Éditorial du
bulletin « Combattre pour le socialisme » n°77 (n°159 ancienne série)
- 23 septembre 2020 :
Pour
le prolétariat mondial, la catastrophe imminente
S’il y avait la moindre illusion d’un
retour « à la normale », c’est-à-dire à la situation antérieure à la
crise sanitaire, elle ne peut subsister davantage. L’effroyable crise du
système capitaliste, que la crise sanitaire n’a fait que précipiter davantage,
n’a manifesté que le début de ses conséquences ravageuses.
Le journal Le Monde indique par exemple sous le titre : « Deuxième vague de licenciements dans
le secteur aérien » : « American
Airlines envisage de licencier 19 000 de ses salariés d’ici au mois
d’octobre si elle n’obtient pas une nouvelle aide financière de la part des
pouvoirs publics. Pourtant en mars 2020, les autorités fédérales américaines
avaient déboursé 25 milliards de dollars (21,1 milliards d’euros) pour venir en
aide au secteur. Une manne qui devait servir, entre autres, à payer les salaires
des employés en septembre. Moins de 6 mois plus tard, les compagnies se
tournent vers Washington pour obtenir 25 milliards de dollars supplémentaires…
Les effectifs d’American Airlines pourraient ainsi passer de 140 000
salariés au début de la pandémie à seulement 1 00000 employés… Quand ce ne
sont pas des plans de licenciements, les compagnies ont recours à d’autres
dispositifs… Celles du Golfe, Emirates et Etihad, ont demandé à leurs
personnels navigants de prendre des congés sans solde… Au Royaume-Uni, British
Airways entend aussi tailler sensiblement dans ses effectifs. Pas moins de
12 000 salariés sont poussés vers la sortie, soit près de 28 % du
personnel… En vue d’assainir ses comptes, la compagnie est prête à recourir à
tous les expédients (…) Elle voudrait ainsi licencier des salariés pour les
réembaucher ensuite, mais avec des salaires jusqu’à 40 %
inférieurs. »
En relation avec la baisse drastique non
seulement du transport aérien, mais aussi du transport routier et ferroviaire,
les conséquences diffusent sur de nombreux secteurs. À commencer bien sûr par
le secteur pétrolier et parapétrolier. Le même journal Le Monde annonce 10 000 suppressions d’emploi chez BP, le
licenciement de 10 % du personnel chez Exxon Mobil. Le groupe
français Vallourec, fabriquant de tubes sans soudure, entre autres pour
l’industrie gazière et pétrolière, annonce le licenciement du tiers de son
personnel aux États-Unis, pendant que son cours à la Bourse plonge… De proche
en proche, la plupart des secteurs de production sont frappés par la pandémie
des licenciements massifs, de la baisse brutale des salaires, de la remise en
cause pour la classe ouvrière de toutes les garanties existantes.
Les conséquences effroyables de la crise
pour le prolétariat se manifestent dans tous les pays : de la première
puissance impérialiste, les États-Unis, jusqu’au plus peuplé des pays dominés,
l’Inde.
Dans le premier, le pourcentage de la
population active disposant encore d’un emploi est tombé à 55 %, ce qui
signifie en langage clair que presque un adulte sur deux en âge de travailler
est au chômage. Dans le second, un quart de la population ne dispose d’aucun
revenu. En quelques mois, près d’un quart des emplois salariés (19 sur 86
millions ont disparu), dans un pays où 9 emplois sur 10 relèvent de l’économie
informelle – et ne sont donc pas « officiellement » salariés. Dans
près de la moitié des États dudit pays, les gouverneurs ont décidé d’abolir
dans sa totalité le code du travail, la semaine de travail est de 72 heures,
toute manifestation ou grève est désormais interdite. Jusqu’où peut aller la
barbarie capitaliste à l’échelle mondiale ? L’Inde répond à cette question
et indique l’avenir promis à tout le prolétariat.
L’article consacré à la situation
économique dans ce numéro de Combattre
pour le socialisme explique plus précisément les ressorts de cette crise –
ou plutôt du brutal approfondissement de la crise qui n’a à vrai dire jamais
connu d’interruption depuis 2008. Mais il convient de cadrer l’analyse précise
par une appréciation nette : ce que cette crise révèle au grand jour,
c’est l’alternative devant laquelle l’Histoire plonge l’humanité.
Ou bien le prolétariat trouvera les
ressources politiques et les moyens organisés pour en finir avec le système
capitaliste, prendra le pouvoir, constituera dans chaque pays un véritable
gouvernement ouvrier. Transcendant les limites étroites des États nationaux,
ces gouvernements s’associeront finalement dans la République universelle des
conseils ouvriers, organiseront sur la base de la socialisation des moyens de
production et d’échange la production sur la base rationnellement définie de la
satisfaction des besoins sociaux dans le cadre de la préservation de ce qui en
est la condition sine qua non : la nature elle même. C’est le premier terme
de l’alternative.
Ou bien, faute de pouvoir se doter à
l’échelle nationale et internationale de l’instrument organisé de son
émancipation, à savoir des partis ouvriers révolutionnaires dans chaque pays,
d’une Internationale ouvrière révolutionnaire, alors, dans des conditions
toujours plus chaotiques et barbares, le système capitaliste et son moteur, le
profit pour la classe dominante, perdurera. Et dans ce cas, rien ne pourra
retenir l’humanité au bord de l’abîme. Il ne pourra alors y avoir d’autre
avenir que la misère, la famine pour une partie toujours croissante de la
population, la généralisation des régimes les plus tyranniques, seuls à même de
préserver dans la violence permanente contre les masses les conditions de
l’exploitation de la force de travail, et finalement la guerre à l’échelle
mondiale.
Le marxisme, qui nous donne les moyens
de comprendre la période historique dans laquelle nous sommes plongés et d’agir
à notre échelle sur cette situation, n’est pas un fatalisme. Aucun des deux
termes de cette alternative n’est assuré. Plus que jamais vaut la formule de
Trotsky : « la crise de
l’humanité se ramène à la crise de la direction révolutionnaire du
prolétariat ».
Intensification des conflits
inter-impérialistes : USA et Chine
L’intensification des conflits entre les
différentes puissances impérialistes est évidemment inséparable de
l’approfondissement de la crise. La transformation de cette crise en récession
mondiale, la possible mutation de cette récession en effondrement à brève
échéance concourt à l’exacerbation de ces conflits.
Au moment où le marché tend à se
rétrécir, où la lutte des différents capitalistes pour conquérir des positions
devient plus âpre encore, celle-ci se traduit politiquement par des
affrontements de plus en plus menaçants entre les États nationaux dans lesquels
les grands groupes capitalistes ont leur base.
Mais à ce contexte général, s’ajoute un
élément de première importance. Car c’est dans ce contexte que se constitue à
l’échelle mondiale une nouvelle puissance impérialiste : la Chine.
Exportation de capitaux – et pas seulement de marchandises ‑,
constitution de puissants monopoles capables de rivaliser, y compris dans les
secteurs technologiques les plus décisifs, participation à l’égal des vieilles
puissances impérialistes au pillage des richesses des pays dominés, domination
politique sur des régions entières du globe, en particulier via l’endettement
des États à son égard, constitution d’une gigantesque puissance militaire
– même si elle reste très inférieure à celle des États-Unis : telle
est l’évolution de la Chine au XXIe siècle. On ne peut donc plus
guère contester que malgré la faiblesse de sa monnaie dans les échanges
mondiaux, la Chine s’est transformée d’atelier du monde, confinée longtemps à
une industrie de main d’œuvre caractéristique d’un certain nombre de pays
dominés, en une véritable puissance impérialiste.
