Éditorial du bulletin « Combattre pour le socialisme » n°75 (n°157 ancienne série) - 1er décembre 2019 :

Un enjeu déterminant : défaire Macron
sur son projet de destruction des retraites !

Les travailleurs de la RATP le 13 septembre,
les cheminots (en particulier ceux du centre de maintenance de Châtillon) ont démontré que la classe ouvrière était disponible pour combattre !

Pour vaincre, une condition décisive : briser la collaboration des directions syndicales avec le gouvernement via le « dialogue social », leur imposer la rupture avec Macron-Philippe
et la réalisation du front unique pour son retrait !

Du Soudan au Chili en passant par l’Algérie, le Liban, l’Irak, l’Équateur, la Colombie,
les masses se dressent, avec la jeunesse au premier rang,
contre les régimes corrompus, vendus à l’impérialisme

Depuis des mois, se multiplient les mobilisations massives entraînant parfois des millions de manifestants comme en Algérie, portant clairement l’exigence de la chute des régimes en place.

Au point de départ de ces mobilisations, souvent des mesures d’agression contre les masses prises par le gouvernement – en collaboration étroite avec le FMI, c’est-à-dire les représentants associés des principales puissances impérialistes –, les enfonçant davantage dans la misère et le dénuement : augmentation du prix du pain au Soudan, du carburant en Équateur, mesures anti-ouvrières notamment sur les retraites en Colombie, de la connexion internet au Liban, du prix du ticket de métro au Chili. Mais très vite, la mobilisation dépasse le point de départ, pose la question du pouvoir.

La domination impérialiste est directement la cible des manifestants, comme en Algérie lorsqu’ils s’en prennent à la dernière loi sur les hydrocarbures qui livre le gaz et le pétrole algériens aux trusts impérialistes.

La nouvelle rafale de mesures contre les conditions d’existence des masses ne doit rien au hasard. Elle est évidemment à mettre en relation avec les nouveaux développements de la crise du capitalisme, avec la récession qui se profile, indiquant par là que les expédients auxquels ont eu recours conjointement gouvernements et banques centrales depuis 10 ans pour éviter l’effondrement ont épuisé leurs effets. Nos lecteurs liront dans ce numéro l’article qui est consacré à la situation économique et qui établit ce diagnostic.

Et une fois de plus, la bourgeoisie à l’échelle mondiale n’a qu’une façon de faire face à sa propre crise : s’en prendre toujours plus violemment au prolétariat et à la jeunesse, aussi bien dans les pays dominés qu’au cœur même des citadelles impérialistes comme on le verra pour la France.

Certes, on doit le constater, dans les pays impérialistes, en particulier en Europe, les attaques subies par le prolétariat n’ont pas entraîné des mobilisations de même ampleur que celles qui déferlent dans les pays dominés. Une des raisons principales en est que le poids des vieilles directions des organisations ouvrières s’exerce plus lourdement sur le prolétariat pour empêcher celui-ci de se dresser contre les gouvernements bourgeois.

Mais la lutte des classes n’a pas disparu pour autant dans les pays capitalistes « avancés ». La grève massive pendant plusieurs semaines des ouvriers de General Motors aux États-Unis, renouant avec les meilleures traditions ouvrières, notamment celle des piquets de grève, vient de nous le rappeler avec vigueur. La revendication des mêmes conditions d’emploi pour tous les travailleurs de l’entreprise – les travailleurs employés depuis 2008 ne bénéficient ni des salaires ni des acquis en matière de santé, de retraite, etc., dont bénéficient leurs aînés – témoignaient du haut niveau de conscience des ouvriers américains. L’accord concocté par les bureaucrates syndicaux avec la direction a certes bradé cette revendication, ce qui explique le rejet majoritaire de l’accord par les ouvriers dans un certain nombre d’usines, la direction ayant dû néanmoins concéder une augmentation de salaire significative. Mais cette grève – relayée par celle, victorieuse, des enseignants de Chicago ‑ vient rappeler que les ressources existent partout dans le prolétariat pour affronter et vaincre la bourgeoisie, ses plans et ses gouvernements.


Des caractéristiques communes


Pour en revenir aux caractéristiques communes des puissantes mobilisations de masse au Soudan, en Algérie, au Liban, en Irak, en Équateur, au Chili, on peut noter que :

- elles mettent en avant la nécessité d’en finir avec des régimes militaro-policiers, et donc mettent en avant des revendications et mots d’ordre démocratiques : à bas le régime militaire au Soudan (« tout le pouvoir aux civils ») et en Algérie (« Un État civil, pas militaire ») ; à bas le régime appuyé sur des bandes armées constituées sur des bases confessionnelles au Liban et en Irak ; à bas la constitution pinochetiste au Chili ; à bas le régime d’oppression de Pékin à Hongkong (« pour le droit de la population d’élire ses représentants »). Tous ces mouvements confirment que dans les pays dominés on ne peut passer par dessus les mots d’ordre démocratiques !

- en même temps elles intègrent le plus souvent des mots d’ordre de classe posant la question d’en finir avec la domination impérialiste : à bas la loi sur les hydrocarbures (qui brade le gaz et le pétrole aux trusts impérialistes) en Algérie ! À bas la mainmise des capitalistes sur l’enseignement, la santé, les retraites au Chili (mainmise qui est d’ailleurs inscrite dans la constitution), pour des services publics qui permettent d’avoir accès à l’eau, l’électricité, la santé en Irak, etc.

- ces mobilisations voient se dresser contre elles la sainte alliance de toute la réaction mondiale. Le FMI ‑ qui n’est rien d’autre que la coalition des États prêteurs, c’est-à-dire des puissances impérialistes ‑ est allé conforter le gouvernement Bensalah en Algérie (et en même temps lui donner ses consignes), soutenu par Macron. Il faut rappeler la présence directe des troupes US en Irak. Mais aussi, remarquons-le : le régime des ayatollahs, tant en Irak qu’au Liban (via le Hezbollah), est en première ligne contre le mouvement des masses. Et au moment où nous bouclons cet article, il est lui-même en butte à une mobilisation de masse.

Enfin, et c’est essentiel, de l’Algérie au Chili, c’est la jeunesse qui se porte à l’avant-garde du combat, affrontant avec héroïsme la répression policière et militaire – plus de 300 morts en Irak - cette jeunesse sur laquelle ne pèse pas, comme l’expliquait Trotsky, le poids des défaites passées.

À tous les éternels sceptiques, à tous ceux qui prophétisent à longueur de temps la « fin de la lutte des classes », ces mobilisations donnent une éclatante leçon.


