Éditorial du bulletin « Combattre pour le socialisme » n°78 (n°160 ancienne série) - 21 janvier 2021 :

 

La catastrophe imminente et la seule manière de la conjurer :
combattre pour le socialisme

 

La pandémie perdure et s’aggrave

La pandémie est repartie de plus belle, dépassant tous les records du printemps dernier. La Grande-Bretagne est dévastée, et on estime qu’une personne sur trente a été ou est infectée à Londres. Les hôpitaux sont surchargés, victimes d’années et d’années de coupe dans leur budget. La revue médicale Health Service Journal annonce que 2000 lits vont manquer d’ici le 19 janvier. Des patients mourront faute de pouvoir être admis à l’hôpital. Les États-Unis battent chaque jour leur record de cas et de décès : plus de 20 000 cas par jour, 20 millions de malades depuis mars, 379 000 décès depuis le début de la pandémie. Ce ne sont que deux exemples, mais on pourrait évoquer la même évolution au Brésil, au Mexique, en Russie, etc.

Sans doute la pandémie n’a pas été créée de manière délibérée par le système capitaliste lui-même. Elle affecte durement la possibilité pour les capitalistes d’extorquer la plus-value dans des conditions « normales » et constitue donc pour la classe bourgeoise un rude problème, même s’il faut immédiatement ajouter que ce sont les masses populaires qui en sont les premières victimes.

Mais elle ne prend cette forme de cataclysme que du fait du système capitaliste. Ce sont les conditions d’existence faites aux masses qui favorisent la diffusion incontrôlée du virus : la promiscuité du fait des conditions de logement, et celle qui existe au travail, où la classe ouvrière est maintenue coûte que coûte par les capitalistes, la pollution, l’absence de toute mesure sanitaire réelle dans les établissements scolaires de la plupart des pays. Sans parler de l’état désastreux du système de santé et en particulier de l’hôpital qui rend plus meurtrière la pandémie. Tout concourt ainsi à la catastrophe sanitaire.

La science asservie aux impératifs du profit

Il faut dire dès maintenant un mot de la campagne de vaccination engagée un peu partout dans le monde. Elle s’engage dans les conditions qui sont celles de la gabegie capitaliste dont on avait déjà vu les effets il y a quelques mois sur la fourniture des masques : problèmes d’approvisionnement et de transport, manque de personnel pour administrer le vaccin, etc. A cela s’ajoute la concurrence acharnée que se livrent les différents trusts pharmaceutiques, obstacle absolu non seulement à la vérification de leur fiabilité (au nom du secret industriel de la fabrication), mais encore au partage du savoir et à la coopération universelle des chercheurs qui seraient plus que jamais nécessaire. Cette gabegie fait obstacle au but de la bourgeoisie elle-même, qui cherche à réaliser une vaccination de masse, non pas pour le bien être des populations, mais pour rétablir au plus vite les conditions optimales de l’exploitation de la force de travail, et pour éviter que la pandémie ne submerge en particulier les personnels hospitaliers qui, partout en nombre insuffisant, doivent y faire face.

C’est ainsi que la campagne de vaccination se fait dans les pires conditions, au mépris des conditions de sécurité. En Grande-Bretagne, on s’apprête non seulement à retarder l’inoculation de la seconde dose, sans bien savoir si du coup le vaccin sera efficace, voire à administrer deux doses de deux vaccins différents, alors même que nombre de scientifiques doutent non seulement de l’efficacité mais même de l’innocuité d’un tel « cocktail ».

De telles conditions d’administration du vaccin suscitent du même coup les réticences d’une partie de la population. Ces réticences ont d’autres raisons que l’influence des thèses obscurantistes et réactionnaires, qui fleurissent par ailleurs, que l’hostilité au principe même de la vaccination.

Les travailleurs savent en effet que ce qui détermine cette campagne de vaccination, c’est la recherche du profit, pas la santé de la population.

Qu’à cette fin, les capitalistes et leurs gouvernements passent par dessus des mesures de prudence élémentaires sur les effets à moyen terme des vaccins utilisés contre la COVID, c’est dans l’ordre (bourgeois) des choses. Quelques exemples récents montrent que, se saisissant de la pandémie, certains grands trusts pharmaceutiques n’ont pas hésité une seconde à se livrer à de véritables et gigantesques escroqueries pour réaliser ces profits. L’affaire du Remdesivir, dont le laboratoire Gilead a inondé le marché européen, vendu 100 fois son coût de production alors que son effet thérapeutique contre la COVID s’est révélé absolument nul, en est une illustration frappante. Mais à vrai dire, ce n’est qu’un exemple. Périodiquement on apprend que sont mis sur le marché des médicaments ou des produits pharmaceutiques qui, non seulement n’ont aucune efficacité thérapeutique, mais aussi mettent en danger la santé et la vie des patients, et ce en toute connaissance de cause. Le Monde du 23 décembre nous apprend ainsi que le trust Bayer a mis sur le marché un dispositif contraceptif pour les femmes – l’implant Essure -  dont il sait depuis 2004 qu’il a des effets redoutables sur l’organisme (hémorragies, douleurs articulaires et musculaires, voire effets neurologiques). Et tout le monde a en tête l’affaire du Mediator et de ses milliers de victimes.

Telle est la véritable raison de certaines réticences populaires. Ce n’est pas la science qui est en cause. C’est son asservissement à la loi du profit.

L’évolution des bourses et l’évolution inverse de la production

Combattre pour le socialisme a eu à plusieurs reprises l’occasion de l’expliquer, la crise sanitaire n’a fait que précipiter l’explosion d’une crise économique qui était déjà en gestation. Et il est incontestable que plus perdure la crise sanitaire, plus profonde s’annonce la dépression économique qui a déjà manifesté ses conséquences ravageuses.

La fin de l’année civile donne aux commentateurs de la bourgeoisie l’opportunité de tirer quelques bilans. D’aucuns s’étonnent du formidable divorce entre les résultats de la bourse et ceux qui se manifestent sur le terrain de l’ « économie réelle » - entendez de la production.

Évolution des indices boursiers en 2020 :

NASDAQ (valeurs nouvelle technologie Wall Street)

+43,64 %

S § P 500 (Wall Street)

+16,26 %

Nikkei (Tokyo)

+16,53 %

DAX (Francfort)

+3,87 %

STOXX Europe 600

-1,99 %

CAC40 (Paris)

-7,14 %

 

Évidemment les différences de résultats sont aussi significatives, qui montrent par exemple que  c’est aux firmes françaises que les actionnaires font le moins confiance et que le résultat d’ensemble en Europe (STOXX) masque des différences considérables, par exemple entre l’Allemagne et d’autres pays européens, dont la France.

Mais le fait marquant, c’est tout de même l’extraordinaire valorisation boursière aux États-Unis et au Japon alors même que y compris dans ces pays le marasme économique domine.

C’est ce que montre les chiffres concernant l’évolution attendue du PIB en 2020 :

 

USA (source Rexecode)

- 3,4 %

Espagne

- 11 %

Allemagne

- 5 %

Royaume Uni

- 11 %

France

- 9 %

Japon  (source FMI)

- 5,3 %

Italie

- 9 %

Chine (source FMI)

+1,9 %

 

Encore faut-il rappeler que le PIB intègre dans ses résultats des éléments (y compris les « produits financiers ») qui n’ont qu’un lointain rapport avec la production de richesses réelles. Ainsi pour les USA, quand la diminution du PIB est de 3,4 %, la diminution de la production industrielle, elle, se situe au-delà des 5 %.

Endettement

Un autre élément d’appréciation porte sur l’évolution de la dette (dette publique et dette des entreprises). Voici ce qu’indique par exemple Business Insider :

« Le niveau d’endettement dans le monde ne cesse de grimper et il s’est envolé avec la crise du coronavirus. Après un record à 322% du produit intérieur brut (PIB) fin 2019, la dette mondiale devrait atteindre 277 000 milliards de dollars fin 2020, soit 365% du PIB, selon l’Institute of International Finance (IIF). À fin septembre, elle avait déjà augmenté de 15 000 milliards de dollars depuis le début de l’année. Cette forte hausse, liée notamment au financement de vastes plans de relance, peut donner le vertige.