Mais la prétention de la Chine à prendre
place à la table des puissances impérialistes ne peut que susciter la plus
violente réaction des impérialismes plus anciens, à commencer par le premier
d’entre eux, l’impérialisme US. La Chine ne peut en effet prendre cette place
qu’en expulsant ses concurrents de places occupées par eux. Avec le
rétablissement du capitalisme à l’échelle de la planète entière, il n’y a plus
de terrain nouveau à investir. On ne peut agrandir sa zone de domination qu’en
en expulsant celui qui l’occupait précédemment.
La politique de Trump à l’égard de la
Chine de ce point de vue ne doit rien aux traits de caractère particuliers de
celui-ci. D’ailleurs, cette politique reçoit l’approbation tant du parti
républicain que du parti démocrate, donc des deux partis de l’impérialisme US.
L’article sur la situation économique dans ce numéro de CPS analyse les derniers éléments des différentes mesures et
contre-mesures des USA et de la Chine sur le terrain de la « guerre
commerciale ».
Mais le conflit tend naturellement à
s’étendre hors du cadre commercial et économique pour se transformer en conflit
politique aigu avec ses prolongements militaires.
Le gouvernement américain a multiplié
par exemple les visites à Taiwan, rompant avec l’accord datant de décennies de
« normalisation » des relations sino-américaines, accord par lequel
la bureaucratie chinoise avait obtenu la reconnaissance qu’il n’existait qu’une
seule Chine, ce qui excluait la reconnaissance de Taiwan comme État
indépendant. De même, Trump a multiplié les sanctions contre les représentants
de la politique de Pékin à Hong Kong, suite à l’adoption par Pékin de la « loi de sécurité intérieure »
appliquée à Hong Kong, visant à y liquider toutes les libertés démocratiques.
Trump ne l’a pas fait par amour des
libertés démocratiques. Ces mesures relèvent de la lutte forcenée pour
combattre les ambitions de l’impérialisme chinois.
La guerre, comme l’a dit Clausewitz, est
la continuation de la politique par d’autres moyens. Avant la guerre, il y a la
menace de guerre. Les manœuvres croisées de l’armée américaine et de l’armée
chinoise en mer de Chine relèvent des tentatives mutuelles d’intimidation.
La guerre directe entre les deux pays
n’est certes pas immédiatement à l’ordre du jour. Mais la guerre par pays
interposés a connu ses premières escarmouches. Il est hors de doute que
l’impérialisme US pèse de tout son poids dans le soutien à l’Inde contre la
Chine dans leurs accrochages – qui ont déjà fait quelques dizaines de morts de
part et d’autre - dans la montagne himalayenne à la frontière sino-indienne.
Jusqu’où peut se développer le
conflit ? De larges fractions, et non des moindres, de la bourgeoisie
américaine qui dépendent des échanges avec la Chine veulent les préserver. D’un
autre côté, en Chine, une partie de l’appareil du PCC tente de faire pression
pour des concessions, à cause de la dépendance étroite de l’économie chinoise à
ses exportations. Dans l’immédiat, tensions et accords de compromis sont amenés
à alterner. L’impérialisme US entend bien utiliser à fond le double avantage
que représente pour lui la place du dollar dans les échanges mondiaux
(60 % des transactions mondiales) et aussi ce qui demeure à ce stade son
incontestable supériorité militaire. Mais d’un autre côté, la tendance
économique depuis maintenant un demi siècle est celle de la réduction de sa
part dans la production mondiale (de 30 à 17 % du PIB entre les années 60
et aujourd’hui, et moins que cela si l’on s’en tient à la production
industrielle stricto sensu), quand à l’inverse la part de la Chine n’a cessé
d’augmenter.
C’est ce qui fait que Xi Jinping compte bien ne pas se soumettre, entendant
s’appuyer sur le nationalisme chinois, dont l’origine remonte aux décennies de
domination sur la Chine des différentes puissances impérialistes. Et la
première condition dans la perspective de l’affrontement avec les États-Unis
est de maintenir d’une main de fer l’« ordre » à l’intérieur de la
Chine elle-même. La loi sur la sécurité intérieure par rapport à Hong Kong vise
à liquider les libertés démocratiques et ouvrières, puisqu’y existent des
syndicats indépendants du pouvoir, et à faire un exemple à destination du
prolétariat chinois dans son ensemble. La répression de masse s’abat contre les
minorités ethniques. En même temps les purges s’intensifient dans l’appareil du
PCC. Et bien sûr, il y a la répression constante contre les mouvements de la
classe ouvrière connaissant un nouvel essor avec la crise et ses conséquences
(licenciements, baisse ou non paiement de salaires, etc.).
« America first »
Mais même si la Chine est la cible
privilégiée de la politique US, cette volonté de faire prévaloir les intérêts
US, quitte à déchirer les accords inter-impérialistes précédents, se manifeste
à tous les niveaux et dans toutes les régions du monde. Les organismes
internationaux visant à réguler autant que faire se peut les relations
inter-impérialistes sont aujourd’hui dans un état de semi paralysie du fait de
la volonté de l’impérialisme US d’y faire prévaloir ses exigences : ainsi
l’OMC (Organisation mondiale du commerce), dont les USA, contrairement à
l’usage antérieur, revendiquent la présidence. Idem pour la Banque Interaméricaine
de développement.
De même, c’est le gouvernement US qui a
décidé de l’accord Israël-Émirats Arabes Unis qui liquide définitivement la
« solution à deux États » en Palestine officiellement préconisée tant
par l’ONU que par l’Union européenne et qui sera signé le 15 septembre à
Washington. L’accord est surtout un accord par lequel les Émirats Arabes Unis –
qu’Israël va armer massivement - sont installés en première ligne dans le
combat contre l’Iran, dont les États-Unis entendent perpétuer l’étouffement
économique et les sanctions… pour non respect de l’accord anti nucléaire… que
Trump a lui-même dénoncé dès le début de son mandat !
En Europe, Trump a décidé de retirer
plusieurs milliers de soldats d’Allemagne, entendant par là punir l’Allemagne
de son insuffisante contribution à la défense commune de l’Occident, en réalité
la punir de sa place grandissante dans l’économie mondiale, particulièrement
sur le marché américain !
Europe :
amplification de la domination allemande
Il est peu probable que cette dernière
décision impressionne beaucoup l’impérialisme allemand.
La profonde récession économique de ces
derniers mois a eu pour effet d’amplifier la domination allemande en Europe.
L’économie allemande sans aucun doute n’échappe pas au plongeon général de
l’activité économique. Mais ce plongeon a pour effet de creuser les écarts. Les
forts résistent mieux. Les faibles s’effondrent. Même si 3 00000
travailleurs allemands risquent de perdre leur travail dans l’industrie allemande
dans les mois qui viennent, il n’empêche : les exportations allemandes ont
repris. À un niveau certes sensiblement inférieur à celui d’avant mars, mais
suffisant pour que l’excédent commercial atteigne de nouveau des records –
contrastant avec les records en sens inverse du déficit commercial français.
L’impérialisme allemand entend faire
valoir ce rapport de force économique sur le plan politique. Et de fait, sans
ménagement, l’Allemagne fait valoir ses propres intérêts au détriment de ses
rivaux en Europe, en particulier la France. C’est l’Allemagne qui joue un rôle
de « médiation » dans la crise gréco-turque au moment même où, avec
l’énergie du désespoir, l’impérialisme français essaie par son soutien à la
Grèce de se dresser contre les prétentions turques en Méditerranée,
particulièrement en Libye où l’impérialisme français tente de capter à son
profit une part du butin pétrolier. L’Allemagne, elle, veut préserver Erdogan aussi bien pour préserver les relations
commerciales et économiques qu’elle entretient avec la Turquie, qui ont des
racines historiques, que pour son rôle de barrage à l’afflux massif d’immigrés
en Europe.