Des obstacles politiques qui se ramènent à une question :
celle de la construction dans chaque pays du parti ouvrier révolutionnaire


Il ne faut pas pour autant cacher les obstacles essentiels auxquels se heurtent ces mobilisations.

La classe ouvrière est sans aucun doute présente dans ces mobilisations. La puissante grève générale et la manifestation au Chili rassemblant à Santiago 1,2 million de travailleurs et jeunes en témoigne. En Algérie, depuis 9 mois, les grèves se succèdent, s’en prenant parfois avec vigueur aux bureaucrates syndicaux vendus au régime. Au Liban, en Irak plusieurs syndicats ont été amenés à appeler aux manifestations contre le régime.

Toutefois, la plus grande difficulté dans tous ces pays est celle de faire émerger une issue ouvrière à la crise, c’est-à-dire d’opposer aux régimes en place la perspective du gouvernement ouvrier boutant hors du pays les puissances impérialistes, engageant les mesures d’expropriation du capital en même temps que le démantèlement des forces de répression. L’origine de cette difficulté est claire : elle tient à la décomposition du mouvement ouvrier, et au fait qu’au sommet des organisations qui existent encore, les dirigeants mettent tout en œuvre pour sauver les régimes honnis.

Au Chili, c’est le Parti socialiste chilien (et d’une autre manière le PC Chilien) qui ont donné crédit à l’opération de Piñera de « réforme » de la constitution (voir article dans ce numéro). Il faudrait d’ailleurs rappeler, si les limites de cet article le permettaient, leur responsabilité criminelle dans l’accession de Pinochet au pouvoir. En Algérie, non seulement la direction de l’UGTA associée au régime depuis 50 ans, mais aussi celle de la CSA (syndicats autonomes) font tout ce qui leur est possible pour que les élections du 12 décembre – visant à maintenir le régime militaire – se tiennent (voir article dans ce numéro).

Et il faut le rappeler, le Liban comme l’Irak sont des pays où existaient des partis communistes implantés qui ont été quasi liquidés par la politique constante du stalinisme dans tout le Moyen-Orient, du soutien à l’existence de l’État d’Israël à celui du régime des ayatollahs en Iran.

C’est à cause de cette difficulté que les forces bourgeoises et petites bourgeoises peuvent faire miroiter comme issue à la misère des masses des « solutions » qui sont autant de moyens de replâtrer les régimes. Il en va ainsi du gouvernement d’« experts » ou de « techniciens » proposé aux manifestants au Liban, comme si cette formule pouvait revêtir un autre contenu que celui d’un gouvernement direct des chargés de mission de l’impérialisme. D’une autre manière, c’est le sens de l’opération en cours au Chili visant à permettre à Piñera d’opérer une « réforme de la constitution » (voir article sur le Chili dans ce numéro).

Surmonter les obstacles au mouvement des masses ne peut se faire que par la construction dans chaque pays de véritables partis ouvriers révolutionnaires. Ils ne peuvent naître qu’à travers le processus par lequel une avant-garde, au sein des mobilisations présentes, en particulier dans la jeunesse, acquerra la capacité à tirer les leçons des événements jusqu’au bout et renouera avec le programme de la révolution prolétarienne, tel qu’il s’est incarné dans les acquis des première, deuxième, troisième et quatrième internationales, et qu’à l’échelle qui est la sienne, le Comité fondé par Stéphane Just a fait vivre et développé.


Europe : L’Union européenne sous la pression de forces dislocatrices


En Europe, il n’existe rien, à ce stade, de semblable aux mobilisations évoquées ci-dessus. La politique des appareils bourgeois qui dirigent le mouvement ouvrier a pour effet d’impuissanter pour l’instant le prolétariat. C’est particulièrement vrai du plus puissant prolétariat d’Europe, le prolétariat allemand. Ce dernier s’apprête à subir une nouvelle offensive d’importance contre ses conditions d’existence, du fait de la situation qui met le pays au bord de la récession.

Le chômage partiel y prend une ampleur rappelant 2008 dans l’industrie automobile, constructeurs et sous-traitants. À fin juin, le chômage partiel touchait plus de 2000 entreprises (soit presque 50 000 salariés). Selon le patronat allemand, le phénomène va s’amplifier et cela pour plusieurs mois. L’un des dirigeants de l’industrie automobile a déclaré : « Nous ne nous dirigeons plus vers la crise. Nous sommes dedans ». Une vague de licenciements vient d’être annoncée. Par exemple : Continental 7000, Siemens 1100 ; dans la sidérurgie, Thyssen Krupp 1500. La Bundesbank vient de produire un rapport mettant à l’ordre du jour la retraite… à 70 ans. Façon d’indiquer que pour la bourgeoisie, en Allemagne comme en France, le véritable programme, c’est la liquidation de tout droit à la retraite, l’exploitation jusqu’à la mort.

La direction du DGB continue par rapport à cette situation sur la même orientation que celle qu’elle défend depuis 2008 en particulier. En 2008, la bureaucratie syndicale allemande donnait le « la » pour tous les appareils en Europe, s’associant étroitement à la mise en œuvre des mesures de chômage partiel et des plans de licenciement. Il y a un an et demi, elle signait un accord portant sur 3700 suppressions de poste chez Opel. Chez Continental, l’appareil syndical vient de se prononcer pour « passer en revue » les sites menacés et a annoncé qu’elle refuserait « les licenciements importants », ce qui signifie que la discussion peut commencer sur le nombre de licenciements « acceptables ».

Et sur le plan politique, le SPD demeure membre de la grande coalition, alors que celle-ci, d’élections en élections, conduit le SPD à des désastres électoraux d’une ampleur historique. Rien ne permet de dire que le prochain congrès du SPD rompra avec cette orientation, d’autant que pour la bourgeoisie allemande qui décide de l’orientation du SPD, la grande coalition demeure l’option de gouvernement la plus raisonnable, même si, à la CDU, des voix s’élèvent pour une alliance avec l’AFD parti ultra-réactionnaire hébergeant en son sein y compris des nostalgiques assumés de Hitler.

Est-ce également vers un gouvernement de « grande coalition » que l’on s’oriente en Espagne après les dernières législatives, marquées par un tassement du vote pour le PSOE – qui demeure le plus important aux Cortès –, par une remontée du PP et par une progression considérable de Vox, parti ultra- réactionnaire se réclamant ouvertement du franquisme ? Aujourd’hui, le secrétaire général du PSOE semble plutôt privilégier l’alliance avec Podemos (lequel a essuyé un nouveau revers électoral), mais même avec Podemos, cela ne fait pas une majorité aux Cortès.

