Éditorial du bulletin « Combattre pour le socialisme » n°71 (n°153 ancienne série) - 05 décembre 2018 :

Alors que se poursuit l’offensive frontale contre les acquis ouvriers, en particulier contre les retraites et le statut de la Fonction publique,

Agir pour que soit brisée la concertation-collusion
entre le gouvernement Macron et les dirigeants syndicaux !

 

Crise du capitalisme : nouveaux signaux d’alarme

CPS 70 du 27 septembre 2018 écrivait (« Notes sur la situation internationale ») :

« Au bout du compte, la vérité est que l’économie mondiale n’a nullement surmonté la déflagration de 2008. Aux USA, en Chine et d’une autre manière en Europe, les gouvernements bourgeois n’évitent l’effondrement immédiat que par le recours à des expédients, en particulier une véritable orgie de crédit, qui ne peuvent que préparer de plus grandes catastrophes pour demain. Car le recours sans frein au crédit ‑ c’est précisément ce qui est apparu en 2008 - porte en lui le risque du défaut de paiement (un tiers des ménages américains n’arrivent pas à régler les échéances de ses dettes), et à partir de là, du krach bancaire. La politique de Trump aboutissant au rapatriement des capitaux aux États-Unis conduit déjà à la chute accélérée des monnaies des pays dominés. Les monnaies de la Turquie, de l’Argentine, d’Afrique du Sud, de Russie, du Mexique, d’Iran ont toutes été à des degrés divers touchées par une vague de dévalorisation considérable par rapport au dollar. (...) L’économie mondiale est à la merci du moindre événement en apparence fortuit qui pourrait précipiter la débâcle. »

Depuis la rédaction de ces notes, le diagnostic qu’elles portent a été largement confirmé. Les organismes internationaux du capital financier, y compris le FMI, ne cessent de réviser à la baisse les prévisions de croissance mondiale. Le fait nouveau pour l’Europe est que se trouve touchée en première ligne l’Allemagne, dont les résultats doivent beaucoup à l’exportation. Or la Chine, pays d’exportation des automobiles et machines-outils allemandes, s’oriente vers une diminution de son taux de croissance telle qu’on ne l’avait pas vue depuis 9 ans, ce qu’a avoué Xi, le dirigeant chinois, utilisant une image météorologique : « L’économie chinoise n’est pas un étang, mais un océan. L’océan peut avoir des jours calmes mais on peut aussi s’attendre à ce qu’il y ait de grands vents et des tempêtes. »

S’agissant « du moindre événement en apparence fortuit qui pourrait provoquer la débâcle », il faut signaler les deux coups de semonce que représentent, à quelques semaines d’écart, la chute des cours boursiers, en octobre et aujourd’hui. Commentant celle d’octobre, la presse évoquait un « Octobre noir », en référence au krach d’octobre 1929. Cette comparaison est probablement exagérée à ce stade. En variation mensuelle, en octobre 2018, la chute des bourses a été de 6 à 9% selon les pays. Mais l’alerte fut sérieuse : le Nasdaq a perdu 9,2 %, sa plus forte baisse mensuelle depuis 10 ans, l’indice S&P 500 a chuté de 6,6 %, l’une de ses plus fortes baisses depuis 45 ans. Suite à la décision de la FED de poursuivre la hausse des taux d’intérêt, les taux à 10 ans ont dépassé les 3% à fin d’octobre, ceux à 30 ans les 4%. D’où la crainte d’une chute brutale des cours et d’un éclatement de la bulle financière sur fond de stagnation, voire de récession économique à venir, avec par ailleurs la hantise d’un krach obligataire, surtout que la FED a décidé de réduire la taille de son bilan (en cessant l’achat d’actifs), et donc les montants réinvestis en obligations du gouvernement.

Un mois plus tard, le 21 novembre, Les Echos titraient : « La déroute se poursuit sur les marchés ». Le texte poursuivait : « L’accalmie n’aura pas duré sur les marchés financiers. Les Bourses européennes ont encore baissé dans le sillage de Wall Street mardi, les actions américaines qui, peu après l’ouverture, étaient devenues perdantes depuis le début de l’année, effaçant une grande partie des effets positifs liés à la baisse des impôts sur les résultats des entreprises du S&P 500. Le Dow Jones a terminé mardi en forte baisse (-2,21 %), tandis que le Nasdaq a reculé de 1,70 %. Hormis la Bourse brésilienne, aucune des grandes places boursières mondiales n’affichait alors une performance positive depuis le début de l’année. Et sur le dernier trimestre 2018, le bilan est encore plus terrible pour les investisseurs en actions. Depuis début octobre, l’Euro STOXX 50 a perdu 8,3 % de sa valeur, le Nikkei 10,52 %, le S&P 500 9,2 % et le Nasdaq plus de 14 %. (...) Depuis fin septembre, la capitalisation de l’indice Nyse FAANG+, qui comprend 10 valeurs américaines et chinoises, symboles du secteur, est passée de 4.281 milliards de dollars à 3.382 milliards, soit plus de 900 milliards partis en fumée. »

À la base de l’inquiétude des observateurs de la bourgeoisie, la certitude qu’à un moment ou à un autre, le gouffre existant entre la valorisation boursière et les perspectives de profit liées à l’extorsion de la plus-value sur le terrain de la production réelle de marchandises finira par s’ouvrir sous les pieds de la classe dominante elle-même, rendant la catastrophe inéluctable.

