Éditorial du
bulletin « Combattre pour le socialisme » n°75 (n°157 ancienne série)
- 1er décembre 2019 :
Du Soudan au Chili en passant par l’Algérie, le Liban, l’Irak,
l’Équateur, la Colombie,
les masses se dressent, avec la jeunesse au premier rang,
contre les régimes corrompus, vendus à l’impérialisme
Depuis
des mois, se multiplient les mobilisations massives entraînant parfois des
millions de manifestants comme en Algérie, portant clairement l’exigence de la
chute des régimes en place.
Au
point de départ de ces mobilisations, souvent des mesures d’agression contre
les masses prises par le gouvernement – en collaboration étroite avec le
FMI, c’est-à-dire les représentants associés des principales puissances
impérialistes –, les enfonçant davantage dans la misère et le
dénuement : augmentation du prix du pain au Soudan, du carburant en
Équateur, mesures anti-ouvrières notamment sur les retraites en Colombie, de la
connexion internet au Liban, du prix du ticket de métro au Chili. Mais très vite,
la mobilisation dépasse le point de départ, pose la question du pouvoir.
La
domination impérialiste est directement la cible des manifestants, comme en
Algérie lorsqu’ils s’en prennent à la dernière loi sur les hydrocarbures qui
livre le gaz et le pétrole algériens aux trusts impérialistes.
La nouvelle rafale de
mesures contre les conditions d’existence des masses ne doit rien au hasard.
Elle est évidemment à mettre en relation avec les nouveaux développements de la
crise du capitalisme, avec la récession qui se profile, indiquant par là que
les expédients auxquels ont eu recours conjointement gouvernements et banques
centrales depuis 10 ans pour éviter l’effondrement ont épuisé leurs effets. Nos
lecteurs liront dans ce numéro l’article qui est consacré à la situation
économique et qui établit ce diagnostic.
Et une
fois de plus, la bourgeoisie à l’échelle mondiale n’a qu’une façon de faire
face à sa propre crise : s’en prendre toujours plus violemment au
prolétariat et à la jeunesse, aussi bien dans les pays dominés qu’au cœur même
des citadelles impérialistes comme on le verra pour la France.
Certes,
on doit le constater, dans les pays impérialistes, en particulier en Europe,
les attaques subies par le prolétariat n’ont pas entraîné des mobilisations de
même ampleur que celles qui déferlent dans les pays dominés. Une des raisons
principales en est que le poids des vieilles directions des organisations
ouvrières s’exerce plus lourdement sur le prolétariat pour empêcher celui-ci de
se dresser contre les gouvernements bourgeois.
Mais la
lutte des classes n’a pas disparu pour autant dans les pays capitalistes
« avancés ». La grève massive pendant plusieurs semaines des ouvriers
de General Motors aux États-Unis, renouant avec les meilleures traditions
ouvrières, notamment celle des piquets de grève, vient de nous le rappeler avec
vigueur. La revendication des mêmes conditions d’emploi pour tous les
travailleurs de l’entreprise – les travailleurs employés depuis 2008 ne
bénéficient ni des salaires ni des acquis en matière de santé, de retraite,
etc., dont bénéficient leurs aînés – témoignaient du haut niveau de conscience
des ouvriers américains. L’accord concocté par les bureaucrates syndicaux avec
la direction a certes bradé cette revendication, ce qui explique le rejet
majoritaire de l’accord par les ouvriers dans un certain nombre d’usines, la
direction ayant dû néanmoins concéder une augmentation de salaire
significative. Mais cette grève – relayée par celle, victorieuse, des
enseignants de Chicago ‑ vient rappeler que les ressources existent
partout dans le prolétariat pour affronter et vaincre la bourgeoisie, ses plans
et ses gouvernements.
Des caractéristiques
communes
Pour en
revenir aux caractéristiques communes des puissantes mobilisations de masse au
Soudan, en Algérie, au Liban, en Irak, en Équateur, au Chili, on peut
noter que :
- elles
mettent en avant la nécessité d’en finir avec des régimes militaro-policiers,
et donc mettent en avant des revendications et mots d’ordre
démocratiques : à bas le régime militaire au Soudan (« tout le
pouvoir aux civils ») et en Algérie (« Un État civil, pas
militaire ») ; à bas le régime appuyé sur des bandes armées
constituées sur des bases confessionnelles au Liban et en Irak ; à bas la
constitution pinochetiste au Chili ; à bas le
régime d’oppression de Pékin à Hongkong (« pour le droit de la population
d’élire ses représentants »). Tous ces mouvements confirment que dans les
pays dominés on ne peut passer par dessus les mots d’ordre démocratiques !
- en
même temps elles intègrent le plus souvent des mots d’ordre de classe posant la
question d’en finir avec la domination impérialiste : à bas la loi sur les
hydrocarbures (qui brade le gaz et le pétrole aux trusts impérialistes) en
Algérie ! À bas la mainmise des capitalistes sur l’enseignement, la santé,
les retraites au Chili (mainmise qui est d’ailleurs inscrite dans la
constitution), pour des services publics qui permettent d’avoir accès à l’eau,
l’électricité, la santé en Irak, etc.
- ces
mobilisations voient se dresser contre elles la sainte alliance de toute la
réaction mondiale. Le FMI ‑ qui n’est rien d’autre que la coalition
des États prêteurs, c’est-à-dire des puissances impérialistes ‑ est
allé conforter le gouvernement Bensalah en Algérie
(et en même temps lui donner ses consignes), soutenu par Macron. Il faut
rappeler la présence directe des troupes US en Irak. Mais aussi,
remarquons-le : le régime des ayatollahs, tant en Irak qu’au Liban (via le
Hezbollah), est en première ligne contre le mouvement des masses. Et au moment
où nous bouclons cet article, il est lui-même en butte à une mobilisation de
masse.
Enfin,
et c’est essentiel, de l’Algérie au Chili, c’est la jeunesse qui se porte à
l’avant-garde du combat, affrontant avec héroïsme la répression policière et
militaire – plus de 300 morts en Irak - cette jeunesse sur laquelle ne pèse
pas, comme l’expliquait Trotsky, le poids des défaites passées.
À tous
les éternels sceptiques, à tous ceux qui prophétisent à longueur de temps la
« fin de la lutte des classes », ces mobilisations donnent une
éclatante leçon.
Des obstacles politiques qui
se ramènent à une question :
celle de la construction dans chaque pays du parti ouvrier révolutionnaire
Il ne
faut pas pour autant cacher les obstacles essentiels auxquels se heurtent ces
mobilisations.
