Article
paru dans le bulletin « Combattre pour le socialisme » n°77 (n°159
ancienne série) - 23 septembre 2020 :
Sous
l’effet de l’épidémie de Covid-19, le monde
en proie à un effondrement économique sans
précédent
qui exacerbe toutes les contradictions
du mode de production capitaliste
pourrissant
Le
contingent réalise le nécessaire : sous le coup de l’épidémie de Covid-19,
la récession mondiale qui s’annonçait fin 2019 se transforme en
dépression économique
Le dernier article sur la situation
économique publié dans CPS n°75 en
décembre 2019 dressait le portrait d’une économie capitaliste engluée dans une
crise profonde depuis 2009 dont elle n’est jamais parvenue à sortir malgré la
débauche d’expédients budgétaires et financiers mis en œuvre par les États
bourgeois et les banques centrales. Loin de permettre de surmonter les
contradictions fondamentales du capitalisme, et d’abord la baisse tendancielle
du taux de profit sur laquelle nous reviendrons, la croissance continuelle de
l’endettement et l’extension de la sphère du crédit à l’œuvre depuis les années
1970 tendent au contraire à reproduire et amplifier les traits pourrissants du
capitalisme en crise.
L’article appréciait d’ailleurs comment
l’épuisement relatif des effets de cette échappatoire, combiné à la
matérialisation croissante des risques qu’ils comportent (bulles d’actifs,
surendettement généralisé, mouvement de changes brutaux), devait inévitablement
conduire à la réaffirmation de ces contradictions et à de nouveaux
développements périlleux dans la crise récurrente du capitalisme à plus ou
moins court terme. L’article ne pouvait cependant pas prévoir combien ces
développements allaient être précipités et amplifiés dans des proportions
inimaginables par la survenue de l’épidémie du Covid-19 en début d’année :
en quelques semaines la nouvelle récession qui s’annonçait s’est transformée en
dépression. A n’en pas douter, l’ampleur du choc confère à la crise actuelle
une profondeur qu’il nous revient d’examiner en détail. Néanmoins, il ne faut
nourrir aucune illusion sur le fait que l’épidémie mondiale, et partant la mise
à l’arrêt durant plusieurs semaines de secteurs entiers du capitalisme, n’ont
pas fait dérailler de manière accidentelle une économie capitaliste en bonne
santé ; cet évènement largement contingent a servi de puissant détonateur
à une explosion qui semblait inévitable à moyen terme et qui constitue un
nouveau développement -particulièrement aigu, il faut le
reconnaître- dans la crise récurrente du capitalisme
qui s’est réaffirmée à partir de 2009. A ce titre, il faut simplement rappeler
l’avant-propos des Perspectives de
l’économie mondiale du FMI d’octobre 2019, c’est-à-dire quelques mois avant
que le Covid-19 ne surgisse : « L’atonie
de la croissance en 2019 se caractérise notamment par un ralentissement marqué
et généralisé sur le plan géographique de l’industrie manufacturière et du
commerce mondial. […] Dans le contexte d’un ralentissement synchronisé et d’une
reprise incertaine, les perspectives mondiales demeurent précaires. Avec une
croissance de 3 %, les dirigeants ne disposent d’aucune marge d’erreur et
doivent coopérer pour atténuer de toute urgence les tensions commerciales et
géopolitiques. » Un an après, la précarité des perspectives a laissé
place à une certitude : l’effondrement n’est pas bien loin.
Face
à la croissance exponentielle de l’épidémie, la bourgeoisie contrainte
de poser des entraves considérables à la mise en valeur du
capital
Afin d’enrayer le développement fulgurant d’une épidémie
ravageuse, les principales bourgeoisies ont toutes été contraintes d’une
manière ou d’une autre de prendre des mesures drastiques, notamment les mesures
de confinement et de fermeture des commerces. La conséquence immédiate de ces
décisions a été de frapper le mode de production capitaliste en son cœur :
soudainement, la production et la réalisation de la plus-value ont été
considérablement perturbées et ralenties, et cela à peu près partout dans le
monde. Comme l’a souligné Marx, la mise en valeur du capital est un « mouvement
sans fin ni mesure » si bien que le mode de production capitaliste, plus
qu’aucun autre, ne peut supporter une telle interruption de l’activité
économique. Dans les faits, les prévisions officielles témoignent toutes d’un
effondrement historique de l’activité économique : dans la plupart des
pays développés, on s’attend à ce que le PIB recule d’un ordre de grandeur
allant de 5 % à 10 % sur l’ensemble de l’année 2020 et, au plus fort
du confinement, l’activité économique avait plongé de 20 % à 30 %.
Taux de croissance du PIB ( %) - (Source : FMI) |
||||||||
|
2018 |
2019 |
2020* |
|
|
2018 |
2019 |
2020* |
Monde |
3,6 |
2,9 |
-4,9 |
|
Grande-Bretagne |
1,3 |
1,4 |
-10,2 |
États-Unis |
2,9 |
2,3 |
-8 |
|
Chine |
6,7 |
6,1 |
1 |
Zone euro |
1,9 |
1,3 |
-10,2 |
|
Inde |
6,1 |
4,2 |
-4,5 |
Japon |
0,3 |
0,7 |
-5,8 |
|
Brésil |
1,3 |
1,1 |
-9,1 |
À l’heure où ces lignes sont écrites,
l’OCDE vient de publier de nouvelles prévisions : « La baisse de la production mondiale en 2020 est plus modeste qu’on
ne s’y attendait, quoique sans précédent dans l’histoire récente, mais elle
dissimule des écarts considérables entre pays, les chiffres ayant été révisés à
la hausse pour la Chine, les États-Unis et l’Europe, tandis qu’ils sont
inférieurs à ce que l’on anticipait en Inde, au Mexique et en Afrique du
Sud. » Le rapport poursuit : « Dans
la plupart des économies, le niveau de la production à la fin de 2021 devrait
rester en deçà de celui auquel il s’établissait à la fin de 2019 ».