Union européenne et Grande-Bretagne : le spectre du « no deal »

Cet « événement fortuit qui pourrait provoquer la débâcle » pourrait tout aussi bien être un événement politique. À cet égard, l’inquiétude grandit en Europe quant à l’issue du Brexit. Il faut le rappeler, c’est contre l’avis du capital financier britannique concentré dans la City que le referendum sur la sortie de la Grande-Bretagne organisé par Cameron a vu le « Leave » (quitter) l’emporter. Les suffrages du « Leave » rassemblaient pêle-mêle un vote populaire et même ouvrier qui constituait un rejet de l’Union européenne (UE) comme instance coorganisatrice en Europe des attaques anti-ouvrières, et en même temps des fractions de l’électorat bourgeois parce qu’une partie de la bourgeoisie britannique ‑ les « pieds écrasés » par l’ouverture des frontières ‑ était menacée par la même Union européenne. Le « Leave », résultat de la crise du parti de la bourgeoisie britannique (le parti tory), approfondissait cette crise en retour. Le choix par le parti tory de Theresa May revenait à confier à cette dernière une mission impossible : comment obtenir pour l’impérialisme décadent britannique à la fois la liberté de contracter commercialement sans entrave avec le reste du monde, et en même temps bénéficier du libre accès au marché européen en particulier pour la City ?

En juin 2017, persuadée de pouvoir battre largement le Labour dont tous les commentateurs avisés annonçaient l’écrasement à cause de la position présumée trop « à gauche » de son leader Corbyn, Theresa May décidait de convoquer des élections générales anticipées dans le but de renforcer sa position à la Chambre des Communes. Mais à l’inverse de tous les pronostics, le Labour progressait nettement, gagnant 30 députés, au point que May ne disposait désormais d’une majorité aux Communes qu’à condition de s’allier avec le petit parti ultra-réactionnaire unioniste de l’Ulster, le DUP, expression dans le Nord de l’Irlande des colons britanniques oppresseurs du peuple irlandais. C’est donc affaiblie que May a engagé la négociation sur les conditions du Brexit avec les instances de l’UE. Or les impérialismes rivaux de la Grande-Bretagne en Europe n’avaient nullement l’intention de lui faire des cadeaux, même s’ils avaient tout à redouter eux aussi d’un « hard Brexit » - c’est-à-dire de l’absence d’accord. Car ils auraient alors payé la facture du retour pur et simple aux frontières antérieures, avec ce que cela suppose de droits de douane et d’un accès plus difficile au marché britannique.

En outre, le Brexit faisait ressurgir une question politique toujours potentiellement explosive : l’unité de l’Irlande, c’est-à-dire de la fin de l’enclave coloniale que constitue l’Ulster. Sous la houlette de Blair, cette question avait été laborieusement enfouie grâce à la capitulation de la direction du Sinn Fein et de son leader Gerry Adams qui avaient renoncé à la revendication historique de l’Irlande une et indépendante, tout entière libérée du joug britannique. Un gouvernement d’union rassemblant le parti archi-réactionnaire unioniste « protestant » et le Sinn Fein était constitué dans le Nord de l’Irlande. Mais cette capitulation ne pouvait être tolérée que dans la mesure où, dans le cadre de l’UE, toute frontière réelle disparaissait entre les deux parties de l’Irlande.

Alors que la partie sud de l’Irlande (l’Eire) restait dans l’UE, le Brexit avait normalement pour conséquence de faire ressurgir la frontière entre les deux parties de l’Irlande. Ce faisant, il faisait ressurgir avec force la revendication de l’unité de l’Irlande libérée de la tutelle britannique, ce dont en premier lieu le gouvernement May, mais aussi tous les gouvernements d’Europe, ne voulaient à aucun prix.

Telle est l’une des deux raisons pour lesquelles un accord boiteux a fini par être trouvé entre le gouvernement britannique et l’UE. La seconde étant que l’absence de tout accord serait catastrophique pour les uns et les autres. La division mondiale du travail aujourd’hui n’est pas seulement une division du travail dans les marchandises produites par les différents pays, mais aussi une division internationale du travail dans la production de chaque marchandise. Pour ne prendre qu’un exemple, les automobiles montées en Grande-Bretagne le sont avec des pièces qui viennent de tous les pays d’Europe. Le rétablissement des frontières aurait pour effet non seulement de ralentir considérablement le flux des marchandises, mais encore de renchérir le prix des automobiles produites en Grande-Bretagne, avec le risque de les rendre invendables sur le marché. Mais cela vaut aussi dans l’autre sens. Par exemple, la Grande-Bretagne produit certaines pièces pour Airbus (notamment des ailes) qui sont ensuite rapatriées sur le continent pour le montage. Le « no deal » aurait donc eu des effets de récession dont nul ne peut prévoir les conséquences en cascade (brutale modification du cours des différentes monnaies, effondrement boursier, etc.). Il fallait donc trouver un accord.