Les pays développés sont à l’origine de près de la moitié de la progression de l’endettement mondial. Ils ont vu leur dette totale — publique et privée — décoller à 432% de leur PIB à la fin du troisième trimestre, contre environ 380% fin 2019, précise L’Agefi. Ce bond résulte de l’effet combiné de l’endettement et de la baisse du PIB, en raison du confinement et des mesures de restrictions sanitaires. »

S’agissant particulièrement de l’endettement public, la dette d’État va augmenter en 2020 de 40 % aux USA, de 25 % en France. Celle du Japon atteint désormais plus de 260 % du PIB. L’Allemagne elle-même – dont la situation n’a pourtant rien à voir avec celle des USA ou des autres pays d’Europe, notamment la France - devrait voir sa dette passer de 59,5 % du PIB à 75 %.

Dans les pays capitalistes avancés, la part de la dette possédée par les banques centrales ne cesse d’augmenter par l’effet du rachat par celles-ci des obligations d’État. Ce qui explique que l’augmentation de la dette publique ne se traduise pas par l’augmentation des taux d’intérêt (au contraire ceux-ci sont soit négatifs soit faiblement positifs selon les pays). Il en va autrement des pays frauduleusement appelés « émergents » - les pays dominés par l’impérialisme – où là aussi la dette a connu une brutale augmentation, en rapport notamment avec la baisse du prix des matières premières, qui constituent l’essentiel des exportations de ces pays. Sur ces pays pèse la menace immédiate de l’augmentation des taux d’intérêt, et en même temps ils sont confrontés à la chute parfois abyssale de la valeur de leur monnaie.

Le rachat par les banques centrales des dettes, tant des États que des entreprises, a pour effet une augmentation inouïe du bilan de ces banques centrales. Entre mai et novembre 2020, le bilan de la Fed passe de 7 000 milliards de dollars à 9 000 milliards. Quant à la BCE, son bilan est passé de 4 692 milliards fin février à 6 705 milliards début octobre. Depuis, la BCE a prévu d’ajouter 500 milliards de rachat d’actifs en décembre pour pallier au risque d’effondrement de pans entiers de l’activité en Europe.

Il faut pourtant remarquer que ces injections massives de liquidité ne font pas disparaître le risque mortel de la déflation. En théorie, l’augmentation massive de la masse monétaire devrait se traduire par de l’inflation, mais joue en sens contraire et de manière dominante la chute brutale de la demande. D’ores et déjà, les pays d’Europe connaissent une déflation – certes encore limitée depuis 5 mois.

C’est dans l’injection massive de liquidités par les banques centrales à des taux nuls ou très réduits, que se trouve l’explication de la valorisation boursière évoquée plus haut. Pour l’essentiel, cette injection alimente essentiellement les opérations spéculatives mais est impuissante à opérer une véritable relance de la consommation et des investissements.

Ainsi, l’économie mondiale poursuit sa descente en enfer et se trouve sous la menace multiforme d’un véritable effondrement. Nul ne peut prévoir quel serait le facteur immédiatement déclenchant d’un tel effondrement : franc basculement dans la déflation dans les pays capitalistes avancées conduisant à une véritable paralysie de la production (la déflation pousse au report des achats de marchandises), krach bancaire résultat de l’augmentation des créances douteuses par suite de l’augmentation massive des faillites, explosion des bulles spéculatives avec un effondrement des valeurs boursières à la hauteur de leur augmentation antérieure… Tout est possible. Mais une chose est sûre. Dès maintenant, et plus encore demain, ce sont les masses, le prolétariat et la jeunesse, qui font et feront les frais de la crise ravageuse du système capitaliste.

Chômage de masse, basculement dans la misère et dans la famine : ce n’est qu’un début !

Les derniers mois ont été caractérisés par une augmentation massive et universelle du chômage. L’ampleur de cette augmentation est plutôt masquée qu’elle n’est révélée par les chiffres officiels. Le site Touteleurope indique par exemple :

« Eurostat estime ainsi qu’en septembre 2020, 15,99 millions de personnes étaient au chômage dans l’UE (7,5 % de la population active), dont 13,61 millions dans la zone euro (8,3 %). Par rapport à septembre 2019, le chômage a augmenté de 1,811 million de personnes dans l’UE et de 1,376 million dans la zone euro. »

Mais c’est pour préciser immédiatement : « Dans plusieurs États européens, la hausse du chômage demeure modérée, ce dernier pouvant même dans certains cas reculer d’un mois à l’autre. Mais cette faible hausse constatée dans certains pays peut cacher une augmentation du nombre de personnes ayant renoncé à chercher un emploi, notait en avril l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE). En effet, seuls les individus en recherche active d’emploi sont généralement comptabilisés comme chômeurs. Or d’après l’Institut national italien des statistiques (ISTAT), le nombre d’Européens inactifs aurait par exemple augmenté de 5,4 % en avril par rapport au mois précédent. »

Aux États-Unis, 22 millions d’Américains ont perdu leur emploi lors de la première vague de la pandémie. Le Monde annonçait que 11 de ces 22 millions avaient retrouvé à l’automne un emploi mais précisait que pour les 11 millions restant il serait bien difficile d’en retrouver un. Et il y a fort à parier que les nouveaux records atteints par la pandémie au cours de ces dernières semaines ont fait repartir le nombre de chômeurs à la hausse.

La situation est encore bien pire évidemment dans les pays dominés par l’impérialisme.

Ce numéro de CPS évoque la situation au Brésil. Mais il y a pire encore en Amérique Latine. Sans même parler du Venezuela, il faut noter qu’en Argentine – pays que d’aucuns présentaient au lendemain de la seconde guerre mondiale comme susceptible de rattraper le niveau de vie des pays capitalistes avancées -, 44 % de la population se situe sous le seuil de pauvreté. Même chose pour le Pérou, dont les commentateurs bourgeois vantaient il y a à peine un an le « miracle économique », « la pauvreté monétaire atteindra à la fin de l’année les 28,5% selon les projections de la Commission Économique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes (CEPAL), soit une augmentation de 9,3%, et la pauvreté extrême sera même doublée, passant de 3,7% à 7,6%. Une situation qui ramène le Pérou dix ans en arrière dans sa lutte contre la pauvreté. » (Le petit journal)

Mais la palme de la barbarie appartient à l’Afrique et à l’Inde. Au Nigéria – où le gouvernement a fait tirer à balles réelles sur les manifestants -, 42 % de la population a récemment perdu son emploi. Selon les spécialistes, la mortalité infantile va augmenter de 45 %. La loi d’airain du pillage impérialiste contraint le Nigéria à vendre depuis plusieurs mois son pétrole au-dessous de son coût de production.

En Inde (voir plus loin), Le Monde annonçait dès juillet qu’un quart de la population ne disposait d’aucun revenu.

Le G20 a « généreusement » décidé de « restructurer » la dette des pays dits « émergents » sous condition... de mise en œuvre des sinistres plans du FMI qui invariablement ordonne privatisations, diminution des dépenses de santé et d’éducation, remise en cause du subventionnement des produits de première nécessité, sans lequel des centaines de millions d’êtres humains supplémentaires sont condamnés à la famine.

Pourtant si atroces que soient les conditions auxquelles sont réduites les masses, ce n’est encore qu’un début.