La
classe ouvrière est sans aucun doute présente dans ces mobilisations. La puissante
grève générale et la manifestation au Chili rassemblant à Santiago 1,2 million
de travailleurs et jeunes en témoigne. En Algérie, depuis 9 mois, les grèves se
succèdent, s’en prenant parfois avec vigueur aux bureaucrates syndicaux vendus
au régime. Au Liban, en Irak plusieurs syndicats ont été amenés à appeler aux
manifestations contre le régime.
Toutefois,
la plus grande difficulté dans tous ces pays est celle de faire émerger une
issue ouvrière à la crise, c’est-à-dire d’opposer aux régimes en place la
perspective du gouvernement ouvrier boutant hors du pays les puissances
impérialistes, engageant les mesures d’expropriation du capital en même temps
que le démantèlement des forces de répression. L’origine de cette difficulté
est claire : elle tient à la décomposition du mouvement ouvrier, et au
fait qu’au sommet des organisations qui existent encore, les dirigeants mettent
tout en œuvre pour sauver les régimes honnis.
Au
Chili, c’est le Parti socialiste chilien (et d’une autre manière le PC Chilien)
qui ont donné crédit à l’opération de Piñera
de « réforme » de la constitution (voir article dans ce numéro). Il
faudrait d’ailleurs rappeler, si les limites de cet article le permettaient,
leur responsabilité criminelle dans l’accession de Pinochet au pouvoir. En
Algérie, non seulement la direction de l’UGTA associée au régime depuis 50 ans,
mais aussi celle de la CSA (syndicats autonomes) font tout ce qui leur est
possible pour que les élections du 12 décembre – visant à maintenir le
régime militaire – se tiennent (voir article dans ce numéro).
Et il
faut le rappeler, le Liban comme l’Irak sont des pays où existaient des partis
communistes implantés qui ont été quasi liquidés par la politique constante du
stalinisme dans tout le Moyen-Orient, du soutien à l’existence de l’État
d’Israël à celui du régime des ayatollahs en Iran.
C’est à
cause de cette difficulté que les forces bourgeoises et petites bourgeoises
peuvent faire miroiter comme issue à la misère des masses des
« solutions » qui sont autant de moyens de replâtrer les régimes. Il
en va ainsi du gouvernement d’« experts » ou de
« techniciens » proposé aux manifestants au Liban, comme si cette
formule pouvait revêtir un autre contenu que celui d’un gouvernement direct des
chargés de mission de l’impérialisme. D’une autre manière, c’est le sens de
l’opération en cours au Chili visant à permettre à Piñera d’opérer une « réforme
de la constitution » (voir article sur le Chili dans ce numéro).
Surmonter
les obstacles au mouvement des masses ne peut se faire que par la construction
dans chaque pays de véritables partis ouvriers révolutionnaires. Ils ne peuvent
naître qu’à travers le processus par lequel une avant-garde, au sein des
mobilisations présentes, en particulier dans la jeunesse, acquerra la capacité
à tirer les leçons des événements jusqu’au bout et renouera avec le programme
de la révolution prolétarienne, tel qu’il s’est incarné dans les acquis des
première, deuxième, troisième et quatrième internationales, et qu’à l’échelle
qui est la sienne, le Comité fondé par Stéphane Just a fait vivre et développé.
Europe : L’Union
européenne sous la pression de forces dislocatrices
En
Europe, il n’existe rien, à ce stade, de semblable aux mobilisations évoquées
ci-dessus. La politique des appareils bourgeois qui dirigent le mouvement
ouvrier a pour effet d’impuissanter pour l’instant le
prolétariat. C’est particulièrement vrai du plus puissant prolétariat d’Europe,
le prolétariat allemand. Ce dernier s’apprête à subir une nouvelle offensive
d’importance contre ses conditions d’existence, du fait de la situation qui met
le pays au bord de la récession.
Le
chômage partiel y prend une ampleur rappelant 2008 dans l’industrie automobile,
constructeurs et sous-traitants. À fin juin, le chômage partiel touchait plus
de 2000 entreprises (soit presque 50 000 salariés). Selon le patronat
allemand, le phénomène va s’amplifier et cela pour plusieurs mois. L’un des
dirigeants de l’industrie automobile a déclaré : « Nous ne nous dirigeons plus vers la crise. Nous sommes dedans ». Une vague de licenciements vient
d’être annoncée. Par exemple : Continental 7000, Siemens 1100 ; dans
la sidérurgie, Thyssen Krupp 1500. La Bundesbank vient de produire un rapport
mettant à l’ordre du jour la retraite… à 70 ans. Façon d’indiquer que pour la
bourgeoisie, en Allemagne comme en France, le véritable programme, c’est la
liquidation de tout droit à la retraite, l’exploitation jusqu’à la mort.
La
direction du DGB continue par rapport à cette situation sur la même orientation
que celle qu’elle défend depuis 2008 en particulier. En 2008, la bureaucratie
syndicale allemande donnait le « la » pour tous les appareils en
Europe, s’associant étroitement à la mise en œuvre des mesures de chômage
partiel et des plans de licenciement. Il y a un an et demi, elle signait un
accord portant sur 3700 suppressions de poste chez Opel. Chez Continental,
l’appareil syndical vient de se prononcer pour « passer en revue »
les sites menacés et a annoncé qu’elle refuserait « les
licenciements importants », ce qui signifie que la discussion peut
commencer sur le nombre de licenciements « acceptables ».
Et sur
le plan politique, le SPD demeure membre de la grande coalition, alors que
celle-ci, d’élections en élections, conduit le SPD à des désastres électoraux
d’une ampleur historique. Rien ne permet de dire que le prochain congrès du SPD
rompra avec cette orientation, d’autant que pour la bourgeoisie allemande qui
décide de l’orientation du SPD, la grande coalition demeure l’option de
gouvernement la plus raisonnable, même si, à la CDU, des voix s’élèvent pour
une alliance avec l’AFD parti ultra-réactionnaire hébergeant en son sein y
compris des nostalgiques assumés de Hitler.
Est-ce
également vers un gouvernement de « grande coalition » que l’on
s’oriente en Espagne après les dernières législatives, marquées par un
tassement du vote pour le PSOE – qui demeure le plus important aux Cortès –,
par une remontée du PP et par une progression considérable de Vox, parti ultra-
réactionnaire se réclamant ouvertement du franquisme ? Aujourd’hui, le
secrétaire général du PSOE semble plutôt privilégier l’alliance avec Podemos
(lequel a essuyé un nouveau revers électoral), mais même avec Podemos, cela ne
fait pas une majorité aux Cortès.
Les
élections ont été dominées par la question catalane, question sur laquelle le
PSOE a donné toute garantie à la bourgeoisie castillane en approuvant l’infâme
verdict maintenant pour des années les dirigeants indépendantistes en prison et
en réaffirmant son soutien à la constitution monarchiste post-franquiste qui
maintient sous tutelle les peuples d’Espagne.