De la même manière, c’est le
gouvernement allemand qui est à la manœuvre par rapport à la Russie et la
Biélorussie. Le fait que le mouvement des masses contre Loukachenko soit sous
une direction politique (voir plus bas) pro-impérialiste offre à l’Allemagne
une opportunité : celle de faire rentrer la Biélorussie à la suite de la
plupart des pays d’Europe de l’Est dans la zone d’influence de l’impérialisme
allemand. Il faut pour cela empêcher Poutine d’intervenir en Biélorussie. La
menace de remettre en cause le gazoduc de la Baltique – de première importance
pour Poutine – ainsi que l’utilisation de l’empoisonnement de Navalny, probablement empoisonné par les services secrets
de Poutine – sont autant de moyens de pression exercés sur ce dernier pour le
dissuader de toute intervention.
Union
européenne : tendances à la dislocation et tentative de la conjurer
Pour autant, les sujets d’inquiétude ne
manquent pas pour l’impérialisme allemand. Le sort du capitalisme allemand
demeure lié à l’Europe. Non seulement 59 % des exportations allemandes
sont destinées aux autres pays d’Europe, mais dans le cadre des chaînes de
valeur internationalisées, la production des usines allemandes dépend largement
de sous-traitants dans d’autres pays d’Europe : les pays de l’Est de
l’Europe, mais aussi ceux du pourtour méditerranéen, et même la
Grande-Bretagne.
C’est ainsi qu’il faut comprendre ce que
disait Merkel au Monde du 28 juin:
« Il est
dans l’intérêt de l’Allemagne que nous ayons un marché unique fort, que l’Union
européenne devienne de plus en plus unie et qu’elle ne s’effondre pas. Ce qui
est bon pour l’Europe était et demeure bon pour nous ».
Telle est sans doute la raison du
soutien allemand au « plan de relance » européen à hauteur de 750
milliards, dont plus de la moitié (390 milliards) sous la forme de subventions
affectées en priorité aux pays méditerranéens. La dislocation de l’UE, le rétablissement
des droits de douanes en son sein serait d’abord une catastrophe pour
l’Allemagne.
Cela étant, depuis l’adoption formelle
de ce plan, il y a quelques raisons de s’interroger. Étrange « plan »
auquel manque en réalité un chapitre essentiel : celui de son… financement.
Le gouvernement français, dès son adoption a annoncé que celui-ci était assuré.
Rien n’est plus faux. « Taxe sur les
transactions financières », « taxe carbone aux frontières »,
« taxe GAFAM » : tout le monde sait que la mise en œuvre de
ce genre de taxes ne pourrait que se heurter à de puissants obstacles au sein
même de la bourgeoisie, hors de l’UE et en son sein. En réalité, on table
surtout sur le fait que la question du remboursement… ne se pose pas
immédiatement. Mais il est certain que dès que la question va devenir urgente,
tous les facteurs de dislocation de l’UE vont ressurgir avec une force
multipliée.
À cet égard, il faut souligner l’impasse
totale de la négociation sur les conditions du divorce avec la Grande-Bretagne.
Boris Johnson projette de soumettre au parlement un projet de loi qui lui
permettrait de ne pas respecter les engagements pris dans l’accord de divorce
avec l’Union européenne. Il donne au gouvernement britannique le pouvoir de
prendre des mesures réglementaires susceptibles d’entrer en conflit avec elle
dans le domaine des aides d’Etat et sur les contrôles
douaniers relatifs aux marchandises qui transitent de l’Irlande du Nord vers le
reste du Royaume-Uni. « Le Royaume‑Uni, prévient la Commission européenne, a trois semaines pour retirer les
dispositions problématiques de son projet de loi, faute de quoi il devra rendre
des comptes devant la justice. » Londres a immédiatement rejeté la
demande des Européens, prévenant que le projet de loi « ne serait pas retiré » (Les Echos du 11/09). Plus que jamais, l’éventualité d’un « no deal » (absence de tout
accord) – que la bourgeoisie allemande pour ses propres intérêts tente d’éviter
- se profile avec ses conséquences : fermetures d’usine, secteurs
sinistrés (en France, la pêche par exemple). Mais la perspective d’un « no deal » inquiète les plus
hauts sommets de l’impérialisme. Ainsi, « aux
États-Unis, la présidente démocrate de la Chambre des représentants, Nancy
Pelosi, n’a pas hésité à mettre en garde le Premier ministre britannique. “Si
le Royaume-Uni viole cet accord international et que le Brexit sape l’Accord du
Vendredi saint, il n’y aura absolument aucune chance pour qu’un accord
commercial entre Londres et Washington passe au Congrès américain”, a-t-elle
prévenu » (Les Echos du
11/09).
Économie
française : descente en enfers
« On n’a
encore rien vu. C’est maintenant que les entreprises font le bilan de leur
année et préparent leur prochain exercice. Beaucoup vont se dire qu’elles
doivent licencier pour survivre. Les faillites et suppressions d’emploi
commencent maintenant ». Le
Monde attribue ces propos à un ministre sous le sceau de l’anonymat bien
sûr.
C’est la réalité. Le pire est devant
nous. Certes la crise a déjà violemment impacté des secteurs entiers. D’ores et
déjà, on peut égrener les chiffres du désastre : 2700 plans de
licenciements collectifs, une baisse de l’activité au deuxième trimestre par
rapport au premier de 13,8 %, une baisse de l’investissement de
17,8 %, un déficit commercial de 34 milliards au premier semestre (en
2019, 29 milliards). Des pertes énormes de certaines entreprises et non des
moindres, comme les 7,3 milliards de perte de Renault au premier semestre. À
comparer avec 1,4 milliard pour Volkswagen : au royaume des aveugles, les borgnes
sont rois.
Les plans de licenciements
s’accumulent : Air France, Airbus et ses sous-traitants, ADP, Renault bien
sûr, Nokia, Smart – qui ferme après que la direction a fait imposer il y a
quatre ans l’augmentation du temps de travail de 35 à 39 heures « pour
sauver l’entreprise » -, le secteur de la distribution habillement (La
Halle, Camaïeu) avec 6 000 suppressions de poste... Inutile de prétendre
dresser la liste complète.
Pour la classe ouvrière, la réalité,
c’est celle du chômage de masse, dont les chiffres officiels ne rendent
d’ailleurs pas compte.
L’INSEE indique la suppression de
715 000 emplois depuis janvier. Mais à cela Le Monde du 9 septembre ajoute : « Cette disparition massive d’emplois en
France s’accompagne d’une forte dégradation de la qualité des emplois
existants. D’après l’économiste Hippolyte d’Albis,
professeur à PSE (Ecole d’économie de Paris) et
directeur de recherches au CNRS, la part du « sous-emploi » dans
l’emploi, qui oscille habituellement autour de 6 %, a atteint 20 % au
deuxième trimestre, “un niveau jamais enregistré par l’Insee”. “Si
l’on additionne les chômeurs toutes catégories et les personnes en sous-emploi,
on atteint 11,15 millions de personnes au deuxième trimestre, soit 37,4 %
de la population active estimée en 2018”, calcule-t-il. ».
Il faut y ajouter
l’augmentation considérable (+ 767 000) de ceux qui relèvent du
« halo du chômage » - non comptabilisés officiellement parmi les
chômeurs car ayant renoncé à la recherche d’emploi.
Et encore selon le mot attribué à ce ministre,
« les suppressions d’emploi
commencent maintenant ». En effet, toute une série de licenciements
ont été en réalité reportés de quelques mois. Les mesures de chômage partiel
ont été quasi intégralement payées par l’État (c’est-à-dire par l’augmentation
de l’endettement public en passe de s’élever à 120 % du PIB). Les PGE
(prêts garantis par l’État), le report du paiement des cotisations sociales –
c’est-à-dire l’étranglement financier de la Sécurité sociale – ont repoussé les
échéances. Toutes ces mesures - qui visaient à éviter l’effondrement pur et
simple, et ce que la bourgeoisie et le gouvernement continuent de
redouter : la déflagration sociale – auront dans quelques semaines épuisé
leurs effets.