C’est particulièrement vrai des pays capitalistes avancés. Car les gouvernements de ces pays ont pris depuis mars des mesures provisoires visant à éviter l’effondrement pur et simple. Ils l’ont fait, non dans un souci d’humanité à l’égard des masses laborieuses, mais par crainte du véritable cataclysme, du chaos économique et social qu’aurait provoqué le choc brutal et sans amortisseur de la chute abyssale de l’activité. Il en va ainsi des mesures de subventionnement du chômage partiel de longue durée, ou encore – par exemple aux États-Unis – du chèque versé aux familles ayant perdu leur emploi. De même ordre sont les différents dispositifs de prêts garantis par l’État visant à éviter les faillites immédiates. Naturellement, ces mesures sont et seront in fine payées par le prolétariat lui-même sous des formes diverses. Il n’empêche que pour quelques mois les échéances ont été reportées. Mais le sursis arrive à son terme. Le nouveau plan de relance US limite à 600 dollars (490 euros) l’aide aux familles les plus pauvres, loin des 2 000 dollars du premier plan. Les premières  échéances des différents prêts accordés en urgence sont désormais imminentes. Chaque semaine de prolongement de la pandémie et des mesures diverses de « confinement » ou de « couvre-feu » signifie pour des centaines de milliers de petites entreprises la faillite immédiate. Mais il n’en va pas autrement des secteurs où le capital est plus concentré. Aéronautique, automobile, métallurgie (dépendant largement des deux secteurs précédents), bâtiment et travaux publics, qui dépendent largement d’une commande publique amenée à se réduire comme une peau de chagrin : chaque jour qui passe nous rapproche de la catastrophe.

Affrontements inter-impérialistes : l’élection de Biden ne changera rien d’essentiel

Combattre pour le socialisme a souvent eu l’occasion de l’écrire. Plus la crise s’approfondit, plus les rapports inter impérialistes se tendent. Et nous avons aussi l’occasion de l’écrire non moins souvent : ils se tendent d’autant plus qu’est apparu sur l’arène mondiale un nouvel impérialisme, l’impérialisme chinois qui se fait sa place en remettant sans ménagement en cause la place des vieux impérialismes.

C’est une certitude. L’élection de Biden – voir article sur les USA dans ce numéro de CPS - ne changera strictement rien à l’affrontement entre les USA et la Chine tant il est vrai que cet affrontement ne devait rien à la personnalité singulière de Trump et tout à la nécessité pour l’impérialisme US de combattre la tendance au déclin qui le frappe.

Remarquons-le : sur le strict plan des chiffres, la croisade anti-chinoise de Trump a constitué un échec total. La Tribune notait le 13 octobre : «  En septembre, l’excédent du géant asiatique avec l’oncle Sam s’est encore accru de 30,75 milliards de dollars, selon des chiffres publiés mardi par les Douanes chinoises, les derniers avant la présidentielle du 3 novembre. Soit une hausse de 18,8% sur un an ! »

La situation n’est d’ailleurs pas meilleure du point de vue de la balance commerciale avec l’Allemagne, où déjà en 2019, le déficit commercial s’élevait à 47,3 milliards.

Est-ce à dire que l’offensive américaine n’a aucun effet sur la Chine ? Ce serait faux de l’affirmer. Il est clair par exemple que le véritable embargo américain sur un certain nombre de grandes entreprises chinoises leur porte de rudes coups. Il est incontestable par exemple que les mesures prises contre Huawei mettent d’ores et déjà cette entreprise en grande difficulté en lui interdisant notamment l’approvisionnement des semi-conducteurs dont il a besoin pour sa production. Rien ne dit pourtant que le coup porté soit fatal. Huawei s’active pour produire de manière alternative des semi-conducteurs en Chine même et s’il aboutit l’offensive se retournera en son contraire.

A vrai dire, l’atout principal de l’impérialisme US est dans sa suprématie militaire maintenue. Le récent budget pharaonique adopté aux USA de manière « bipartisane » - voir article USA – montre que Biden après Trump n’entend pas y renoncer. Plus encore, l’impérialisme US pousse en permanence ses alliés au militarisme comme en atteste le fait que le budget militaire du Japon vient de battre aussi tous les records, malgré les limites qui lui sont encore imposées par sa constitution héritée de la défaite japonaise lors de la seconde guerre mondiale.

La Chine ne se soumettra pas

Tout montre pourtant que la Chine ne se soumettra pas. Sa puissance vient de ses capacités productives, y compris désormais dans les domaines technologiques et scientifiques les plus sophistiqués, et du fait que l’économie de nombreux pays dépendent aujourd’hui de ses exportations.

Il est remarquable qu’à quelques jours d’écart on apprend à la fois l’existence de manœuvres militaires conjointes USA-Japon-Australie en mer de Chine, manœuvres désignant ouvertement la Chine comme ennemi potentiel et… la signature sous l’égide de la même Chine d’un accord de libre échange Asie Pacifique par quinze pays… dont le Japon et l’Australie. Manœuvres militaires, d’accord, mais par ailleurs « business is business ».

Cet accord constitue incontestablement un succès pour la Chine comme l’accord imminent entre la Chine et l’UE sur les investissements mutuels. Il est d’autant plus difficile de se faire une idée précise de ce dernier accord que son contenu est tenu secret. Mais il ressort des commentaires qu’il facilite les investissements mutuels dans une série de domaines économiques décisifs tels que la voiture électrique ou les énergies renouvelables. C’est comme toujours un accord des forts (en l’occurrence la Chine et l’Allemagne qui s’estime assez robuste pour penser qu’elle a plus à gagner qu’à perdre à la libéralisation des flux d’investissements) contre les faibles (La France à l’inverse a tout à craindre de cette libéralisation pour ses propres entreprises capitalistes).

Le Brexit, un compromis imposé par l’Allemagne

En Europe, l’accord avec la Chine est une nouvelle manifestation de la suprématie allemande, qui elle non plus entend ne pas se soumettre aux USA comme l’indique le « Nein » de Merkel à l’injonction américaine de boycotter Huawei.

Une autre manifestation de cette suprématie est la signature finale de l’» accord » sur le Brexit.  L’essentiel pour l’Allemagne était d’écarter la perspective d’un no deal qui aurait représenté un coup porté à ses intérêts de première puissance industrielle et commerciale en Europe. De ce point de vue l’objectif est atteint, puisqu’il n’y aura ni droits de douanes, ni quotas imposés sur le commerce des marchandises, et les services entre l’UE et le Royaume-Uni. Il faut néanmoins mettre des guillemets à  cet « accord » tant il est clair que loin de conduire à un règlement pacifié des antagonismes commerciaux, cet accord ouvre au contraire la voie à mille controverses, mesures et contre-mesures de rétorsion entre les différentes composantes de l’UE et la Grande-Bretagne.

Cela vaut en particulier concernant la perspective pour le Royaume-Uni de se transformer en « Singapour sur Tamise » en s’octroyant le droit, outre l’accès au marché unique sans droits de douanes, d’adopter des mesures dérogatoires en matière fiscale et sociale pour exercer une concurrence « déloyale » à l’égard des économies des États de l’UE. Contre une telle perspective, qui a été avancée quand même à plusieurs reprises par Londres, l’accord passé prévoirait la possibilité d’imposer des droits de douane « en cas de distorsion trop importantes des règles de concurrence ». Mais qu’entend-on par « trop importantes » ? Et puis imposer des droits de douane nécessiterait de la part des États européens qu’ils se mettent d’accord sur les mesures de rétorsion à appliquer, ce qui n’irait pas de soi au vu des intérêts commerciaux divergents des États européens.

Il n’empêche : si fragile et branlant que soit l’» accord », l’Allemagne a en tout cas pour l’instant obtenu la garantie pour elle essentielle : pas de taxe dans l’immédiat, donc pas de renchérissement des marchandises allemandes destinées à la Grande-Bretagne, et pas non plus de renchérissement des marchandises fabriquées en Grande-Bretagne parfois – par exemple dans le secteur de l’automobile – au compte de trusts allemands. Ainsi la compétitivité allemande par rapport au reste du monde se trouve préservée.