La
réalité, c’est l’incapacité d’établir en Espagne un gouvernement stable, dans
une situation où l’« embellie » relative sur le plan économique touche
à sa fin.
Mais
c’est en Grande-Bretagne que la crise politique est la plus profonde, en même
temps qu’elle rejaillit sur toute l’Europe. Cela étant dit, Johnson vient de
remporter quelques succès significatifs. Il vient d’obtenir – ce que n’avait
pas obtenu May – un deal avec l’UE
permettant à la Grande-Bretagne de sortir de l’union douanière (et donc de
disposer d’une marge de manœuvre pour des accords commerciaux particuliers avec
d’autres pays). Il doit ce succès au fait que l’Allemagne était prête à faire
les plus grandes concessions pour éviter le « no deal », dont les
conséquences pour l’économie allemande auraient été ravageuses, en particulier
pour le secteur automobile. Et il peut juger que les élections aux Communes du
12 décembre se présentent sous un jour favorable, d’autant que vient d’être
noué à son avantage un accord de « front unique » (bourgeois) avec le
parti du Brexit de Farrage qui s’engage à ne pas
présenter de candidats contre le sortant Tory.
À vrai
dire, ce succès ne doit rien au mérite particulier de Johnson, mais lui a été
offert par Corbyn à la tête du Labour Party dont toute la politique réelle
depuis des mois consiste à défendre le maintien dans l’UE (il promet, s’il est
au pouvoir, de renégocier l’accord avec celle-ci et, à défaut, de soumettre à
referendum le retour dans l’UE).
Il faut
se garder de pronostics trop péremptoires sur les élections à venir. Mais en
tout cas, tout est fait pour rassembler les conditions d’un succès de Johnson,
même si le caractère violemment anti-ouvrier de son programme peut pousser la
classe ouvrière et la jeunesse à voter plus ou moins largement pour le Labour,
malgré la politique de Corbyn.
Macron en Europe : une
succession de camouflets qui remettent le capitalisme français à sa place
Sur la
scène européenne, Macron vient de subir une série de camouflets retentissants.
Les représentants de l’Allemagne ne prennent plus la peine de mettre les formes
pour le remettre à sa place et lui rappeler qu’il n’est que le représentant
d’une puissance économique de troisième ordre. En clair, ils lui disent en
langage peu diplomatique qu’il n’a pas trop les moyens de ses
péroraisons !
Il y a
eu l’épisode Goulard, dont la candidature comme commissaire européenne a été spectaculairement
retoquée, ce à quoi la délégation de la CDU allemande au Parlement européen
n’est pas étrangère. Il y a eu la négociation sur le Brexit, où les concessions
faites à Johnson l’ont été par-dessus la tête de Macron. Il y a eu dernièrement
l’échange peu amène sur l’OTAN. Macron, qui n’a pu que se soumettre à la
décision de Trump de donner son feu vert à Erdogan
contre les Kurdes, s’est laissé aller à des propos dépités sur « l’OTAN
en mort clinique ». Il est vrai que le secrétaire général de l’OTAN,
tenant pour quantité négligeable la position française, avait déclaré que le
devoir de tous ses membres était… de se tenir aux côtés de la Turquie dans son
offensive ! Angela Merkel a sèchement remis à sa place Macron, et l’on
apprend que s’agissant du financement de l’OTAN, l’Allemagne négociait avec
Trump la diminution de la contribution américaine… à compenser par une
augmentation de la part française. La ministre française de la Défense, Parly, a réagi vertement : « Nous ne paierons
pas ». Attendons la suite…
Le diagnostic du ministre Le
Maire : « La France est menacée d’un déclassement productif »…
Celui
qui jugerait de l’état économique de la France à partir des innombrables
articles sur la « résilience de l’économie française »
(opposée à la quasi-récession de l’Allemagne), sur le maintien de la « croissance
française » (n’est-ce pas un signe de l’atonie générale de l’économie
mondiale qu’il faille s’extasier sur une croissance prévue… à 1,2 % pour
2019 ?) ; celui-là devrait être considéré comme un imbécile sans
espoir.
La
réalité de l’économie est plutôt dans le diagnostic porté par le gouvernement
lui-même et son ministre Le Maire : « La France est menacée d’un
déclassement productif ».
La reprise
de la déclaration de Le Maire par Le
Monde du 15 octobre précise :
« Le
pays ne compte plus, selon lui, que trois grandes filières :
l’aéronautique, le luxe, les vins et spiritueux. Naguère fleurons industriels,
le nucléaire, l’agroalimentaire et la pharmacie sont à la peine. Renault et PSA
sont les constructeurs qui ont le plus délocalisé, vers l’Europe et le Maghreb.
Résultat, la part de l’industrie dans le produit intérieur brut (PIB) est
tombée à 12 %, contre 23 % en Allemagne et près de 18 % en Italie.
Le décrochage de l’industrie, qui a perdu 1 million d’emplois en dix ans,
est d’autant plus inquiétant que c’est elle qui dope la productivité et nourrit
la recherche et développement (R&D). “On ne fait pas une grande
nation économique uniquement sur la base de trois filières”, a insisté le
ministre. »
Il n’y
a rien à redire au diagnostic. On peut simplement le préciser.
La
situation du nucléaire est catastrophique. Invariablement, EDF annonce une nouvelle
augmentation de la facture et un nouveau délai de mise en route de l’EPR de
Flamanville. Là encore, c’est le gouvernement lui-même qui attribue cette
catastrophe industrielle à la « perte de compétence » des
ingénieurs français, signe imparable de la décrépitude industrielle du pays.
Mais, est-ce l’énergie du désespoir ou bien une fuite en avant, on annonce
la construction de 6 nouveaux réacteurs pour une somme de 46 milliards d’euros.
Qui paiera ? L’État et le consommateur, c’est-à-dire, en l’occurrence, les
travailleurs. C’est ce à quoi s’emploie le projet de loi Hercule, reporté mais
non annulé, qui prévoit la renationalisation de la filière nucléaire (en même
temps que la privatisation des secteurs les plus juteux).
La
situation de l’agroalimentaire ne cesse de se dégrader. Les Échos indiquent : « pour la première fois depuis
45, la France importe plus de produits agricoles européens qu’elle n’en exporte
sur le vieux continent » (on est passé d’un solde positif de 6
milliards en 2011 à un déficit de 300 millions).
