Éditorial du bulletin « Combattre pour le socialisme » n°77 (n°159 ancienne série) - 23 septembre 2020 :

SOCIALISME OU BARBARIE

 

Pour le prolétariat mondial, la catastrophe imminente

S’il y avait la moindre illusion d’un retour « à la normale », c’est-à-dire à la situation antérieure à la crise sanitaire, elle ne peut subsister davantage. L’effroyable crise du système capitaliste, que la crise sanitaire n’a fait que précipiter davantage, n’a manifesté que le début de ses conséquences ravageuses.

Le journal Le Monde indique par exemple sous le titre : « Deuxième vague de licenciements dans le secteur aérien » : « American Airlines envisage de licencier 19 000 de ses salariés d’ici au mois d’octobre si elle n’obtient pas une nouvelle aide financière de la part des pouvoirs publics. Pourtant en mars 2020, les autorités fédérales américaines avaient déboursé 25 milliards de dollars (21,1 milliards d’euros) pour venir en aide au secteur. Une manne qui devait servir, entre autres, à payer les salaires des employés en septembre. Moins de 6 mois plus tard, les compagnies se tournent vers Washington pour obtenir 25 milliards de dollars supplémentaires… Les effectifs d’American Airlines pourraient ainsi passer de 140 000 salariés au début de la pandémie à seulement 1 00000 employés… Quand ce ne sont pas des plans de licenciements, les compagnies ont recours à d’autres dispositifs… Celles du Golfe, Emirates et Etihad, ont demandé à leurs personnels navigants de prendre des congés sans solde… Au Royaume-Uni, British Airways entend aussi tailler sensiblement dans ses effectifs. Pas moins de 12 000 salariés sont poussés vers la sortie, soit près de 28 % du personnel… En vue d’assainir ses comptes, la compagnie est prête à recourir à tous les expédients (…) Elle voudrait ainsi licencier des salariés pour les réembaucher ensuite, mais avec des salaires jusqu’à 40 % inférieurs. »

En relation avec la baisse drastique non seulement du transport aérien, mais aussi du transport routier et ferroviaire, les conséquences diffusent sur de nombreux secteurs. À commencer bien sûr par le secteur pétrolier et parapétrolier. Le même journal Le Monde annonce 10 000 suppressions d’emploi chez BP, le licenciement de 10 % du personnel chez Exxon Mobil. Le groupe français Vallourec, fabriquant de tubes sans soudure, entre autres pour l’industrie gazière et pétrolière, annonce le licenciement du tiers de son personnel aux États-Unis, pendant que son cours à la Bourse plonge… De proche en proche, la plupart des secteurs de production sont frappés par la pandémie des licenciements massifs, de la baisse brutale des salaires, de la remise en cause pour la classe ouvrière de toutes les garanties existantes.

Les conséquences effroyables de la crise pour le prolétariat se manifestent dans tous les pays : de la première puissance impérialiste, les États-Unis, jusqu’au plus peuplé des pays dominés, l’Inde.

Dans le premier, le pourcentage de la population active disposant encore d’un emploi est tombé à 55 %, ce qui signifie en langage clair que presque un adulte sur deux en âge de travailler est au chômage. Dans le second, un quart de la population ne dispose d’aucun revenu. En quelques mois, près d’un quart des emplois salariés (19 sur 86 millions ont disparu), dans un pays où 9 emplois sur 10 relèvent de l’économie informelle – et ne sont donc pas « officiellement » salariés. Dans près de la moitié des États dudit pays, les gouverneurs ont décidé d’abolir dans sa totalité le code du travail, la semaine de travail est de 72 heures, toute manifestation ou grève est désormais interdite. Jusqu’où peut aller la barbarie capitaliste à l’échelle mondiale ? L’Inde répond à cette question et indique l’avenir promis à tout le prolétariat.

L’article consacré à la situation économique dans ce numéro de Combattre pour le socialisme explique plus précisément les ressorts de cette crise – ou plutôt du brutal approfondissement de la crise qui n’a à vrai dire jamais connu d’interruption depuis 2008. Mais il convient de cadrer l’analyse précise par une appréciation nette : ce que cette crise révèle au grand jour, c’est l’alternative devant laquelle l’Histoire plonge l’humanité.

Ou bien le prolétariat trouvera les ressources politiques et les moyens organisés pour en finir avec le système capitaliste, prendra le pouvoir, constituera dans chaque pays un véritable gouvernement ouvrier. Transcendant les limites étroites des États nationaux, ces gouvernements s’associeront finalement dans la République universelle des conseils ouvriers, organiseront sur la base de la socialisation des moyens de production et d’échange la production sur la base rationnellement définie de la satisfaction des besoins sociaux dans le cadre de la préservation de ce qui en est la condition sine qua non : la nature elle même. C’est le premier terme de l’alternative.

Ou bien, faute de pouvoir se doter à l’échelle nationale et internationale de l’instrument organisé de son émancipation, à savoir des partis ouvriers révolutionnaires dans chaque pays, d’une Internationale ouvrière révolutionnaire, alors, dans des conditions toujours plus chaotiques et barbares, le système capitaliste et son moteur, le profit pour la classe dominante, perdurera. Et dans ce cas, rien ne pourra retenir l’humanité au bord de l’abîme. Il ne pourra alors y avoir d’autre avenir que la misère, la famine pour une partie toujours croissante de la population, la généralisation des régimes les plus tyranniques, seuls à même de préserver dans la violence permanente contre les masses les conditions de l’exploitation de la force de travail, et finalement la guerre à l’échelle mondiale.

Le marxisme, qui nous donne les moyens de comprendre la période historique dans laquelle nous sommes plongés et d’agir à notre échelle sur cette situation, n’est pas un fatalisme. Aucun des deux termes de cette alternative n’est assuré. Plus que jamais vaut la formule de Trotsky : « la crise de l’humanité se ramène à la crise de la direction révolutionnaire du prolétariat ».

Intensification des conflits inter-impérialistes : USA et Chine

L’intensification des conflits entre les différentes puissances impérialistes est évidemment inséparable de l’approfondissement de la crise. La transformation de cette crise en récession mondiale, la possible mutation de cette récession en effondrement à brève échéance concourt à l’exacerbation de ces conflits.

Au moment où le marché tend à se rétrécir, où la lutte des différents capitalistes pour conquérir des positions devient plus âpre encore, celle-ci se traduit politiquement par des affrontements de plus en plus menaçants entre les États nationaux dans lesquels les grands groupes capitalistes ont leur base.

Mais à ce contexte général, s’ajoute un élément de première importance. Car c’est dans ce contexte que se constitue à l’échelle mondiale une nouvelle puissance impérialiste : la Chine. Exportation de capitaux – et pas seulement de marchandises ‑, constitution de puissants monopoles capables de rivaliser, y compris dans les secteurs technologiques les plus décisifs, participation à l’égal des vieilles puissances impérialistes au pillage des richesses des pays dominés, domination politique sur des régions entières du globe, en particulier via l’endettement des États à son égard, constitution d’une gigantesque puissance militaire – même si elle reste très inférieure à celle des États-Unis : telle est l’évolution de la Chine au XXIe siècle. On ne peut donc plus guère contester que malgré la faiblesse de sa monnaie dans les échanges mondiaux, la Chine s’est transformée d’atelier du monde, confinée longtemps à une industrie de main d’œuvre caractéristique d’un certain nombre de pays dominés, en une véritable puissance impérialiste.