On peut donc dire que si fragile que soit ce succès, l’accord sur le Brexit constitue pour l’Allemagne un succès. Quant à Johnson, ses rodomontades et cris de triomphe pourraient bien ne pas durer. D’une part, il est incontestable que dans cette affaire, la City, c’est-à-dire le secteur financier britannique a laissé quelques plumes, perdant un peu de sa latitude à vendre ses « produits financiers » en Europe, même si, à cet égard de nouvelles négociations doivent encore avoir lieu. Il fallait que quelqu’un le rappelle à Johnson, et c’est Blair, l’ancien dirigeant du Labour Party, qui s’est évidemment dressé en défense du capital financier britannique. D’autre part, l’accord est lourd de menaces de dislocation pour le Royaume-Uni. L’Irlande du Nord est de facto rattaché à l’Union européenne, puisqu’il n’y a pas de frontière douanière entre les deux parties de l’Irlande, et la pression pour l’indépendance de l’Écosse va aller crescendo, même si pour les indépendantistes, il y a loin encore de la coupe aux lèvres.

Johnson aura malgré tout au moins obtenu un succès. Il lui a été offert par la direction du Labour qui, toute honte bue, a, par la voix de Starmer, voté et appelé à voter pour l’accord aux Communes, offrant ainsi un soutien appréciable à Johnson au moment où le gouvernement de ce dernier est en sérieuse difficulté.

Or parmi les nombreuses raisons de ne pas apporter de soutien à cet « accord », il en est une qui doit être soulignée : le fait qu’il est tourné contre la jeunesse et contre le prolétariat, en particulier sa fraction immigrée. Le fait est qu’en vertu de cet accord, tant le coût des études des étudiants britanniques en Europe que celui des étudiants européens faisant une partie de leur cursus en Grande-Bretagne va être si brutalement augmenté qu’il constituera pour toute une partie de la population étudiante un obstacle infranchissable.

Quant à l’immigration, il faut rappeler que c’est au nom de la lutte contre l’immigration qu’une large partie du personnel politique bourgeois s’était prononcée pour le « Leave » ( « quitter ») en 2016.

Ils peuvent être sur ce plan satisfaits. Le Monde explique pourquoi l’accord, outre le fait qu’il ferme la porte à l’immigration depuis le 1er janvier, va précipiter dans l’illégalité des dizaines de milliers d’immigrés en Grande-Bretagne venant des autres pays d’Europe :

« Le compte à rebours est presque terminé. Jusqu’au 31 décembre à minuit, un citoyen de l’Union européenne qui s’installerait au Royaume-Uni aura le droit automatique d’y vivre et d’y travailler. Le lendemain, il sera trop tard et un permis de travail sera requis.

« Avec l’entrée en vigueur des accords post-Brexit, les Européens vivant au Royaume-Uni vont donc se diviser en deux groupes distincts, selon leur date d’arrivée dans le pays. Mais comment les distinguer ? Dans un pays qui n’a ni carte d’identité ni base de données centralisée de la population, les autorités britanniques ont dû se lancer dans un immense exercice d’enregistrement des quelque 3,7 millions d’Européens résidant outre-Manche. Ceux-ci ont jusqu’au 30 juin 2021 pour s’y inscrire. Au-delà, ils tomberont dans l’illégalité. »

« De nombreuses associations tirent la sonnette d’alarme, craignant que des dizaines de milliers de personnes, peut-être plus, soient en train de passer entre les mailles du filet. “A terme, il va y avoir beaucoup de tragédies individuelles”. »

Mais ce sont bien les migrants en provenance d’Afrique, du Proche-Orient ou de l’Asie qui seront le plus affectés par le Brexit.

D’abord, des mesures beaucoup plus restrictives prévaudront pour les exilés mineurs qui jusqu’alors pouvaient entrer sur le territoire britannique s’ils venaient rejoindre un membre de leur famille. Il sera aussi beaucoup plus difficile pour les adultes de pouvoir faire une demande pour rejoindre leur conjoint déjà présent au Royaume-Uni.

Par contre, les accords du Touquet adoptés en 2003 entre le Royaume-Uni et la France pour que cette dernière empêche les migrants de rejoindre le Royaume-Uni ne sont nullement remis en cause et sont même aggravés. En effet, alors que les négociations sur le Brexit étaient dans leurs dernières semaines, un accord, dans la continuité des précédents, a été signé entre ces deux pays le 28 novembre 2020. Le site France terre d’asile indique : « Parmi les nouvelles mesures annoncées, Priti Patel [Secrétaire d’État britannique à l’Intérieur] a indiqué le doublement, dès le 1er décembre, des forces de l’ordre françaises mobilisées sur le littoral, sans en préciser le nombre précis. Les autorités britanniques se sont engagées à investir 31,4 millions d’euros pour “soutenir les efforts importants de la France contre les traversées irrégulières”, notamment par le déploiement de drones et de radars pour surveiller les tentatives de traversées. »

Il faut noter que ce sont 9 551 migrants (soit quatre fois plus qu’en 2019) qui ont tenté, sur des embarcations de fortune, de rejoindre les côtes anglaises au péril de leur vie. Au moins 6 en sont morts et au moins 3 ont disparu. Empêchés de quitter la France où ils n’ont aucune attache, harcelés et persécutés constamment par les policiers qui détruisent leurs campements et leurs tentes et empêchent leur ravitaillement par les associations humanitaires, tel est le sort que leur réserve le gouvernement Macron-Castex-Darmanin conjointement avec la maire de Calais.

La situation que l’accord fait aux travailleurs immigrés concentre son caractère archi-réactionnaire.

Le capitalisme français de plus en plus relégué

Tant sur le Brexit que sur l’accord sur les investissements avec la Chine, la France n’a pu prétendre jouer aucun rôle réel. Bien sûr Macron, officiellement, « se félicite » : « L’Europe, L’Europe... la cohésion de l’Europe… L’Europe a tenu ». Mais ce discours est un cache-misère. C’est l’Allemagne qui décide. Voilà la réalité brutale. Sur l’accord avec la Chine, le gouvernement français n’était pas pressé. Merkel, si ! Donc l’accord a été adopté. Sur le Brexit, Macron depuis des mois et des mois a adopté la posture de l’» intransigeance », agitant en dernier recours la question de la pêche. Mais  l’Allemagne n’avait qu’une obsession : pas de droit de douanes sur les marchandises ! Et l’Allemagne a gagné. Macron se félicite, mais Le Drian déclare : « Il faudra lire précisément l’accord pour savoir si les intérêts de la France sont préservés ». Ce n’est pas exactement une réaction enthousiaste.

Telle est la vérité des prix. Macron a pesé ce que pèse l’économie française, donc de moins en moins. Le désastre de Sanofi obligé de retarder la mise sur le marché de son vaccin à cause des « résultats décevants » et malgré les dizaines de millions d’euros généreusement alloués par le gouvernement a valeur de symbole.

Les Echos du 9 octobre dressait déjà ce verdict impitoyable :

« Cela commence à faire beaucoup. En août, la balance commerciale en biens de la France a accusé un déficit de 7,7 milliards d’euros, selon les chiffres donnés ce mercredi par les Douanes. Sur les douze mois, le déficit commercial dépassait en août 67 milliards d’euros, contre 58 milliards sur l’ensemble de 2019.