Ces estimations sont elles-mêmes
entièrement soumises aux développements de l’épidémie dont on mesure chaque
jour un peu plus qu’elle est tout sauf endiguée à l’échelle mondiale comme
l’explique clairement l’OCDE : « une
résurgence plus vigoureuse de la pandémie, ou des mesures d’endiguement plus
strictes, pourraient amputer de 2 à 3 points de pourcentage le taux de
croissance mondiale en 2021, se traduisant par une montée du chômage et une
période prolongée d’atonie de l’investissement. » (1) Pire
encore, ce qui apparaissait il y a quelques mois comme un choc
exceptionnellement profond mais temporaire est en train de s’affirmer comme un
problème structurel qui va entraver toute forme de reprise en perturbant
durablement la production et la réalisation de la plus-value de nombreux
secteurs : le tourisme et les transports, et donc en cascade certains
secteurs industriels comme par exemple l’aéronautique, le commerce en général
ou encore l’immobilier commercial à travers la moindre demande de bureaux avec
l’élargissement du télétravail et ainsi par capillarité le secteur de la
construction. L’augmentation considérable de l’incertitude conjuguée au choc
qui a déjà durement affecté les finances des entreprises va également peser de
tout son poids sur l’ensemble de leurs investissements. Quant au commerce
mondial déjà largement perturbé par la guerre commerciale que se livre les
États-Unis et la Chine, le FMI prévoit en l’état une contraction de près de
12 % d’ici la fin de l’année. De ce point de vue, le pire est devant nous.
La bourgeoisie au chevet du
capital : des plans de sauvetages en apparence considérables…
Face à ce qui s’affirme de plus en plus comme une véritable
dépression économique, les principales bourgeoisies n’ont pas vraiment
tergiversé : instruites par les évènements de cette dernière décennie, des
milliards ont été déversés pour permettre aux entreprises de faire face
immédiatement au brutal ralentissement de l’activité économique : reports
et annulations de taxes et de cotisations sociales, moratoires sur les intérêts
et les loyers, dispositifs dits de « chômage partiel » , aides
et subventions directes, recapitalisations et surtout prêts massifs garantis
par les États.
Les chiffres évoqués par la presse situent le soutien direct des
États bourgeois à l’économie capitaliste (par opposition au soutien indirect
que constituent les prêts garantis par les États) au moins au niveau de celui
de 2008, et parfois plus haut. Cependant, il est compliqué de se figurer
l’étendue exacte de ce soutien direct : de nombreuses mesures annoncées
demandent encore à être traduites dans les budgets des États et parfois ces
mesures seront échelonnées sur plusieurs années. Oxford Economics
estime par exemple que le plan de relance de 100 milliards du gouvernement
Castex n’en pèse réellement que moitié moins, une partie des mesures devant
être décaissées en 2021 et 2022 et une autre partie constituant des dispositifs
déjà à l’œuvre. Aux États-Unis, le soutien budgétaire semble colossal ‑ on
estime qu’il avoisine les 10 % du PIB ‑ mais la réalité est
beaucoup plus nuancée. Le Comité pour un budget fédéral responsable, sorte
d’institut économique bipartisan, explique ainsi : « Les mesures de sauvetage économique coûteront 12 % rapporté
au PIB de l’année fiscale 2020 ‑ contre seulement 1 % du PIB en
2008 et 4 % en 2009. Cependant, les dépenses de relance n’ont diminué que
progressivement entre 2009 et 2012, alors que selon la loi actuelle, elles
deviendront négatives à partir de 2022. [...] Entre 2008 et 2012, le gouvernement
fédéral a mis en place des mesures de relance budgétaire et d’autres mesures de
soutien économique pour un montant d’environ 1 800 milliards de dollars. En
comparaison, nous estimons que la législation adoptée pour lutter contre la
crise actuelle coûtera environ 2 500 milliards de dollars au cours des cinq
prochaines années. En pourcentage du PIB sur cinq ans, ces chiffres sont
presque identiques, soit respectivement 2,4 % et 2,3 %. […] Si
l’ampleur de la réponse est comparable sur une période de cinq ans, l’argent a
été dépensé beaucoup plus rapidement cette fois-ci. L’aide budgétaire accordée
pendant la Grande Récession a été dépensée progressivement entre 2008 et 2012.
En comparaison, nous estimons que les 1 800 milliards de dollars de l’aide
actuelle ont déjà été déboursés et que la totalité des 2 500 milliards de
dollars sur cinq ans sera dépensée d’ici le 1er octobre de cette année. » (2).
La question qui se pose est donc de savoir si l’état fédéral
américain a les moyens de poursuivre son soutien à ce rythme infernal ? Et
sur ce plan, la situation de blocage qui prévaut entre les élus démocrates et
républicains autour d’un nouveau plan de soutien apporte quelques éléments de
réponse.
Une grande incertitude entoure donc les moyens financiers absolus
des États bourgeois pour faire face à la crise. Toutefois, les estimations
données reflètent assez fidèlement les rapports entre bourgeoisies nationales.
Tandis que les États-Unis, l’Allemagne et le Japon affichent des mesures de
soutien direct avoisinant les 10 % du PIB, celles annoncées par la France,
l’Espagne ou l’Italie peinent à dépasser les 4 % du PIB. Les capitalismes
de second rang, dont la France, sont bien plus démunis et contraints, en
retour, de recourir de manière disproportionnée au crédit, ce qui n’est pas la
même chose en matière d’impulsion économique. Quant au plan de soutien européen
triomphalement annoncé en juin, il faut d’abord noter que sur les 750 milliards
d’euros affichés, seuls 390 milliards correspondront à un soutien direct, soit
3 % du PIB de l’UE, le reste étant constitué de nouveaux crédits. Surtout,
la question de son financement demeure largement irrésolue et la construction
institutionnelle bancale de ce plan visant à ménager les intérêts antagonistes
de chaque bourgeoisie est susceptible d’en atténuer considérablement la portée.
…
derrière lesquels se dresse une vague de faillites sans précédent
Dans l’ensemble cependant, ni ces
transferts directs ni le surcroît d’endettement ne pourront durablement masquer
la réalité : des pertes considérables ont été essuyées par l’économie
capitaliste dans son ensemble durant les périodes de confinement et, encore
aujourd’hui, d’autres se constituent en raison de l’activité économique
toujours déprimée. Les mesures de soutien direct transfèrent simplement cette
charge du secteur privé au secteur public et le recours au crédit, afin de
donner une bouffée d’air aux entreprises des secteurs les plus affectées,
permet tout au plus de repousser la reconnaissance de ces pertes, de retarder
le processus de dévalorisation et de liquidation de capitaux superflus.