Les
positions de l’impérialisme français en péril
Sur le plan des positions
internationales de l’impérialisme français, les choses ne vont pas mieux. Au
Mali, le coup d’État militaire qui a chassé Ibrahim Boubacar Keita fragilise
encore la position française. C’est en vain que le gouvernement a demandé son
rétablissement immédiat à la présidence.
La junte militaire l’a sans doute
renversé pour éviter un délitement complet de l’appareil d’État. Depuis des
mois se succédaient au Mali des manifestations pour le départ
d’« IBK » y associant souvent l’exigence de départ des troupes
françaises.
C’est une certitude : le
gouvernement devra composer avec la junte comme ont commencé à le faire les
États africains voisins. Mais ce que l’on redoute le plus au gouvernement,
c’est que la déstabilisation du Mali finisse par s’étendre aux pays voisins. À
commencer par la Côte d’Ivoire, où Ouattara, l’homme de la France, passant
par-dessus sa propre constitution a décidé de se présenter pour un troisième
mandat à la présidence, suscitant des manifestations d’opposition violemment
réprimées.
Mais l’impérialisme français ne renonce
pas. Tel est le sens des voyages de Macron au Liban. Il s’agit d’une tentative
d’y rétablir de manière pleine et entière la domination française. L’explosion
du port de Beyrouth lui en a donné l’opportunité. Cette explosion est un pur
produit du capitalisme mafieux qui règne dans ce pays. Macron s’y est rendu
pour dicter ses conditions et ce que doit être le programme du futur
gouvernement.
C’est pour retrouver une place au
Moyen-Orient qu’il s’est rendu également en Irak. Dans les deux pays, il y a
des troupes françaises, et la première exigence du mouvement ouvrier devrait
être de demander leur retrait. Mais c’est là un point sur lequel directions
syndicales, PS et PCF sont muets comme des carpes.
Le
plan Macron annoncé par Castex
Le gouvernement Macron se prépare donc
au violent choc économique qui s’annonce. Il s’y prépare au compte de la classe
qu’il défend : la grande bourgeoisie. C’est le sens du « plan de
relance » du gouvernement.
Il ne faut pas s’y tromper. Non
seulement le plan ne vise pas la défense d’un prétendu « intérêt
général » - qui n’existe pas, car il n’existe que des intérêts
contradictoires des classes antagoniques -, mais il ne vise même pas les
intérêts des patrons en général. Les représentants du gouvernement le répètent
à l’envi : le plan n’a pas pour vocation de défendre les entreprises qui
de toute façon étaient destinées à disparaître. La crise doit au contraire
accélérer la concentration du capital, liquider autant que faire se peut les
secteurs où la profitabilité est jugée insuffisante. Le plan ne doit bénéficier
qu’aux groupes capitalistes jugés aptes à lutter sur la scène mondiale.
Il n’y a rien d’étonnant donc à ce que,
au moment où ferment des centaines d’entreprises, on voie se développer les
processus de concentration, de fusions-acquisitions ; on voie Veolia
tenter de mettre la main sur Suez en rachetant les actions qu’y possède Engie ; on voie Alstom racheter Bombardier…
Le plan gouvernemental se monte à 100
milliards d’euros, soit le tiers du budget annuel du pays. 40 milliards sont
censés venir des fonds du plan de relance européen (voir plus haut). Castex le
dit lui-même, ce sont les capitalistes qui en seront les bénéficiaires, non les
« ménages », c’est-à-dire la
consommation, notamment la consommation populaire : « Les revenus des ménages ont été préservés dans la crise (...) La
priorité assumée va donc au soutien assumé à l’offre et à l’investissement
productif ».
L’Histoire montre assez qu’il ne suffit
pas d’arroser les capitalistes de cadeaux en tout genre pour qu’ils
investissent. Toujours est-il que l’une des mesures phares du plan, ce sont les
10 milliards de réduction des « impôts de production ». D’autres
mesures fiscales sont prises : réduction de moitié de la taxe foncière sur
les locaux industriels.
La présentation officielle du plan
divise les affectations de crédit en trois parties : « compétitivité des entreprises », « transition
écologique », « cohésion sociale ». Cette présentation est
mensongère.
La totalité des affectations va en
réalité aux capitalistes. Par exemple, sous couvert de « transition écologique », il s’agit
de trouver des débouchés au secteur du bâtiment, de la filière hydrogène, de
l’automobile (en particulier de la production de véhicules électriques).
Sous couvert de « cohésion sociale », il s’agit de multiplier les primes
à l’embauche, autrement dit de faire prendre en charge par L’État une large
part du salaire d’une partie importante des travailleurs.
Un
plan de surexploitation de la jeunesse
A cet égard, il faut insister sur la
partie du plan consacrée à la jeunesse. Ce plan est un plan de surexploitation
de la jeunesse qui réalise d’une autre manière et dans de plus larges
proportions encore ce que les Contrats premier emploi (CPE) de Chirac Villepin
voulait réaliser.
Le plan prévoit 3 00000 contrats
d’insertion, dont la caractéristique est que le salaire est payé, à hauteur de
plus de 400 euros par mois, par l’État. Il prévoit une prime de 4 000
euros pour le patron qui embauchera un jeune de moins de 26 ans. Il prévoit la
création de 1 00000 « services civiques » rémunérés 580 euros
par mois. Signe de l’extrême précarité de la jeunesse : candidatent sur
ces emplois des jeunes sortis de l’université parfois titulaires de licences ou
de maîtrise. Il faut y ajouter le financement massif de l’apprentissage jusqu’à
8 000 euros par apprenti.
Les jeunes figurent, il faut y insister,
parmi les plus grandes victimes de la dernière période. Alors que leur
situation antérieure était déjà souvent critique, elle est devenue dramatique
pour nombre d’entre eux. Beaucoup ont perdu leurs ressources en étant privés de
leur emploi précaire. Pour les étudiants qui ne pouvaient revenir chez leurs
parents - en particulier les étudiants étrangers -, le confinement s’est fait
dans de terribles conditions, certains ayant même souffert de la faim. Les
conditions d’études ont été gravement perturbées, et beaucoup de jeunes se sont
retrouvés en détresse psychologique. Aujourd’hui, beaucoup sont amenés à vouloir
poursuivre des études faute de pouvoir accéder à un emploi ou à un stage. Les
candidatures en master ont explosé et peu seront satisfaites. Les capacités
d’accueil à l’entrée de l’université étaient déjà très insuffisantes, et cette
année, avec un bac largement octroyé, ce sont des dizaines de milliers de
bacheliers qui se retrouvent sans affectation. Si on ajoute les conditions
sanitaires, l’année s’annonce donc très difficile.
L’appareil
CGT et le plan de relance
La nature du plan de relance, entièrement
tourné vers le soutien à la bourgeoisie française, dont les positions ont été
durement mises à mal dans la crise, ne souffre donc d’aucune ambiguïté. C’est
même communément admis et dit ouvertement, y compris par les organes de presse
de la bourgeoisie. De façon étrange en apparence, tel n’est pas le contenu de
la déclaration publiée immédiatement par l’appareil confédéral de la CGT le 4
septembre, car après avoir commencé par déclarer que « le gouvernement n’a retenu aucune leçon »,
l’appareil affirme que « l’élément
le plus marquant (dans ce plan) est
l’absence de vision stratégique » et s’interroge sur la « réelle ambition politique » du plan
de relocalisation. En passant, la déclaration se dit « stupéfaite face au mutisme gouvernemental
sur les services publics », comme si le plan de relance annoncé était
sans conséquence pour le service public et la Fonction publique, alors qu’il
est évident qu’un plan budgétaire de 100 milliards en faveur du patronat a
forcément pour corollaire un approfondissement de l’offensive contre les
services publics et la Fonction publique.
C’est d’ailleurs très exactement le sens
des propos de la nouvelle ministre de la transformation de l’action publique et
de la Fonction publique, A. de Montchalin,
lorsqu’elle déclare : « il n’y
aura pas de relance sans transformation de l’Etat ».