Mais la prétention de la Chine à prendre place à la table des puissances impérialistes ne peut que susciter la plus violente réaction des impérialismes plus anciens, à commencer par le premier d’entre eux, l’impérialisme US. La Chine ne peut en effet prendre cette place qu’en expulsant ses concurrents de places occupées par eux. Avec le rétablissement du capitalisme à l’échelle de la planète entière, il n’y a plus de terrain nouveau à investir. On ne peut agrandir sa zone de domination qu’en en expulsant celui qui l’occupait précédemment.

La politique de Trump à l’égard de la Chine de ce point de vue ne doit rien aux traits de caractère particuliers de celui-ci. D’ailleurs, cette politique reçoit l’approbation tant du parti républicain que du parti démocrate, donc des deux partis de l’impérialisme US. L’article sur la situation économique dans ce numéro de CPS analyse les derniers éléments des différentes mesures et contre-mesures des USA et de la Chine sur le terrain de la « guerre commerciale ».

Mais le conflit tend naturellement à s’étendre hors du cadre commercial et économique pour se transformer en conflit politique aigu avec ses prolongements militaires.

Le gouvernement américain a multiplié par exemple les visites à Taiwan, rompant avec l’accord datant de décennies de « normalisation » des relations sino-américaines, accord par lequel la bureaucratie chinoise avait obtenu la reconnaissance qu’il n’existait qu’une seule Chine, ce qui excluait la reconnaissance de Taiwan comme État indépendant. De même, Trump a multiplié les sanctions contre les représentants de la politique de Pékin à Hong Kong, suite à l’adoption par Pékin de la « loi de sécurité intérieure » appliquée à Hong Kong, visant à y liquider toutes les libertés démocratiques.

Trump ne l’a pas fait par amour des libertés démocratiques. Ces mesures relèvent de la lutte forcenée pour combattre les ambitions de l’impérialisme chinois.

La guerre, comme l’a dit Clausewitz, est la continuation de la politique par d’autres moyens. Avant la guerre, il y a la menace de guerre. Les manœuvres croisées de l’armée américaine et de l’armée chinoise en mer de Chine relèvent des tentatives mutuelles d’intimidation.

La guerre directe entre les deux pays n’est certes pas immédiatement à l’ordre du jour. Mais la guerre par pays interposés a connu ses premières escarmouches. Il est hors de doute que l’impérialisme US pèse de tout son poids dans le soutien à l’Inde contre la Chine dans leurs accrochages – qui ont déjà fait quelques dizaines de morts de part et d’autre - dans la montagne himalayenne à la frontière sino-indienne.

Jusqu’où peut se développer le conflit ? De larges fractions, et non des moindres, de la bourgeoisie américaine qui dépendent des échanges avec la Chine veulent les préserver. D’un autre côté, en Chine, une partie de l’appareil du PCC tente de faire pression pour des concessions, à cause de la dépendance étroite de l’économie chinoise à ses exportations. Dans l’immédiat, tensions et accords de compromis sont amenés à alterner. L’impérialisme US entend bien utiliser à fond le double avantage que représente pour lui la place du dollar dans les échanges mondiaux (60 % des transactions mondiales) et aussi ce qui demeure à ce stade son incontestable supériorité militaire. Mais d’un autre côté, la tendance économique depuis maintenant un demi siècle est celle de la réduction de sa part dans la production mondiale (de 30 à 17 % du PIB entre les années 60 et aujourd’hui, et moins que cela si l’on s’en tient à la production industrielle stricto sensu), quand à l’inverse la part de la Chine n’a cessé d’augmenter.

C’est ce qui fait que Xi Jinping compte bien ne pas se soumettre, entendant s’appuyer sur le nationalisme chinois, dont l’origine remonte aux décennies de domination sur la Chine des différentes puissances impérialistes. Et la première condition dans la perspective de l’affrontement avec les États-Unis est de maintenir d’une main de fer l’« ordre » à l’intérieur de la Chine elle-même. La loi sur la sécurité intérieure par rapport à Hong Kong vise à liquider les libertés démocratiques et ouvrières, puisqu’y existent des syndicats indépendants du pouvoir, et à faire un exemple à destination du prolétariat chinois dans son ensemble. La répression de masse s’abat contre les minorités ethniques. En même temps les purges s’intensifient dans l’appareil du PCC. Et bien sûr, il y a la répression constante contre les mouvements de la classe ouvrière connaissant un nouvel essor avec la crise et ses conséquences (licenciements, baisse ou non paiement de salaires, etc.).

« America first »

Mais même si la Chine est la cible privilégiée de la politique US, cette volonté de faire prévaloir les intérêts US, quitte à déchirer les accords inter-impérialistes précédents, se manifeste à tous les niveaux et dans toutes les régions du monde. Les organismes internationaux visant à réguler autant que faire se peut les relations inter-impérialistes sont aujourd’hui dans un état de semi paralysie du fait de la volonté de l’impérialisme US d’y faire prévaloir ses exigences : ainsi l’OMC (Organisation mondiale du commerce), dont les USA, contrairement à l’usage antérieur, revendiquent la présidence. Idem pour la Banque Interaméricaine de développement.

De même, c’est le gouvernement US qui a décidé de l’accord Israël-Émirats Arabes Unis qui liquide définitivement la « solution à deux États » en Palestine officiellement préconisée tant par l’ONU que par l’Union européenne et qui sera signé le 15 septembre à Washington. L’accord est surtout un accord par lequel les Émirats Arabes Unis – qu’Israël va armer massivement - sont installés en première ligne dans le combat contre l’Iran, dont les États-Unis entendent perpétuer l’étouffement économique et les sanctions… pour non respect de l’accord anti nucléaire… que Trump a lui-même dénoncé dès le début de son mandat !

En Europe, Trump a décidé de retirer plusieurs milliers de soldats d’Allemagne, entendant par là punir l’Allemagne de son insuffisante contribution à la défense commune de l’Occident, en réalité la punir de sa place grandissante dans l’économie mondiale, particulièrement sur le marché américain !

Europe : amplification de la domination allemande

Il est peu probable que cette dernière décision impressionne beaucoup l’impérialisme allemand.

La profonde récession économique de ces derniers mois a eu pour effet d’amplifier la domination allemande en Europe. L’économie allemande sans aucun doute n’échappe pas au plongeon général de l’activité économique. Mais ce plongeon a pour effet de creuser les écarts. Les forts résistent mieux. Les faibles s’effondrent. Même si 3 00000 travailleurs allemands risquent de perdre leur travail dans l’industrie allemande dans les mois qui viennent, il n’empêche : les exportations allemandes ont repris. À un niveau certes sensiblement inférieur à celui d’avant mars, mais suffisant pour que l’excédent commercial atteigne de nouveau des records – contrastant avec les records en sens inverse du déficit commercial français.

L’impérialisme allemand entend faire valoir ce rapport de force économique sur le plan politique. Et de fait, sans ménagement, l’Allemagne fait valoir ses propres intérêts au détriment de ses rivaux en Europe, en particulier la France. C’est l’Allemagne qui joue un rôle de « médiation » dans la crise gréco-turque au moment même où, avec l’énergie du désespoir, l’impérialisme français essaie par son soutien à la Grèce de se dresser contre les prétentions turques en Méditerranée, particulièrement en Libye où l’impérialisme français tente de capter à son profit une part du butin pétrolier. L’Allemagne, elle, veut préserver Erdogan aussi bien pour préserver les relations commerciales et économiques qu’elle entretient avec la Turquie, qui ont des racines historiques, que pour son rôle de barrage à l’afflux massif d’immigrés en Europe.