L’accord, pour autant qu’on le connaisse, revient à enterrer largement les dispositions initiales du Brexit. Pour l’essentiel, il consiste à maintenir la Grande-Bretagne dans l’union douanière, ce qui signifie qu’elle ne pourra toujours pas contracter indépendamment de l’UE en matière commerciale, et qu’elle restera soumise aux règles de cette dernière. Par ailleurs, l’accord est d’une incroyable complexité et donc fragilité, puisqu’il prévoit un statut particulier pour l’Ulster dans ses rapports avec l’UE, l’Ulster demeurant soumis à l’ensemble des règles du marché unique et non de la seule union douanière.

Mais nul ne sait si cet accord verra finalement le jour. Il devait d’abord être approuvé par le gouvernement, ce qui n’a été possible que par la démission de plusieurs ministres... dont celui qui avait été chargé de la négociation. Il doit aussi être approuvé par la chambre des Communes. Or une partie du groupe tory a déjà engagé la bataille contre lui, et le DUP a déjà fait savoir son désaccord avec tout statut particulier pour l’Ulster. Tout devrait donc dépendre du Labour Party. Le capital financier britannique va exercer une pression maximale pour que le Labour sauve le gouvernement May et son accord, en obtenant qu’à tout le moins une partie du groupe parlementaire du Labour entérine l’accord en décembre.

À l’inverse, toute la situation politique exige que sans attendre le Labour se prononce pour que soit immédiatement chassé le gouvernement May, pour un gouvernement du seul Labour. Un tel gouvernement devrait sans doute rompre sans délai avec l’UE. Mais à vrai dire, la seule rupture avec l’UE ne permettra en rien une amélioration du sort misérable de pans entiers du prolétariat et de l’appauvrissement de la totalité des masses laborieuses, si elle ne s’accompagne de mesures immédiates visant à la nationalisation sans indemnité ni rachat des grands groupes industriels et commerciaux, des banques, permettant la mise en œuvre d’un plan de production ordonné par les besoins des masses et non du profit. Un gouvernement mettant en œuvre ces mesures de rupture avec le capital opposerait à l’UE (coalition conflictuelle des différents gouvernements bourgeois d’Europe néanmoins unis contre le prolétariat) la perspective des États-Unis socialistes d’Europe, seule issue véritable pour la classe ouvrière à l’échelle du continent. C’est une telle perspective que devrait avancer dans le Labour Party tout groupe ayant en Grande-Bretagne l’objectif de la construction d’un véritable parti ouvrier révolutionnaire.

Inexorable déclin

Le gouvernement français a un temps adopté une posture d’intransigeance par rapport à la Grande-Bretagne, espérant tirer des bénéfices secondaires du Brexit, en particulier profiter de la perte éventuelle de la position prédominante en Europe de la City dans le domaine des transactions financières et bancaires. Paris déroulait le tapis rouge aux « investisseurs » dans l’espoir qu’en partie au moins Paris puisse se substituer à Londres. Que cet espoir soit ou non chimérique, une chose est certaine : ce n’est sûrement pas du Brexit que le capitalisme français peut espérer un redressement de sa situation toujours plus dégradée à l’échelle mondiale. Les numéros précédents de CPS ont régulièrement insisté sur sa marginalisation dans les échanges mondiaux. Avec 11,7 % des exportations européennes désormais, la France est devenue un nain économique. Les seuls domaines qui tirent leur épingle du jeu sont, hormis le luxe, le secteur des transports aérien et ferroviaire, et celui de la pharmacie. Celui de l’automobile, bien portant en apparence, illustre les fragilités de l’industrie française, les groupes français n’arrivant à maintenir leurs positions qu’en délocalisant massivement, à la différence de ce que l’on constate pour les groupes automobiles allemands.

Mais même pour les secteurs bien portants, la dégradation est manifeste : celui de la pharmacie était leader en Europe il y a 10 ans ; or la France est passée au quatrième rang européen pour la production de médicaments. Concernant le transport aérien, le carnet de commande de Boeing pour cette année est deux fois et demie plus rempli que celui d’Airbus.

Quant aux champions français, dernier exemple en date : Air liquide, leader mondial dans son secteur des gaz industriels, s’est fait détrôner par la constitution d’un nouveau groupe germano-américain qui devient leader mondial. Autre exemple, Naval Groupe, premier groupe de l’industrie navale de défense européenne avec 3,7 milliards de chiffre d’affaires, est en en voie d’être marginalisé par la montée en puissance de groupes chinois et russes, notamment le chinois SCC (10 milliards de chiffre d’affaires).

L’incarcération de Ghosn, le président de Renault-Nissan, constitue également une menace sérieuse pour la position de Renault sur le marché mondial. Comme par hasard, la justice japonaise a découvert les différentes escroqueries fiscales de Ghosn au moment où celui-ci projetait la fusion totale entre Renault et Nissan, projet qui rencontrait de très sérieuses oppositions à la direction de Nissan. Ce qui est en cause - et Macron intervenant sans délai ne s’y est pas trompé -, c’est l’avenir de l’alliance entre les deux firmes et donc la position conquise par cette alliance sur le marché mondial.

