais tout montre que nous sommes à la veille d’une nouvelle flambée. La conséquence probable de la crise entre les vieilles puissances impérialistes et la Russie est une nouvelle augmentation des prix de l’énergie, augmentation se diffusant sur l’ensemble des produits manufacturés. Les travailleurs la paient déjà d’une brutale baisse de leur pouvoir d’achat. À la politique des appareils syndicaux qui, sous couvert de demander une augmentation immédiate des salaires, renvoient en fait les travailleurs à des négociations salariales boîte par boîte, conformément à la politique du gouvernement, nous opposons la revendication générale d’échelle mobile des salaires seule à même de préserver l’ensemble du prolétariat de l’inflation en assurant l’augmentation automatique des salaires en fonction de l’augmentation des prix appréciée selon un indice syndical.

Par ailleurs, les augmentations de prix sont considérablement amplifiées par la spéculation. Celle-ci ne peut être combattue que par le contrôle ouvrier sur les prix, ce qui suppose l’organisation des travailleurs en comités ad hoc pour mettre en œuvre ce contrôle.

● Le gouvernement Macron n’a cessé d’asphyxier le logement social depuis 5 ans, faisant retomber sur les offices HLM ses mesures de réduction d’impôt. La défense des intérêts des travailleurs exige la construction massive de logements sociaux de qualité, ainsi que la réquisition des logements vides au profit de la population mal logée. Elle exige le rétablissement des conditions d’octroi de l’APL, en particulier pour la jeunesse.

● Toute la politique du gouvernement, de la bourgeoisie consiste à remettre en cause le droit de la jeunesse à l’instruction, la qualification, la poursuite d’études (voir plus haut). Les premières exigences pour la jeunesse, ce sont : l’abrogation de toutes les lois contre le droit aux études : LRU, LORE (avec tout ce qu’elle contient, notamment Parcoursup), LPPR ; le rétablissement du baccalauréat comme diplôme national, examen national et anonyme, premier diplôme universitaire permettant la poursuite d’études dans la filière de son choix.

La défense du droit aux études est inséparable de la défense des statuts des personnels à tous les niveaux ; toutes les attaques contre le statut des enseignants doivent être abrogées, en premier lieu la dernière d’entre elles : la loi Rilhac, qui instaure l’« autorité fonctionnelle » des directeurs d’école. Tous les projets de recrutement des enseignants par les chefs d’établissement doivent être rejetés. Plus généralement, le statut de la Fonction publique doit être protégé et rétabli. La « loi de transformation de la Fonction publique » doit être abrogée.

L’enseignement privé à tous les niveaux de la scolarité doit être nationalisé sans indemnité ni rachat : une seule école, publique et laïque !

● À l’heure où déferlent les discours racistes les plus répugnants, où la population immigrée est la première cible des violences policières, où les dirigeants de l’UE, via Frontex, organisent le naufrage de centaines d’immigrés fuyant la misère résultat de la domination impérialiste en Afrique et en Asie, il faut défendre l’internationalisme prolétarien, celui des Communards, celui qui prône la libre circulation des hommes, les droits égaux entre Français et immigrés, y compris le droit de vote.

Aucune de ces revendications ne peut être satisfaite sans que le prolétariat ne prenne en main les rênes du pouvoir, c’est-à-dire sans la constitution d’un gouvernement ouvrier. Un tel gouvernement aura immédiatement pour tâche le démantèlement de l’appareil de répression de l’État bourgeois. La police, l’armée ne peuvent être « démocratisées ». Elles doivent être démantelées pour laisser place aux organisations de défense des masses par elles-mêmes.

Aucune de ces revendications ne peut être satisfaite sans que tous les leviers de l’économie, les grands moyens de production et d’échanges, les banques ne soient nationalisés sans indemnité ni rachat.