Les élections ont été dominées par la question catalane, question sur laquelle le PSOE a donné toute garantie à la bourgeoisie castillane en approuvant l’infâme verdict maintenant pour des années les dirigeants indépendantistes en prison et en réaffirmant son soutien à la constitution monarchiste post-franquiste qui maintient sous tutelle les peuples d’Espagne.

La réalité, c’est l’incapacité d’établir en Espagne un gouvernement stable, dans une situation où l’« embellie » relative sur le plan économique touche à sa fin.

Mais c’est en Grande-Bretagne que la crise politique est la plus profonde, en même temps qu’elle rejaillit sur toute l’Europe. Cela étant dit, Johnson vient de remporter quelques succès significatifs. Il vient d’obtenir – ce que n’avait pas obtenu May – un deal avec l’UE permettant à la Grande-Bretagne de sortir de l’union douanière (et donc de disposer d’une marge de manœuvre pour des accords commerciaux particuliers avec d’autres pays). Il doit ce succès au fait que l’Allemagne était prête à faire les plus grandes concessions pour éviter le « no deal », dont les conséquences pour l’économie allemande auraient été ravageuses, en particulier pour le secteur automobile. Et il peut juger que les élections aux Communes du 12 décembre se présentent sous un jour favorable, d’autant que vient d’être noué à son avantage un accord de « front unique » (bourgeois) avec le parti du Brexit de Farrage qui s’engage à ne pas présenter de candidats contre le sortant Tory.

À vrai dire, ce succès ne doit rien au mérite particulier de Johnson, mais lui a été offert par Corbyn à la tête du Labour Party dont toute la politique réelle depuis des mois consiste à défendre le maintien dans l’UE (il promet, s’il est au pouvoir, de renégocier l’accord avec celle-ci et, à défaut, de soumettre à referendum le retour dans l’UE).

Il faut se garder de pronostics trop péremptoires sur les élections à venir. Mais en tout cas, tout est fait pour rassembler les conditions d’un succès de Johnson, même si le caractère violemment anti-ouvrier de son programme peut pousser la classe ouvrière et la jeunesse à voter plus ou moins largement pour le Labour, malgré la politique de Corbyn.


Macron en Europe : une succession de camouflets qui remettent le capitalisme français à sa place


Sur la scène européenne, Macron vient de subir une série de camouflets retentissants. Les représentants de l’Allemagne ne prennent plus la peine de mettre les formes pour le remettre à sa place et lui rappeler qu’il n’est que le représentant d’une puissance économique de troisième ordre. En clair, ils lui disent en langage peu diplomatique qu’il n’a pas trop les moyens de ses péroraisons !

Il y a eu l’épisode Goulard, dont la candidature comme commissaire européenne a été spectaculairement retoquée, ce à quoi la délégation de la CDU allemande au Parlement européen n’est pas étrangère. Il y a eu la négociation sur le Brexit, où les concessions faites à Johnson l’ont été par-dessus la tête de Macron. Il y a eu dernièrement l’échange peu amène sur l’OTAN. Macron, qui n’a pu que se soumettre à la décision de Trump de donner son feu vert à Erdogan contre les Kurdes, s’est laissé aller à des propos dépités sur « l’OTAN en mort clinique ». Il est vrai que le secrétaire général de l’OTAN, tenant pour quantité négligeable la position française, avait déclaré que le devoir de tous ses membres était… de se tenir aux côtés de la Turquie dans son offensive ! Angela Merkel a sèchement remis à sa place Macron, et l’on apprend que s’agissant du financement de l’OTAN, l’Allemagne négociait avec Trump la diminution de la contribution américaine… à compenser par une augmentation de la part française. La ministre française de la Défense, Parly, a réagi vertement : « Nous ne paierons pas ». Attendons la suite…


Le diagnostic du ministre Le Maire : « La France est menacée d’un déclassement productif »…


Celui qui jugerait de l’état économique de la France à partir des innombrables articles sur la « résilience de l’économie française » (opposée à la quasi-récession de l’Allemagne), sur le maintien de la « croissance française » (n’est-ce pas un signe de l’atonie générale de l’économie mondiale qu’il faille s’extasier sur une croissance prévue… à 1,2 % pour 2019 ?) ; celui-là devrait être considéré comme un imbécile sans espoir.

La réalité de l’économie est plutôt dans le diagnostic porté par le gouvernement lui-même et son ministre Le Maire : « La France est menacée d’un déclassement productif ».

La reprise de la déclaration de Le Maire par Le Monde du 15 octobre précise :

« Le pays ne compte plus, selon lui, que trois grandes filières : l’aéronautique, le luxe, les vins et spiritueux. Naguère fleurons industriels, le nucléaire, l’agroalimentaire et la pharmacie sont à la peine. Renault et PSA sont les constructeurs qui ont le plus délocalisé, vers l’Europe et le Maghreb. Résultat, la part de l’industrie dans le produit intérieur brut (PIB) est tombée à 12 %, contre 23 % en Allemagne et près de 18 % en Italie. Le décrochage de l’industrie, qui a perdu 1 million d’emplois en dix ans, est d’autant plus inquiétant que c’est elle qui dope la productivité et nourrit la recherche et développement (R&D). “On ne fait pas une grande nation économique uniquement sur la base de trois filières”, a insisté le ministre. »

Il n’y a rien à redire au diagnostic. On peut simplement le préciser.

La situation du nucléaire est catastrophique. Invariablement, EDF annonce une nouvelle augmentation de la facture et un nouveau délai de mise en route de l’EPR de Flamanville. Là encore, c’est le gouvernement lui-même qui attribue cette catastrophe industrielle à la « perte de compétence » des ingénieurs français, signe imparable de la décrépitude industrielle du pays. Mais, est-ce l’énergie du désespoir ou bien une fuite en avant, on annonce la construction de 6 nouveaux réacteurs pour une somme de 46 milliards d’euros. Qui paiera ? L’État et le consommateur, c’est-à-dire, en l’occurrence, les travailleurs. C’est ce à quoi s’emploie le projet de loi Hercule, reporté mais non annulé, qui prévoit la renationalisation de la filière nucléaire (en même temps que la privatisation des secteurs les plus juteux).