Mais il
est un domaine dans lequel le capitalisme français fait la course en tête,
c’est le niveau d’endettement des entreprises. Parmi les grands pays, la France
détient le record absolu avec un endettement global (État, ménages, entreprises)
de 315 % du PIB ; c’est plus que les USA, que l’Allemagne et même que
la Chine, pour autant que les statistiques chinoises soient fiables. Ce record
français n’est pas dû à la dette des ménages, qui se situe au niveau allemand,
ni même à l’endettement de l’État français (à hauteur quasiment de 100 %
du PIB) bien qu’il constitue une charge potentiellement explosive pour la
bourgeoisie. Ce qui fait que l’endettement français bat des records, c’est
d’abord l’endettement des entreprises : ce dernier atteint 143 % du
PIB, alors qu’il n’est que de 75 % aux USA, sans parler des entreprises
allemandes qui sont trois fois moins endettées (57 % du PIB).
L’endettement des entreprises françaises est passé de 117,5 % à
143,2 % de 2009 à 2017 alors qu’il a fortement baissé dans le sud de la
zone euro. Nettement supérieur à la moyenne européenne qui est de 105 %,
il continue à augmenter : les entreprises françaises ont encore emprunté
plus de 106 milliards d’euros entre août 2018 et août 2019.
...et ses solutions
Capital cite Le Maire :
« “Nous
ne travaillons pas assez”, a affirmé le ministre de l’Économie, selon lequel
“le volume global d’heures travaillées en comparaison de nos voisins du G7
et des grands pays de l’OCDE est insuffisant”. Un point également souligné
par le Medef, tout comme la question des impôts de production, sur laquelle M.
Le Maire veut avancer prudemment avec les collectivités locales, dont les
ressources dépendent en grande partie de cette manne fiscale.
« “Nous avons aujourd’hui des impôts de
production, qui pénalisent les entreprises, qui sont sept fois plus élevés
qu’en Allemagne et deux fois plus élevés que la moyenne des pays de la zone
euro”, a regretté le ministre. Enfin, “nous devons aller plus loin dans
la formation des compétences que ce qui a déjà été fait depuis le début du
quinquennat pour pourvoir les centaines de milliers d’emplois qui aujourd’hui
ne sont pas pourvus.” »
Ces
affirmations sont en réalité fausses. Les cadeaux fiscaux faits aux entreprises
particulièrement depuis 2007, pour ne citer que les plus récentes : pacte
de responsabilité, CICE, CIR, multiples mesures d’exonérations de cotisations
sociales, situent au contraire la France parmi les pays où les cadeaux fiscaux
aux patrons ont été parmi les plus élevés.
Mais
l’important est que Le Maire indique la « solution » au
déclassement productif : augmenter l’exploitation de la force de travail.
En même temps qu’il indique la méthode : le « pacte productif ».
« Nous
avons besoin d’une stratégie collective pour la nation, un pacte productif
permettant d’atteindre le plein emploi en 2025... Depuis 6 mois, nous
travaillons, avec les membres du Gouvernement, les fédérations
professionnelles, les organisations syndicales, les chambres de commerce et les
chambres de métiers, pour bâtir ce pacte productif. »
Mais à ce propos, il faut rendre à César ce qui appartient à César : l’idée du « pacte productif » appartient… à l’appareil de la CGT. Le 25 avril 2018, la direction de la CGT annonçait :
« Dans le cadre de la campagne de
reconquête industrielle, les Assises nationales de l’industrie se sont tenues
le 22 février 2017 et ont réuni plus de mille militant·e·s de la CGT. Les
assises ont été un moment fort dans la CGT : un moment de convergence
réaffirmant que l’industrie et les services publics sont indispensables au
développement économique et satisfont aux besoins sociaux et environnementaux
et au progrès social (…) La Confédération ne peut bâtir des projets industriels
à la place des structures concernées, mais elle peut être une aide à la
coordination entre structures, à la garantie d’une cohérence revendicative et
notamment en termes de cohérence du système productif, à la communication
interne ou externe à la CGT, à l’intervention confédérale institutionnelle
(souligné par nous) ou revendicative à la demande des structures ».
Il s’agit donc bien d’une proposition de service de
l’appareil CGT pour la mise en place d’une véritable association
capital-travail permettant, par le moyen de l’augmentation de l’exploitation de
la force de travail, le « reclassement » industriel du capitalisme
français.
Le
gouvernement avance à un rythme effréné dans les attaques contre le prolétariat
et la jeunesse...
L’association constante des dirigeants syndicaux aux plans de la bourgeoisie et du gouvernement – comme celui qui prévaut depuis six mois sur le « pacte productif », c’est là l’explication aux coups redoublés qui, sur tous les plans, s’abattent sur les travailleurs et la jeunesse sans rencontrer d’oppositions déterminantes depuis des années et plus particulièrement ces derniers mois :
- La loi de Finances 2020 a été adoptée sans que les
dirigeants syndicaux ne lèvent le petit doigt ;
- la loi de Financement de la Sécurité sociale a été adoptée
en première lecture. Le Sénat – dont la majorité LR n’a rien à lui
reprocher sur le fond – l’a refusée, ce qui contraint le gouvernement à
une seconde lecture (voir plus loin). Sans rentrer dans le détail, deux
éléments fondamentaux caractérisent cette loi. L’augmentation de l’ONDAM à
2,1 % conduit, si l’on tient compte des dépenses incompressibles (salaires
intégrant la progression de carrière, pensions), à une diminution massive des
postes et à des fermetures de lits dans l’Hôpital public. Et surtout, la loi
entérine la non compensation par l’État des ponctions qu’il opère sur le budget
de la Sécurité sociale, soit en lui faisant financer ses propres mesures, soit
en multipliant les mesures d’exonération de cotisations sociales. À cet égard,
il est important de signaler ce fait, à l’encontre de tous ceux qui font état,
à la gloire des « gilets jaunes », du « succès » que
constitueraient les mesures de Macron d’augmentation de la prime d’activité
pour quelques milliers de travailleurs pauvres – c’est-à-dire de travailleurs
auxquels les patrons ne donnent pas un salaire suffisant pour permettre
simplement la survie. L’augmentation de la prime d’activité sera intégralement
financée par le budget de la Sécurité sociale, c’est-à-dire par les
travailleurs ! En clair, ce qui caractérise cette loi de financement de la
Sécurité sociale, c’est qu’elle officialise le pillage de la Sécurité sociale
par l’État.