C’est la condition pour que puisse être élaboré par les travailleurs eux-mêmes, s’appuyant sur la science et les scientifiques, un plan de production conforme aux besoins des masses et compatible avec la préservation de la planète.

La crise dite « sanitaire », les menaces que fait peser sur l’avenir de l’humanité la « crise climatique », sont des produits directs ou indirects du système du profit, dont la devise a toujours été : « Après moi le déluge ». La crise du système capitaliste a un caractère mondial. Jamais les discours empreints de patriotisme, prétendant trouver des solutions sur l’arène nationale, n’ont eu un caractère aussi évidemment réactionnaire. La pandémie n’a pas de frontières. Le réchauffement climatique n’a pas de frontières. Les soubresauts de la production à Taiwan ont des conséquences immédiates sur le pouvoir d’achat de l’ouvrier de la région parisienne. La compétition toujours plus âpre entre puissances impérialistes, le développement énorme des arsenaux militaires qui accompagne inéluctablement l’impérialisme portent le germe de la guerre planétaire. L’alliance militaire entre les principales puissances impérialistes doit être démantelée : A bas l’OTAN !

À la politique des candidats à l’élection présidentielle qui tous aujourd’hui acceptent le cadre de l’UE, nous opposons la nécessité de rompre avec l’UE et la déréglementation systématique des droits des travailleurs qu’elle implique. Nous y opposons la nécessité de combattre pour la constitution d’un véritable gouvernement ouvrier dans chaque État et des États unis socialistes d’Europe comme seule perspective positive pour l’ensemble des peuples d’Europe, seul remède durable aux menaces de la guerre qui resurgit en Europe.

La tâche de l’heure

La perspective du socialisme doit être tracée. Mais le but final n’est rien si on n’indique pas quel est le premier pas dans sa direction.

Aujourd’hui, l’élection présidentielle se déroule dans une situation où sur le plan électoral les possibilités d’une expression du prolétariat sont sinon inexistantes, du moins très limitées. La seule possibilité consiste dans le vote pour le candidat du PCF (malgré son programme), voire pour les candidats de LO ou du NPA (malgré leur orientation politique). Par contre, en aucun cas (voir ci-dessus et dans ce numéro l’article consacré à Mélenchon) on ne peut appeler à voter ni pour Mélenchon, ni pour Hidalgo, ni pour Jadot. Mais chacun sait qu’un tel vote n’a pas le pouvoir de modifier la place de cette élection dans la lutte des classes. Inévitablement, cette élection constituera le tremplin d’une nouvelle et violente offensive contre le prolétariat.

C’est à cela qu’il faut se préparer. Là, se pose de manière centrale la place des organisations syndicales.

Jusqu’au bout les dirigeants syndicaux ont accompagné les contre-réformes du gouvernement Macron. En signant dans la Fonction publique l’accord sur la protection sociale complémentaire, ils ont indiqué leur disposition à coopérer à la suite de l’offensive, en particulier la liquidation pure et simple de la Sécurité sociale. Via le COR (Conseil d’orientation des retraites), ils ont anticipé la mise en œuvre de la prochaine contre-réforme des retraites. Ils ont annoncé à demi-mot qu’ils étaient prêts à appeler à voter Macron en cas de deuxième tour face à « l’extrême droite ».

Mais les syndicats n’appartiennent pas aux appareils dirigeants. Les travailleurs chercheront à s’en saisir pour faire face. Il faut donc combattre pour leur permettre de le faire.

L’intervention du représentant Front unique au dernier congrès national de la FSU donne l’axe sur lequel il est possible de le faire. Nous la reproduisons en conclusion :

« Le congrès national de la FSU s’est tenu.

En entérinant la signature de l’accord PSC, il a renié ses positions antérieures, qui étaient les positions de toujours du mouvement ouvrier de défense de la Sécurité sociale : « Chacun contribue selon ses moyens et a recours selon ses besoins ». Il a entériné un accord qui porte un coup de première importance à notre Sécurité sociale fondée sur le salaire différé et socialisé.