De la même manière, c’est le gouvernement allemand qui est à la manœuvre par rapport à la Russie et la Biélorussie. Le fait que le mouvement des masses contre Loukachenko soit sous une direction politique (voir plus bas) pro-impérialiste offre à l’Allemagne une opportunité : celle de faire rentrer la Biélorussie à la suite de la plupart des pays d’Europe de l’Est dans la zone d’influence de l’impérialisme allemand. Il faut pour cela empêcher Poutine d’intervenir en Biélorussie. La menace de remettre en cause le gazoduc de la Baltique – de première importance pour Poutine – ainsi que l’utilisation de l’empoisonnement de Navalny, probablement empoisonné par les services secrets de Poutine – sont autant de moyens de pression exercés sur ce dernier pour le dissuader de toute intervention.

Union européenne : tendances à la dislocation et tentative de la conjurer

Pour autant, les sujets d’inquiétude ne manquent pas pour l’impérialisme allemand. Le sort du capitalisme allemand demeure lié à l’Europe. Non seulement 59 % des exportations allemandes sont destinées aux autres pays d’Europe, mais dans le cadre des chaînes de valeur internationalisées, la production des usines allemandes dépend largement de sous-traitants dans d’autres pays d’Europe : les pays de l’Est de l’Europe, mais aussi ceux du pourtour méditerranéen, et même la Grande-Bretagne.

C’est ainsi qu’il faut comprendre ce que disait Merkel au Monde du 28 juin:

« Il est dans l’intérêt de l’Allemagne que nous ayons un marché unique fort, que l’Union européenne devienne de plus en plus unie et qu’elle ne s’effondre pas. Ce qui est bon pour l’Europe était et demeure bon pour nous ».

Telle est sans doute la raison du soutien allemand au « plan de relance » européen à hauteur de 750 milliards, dont plus de la moitié (390 milliards) sous la forme de subventions affectées en priorité aux pays méditerranéens. La dislocation de l’UE, le rétablissement des droits de douanes en son sein serait d’abord une catastrophe pour l’Allemagne.

Cela étant, depuis l’adoption formelle de ce plan, il y a quelques raisons de s’interroger. Étrange « plan » auquel manque en réalité un chapitre essentiel : celui de son… financement. Le gouvernement français, dès son adoption a annoncé que celui-ci était assuré. Rien n’est plus faux. « Taxe sur les transactions financières », « taxe carbone aux frontières », « taxe GAFAM » : tout le monde sait que la mise en œuvre de ce genre de taxes ne pourrait que se heurter à de puissants obstacles au sein même de la bourgeoisie, hors de l’UE et en son sein. En réalité, on table surtout sur le fait que la question du remboursement… ne se pose pas immédiatement. Mais il est certain que dès que la question va devenir urgente, tous les facteurs de dislocation de l’UE vont ressurgir avec une force multipliée.

À cet égard, il faut souligner l’impasse totale de la négociation sur les conditions du divorce avec la Grande-Bretagne. Boris Johnson projette de soumettre au parlement un projet de loi qui lui permettrait de ne pas respecter les engagements pris dans l’accord de divorce avec l’Union européenne. Il donne au gouvernement britannique le pouvoir de prendre des mesures réglementaires susceptibles d’entrer en conflit avec elle dans le domaine des aides d’Etat et sur les contrôles douaniers relatifs aux marchandises qui transitent de l’Irlande du Nord vers le reste du Royaume-Uni. « Le Royaume‑Uni, prévient la Commission européenne, a trois semaines pour retirer les dispositions problématiques de son projet de loi, faute de quoi il devra rendre des comptes devant la justice. » Londres a immédiatement rejeté la demande des Européens, prévenant que le projet de loi « ne serait pas retiré » (Les Echos du 11/09). Plus que jamais, l’éventualité d’un « no deal » (absence de tout accord) – que la bourgeoisie allemande pour ses propres intérêts tente d’éviter - se profile avec ses conséquences : fermetures d’usine, secteurs sinistrés (en France, la pêche par exemple). Mais la perspective d’un « no deal » inquiète les plus hauts sommets de l’impérialisme. Ainsi, « aux États-Unis, la présidente démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, n’a pas hésité à mettre en garde le Premier ministre britannique. “Si le Royaume-Uni viole cet accord international et que le Brexit sape l’Accord du Vendredi saint, il n’y aura absolument aucune chance pour qu’un accord commercial entre Londres et Washington passe au Congrès américain”, a-t-elle prévenu » (Les Echos du 11/09).

Économie française : descente en enfers

« On n’a encore rien vu. C’est maintenant que les entreprises font le bilan de leur année et préparent leur prochain exercice. Beaucoup vont se dire qu’elles doivent licencier pour survivre. Les faillites et suppressions d’emploi commencent maintenant ». Le Monde attribue ces propos à un ministre sous le sceau de l’anonymat bien sûr.

C’est la réalité. Le pire est devant nous. Certes la crise a déjà violemment impacté des secteurs entiers. D’ores et déjà, on peut égrener les chiffres du désastre : 2700 plans de licenciements collectifs, une baisse de l’activité au deuxième trimestre par rapport au premier de 13,8 %, une baisse de l’investissement de 17,8 %, un déficit commercial de 34 milliards au premier semestre (en 2019, 29 milliards). Des pertes énormes de certaines entreprises et non des moindres, comme les 7,3 milliards de perte de Renault au premier semestre. À comparer avec 1,4 milliard pour Volkswagen : au royaume des aveugles, les borgnes sont rois.

Les plans de licenciements s’accumulent : Air France, Airbus et ses sous-traitants, ADP, Renault bien sûr, Nokia, Smart – qui ferme après que la direction a fait imposer il y a quatre ans l’augmentation du temps de travail de 35 à 39 heures « pour sauver l’entreprise » -, le secteur de la distribution habillement (La Halle, Camaïeu) avec 6 000 suppressions de poste... Inutile de prétendre dresser la liste complète.

Pour la classe ouvrière, la réalité, c’est celle du chômage de masse, dont les chiffres officiels ne rendent d’ailleurs pas compte.

L’INSEE indique la suppression de 715 000 emplois depuis janvier. Mais à cela Le Monde du 9 septembre ajoute : « Cette disparition massive d’emplois en France s’accompagne d’une forte dégradation de la qualité des emplois existants. D’après l’économiste Hippolyte d’Albis, professeur à PSE (Ecole d’économie de Paris) et directeur de recherches au CNRS, la part du « sous-emploi » dans l’emploi, qui oscille habituellement autour de 6 %, a atteint 20 % au deuxième trimestre, “un niveau jamais enregistré par l’Insee”. “Si l’on additionne les chômeurs toutes catégories et les personnes en sous-emploi, on atteint 11,15 millions de personnes au deuxième trimestre, soit 37,4 % de la population active estimée en 2018”, calcule-t-il. ».

Il faut y ajouter l’augmentation considérable (+ 767 000) de ceux qui relèvent du « halo du chômage » - non comptabilisés officiellement parmi les chômeurs car ayant renoncé à la recherche d’emploi.

Et encore selon le mot attribué à ce ministre, « les suppressions d’emploi commencent maintenant ». En effet, toute une série de licenciements ont été en réalité reportés de quelques mois. Les mesures de chômage partiel ont été quasi intégralement payées par l’État (c’est-à-dire par l’augmentation de l’endettement public en passe de s’élever à 120 % du PIB). Les PGE (prêts garantis par l’État), le report du paiement des cotisations sociales – c’est-à-dire l’étranglement financier de la Sécurité sociale – ont repoussé les échéances. Toutes ces mesures - qui visaient à éviter l’effondrement pur et simple, et ce que la bourgeoisie et le gouvernement continuent de redouter : la déflagration sociale – auront dans quelques semaines épuisé leurs effets.