Pourtant, « la facture énergétique pourrait diminuer cette année de 10 à 15 milliards d’euros en raison de la baisse du prix du pétrole. Or, historiquement, les phases de récession entraînent un recul des prix de l’or noir et coïncident de ce fait avec une amélioration du déficit commercial français » remarque Denis Ferrand, directeur général de l’institut Rexecode. »... « Au-delà du seul secteur aéronautique, les exportations françaises ont aussi du mal à remonter. Elles ne représentent que 83 % de leur niveau moyen de 2019. Le risque de désindustrialisation du pays est donc bien réel. Les importations sont reparties plus vite avec la hausse de la consommation qui a suivi le déconfinement. Ainsi, celles-ci étaient en août à 91 % de leur niveau moyen de l’an passé. Et les exportations françaises de produits industriels ne représentent plus que 80 % des importations de ces mêmes biens. Un niveau très faible que le pays n’avait jamais atteint. »

L’avenir est plus sombre encore. Le Monde du 24 décembre évoquant la fin des « aides »  exceptionnelles (prêts garantis par l’État, chômage partiel) en déroule les conséquences :

« Selon l’assureur Euler Hermes, le nombre de faillites va passer de 33 000 en 2020 à 50 000 en 2021 puis 60 500 en 2022. Environ 180 000 emplois seraient ainsi détruits en 2021, estime Eric Heyer, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). L’accélération des faillites pourrait même jouer le rôle d’une bulle, en se répercutant sur les divers créanciers des entreprises : banques, fournisseurs, bailleurs, État…, analyse David Cayla, chercheur au Groupe de recherche angevin en économie et management (Granem) et maître de conférences à l’université d’Angers. Elle déclencherait alors un redoutable mécanisme de propagation de la crise depuis les secteurs les plus touchés (hôtellerie, restauration, loisirs, tourisme…) vers d’autres pans de l’économie, voire vers la sphère financière. »

Que faire ?  Prolonger encore les prêts et les mesures de chômage partiel ? Oui mais… la dette enfle à une cadence infernale. Sans doute augmente-t-elle partout, mais ce n’est pas la même situation en France (plus de 120 % en 2020) et en Allemagne (75%). La seule politique possible au compte de la bourgeoisie française : frapper sans relâche le prolétariat (voir plus bas) sans garantie par ailleurs que cela suffise à rétablir la situation…

L’impérialisme français aux abois

Comme un reflet de cette situation économique est la situation politique de l’impérialisme français. En Afrique, chaque jour apporte une mauvaise nouvelle supplémentaire. La République centrafricaine sombre chaque jour davantage dans le chaos. Les élections présidentielles dont l’impérialisme français exigeait qu’elles se tiennent se sont tenues… dans une situation où les deux tiers du pays sont hors contrôle. Et, humiliation supplémentaire, la France a été supplantée auprès du gouvernement « légal »… par la Russie. Des élections ont aussi eu lieu en Côte d’Ivoire, après que les opposants ont été empêchés de se présenter avec le soutien ouvert de la France à Ouattara, le président « élu ». Rien n’indique que cette élection garantisse la moindre stabilité. Elles ont aussi  commencé au Niger, qui dirige actuellement le G5 qui coordonne la lutte « anti-djihadiste » au Sahel, et tant la France que les gouvernements africains soumis à l’impérialisme se sont félicités de leur « tenue ». Mais nul ne s’aventure, sauf les cortèges militaires armées jusqu’aux dents, dans le Nord du pays. C’est du reste sous la seule protection de ces cortèges que peut être acheminé l’uranium à destination des centrales nucléaires françaises.

Il y a un an, à Pau, Macron convoquait les chefs des régimes fantoches asservis à la France, leur faisait rudement la leçon sur les insuffisances de leur engagement, annonçait l’envoi de 600 soldats supplémentaires. Ont suivi, en particulier les mois derniers, les communiqués de victoire du ministère des Armées. Pourtant, dans les quinze derniers jours, cinq militaires français ont sauté sur des mines, manifestation parmi d’autres du fait que la France et ses alliés n’arrivent pas à maîtriser la situation. Et puis, il y a cette interview du général Lecointre, chef des Armées, dans Le Monde du 17 décembre qui fait entendre un son de cloche qui n’est pas celui du triomphe :

« Le chef d’état-major des armées ne s’en cache pas. Il pousse depuis un certain temps pour un retrait partiel de ses troupes : “Dès que je pourrai limiter le niveau d’engagement de mes armées  je le ferai”, assume-t-il. »…

Et de se plaindre du manque de cœur à l’ouvrage des alliés locaux :

« “Nous souhaitons que les Maliens nous aident à les aider. Il y a du travail”, a lâché sans ambages le général Lecointre à la presse malienne à l’issue d’une rencontre avec le président de la transition Bah N’Daw, le 11 décembre, à Bamako. Comme d’autres, le chef d’état-major des armées regrette les gages de façade donnés, selon lui, à la communauté internationale par les équipes de l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta, renversé par un coup d’État en août. “A chaque fois que je viens, je le dis : il n’y a pas de rente de situation. Il faut toujours rappeler que l’on va lâcher le porte-bagages”, insiste-t-il. »

Pour conclure : « On ne négociera jamais avec les terroristes. Mais il faudra bien trouver une solution politique. Un soldat doit savoir pactiser. C’est un devoir. Pour moi ce n’est pas une question morale. On ne pourra pas faire la paix au Mali sans une vaste réconciliation qui dépasse les critères occidentaux. C’est ma conviction. »

La « réconciliation qui dépasse les critères occidentaux », autrement dit qui passe par-dessus bord les arguments de défense des « valeurs » qui camouflaient la défense des profits liés à l’extraction des matières premières annonce en fait une évolution « à l’afghane » de la position de l’impérialisme français. C’est en tout cas la position du général Lecointre, même s’il n’est pas certain que ce soit à ce stade celle de Macron. Mais on ne peut exclure le retrait progressif des troupes dont l’entretien est désormais au-dessus des forces de l’impérialisme français en essayant de négocier au mieux avec les futurs maîtres de la région la perpétuation du pillage des richesses de la région. Et là encore sans garantie quant au résultat final…

Chômage de masse et plans de licenciement

Si l’on en revient à ce qui se passe en France même, il faut bien sûr commencer par indiquer que c’est le prolétariat et la jeunesse qui paient durement la crise, en particulier sous la forme de la brutale augmentation du chômage. L’INSEE indiquait déjà en novembre :

« Au troisième trimestre 2020, le nombre de chômeurs au sens du BIT atteint 2,7 millions de personnes en France (hors Mayotte), en hausse de 628 000 personnes. Sur le trimestre, le taux de chômage au sens du BIT bondit de 1,9 point, à 9,0 % de la population active, après une baisse de 0,7 point le trimestre précédent. Il se situe 0,9 point au-dessus de son niveau d’avant-crise sanitaire au quatrième trimestre 2019. »

Le chiffre de 628 000 chômeurs supplémentaires sera nécessairement largement majoré au quatrième trimestre. Il faut en outre répéter que le chiffre « officiel » du chômage n’intègre pas le « halo » du chômage, c’est-à-dire la fraction de la population réellement privée d’emploi mais qui a officiellement renoncé à en chercher. Si on intègre le fait que le cumul des différentes catégories de chômeurs (A, B, C) aboutit au chiffre de plus de 6 millions, si on y ajoute que le chiffre du « halo du chômage » a considérablement augmenté en 2020, et qu’il était déjà évalué en 2019 à 1,7 million de personnes, la réalité du chômage dans le pays est selon toute probabilité largement au-dessus des 8 millions de personnes.

Il est régulièrement grossi non seulement des faillites qui frappent les petites entreprises, artisanales et commerciales, mais aussi des plans de suppressions de poste qui ont déferlé en cascade au cours de ces derniers mois : Airbus, Renault (où l’usine historique de Flins ne produira plus le moindre véhicule), Vallourec, Auber et Duval, Sodexo, Société Générale, Danone… La liste n’est pas complète et ne cesse de s’allonger. En cumul entre le 1er mars 2020 et le 3 janvier, 80 379 ruptures de contrats de travail ont été envisagées dans le cadre de PSE. C’est  « près de trois fois plus que sur la même période en 2019 », où ce chiffre était de 29 467, précise la direction des statistiques (Dares), qui souligne que 763 PSE ont été initiés depuis mars (contre 410 sur la même période en 2019).