Toutefois, étant donné l’importance du choc, l’illusion ne pourra durer bien
longtemps. Grâce à leurs interventions, les différentes bourgeoisies n’ont fait
que décaler dans le temps le moment où une vague de faillites sans précédent va
frapper l’économie capitaliste. C’est ce qu’expliquent très justement les
économistes d’Euler Hermès, un assureur crédit : « Alors que la crise Covid-19 affecte
fortement un grand nombre d’entreprises, la vague de défaillances sera décalée
dans le temps et aura lieu entre le second semestre 2020 et le premier semestre
2021. […] In fine, Euler Hermes estime que les
défaillances d’entreprises à l’échelle mondiale croîtront de +35 % entre
2019 et 2021 (+17 % en 2020, +16 % en 2021), soit le plus haut niveau
jamais atteint depuis la crise de 2009. […]
En France, la vague de défaillances
arrivera au T4 2020 et se prolongera sur le premier semestre 2021. […] Entre
2019 et 2021, le nombre de défaillances d’entreprises croîtra de +25 % en
France. En matière de volume, un triste record sera prochainement
atteint : en 2021, plus de 64 000 défaillances d’entreprises sont
attendues en France » (3).
Aux États-Unis, la situation des PME se
dégrade rapidement comme l’indique un article du New York Times du 1er
septembre : « Les données de Homebase, qui fournit des logiciels de gestion du temps aux
petites entreprises, montrent qu’environ 20 % des entreprises qui étaient
ouvertes en janvier sont fermées temporairement ou définitivement. Le nombre
d’heures travaillées - un indicateur
approximatif des revenus- est encore plus
bas pendant ce qui devrait être la période la plus chargée de l’année. […] Fin
avril, environ un tiers des petites entreprises interrogées par le Bureau du
recensement ont déclaré qu’elles s’attendaient à ce qu’il faille plus de six
mois pour que les affaires reviennent à la normale. Quatre mois plus tard, près
de la moitié d’entre elles le disent et 7,5 % d’entre elles déclarent ne
pas s’attendre à ce qu’elles se remettent complètement. Environ 5 % des
personnes interrogées ont déclaré qu’elles prévoyaient de fermer définitivement
leurs portes dans les six prochains mois. Les dégâts pourraient être bien plus
importants en fin de compte. Dans une enquête récente de la Fédération
nationale des entreprises indépendantes, un groupe de lobbying des petites
entreprises, 21 % des petites entreprises ont déclaré qu’elles devraient
fermer si les conditions ne s’amélioraient pas dans les six prochains mois. D’autres
enquêtes menées dans le secteur privé ont donné des résultats
similaires. » (4)
Si la vague de défaillances a déjà
commencé à se matérialiser, elle n’a pas encore donné sa pleine mesure pour
plusieurs raisons : 1°) les mesures de soutien direct et les prêts
garantis par les États ont effectivement offert un répit à des millions de
capitalistes ; 2°) le fait qu’un certain nombre d’entreprises ont pu
chercher à “passer l’été”, dans le commerce et le tourisme notamment, malgré
une situation déjà largement compromise ; 3°) enfin et surtout les
procédures collectives ont souvent été gelées et les outils d’enregistrement
administratif des faillites que sont les greffes et les tribunaux de commerce
ont souvent été fermés des mois durant !
Or, les dispositifs de soutien aux
entreprises vont nécessairement se réduire : les reports de taxes et de
cotisations ne pourront s’éterniser, tout comme les moratoires sur le paiement
des loyers et des intérêts d’emprunt, et les mécanismes de type « chômage
partiel « qui apparaissent comme une charge de plus en plus insupportable
pour les États bourgeois. A ce stade, la question des déficits publics et de
l’endettement public semble avoir été temporairement mise en sourdine face à
l’urgence, en grande partie grâce aux interventions des banques centrales alors
que les spread
souverains remontaient dangereusement au printemps. Il n’en demeure pas moins
que les niveaux très élevés de dette publique hérités de 2009 limitent
considérablement les marges de manœuvres financières des États. Même aux
États-Unis, les différentes franges de la bourgeoisie ne parviennent plus à
s’entendre sur la façon de poursuivre le soutien à l’économie et la perspective
d’une nouvelle salve de mesures d’ici aux élections présidentielles de novembre
s’amenuise jour après jour. En conséquence de quoi, à mesure que le soutien
d’urgence va commencer à se réduire, beaucoup d’entreprises vont rapidement
constater que ni les prêts garantis éventuellement souscrits ni les aides
reçues ni même les quelques mois de faible activité depuis le déconfinement
n’auront permis de rétablir une profitabilité minimale indispensable à la
poursuite leur activité et déposeront ainsi leur bilan. Celles qui ne mettront
pas la clé sous la porte vont devoir procéder à des restructurations massives
tandis qu’il faut s’attendre à une vague de consolidation dans de nombreux
secteurs.
Pour
les masses, la crise se manifeste d’abord par une vague de licenciements sans
précédent
et une augmentation considérable du chômage partout dans le
monde
Aux États-Unis, en quelques semaines, ce
sont des dizaines de millions de travailleurs qui se sont inscrits au chômage,
jusqu’à près de 30 millions certaines semaines, sous l’effet du confinement. Si
depuis le printemps ces chiffres ont quelque peu baissé suite à la reprise
d’activité, la vague de faillites qui s’amorce et les restructurations qui
s’imposent aux entreprises vont durablement priver d’emploi des millions de
travailleurs américains. En raison de la faiblesse des acquis du prolétariat
aux États-Unis, ces masses sont immédiatement menacées de paupérisation,
particulièrement depuis début juillet, avec la fin du surcroît de 600$ octroyés
par l’état fédéral afin de compléter les allocations chômage de misère des
États américains. Dans un article du World
Socialist Web Site décrivant la situation
terrible des travailleurs américains, on peut lire : “Feeding America (Nourrir l’Amérique), le plus grand réseau de banques
alimentaires et de garde-manger aux États-Unis, estimait avant la pandémie
qu’un nombre colossal de 37 millions de personnes aux États-Unis étaient en
situation d’insécurité alimentaire. Parmi eux, il y aurait 11 millions
d’enfants. Feeding America estime aujourd’hui que
plus de 54 millions de personnes pourraient être confrontées à l’insécurité
alimentaire en 2020. Maintenant il y aurait 18 millions d’enfants. » (5)
En Europe, malgré l’existence de
systèmes d’assurance chômage plus avantageux, la situation des masses se
dégrade profondément sur le front de l’emploi : des millions de travailleurs
actuellement au « chômage partiel « vont in fine perdre leur emploi
et venir gonfler les rangs des dizaines de millions de chômeurs structurels
français, espagnols, italiens et allemands comme l’explique l’INSEE :
« Pendant la période de confinement,
un grand nombre de personnes sans emploi avaient interrompu leurs recherches,
conduisant, malgré la baisse de l’emploi, à une baisse du nombre de chômeurs au
sens du bureau international du travail (BIT) et à une hausse du halo autour du
chômage (personnes sans emploi qui souhaitent travailler mais ne sont pas en
recherche active et/ou ne sont pas disponibles pour travailler). Cet effet, très spécifique au confinement mais pas
spécifique au marché du travail français, s’estomperait en grande partie au
second semestre. De ce fait, le taux de chômage augmenterait alors très
nettement dès l’été : il s’établirait ainsi autour de 9,5 % de la
population active en fin d’année 2020, soit 2,4 points de plus que mi-2020 et
1,4 point de plus qu’un an plus tôt. » (6).