Le gouvernement Macron-Philippe en défense acharnée des positions de l’impérialisme français

Pour tenter de combattre cette relégation, Macron et son gouvernement combattent avec l’énergie du désespoir en défense des positions de l’impérialisme français. Le referendum sur la Nouvelle-Calédonie en est une expression : véritable referendum contre l’indépendance, puisque les forces répressives de l’État colonial et les colons avaient le droit de vote alors que selon diverses sources indépendantistes plus de 20 000 kanaks n’étaient pas inscrits sur les listes. Après cela, on peut dire qu’il y a eu un fort taux de participation, puisque les non-inscrits ne sont pas pris en compte… La victoire du non est peut-être moins importante que prévue, mais pour l’instant, avec 56,7 % des 141 000 suffrages exprimés (sur une population totale en âge de voter de 200 000 personnes environ), c’est une victoire pour l’impérialisme français car la Nouvelle-Calédonie représente un enjeu majeur pour ses positions dans le Pacifique. Ce que disait le livre blanc de la défense nationale en 2013 à ce propos est significatif : « la France est présente sur tous les océans et sur la plupart des continents grâce aux outre-mer. Outre leur importance économique et stratégique (...) la zone économique exclusive (…) qui couvre 11 millions de km2 est la deuxième derrière celle des États-Unis. Elle recèle de nombreuses ressources (…) dont l’exploitation constitue un atout très important pour notre économie ».

L’impérialisme français combat aussi pour la défense de ses positions au Sahel, avec l’opération Barkane et le G5 Sahel. Mais là, il est confronté à ses limites car il dépend de la logistique de l’armée US. Il n’a toujours pas réussi à boucler financièrement la mise sur pied du G5 Sahel associant les cinq États africains en première ligne. Et surtout, la situation sur le terrain ne cesse de se dégrader puisque après le Mali, où la situation n’est en rien stabilisée, c’est au tour du Burkina Faso, qui constitue un verrou vers les États côtiers comme la Côte d’Ivoire, d’être en voie de déstabilisation. L’impérialisme français lutte donc sans répit mais il n’arrive pas à stopper le processus de bascule dans le chaos et la barbarie qui s’étend progressivement à ses positions.

Le même acharnement se manifeste en Libye où la concurrence fait rage avec l’impérialisme italien qui fut dans ce pays la puissance coloniale pendant trente ans. La France y soutient Haftar, qui contrôle la Cyrénaïque (partie est de la Libye), l’Italie Sarraj, adoubé par l’ONU, qui contrôle la Tripolitaine, de manière d’ailleurs très aléatoire. Derrière ce conflit, l’enjeu est transparent : le contrôle des ressources pétrolières libyennes.

Ce qui est très révélateur de la place réelle de l’impérialisme français, c’est ce que représentent les ventes d’armes pour lui. C’est ainsi que la France est le premier pays exportateur d’armes vers l’Égypte, en particulier la vente de « technologies de surveillance individuelle, d’interception de masse et de contrôle des foules”, la vente de blindés utilisés à des fins répressives d’après les ONG. Quel meilleur exemple de l’importance cruciale des ventes d’armes pour la bourgeoisie française que les déclarations de Macron condamnant la démagogie de ceux qui annoncent qu’ils ne livreront plus d’armes à l’Arabie Saoudite suite à l’assassinat du journaliste Khashoggi au prétexte qu’il fallait d’abord que toute la clarté soit faite sur ce meurtre !

Pour le prolétariat, augmentation du chômage,
extension de la pauvreté et de la précarité, et nouvelle vague de fermetures d’usine

C’est évidemment le prolétariat qui paie la note de la dégradation de la situation du capitalisme français sur fond de crise générale du système capitaliste. Les créations d’emplois sont en chute libre : on passe de 342 000 postes créés en 2017 à 183 000 maximum en 2018. Le chômage se maintient toujours au même niveau très élevé ; officiellement, 9,1 % de la population active était au chômage au 2e trimestre 2018, soit un niveau supérieur au taux moyen dans la zone euro.

Les chiffres du chômage publiés par Pôle Emploi pour le 3e trimestre font apparaître en catégorie A + 16 300 avec 3 456 800 chômeurs en métropole et 3 718 500 avec les DOM. En incluant les catégories B et C qui correspondent aux salariés en activité réduite on a : + 21 700 chômeurs. En incluant les catégories D et E, c’est-à-dire les chômeurs en formation, les contrats aidés... on est à 6 272 600.

Il est utile au-delà des variations immédiates de rappeler la tendance historique. Depuis 2008, le nombre de chômeurs en catégorie A est passé de 2 250 000 à 3 750 000. 2,8 millions de chômeurs le sont depuis plus d’un an, 893 000 depuis 3 ans. Le nombre de chômeurs de la catégorie B (78 heures maxi) est passé de 450 000 à 770 000, et celui de la catégorie C de 600 000 à 1,3 million. Il y a une explosion de la précarité depuis 2008. Cette envolée du travail précaire permet de comprendre l’insistance du gouvernement pour que la négociation qu’il a fait engager sur l’assurance-chômage débouche sur un coup de rabot sur les droits à indemnisation des catégories B et C. Il y a un gros enjeu financier. Pour les catégories A, B, C, on est passé de 3,4 millions en 2008 à plus de 5,9 millions aujourd’hui : un quasi doublement (graphique de Pôle Emploi).