Le patron de Danone vient, avec cynisme, de donner les raisons de son plan de licenciements. La marge opérationnelle de Danone (rapport entre le résultat d’exploitation et le chiffre d’affaires) est pourtant conséquente, puisqu’elle s’élève à 14 %. Mais déclare-t-il : « A partir du moment où ses concurrents proposent (Nestlé, Coca Cola ndlr) des rendements supérieurs, son groupe ne peut se laisser distancer ». Le plan de licenciements est fait pour atteindre le nouvel objectif de 20 % de marge. C’est là une expression saisissante de la façon dont l’activité économique et la marche de la société se trouvent soumises aux exigences du capital financier qui, tel un parasite, exige de prélever sur elles un tribut toujours plus lourd. Et ce qui s’annonce est pire. Dans le transport aérien, est à l’ordre du jour la suppression de la moitié des postes de personnel au sol, un plan social de grande envergure se prépare à la SNCF : ce ne sont que quelques exemples.

Pour sortir de la terrible impuissance du prolétariat : la seule issue

Le constat majeur, face à cette déferlante de plans de licenciements, c’est la terrible impuissance dans laquelle se trouve le prolétariat, constat qui du reste ne vaut pas seulement pour la France, mais aussi au minimum pour toute l’Europe, voire pour l’ensemble des pays capitalistes avancés.

Plutôt que de mettre en accusation les travailleurs eux-mêmes, comme le font en permanence les bureaucrates syndicaux cherchant à camoufler leur propre responsabilité, il faut comprendre le pourquoi de cette impuissance. Les travailleurs savent bien que les licenciements qui frappent leur entreprise procèdent de la situation économique d’ensemble. A Renault, ils mettent les licenciements en relation avec le formidable rétrécissement du marché automobile (une baisse de 25 % entre 2019 et 2020) ; à Air France, avec la baisse massive de la fréquentation du transport aérien. En même temps, ils voient bien les besoins immenses non satisfaits à l’échelle sociale : l’épouvantable pénurie de personnels hospitaliers, d’enseignants, le délabrement des services publics en général, du transport collectif, la criante pénurie de logements à des prix abordables en particulier pour les familles ouvrières et populaires.

La satisfaction du mot d’ordre aussi vieux que le mouvement ouvrier lui-même : Droit au travail ! Supposerait donc que soit organisé par les directions du mouvement ouvrier le combat d’ensemble sur les revendications permettant de le garantir : échelle mobile des heures de travail (partage du travail entre toutes les mains disponible sans diminution de salaire), création des postes là où existent les besoins sociaux criants (santé, enseignement, construction de logements, transports collectifs).

Personne ne peut penser une seule seconde que la satisfaction de ces revendications pourrait être obtenue sans que soit remise en cause la domination du capital, en clair que soient expropriés les grands moyens de production, les banques, les grandes entreprises commerciales. En ce sens, Léon Trotsky écrivait en 1935 :

« La plus immédiate de toutes les revendications doit être l’expropriation des capitalistes et la nationalisation (socialisation) des moyens de production. Cette revendication est irréalisable sous la domination de la bourgeoisie ? Évidemment. C’est pourquoi il faut conquérir le pouvoir. »

(Encore une fois, où va la France ? II. Les revendications immédiates et la lutte pour le pouvoir, fin mars 1935)


Le premier pas d’un tel combat d’ensemble consisterait, pour les directions syndicales, à organiser une conférence nationale des délégués d’entreprise élus et mandatés par les travailleurs réunis sur la première et élémentaire exigence : pas un seul licenciement, annulation de tous les plans de suppression d’emploi !

Les appareils syndicaux se vautrent dans le soutien pur et simple aux plans de licenciements.
Un exemple : Michelin

Mais ce que voient les travailleurs, c’est une toute autre politique des appareils syndicaux, celle du soutien sans fard aux plans de licenciement.

Un exemple est particulièrement illustratif, celui de Michelin.

Michelin vient d’annoncer un plan de 2 300 suppressions de poste, dont 40 % de licenciements purs et simples (sous forme de rupture conventionnelle). La production de masse de pneus à bas coût en particulier d’origine chinoise restreint considérablement la place de Michelin sur le marché du pneumatique, le confinant dans des productions spécifiques ou haut de gamme.

Le plan de Michelin a été immédiatement salué par Bianchi, maire PS de Clermont-Ferrand dans ces termes : « Michelin le fait avec ses méthodes habituelles, de concertation et également sur la base de départs volontaires. On assiste plus à une restructuration pour être compétitifs qu’à de réels licenciements. On aimerait que d’autres entreprises, quand cela arrive, le fassent avec autant de bienveillance. »

Mais il faut aussi citer les réactions des appareils syndicaux.

CGC (majoritaire sur le site de Clermont-Ferrand) : « Nous allons être très vigilants...Nous voulons avoir une vision d’ensemble du projet que nous ne remettons pas en cause ».

SUD : « Il n’y a aucun investissement dans le projet. Sans investissement, il n’y a pas de projet industriel… Ce n’est pas comme ça qu’on fait de la co-construction ».

CFDT : « Nous sommes pour la co-construction mais en confiance et avec une volonté commune et un objectif partagé ».

CGT : « Les négociations vont être très compliquées puisque les décisions sont prises. Nous allons essayer d’obtenir le maximum et de préserver les sites en demandant des investissements et des embauches de personnel au lieu de suppressions de poste ».

A noter le cynisme particulier du dirigeant CGT qui ne se prononce en aucun cas pour le retrait du plan qu’il annonce aller négocier… tout en demandant l’embauche de personnel !

C’est au mur de la politique des appareils syndicaux que la classe ouvrière se trouve confrontée, sans avoir à ce stade les forces de le franchir.

Une rafale de journées d’action pour pimenter la politique
de « co-construction » avec le gouvernement et le patronat

Une des pièces essentielles de cette orientation des appareils syndicaux, c’est la rafale de journées d’action « culminant » dans celle du 4 février.

Cette rafale de journées d’action est ainsi annoncée dans le communiqué intersyndical du 22 décembre :

« Nos organisations décident d’impulser un processus de mobilisations et d’initiatives tout au long du mois de janvier et début février pour la préservation et le développement de l’emploi et des services publics, contre la précarité. »…

« C’est pourquoi, les organisations CGT, FSU, Solidaires, UNEF, UNL, MNL, FIDL proposent un processus de mobilisations et initiatives dès le mois de janvier. Des déploiements locaux, des tractages et des assemblées générales doivent se tenir sur les lieux de travail et dans les territoires. Ils permettront de faire de la deuxième quinzaine de janvier une période de mobilisations professionnelles pour l’emploi avec notamment 3 journées phares dans la santé le 21, l’éducation nationale le 26 et dans l’énergie le 28 janvier. »

Dans cet appel ne sont à aucun moment mentionnées face au déferlement des plans sociaux la nécessité de formuler la revendication : aucun licenciement, celle d’un combat centralisé contre les plans de restructuration alors que c’est aujourd’hui ce qui concentre la défense du droit à l’emploi. De même, l’appel intersyndical pour le 4 ne souffle mot des concertations organisées boîte par boîte pour licencier et laminer les droits ouvriers. Cela vaut acceptation, le message adressé aux responsables syndicaux locaux est clair : c’est allez-y, il n’y a pas d’autre solution. Au final, ce que recouvre cet appel, c’est une prise en charge du dispositif mis en place par le gouvernement pour restructurer et organiser les licenciements avec un échelonnement de journées d’actions pour donner le change.

L’offensive gouvernementale ne faiblit pas

Car l’offensive gouvernementale ne faiblit pas. Outre la brutale accélération de la mise en place de l’État policier (voir plus bas), il ne se passe pas un jour sans que le gouvernement n’annonce une nouvelle offensive. Dans les hôpitaux les fermetures de lits et de postes se poursuivent à un rythme intense. Dans le Grand Est, confronté à une violente reprise de l’épidémie, 598 postes supprimés à Nancy. Idem à Reims, avec 184 suppressions de lits (24 % des capacités), 256 à l’APHP, 200 à Caen, 202 à Nantes, 150 à Marseille.