Sur l’assurance-chômage, les trois décrets entrés en vigueur
ce 1er novembre entérinent un très profond recul des droits des chômeurs et
permettent au gouvernement de se soumettre le système d’indemnisation du
chômage. Le montant des économies attendues jusqu’en 2022 est de l’ordre de 6
milliards, d’après la présentation qu’en a fait l’UNEDIC le 24 septembre. Elle
indique qu’à hauteur de plus des 9/10e,
ces économies sont imputables aux nouveaux critères d’éligibilité et au
changement de salaire journalier de base, c’est-à-dire aux coupes dans les
droits des chômeurs. La nouvelle formule du salaire journalier de référence va
toucher 850 000 personnes, le montant moyen de l’indemnisation baissant de
22 % pour passer de 905 à 708 euros. La mise en place des nouveaux
critères d’éligibilité va toucher, elle aussi, 850 000 personnes. En tout,
d’après l’UNEDIC, c’est 40 à 50 % des chômeurs qui vont être impactés
par la diminution de leurs droits, souvent dans de fortes proportions. Les
décrets vont jusqu’à faire financer par l’UNEDIC et non plus par l’État via pôle
emploi le surcroît de formation qui est sensé être la contrepartie de la remise
en cause des droits. Cela revient à faire financer par les chômeurs eux-mêmes
leur formation !
Campagne et mesures répugnantes contre la population immigrée
Dans cette offensive générale contre les masses laborieuses,
l’offensive contre la partie la plus démunie de la population, à savoir les
immigrés, occupe une place particulière.
De manière délibérée, cynique, Macron et le gouvernement ont
mis la question sur le devant de la scène. Macron entend bien démontrer qu’il
peut disputer avec efficacité la palme des mesures les plus répugnantes à Le
Pen contre les immigrés. À cet égard, il faut rappeler que c’est au nom du
programme anti-immigrés de Le Pen et pour y faire barrage que dirigeants du PS,
du PCF, des organisations syndicales appelaient et continuent à appeler à
chaque occasion à voter pour Macron et ses suppôts !
Le discours de Philippe à l’Assemblée et les mesures qu’il y
a annoncées constituent un sommet d’ignominie. Il en va ainsi des mesures de
remise en cause de l’AME (aide médicale d’État) contre les demandeurs
d’asile : remise en cause de certains soins, et… trois mois de carence
avant d’y avoir droit - trois mois pour mourir ! - au nom de la lutte
contre le « tourisme médical ». L’expression même de « tourisme
médical » méritera de figurer dans les annales de la barbarie des
défenseurs du mode de production capitaliste. Le reste est à l’avenant :
nouvelles conditions mises au regroupement familial, augmentation des places en
foyer de rétention.
C’est dans ce contexte qu’un ancien candidat du FN a tenté
de mettre le feu à une mosquée à Bayonne, tirant sur des fidèles. Mais il faut
le dire. Ce qui a inspiré ce sinistre personnage, ce n’est personne d’autre que
Macron lui-même. Macron doit être considéré comme responsable.
Remarquons-le : les bonnes âmes qui s’étaient indignés de l’expulsion du
provocateur Finkielkraut d’une manifestation au nom de la lutte « contre
l’antisémitisme » et avaient appelé à l’initiative de Faure, secrétaire du
PS, à une manifestation d’ « union nationale », ont eu cette fois une
indignation… beaucoup plus mesurée.
Et
pourtant le gouvernement est inquiet…
Le représentant du courant Front unique (courant dans lequel
interviennent les militants révolutionnaires dans l’enseignement) au Bureau
national de la FSU nous a fait parvenir son intervention au cours du Bureau du
19 novembre. Citons en un extrait. Après avoir brossé le tableau des attaques
récentes du gouvernement, il déclare :
« Et
pourtant, on sent aujourd’hui une certaine fébrilité du côté du pouvoir.
Plusieurs
suicides ont mis en accusation le gouvernement et sa politique.
Le 13 septembre,
par leur grève massive, les agents de la RATP ont témoigné de leur
disponibilité pour engager le combat contre le gouvernement, contre sa
contre-réforme des retraites.
À la SNCF, coup sur coup, 2 grèves
(qualifiées de « sauvages » par le gouvernement) ont déferlé hors du
cadre de la concertation et du dialogue social.
Et une
mobilisation de tout le secteur hospitalier s’est dressé de fait contre le
budget de la Sécurité sociale adopté en 1ère lecture.
Le gouvernement
craint que la concertation généralisée qui lui a permis de préparer et
d’appliquer ses attaques ne puisse plus être assumée par les dirigeants
syndicaux.
Il craint que
ceux-ci soient amenés à rompre avec lui et à exiger le retrait de sa
contre-réforme des retraites.
Il craint que
les dirigeants des syndicats de la FSU ne puissent plus justifier de poursuivre
la concertation sur la pseudo-revalorisation des enseignants qui d’une part
entérine la contre-réforme des retraites et d’autre part vise à les faire
travailler davantage et à renoncer à une partie de leurs vacances.
Le gouvernement
craint que l’exigence du retrait pur et simple du projet de contre-réforme des
retraites qui gagne du terrain dans les réunions de personnels et dans les
instances syndicales, finisse par devenir l’objectif fixé à la mobilisation
programmée pour le 5 décembre.
Il sait qu’au
sein même des organisations syndicales, ce mot d’ordre gagne du terrain et que
son adoption risquerait d’entraîner le refus de concertation. En effet, comment
les dirigeants syndicaux pourraient-ils encore justifier de discuter d’une
contre-réforme dont ils exigeraient le retrait ?
Toutes ces
craintes hantent le pouvoir qui sait qu’un front uni dressé contre lui sur cet
objectif clair le placerait dans une situation incertaine. »
C’est là un tableau parfaitement exact du moment
présent de la lutte des classes. Nous allons développer le propos de notre
camarade.
Des manifestations claires
des capacités du prolétariat
à affronter et vaincre le gouvernement Macron-Philippe
Nous avions insisté sur la signification de la
grève du 13 septembre à la RATP. C’est évidemment en défense de leur régime
spécial que les agents de la RATP se sont mis en grève en masse (à la quasi-unanimité
s’agissant des conducteurs). S’il faut constater que cette grève a été
parfaitement encadrée par les dirigeants syndicaux, réussissant même à
permettre au représentant du gouvernement de se pavaner lors d’une assemblée de
travailleurs, sans être menacé, il faut pourtant noter que la défense des
régimes spéciaux par elle-même est en contradiction patente avec la politique
de Martinez et de la direction de la CGT qui ne cessent de se prononcer – à
l’instar de Delevoye et du gouvernement pour un « régime universel »
effaçant les régimes spéciaux.
Le 14 novembre, les agents hospitaliers étaient
appelés à une manifestation à Paris et à des rassemblements en province. Il
faut le dire : cette manifestation avait été soigneusement placée par
leurs organisateurs (dirigeants syndicaux et « comité
inter-urgences »)… pour laisser le champ libre au gouvernement, en faire
un simple baroud d’honneur. La loi de financement de la Sécurité sociale avait
déjà été votée par l’Assemblée nationale, le 29 octobre, 15 jours plus tôt.