En Chine aussi, des millions de
travailleurs ont perdu leur emploi dans des proportions jamais vues depuis des
décennies, notamment les centaines de millions de travailleurs migrants ainsi
que l’explique une publication du Trésor : « Le marché du travail était déjà sous tension du fait du ralentissement
économique. D’après sa nouvelle définition, le taux de chômage a été stable en
2019 en légère hausse par rapport au S2 2018. Cette stabilité relative cache en
réalité une détérioration du marché de l’emploi mise en évidence par les
indices PMI emplois liée à des difficultés structurelles amplifiée par les
tensions commerciales avec les États-Unis. Globalement, la croissance du nombre
d’emplois ralentit en lien notamment avec un effondrement des emplois dans
l’industrie (depuis 2014, 17 millions d’emplois ont été perdus dans le secteur
de la construction et dans l’industrie et le nombre d’emplois dans ces secteurs
a chuté de 6 % par an au cours des deux dernières années). Le chômage a
fortement progressé début 2020 sous l’impact de l’épidémie de Covid-19. […]
La crise touche les deux populations les
plus fragiles : travailleurs-migrants et jeunes diplômés. » (7).
Enfin, dans de nombreux pays
« émergents », c’est la barbarie. L’absence ou la faiblesse des acquis
du prolétariat dans ces pays rejette des millions de travailleurs dans la
misère la plus totale. La situation des masses au Brésil ou en Inde fait froid
dans le dos. Dans ce dernier pays, ce sont d’après le New York Time près de 200
millions d’indiens qui pourraient retomber dans la pauvreté et cela dans un
contexte où, comme l’indique le titre d’un article du Monde du 8 septembre, « Coronavirus : en Inde, l’épidémie semble hors de contrôle ».
L’offensive
de l’impérialisme US contre la montée en puissance de l’impérialisme chinois
redouble d’intensité et nourrit les tensions inter-impérialistes
La constitution d’un marché mondial est
l’un des accomplissements les plus importants du capitalisme. Combattre pour le
socialisme a analysé comment la restauration combinée du capitalisme en URSS
puis en Chine puis l’intégration de ces pays au marché mondial ont fourni les
conditions essentielles pour permettre l’essor considérable des échanges
internationaux de marchandises et de capitaux qui a en quelque sorte culminé en
2008. Depuis, sous les coups de la résurgence de la crise du capitalisme et des
tensions entre impérialismes qu’elle nourrit, la croissance du commerce
international et des flux de capitaux a marqué le pas.
Le choc produit par le coronavirus constitue
à présent un formidable accélérateur de ces tendances. D’abord, de manière
structurelle, le coup d’arrêt mis à la circulation et aux échanges de
marchandises en raison des fermetures de frontière et des confinements qui se
sont succédés a déstabilisé de nombreuses chaînes d’approvisionnement. Ensuite,
la vague de faillites qui arrive va continuer d’affaiblir les « chaînes de
valeurs mondiales « : la faillite d’un ou plusieurs fournisseurs
intervenant à une étape stratégique du processus de production peut ainsi
complètement perturber de nombreuses entreprises en cascade pendant des mois.
Surtout, ce phénomène est lui-même
amplifié par l’offensive de plus en plus frontale que mène l’impérialisme US
contre la montée en puissance du « jeune « impérialisme chinois. Sous
la conduite de Trump, l’impérialisme US tente de bouter Huawei
-maintenant les 38 entreprises du groupe Huawei,
Tiktok, WeChat ainsi que
d’autres champions nationaux chinois- hors du marché
mondial et de les refouler sur leur marché domestique comme le montre
l’offensive multiforme engagée par l’impérialisme US pour donner une dimension
internationale à cette politique d’endiguement de l’impérialisme chinois (avec
un succès réel). En envisageant de placer le leader chinois de la fabrication de
semi-conducteurs, SMIC, sur la liste noire des entreprises avec lesquelles les
groupes américains se verraient interdire de commercer, l’impérialisme US va
même jusqu’à dresser des obstacles à Huawei sur le
marché chinois : SMIC, qui est en effet appelé par Huawei
à se substituer aux entreprises américaines pour lui fournir les précieux
semi-conducteurs, est lui-même très dépendant de fournitures américaines. Cette
escalade dans la guerre commerciale tend naturellement à s’étendre hors du
cadre économique pour se transformer en conflit politique aigu.
Pour comprendre cette transformation, il
faut sans doute mesurer combien sur le strict plan de l’objectif annoncé - réduire le déficit commercial américain, et en particulier
celui vis-à-vis de la Chine - la politique
économique et commerciale de Trump est en train de subir un profond revers
ainsi que l’explique Brad Setser : « Malgré tous les discours sur le découplage
sino-américain, la structure générale du commerce mondial - du
moins la partie déséquilibrée du commerce mondial -
est remarquablement simple à l’heure actuelle. Du côté des excédents, on trouve
la Chine, ainsi que quelques autres producteurs asiatiques de produits
manufacturés. Keith Bradsher a indiqué que la part de
la Chine dans les exportations mondiales a atteint un record au deuxième
trimestre, à près de 20 %. [...] Et du côté des déficits, il y a les
États-Unis. [...] Ce qui est frappant cependant, c’est que la pandémie a
entraîné une compression de la plupart des autres déséquilibres commerciaux, de
sorte qu’il ne reste pratiquement plus que l’important excédent chinois et le
déficit américain tout aussi important ». (8)
Or, c’est notamment la réponse
spécifique de la Chine face à l’approfondissement considérable de la crise qui alimente
cette tendance. D’abord la Chine a relancé sa machine économique plus
rapidement que les autres impérialismes, en raison du décalage dans la
diffusion du virus et des mesures de confinement, accroissant ainsi ses
exportations vers des marchés américains et européens où la production tournait
au ralenti. Ensuite, contrairement aux États-Unis qui ont massivement soutenu
la consommation des ménages (ce qui n’est pas en contradiction avec les
considérations précédentes sur la situation désastreuse des masses US), et aux
pays européens où cette même fonction a pu être remplie par les mécanismes de
chômage partiel et des acquis plus solides, la bureaucratie chinoise a
principalement soutenu l’investissement et les exportations de ses entreprises
au prix d’un endettement toujours plus élevé. Dans cette configuration, la
Chine « suce la roue » des plans de soutien US et UE, et cela
explique en partie pourquoi l’économie chinoise semble mieux résister, à ce stade, que les vieux impérialismes
face à la crise. Mais cette béquille ne pourra tenir longtemps : le
soutien à l’économie va nécessairement se réduire aux États-Unis et en Europe
et la Chine devra rapidement faire face à ses propres contradictions, et
notamment au problème que constitue la masse de capital improductif investi
cette dernière décennie et qui ne cesse de gonfler.