Dans l’enseignement, après l’adoption de la LPR (Loi de programmation de la recherche – voir dans ce numéro : « Les militants interviennent »), une véritable opération de pulvérisation du caractère national de l’enseignement est à l’œuvre : après le « protocole sanitaire » à la carte, instaurant une inégalité patente entre les élèves, Blanquer a décidé de la liquidation des critères nationaux prévalant pour les réseaux d’éducation prioritaire auxquels seront substitués des « contrats d’établissements » mettant en concurrence les établissements entre eux, de la liquidation du bac à travers l’extension du contrôle continu et même d’un décret permettant la modification à tout instant du contenu même des épreuves, de la liquidation de la formation des enseignants (les étudiants seront jetés devant les élèves « en formation alternée » pour 800 euros par mois) : tout cela sur un fond de répression inédit dans sa violence (sanctions, mutation d’offices, mises à pied : après le lycée de Melle, le lycée Mauriac de Bordeaux).

Ces mesures s’inscrivent dans un projet plus vaste de dislocation de la Fonction publique et des services publics contenu dans le projet de loi dit « 4D » (décentralisation, déconcentration, différenciation, décomplexification). S’il était adopté, en vertu du principe de « différenciation » les préfets acquerraient le pouvoir de prendre des mesures dérogatoires au statut général. Sortiraient de la Fonction publique d’État nombre de fonctionnaires (par exemple, les médecins scolaires). La Fonction publique hospitalière serait disloquée à travers la possibilité donnée aux collectivités locales de recruter du personnel hospitalier. Serait mise en œuvre la privatisation d’une partie du réseau routier et ferroviaire.

L’État policier en marche accélérée...

Mais c’est sans doute dans la mise en œuvre de l’État policier que l’offensive de Macron est la plus brutale.

Les deux derniers mois ont vu s’accumuler un ensemble de lois, projets de loi, décrets qui sont autant de coups mortels contre les libertés démocratiques :

La LPR prévoit de sanctionner d’une peine allant jusqu’à trois ans de prison toute « intrusion » dans les universités non autorisée. Cela peut concerner aussi bien une assemblée générale improvisée qu’un rassemblement au siège du Conseil d’administration, par exemple contre des suppressions de poste ou de formation. Sans doute, le Conseil constitutionnel vient de censurer cette partie de la loi. Mais le passé montre assez que ce genre de proposition un temps écarté finit toujours par réapparaître.

La loi « confortant les principes de la République » (anciennement nommée loi « contre le séparatisme ») permet notamment de punir d’une peine allant jusqu’à 5 ans de prison toute diffusion publique d’information  sur l’identité de fonctionnaire « dans une intention malveillante ». Sous couvert de protection des enseignants, il s’agit surtout de protéger les flics et d’interdire la dénonciation de leurs exactions. C’est aussi un instrument permettant de manière totalement arbitraire et sans limite de dissoudre n’importe quelle association ou organisation. La procédure ayant conduit à la dissolution du Collectif contre l’Islamophobie – quoiqu’on pense de l’orientation de ce collectif, c’est une véritable forfaiture de lui imputer la responsabilité de l’assassinat de Samuel Paty – en donne un avant-goût. Le Monde du 1er janvier indique :

- [Le projet de loi] « confortant le respect des principes de la République » adopté en conseil des ministres le 9 décembre prévoit dans son article 8 d’élargir les motifs de dissolution administrative d’une association, « de manière à réduire les cas où une telle mesure ne peut être mise en œuvre en raison d’un défaut de base légale » (souligné par nous), lit-on dans l’étude d’impact. Pour cela, le texte prévoit notamment « la possibilité d’imputer à une association ou à un groupement de fait les agissements qui sont soit commis par des membres agissant en cette qualité, soit directement liés aux activités de cette association ou de ce groupement. »

- la publication de trois décrets le 4 décembre permettant un fichage général aussi bien au nom de la « prévention des atteintes à la Sécurité publique »… que comme préalable à certains recrutements de la Fonction publique. Parmi les éléments des fiches ainsi constitués sur des centaines de milliers de personnes dans le pays figurent « les opinions politiques », « les convictions philosophiques et religieuses », « l’appartenance syndicale », « les données de santé révélant une dangerosité particulière », « les comportements et habitudes de vie » (sic), » les déplacements et pratiques sportives » (sic).

- Mais surtout, au cœur de l’offensive, la loi Sécurité globale comprend un véritable arsenal de mesures menaçant de prison ferme la diffusion de toute vidéo ou image d’interventions policières lors de manifestations. Elle permet aussi l’armement des polices municipales, la possibilité pour des entreprises de sécurité privée d’effectuer des contrôles et de prendre des mesures jusqu’ici l’apanage des fonctionnaires de police.

Les appareils syndicaux  refusent d’appeler
à manifester à l’Assemblée nationale le 17 novembre et d’organiser le moindre combat…

Le 17 novembre, figurait à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale à la fois le vote de la LPR et l’ouverture de la discussion sur la « loi Sécurité globale ». Dans les jours qui précédaient, quasi silence des directions syndicales CGT, FO, FSU, UNEF sur la loi Sécurité globale. Il faut d’ailleurs préciser : d’un long communiqué de l’appareil FO ressort surtout… le souci de l’appareil FO de la sécurité des policiers !

Toutefois, les syndicats de journalistes directement dans la ligne de mire du gouvernement du fait de l’interdiction qui leur est faite de rendre compte des manifestations en vertu de l’article 24 de la loi appellent à un rassemblement à l’Assemblée nationale en compagnie notamment de la LDH.

Le jour même de la manifestation, en date du 17, la direction de la CGT sort un communiqué appelant au rassemblement à l’Assemblée nationale… à 16 heures. C’est à se demander si le communiqué n’est pas postérieur… au rassemblement lui-même. C’est une mascarade ! Mais il faut reproduire l’orientation sur laquelle se situe ce communiqué :

« Le tout sécuritaire ne peut être la réponse à la crise que traverse notre société. Les solutions sont à trouver par une autre répartition des richesses, par une politique marquée du sceau de la justice et du progrès social et la mise à bas des politiques d’austérité menées ces dernières années par les gouvernements successifs.

Pour la CGT, la « sécurité » de demain doit être au service de toute la population et assurée par un service public uniforme sur tout le territoire ; dotée de moyens humains et matériels ; contrôlée par la population de façon démocratique et être garante de la devise de la République : Liberté - Égalité – Fraternité. »

Pas un mot n’est dit pour le retrait du projet de loi. Par contre, la CGT se prononce pour une « bonne police » « dotée de moyens humains et matériels » (pour cela, Macron et Darmanin s’en occupent).

Le 17 à l’Assemblée, les flics interviennent violemment, des journalistes sont embarqués en application anticipée de la loi.

L’appareil policier, quant à lui, sous la houlette du préfet Lallement, reçoit le message « cinq sur cinq ». Quelques jours plus tard, un rassemblement de migrants qui avaient été précédemment expulsés de leur campement, est violemment matraqué par les flics place de la République. Puis un producteur de musique est tabassé jusque dans son studio. Bref ! Les chiens sont lâchés.

...mais une partie des travailleurs et de la jeunesse passent outre

Le 21 novembre, des manifestations sont convoquées un peu partout en France par des collectifs à composition variée. Les directions syndicales CGT, FO, FSU y brillent encore la plupart du temps par leur absence. Mais dans un certain nombre de villes, à Paris mais aussi à Toulouse, Montpellier, la participation est significative, avec une présence importante de la jeunesse.

Dans les organisations elles-mêmes, des voix de plus en plus pressantes se font entendre contre la scandaleuse position des appareils centraux. Le 24 et le 25, se tient le Conseil national de la FSU. Sous la pression des syndicats nationaux, la direction de la FSU est contrainte d’ajouter – ce qu’elle avait exclu au départ – le mot d’ordre de retrait du projet de loi Sécurité globale. Le 28 à Paris, les Unions régionales Ile-de-France CGT, FO ainsi que la FSU et l’UNEF appellent à la manifestation.