Les positions de l’impérialisme français en péril

Sur le plan des positions internationales de l’impérialisme français, les choses ne vont pas mieux. Au Mali, le coup d’État militaire qui a chassé Ibrahim Boubacar Keita fragilise encore la position française. C’est en vain que le gouvernement a demandé son rétablissement immédiat à la présidence.

La junte militaire l’a sans doute renversé pour éviter un délitement complet de l’appareil d’État. Depuis des mois se succédaient au Mali des manifestations pour le départ d’« IBK » y associant souvent l’exigence de départ des troupes françaises.

C’est une certitude : le gouvernement devra composer avec la junte comme ont commencé à le faire les États africains voisins. Mais ce que l’on redoute le plus au gouvernement, c’est que la déstabilisation du Mali finisse par s’étendre aux pays voisins. À commencer par la Côte d’Ivoire, où Ouattara, l’homme de la France, passant par-dessus sa propre constitution a décidé de se présenter pour un troisième mandat à la présidence, suscitant des manifestations d’opposition violemment réprimées.

Mais l’impérialisme français ne renonce pas. Tel est le sens des voyages de Macron au Liban. Il s’agit d’une tentative d’y rétablir de manière pleine et entière la domination française. L’explosion du port de Beyrouth lui en a donné l’opportunité. Cette explosion est un pur produit du capitalisme mafieux qui règne dans ce pays. Macron s’y est rendu pour dicter ses conditions et ce que doit être le programme du futur gouvernement.

C’est pour retrouver une place au Moyen-Orient qu’il s’est rendu également en Irak. Dans les deux pays, il y a des troupes françaises, et la première exigence du mouvement ouvrier devrait être de demander leur retrait. Mais c’est là un point sur lequel directions syndicales, PS et PCF sont muets comme des carpes.

Le plan Macron annoncé par Castex

Le gouvernement Macron se prépare donc au violent choc économique qui s’annonce. Il s’y prépare au compte de la classe qu’il défend : la grande bourgeoisie. C’est le sens du « plan de relance » du gouvernement.

Il ne faut pas s’y tromper. Non seulement le plan ne vise pas la défense d’un prétendu « intérêt général » - qui n’existe pas, car il n’existe que des intérêts contradictoires des classes antagoniques -, mais il ne vise même pas les intérêts des patrons en général. Les représentants du gouvernement le répètent à l’envi : le plan n’a pas pour vocation de défendre les entreprises qui de toute façon étaient destinées à disparaître. La crise doit au contraire accélérer la concentration du capital, liquider autant que faire se peut les secteurs où la profitabilité est jugée insuffisante. Le plan ne doit bénéficier qu’aux groupes capitalistes jugés aptes à lutter sur la scène mondiale.

Il n’y a rien d’étonnant donc à ce que, au moment où ferment des centaines d’entreprises, on voie se développer les processus de concentration, de fusions-acquisitions ; on voie Veolia tenter de mettre la main sur Suez en rachetant les actions qu’y possède Engie ; on voie Alstom racheter Bombardier…

Le plan gouvernemental se monte à 100 milliards d’euros, soit le tiers du budget annuel du pays. 40 milliards sont censés venir des fonds du plan de relance européen (voir plus haut). Castex le dit lui-même, ce sont les capitalistes qui en seront les bénéficiaires, non les « ménages », c’est-à-dire la consommation, notamment la consommation populaire : « Les revenus des ménages ont été préservés dans la crise (...) La priorité assumée va donc au soutien assumé à l’offre et à l’investissement productif ».

L’Histoire montre assez qu’il ne suffit pas d’arroser les capitalistes de cadeaux en tout genre pour qu’ils investissent. Toujours est-il que l’une des mesures phares du plan, ce sont les 10 milliards de réduction des « impôts de production ». D’autres mesures fiscales sont prises : réduction de moitié de la taxe foncière sur les locaux industriels.

La présentation officielle du plan divise les affectations de crédit en trois parties : « compétitivité des entreprises », « transition écologique », « cohésion sociale ». Cette présentation est mensongère.

La totalité des affectations va en réalité aux capitalistes. Par exemple, sous couvert de « transition écologique », il s’agit de trouver des débouchés au secteur du bâtiment, de la filière hydrogène, de l’automobile (en particulier de la production de véhicules électriques).

Sous couvert de « cohésion sociale », il s’agit de multiplier les primes à l’embauche, autrement dit de faire prendre en charge par L’État une large part du salaire d’une partie importante des travailleurs.

Un plan de surexploitation de la jeunesse

A cet égard, il faut insister sur la partie du plan consacrée à la jeunesse. Ce plan est un plan de surexploitation de la jeunesse qui réalise d’une autre manière et dans de plus larges proportions encore ce que les Contrats premier emploi (CPE) de Chirac Villepin voulait réaliser.

Le plan prévoit 3 00000 contrats d’insertion, dont la caractéristique est que le salaire est payé, à hauteur de plus de 400 euros par mois, par l’État. Il prévoit une prime de 4 000 euros pour le patron qui embauchera un jeune de moins de 26 ans. Il prévoit la création de 1 00000 « services civiques » rémunérés 580 euros par mois. Signe de l’extrême précarité de la jeunesse : candidatent sur ces emplois des jeunes sortis de l’université parfois titulaires de licences ou de maîtrise. Il faut y ajouter le financement massif de l’apprentissage jusqu’à 8 000 euros par apprenti.

Les jeunes figurent, il faut y insister, parmi les plus grandes victimes de la dernière période. Alors que leur situation antérieure était déjà souvent critique, elle est devenue dramatique pour nombre d’entre eux. Beaucoup ont perdu leurs ressources en étant privés de leur emploi précaire. Pour les étudiants qui ne pouvaient revenir chez leurs parents - en particulier les étudiants étrangers -, le confinement s’est fait dans de terribles conditions, certains ayant même souffert de la faim. Les conditions d’études ont été gravement perturbées, et beaucoup de jeunes se sont retrouvés en détresse psychologique. Aujourd’hui, beaucoup sont amenés à vouloir poursuivre des études faute de pouvoir accéder à un emploi ou à un stage. Les candidatures en master ont explosé et peu seront satisfaites. Les capacités d’accueil à l’entrée de l’université étaient déjà très insuffisantes, et cette année, avec un bac largement octroyé, ce sont des dizaines de milliers de bacheliers qui se retrouvent sans affectation. Si on ajoute les conditions sanitaires, l’année s’annonce donc très difficile.

L’appareil CGT et le plan de relance

La nature du plan de relance, entièrement tourné vers le soutien à la bourgeoisie française, dont les positions ont été durement mises à mal dans la crise, ne souffre donc d’aucune ambiguïté. C’est même communément admis et dit ouvertement, y compris par les organes de presse de la bourgeoisie. De façon étrange en apparence, tel n’est pas le contenu de la déclaration publiée immédiatement par l’appareil confédéral de la CGT le 4 septembre, car après avoir commencé par déclarer que « le gouvernement n’a retenu aucune leçon », l’appareil affirme que « l’élément le plus marquant (dans ce plan) est l’absence de vision stratégique » et s’interroge sur la « réelle ambition politique » du plan de relocalisation. En passant, la déclaration se dit « stupéfaite face au mutisme gouvernemental sur les services publics », comme si le plan de relance annoncé était sans conséquence pour le service public et la Fonction publique, alors qu’il est évident qu’un plan budgétaire de 100 milliards en faveur du patronat a forcément pour corollaire un approfondissement de l’offensive contre les services publics et la Fonction publique.