Si la crise actuelle exacerbe les
rivalités inter-impérialistes, en particulier entre les USA et la Chine, en
retour, de manière dialectique, ces rivalités chauffées à blanc constituent un
facteur d’aggravation important de la crise car, ce faisant, chaque état
national déchire avec violence l’unité organique constituée par
l’internationalisation aujourd’hui très poussée des forces productives.
Une
extension toujours plus grande de la sphère du crédit
Les bourgeoisies des vieux impérialismes
n’ont objectivement plus les mêmes moyens de « socialiser les
pertes » passées et à venir qu’à la fin des années 2000. Les niveaux
d’endettement public hérités de la crise ouverte en 2009 limitent considérablement
la capacité financière des bourgeoisies à soutenir directement leurs
entreprises en creusant les déficits. Cette relative impuissance a deux
conséquences. D’une part, les bourgeoisies vont devoir porter des coups d’une
violence considérable contre ce qu’il reste des acquis de la classe
ouvrière : à l’impuissance financière répondra une férocité dans les coups
portés contre les acquis afin d’écraser socialement le prolétariat. D’autre
part, les États bourgeois dont la capacité à creuser les déficits publics est
plus limitée doivent en retour se reposer de manière disproportionnée sur les
interventions des banques centrales et l’élargissement de la sphère du crédit.
C’est une tendance profonde et propre à l’impérialisme comme l’illustre l’augmentation
continue du volume de dettes rapportées au PIB à l’échelle mondiale depuis le
début des années 1970 présentée dans le graphique ci-dessous.
Afin de maintenir ininterrompu le flot de crédit en dépit du ralentissement
considérable de l’activité, les banques centrales ont encore repoussé les
limites de leur interventionnisme. Sous le coup de nouveaux programmes de
rachat d’actifs financiers et de prêts au secteur financier toujours moins
sélectifs, le bilan de la BCE est passé de 4 500 mds d’euros à la fin de
l’année 2019 à plus de 6 500 milliards d’euros fin août. Celui de la Fed a cru
pour les mêmes raisons de 4 000 mds d’euros à 7 000 mds d’euros sur cette
période. C’est colossal.
C’est d’autant plus colossal que la
vague de faillites qui arrive va mécaniquement produire une vague de défauts
sur de nombreux prêts et obligations et ainsi considérablement raviver les
tensions financières. Les banques sont en première ligne et les provisions
qui ont été constituées jusqu’à présent semblent largement insuffisantes ainsi
que l’explique un article de la Tribune :
« Dans son rapport, Accenture prévoit qu’au niveau mondial, les banques devront
provisionner « entre 2 % et 2,4 % de leurs portefeuilles
de crédits, afin de couvrir les pertes attendues en matière de prêts impayés −
soit près du double des abandons de créances enregistrés lors de la crise
financière mondiale de 2008. » (9) Derrière
les discours rassurants sur la solidité des banques, qui auraient prétendument
tiré les leçons de la crise, personne ne sait véritablement comment le système
bancaire va pouvoir supporter la vague de défauts à venir alors même que
l’engagement de la Fed et de la BCE semble toujours plus proche de la rupture.
En la matière, il faut cependant se garder de vouloir fixer des limites
absolues à cet engagement.
Les difficultés objectives de la
bourgeoisie à repousser les contradictions de l’économie capitaliste au moyen
d’un élargissement de la sphère du crédit ne réside pas tant dans
l’impossibilité de procéder à cet élargissement sur le plan quantitatif comme
l’illustre la situation actuelle (il n’est toutefois aucunement exclu que cette
extension quantitative rencontre des obstacles infranchissables au bout d’un
moment). Actuellement, ces difficultés viennent d’abord de ce que les mêmes moyens n’ont pas les mêmes effets,
autrement dit que l’endettement croissant de l’économie capitaliste permis par
les interventions des banques centrales ne parvient à impulser qu’une
croissance du PIB toujours plus faible.
À
propos des interventions des banques centrales : entre impuissance et
désarroi
La résurgence la crise du capitalisme en
2009 avait conduit les banques centrales à étendre considérablement leurs
interventions dans l’économie à travers les opérations de politique monétaire
dites non-conventionnelles. Leur bilan a ainsi gonflé à mesure qu’elles
fournissaient des liquidités créées ex nihilo en contrepartie de l’acquisition
de titres financiers (obligations publiques puis privées, prêts titrisés) et de prêts au secteur bancaire. Depuis, jamais
les bilans des banques centrales ne sont revenus à leur niveau d’avant 2009,
loin s’en faut. Le soutien est devenu permanent et la tentative de la Fed de
réduire la taille de son bilan et de remonter ses taux d’intérêt en 2018 a
rapidement tourné court. En réalité, le système financier, et partant le
système économique, ne semblent tenir que par l’intervention incessante des
banques centrales. Mais de nombreux éléments dans la situation actuelle indiquent
surtout les difficultés grandissantes que rencontrent les banques centrales à
contenir et retarder la purge d’une masse immense de capital qui prendrait
d’abord la forme d’une explosion financière.