1 milliard est prévu à cet effet dans le plan pour la numérisation de la
Fonction publique : il s’agit ainsi de transférer le plus de démarches à
l’usager pour sabrer dans les emplois, de développer le télétravail pour
faciliter les restructurations et individualiser. Il s’agit aussi pour le
gouvernement de poursuivre l’application de la loi dite de transformation de la
Fonction publique en passant à la phase du concassage des statuts nationaux.
Comment ne pas voir sur ce sujet que la
montée en puissance des pouvoirs des préfets dans les départements à l’égard
des différentes administrations, la loi 3D (déconcentration, différentiation,
décentralisation), la loi qui renforce le pouvoir des chefs d’établissements
dans le premier degré de l’enseignement, que tous ces dispositifs convergent
sur un même objectif : l’éclatement des statuts nationaux pour développer
la mobilité, la polyvalence et supprimer encore davantage de postes.
Comment ne pas voir que l’accord
scélérat sur le Ségur de la Santé ouvre la voie pour toute la Fonction publique
à l’éclatement des statuts et garanties nationales des personnels lorsqu’il
propulse les négociations locales pouvant remettre en cause les 35 heures, les
11 heures de repos journalier et autres garanties pour réduire le nombre
d’équipes ? Pourquoi donc cette pseudo cécité de l’appareil qui voit un
manque d’ambition, une absence de vision stratégique dans le plan du
gouvernement, alors que celui-ci est au contraire le concentré d’une politique
de classe entièrement tournée contre la population laborieuse, la jeunesse et
les fonctionnaires ?
Parce que cela justifie la politique que
l’appareil de la CGT a affichée haut et fort dès la formation du gouvernement,
en particulier dans sa déclaration du 17 juillet au sortir de la réunion
organisée par Castex, gaulliste « social » et à ce titre partisan de
toujours de l’association capital-travail. Ce jour-là, l’appareil a répondu
présent à l’appel du gouvernement demandant que les directions syndicales
participent au plan de relance du gouvernement et l’impulsent de haut en bas,
via le dialogue social, en déclarant : « la CGT s’inscrira dans l’ensemble des rendez-vous nationaux comme en
territoire et organisera, autant que de besoin les mobilisations sociales les
plus larges afin de réellement peser sur chacun des dossiers », et en
annonçant sa participation aux comités de suivi et d’évaluation du plan mis en
place par le gouvernement tant au plan national que territorial.
La même orientation est reprise dans la
déclaration du 30 juillet qui fait suite à la concertation sur les mesures
issues de la convention climat : « la
CGT s’inscrit dans une dynamique de discussions et de négociations d’un plan de
relance ». Le discours tenu sur l’exigence d’un plan de rupture n’est
qu’une forfaiture de l’appareil qui n’invoque la rupture que pour mieux
s’associer à la politique de concertation tous azimuts du gouvernement dans la
mise en œuvre de son plan.
À tous les niveaux, car ce n’est pas pour
rien que la déclaration du 4 septembre se conclut par l’affirmation selon
laquelle « la CGT propose de faire
grandir, partout et dans les entreprises, des débats pour que les salariés
échangent et décident du travail et des stratégies de production. Nous
proposons de travailler moins et mieux mais toutes et tous ». Cette
conclusion prend à la gorge : c’est au moment où les prolétaires sont
confrontés aux plans massifs de suppression d’emploi et donc à la nécessité de
s’organiser au niveau de secteurs entiers, tels que l’aéronautique, pour mener
le combat efficacement contre les plans de licenciement, que l’appareil les
renvoie à leur isolement entreprise par entreprise. Dans ce cadre l’allusion à
la réduction du temps de travail n’est qu’un trompe-l’œil. La vérité, c’est
qu’en renvoyant les travailleurs au niveau de chaque boîte et de chaque
établissement dans les grandes entreprises (telles que Renault), l’appareil
impuissante les travailleurs et les enferme dans les « négociations »
sur les APC (Accords de performance collective), les RCC (Ruptures
conventionnelles collectives), les APLD (Activités partielles de longue durée).
C’est-à-dire très exactement là où le gouvernement veut amener les
travailleurs.
L’association
étroite des appareils syndicaux aux « accords de performance »
Les accords de performance collective
peuvent combiner diminution de salaire (en particulier de la rémunération des
heures supplémentaires), augmentation du temps de travail (en particulier sous
forme de diminution des jours de congés), mutations imposées, polyvalence et…
suppressions d’emploi.
De tels accords se multiplient signés
soit par FO, soit par la CGT, soit par les deux.
À Derichebourg,
FO majoritaire signe un APC. Il prévoit la suppression du 13e mois
pour une partie des travailleurs, le chômage partiel imposé compensé par
l’État, contre une garantie qu’il n’y aura pas de licenciement… avant 2022 (le
passé a suffisamment montré ce que valait ce genre de garantie !). Une
travailleuse gagnant 1800 euros par mois se retrouve en fonction de cet accord…
à 1500 euros.
En vertu des ordonnances Macron, l’APC
implique donc une modification imposée du contrat de travail. Le travailleur
qui la refuse est licencié… et considéré comme démissionnaire (donc sans
indemnités de licenciement). 160 travailleurs de l’entreprise vont refuser. Ils
sont immédiatement licenciés et il n’y a aucune exagération à dire qu’ils le
sont par la décision conjointe du patron et du bureaucrate syndical.
La direction de la CGT n’est pas en
reste. Voyons l’accord signé dans l’entreprise métallurgique Aubert et Duval.
La direction de l’entreprise en rend compte dans ces termes :
« L’accord
prévoit notamment : la mise en place d’un système
global pour activer en urgence la polyvalence des salariés en CDI et
accompagner ainsi la ré-internalisation d’une partie des prestations externes
(intérim, CDD, prestataires). Cette mesure permettrait de préserver jusqu’à 350
emplois en CDI. Un important dispositif de formation est associé à cette mesure
et contribuera à développer les compétences tout en renforçant l’employabilité
des salariés. La mise en place d’un système
agile de gestion des “pics d’activité”, associé à une réduction des majorations
des heures supplémentaires, pour servir les clients dans un contexte où la
charge de production reste très difficile à planifier. La facilitation de la
mobilité géographique temporaire entre sites pour favoriser le renfort de
compétences . »
Faut-il commenter ? La « réinternalisation »,
c’est le licenciement non seulement des intérimaires, CDD, mais aussi des
ouvriers des entreprises de sous-traitance. Le développement de
l’employabilité, c’est la polyvalence et la déqualification. Et bien sûr la
mobilité forcée qui chez Aubert et Duval peut aller de Pamiers, dans les
Pyrénées, aux Ancizes dans le Puy-de-Dôme.
Les
appareils syndicaux, les « contreparties » au plan Macron
et l’appel à la journée d’action du 17 septembre
L’appel au 17 septembre constitue un pur
trompe-l’œil. En effet, les appareils syndicaux ne se contentent pas de prendre
en charge les pseudos négociations sur les APC et les plans de licenciements,
de participer à toutes les concertations sur le plan de relance. C’est sur tous
les plans que se déploie leur politique de prise en charge. Sur les retraites,
les dirigeants CGT et FO ont commencé par se féliciter du prétendu
« recul » du gouvernement sur l’instauration de la retraite par
points. Macron et le gouvernement ont pourtant répété à l’envi que cette
réforme serait intégralement maintenue. Mais il y a mieux. Au nom de
l’« équilibre » du système – et alors que le gouvernement annonce
régulièrement des suppressions de « charges », c’est-à-dire de
cotisations pour les patrons, le gouvernement affirme la nécessité immédiate
d’augmenter la durée de cotisation. Dans ce but, et comme à l’accoutumée, le
gouvernement dégaine le COR (Conseil d’orientation des retraites), toujours
disposé à fournir une « étude » justifiant la diminution des pensions
et l’augmentation des trimestres nécessaires pour bénéficier de la retraite.