C’est d’ailleurs très exactement le sens des propos de la nouvelle ministre de la transformation de l’action publique et de la Fonction publique, A. de Montchalin, lorsqu’elle déclare : « il n’y aura pas de relance sans transformation de l’Etat ». 1 milliard est prévu à cet effet dans le plan pour la numérisation de la Fonction publique : il s’agit ainsi de transférer le plus de démarches à l’usager pour sabrer dans les emplois, de développer le télétravail pour faciliter les restructurations et individualiser. Il s’agit aussi pour le gouvernement de poursuivre l’application de la loi dite de transformation de la Fonction publique en passant à la phase du concassage des statuts nationaux.

Comment ne pas voir sur ce sujet que la montée en puissance des pouvoirs des préfets dans les départements à l’égard des différentes administrations, la loi 3D (déconcentration, différentiation, décentralisation), la loi qui renforce le pouvoir des chefs d’établissements dans le premier degré de l’enseignement, que tous ces dispositifs convergent sur un même objectif : l’éclatement des statuts nationaux pour développer la mobilité, la polyvalence et supprimer encore davantage de postes.

Comment ne pas voir que l’accord scélérat sur le Ségur de la Santé ouvre la voie pour toute la Fonction publique à l’éclatement des statuts et garanties nationales des personnels lorsqu’il propulse les négociations locales pouvant remettre en cause les 35 heures, les 11 heures de repos journalier et autres garanties pour réduire le nombre d’équipes ? Pourquoi donc cette pseudo cécité de l’appareil qui voit un manque d’ambition, une absence de vision stratégique dans le plan du gouvernement, alors que celui-ci est au contraire le concentré d’une politique de classe entièrement tournée contre la population laborieuse, la jeunesse et les fonctionnaires ?

Parce que cela justifie la politique que l’appareil de la CGT a affichée haut et fort dès la formation du gouvernement, en particulier dans sa déclaration du 17 juillet au sortir de la réunion organisée par Castex, gaulliste « social » et à ce titre partisan de toujours de l’association capital-travail. Ce jour-là, l’appareil a répondu présent à l’appel du gouvernement demandant que les directions syndicales participent au plan de relance du gouvernement et l’impulsent de haut en bas, via le dialogue social, en déclarant : « la CGT s’inscrira dans l’ensemble des rendez-vous nationaux comme en territoire et organisera, autant que de besoin les mobilisations sociales les plus larges afin de réellement peser sur chacun des dossiers », et en annonçant sa participation aux comités de suivi et d’évaluation du plan mis en place par le gouvernement tant au plan national que territorial.

La même orientation est reprise dans la déclaration du 30 juillet qui fait suite à la concertation sur les mesures issues de la convention climat : « la CGT s’inscrit dans une dynamique de discussions et de négociations d’un plan de relance ». Le discours tenu sur l’exigence d’un plan de rupture n’est qu’une forfaiture de l’appareil qui n’invoque la rupture que pour mieux s’associer à la politique de concertation tous azimuts du gouvernement dans la mise en œuvre de son plan.

À tous les niveaux, car ce n’est pas pour rien que la déclaration du 4 septembre se conclut par l’affirmation selon laquelle « la CGT propose de faire grandir, partout et dans les entreprises, des débats pour que les salariés échangent et décident du travail et des stratégies de production. Nous proposons de travailler moins et mieux mais toutes et tous ». Cette conclusion prend à la gorge : c’est au moment où les prolétaires sont confrontés aux plans massifs de suppression d’emploi et donc à la nécessité de s’organiser au niveau de secteurs entiers, tels que l’aéronautique, pour mener le combat efficacement contre les plans de licenciement, que l’appareil les renvoie à leur isolement entreprise par entreprise. Dans ce cadre l’allusion à la réduction du temps de travail n’est qu’un trompe-l’œil. La vérité, c’est qu’en renvoyant les travailleurs au niveau de chaque boîte et de chaque établissement dans les grandes entreprises (telles que Renault), l’appareil impuissante les travailleurs et les enferme dans les « négociations » sur les APC (Accords de performance collective), les RCC (Ruptures conventionnelles collectives), les APLD (Activités partielles de longue durée). C’est-à-dire très exactement là où le gouvernement veut amener les travailleurs.

L’association étroite des appareils syndicaux aux « accords de performance »

Les accords de performance collective peuvent combiner diminution de salaire (en particulier de la rémunération des heures supplémentaires), augmentation du temps de travail (en particulier sous forme de diminution des jours de congés), mutations imposées, polyvalence et… suppressions d’emploi.

De tels accords se multiplient signés soit par FO, soit par la CGT, soit par les deux.

À Derichebourg, FO majoritaire signe un APC. Il prévoit la suppression du 13e mois pour une partie des travailleurs, le chômage partiel imposé compensé par l’État, contre une garantie qu’il n’y aura pas de licenciement… avant 2022 (le passé a suffisamment montré ce que valait ce genre de garantie !). Une travailleuse gagnant 1800 euros par mois se retrouve en fonction de cet accord… à 1500 euros.

En vertu des ordonnances Macron, l’APC implique donc une modification imposée du contrat de travail. Le travailleur qui la refuse est licencié… et considéré comme démissionnaire (donc sans indemnités de licenciement). 160 travailleurs de l’entreprise vont refuser. Ils sont immédiatement licenciés et il n’y a aucune exagération à dire qu’ils le sont par la décision conjointe du patron et du bureaucrate syndical.

La direction de la CGT n’est pas en reste. Voyons l’accord signé dans l’entreprise métallurgique Aubert et Duval. La direction de l’entreprise en rend compte dans ces termes :

« L’accord prévoit notamment : la mise en place d’un système global pour activer en urgence la polyvalence des salariés en CDI et accompagner ainsi la ré-internalisation d’une partie des prestations externes (intérim, CDD, prestataires). Cette mesure permettrait de préserver jusqu’à 350 emplois en CDI. Un important dispositif de formation est associé à cette mesure et contribuera à développer les compétences tout en renforçant l’employabilité des salariés. La mise en place d’un système agile de gestion des “pics d’activité”, associé à une réduction des majorations des heures supplémentaires, pour servir les clients dans un contexte où la charge de production reste très difficile à planifier. La facilitation de la mobilité géographique temporaire entre sites pour favoriser le renfort de compétences . »

Faut-il commenter ? La « réinternalisation », c’est le licenciement non seulement des intérimaires, CDD, mais aussi des ouvriers des entreprises de sous-traitance. Le développement de l’employabilité, c’est la polyvalence et la déqualification. Et bien sûr la mobilité forcée qui chez Aubert et Duval peut aller de Pamiers, dans les Pyrénées, aux Ancizes dans le Puy-de-Dôme.

Les appareils syndicaux, les « contreparties » au plan Macron
et l’appel à la journée d’action du 17 septembre

L’appel au 17 septembre constitue un pur trompe-l’œil. En effet, les appareils syndicaux ne se contentent pas de prendre en charge les pseudos négociations sur les APC et les plans de licenciements, de participer à toutes les concertations sur le plan de relance. C’est sur tous les plans que se déploie leur politique de prise en charge. Sur les retraites, les dirigeants CGT et FO ont commencé par se féliciter du prétendu « recul » du gouvernement sur l’instauration de la retraite par points. Macron et le gouvernement ont pourtant répété à l’envi que cette réforme serait intégralement maintenue. Mais il y a mieux. Au nom de l’« équilibre » du système – et alors que le gouvernement annonce régulièrement des suppressions de « charges », c’est-à-dire de cotisations pour les patrons, le gouvernement affirme la nécessité immédiate d’augmenter la durée de cotisation. Dans ce but, et comme à l’accoutumée, le gouvernement dégaine le COR (Conseil d’orientation des retraites), toujours disposé à fournir une « étude » justifiant la diminution des pensions et l’augmentation des trimestres nécessaires pour bénéficier de la retraite. Les dirigeants « protestent »… et s’exécutent : ils se sont immédiatement rendus à la convocation du COR pour contribuer à cette forfaiture.