Il est ainsi essentiel de revenir sur le
krach méconnu qui a frappé le marché des bons du Trésor US au printemps : « Le gouvernement fédéral emprunte en
émettant des titres de créance du Trésor, considérés comme les titres les plus
sûrs et les plus liquides au monde. Ils servent de réserve de valeur, de véhicule
de couverture pour les épargnants et investisseurs mondiaux et de référence par
rapport à laquelle d’autres formes de prêts sont comparées. […] Les titres du
Trésor sont au cœur des marchés financiers. Le rendement de la dette du Trésor,
considéré comme exempt de risque de crédit (le risque de non-paiement), est une
référence clé pour de nombreux autres actifs financiers. Les titres sont
également essentiels aux prêts à court terme. Des milliards de dollars de prêts
au jour le jour utilisent les bons du Trésor comme garantie. Et ce sont des
actifs pour les jours de pluie : des investissements sûrs et stables que
les banques, les entreprises et les gouvernements accumulent en supposant
qu’ils peuvent être rapidement vendus à faible coût s’ils ont besoin de
liquidités rapidement. Cela signifie que les perturbations du marché de la
dette du Trésor américain peuvent rapidement se propager au reste du système
financier. Une telle perturbation influe non seulement sur le taux d’intérêt
auquel les consommateurs, les entreprises et les gouvernements des États et
locaux empruntent, mais - à l’extrême - peut rendre difficile pour eux
d’emprunter. […]
« Mais en
mars, alors que les marchés financiers acceptaient les effets néfastes du
COVID-19, les investisseurs se sont précipités hors des bons du Trésor et se
sont précipités vers les liquidités. La profondeur et la liquidité ont disparu,
les prix sont devenus extrêmement volatils, les vendeurs ont eu du mal à
trouver des acheteurs prêts à un prix raisonnable, et vice versa. ». L’article
poursuit en expliquant comment le dysfonctionnement majeur du marché des bons
du trésor US s’est propagé à d’autres compartiments du secteur financier au
point de gripper toute la machine. C’est ce qui a poussé la Fed à intervenir au
cours du mois de mars en se portant acquéreuses de ces bons du Trésor pour des
montants considérables. Mais ici encore, la violence du choc que constitue le
Covid-19 et ses conséquences sur les marchés ne peuvent aucunement dissimuler
le fait que le système financier avait déjà subi un coup de semonce à l’automne
dernier lors du dysfonctionnement majeur du marché des repos. La Fed avait déjà
dû intervenir en urgence et fait montre de beaucoup de fébrilité.
La décision de la Fed de basculer vers
un système dit de « ciblage de l’inflation en moyenne » illustre
également le désarroi qui gagne les banques centrales. Au-delà des aspects
purement techniques sur la conduite de la politique monétaire et le risque
déflationniste, l’importance de cette décision tient en ce qu’elle devrait
permettre à la Fed de maintenir ses taux d’intérêt durablement bas et de
poursuivre encore son stimulus monétaire, y compris si l’inflation venait à
dépasser la cible de 2 %. La Fed vient d’ailleurs d’annoncer qu’elle
maintiendrait ses taux à des niveaux proche de zéro au moins jusqu’en … 2023.
Nous n’avons malheureusement pas le temps de développer mais l’extension qui
semble à présent sans limite du soutien monétaire que la Fed déploie va
contraindre les autres banques centrales à lui emboiter le pas sur fond de
« guerre » monétaire et de risque de déflation.
Ce
qu’expriment fondamentalement les taux d’intérêt extrêmement bas,
c’est la loi de la baisse tendancielle du taux de profit
Toute la situation actuelle exprime
fondamentalement la contradiction suivante : les niveaux d’endettement
considérables des entreprises et des États rendraient immédiatement
insupportable pour nombre d’entre eux une réduction du soutien monétaire
permanent qu’apportent les banques centrales et qui s’accompagnerait d’une
remontée générale des taux d’intérêt : ces entreprises ou ces États se
trouveraient rapidement dans l’impossibilité de refinancer leurs dettes en
raison des charges financières croissantes qui en découleraient et une masse
considérable de capital serait menacée d’être balayée. Depuis plus de dix ans,
les interventions des banques centrales ont ainsi pour effet désiré de
maintenir les taux d’intérêt à un niveau extrêmement bas afin de permettre le
refinancement de cette masse énorme de capital sans interruption ni explosion.
Ce qu’il faut bien saisir, c’est combien
cette nécessité de maintenir des taux d’intérêt aussi bas n’est pas un
phénomène purement monétaire et indépendant des difficultés de mise en valeur
du capital que rencontre le capitalisme depuis des décennies. Il faut pour cela
revenir brièvement sur l’origine de l’intérêt.
Comme Marx l’explique, l’intérêt n’est
rien d’autre qu’une fraction de la plus-value produite et destinée à rémunérer
les capitalistes prêteurs d’argent. Elle est une ponction sur la plus-value
produite et son importance relative procède d’un rapport de force entre les
capitalistes industriels à l’origine de la plus-value et les capitalistes
prêteurs d’argent qui ont avancé le capital et entendent être rémunérés pour
cela. Marx explique alors ce qui détermine les fluctuations du taux d’intérêt.
Il indique qu’il faut considérer séparément les fluctuations du taux d’intérêt
de marché (qui sont eux gouvernées par la loi de l’offre et de la demande) des
mouvements plus fondamentaux du taux d’intérêt sur longue période qui procède
du rapport de force entre capitalistes.
Or, comme l’explique Marx, « l’intérêt étant une partie du profit
que le capitaliste industriel doit abandonner au capitaliste d’argent, il doit
avoir pour limite supérieure le profit, car lorsqu’il devient égal à ce dernier
la part de l’industriel est nulle. « . Et Marx poursuit : « Toutes circonstances égales,
c’est-à-dire le rapport entre le profit total et l’intérêt restant à peu près
invariable, le capitaliste industriel pourra payer et payera un taux d’intérêt
directement en rapport avec le taux du profit. Or le taux du profit est en
raison inverse du développement de la production capitaliste ; le taux de
l’intérêt, pour autant qu’il se règle effectivement sur celui du profit,
variera donc également en raison inverse du développement industriel. Nous
verrons plus tard qu’il n’en est pas toujours ainsi. Nous dirons cependant que
l’intérêt, même l’intérêt moyen, se fixe d’après le profit ou plus exactement
d’après le taux général du profit, et que dans
tous les cas le taux moyen du profit peut être considéré comme la limite
supérieure de l’intérêt. ». (10)
Ainsi, la persistance depuis dix ans de
taux d’intérêt extrêmement faibles est d’abord une expression de la loi de la
baisse tendancielle du taux de profit qui traduit elle-même les difficultés
croissantes de mise en valeur du capital propres au capitalisme parvenu au
stade impérialiste. Sur ce point il est sans doute utile de reproduire ce
graphique de Michael Roberts, marxiste américain, qui atteste de manière
indiscutable la loi de la baisse tendancielle du taux de profit.(11)
Fondamentalement, à l’origine de la crise récurrente du
capitalisme se trouve une insuffisante production de plus-value au regard de la
masse de capital à valoriser. Or, non seulement cette masse de capitaux
prétendant à leur part sur la plus-value globale ne cesse de grossir par suite
de l’extension sans limite de la sphère du crédit que rendent possible les
interventions des banques centrales. Mais en plus, à la faveur de ces
interventions, un nombre considérable d’entreprises ont réussi à se maintenir
artificiellement en vie en s’endettant davantage malgré une très faible
rentabilité qui les aurait condamnées dans d’autres circonstances. Ces
entreprises zombies sont autant de « couches de graisse », de
« boursouflures » pour reprendre les termes de Trotsky qui
immobilisent des capitaux dans des entreprises peu rentables, produisant donc
peu de plus-value, alors que la « libération « de ces capitaux sous
forme d’argent liquide permettrait d’accumuler davantage de plus-value dans des
secteurs plus rentables. Aussi peu rentables soient-elles, ces entreprises
dites « zombies », n’en réclament pas moins leur part du gâteau au
niveau de la plus-value globale. Prise individuellement, chacune de ces
entreprises zombies ne peut s’approprier qu’une part extrêmement faible du
profit global, mais quand leur proportion dans l’économie grimpe comme c’est le
cas depuis des années, ces toutes petites parts finissent par faire masse et
contribuent à accroître un peu plus la disproportion entre la base de
plus-value produite et la masse de capitaux s’en nourrissant.