Pourtant, les agents hospitaliers y ont été largement présents. De manière
inédite, ils ont entrainé dans leur sillage les médecins des hôpitaux. Au point
que le gouvernement se soit senti obligé d’annoncer des mesures nouvelles,
excluant toutefois toute mesure réelle de réouverture de lits, de création
significative de postes et d’augmentation générale de salaires, ce qui explique
le rejet massif des travailleurs hospitaliers. À l’évidence, la volonté de
combattre est intacte et se traduit, par exemple dans cette motion adoptée par
plusieurs centaines de travailleurs hospitaliers réunis au CHU Gabriel Montpied à Clermont-Ferrand demandant aux organisations
syndicales et au comité inter-urgences d’organiser la montée massive sur Paris,
à l’Assemblée, lors du vote en seconde lecture de la LFSS.
Mais il y a eu surtout le surgissement de la
spontanéité ouvrière chez les cheminots. D’abord à la suite d’un accident
ferroviaire où le conducteur, seul à bord, a dû se porter, blessé au secours
des voyageurs. C’est le résultat direct de la conduite à agent seul, qui
est une des formes de la polyvalence que la direction de la SNCF veut
généraliser avec la fin du recrutement au statut.. Immédiatement
les conducteurs ont « posé le sac ». Cette réaction spontanée a
certes immédiatement été enserrée dans le cadre (réactionnaire) du « droit
de retrait », puisque « le droit de retrait » soumet la réaction
des travailleurs à une décision de la justice bourgeoise. C’est ce à quoi ont
activement œuvré les appareils syndicaux. Martinez n’a cessé de répéter : « ce n’est pas une grève ». Mais
cela n’annule pas le fait que c’est immédiatement, spontanément qu’ont réagi
les conducteurs sans attendre les consignes des sommets.
La signification politique
de la grève du centre de maintenance de Châtillon
C’est cette même spontanéité qui s’est exprimée
chez les cheminots du centre de maintenance de Châtillon. Citons quelques
passages de leur communiqué :
« Nous,
agents du matériel au Technicentre de Chatillon sur
le réseau TVG Atlantique, avons cessé le travail massivement depuis lundi 21
octobre au soir, sans se concerter ou être encadrés par les syndicats (1).
La direction considère notre grève illégitime, car nous ne serions pas dans le
cadre du délai de quarante-huit heures pour le service minimum, mais c’est le
seul moyen de se faire entendre (... ) Nous ne pouvons plus accepter de
travailler avec des salaires proches du SMIC et gelés depuis cinq ans, en sous
effectif… Nous respecterons les délais de prévenance le jour où la direction
elle-même respectera déjà les salariés… Nous appelons l’ensemble des cheminots
à relever la tête avec nous, car la situation aujourd’hui à Châtillon est en
réalité le reflet d’une politique nationale. La direction n’a pas de scrupule à
nous faire porter le chapeau de sa politique, à l’image du droit de retrait
contre l’EAS [Équipement à agent seul, ndlr] et pour la sécurité des usagers. »
Donc la grève éclate spontanément, massivement,
passant par-dessus les interdictions légales limitant le droit de grève
incluses dans le dispositif d’« alerte sociale » qui avaient été
mises en place conjointement par la direction et les bureaucrates syndicaux. La
grève éclate sans consigne syndicale, ce qui signifie que, pratiquement, les
cheminots font sauter le dispositif des appareils des journées d’action à la
grève hachée qui, il y a 18 mois, avait conduit les cheminots à la terrible
défaite aboutissant à la liquidation de leur statut. En réalité, cette grève manifeste
qu’une avant-garde commence à tirer les leçons des raisons de la défaite de
2018, même si, à ce stade, cette leçon n’est tirée que partiellement. Les
cheminots concluent qu’il ne faut surtout pas faire comme on leur a fait faire
il y a 18 mois. Tirer totalement les leçons, ce serait conclure à la nécessité
de constituer le comité de grève intégrant les syndicats et imposant la
discipline des grévistes aux appareils syndicaux, et à la nécessité d’imposer
jusqu’au sommet, aux dirigeants, la rupture avec le gouvernement et la reprise
de leurs revendications. Mais la grève de Châtillon, à cet égard, n’est qu’un
moment dans le processus de prise de conscience des conditions du combat pour
défaire le gouvernement, incluant la conscience du rôle joué par les appareils
syndicaux.
Il faut remarquer ce fait important. La direction
retire immédiatement la mesure qui avait provoqué la grève (la dénonciation
d’un accord qui aboutissait à la suppression de 12 jours de congés annuels
notamment). Mais malgré le retrait, la grève continue. L’explication est dans
leur communiqué : « Nous
appelons l’ensemble des cheminots à relever la tête avec nous, car la situation
aujourd’hui à Châtillon est en réalité le reflet d’une politique
nationale ». Les grévistes de Châtillon considèrent leur grève comme
le maillon d’une chaîne à constituer rassemblant tous les travailleurs – et
d’abord les cheminots – pour affronter et vaincre le gouvernement. Et c’est ce
qui donne toute son importance à cette grève.
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(1) Ce communiqué a été publié en tout ou en
partie par des journaux de la dite “extrême gauche”. Mais cette première phrase
a été parfois censurée. C’est le cas, par exemple, de la Tribune des Travailleurs, de Gluckstein, qui fait commencer le communiqué
après cette phrase.
Le dispositif du dialogue
social a commencé à être remis en cause...
Le 20 novembre, la concertation entre le gouvernement
et les directions syndicales était programmée à la SNCF et à la RATP. À la
SNCF, elle a eu lieu avec les seuls UNSA et CFDT, la CGT et SUD Rail ayant
refusé de s’y rendre. À la RATP elle a été purement et simplement annulée.
Le rapport de ces décisions avec la grève de
Châtillon doit être clairement affirmé. Comment expliquer que Lebrun, dirigeant
CGT, qui l’an dernier avait invariablement écarté le mot d’ordre de défense du
statut, qui non seulement avait participé à toutes les concertations mais avait
même demandé à être reçu par Philippe, présentant alors cette concertation
comme une « victoire », comment expliquer qu’il ait été amené, le 20
novembre, à boycotter l’invitation du gouvernement et de la direction ?
Comment l’expliquer, sinon par la pression considérable qu’exerce sur lui
l’aspiration puissante des cheminots à défendre leur régime de retraite,
à combattre les conséquences de la fin du recrutement au statut, et
leur disponibilité à en découdre qui a trouvé la plus claire expression à
Châtillon ? Et la même explication prévaut à la RATP, malgré les
tentatives des dirigeants syndicaux de faire diversion.