Les dirigeants « protestent »… et s’exécutent : ils se sont
immédiatement rendus à la convocation du COR pour contribuer à cette forfaiture.
Le fait que le premier projet de loi,
soumis à cette session de l’Assemblée nationale, porte sur la réforme du CESE
(Conseil économique social et environnemental) témoigne de cette volonté du
gouvernement – pleinement partagée par les appareils syndicaux – d’une association
permanente de ceux-ci à la politique gouvernementale. Le CESE est un cadre
permanent et « consensuel » de collaboration entre les directions
syndicales, le patronat et le gouvernement – via les personnalités qu’il y
nomme. En 1969, De Gaulle tente par referendum de le faire fusionner avec le
Sénat. Cette tentative d’avancer vers le corporatisme sera défaite avec le
referendum lui-même. Mais Macron, sous une autre forme, tente à nouveau
d’avancer dans le même sens en en faisant « la
troisième assemblée de la République ». Le projet de loi actuel
postule la saisie obligatoire du dit CESE pour toute législation d’ordre social
(quitte à faire disparaître d’autres instances de « concertation »).
Il s’agit d’avancer vers la coopération organique des directions syndicales à
la politique gouvernementale.
Le 17, c’est donc sur un tout autre
terrain que celui de la défense des intérêts ouvriers que les appareils
appellent. Alors que leur défense exigerait que les organisations syndicales se
prononcent pour le retrait du plan Macron et y opposent les revendications
ouvrières, et d’abord la première d’entre elles - retrait des plans de
licenciement ! Pas une seule suppression de poste ! -, la position
des directions syndicales consiste au contraire à demander que des « contreparties » soient
exigées des patrons auxquels sont accordées les diverses primes, exemptions
fiscales, etc.
Or demander des « contreparties », c’est d’abord acter le plan de 100
milliards de soutien à la bourgeoisie française pour l’aider à se remettre en
selle. La prétendue exigence de contreparties n’est là que pour enrober ce
soutien fondamental, lui donner une apparence syndicale. C’est exactement la
même fonction que remplit la journée d’action du 17. Son axe réel, c’est le
soutien au plan.
Il est d’ailleurs significatif que
lorsque dans sa déclaration du 8 septembre l’appareil CGT se récrie contre le
fait que dans le plan de relance il n’y ait « pas
un mot sur la reconstruction de filières essentielles, en France comme en
Europe, pour asseoir notre indépendance sur des filières stratégiques comme le
médicament » (sur ce dernier point, la direction de la CGT est
injuste. Macron est allé faire un chèque de 120 millions à Sanofi… quelques
jours avant que ce dernier annonce un plan de licenciements !), l’appareil
parle peu ou prou le même langage que le gouvernement.
Il se situe sur le terrain non des
intérêts ouvriers mais de « notre
indépendance », c’est-à-dire de la défense de la bourgeoisie française
sur le marché mondial. C’est sur cette orientation que se situe l’appel à la
journée d’action du 17 septembre.
Les formules tarabiscotées figurant dans
la déclaration de la direction de la CGT du 8 septembre ne peuvent cacher ce
soutien fondamental apporté au plan du gouvernement :
« Si le gouvernement met en
avant sa volonté de souveraineté et de relocalisation, les moyens mis en œuvre ne sont pas à la hauteur des enjeux » (...).
« La baisse
des impôts de production à hauteur de 20 milliards tient seule lieu de politique industrielle... »
Il faudrait donc compléter le plan du
gouvernement, mais surtout ne pas le combattre en exigeant son retrait. À cet
égard, il faut être clair : en appeler au 32 heures, à la réduction du
temps de travail, sans commencer par mettre en avant l’exigence du retrait du plan
gouvernemental, est une complète tartufferie. Au contraire, une politique
ouvrière consiste à mettre en avant le mot d’ordre de retrait du plan et à
combattre pour un plan de sauvegarde des intérêts des travailleurs, ce qui
commence par la lutte contre le fléau du chômage en répartissant le travail,
sans baisse de salaire, entre tous les travailleurs (c’est-à-dire en mettant en
place une échelle mobile des heures de travail).
Quant à FO, elle n’appelle pas au 17
mais son soutien au plan du gouvernement est le même, comme en témoigne la « note revendicative » qu’il a
remise à celui-ci suite à la réception des « partenaires sociaux » le
17 juillet :
« Au-delà
des mesures de soutien à l’emploi, FO estime nécessaire que l’État remplisse
pleinement son rôle en matière de relance de l’activité à plus long terme,
conduisant à rompre avec les politiques qui ont mené à la désindustrialisation
et à la délocalisation des emplois. »
Les
tentatives du prolétariat pour se dresser contre la politique des appareils
syndicaux
D’ailleurs, pour caractériser l’accord,
il suffit de laisser la parole à la section CGT des Ancizes
qui titre un tract en date du 6 juillet : « Trahison »
« Votre
syndicat CGT Les Ancizes s’est prononcé contre cette
régression sociale qu’est l’Accord de Performance collective. Malheureusement
pour nous cet accord a été négocié (approuvé) en centrale (…) La direction a
tiré sur la laisse, certains comme de bons toutous à la botte de leurs maîtres
ont freiné leur ardeur syndicale et militante. Les élus de votre syndicat CGT
Les Ancizes ne peuvent aucunement cautionner une
telle fourberie de ses instances dirigeantes ».
C’est là l’expression du fait que la
classe ouvrière n’accepte pas l’orientation de l’appareil syndical, ce qui ne
signifie pas qu’elle a forcément les moyens de lui imposer la rupture avec le
gouvernement et les capitalistes.
Un autre exemple en témoigne. La
direction du journal l’Equipe avait engagé la discussion avec les bonzes
syndicaux sur un APC qui prévoyait là aussi réduction de salaire, diminution
des droits à congés, etc. L’appareil syndical CGT engagé dans la discussion
avait annoncé qu’il « consulterait » les salariés. Spontanément, les
travailleurs ont constitué un groupe WhatsApp qui, à
raison de 245 sur 251, s’est prononcé pour le rejet de l’APC que la direction a
dû remballer. C’est là l’expression de la force et des limites actuelles des
travailleurs. L’obstacle que représente la politique de l’appareil a été
contourné. Il n’a pas été détruit. Une autre étape consisterait dans
l’organisation de la force qui s’est exprimée contre l’accord pour balayer
l’appareil syndical, reprendre possession du syndicat et le mettre au service
de la classe ouvrière.
La
coopération des appareils syndicaux libère la voie pour l’instauration de l’Etat policier
En même temps que s’instaure à tous les
niveaux la coopération étroite du gouvernement et des appareils syndicaux, le
gouvernement Macron renforce chaque jour les moyens de l’État policier :
création de 1 0000 postes supplémentaires, armement des polices
municipales, etc.
Il y a les déclarations provocatrices de
Darmanin : « Lorsque j’entends
parler de violences policières, j’étouffe », les diatribes contre « l’ensauvagement ». Rendons
d’ailleurs à César ce qui est à César et à Chevènement, ministre de l’Intérieur
du gouvernement Jospin, ce qui lui appartient. L’inventeur de cette répugnante
formule aux relents coloniaux, c’est bien lui, et non Marine Le Pen, même si
cette dernière s’en délecte. Il y a les déclarations menaçantes de Macron au Panthéon :
« Ceux qui s’en prennent aux forces
de l’ordre ne passeront pas ». Il y a les actes : la condamnation
d’Olivier Sillam, militant du SNES-FSU à 6 mois de
prison avec sursis pour « outrage » à l’égard des flics. Il y a
l’annonce d’une loi contre le « séparatisme »
qui vise évidemment en premier lieu la population et la jeunesse immigrées des
banlieues. Et derrière toutes ces mesures, il y a la crainte du gouvernement.