Cette signature unanime des directions syndicales intervient quelques semaines avant l’élection présidentielle.

Chacun le sait : les représentants du capital entendent utiliser le boulevard de cette élection pour porter des coups d’une brutalité inédite contre les travailleurs et la jeunesse. C’est ce qui ressort clairement des dernières déclarations du président du MEDEF.

Face à cette déferlante, malgré la signature de l’accord PSC, qui ne peut que dégoûter et décourager les travailleurs, il est inévitable que ces derniers cherchent demain à résister. Dans ce but, ils devront se saisir de leurs organisations syndicales, donc de la FSU.

Ils chercheront par conséquent à mettre ces organisations à leur service.

C’est pourquoi il est nécessaire de dire avant le terme de ce congrès, ce qu’ils sont en droit d’exiger d’elles.

C’est la responsabilité de la FSU de rejeter l’objectif affirmé du MEDEF de « réduire le coût du travail ».

C’est la responsabilité de la FSU de rejeter les déclarations de Macron indiquant que « la protection sociale doit moins peser sur le travail », mais aussi celles de Pécresse qui martèle que pour augmenter les salaires, il faut diminuer les cotisations sociales.

C’est sa responsabilité de rejeter l’exigence du MEDEF de diminution massive de l’impôt sur le capital, et de réduction de l’ensemble des budgets sociaux qui en est la conséquence inévitable.

Mais c’est aussi sa responsabilité :

● de se prononcer contre la « réforme » des retraites en préparation, qui prévoit le passage de l’âge légal à 64, 65 ou 67 ans. Et donc, de quitter le Conseil d’orientation des retraites (COR), qui prépare le terrain à cette contre-réforme.

● C’est aussi de rejeter la déclaration de guerre à la jeunesse faite par Macron annonçant l’université payante, l’expulsion de l’université de tous les jeunes d’origine populaire, la soumission totale de l’université et de la recherche au patronat.

● S’agissant de l’enseignement, c’est tout particulièrement de rejeter les objectifs affirmés par Macron de destruction du statut des enseignants par l’annualisation, entre autres, et le recrutement des enseignants par les chefs d’établissement.

C’est la responsabilité de la FSU de rejeter les objectifs communs des Macron, Pécresse, Le Pen, Zemmour :

● de renforcement de l’État policier, par exemple en doublant le nombre de policiers en 5 ans.

● d’expulsions massives des immigrés, parqués dans de véritables camps, condamnés à mort par noyade, comme dans la Manche récemment.

C’est la responsabilité de la FSU de se prononcer pour le retrait immédiat de toutes les troupes impérialistes françaises des pays où elles stationnent.

Rejeter, autrement que dans les mots, ce programme commun de tous les candidats du capital, c’est dire dès maintenant que la FSU ne participera à aucune des instances de « dialogue social » visant à mettre en œuvre ce programme. C’est dès maintenant : quitter les concertations, que ce soit le COR, les groupes de travail d’application de la loi Rilhac ou l’« expérimentation » de Marseille) qui, avant même l’élection, commencent à mettre en œuvre ce programme.

Une question immédiate est posée, celle de l’inflation, qui lamine le pouvoir d’achat des travailleurs.

La responsabilité de la FSU est d’indiquer que le combat pour l’augmentation massive des salaires passe par la défense inconditionnelle de la grille de la Fonction publique et du point d’indice. C’est donc de revendiquer l’augmentation massive de la valeur du point, à l’exclusion de toute forme d’individualisation des rémunérations, et d’œuvrer à ce que se constitue le front uni des organisations syndicales pour faire valoir ces revendications.

C’est à condition d’adopter une telle orientation que la FSU peut contribuer à ce que soit ouverte, pour les travailleurs de ce pays, une issue politique conforme à leurs aspirations. »

Le 23 février 2022

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