Le fait que le premier projet de loi, soumis à cette session de l’Assemblée nationale, porte sur la réforme du CESE (Conseil économique social et environnemental) témoigne de cette volonté du gouvernement – pleinement partagée par les appareils syndicaux – d’une association permanente de ceux-ci à la politique gouvernementale. Le CESE est un cadre permanent et « consensuel » de collaboration entre les directions syndicales, le patronat et le gouvernement – via les personnalités qu’il y nomme. En 1969, De Gaulle tente par referendum de le faire fusionner avec le Sénat. Cette tentative d’avancer vers le corporatisme sera défaite avec le referendum lui-même. Mais Macron, sous une autre forme, tente à nouveau d’avancer dans le même sens en en faisant « la troisième assemblée de la République ». Le projet de loi actuel postule la saisie obligatoire du dit CESE pour toute législation d’ordre social (quitte à faire disparaître d’autres instances de « concertation »). Il s’agit d’avancer vers la coopération organique des directions syndicales à la politique gouvernementale.

Le 17, c’est donc sur un tout autre terrain que celui de la défense des intérêts ouvriers que les appareils appellent. Alors que leur défense exigerait que les organisations syndicales se prononcent pour le retrait du plan Macron et y opposent les revendications ouvrières, et d’abord la première d’entre elles - retrait des plans de licenciement ! Pas une seule suppression de poste ! -, la position des directions syndicales consiste au contraire à demander que des « contreparties » soient exigées des patrons auxquels sont accordées les diverses primes, exemptions fiscales, etc.

Or demander des « contreparties », c’est d’abord acter le plan de 100 milliards de soutien à la bourgeoisie française pour l’aider à se remettre en selle. La prétendue exigence de contreparties n’est là que pour enrober ce soutien fondamental, lui donner une apparence syndicale. C’est exactement la même fonction que remplit la journée d’action du 17. Son axe réel, c’est le soutien au plan.

Il est d’ailleurs significatif que lorsque dans sa déclaration du 8 septembre l’appareil CGT se récrie contre le fait que dans le plan de relance il n’y ait « pas un mot sur la reconstruction de filières essentielles, en France comme en Europe, pour asseoir notre indépendance sur des filières stratégiques comme le médicament » (sur ce dernier point, la direction de la CGT est injuste. Macron est allé faire un chèque de 120 millions à Sanofi… quelques jours avant que ce dernier annonce un plan de licenciements !), l’appareil parle peu ou prou le même langage que le gouvernement.

Il se situe sur le terrain non des intérêts ouvriers mais de « notre indépendance », c’est-à-dire de la défense de la bourgeoisie française sur le marché mondial. C’est sur cette orientation que se situe l’appel à la journée d’action du 17 septembre.

Les formules tarabiscotées figurant dans la déclaration de la direction de la CGT du 8 septembre ne peuvent cacher ce soutien fondamental apporté au plan du gouvernement :

« Si le gouvernement met en avant sa volonté de souveraineté et de relocalisation, les moyens mis en œuvre ne sont pas à la hauteur des enjeux » (...).

« La baisse des impôts de production à hauteur de 20 milliards tient seule lieu de politique industrielle... »

Il faudrait donc compléter le plan du gouvernement, mais surtout ne pas le combattre en exigeant son retrait. À cet égard, il faut être clair : en appeler au 32 heures, à la réduction du temps de travail, sans commencer par mettre en avant l’exigence du retrait du plan gouvernemental, est une complète tartufferie. Au contraire, une politique ouvrière consiste à mettre en avant le mot d’ordre de retrait du plan et à combattre pour un plan de sauvegarde des intérêts des travailleurs, ce qui commence par la lutte contre le fléau du chômage en répartissant le travail, sans baisse de salaire, entre tous les travailleurs (c’est-à-dire en mettant en place une échelle mobile des heures de travail).

Quant à FO, elle n’appelle pas au 17 mais son soutien au plan du gouvernement est le même, comme en témoigne la « note revendicative » qu’il a remise à celui-ci suite à la réception des « partenaires sociaux » le 17 juillet :

« Au-delà des mesures de soutien à l’emploi, FO estime nécessaire que l’État remplisse pleinement son rôle en matière de relance de l’activité à plus long terme, conduisant à rompre avec les politiques qui ont mené à la désindustrialisation et à la délocalisation des emplois. »

Les tentatives du prolétariat pour se dresser contre la politique des appareils syndicaux

D’ailleurs, pour caractériser l’accord, il suffit de laisser la parole à la section CGT des Ancizes qui titre un tract en date du 6 juillet : « Trahison »

« Votre syndicat CGT Les Ancizes s’est prononcé contre cette régression sociale qu’est l’Accord de Performance collective. Malheureusement pour nous cet accord a été négocié (approuvé) en centrale (…) La direction a tiré sur la laisse, certains comme de bons toutous à la botte de leurs maîtres ont freiné leur ardeur syndicale et militante. Les élus de votre syndicat CGT Les Ancizes ne peuvent aucunement cautionner une telle fourberie de ses instances dirigeantes ».

C’est là l’expression du fait que la classe ouvrière n’accepte pas l’orientation de l’appareil syndical, ce qui ne signifie pas qu’elle a forcément les moyens de lui imposer la rupture avec le gouvernement et les capitalistes.

Un autre exemple en témoigne. La direction du journal l’Equipe avait engagé la discussion avec les bonzes syndicaux sur un APC qui prévoyait là aussi réduction de salaire, diminution des droits à congés, etc. L’appareil syndical CGT engagé dans la discussion avait annoncé qu’il « consulterait » les salariés. Spontanément, les travailleurs ont constitué un groupe WhatsApp qui, à raison de 245 sur 251, s’est prononcé pour le rejet de l’APC que la direction a dû remballer. C’est là l’expression de la force et des limites actuelles des travailleurs. L’obstacle que représente la politique de l’appareil a été contourné. Il n’a pas été détruit. Une autre étape consisterait dans l’organisation de la force qui s’est exprimée contre l’accord pour balayer l’appareil syndical, reprendre possession du syndicat et le mettre au service de la classe ouvrière.

La coopération des appareils syndicaux libère la voie pour l’instauration de l’Etat policier

En même temps que s’instaure à tous les niveaux la coopération étroite du gouvernement et des appareils syndicaux, le gouvernement Macron renforce chaque jour les moyens de l’État policier : création de 1 0000 postes supplémentaires, armement des polices municipales, etc.

Il y a les déclarations provocatrices de Darmanin : « Lorsque j’entends parler de violences policières, j’étouffe », les diatribes contre « l’ensauvagement ». Rendons d’ailleurs à César ce qui est à César et à Chevènement, ministre de l’Intérieur du gouvernement Jospin, ce qui lui appartient. L’inventeur de cette répugnante formule aux relents coloniaux, c’est bien lui, et non Marine Le Pen, même si cette dernière s’en délecte. Il y a les déclarations menaçantes de Macron au Panthéon : « Ceux qui s’en prennent aux forces de l’ordre ne passeront pas ». Il y a les actes : la condamnation d’Olivier Sillam, militant du SNES-FSU à 6 mois de prison avec sursis pour « outrage » à l’égard des flics. Il y a l’annonce d’une loi contre le « séparatisme » qui vise évidemment en premier lieu la population et la jeunesse immigrées des banlieues. Et derrière toutes ces mesures, il y a la crainte du gouvernement. Les puissantes manifestations du début de l’été sur le mot d’ordre : « Justice pour Adama Traoré », rassemblant par dizaines de milliers jeunes des banlieues et étudiants sont dans toutes les mémoires. Qu’à une autre étape des manifestations semblables puissent jouer le rôle de catalyseur de la haine ouvrière contre ce gouvernement, telle est la crainte du gouvernement. Mais il faut le noter : le renforcement de l’appareil policier, la carte blanche donnée par avance à celui-ci pour une répression sans limites ne sont là encore possible que grâce au soutien constant exprimé à l’appareil policier par les dirigeants syndicaux, soutien plus marqué encore depuis les manifestations contre la loi El Khomri (nous renvoyons à l’article sur cette question dans ce numéro de CPS).