Conclusion
La crise est loin d’avoir donné toute sa mesure. Dans les mois à
venir, les secousses économiques qui s’annoncent risquent de dépasser tout ce
qu’on a connu depuis les crises qui se sont succédé à intervalles réguliers à
partir des années 1970, et ce d’autant plus que la crise sanitaire joue un rôle
important d’aiguillon dans la détérioration de l’économie et qu’elle aussi est
très loin d’être terminée. L’écrivain espagnol, Javier Marias, a donné pour
titre à l’un de ses romans : « Si
rude soit le début ». Il s’agit en réalité d’une citation tronquée de
Richard III. La formule complète est : « Si rude soit le début, le pire reste derrière nous… ». Pour la
crise actuelle, la formule qui conviendrait serait plutôt la suivante :
« Si rude soit le début, le pire
reste devant nous ».
La particularité et la gravité de la situation économique actuelle
tiennent au fait que tous les voyants ou presque sont au rouge en même temps.
Pour reprendre une métaphore souvent utilisée dans les milieux économiques pour
annoncer la reprise mais bizarrement tombée en désuétude depuis quelques
temps : « toutes les planètes
sont alignées ». C’est vrai, mais dans le mauvais sens, dans le sens
d’une crise économique ravageuse. Certes, il n’y a pas de crise finale du
capitalisme. Il n’y pas non plus, comme le disait Lénine, de « situation impossible pour la
bourgeoisie ». Il faut être d’autant plus prudent sur cette question
que ces dernières années, le capitalisme, malgré des situations économiques de
plus en plus critiques, a fait montre d’une forme de plasticité et de
résilience (pour employer un terme à la mode) en grande partie permise par les
rapports de force politiques favorables à la bourgeoisie, qui avec la
complicité active des appareils lui ont permis d’obtenir un peu de répit par le
biais de violentes attaques contre les conditions d’existence des masses,
notamment après la crise ouverte en 2008.
Ces limites importantes posées, il faut constater qu’il y a tout
de même des situations largement plus difficiles que d’autres à surmonter pour
la bourgeoisie, et la crise actuelle en fait partie. Rarement, dans son
histoire, la bourgeoisie n’aura été confrontée, sur un plan économique, à une
situation aussi périlleuse. Une telle situation est le produit de toutes les
échappatoires utilisées par la bourgeoisie, depuis des dizaines d’années, avec
une accélération importante depuis 2008, pour repousser les échéances d’une
crise dislocatrice. A l’issue de chaque crise, nous
avons écrit dans Combattre pour le socialisme que les gouvernements bourgeois
étaient certes parvenus une nouvelle fois à repousser de telles échéances mais
qu’ils ne faisaient que reporter les problèmes à l’origine de ces crises et,
pire encore, qu’il les reportait à chaque fois sur une base élargie, rendant
donc tout à la fois plus difficile et plus périlleux le report des échéances.
Aujourd’hui, sous l’effet du choc exceptionnel et durable du Covid-19,
incomparablement plus violent que tous les chocs précédents, on se rapproche du
moment où ces contradictions sont tendues à se rompre : la fuite en avant
dont nous parlons depuis des années ne peut pas être éternelle, à force le mur
se rapproche ; il y a un bout à tout, et ce bout, la bourgeoisie,
effrayée, commence à le voir de plus en plus distinctement, menaçant
d’entraîner avec elle toutes les autres classes de la société, en premier lieu
le prolétariat.
Parmi les images terribles de la détresse sociale dans le monde
qui ne pourraient être qu’une simple préfiguration de ce qui s’annonce lorsque
la crise aura donné sa pleine mesure, en voici une. Ce n’est sans doute pas la
plus terrible mais c’est sans doute l’une des plus emblématiques de la faillite
en cours de ce régime pourri : il s’agit de ces centaines de milliers de
travailleurs américains, jetés brutalement sur le pavé par la crise, sans
aucune protection sociale, et réduits à faire la queue sur plusieurs kilomètres
à la périphérie des villes américaines dans des zones commerciales, coincés
chacun dans leur voiture sans doute payées à crédit, pour recevoir l’aide
alimentaire, et cela dans la première puissance économique du monde ! On a
là un concentré d’un système aussi absurde que réactionnaire, réduisant les
travailleurs à la soupe populaire, tout en leur offrant le luxe de pouvoir
polluer l’atmosphère dans des gros pick-up payés à crédit !
Dans une situation économique aussi dégradée et lourde de
développements explosifs, plus que jamais, mais à un degré largement supérieur
à ce qu’on a connu auparavant, tous les gouvernements bourgeois de la planète
mais aussi la bureaucratie chinoise vont devoir porter le fer contre le
prolétariat, la jeunesse et leurs conditions d’existence : pour le
capital, c’est une question de vie ou de mort car beaucoup de capitalistes -petits et moyens en premier lieu- sont menacés de
disparaître avec la dépression en cours et l’approfondissement ultérieur de la
crise. Compte tenu de l’état de santé -ou plutôt de
mauvaise santé- de l’économie et des piliers censés la
maintenir en vie, les attaques contre le prolétariat sont une solution revêtant
un caractère d’urgence absolue pour la bourgeoisie dont les autres leviers à
disposition sont soit émoussés (les interventions des États), soit aggravent le
mal en profondeur (les interventions des banques centrales).