La situation de l’agroalimentaire ne cesse de se dégrader. Les Échos indiquent : « pour la première fois depuis 45, la France importe plus de produits agricoles européens qu’elle n’en exporte sur le vieux continent » (on est passé d’un solde positif de 6 milliards en 2011 à un déficit de 300 millions).

Mais il est un domaine dans lequel le capitalisme français fait la course en tête, c’est le niveau d’endettement des entreprises. Parmi les grands pays, la France détient le record absolu avec un endettement global (État, ménages, entreprises) de 315 % du PIB ; c’est plus que les USA, que l’Allemagne et même que la Chine, pour autant que les statistiques chinoises soient fiables. Ce record français n’est pas dû à la dette des ménages, qui se situe au niveau allemand, ni même à l’endettement de l’État français (à hauteur quasiment de 100 % du PIB) bien qu’il constitue une charge potentiellement explosive pour la bourgeoisie. Ce qui fait que l’endettement français bat des records, c’est d’abord l’endettement des entreprises : ce dernier atteint 143 % du PIB, alors qu’il n’est que de 75 % aux USA, sans parler des entreprises allemandes qui sont trois fois moins endettées (57 % du PIB). L’endettement des entreprises françaises est passé de 117,5 % à 143,2 % de 2009 à 2017 alors qu’il a fortement baissé dans le sud de la zone euro. Nettement supérieur à la moyenne européenne qui est de 105 %, il continue à augmenter : les entreprises françaises ont encore emprunté plus de 106 milliards d’euros entre août 2018 et août 2019.


...et ses solutions


Capital cite Le Maire :

« “Nous ne travaillons pas assez”, a affirmé le ministre de l’Économie, selon lequel “le volume global d’heures travaillées en comparaison de nos voisins du G7 et des grands pays de l’OCDE est insuffisant”. Un point également souligné par le Medef, tout comme la question des impôts de production, sur laquelle M. Le Maire veut avancer prudemment avec les collectivités locales, dont les ressources dépendent en grande partie de cette manne fiscale.

« “Nous avons aujourd’hui des impôts de production, qui pénalisent les entreprises, qui sont sept fois plus élevés qu’en Allemagne et deux fois plus élevés que la moyenne des pays de la zone euro”, a regretté le ministre. Enfin, “nous devons aller plus loin dans la formation des compétences que ce qui a déjà été fait depuis le début du quinquennat pour pourvoir les centaines de milliers d’emplois qui aujourd’hui ne sont pas pourvus.” »

Ces affirmations sont en réalité fausses. Les cadeaux fiscaux faits aux entreprises particulièrement depuis 2007, pour ne citer que les plus récentes : pacte de responsabilité, CICE, CIR, multiples mesures d’exonérations de cotisations sociales, situent au contraire la France parmi les pays où les cadeaux fiscaux aux patrons ont été parmi les plus élevés.

Mais l’important est que Le Maire indique la « solution » au déclassement productif : augmenter l’exploitation de la force de travail. En même temps qu’il indique la méthode : le « pacte productif ».

« Nous avons besoin d’une stratégie collective pour la nation, un pacte productif permettant d’atteindre le plein emploi en 2025... Depuis 6 mois, nous travaillons, avec les membres du Gouvernement, les fédérations professionnelles, les organisations syndicales, les chambres de commerce et les chambres de métiers, pour bâtir ce pacte productif. »

Mais à ce propos, il faut rendre à César ce qui appartient à César : l’idée du « pacte productif » appartient… à l’appareil de la CGT. Le 25 avril 2018, la direction de la CGT annonçait :

« Dans le cadre de la campagne de reconquête industrielle, les Assises nationales de l’industrie se sont tenues le 22 février 2017 et ont réuni plus de mille militant·e·s de la CGT. Les assises ont été un moment fort dans la CGT : un moment de convergence réaffirmant que l’industrie et les services publics sont indispensables au développement économique et satisfont aux besoins sociaux et environnementaux et au progrès social (…) La Confédération ne peut bâtir des projets industriels à la place des structures concernées, mais elle peut être une aide à la coordination entre structures, à la garantie d’une cohérence revendicative et notamment en termes de cohérence du système productif, à la communication interne ou externe à la CGT, à l’intervention confédérale institutionnelle (souligné par nous) ou revendicative à la demande des structures ».

Il s’agit donc bien d’une proposition de service de l’appareil CGT pour la mise en place d’une véritable association capital-travail permettant, par le moyen de l’augmentation de l’exploitation de la force de travail, le « reclassement » industriel du capitalisme français.


Le gouvernement avance à un rythme effréné dans les attaques contre le prolétariat et la jeunesse...


L’association constante des dirigeants syndicaux aux plans de la bourgeoisie et du gouvernement – comme celui qui prévaut depuis six mois sur le « pacte productif », c’est là l’explication aux coups redoublés qui, sur tous les plans, s’abattent sur les travailleurs et la jeunesse sans rencontrer d’oppositions déterminantes depuis des années et plus particulièrement ces derniers mois :

- La loi de Finances 2020 a été adoptée sans que les dirigeants syndicaux ne lèvent le petit doigt ;

- la loi de Financement de la Sécurité sociale a été adoptée en première lecture. Le Sénat – dont la majorité LR n’a rien à lui reprocher sur le fond – l’a refusée, ce qui contraint le gouvernement à une seconde lecture (voir plus loin). Sans rentrer dans le détail, deux éléments fondamentaux caractérisent cette loi. L’augmentation de l’ONDAM à 2,1 % conduit, si l’on tient compte des dépenses incompressibles (salaires intégrant la progression de carrière, pensions), à une diminution massive des postes et à des fermetures de lits dans l’Hôpital public. Et surtout, la loi entérine la non compensation par l’État des ponctions qu’il opère sur le budget de la Sécurité sociale, soit en lui faisant financer ses propres mesures, soit en multipliant les mesures d’exonération de cotisations sociales. À cet égard, il est important de signaler ce fait, à l’encontre de tous ceux qui font état, à la gloire des « gilets jaunes », du « succès » que constitueraient les mesures de Macron d’augmentation de la prime d’activité pour quelques milliers de travailleurs pauvres – c’est-à-dire de travailleurs auxquels les patrons ne donnent pas un salaire suffisant pour permettre simplement la survie. L’augmentation de la prime d’activité sera intégralement financée par le budget de la Sécurité sociale, c’est-à-dire par les travailleurs ! En clair, ce qui caractérise cette loi de financement de la Sécurité sociale, c’est qu’elle officialise le pillage de la Sécurité sociale par l’État.