Cette pression trouve son prolongement au sein
des organisations syndicales, en particulier dans la CGT. L’appareil central
autour de Martinez a toutes les difficultés à empêcher que surgisse le mot
d’ordre de « retrait du projet Macron », et même plusieurs instances
de la CGT (UD, fédérations) prennent position pour que la direction de la
confédération cesse de participer à la concertation. On lira dans ce bulletin
le compte-rendu d’intervention de militants dans des congrès ou des réunions
d’UD (Puy-de-Dôme, Charente) où l’exigence de la rupture de la concertation a
été chaleureusement applaudie par les participants.
Une leçon doit être tirée : c’est la classe
ouvrière qui imposera la rupture des directions syndicales (en sachant qu’à
chaque instant l’appareil syndical tentera de renouer le fil de sa
collaboration avec le gouvernement dès que la pression d’en bas se relâchera). Les
militants révolutionnaires – et les initiatives qu’ils ont prises à la RATP par
exemple l’illustrent – ont eux pour tâche de tracer cette voie, d’exprimer
consciemment cette aspiration et de contribuer, par là, à ce qu’elle s’impose.
... mais il n’est pas brisé…
Cela étant dit, aucune illusion ne doit être
entretenue. Même lorsque les dirigeants syndicaux sont amenés à un moment donné
à renoncer à participer à la concertation, comme à la SNCF ou à la RATP, ils ne
renoncent pas pour autant à renouer dès qu’ils le pourront, avec le
gouvernement et la direction. D’ailleurs les considérants qu’ils donnent à leur
refus de participer ne sont jamais conformes aux véritables exigences des
travailleurs : le retrait pur et simple du projet Macron. Par exemple,
c’est parce que le gouvernement refuse de discuter d’un « projet alternatif et finançable » que la CGT RATP a
annoncé son refus de participer.
Il n’empêche que pour le gouvernement
Macron-Philippe, ce qui se passe à la SNCF et à la RATP est source d’une
inquiétude grandissante. Disons-le franchement : la même inquiétude est
partagée par Martinez, Veyrier (FO), Groison (FSU),
ainsi que part les dirigeants de l’UNEF.
Le gouvernement sait parfaitement – il ne cesse
d’ailleurs de l’affirmer – que seule la concertation peut sauver son projet de
destruction des retraites. Philippe a clairement donné le cadre. Ce qui est
intangible, dit-il, c’est le système de « retraite
par points » et l’
« équilibre du système en 2025 » (autrement dit, le maintien à
14 % du PIB du montant global des retraites, sachant que le nombre de
retraités va augmenter considérablement). Tout le reste est « sur la table ». Autrement
dit, la destruction de toutes les garanties existantes est intangible. Pour le
reste , place à la « concertation ».
Or jamais la concertation n’est apparue aussi
clairement pour ce qu’elle est : le seul barrage possiblement efficace au
surgissement du prolétariat et de la jeunesse.
Ce qui vient de se passer dans la jeunesse illustre
à la fois l’angoisse du gouvernement et le dispositif immédiatement adopté pour
conjurer la mobilisation de la jeunesse (voir le supplément CPS Jeunes repris dans ce bulletin). Il faut préciser que la
concertation mise en place précipitamment par le gouvernement (les dirigeants
syndicaux ont été successivement reçus par Attal et
par la ministre Vidal) vise à une chose : installer le « revenu universel d’activité », dont
l’organisme gouvernemental France Stratégie lui-même dit qu’il aboutira à la diminution
de ressources pour 3,5 millions de pauvres, ce qu’il faut mettre en relation
avec la fameuse formule de Macron s’agissant des « aides
sociales » : « Ça coûte un
pognon de dingue ! ».
Du reste, à peine les étudiants sortis du bureau
du ministre, on apprenait par Publics Sénat : « Voici une décision qui ne
devrait pas réjouir les étudiants. Pour boucler le budget 2019, le gouvernement
a décidé de supprimer 35 millions d’euros de crédits réservés au financement de
la vie étudiante. Cet argent est versé notamment aux CROUS (Centre régional des
œuvres universitaires et scolaires), et finance les bourses aux étudiants. Ce
coup de rabot s’inscrit dans une annulation globale de 322 millions d’euros
réservés au budget de l’enseignement supérieur. »
Même
méthode sur les retraites. Le gouvernement annonce précipitamment une nouvelle
tournée de concertation et de réception des « partenaires sociaux » à
partir du 25 octobre. L’objectif est limpide : éviter le risque
d’incendie, mettre en place les pare-feux nécessaires.
Or il
est remarquable que les dirigeants syndicaux, Martinez en tête, s’apprêtent à
coopérer totalement à cette tentative. La direction de la CGT a organisé, par
deux fois, une « consultation » des instances syndicales – évidemment
réduite à l’appareil dirigeant – pour obtenir un blanc seing pour continuer la
concertation. Même dans ce cadre confiné, une opposition significative s’est
manifestée. Remarquons néanmoins que l’opposition à la participation a été plus
faible lors de la seconde consultation que lors de la première, ce qui ne
signifie rien de plus que ceci : l’appareil central bande toutes ses
forces au sein même de la centrale pour que soit maintenu le cap de la
collaboration avec le gouvernement. Quant à l’appareil Force Ouvrière, il n’a pu
cacher plus longtemps qu’il participait lui aussi aux consultations du 26
novembre.
Il faut
le dire : si l’appareil syndical s’arc-boute sur la ligne de la
participation à la concertation, il a pour cela ses raisons tout entières liées
à la défense du gouvernement Macron-Philippe, dont l’existence, pour les
dirigeants syndicaux, ne doit pas être menacée.
Le 5 décembre peut-il se
retourner contre ses initiateurs ?
Évidemment,
l’initiative de Philippe relançant la concertation doit être mise en relation
avec la crainte du gouvernement que le 5 décembre se charge d’un contenu que
ses initiateurs (les dirigeants syndicaux) n’avaient pas prévu.
À cet
égard, il faut rappeler comment cet appel à la grève a surgi. Après la grève du
13 septembre, à la RATP, trois syndicats principalement (UNSA, FO, Solidaires)
appellent à la « grève illimitée » à partir du 5 décembre. Notons que
dans un premier temps, la CGT ne s’y associe pas, se ralliant ensuite. Les
dirigeants de l’UNSA explique cette étonnante innovation (annoncer une grève
illimitée… presque trois mois à l’avance) : donner le temps à la
négociation avec la direction pour que celle-ci concède quelques concessions
aux agents de la RATP. En clair, l’appel se situe au départ entièrement… dans
le cadre d’une mise en œuvre « aménagée » de la réforme
gouvernementale.