Pour autant, il ne s’agit pas là de la solution miracle :
disons qu’il s’agit d’une solution nécessaire mais peut-être pas suffisante vu
la profondeur du mal dont souffre le capitalisme, mal incurable puisqu’il
s’agit du capital lui-même. Tels les commandants d’un navire qui s’apprête à
sombrer, les gouvernements bourgeois sont obligés de lâcher du lest, et donc de
s’alléger du poids devenu insupportable des conquêtes ouvrières. Cela ne
suffira peut-être pas à empêcher le navire de couler, et ce d’autant moins que
l’offensive décuplée pour aggraver l’exploitation du prolétariat a pour point
commun avec les échappatoires plus directement économiques d’avoir son revers.
En raison de l’ampleur exceptionnelle de la crise économique, de violentes
attaques contre le niveau de vie des masses vont certes desserrer le nœud
coulant menaçant d’étouffer les patrons, mais elles vont aussi dans un premier
temps contribuer à diminuer encore un peu plus la taille du marché, par la
diminution de la consommation des masses. De toute façon, les bourgeoisies
n’ont pas le choix, ces attaques s’imposent à elles quand bien même leurs
effets risquent de s’ajouter à ceux du confinement sur le niveau de
consommation des couches de la population les plus défavorisées.
Pour le prolétariat et la jeunesse, en raison de la combinaison
des effets destructeurs de la crise en elle-même à l’offensive ultra-violente
qui se prépare contre eux, le fameux « monde
d’après » s’annonce comme « le
monde d’avant » mais en pire, bien pire même. Les déclarations de
reconnaissance et d’amour, la main sur le cœur, de Macron et de ses sbires, à
l’égard de la « première et de la
deuxième ligne », de tous ceux qui ont sauvé des vies et fait
fonctionner l’économie durant la période de confinement -les personnels de l’hôpital, bien entendu mais aussi, les
livreurs, les éboueurs, les caissières, les agents de la SNCF et la RATP, les
ouvriers… en somme, tous « les
derniers de cordée », tous ceux « qui ne sont rien » - n’annoncent
rien de bon, bien au contraire. Derrière la petite brosse à reluire, se cache
un énorme gourdin.
Pour le prolétariat, dans les mois à venir, confronté à la
combinaison de la crise économique et de la crise sanitaire, il va s’agir de
plus en plus d’une question de vie ou de mort. L’urgence vitale de la situation,
et la prise de conscience par de larges couches de la population que le
capitalisme n’a pas d’autre avenir à leur offrir qu’une « une horreur sans fin » (Lénine),
vont créer des conditions terribles mais nouvelles pour sortir de leur désarroi
et de leur misère politique. Mais pour le moment, la misère sociale qui
s’annonce va rendre encore plus patente et plus cruelle cette misère politique
et la dissymétrie entre les conditions objectives et les conditions subjectives
nécessaires à la victoire de la révolution prolétarienne. Si subjectivement,
l’affaire s’annonce délicate, compte tenu du retard important pris par la
conscience sur l’existence, objectivement toute la situation présente et à
venir va marteler aux travailleurs « Prenez
le pouvoir, si vous ne voulez pas périr ! » comme l’indiquait
Trotsky en 1921 dans La Nouvelle Étape,
dans un contexte politique bien différent d’aujourd’hui mais dans une situation
objective également périlleuse :
« Au moment où les forces
productives du capitalisme butent contre un mur, ne peuvent plus progresser,
nous voyons la bourgeoisie réunir entre ses mains l’armée, la police, la
science, l’école, l’Eglise, le Parlement, la presse,
les gardes-blancs, tirer fortement sur les rênes et dire, en pensée, à la
classe ouvrière : “Oui, ma situation est périlleuse. Je vois un abîme
s’ouvrir sous mes pieds. Mais nous allons voir qui tombera le premier dans cet
abîme. Peut-être avant ma mort, si vraiment je dois mourir, réussirai-je à te
pousser dans le précipice, ô classe ouvrière !” Que cela signifierait-il ? Tout simplement une destruction de la
civilisation européenne dans son ensemble. Si la bourgeoisie, condamnée à mort
au point de vue historique, trouvait en elle-même assez de force, d’énergie, de
puissance pour vaincre la classe ouvrière dans ce combat terrible qui approche,
cela signifierait que l’Europe est vouée à une décomposition économique et
culturelle, comme c’est déjà arrivé à plusieurs autres pays, nations et
civilisations. Autrement dit, l’histoire nous a amenés à un moment où une
révolution prolétarienne est devenue absolument indispensable pour le salut de
l’Europe et du monde. L’histoire nous a fourni une prémisse fondamentale de la
réussite de cette révolution, dans ce sens que notre société ne peut plus
développer ses forces productrices en s’appuyant sur une base bourgeoise. Mais
l’histoire ne se charge pas, par cela même, de résoudre ce problème à la place
de la classe ouvrière, des politiciens de la classe ouvrière, des communistes.
Non, elle semble dire à l’avant-garde ouvrière (nous nous représentons pour un
instant l’histoire sous forme d’une personne placée au-dessus de nous), elle
dit à la classe ouvrière : “Il faut que tu saches que tu périras sous les
ruines de la civilisation, si tu ne renverses pas la bourgeoisie. Essaye,
résous le problème !” Tel est à présent l’état des choses. » (12).
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Références et
notes :
https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/773ea84a-fr.pdf?expires=1600435103&id=id&accname=guest&checksum=F7682E8FDD58385153A906B4B417731F
http://www.crfb.org/blogs/how-does-covid-relief-compare-great-recession-stimulus
https://www.eulerhermes.fr/actualites/defaillances-2020-2021.html
https://www.nytimes.com/2020/09/01/business/economy/small-businesses-coronavirus.html
https://www.wsws.org/fr/articles/2020/09/05/faim-s05.html
https://www.insee.fr/fr/statistiques/fichier/4653872/point-conj_080920-emploi.pdf
https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/43b4b76e-84d2-4360-b1be-534338e9b85f/files/63d668fe-ab27-4856-81e4-51e59d2a2db6
https://www.cfr.org/blog/return-big-chinese-surpluses-and-large-us-deficits
https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/face-au-covid-les-banques-europeennes-devraient-augmenter-leurs-provisions-de-plus-de-300-milliards-856149.html
https://www.marxists.org/francais/marx/works/1867/Capital-III/kmcap3_21.htm
https://thenextrecession.wordpress.com/2020/07/25/a-world-rate-of-profit-a-new-approach/
https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1921/08/lt19210819b.htm
[ http://socialisme.free.fr
- © A.E.P.S., 1 Bis Rue GUTENBERG,
93100 MONTREUIL ]