Sur l’assurance-chômage, les trois décrets entrés en vigueur ce 1er novembre entérinent un très profond recul des droits des chômeurs et permettent au gouvernement de se soumettre le système d’indemnisation du chômage. Le montant des économies attendues jusqu’en 2022 est de l’ordre de 6 milliards, d’après la présentation qu’en a fait l’UNEDIC le 24 septembre. Elle indique qu’à hauteur de plus des 9/10e, ces économies sont imputables aux nouveaux critères d’éligibilité et au changement de salaire journalier de base, c’est-à-dire aux coupes dans les droits des chômeurs. La nouvelle formule du salaire journalier de référence va toucher 850 000 personnes, le montant moyen de l’indemnisation baissant de 22 % pour passer de 905 à 708 euros. La mise en place des nouveaux critères d’éligibilité va toucher, elle aussi, 850 000 personnes. En tout, d’après l’UNEDIC, c’est 40 à 50 % des chômeurs qui vont être impactés par la diminution de leurs droits, souvent dans de fortes proportions. Les décrets vont jusqu’à faire financer par l’UNEDIC et non plus par l’État via pôle emploi le surcroît de formation qui est sensé être la contrepartie de la remise en cause des droits. Cela revient à faire financer par les chômeurs eux-mêmes leur formation !


Campagne et mesures répugnantes contre la population immigrée


Dans cette offensive générale contre les masses laborieuses, l’offensive contre la partie la plus démunie de la population, à savoir les immigrés, occupe une place particulière.

De manière délibérée, cynique, Macron et le gouvernement ont mis la question sur le devant de la scène. Macron entend bien démontrer qu’il peut disputer avec efficacité la palme des mesures les plus répugnantes à Le Pen contre les immigrés. À cet égard, il faut rappeler que c’est au nom du programme anti-immigrés de Le Pen et pour y faire barrage que dirigeants du PS, du PCF, des organisations syndicales appelaient et continuent à appeler à chaque occasion à voter pour Macron et ses suppôts !

Le discours de Philippe à l’Assemblée et les mesures qu’il y a annoncées constituent un sommet d’ignominie. Il en va ainsi des mesures de remise en cause de l’AME (aide médicale d’État) contre les demandeurs d’asile : remise en cause de certains soins, et… trois mois de carence avant d’y avoir droit - trois mois pour mourir ! - au nom de la lutte contre le « tourisme médical ». L’expression même de « tourisme médical » méritera de figurer dans les annales de la barbarie des défenseurs du mode de production capitaliste. Le reste est à l’avenant : nouvelles conditions mises au regroupement familial, augmentation des places en foyer de rétention.

C’est dans ce contexte qu’un ancien candidat du FN a tenté de mettre le feu à une mosquée à Bayonne, tirant sur des fidèles. Mais il faut le dire. Ce qui a inspiré ce sinistre personnage, ce n’est personne d’autre que Macron lui-même. Macron doit être considéré comme responsable. Remarquons-le : les bonnes âmes qui s’étaient indignés de l’expulsion du provocateur Finkielkraut d’une manifestation au nom de la lutte « contre l’antisémitisme » et avaient appelé à l’initiative de Faure, secrétaire du PS, à une manifestation d’ « union nationale », ont eu cette fois une indignation… beaucoup plus mesurée.


Et pourtant le gouvernement est inquiet…


Le représentant du courant Front unique (courant dans lequel interviennent les militants révolutionnaires dans l’enseignement) au Bureau national de la FSU nous a fait parvenir son intervention au cours du Bureau du 19 novembre. Citons en un extrait. Après avoir brossé le tableau des attaques récentes du gouvernement, il déclare :

« Et pourtant, on sent aujourd’hui une certaine fébrilité du côté du pouvoir.

Plusieurs suicides ont mis en accusation le gouvernement et sa politique.

Le 13 septembre, par leur grève massive, les agents de la RATP ont témoigné de leur disponibilité pour engager le combat contre le gouvernement, contre sa contre-réforme des retraites.

À la SNCF, coup sur coup, 2 grèves (qualifiées de « sauvages » par le gouvernement) ont déferlé hors du cadre de la concertation et du dialogue social.

Et une mobilisation de tout le secteur hospitalier s’est dressé de fait contre le budget de la Sécurité sociale adopté en 1ère lecture.

Le gouvernement craint que la concertation généralisée qui lui a permis de préparer et d’appliquer ses attaques ne puisse plus être assumée par les dirigeants syndicaux.

Il craint que ceux-ci soient amenés à rompre avec lui et à exiger le retrait de sa contre-réforme des retraites.

Il craint que les dirigeants des syndicats de la FSU ne puissent plus justifier de poursuivre la concertation sur la pseudo-revalorisation des enseignants qui d’une part entérine la contre-réforme des retraites et d’autre part vise à les faire travailler davantage et à renoncer à une partie de leurs vacances.

Le gouvernement craint que l’exigence du retrait pur et simple du projet de contre-réforme des retraites qui gagne du terrain dans les réunions de personnels et dans les instances syndicales, finisse par devenir l’objectif fixé à la mobilisation programmée pour le 5 décembre.

Il sait qu’au sein même des organisations syndicales, ce mot d’ordre gagne du terrain et que son adoption risquerait d’entraîner le refus de concertation. En effet, comment les dirigeants syndicaux pourraient-ils encore justifier de discuter d’une contre-réforme dont ils exigeraient le retrait ?

Toutes ces craintes hantent le pouvoir qui sait qu’un front uni dressé contre lui sur cet objectif clair le placerait dans une situation incertaine. »

C’est là un tableau parfaitement exact du moment présent de la lutte des classes. Nous allons développer le propos de notre camarade.


Des manifestations claires des capacités du prolétariat
à affronter et vaincre le gouvernement Macron-Philippe


Nous avions insisté sur la signification de la grève du 13 septembre à la RATP. C’est évidemment en défense de leur régime spécial que les agents de la RATP se sont mis en grève en masse (à la quasi-unanimité s’agissant des conducteurs). S’il faut constater que cette grève a été parfaitement encadrée par les dirigeants syndicaux, réussissant même à permettre au représentant du gouvernement de se pavaner lors d’une assemblée de travailleurs, sans être menacé, il faut pourtant noter que la défense des régimes spéciaux par elle-même est en contradiction patente avec la politique de Martinez et de la direction de la CGT qui ne cessent de se prononcer – à l’instar de Delevoye et du gouvernement pour un « régime universel » effaçant les régimes spéciaux.