Le 12 décembre, les appareils syndicaux donnent à Darmanin un blanc seing
pour le « sabotage » (Mediapart) du droit de manifester

Le gouvernement quant à lui, manœuvre. Le groupe parlementaire LREM annonce qu’il va « réécrire » l’article 24 du projet de loi. Castex nomme une commission. Larcher juge quant à lui que c’est au Sénat de « réécrire » le texte. Les polémiques s’étalent dans la presse. Parler de « crise » serait trop dire. Mais on sent bien qu’il suffirait que les organisations dans l’unité appellent à manifester au siège du pouvoir pour le retrait des lois liberticides pour que ces dernières passent à la trappe. C’est précisément ce que veulent éviter les appareils.

A chaque manifestation, Darmanin et Lallement multiplient provocations policières et arrestations, aidés sans doute d’agents provocateurs à l’intérieur même des cortèges. Le prétexte est tout trouvé par les appareils syndicaux qui annoncent solennellement que le 12 décembre à Paris, ils n’appelleront pas à manifester.

Lallement et Darmanin entendront parfaitement le message. La manifestation du 12 à Paris - à laquelle continuent à appeler un certain nombre d’organisations, mais ni la CGT ni FO, ni la FSU, ni l’UNEF se tient entre deux rangées de flics serrant les manifestants au plus près. La manifestation est ensuite nassée, chargée à des dizaines de reprises tout au long du parcours : plus de cent manifestants sont arrêtés, gardés à vue 48 heures, la plupart étant ensuite relâchés sans suite judiciaire. Significativement, aucune « provocation » n’a pu être constatée ce jour-là par le service « enquêtes » de Mediapart, qui rend ses conclusions le 3 janvier en titrant sans détour que « les forces de l’ordre ont saboté la manifestation du 12 décembre 2020 » ! C’est que, une fois obtenue la capitulation des dirigeants syndicaux, cela n’est même plus nécessaire. Quant aux manifestations ultérieures en province (comme à Nantes le 19 décembre), elles sont ensuite purement et simplement interdites, manu militari.

Les appareils syndicaux n’avaient pas appelé à manifester le 17 novembre. Ils ont appelé à ne pas manifester le 12 décembre. Aujourd’hui, en lieu et place de l’organisation d’une puissante manifestation au siège du pouvoir pour défaire le gouvernement, ils multiplient ad nauseam les démarches auprès du Conseil d’État (lequel les a une première fois renvoyés dans les cordes). Et sont programmés deux samedis en janvier les habituelles « manifestations décentralisées », visant à éluder tout affrontement avec le gouvernement.

Jusqu’au bout, combattre pour la manifestation centrale au siège du pouvoir
pour le retrait des lois et décrets liberticides

Il n’y a aucune raison cependant de considérer que le gouvernement et les appareils syndicaux ont d’ores et déjà remporté la partie. Une fraction des travailleurs et en particulier de la jeunesse a non seulement manifesté sa disponibilité au combat contre l’État policier mais a en partie réussi à passer par-dessus les obstacles dressés par les appareils du mouvement ouvrier dans ce sens. C’est dans la continuité de ce qui s’est passé au printemps avec les deux puissantes manifestations de la jeunesse initiées par le Comité « Justice pour Adama Traoré ».

L’intervention des militants dans les organisations syndicales – par exemple au congrès national du SNCS (Syndicat national des chercheurs)-FSU, où une majorité, malgré l’appareil central du syndicat, s’est prononcée pour la manifestation centrale -, témoigne de l’écho que rencontre le combat sur cette orientation. Il faut bien sûr continuer ce combat jusqu’au bout.

Le prolétariat ne se laissera pas broyer

Si limités que soient les éléments manifestant une résistance des masses à la violente offensive des gouvernements au service du capital, offensive combinant remise en cause brutale de leurs conditions d’existence et violente attaque contre les libertés démocratiques, ils témoignent des développements de la lutte des classes à venir.

D’un côté il y a le désarroi des travailleurs qui s’alimente au manque de perspective politique, la paralysie dans laquelle les maintient la politique des appareils. De l’autre, il y a la nécessité dans laquelle ils se trouvent, et vont se trouver plus encore, de combattre pour assurer leur simple survie. De ces deux facteurs, historiquement, il est inévitable que le second finisse par l’emporter.

On le voit déjà dans un certain nombre de pays. En Algérie, la politique de « dialogue inclusif » avec le régime a fini par faire refluer le hirak, ce puissant mouvement qui pendant 18 mois a ébranlé le régime. Mais rien n’est réglé pour autant. Le referendum organisé par celui-ci a été un échec retentissant. Aujourd’hui, se multiplient les grèves ouvrières qui illustrent ce qui est écrit plus haut : le plus souvent, c’est contre les licenciements et pour le paiement des salaires impayés depuis des mois qu’elles se déclenchent.

Mais sans doute, c’est aujourd’hui en Inde – CPS aura probablement l’occasion d’y revenir - qu’ont lieu les événements les plus significatifs de la lutte des classes. Prenant le relai des manifestations de la jeunesse bravant la mitraille de Modi contre les lois racistes anti-musulmans du régime, puis de la grève ouvrière entraînant des dizaines de millions d’ouvriers et d’employés contre la liquidation du code du travail, et l’ensemble de l’offensive anti-ouvrière, ce sont aujourd’hui des dizaines de millions de paysans pauvres qui se sont engagés dans une mobilisation de grande ampleur contre les lois du même gouvernement Modi qui les condamnent à mort en liquidant les prix agricoles garantis. Des centaines de milliers d’entre eux ont en particulier convergé vers New Dehli aux cris de : « A mort Modi ! »

Mais on ne doit, ni en Inde ni ailleurs, enjoliver la réalité et camoufler les obstacles. Il est clair que toute la situation en Inde met à l’ordre du jour la grève générale, l’alliance ouvrière et paysanne pour en finir avec le gouvernement Modi, que la violence anti-ouvrière, l’organisation de véritables massacres anti-musulmans apparente à un gouvernement fascisant.

Mais les différents partis issus du stalinisme en Inde qui occupent une position de direction politique tant chez les paysans que dans la classe ouvrière mettent tout en œuvre pour éviter la chute du régime. Ils maintiennent la fiction d’un mouvement « pacifique » et « apolitique » et cherchent à attacher le mouvement au parti bourgeois du Congrès. Ils cherchent à éviter que se réalise l’unité des ouvriers et des paysans contre le régime.

En Inde comme dans tout autre pays, la question centrale à résoudre est celle de la direction révolutionnaire du prolétariat. C’est l’édification d’une telle direction révolutionnaire qui est partout indispensable pour permettre au mouvement du prolétariat, partant de sa résistance à l’offensive barbare du capitalisme en crise contre ses conditions d’existence, de se hisser jusqu’à la conquête du pouvoir politique. Car il n’est pas d’issue en dehors de la constitution de véritables gouvernements ouvriers, démantelant dans chaque pays l’appareil d’État bourgeois, expropriant le capital, socialisant les grands moyens de production pour permettre que la production soit organisée en fonction des besoins des larges masses et non plus de la réalisation du profit. Il n’est pas d’issue en dehors de la constitution, d’abord à l’échelle de parties entières de la planète, des États unis socialistes (États unis socialistes d’Europe, du Maghreb, d’Amérique latine, etc.) rejetant aux oubliettes de l’Histoire les vieux antagonismes nationaux que la crise du capitalisme fait resurgir avec force.

C’est vers la résolution de cette question de la direction révolutionnaire que tendent tous les efforts des militants regroupés autour de Combattre pour le Socialisme, qui entendent, à la modeste place qui est la leur, œuvrer à la construction du Parti ouvrier révolutionnaire, de l’Internationale ouvrière révolutionnaire.

 

Le 7 janvier 2021

 

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