Les puissantes manifestations du début de l’été sur le mot d’ordre : « Justice pour Adama Traoré »,
rassemblant par dizaines de milliers jeunes des banlieues et étudiants sont
dans toutes les mémoires. Qu’à une autre étape des manifestations semblables
puissent jouer le rôle de catalyseur de la haine ouvrière contre ce
gouvernement, telle est la crainte du gouvernement. Mais il faut le
noter : le renforcement de l’appareil policier, la carte blanche donnée
par avance à celui-ci pour une répression sans limites ne sont là encore
possible que grâce au soutien constant exprimé à l’appareil policier par les
dirigeants syndicaux, soutien plus marqué encore depuis les manifestations
contre la loi El Khomri (nous renvoyons à l’article sur cette question dans ce
numéro de CPS).
À
l’échelle mondiale, c’est la réaction qui est à l’offensive: l’exemple des
États-Unis
Le déchaînement de l’appareil policier
en France entre en résonnance avec la situation aux États-Unis. Chaque jour ou
presque rapporte un nouveau cas où la police américaine abat froidement un Noir
pour la seule raison qu’il est Noir. Dans 99 % des cas, de tels crimes ne
font l’objet d’aucune poursuite pénale. De nombreuses manifestations
rassemblant d’ailleurs les jeunes quelle que soit la couleur de leur peau se
tiennent sous la bannière de « Black lives matter ».
Pourtant, le fait marquant de ces
dernières semaines, c’est la constitution de milices armées affrontant les
manifestants, leur tirant dessus à balles réelles : Kyle Rittenhouse, assassin de deux manifestants à Kenosha, et se
réfugiant après son meurtre dans les rangs policiers…
Ces milices armées, sur le modèle des
hordes fascistes, opèrent en osmose avec la police et le font avec le soutien
ouvert de Trump qui parle à propos de ces meurtres
d’« auto-défense ».
À cet égard, les élections
présidentielles américaines ne sont pas des élections comme les autres. Trump a
aligné le Parti républicain sur une orientation d’affrontement violent, armé
avec les masses, en premier lieu les masses noires, mais pas seulement, et d’un
affrontement appuyé sur la constitution de milices armées en marge – quoiqu’en
lien étroit – avec l’appareil de répression officielle.
Mais le Parti démocrate - rappelons que
ce parti est historiquement le parti de l’esclavagisme – ne constitue
évidemment en rien un rempart contre cette tendance. Du reste Biden-Kamala Harris ne sont pas moins que Trump des adeptes
du « Blue lives matter »
(la vie des flics importe). La convention d’investiture démocrate a enregistré
le soutien honteux de Sanders et en même temps passé
par dessus bord tout ce qui dans le programme de Sanders
pouvait comporter la moindre gêne aux intérêts des capitalistes (système de
santé universel, remise en cause des énormes droits d’inscription dans les
universités, etc.). Biden a réaffirmé qu’il n’était
pas question de toucher en quoi que ce soit au budget de la police. Il a
condamné à la cantonade les « violences »… des manifestants. Il a
choisi Harris comme vice-présidente qui donne toute garantie. Comme procureure,
cette dernière a, après 2008, enterré toute action contre les grandes banques
américaines et leurs prêts d’escrocs, et c’est sous son « règne » que
les emprisonnements de Noirs en Californie ont battu tous les records.
On touche là aux limites politiques de
la mobilisation de la jeunesse américaine. Certes, il faut noter que les manifestations
nombreuses qui ont déferlé se sont souvent dirigées vers les commissariats, et
même vers la Maison-Blanche. Il faut noter aussi qu’un certain nombre de
syndicats de l’AFL-CIO se sont prononcés – contre la direction – pour que
soient expulsés de cette organisation les « syndicats » de flics.
Mais au moment où la réaction dans le pays annonce ouvertement se préparer à la
guerre civile, le mouvement de la jeunesse américaine est littéralement
infectée du poison pacifiste. Les cas de défense armée des manifestations, qui
est urgemment à l’ordre du jour, demeurent minoritaires. Et lors du
rassemblement de Washington, se sont succédé à la tribune les appels indécents,
voire agressifs, à voter démocrate aux présidentielles avec des formules du
type : « Celui qui ne vote pas
n’est pas un Noir ».
Il est pourtant clair que la
mobilisation des masses noires devra renouer avec son histoire : celle du
Black Panthers Party, celle du combat pour
l’organisation politique des masses noires en relation avec la constitution en
dehors des deux partis de l’impérialisme américain d’un véritable parti
ouvrier, d’un Labor Party. La constitution d’un tel parti se heurte d’abord à
la politique de l’appareil dirigeant de l’AFL-CIO, dont toute l’activité
actuelle se résume au soutien à Biden-Harris.
La
mobilisation des masses, par-delà les différences de situation,
se heurte partout au même problème : celui de sa direction
politique
La situation mondiale est caractérisée
par l’insigne faiblesse, dans les pays capitalistes avancés, de réactions
ouvrières d’envergure à la situation qui est faite au prolétariat par le
capitalisme en crise. Certes faiblesse ne veut pas dire absence, comme en
témoigne par exemple la grève de trois mois à Nissan Barcelone contre les
licenciements. Mais la disproportion demeure entre la violence de l’attaque et
la faiblesse de la riposte.
Cela ne signifie pas qu’à l’échelle
mondiale rien ne se passe dans la lutte des classes. Au Liban, contre le régime
« multiconfessionnel » et les banques suceuses de sang ; en
Biélorussie, pour en finir avec le régime militaro-policier de
Loukachenko ; en Thaïlande, où la jeunesse se dresse contre la
monarchie ; à Hong Kong, contre l’oppression du PCC et la liquidation des
libertés démocratiques des mobilisations de masse se développent.
Mais par-delà les différences de
situation, ces mobilisations se heurtent aux mêmes problèmes politiques.
Au Liban, l’explosion du port de
Beyrouth vient s’ajouter à une autre explosion plus ancienne : celle de la
livre libanaise. L’effondrement de la livre, résultat direct de la spéculation
bancaire, a précipité 50 % de la population dans le dénuement le plus
absolu. Le système de partage du pouvoir entre les différentes factions
religieuses qui se partagent aussi les prébendes distribués à leur clientèle
est la cible des mobilisations populaires depuis plus d’un an. Suite à
l’explosion du port, on a même entendu scander le mot d’ordre de
« Révolution ! » dans les manifestations. Mais la vérité est que
les masses n’ont pas de programme et que le prolétariat n’a pas de parti. Du
reste, le prolétariat en tant que tel n’est pas présent de manière distincte
dans les manifestations. Les organisations syndicales – qui existent dans le
pays – ne jouent pour ainsi dire aucun rôle dans les manifestations.
L’exigence d’en finir avec le système
multiconfessionnel, d’instaurer la laïcité à travers une assemblée nationale
souveraine, celle de l’annulation de la dette, du contrôle ouvrier sur les
mouvements de capitaux (contre la fuite endémique de ceux-ci), n’est portée par
aucune organisation de quelque importance. Les masses cherchent certes à
combattre, mais elles le font dans des conditions de désarmement politique
épouvantable.
Il n’en va pas autrement en Biélorussie.