Le 14 novembre, les agents hospitaliers étaient appelés à une manifestation à Paris et à des rassemblements en province. Il faut le dire : cette manifestation avait été soigneusement placée par leurs organisateurs (dirigeants syndicaux et « comité inter-urgences »)… pour laisser le champ libre au gouvernement, en faire un simple baroud d’honneur. La loi de financement de la Sécurité sociale avait déjà été votée par l’Assemblée nationale, le 29 octobre, 15 jours plus tôt. Pourtant, les agents hospitaliers y ont été largement présents. De manière inédite, ils ont entrainé dans leur sillage les médecins des hôpitaux. Au point que le gouvernement se soit senti obligé d’annoncer des mesures nouvelles, excluant toutefois toute mesure réelle de réouverture de lits, de création significative de postes et d’augmentation générale de salaires, ce qui explique le rejet massif des travailleurs hospitaliers. À l’évidence, la volonté de combattre est intacte et se traduit, par exemple dans cette motion adoptée par plusieurs centaines de travailleurs hospitaliers réunis au CHU Gabriel Montpied à Clermont-Ferrand demandant aux organisations syndicales et au comité inter-urgences d’organiser la montée massive sur Paris, à l’Assemblée, lors du vote en seconde lecture de la LFSS.

Mais il y a eu surtout le surgissement de la spontanéité ouvrière chez les cheminots. D’abord à la suite d’un accident ferroviaire où le conducteur, seul à bord, a dû se porter, blessé au secours des voyageurs. C’est le résultat direct de la conduite à agent seul, qui est une des formes de la polyvalence que la direction de la SNCF veut généraliser avec la fin du recrutement au statut.. Immédiatement les conducteurs ont « posé le sac ». Cette réaction spontanée a certes immédiatement été enserrée dans le cadre (réactionnaire) du « droit de retrait », puisque « le droit de retrait » soumet la réaction des travailleurs à une décision de la justice bourgeoise. C’est ce à quoi ont activement œuvré les appareils syndicaux. Martinez n’a cessé de répéter : « ce n’est pas une grève ». Mais cela n’annule pas le fait que c’est immédiatement, spontanément qu’ont réagi les conducteurs sans attendre les consignes des sommets.


La signification politique de la grève du centre de maintenance de Châtillon


C’est cette même spontanéité qui s’est exprimée chez les cheminots du centre de maintenance de Châtillon. Citons quelques passages de leur communiqué :

« Nous, agents du matériel au Technicentre de Chatillon sur le réseau TVG Atlantique, avons cessé le travail massivement depuis lundi 21 octobre au soir, sans se concerter ou être encadrés par les syndicats (1). La direction considère notre grève illégitime, car nous ne serions pas dans le cadre du délai de quarante-huit heures pour le service minimum, mais c’est le seul moyen de se faire entendre (... ) Nous ne pouvons plus accepter de travailler avec des salaires proches du SMIC et gelés depuis cinq ans, en sous effectif… Nous respecterons les délais de prévenance le jour où la direction elle-même respectera déjà les salariés… Nous appelons l’ensemble des cheminots à relever la tête avec nous, car la situation aujourd’hui à Châtillon est en réalité le reflet d’une politique nationale. La direction n’a pas de scrupule à nous faire porter le chapeau de sa politique, à l’image du droit de retrait contre l’EAS [Équipement à agent seul, ndlr] et pour la sécurité des usagers. »

Donc la grève éclate spontanément, massivement, passant par-dessus les interdictions légales limitant le droit de grève incluses dans le dispositif d’« alerte sociale » qui avaient été mises en place conjointement par la direction et les bureaucrates syndicaux. La grève éclate sans consigne syndicale, ce qui signifie que, pratiquement, les cheminots font sauter le dispositif des appareils des journées d’action à la grève hachée qui, il y a 18 mois, avait conduit les cheminots à la terrible défaite aboutissant à la liquidation de leur statut. En réalité, cette grève manifeste qu’une avant-garde commence à tirer les leçons des raisons de la défaite de 2018, même si, à ce stade, cette leçon n’est tirée que partiellement. Les cheminots concluent qu’il ne faut surtout pas faire comme on leur a fait faire il y a 18 mois. Tirer totalement les leçons, ce serait conclure à la nécessité de constituer le comité de grève intégrant les syndicats et imposant la discipline des grévistes aux appareils syndicaux, et à la nécessité d’imposer jusqu’au sommet, aux dirigeants, la rupture avec le gouvernement et la reprise de leurs revendications. Mais la grève de Châtillon, à cet égard, n’est qu’un moment dans le processus de prise de conscience des conditions du combat pour défaire le gouvernement, incluant la conscience du rôle joué par les appareils syndicaux.

Il faut remarquer ce fait important. La direction retire immédiatement la mesure qui avait provoqué la grève (la dénonciation d’un accord qui aboutissait à la suppression de 12 jours de congés annuels notamment). Mais malgré le retrait, la grève continue. L’explication est dans leur communiqué : « Nous appelons l’ensemble des cheminots à relever la tête avec nous, car la situation aujourd’hui à Châtillon est en réalité le reflet d’une politique nationale ». Les grévistes de Châtillon considèrent leur grève comme le maillon d’une chaîne à constituer rassemblant tous les travailleurs – et d’abord les cheminots – pour affronter et vaincre le gouvernement. Et c’est ce qui donne toute son importance à cette grève.

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(1) Ce communiqué a été publié en tout ou en partie par des journaux de la dite “extrême gauche”. Mais cette première phrase a été parfois censurée. C’est le cas, par exemple, de la Tribune des Travailleurs, de Gluckstein, qui fait commencer le communiqué après cette phrase.


Le dispositif du dialogue social a commencé à être remis en cause...


Le 20 novembre, la concertation entre le gouvernement et les directions syndicales était programmée à la SNCF et à la RATP. À la SNCF, elle a eu lieu avec les seuls UNSA et CFDT, la CGT et SUD Rail ayant refusé de s’y rendre. À la RATP elle a été purement et simplement annulée.

Le rapport de ces décisions avec la grève de Châtillon doit être clairement affirmé. Comment expliquer que Lebrun, dirigeant CGT, qui l’an dernier avait invariablement écarté le mot d’ordre de défense du statut, qui non seulement avait participé à toutes les concertations mais avait même demandé à être reçu par Philippe, présentant alors cette concertation comme une « victoire », comment expliquer qu’il ait été amené, le 20 novembre, à boycotter l’invitation du gouvernement et de la direction ? Comment l’expliquer, sinon par la pression considérable qu’exerce sur lui l’aspiration puissante des cheminots à défendre leur régime de retraite, à combattre les conséquences de la fin du recrutement au statut, et leur disponibilité à en découdre qui a trouvé la plus claire expression à Châtillon ? Et la même explication prévaut à la RATP, malgré les tentatives des dirigeants syndicaux de faire diversion.