Évidemment, la même tendance se manifeste quant à l’augmentation de la pauvreté. Selon les critères plus que restrictifs qui consistent à considérer comme pauvres ceux qui ont un revenu inférieur à 50% du revenu médian, depuis 2006, il y a 628 000 pauvres supplémentaires.

Les derniers mois ont par ailleurs été caractérisés par le retour au premier plan des plans de fermetures d’entreprise. Ford Bordeaux et Ascoval dans le Nord sont les plus connues. Le scénario, à quelques nuances près, est toujours identique. Les patrons annoncent la fermeture de l’usine. Le gouvernement « proteste » ainsi que les élus locaux. Parfois un repreneur se présente qui, le plus souvent (chez Ford par exemple), propose de reprendre l’usine avec une partie limitée des travailleurs. À partir de là se noue une « alliance » qui va du repreneur au gouvernement, qui propose de financer grassement le dit repreneur, aux élus locaux jusqu’aux dirigeants syndicaux. Ainsi à Ford, s’est constitué un curieux front commun qui va du ministre Le Maire à Poutou, représentant CGT et par ailleurs dirigeant du NPA, en passant par Juppé. À vrai dire, de telles situations ne laissent qu’une alternative. Ou bien au nom du « moindre mal » les dirigeants syndicaux acceptent le plan de reprise et les licenciements qui vont avec, ce qui dans de nombreux cas signifie que quelque temps plus tard l’entreprise fermera de toute manière, après que le repreneur aura encaissé des cadeaux gouvernementaux. Ou bien est maintenue la revendication : pas de fermeture, maintien de tous les postes de travail ! Mais une telle revendication ne peut trouver d’issue à l’échelle d’une « lutte » locale. Au-delà de l’organisation de la grève totale, elle pose la question du combat contre le gouvernement, pour la nationalisation sans indemnité ni rachat de l’entreprise, combat qui ne peut être que commun avec tous les travailleurs confrontés à la même situation dramatique. Elle pose donc immédiatement la question de la responsabilité des dirigeants nationaux des confédérations dans l’organisation de ce combat contre le gouvernement. C’est précisément ce que les directions syndicales font tout pour éviter.

Liquidation « négociée » des garanties en matière d’assurance-chômage

Les dirigeants syndicaux sont engagés dans une « négociation » sur l’assurance-chômage. Il faut en rappeler le cadre donné par Macron devant le Congrès le 7 juillet : « L’assurance-chômage n’est plus du tout financée par les cotisations des salariés. Elle est financée par les cotisations des employeurs et par la CSG. Cette transformation, il faut en tirer toutes les conséquences, il n’y a plus un droit au chômage au sens où on l’entendait classiquement, il y a l’accès à un droit qu’offre la société mais sur lequel on ne s’est pas garanti à titre individuel, puisque tous les contribuables l’ont payé... Je demande aux partenaires de réviser les règles d’assurance-chômage ». Autrement dit, avec 6 000 000 de chômeurs, le régime capitaliste ne peut plus supporter de verser aux chômeurs leurs maigres allocations. En conséquence, le gouvernement a fait inclure dans le projet de loi dite « avenir professionnel » un amendement qui prévoit l’organisation d’une nouvelle négociation UNEDIC pour remettre en cause les droits des chômeurs, alors même que les directions syndicales ont négocié en 2017 une convention UNEDIC valable jusqu’en 2020 !

Les directions syndicales ont bombé le torse. Martinez comme Pavageau ont déclaré qu’ils iraient sur leurs propositions. Pour Pavageau, « les discussions se dérouleront sur nos bases ». Le négociateur de la CGT, Gravouil, a remis les choses au point en disant : « c’est comme si on nous demandait de négocier librement dans une prison ». La lettre de cadrage gouvernementale est tombée le 25 septembre. Rappel au règlement de la « négociation » : il s’agit de réaliser entre 1 milliard et 1,3 milliard d’économies par an. Alors les dirigeants syndicaux se sont exécutés : ils participent tous à cette négociation d’un type nouveau, la « négociation sur ordre » qui doit durer 4 mois avant que le gouvernement ne reprenne la main début 2019. D’ores et déjà chacun adopte sa posture habituelle, Gravouil déchire la lettre de cadrage puis se rassoit pour participer à la négociation, la CFDT affirme qu’on ne rentrera pas dans des discussions qui entraîneraient baisses de droits, notamment pour les plus faibles ‑ en ce qui concerne les autres c’est donc une autre histoire… Quant à FO, elle craint que si les partenaires sociaux n’arrivent pas jusqu’au bout de cette négociation, il s’agisse de la dernière négociation UNEDIC, ce qui signifie qu’il faut aller jusqu’au bout de la « négociation ». Donc chacun dans son rôle, ils légitiment tous par leur participation à cette « négociation » sur ordre.

La marche à la destruction du statut de la Fonction publique

Mais la concertation porte aussi sur deux objectifs historiques de destruction des acquis ouvriers. Le premier est la liquidation du statut de la Fonction publique, couplée à la nouvelle réforme de l’État que le gouvernement veut faire adopter avant les élections européennes de mai 2019.