À l’échelle mondiale, c’est la réaction qui est à l’offensive: l’exemple des États-Unis

Le déchaînement de l’appareil policier en France entre en résonnance avec la situation aux États-Unis. Chaque jour ou presque rapporte un nouveau cas où la police américaine abat froidement un Noir pour la seule raison qu’il est Noir. Dans 99 % des cas, de tels crimes ne font l’objet d’aucune poursuite pénale. De nombreuses manifestations rassemblant d’ailleurs les jeunes quelle que soit la couleur de leur peau se tiennent sous la bannière de « Black lives matter ».

Pourtant, le fait marquant de ces dernières semaines, c’est la constitution de milices armées affrontant les manifestants, leur tirant dessus à balles réelles : Kyle Rittenhouse, assassin de deux manifestants à Kenosha, et se réfugiant après son meurtre dans les rangs policiers…

Ces milices armées, sur le modèle des hordes fascistes, opèrent en osmose avec la police et le font avec le soutien ouvert de Trump qui parle à propos de ces meurtres d’« auto-défense ».

À cet égard, les élections présidentielles américaines ne sont pas des élections comme les autres. Trump a aligné le Parti républicain sur une orientation d’affrontement violent, armé avec les masses, en premier lieu les masses noires, mais pas seulement, et d’un affrontement appuyé sur la constitution de milices armées en marge – quoiqu’en lien étroit – avec l’appareil de répression officielle.

Mais le Parti démocrate - rappelons que ce parti est historiquement le parti de l’esclavagisme – ne constitue évidemment en rien un rempart contre cette tendance. Du reste Biden-Kamala Harris ne sont pas moins que Trump des adeptes du « Blue lives matter » (la vie des flics importe). La convention d’investiture démocrate a enregistré le soutien honteux de Sanders et en même temps passé par dessus bord tout ce qui dans le programme de Sanders pouvait comporter la moindre gêne aux intérêts des capitalistes (système de santé universel, remise en cause des énormes droits d’inscription dans les universités, etc.). Biden a réaffirmé qu’il n’était pas question de toucher en quoi que ce soit au budget de la police. Il a condamné à la cantonade les « violences »… des manifestants. Il a choisi Harris comme vice-présidente qui donne toute garantie. Comme procureure, cette dernière a, après 2008, enterré toute action contre les grandes banques américaines et leurs prêts d’escrocs, et c’est sous son « règne » que les emprisonnements de Noirs en Californie ont battu tous les records.

On touche là aux limites politiques de la mobilisation de la jeunesse américaine. Certes, il faut noter que les manifestations nombreuses qui ont déferlé se sont souvent dirigées vers les commissariats, et même vers la Maison-Blanche. Il faut noter aussi qu’un certain nombre de syndicats de l’AFL-CIO se sont prononcés – contre la direction – pour que soient expulsés de cette organisation les « syndicats » de flics. Mais au moment où la réaction dans le pays annonce ouvertement se préparer à la guerre civile, le mouvement de la jeunesse américaine est littéralement infectée du poison pacifiste. Les cas de défense armée des manifestations, qui est urgemment à l’ordre du jour, demeurent minoritaires. Et lors du rassemblement de Washington, se sont succédé à la tribune les appels indécents, voire agressifs, à voter démocrate aux présidentielles avec des formules du type : « Celui qui ne vote pas n’est pas un Noir ».

Il est pourtant clair que la mobilisation des masses noires devra renouer avec son histoire : celle du Black Panthers Party, celle du combat pour l’organisation politique des masses noires en relation avec la constitution en dehors des deux partis de l’impérialisme américain d’un véritable parti ouvrier, d’un Labor Party. La constitution d’un tel parti se heurte d’abord à la politique de l’appareil dirigeant de l’AFL-CIO, dont toute l’activité actuelle se résume au soutien à Biden-Harris.

La mobilisation des masses, par-delà les différences de situation,
se heurte partout au même problème : celui de sa direction politique

La situation mondiale est caractérisée par l’insigne faiblesse, dans les pays capitalistes avancés, de réactions ouvrières d’envergure à la situation qui est faite au prolétariat par le capitalisme en crise. Certes faiblesse ne veut pas dire absence, comme en témoigne par exemple la grève de trois mois à Nissan Barcelone contre les licenciements. Mais la disproportion demeure entre la violence de l’attaque et la faiblesse de la riposte.

Cela ne signifie pas qu’à l’échelle mondiale rien ne se passe dans la lutte des classes. Au Liban, contre le régime « multiconfessionnel » et les banques suceuses de sang ; en Biélorussie, pour en finir avec le régime militaro-policier de Loukachenko ; en Thaïlande, où la jeunesse se dresse contre la monarchie ; à Hong Kong, contre l’oppression du PCC et la liquidation des libertés démocratiques des mobilisations de masse se développent.

Mais par-delà les différences de situation, ces mobilisations se heurtent aux mêmes problèmes politiques.

Au Liban, l’explosion du port de Beyrouth vient s’ajouter à une autre explosion plus ancienne : celle de la livre libanaise. L’effondrement de la livre, résultat direct de la spéculation bancaire, a précipité 50 % de la population dans le dénuement le plus absolu. Le système de partage du pouvoir entre les différentes factions religieuses qui se partagent aussi les prébendes distribués à leur clientèle est la cible des mobilisations populaires depuis plus d’un an. Suite à l’explosion du port, on a même entendu scander le mot d’ordre de « Révolution ! » dans les manifestations. Mais la vérité est que les masses n’ont pas de programme et que le prolétariat n’a pas de parti. Du reste, le prolétariat en tant que tel n’est pas présent de manière distincte dans les manifestations. Les organisations syndicales – qui existent dans le pays – ne jouent pour ainsi dire aucun rôle dans les manifestations.

L’exigence d’en finir avec le système multiconfessionnel, d’instaurer la laïcité à travers une assemblée nationale souveraine, celle de l’annulation de la dette, du contrôle ouvrier sur les mouvements de capitaux (contre la fuite endémique de ceux-ci), n’est portée par aucune organisation de quelque importance. Les masses cherchent certes à combattre, mais elles le font dans des conditions de désarmement politique épouvantable.

Il n’en va pas autrement en Biélorussie. De gigantesques manifestations ont eu lieu et ont lieu contre le régime policier de Loukachenko. Il y a eu un début de dislocation de l’appareil policier (l’armée est une armée de conscription et le dictateur ne prendrait pas le risque d’essayer de l’envoyer contre les manifestants). À la différence de la situation libanaise, la classe ouvrière est présente en tant que telle dans les mobilisations. Un mouvement vers la grève générale s’est même développé. Cela s’explique d’autant plus aisément que Loukachenko a introduit récemment une réforme radicale. Tous les ouvriers ne disposent désormais plus que d’un contrat de travail d’un an renouvelable ou non selon le désir de l’appareil policier. L’essentiel des moyens de production demeure certes étatisé. Mais la crise frappe néanmoins de plein fouet l’économie qui ne peut évidemment pas s’abstraire du contexte mondial. Le résultat est que les salaires ont diminué dans de très larges proportions. On comprend la réponse apportée par les ouvriers au dictateur venu solliciter leur soutien : « Pars ! »

Cela étant, la mobilisation actuelle est sous la direction d’une « coordination » ouvertement pro-capitaliste, partisane des privatisations et de l’inféodation directe du pays aux puissances impérialistes. La présence dans ladite coordination du représentant des ouvriers de la grande usine de tracteurs MTZ n’y change rien, d’autant que sur l’orientation politique il ne se distingue en rien des autres membres.