De gigantesques manifestations ont eu lieu et ont lieu contre le régime
policier de Loukachenko. Il y a eu un début de dislocation de l’appareil
policier (l’armée est une armée de conscription et le dictateur ne prendrait
pas le risque d’essayer de l’envoyer contre les manifestants). À la différence
de la situation libanaise, la classe ouvrière est présente en tant que telle
dans les mobilisations. Un mouvement vers la grève générale s’est même
développé. Cela s’explique d’autant plus aisément que Loukachenko a introduit
récemment une réforme radicale. Tous les ouvriers ne disposent désormais plus
que d’un contrat de travail d’un an renouvelable ou non selon le désir de
l’appareil policier. L’essentiel des moyens de production demeure certes
étatisé. Mais la crise frappe néanmoins de plein fouet l’économie qui ne peut
évidemment pas s’abstraire du contexte mondial. Le résultat est que les
salaires ont diminué dans de très larges proportions. On comprend la réponse
apportée par les ouvriers au dictateur venu solliciter leur soutien :
« Pars ! »
Cela étant, la mobilisation actuelle est
sous la direction d’une « coordination » ouvertement pro-capitaliste,
partisane des privatisations et de l’inféodation directe du pays aux puissances
impérialistes. La présence dans ladite coordination du représentant des
ouvriers de la grande usine de tracteurs MTZ n’y change rien, d’autant que sur
l’orientation politique il ne se distingue en rien des autres membres.
En clair, trente ans après, la situation
en Biélorussie reproduit ce qui s’est passé en Pologne ou en Roumanie. La
classe ouvrière est utilisée comme masse de manœuvre pour des fins qui sont
étrangères à ses intérêts de classe. Elle est politiquement hors d’état de
combattre la dictature stalinienne au compte de ses propres intérêts de classe,
d’un programme politique qui serait celui de l’instauration du pouvoir des
Conseils ouvriers. C’est là le produit de son immense désarroi politique, qui
renvoie au fait qu’en Biélorussie, partie intégrante de l’ex-URSS, ne s’est pas
constitué, dans la continuité de l’Opposition de gauche dirigée par Trotsky, un
véritable parti ouvrier révolutionnaire, un parti de la IVe
Internationale. En dernière analyse, c’est le résultat de la trahison par ses
dirigeants de la IVe Internationale qui a finalement abouti à la
dégénérescence complète de celle-ci et des groupes qui s’en réclament.
Il faudrait citer d’autres exemples de
mobilisations récentes, par exemple à Hong Kong. La mobilisation de la jeunesse
et de la population laborieuse pour la défense des libertés démocratiques, pour
les élections libres pouvait rencontrer au sein du prolétariat de toute la
Chine un immense écho. C’était d’ailleurs là la crainte panique de la
bureaucratie du PCC. Mais à partir du moment où la direction du mouvement fut
accaparée par des forces politiques « indépendantistes », toute
possibilité de jonction avec le prolétariat du reste de la Chine était rendue
impossible. L’appel à l’« indépendance » par rapport à la Chine –
accompagné des appels aux puissances impérialistes, en particulier de
l’ancienne autorité de tutelle, la Grande-Bretagne - ne peut rien susciter
d’autre dans la classe ouvrière chinoise que l’indifférence, indifférence sur
laquelle Xi ne manque pas de s’appuyer pour mener à bien sa politique répressive.
Liban, Biélorussie, Chine : trois
situations différentes et un même problème : celui de la direction
politique, celui du Parti ouvrier révolutionnaire.
Œuvrer
à surmonter le terrible hiatus entre les exigences objectives
et la conscience subjective de la classe ouvrière
Au total, si on essaie d’apprécier
globalement la situation mondiale de la lutte des classes qui surplombe la
situation particulière de tel ou tel pays, le trait marquant et par beaucoup
d’aspects dramatique de la situation est la suivante.
L’explosion brutale d’un nouveau
paroxysme de la crise entraîne et va entraîner une situation ramenant le
prolétariat des décennies en arrière, du point de vue de ses conditions
objectives, voire à l’aube même du capitalisme et de la constitution du
mouvement ouvrier. Personne ne peut s’illusionner. Il n’y a aucune possibilité
d’un rajeunissement du système capitaliste, d’un retour à une prospérité
permettant au prolétariat d’arracher des conquêtes ou même de conserver les
garanties existantes. Le système capitaliste n’est pas seulement rentré dans
une « stagnation séculaire »
comme le dit Summers l’ancien secrétaire au Trésor de
Clinton. Il est rentré dans une décadence généralisée et irrémédiable, ponctuée
de crises de plus en plus violentes au sortir desquelles la classe ouvrière
voit ses conditions d’existence toujours plus dégradées jusqu’aux limites
extrêmes des possibilités de l’exploitation de la force de travail.
Cette situation exige impérieusement que
le prolétariat, la seule classe productive, la classe qui plus que jamais n’a
que ses chaînes à perdre, prenne le pouvoir, et que pour cela elle soit armée
d’un programme révolutionnaire tendant vers un seul but : « exproprier les expropriateurs »,
socialiser l’ensemble des moyens de production et d’échanges, organiser la
production en fonction des besoins des larges masses.
Elle met dans ce but à l’ordre du jour
les mots d’ordre fondamentaux placés par Trotsky au cœur du Programme de
transition :
- contre le chômage, partage du travail
entre toutes les mains disponibles, échelle mobile des heures de travail, donc
diminution massive du temps de travail sans perte de salaire
- contre la vie chère, échelle mobile
des salaires
De tels mots d’ordre intègrent
évidemment le combat pour le droit à la santé, la défense de la Sécurité
sociale, le droit à l’instruction gratuite et à la qualification, etc.
Mais répétons-le, au moment où la
moindre revendication pose la question de la propriété des moyens de
production, de tels mots d’ordre ne valent que si on répond à la question du
gouvernement. Autrement dit, il n’y a pas d’issue en dehors de la constitution
partout de gouvernements ouvriers, s’engageant résolument dans la socialisation
des moyens de production et brisant l’échine de la réaction, engageant le
démantèlement de l’appareil d’État bourgeois. Et comme un tel gouvernement ne
peut survivre à l’échelle locale, il n’y a pas d’autre issue que l’association
internationale des pays où la classe ouvrière aura pris le pouvoir, par exemple
en Europe, pas d’autre issue que les États Unis socialistes d’Europe.
Or précisément, cette perspective
politique demeure enfouie pour la majorité du prolétariat. La tâche apparaît
immense et hors de portée. Il y a à cela deux raisons qui d’ailleurs se
combinent. Depuis le rétablissement du capitalisme en Russie et en Chine
prévaut l’idée qu’il n’y a pas d’alternative au système capitaliste alors
qu’est largement partagée l’appréciation selon laquelle celui-ci conduit à la
catastrophe. Mais il faut ajouter : cette idée selon laquelle il n’y a pas
d’alternative est chaque jour martelée par les appareils dirigeants du
mouvement ouvrier selon lesquels le socialisme a échoué, et qui en même temps
répètent à l’envi qu’il n’y a pas, en réalité, de crise du capitalisme. Ils vont
répétant que « de l’argent il y en
a », faisant semblant d’ignorer que l’énorme accumulation du capital
fictif et spéculatif, loin d’être un signe de bonne santé du capitalisme, est
la plus claire manifestation de la maladie mortelle qui le ronge.
Telle est l’impasse dramatique dans
laquelle se débat la classe ouvrière, le « nœud
gordien » qui l’enserre. Telle est au bout du compte la raison
fondamentale de la faiblesse de la réaction ouvrière, en particulier dans les
pays capitalistes avancés. Et pourtant, le nœud gordien devra être tranché.
Inévitablement, viendra le moment où la nécessité du combat pour ne pas être
écrasé finira par soulever la chape de plomb des défaites passées maintenue par
les appareils bourgeois qui dominent le mouvement ouvrier. Il ne fait pas de
doute que c’est la jeunesse qui se portera au premier rang de ces combats à
venir, dont une avant-garde refera le chemin qui conduit à la réappropriation
du programme révolutionnaire.
C’est dans cette perspective que les
militants regroupés autour de Combattre
pour le socialisme situent leur action, dont le premier acte est le combat
partout pour imposer la rupture des organisations ouvrières avec la
bourgeoisie, combat qui ne peut être qu’un combat contre les appareils
dirigeants, pour qu’ils se soumettent aux exigences de la classe ouvrière ou
qu’ils soient démis.
Nous invitons nos lecteurs à s’associer
à ce combat.
Le 10 septembre
2020
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