Lorsque Darmanin annonce la généralisation du contrat dans la Fonction publique le 28 octobre, les dirigeants syndicaux ont fait mine d’être surpris. Groslier, au nom de FO, s’est indigné : « C’est une provocation. On s’est concertés pendant 7 mois. Et Darmanin fait cette sortie. On a fait 50 réunions pour rien ». Pourtant, le compte-rendu du groupe de travail du 31 mai paru sur Acteurs publics est clair : la DGAFP (Direction générale de l’administration et de la Fonction publique), qui pilote les réunions au nom du gouvernement, y a listé les « emplois nécessairement réservés à des agents en position statutaire ». Ce sont la magistrature, les fonctionnaires des assemblées, les corps répressifs de l’État, les personnels pénitentiaires, et puis c’est tout. Toujours dans la même réunion, la DGAFP a précisé que pourraient être « ouverts de manière indifférenciée à l’emploi titulaire ou au contrat » par exemple « les postes des agents des filières administratives ou techniques ». Donc ce que dit Darmanin se situe dans la stricte continuité de ce qu’a avancé le gouvernement en groupe de travail. Les positions du gouvernement sont tout aussi claires en ce qui concerne la liquidation de l’essentiel des compétences des CAP, le développement de la rémunération au mérite, le développement de la mobilité interministérielle et inter‑fonction publique hors de tout contrôle des CAP au niveau des bassins d’emploi : tous les instruments sont prêts pour porter des coups majeurs contre le statut, mettre en place une administration à moindre coût et accompagner le plan de 50 000 suppressions d’emploi de CAP 2022 (outre les 70 000 suppressions dans la Fonction publique territoriale). Voilà ce que les appareils syndicaux se sont obstinés à accompagner bien qu’ils n’aient cessé de dire qu’il n’y avait rien à discuter.

Du côté de CAP 2022 aussi les choses ont bien avancé après les circulaires Philippe du 24 juillet enjoignant aux ministres pour les administrations centrales et aux préfets pour les administrations placées sous leur autorité de faire des propositions précises d’ici à la deuxième quinzaine d’octobre. Ce que sont ces propositions ? Il n’est pas nécessaire d’entrer dans le détail : ce sont toutes des propositions de délestage, de suppression de missions ou de transferts aux collectivités locales. Et ces engagements, les ministres comme les préfets les ont pris. Quant au volet anti-statutaire, après la réunion de synthèse tenue par Dussopt le même jour, la concertation doit recommencer après les élections professionnelles (notons que, bon prince, le gouvernement alloue aux organisations syndicales 200 000 € pour leur campagne électorale) pour une brève période jusqu’au dépôt du projet de loi prévu pour une adoption au cours du premier semestre d’une loi portant les coups les plus durs contre le statut depuis sa mise en place.

Mais le gouvernement entend aller plus loin que l’obtention de la caution des directions syndicales via la concertation. Il entend les engager dans un soutien ouvert à sa loi. C’est le sens du « protocole pour l’égalité professionnelle dans la Fonction publique ». N’importe quel responsable syndical ayant conservé la moindre attache aux intérêts ouvriers écarterait avec indignation la simple évocation de l’égalité entre hommes et femmes par le gouvernement Macron. Ce sont les femmes travailleuses si souvent réduites au temps partiel imposé qui vont payer en premier la réduction des indemnités chômage. Ce sont les femmes travailleuses qui vont être les premières victimes de la « retraite par points » (voir plus loin). Faut-il le dire ? Il n’y a pas dans le « protocole » en question la moindre amélioration réelle de la situation des femmes fonctionnaires. Au contraire, toutes les mesures gouvernementales qui accablent les travailleuses s’y trouvent entérinées. Pourtant, tant à la direction de la CGT qu’à celle de la FSU, on a commencé par « saluer » les prétendues « avancées ». Le plus important est qu’on peut lire incidemment dans ledit protocole : « La situation respective des femmes et des hommes fera ainsi l’objet d’un examen attentif visant à assurer l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes dans le cadre des quatre chantiers engagés par le Gouvernement au titre de la refondation du contrat social avec les agents publics, et plus largement dans le cadre des futures réformes ayant un impact sur les conditions d’emploi des agents publics notamment dans celle relative aux retraites ». Signer le protocole, c’est donc signer le projet de loi gouvernemental, le texte du protocole ayant vocation à y être intégré. De cela, les dirigeants syndicaux ne peuvent pas ne pas être conscients. S’ils signent, ils auront trouvé là un magnifique alibi pour ne pas se prononcer pour le retrait du projet de loi, puisque ledit projet de loi comprendra une partie qu’ils auront déjà actée !

Or la direction de la FSU vient de décider de signer malgré le combat mené au sein de son Conseil National par le courant Front Unique (cf. la rubrique : « Les militants interviennent »), CGT et FO réservant leur position pour après les élections professionnelles

Le rejet par la même direction de la FSU de toute prise de position pour le retrait du projet de loi Blanquer, soumis au Parlement début 2019, illustre la même orientation. Quant au contenu de ce projet de loi ‑ qui constitue pour une partie la déclinaison à l’enseignement du projet de destruction du statut de la Fonction publique -, nous renvoyons nos lecteurs à l’intervention du courant Front unique au Conseil national de la FSU (cf. notre rubrique « Les militants interviennent »).