En clair, trente ans après, la situation en Biélorussie reproduit ce qui s’est passé en Pologne ou en Roumanie. La classe ouvrière est utilisée comme masse de manœuvre pour des fins qui sont étrangères à ses intérêts de classe. Elle est politiquement hors d’état de combattre la dictature stalinienne au compte de ses propres intérêts de classe, d’un programme politique qui serait celui de l’instauration du pouvoir des Conseils ouvriers. C’est là le produit de son immense désarroi politique, qui renvoie au fait qu’en Biélorussie, partie intégrante de l’ex-URSS, ne s’est pas constitué, dans la continuité de l’Opposition de gauche dirigée par Trotsky, un véritable parti ouvrier révolutionnaire, un parti de la IVe Internationale. En dernière analyse, c’est le résultat de la trahison par ses dirigeants de la IVe Internationale qui a finalement abouti à la dégénérescence complète de celle-ci et des groupes qui s’en réclament.

Il faudrait citer d’autres exemples de mobilisations récentes, par exemple à Hong Kong. La mobilisation de la jeunesse et de la population laborieuse pour la défense des libertés démocratiques, pour les élections libres pouvait rencontrer au sein du prolétariat de toute la Chine un immense écho. C’était d’ailleurs là la crainte panique de la bureaucratie du PCC. Mais à partir du moment où la direction du mouvement fut accaparée par des forces politiques « indépendantistes », toute possibilité de jonction avec le prolétariat du reste de la Chine était rendue impossible. L’appel à l’« indépendance » par rapport à la Chine – accompagné des appels aux puissances impérialistes, en particulier de l’ancienne autorité de tutelle, la Grande-Bretagne - ne peut rien susciter d’autre dans la classe ouvrière chinoise que l’indifférence, indifférence sur laquelle Xi ne manque pas de s’appuyer pour mener à bien sa politique répressive.

Liban, Biélorussie, Chine : trois situations différentes et un même problème : celui de la direction politique, celui du Parti ouvrier révolutionnaire.

Œuvrer à surmonter le terrible hiatus entre les exigences objectives
et la conscience subjective de la classe ouvrière

Au total, si on essaie d’apprécier globalement la situation mondiale de la lutte des classes qui surplombe la situation particulière de tel ou tel pays, le trait marquant et par beaucoup d’aspects dramatique de la situation est la suivante.

L’explosion brutale d’un nouveau paroxysme de la crise entraîne et va entraîner une situation ramenant le prolétariat des décennies en arrière, du point de vue de ses conditions objectives, voire à l’aube même du capitalisme et de la constitution du mouvement ouvrier. Personne ne peut s’illusionner. Il n’y a aucune possibilité d’un rajeunissement du système capitaliste, d’un retour à une prospérité permettant au prolétariat d’arracher des conquêtes ou même de conserver les garanties existantes. Le système capitaliste n’est pas seulement rentré dans une « stagnation séculaire » comme le dit Summers l’ancien secrétaire au Trésor de Clinton. Il est rentré dans une décadence généralisée et irrémédiable, ponctuée de crises de plus en plus violentes au sortir desquelles la classe ouvrière voit ses conditions d’existence toujours plus dégradées jusqu’aux limites extrêmes des possibilités de l’exploitation de la force de travail.

Cette situation exige impérieusement que le prolétariat, la seule classe productive, la classe qui plus que jamais n’a que ses chaînes à perdre, prenne le pouvoir, et que pour cela elle soit armée d’un programme révolutionnaire tendant vers un seul but : « exproprier les expropriateurs », socialiser l’ensemble des moyens de production et d’échanges, organiser la production en fonction des besoins des larges masses.

Elle met dans ce but à l’ordre du jour les mots d’ordre fondamentaux placés par Trotsky au cœur du Programme de transition :

- contre le chômage, partage du travail entre toutes les mains disponibles, échelle mobile des heures de travail, donc diminution massive du temps de travail sans perte de salaire

- contre la vie chère, échelle mobile des salaires

De tels mots d’ordre intègrent évidemment le combat pour le droit à la santé, la défense de la Sécurité sociale, le droit à l’instruction gratuite et à la qualification, etc.

Mais répétons-le, au moment où la moindre revendication pose la question de la propriété des moyens de production, de tels mots d’ordre ne valent que si on répond à la question du gouvernement. Autrement dit, il n’y a pas d’issue en dehors de la constitution partout de gouvernements ouvriers, s’engageant résolument dans la socialisation des moyens de production et brisant l’échine de la réaction, engageant le démantèlement de l’appareil d’État bourgeois. Et comme un tel gouvernement ne peut survivre à l’échelle locale, il n’y a pas d’autre issue que l’association internationale des pays où la classe ouvrière aura pris le pouvoir, par exemple en Europe, pas d’autre issue que les États Unis socialistes d’Europe.

Or précisément, cette perspective politique demeure enfouie pour la majorité du prolétariat. La tâche apparaît immense et hors de portée. Il y a à cela deux raisons qui d’ailleurs se combinent. Depuis le rétablissement du capitalisme en Russie et en Chine prévaut l’idée qu’il n’y a pas d’alternative au système capitaliste alors qu’est largement partagée l’appréciation selon laquelle celui-ci conduit à la catastrophe. Mais il faut ajouter : cette idée selon laquelle il n’y a pas d’alternative est chaque jour martelée par les appareils dirigeants du mouvement ouvrier selon lesquels le socialisme a échoué, et qui en même temps répètent à l’envi qu’il n’y a pas, en réalité, de crise du capitalisme. Ils vont répétant que « de l’argent il y en a », faisant semblant d’ignorer que l’énorme accumulation du capital fictif et spéculatif, loin d’être un signe de bonne santé du capitalisme, est la plus claire manifestation de la maladie mortelle qui le ronge.

Telle est l’impasse dramatique dans laquelle se débat la classe ouvrière, le « nœud gordien » qui l’enserre. Telle est au bout du compte la raison fondamentale de la faiblesse de la réaction ouvrière, en particulier dans les pays capitalistes avancés. Et pourtant, le nœud gordien devra être tranché. Inévitablement, viendra le moment où la nécessité du combat pour ne pas être écrasé finira par soulever la chape de plomb des défaites passées maintenue par les appareils bourgeois qui dominent le mouvement ouvrier. Il ne fait pas de doute que c’est la jeunesse qui se portera au premier rang de ces combats à venir, dont une avant-garde refera le chemin qui conduit à la réappropriation du programme révolutionnaire.

C’est dans cette perspective que les militants regroupés autour de Combattre pour le socialisme situent leur action, dont le premier acte est le combat partout pour imposer la rupture des organisations ouvrières avec la bourgeoisie, combat qui ne peut être qu’un combat contre les appareils dirigeants, pour qu’ils se soumettent aux exigences de la classe ouvrière ou qu’ils soient démis.

Nous invitons nos lecteurs à s’associer à ce combat.

 

Le 10 septembre 2020

 

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