Cette pression trouve son prolongement au sein des organisations syndicales, en particulier dans la CGT. L’appareil central autour de Martinez a toutes les difficultés à empêcher que surgisse le mot d’ordre de « retrait du projet Macron », et même plusieurs instances de la CGT (UD, fédérations) prennent position pour que la direction de la confédération cesse de participer à la concertation. On lira dans ce bulletin le compte-rendu d’intervention de militants dans des congrès ou des réunions d’UD (Puy-de-Dôme, Charente) où l’exigence de la rupture de la concertation a été chaleureusement applaudie par les participants.

Une leçon doit être tirée : c’est la classe ouvrière qui imposera la rupture des directions syndicales (en sachant qu’à chaque instant l’appareil syndical tentera de renouer le fil de sa collaboration avec le gouvernement dès que la pression d’en bas se relâchera). Les militants révolutionnaires – et les initiatives qu’ils ont prises à la RATP par exemple l’illustrent – ont eux pour tâche de tracer cette voie, d’exprimer consciemment cette aspiration et de contribuer, par là, à ce qu’elle s’impose.


... mais il n’est pas brisé…


Cela étant dit, aucune illusion ne doit être entretenue. Même lorsque les dirigeants syndicaux sont amenés à un moment donné à renoncer à participer à la concertation, comme à la SNCF ou à la RATP, ils ne renoncent pas pour autant à renouer dès qu’ils le pourront, avec le gouvernement et la direction. D’ailleurs les considérants qu’ils donnent à leur refus de participer ne sont jamais conformes aux véritables exigences des travailleurs : le retrait pur et simple du projet Macron. Par exemple, c’est parce que le gouvernement refuse de discuter d’un « projet alternatif et finançable » que la CGT RATP a annoncé son refus de participer.

Il n’empêche que pour le gouvernement Macron-Philippe, ce qui se passe à la SNCF et à la RATP est source d’une inquiétude grandissante. Disons-le franchement : la même inquiétude est partagée par Martinez, Veyrier (FO), Groison (FSU), ainsi que part les dirigeants de l’UNEF.

Le gouvernement sait parfaitement – il ne cesse d’ailleurs de l’affirmer – que seule la concertation peut sauver son projet de destruction des retraites. Philippe a clairement donné le cadre. Ce qui est intangible, dit-il, c’est le système de « retraite par points » et l’ « équilibre du système en 2025 » (autrement dit, le maintien à 14 % du PIB du montant global des retraites, sachant que le nombre de retraités va augmenter considérablement). Tout le reste est « sur la table ». Autrement dit, la destruction de toutes les garanties existantes est intangible. Pour le reste , place à la « concertation ».

Or jamais la concertation n’est apparue aussi clairement pour ce qu’elle est : le seul barrage possiblement efficace au surgissement du prolétariat et de la jeunesse.

Ce qui vient de se passer dans la jeunesse illustre à la fois l’angoisse du gouvernement et le dispositif immédiatement adopté pour conjurer la mobilisation de la jeunesse (voir le supplément CPS Jeunes repris dans ce bulletin). Il faut préciser que la concertation mise en place précipitamment par le gouvernement (les dirigeants syndicaux ont été successivement reçus par Attal et par la ministre Vidal) vise à une chose : installer le « revenu universel d’activité », dont l’organisme gouvernemental France Stratégie lui-même dit qu’il aboutira à la diminution de ressources pour 3,5 millions de pauvres, ce qu’il faut mettre en relation avec la fameuse formule de Macron s’agissant des « aides sociales » : « Ça coûte un pognon de dingue ! ».

Du reste, à peine les étudiants sortis du bureau du ministre, on apprenait par Publics Sénat : « Voici une décision qui ne devrait pas réjouir les étudiants. Pour boucler le budget 2019, le gouvernement a décidé de supprimer 35 millions d’euros de crédits réservés au financement de la vie étudiante. Cet argent est versé notamment aux CROUS (Centre régional des œuvres universitaires et scolaires), et finance les bourses aux étudiants. Ce coup de rabot s’inscrit dans une annulation globale de 322 millions d’euros réservés au budget de l’enseignement supérieur. »

Même méthode sur les retraites. Le gouvernement annonce précipitamment une nouvelle tournée de concertation et de réception des « partenaires sociaux » à partir du 25 octobre. L’objectif est limpide : éviter le risque d’incendie, mettre en place les pare-feux nécessaires.

Or il est remarquable que les dirigeants syndicaux, Martinez en tête, s’apprêtent à coopérer totalement à cette tentative. La direction de la CGT a organisé, par deux fois, une « consultation » des instances syndicales – évidemment réduite à l’appareil dirigeant – pour obtenir un blanc seing pour continuer la concertation. Même dans ce cadre confiné, une opposition significative s’est manifestée. Remarquons néanmoins que l’opposition à la participation a été plus faible lors de la seconde consultation que lors de la première, ce qui ne signifie rien de plus que ceci : l’appareil central bande toutes ses forces au sein même de la centrale pour que soit maintenu le cap de la collaboration avec le gouvernement. Quant à l’appareil Force Ouvrière, il n’a pu cacher plus longtemps qu’il participait lui aussi aux consultations du 26 novembre.

Il faut le dire : si l’appareil syndical s’arc-boute sur la ligne de la participation à la concertation, il a pour cela ses raisons tout entières liées à la défense du gouvernement Macron-Philippe, dont l’existence, pour les dirigeants syndicaux, ne doit pas être menacée.


Le 5 décembre peut-il se retourner contre ses initiateurs ?


Évidemment, l’initiative de Philippe relançant la concertation doit être mise en relation avec la crainte du gouvernement que le 5 décembre se charge d’un contenu que ses initiateurs (les dirigeants syndicaux) n’avaient pas prévu.

À cet égard, il faut rappeler comment cet appel à la grève a surgi. Après la grève du 13 septembre, à la RATP, trois syndicats principalement (UNSA, FO, Solidaires) appellent à la « grève illimitée » à partir du 5 décembre. Notons que dans un premier temps, la CGT ne s’y associe pas, se ralliant ensuite. Les dirigeants de l’UNSA explique cette étonnante innovation (annoncer une grève illimitée… presque trois mois à l’avance) : donner le temps à la négociation avec la direction pour que celle-ci concède quelques concessions aux agents de la RATP. En clair, l’appel se situe au départ entièrement… dans le cadre d’une mise en œuvre « aménagée » de la réforme gouvernementale.