Dès maintenant, on le voit, les dirigeants dressent un maximum d’obstacles à la réalisation du front unique pour le retrait du projet gouvernemental. Mais tant que le projet de loi n’est pas adopté, il faut militer dans ce sens. Tout dépendra de la capacité des fonctionnaires à lever les obstacles, à imposer la réalisation de ce front unique. Dans ce but, il faut dans l’immédiat combattre contre toute reprise de la concertation avec le gouvernement, pour la non-signature du « protocole » et, pour ce qui concerne la FSU, le retrait de sa signature.

Un enjeu majeur : la défense des droits subsistant en matière de retraite,
la défense du régime général, des régimes complémentaires et des régimes particuliers

Le second acquis historique de la classe ouvrière qu’entend détruire le gouvernement Macron concerne les retraites : c’est le projet de loi sur l’instauration du régime de retraites par points qui doit être soumis après les élections européennes. Il n’est pas utile de s’appesantir ici sur le changement fondamental qu’introduirait un tel régime : un régime qui s’auto-ajuste au travers notamment de la valeur liquidative du point qui varie en fonction de différents aléas et, pour finir, de la bonne marche de l’économie capitaliste. Donc c’est l’introduction de l’aléa généralisé en lieu et place des droits à retraite pour les salariés, la suppression de tous les régimes spéciaux ainsi que des régimes complémentaires du privé. Tout le monde le sait, à commencer par les appareils syndicaux qui se sont pourtant totalement immergés dans la concertation depuis le début : des dizaines de réunions de concertation ont été organisées jusqu’en septembre. Cela ne les a pas empêchés, comme Martinez l’a fait fin août lors de sa bilatérale avec Philippe et Pénicaud sur l’assurance-chômage, d’en redemander en réclamant une réunion multilatérale « afin que le gouvernement dévoile enfin ses réels objectifs en la matière ».

Et Martinez a obtenu satisfaction sur sa revendication ! Le 10 octobre, Delevoye a annoncé « que les prochaines rencontres bilatérales viseront à examiner les questions relatives à la gouvernance, au pilotage et à l’organisation du système universel, aux différents sujets liés aux conditions de départ, à l’examen des situations particulières ainsi qu’aux modalités de transition entre l’ancien et le nouveau système ». Il a ajouté : « la mise en place d’un système universel est un chantier d’une très grande ampleur et il est indispensable qu’il donne lieu à une concertation longue et approfondie ».

Il n’y a donc aucune ambiguïté : le cadre fixé à la concertation, c’est purement et simplement l’élaboration du projet de réforme des retraites par points. Il se trouve que les directions des confédérations ouvrières après une dénonciation encore une fois platonique ont répondu présentes. La direction de la CGT affirme qu’elle « portera des propositions pour améliorer les droits de tous et toutes ». Ces propositions s’inscrivent dans son projet de « maison commune des régimes de retraite » impliquant la fin des régimes spéciaux. Demander satisfaction pour toutes et tous, c’est sans aucun doute une façon d’acter la fin des régimes spéciaux.

À propos de l’amélioration des droits de tous et toutes, il est à signaler que dans la loi PACTE adoptée de manière définitive en septembre, il est prévu des dispositions en faveur de l’épargne retraite pour permettre le développement de la capitalisation en relation avec l’abaissement des pensions servies dans le cadre du régime par points.

Là encore, et au vu de l’énormité de l’attaque, il n’est pas certain que le dispositif de la concertation qui vise à ce que le projet gouvernemental arrive sans encombre à son terme ne soit pas bousculé par l’irruption de la classe ouvrière. En tout état de cause, il est impossible de combattre pour la défense des retraites, qui inclut la défense de tous et de chacun des régimes particuliers, sans combattre pour la rupture immédiate de la concertation.

Une nouvelle étape dans l’offensive contre le droit aux études

Libération l’a annoncé le premier : « Environ 100 000 étudiants étrangers résidant hors de l’espace économique européen ne seront plus logés à la même enseigne que leurs camarades en France. Ils devront, en plus de leur loyer et des frais qu’implique tout séjour d’un étranger, payer des frais de scolarités beaucoup plus élevés. Dès la rentrée 2019, un étudiant étranger va devoir multiplier ses frais par seize. Pour son année de licence, il payera 2 770 euros au lieu de 170 euros et pour son master, 3 770 euros à la place de 243 euros. Cette hausse spectaculaire fait partie d’une série de mesures annoncées ce lundi par le gouvernement.

« Le gouvernement explique qu’il s’agit « d’un tiers du coût réel » d’un étudiant étranger pour les finances publiques. »

La référence au « coût réel » par Philippe indique le sens de la mesure : désormais les étudiants étrangers devront payer leurs études par une augmentation massive des droits d’inscription. Il faut dire : les étudiants étrangers pour commencer. Car au-delà, le but est bien l’instauration des études payantes pour tous les étudiants à l’image de ce qui existe par exemple aux États-Unis.

Ainsi Le Monde nous apprend : « La Cour des comptes préconise une hausse des droits d’inscription à l’université. L’institution recommande, dans un rapport que s’est procuré Le Monde, la fin de la quasi-gratuité de l’université, en priorité en master.