Les
dirigeants confédéraux CGT, FO, flanqués de la FSU er de l’UNEF, annoncent
ensuite un appel à une journée d’action le 5 décembre. L’appel est parfaitement
« cadré » : limité à une journée et faisant état d’une
« opposition » à la réforme, sans évoquer le moins du monde
l’exigence de retrait. Rien qui ne distingue cet appel des innombrables
précédents, où la journée d’action venait ponctuer la concertation avec le
gouvernement.
Mais
depuis cet appel initial, une modification est intervenue dans le rapport entre
les classes (voir plus haut). De sorte qu’il n’est pas exclu et qu’il est même
probable que le 5 décembre soit saisi par une partie significative du prolétariat
et de la jeunesse pour indiquer sa volonté d’affronter le gouvernement et de le
défaire. Que la grève et les manifestations soient massives le 5 décembre, et
se trouvera alors posée de manière brûlante la question : par quels moyens
le gouvernement Macron-Philippe peut-il être vaincu ? Et il n’y a qu’une
réponse sérieuse à cette question : l’appel des dirigeants syndicaux à la
grève jusqu’à satisfaction, c’est-à-dire
jusqu’au retrait.
Tentatives de dislocation de
la volonté des travailleurs avant et après le 5 décembre
Voilà
pourquoi d’une certaine manière, les dirigeants syndicaux doivent autant que
faire se peut limiter la portée de l’appel au 5 pour éviter le déferlement.
Voilà pourquoi les concertations de la semaine du 25 novembre sont en réalité
directement tournées contre le 5 décembre.
Mais
d’ores et déjà les appareils syndicaux ont prévu un dispositif de dislocation
pour après le 5 décembre. Une kyrielles de journées d’actions, actions
décentralisées, actions originales, les mêmes recettes qui ont servi à
dilapider les tentatives de mobilisation ouvrière depuis des décennies sont
dans les tuyaux. Il n’est qu’à voir le contenu de la déclaration
du Conseil national de la CGT-SNCF qui « appelle
les cheminots à s’inscrire massivement dans la grève le 5 décembre et à
participer aux assemblées générales pour décider des suites » pour
comprendre qu’une fois de plus les travailleurs sont invités à se déterminer à
la base, AG par AG, dans le brouillard le plus complet.
Autre
méthode de « dislocation » : l’appel à la « grève
reconductible », entreprise par entreprise, site par site, pulvérisant la
grève en une myriade de grèves locales, ici la grève étant reconduite, ailleurs
ne l’étant pas, ici de manière continue, là de manière intermittente, etc.
C’est sur ce terrain que se situe l’ensemble de la dite « extrême
gauche », rejointe en cela par une partie de l’appareil syndical.
Faire fond sur la
spontanéité ouvrière
Tout
dépendra donc de la capacité des travailleurs de faire sauter le dispositif de
la dislocation, autrement dit réaliser à l’échelle de toute la classe ouvrière,
ce que, de manière locale, ont fait les cheminots de Châtillon.
C’est
sur cette possibilité que surgisse ainsi la spontanéité ouvrière que les
militants révolutionnaires doivent fonder leur action. Sans qu’il soit possible
avant le 5 décembre de formuler précisément les mots d’ordre, ils doivent
s’inscrire dans la perspective suivante :
- Front
Unique des organisations ouvrières pour le retrait de la réforme Macron de
destruction des retraites !
-
Rupture totale, définitive, de toute concertation avec le gouvernement !
- Pour
l’action efficace en vue de l’affronter et le vaincre !
Si une
telle action devait aboutir, il va de soi qu’elle constituerait une
modification radicale de la situation politique, posant immédiatement la
question d’en finir avec le gouvernement lui-même.
Le 22 novembre 2019
Dernière minute
Les
dirigeants syndicaux se sont rendus à la convocation de dernière minute de
Philippe. Le but de cette consultation du point de vue du gouvernement était
limpide : éviter que le 5 décembre puisse devenir (à l’encontre d’ailleurs
de ses initiateurs) le point de départ d’un déferlement du prolétariat et de la
jeunesse. Martinez et Veyrier ont donc en toute
conscience collaboré à cette entreprise.
Le
« compte-rendu » de Martinez, les interviews de Veyrier
sont éclairants. Veyrier prend garde de ne pas
prononcer une seule fois le mot retrait. Il en appelle à une reprise des
« négociations ». Sur RFI, il avait d’ailleurs précisé le 25
novembre :
RFI :
« Est ce que votre position, c’est
le rejet pur et simple ou y a t-il place pour une négociation ? »
Réponse :
« Effectivement, nous avons des
revendications…. » et d’énumérer les « propositions » de FO
qui justifient la participation de l’appareil FO aux « négociations ».
Sur SUD Radio, il est encore
plus précis : « J’appelle à la
sagesse : revenons autour de la table de négociations sans préalable, sans
imposer un système ». « Sans
préalable » ne peut rien signifier d’autre que : sans faire du
retrait du projet Macron un préalable !
Martinez
dit la même chose. Remarquons-le, il insiste lourdement sur la disponibilité de
l’appareil CGT pour le « dialogue social » : « J’ai demandé aux représentants du
gouvernement de prendre des clichés de la rencontre pour montrer notre
disponibilité au dialogue ». « C’est la vingt-deuxième fois… [que
nous rencontrons le gouvernement ndlr]. Et de présenter avec un absolu cynisme
la reprise de la concertation de la direction de la CGT avec Djebari, le secrétaire d’État aux transports, à la SNCF…
comme une victoire de la CGT. Interrogé par le journaliste : « Pour vous la seule sortie de crise
possible, c’est l’abandon de la réforme ? », Martinez se garde
bien de confirmer : « C’est de
remettre les compteurs à zéro ». Question : « Il ya une porte de sortie avant le 5 décembre ? » Réponse :
« S’ils y mettent de la bonne
volonté, oui ! »
Tout le
monde peut s’en rendre compte. Les dirigeants syndicaux bandent toutes leurs
forces pour éviter autant que faire se peut un affrontement de classe à travers
lequel le gouvernement serait défait. Telle est la fonction de la concertation.
Tout dépendra donc de la capacité du prolétariat, surgissant sur son propre
terrain de classe, de briser le carcan des appareils syndicaux associant
concertation et bousille des possibilités de mobilisation. C’est à cet objectif
que les militants regroupés autour du bulletin Combattre pour le Socialisme entendent œuvrer. Nous invitons nos
lecteurs à s’y associer.
Le 27 novembre 2019
[ http://socialisme.free.fr
- © A.E.P.S., 1 Bis Rue GUTENBERG,
93100 MONTREUIL ]