Les dirigeants confédéraux CGT, FO, flanqués de la FSU er de l’UNEF, annoncent ensuite un appel à une journée d’action le 5 décembre. L’appel est parfaitement « cadré » : limité à une journée et faisant état d’une « opposition » à la réforme, sans évoquer le moins du monde l’exigence de retrait. Rien qui ne distingue cet appel des innombrables précédents, où la journée d’action venait ponctuer la concertation avec le gouvernement.

Mais depuis cet appel initial, une modification est intervenue dans le rapport entre les classes (voir plus haut). De sorte qu’il n’est pas exclu et qu’il est même probable que le 5 décembre soit saisi par une partie significative du prolétariat et de la jeunesse pour indiquer sa volonté d’affronter le gouvernement et de le défaire. Que la grève et les manifestations soient massives le 5 décembre, et se trouvera alors posée de manière brûlante la question : par quels moyens le gouvernement Macron-Philippe peut-il être vaincu ? Et il n’y a qu’une réponse sérieuse à cette question : l’appel des dirigeants syndicaux à la grève jusqu’à satisfaction,  c’est-à-dire jusqu’au retrait.


Tentatives de dislocation de la volonté des travailleurs avant et après le 5 décembre


Voilà pourquoi d’une certaine manière, les dirigeants syndicaux doivent autant que faire se peut limiter la portée de l’appel au 5 pour éviter le déferlement. Voilà pourquoi les concertations de la semaine du 25 novembre sont en réalité directement tournées contre le 5 décembre.

Mais d’ores et déjà les appareils syndicaux ont prévu un dispositif de dislocation pour après le 5 décembre. Une kyrielles de journées d’actions, actions décentralisées, actions originales, les mêmes recettes qui ont servi à dilapider les tentatives de mobilisation ouvrière depuis des décennies sont dans les tuyaux. Il n’est qu’à voir le contenu de la déclaration du Conseil national de la CGT-SNCF qui « appelle les cheminots à s’inscrire massivement dans la grève le 5 décembre et à participer aux assemblées générales pour décider des suites » pour comprendre qu’une fois de plus les travailleurs sont invités à se déterminer à la base, AG par AG, dans le brouillard le plus complet.

Autre méthode de « dislocation » : l’appel à la « grève reconductible », entreprise par entreprise, site par site, pulvérisant la grève en une myriade de grèves locales, ici la grève étant reconduite, ailleurs ne l’étant pas, ici de manière continue, là de manière intermittente, etc. C’est sur ce terrain que se situe l’ensemble de la dite « extrême gauche », rejointe en cela par une partie de l’appareil syndical.


Faire fond sur la spontanéité ouvrière


Tout dépendra donc de la capacité des travailleurs de faire sauter le dispositif de la dislocation, autrement dit réaliser à l’échelle de toute la classe ouvrière, ce que, de manière locale, ont fait les cheminots de Châtillon.

C’est sur cette possibilité que surgisse ainsi la spontanéité ouvrière que les militants révolutionnaires doivent fonder leur action. Sans qu’il soit possible avant le 5 décembre de formuler précisément les mots d’ordre, ils doivent s’inscrire dans la perspective suivante :

- Front Unique des organisations ouvrières pour le retrait de la réforme Macron de destruction des retraites !

- Rupture totale, définitive, de toute concertation avec le gouvernement !

- Pour l’action efficace en vue de l’affronter et le vaincre !

Si une telle action devait aboutir, il va de soi qu’elle constituerait une modification radicale de la situation politique, posant immédiatement la question d’en finir avec le gouvernement lui-même.


Le 22 novembre 2019

Dernière minute


Les dirigeants syndicaux se sont rendus à la convocation de dernière minute de Philippe. Le but de cette consultation du point de vue du gouvernement était limpide : éviter que le 5 décembre puisse devenir (à l’encontre d’ailleurs de ses initiateurs) le point de départ d’un déferlement du prolétariat et de la jeunesse. Martinez et Veyrier ont donc en toute conscience collaboré à cette entreprise.

Le « compte-rendu » de Martinez, les interviews de Veyrier sont éclairants. Veyrier prend garde de ne pas prononcer une seule fois le mot retrait. Il en appelle à une reprise des « négociations ». Sur RFI, il avait d’ailleurs précisé le 25 novembre :

RFI : « Est ce que votre position, c’est le rejet pur et simple ou y a t-il place pour une négociation ? »

Réponse : « Effectivement, nous avons des revendications…. » et d’énumérer les « propositions » de FO qui justifient la participation de l’appareil FO aux « négociations ».

 Sur SUD Radio, il est encore plus précis : « J’appelle à la sagesse : revenons autour de la table de négociations sans préalable, sans imposer un système ». « Sans préalable » ne peut rien signifier d’autre que : sans faire du retrait du projet Macron un préalable !

Martinez dit la même chose. Remarquons-le, il insiste lourdement sur la disponibilité de l’appareil CGT pour le « dialogue social » : « J’ai demandé aux représentants du gouvernement de prendre des clichés de la rencontre pour montrer notre disponibilité au dialogue ». « C’est la vingt-deuxième fois… [que nous rencontrons le gouvernement ndlr]. Et de présenter avec un absolu cynisme la reprise de la concertation de la direction de la CGT avec Djebari, le secrétaire d’État aux transports, à la SNCF… comme une victoire de la CGT. Interrogé par le journaliste : « Pour vous la seule sortie de crise possible, c’est l’abandon de la réforme ? », Martinez se garde bien de confirmer : « C’est de remettre les compteurs à zéro ». Question : « Il ya une porte de sortie avant le 5 décembre ? » Réponse : « S’ils y mettent de la bonne volonté, oui ! »

Tout le monde peut s’en rendre compte. Les dirigeants syndicaux bandent toutes leurs forces pour éviter autant que faire se peut un affrontement de classe à travers lequel le gouvernement serait défait. Telle est la fonction de la concertation. Tout dépendra donc de la capacité du prolétariat, surgissant sur son propre terrain de classe, de briser le carcan des appareils syndicaux associant concertation et bousille des possibilités de mobilisation. C’est à cet objectif que les militants regroupés autour du bulletin Combattre pour le Socialisme entendent œuvrer. Nous invitons nos lecteurs à s’y associer.

Le 27 novembre 2019


 

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