Après la sélection, la quasi-gratuité constitue probablement l’un des derniers principes tabous à l’université, qu’aucun gouvernement n’a remis en cause depuis une trentaine d’années et le projet de loi Devaquet, en 1986, abandonné face aux milliers d’étudiants dans la rue. Dans un rapport intitulé “Les droits d’inscriptions dans l’enseignement supérieur public”, que Le Monde s’est procuré, la Cour des comptes remet ce sujet inflammable sur la table et propose rien moins qu’une augmentation substantielle des droits d’inscription, en priorité en master.

Ce document encore confidentiel de 200 pages, qui doit être transmis aux membres de la commission des finances de l’Assemblée nationale dans les prochains jours, survient dans un contexte qui n’a rien d’anodin. Commandé par le député du Calvados de la majorité LRM (La République en marche), Fabrice le Vigoureux, il ne manquera pas de faire écho aux mesures annoncées par le gouvernement le 19 novembre, sur l’augmentation de plusieurs milliers d’euros des droits d’inscription des étudiants étrangers extra-européens. »

Combattre pour le Socialisme a indiqué à plusieurs reprises que la loi ORE qui succédait elle-même à l’instauration de la sélection au terme de la licence décidée par le gouvernement Hollande-Valls n’était qu’une étape. Le parachèvement de la loi qui instaure la sélection « scolaire » à l’entrée de l’université, le bac cessant de garantir l’accès à l’enseignement supérieur, c’est la sélection par l’argent, l’instauration des études financées par les étudiants et leur famille. Une telle sélection donne tout son sens à la formule de Macron : « Il faut cesser de faire croire que l’université est une solution pour tout le monde », en faisant en sorte que seuls les enfants de la bourgeoisie puisse faire des études.

Les directions syndicales (SNESup, UNEF) ont protesté contre la mesure gouvernementale. Mais les « protestations » ne suffisent pas. Il faut formuler clairement l’exigence de retrait de la décision du gouvernement. Il faut imposer que les dirigeants syndicaux préparent et organisent la manifestation centrale des étudiants et des enseignants au siège du gouvernement pour obtenir ce retrait.

À propos des « gilets jaunes »

C’est dans ce contexte d’offensive généralisée contre le prolétariat et la jeunesse que se développe le mouvement dit des « gilets jaunes ». Remarquons que ce mouvement se développe alors que le budget de l’État et de la Sécurité sociale viennent d’être adoptés sans que les dirigeants syndicaux n’aient remué le petit doigt pour empêcher cette adoption. La journée d’action du 9 octobre ne l’évoquait même pas. Celle dans l’enseignement évoquait sans doute les suppressions de postes que contenait ce budget, mais elle avait été soigneusement placée à un moment où, pour l’essentiel, tout était déjà joué. Or, ce budget comprend évidemment toutes les mesures fiscales prises par le gouvernement.

Ce mouvement a incontestablement une ampleur réelle. Mais quel est son sens politique et sa place dans la lutte des classes ?

Le point de départ en est l’augmentation des taxes sur les carburants. Il n’est pas utile de revenir sur l’alibi « écologique » grossièrement mensonger de ces taxes. Il faut rappeler que lesdites taxes, comme tout impôt indirect (la TVA, par exemple), touche en priorité les couches populaires. C’est un impôt qui « saigne le malheureux » selon la formule de l’Internationale. C’est vrai de cette taxe qui va être payée en priorité par les banlieusards et les ruraux condamnés à prendre leur voiture pour aller au travail faute de transports en commun. Le gouvernement qui relève ces taxes est le même qui exempte les revenus financiers de l’ISF, exonère les patrons des cotisations sociales, multiplie les cadeaux de toutes sortes à la grande bourgeoisie.

Le combat contre tout impôt indirect, contre la fiscalité de classe, pour la défense des salaires, son échelle mobile, aurait tout à fait sa place dans un programme d’action ouvrier.

Mais est-ce sur ce terrain que se situe le mouvement des « gilets jaunes » ? En aucun cas. Ses organisateurs ‑ car il y en a ‑ utilisent la colère et le désespoir social des couches petites-bourgeoises paupérisées pour les entraîner dans un mouvement où se rassemblent pêle-mêle ouvriers, agriculteurs, artisans et petits patrons réactionnaires sur le terrain de la lutte contre l’impôt en général. La cible apparente est Macron. Mais derrière cette cible apparente, on entend sur les barrages les saillies contre « les fonctionnaires payés à ne rien faire », « les cheminots privilégiés », et « l’argent de nos impôts qui paient l’accueil des migrants ». Sur ce dernier point, le fait que les « gilets jaunes », à Flixecourt dans la Somme, aient livré des migrants réfugiés dans une citerne de camion à la police, ou qu’à Grand Scynthe, ils aient menacé les militants qui soutenaient l’accueil des réfugiés est significatif.

Personne ne s’y trompe, à commencer par l’appareil policier ‑ souvent ovationné par les « gilets jaunes » ‑ qui ne traitent pas leurs manifestations comme ils le font pour une manifestation ouvrière ou de la jeunesse. Personne ne s’y trompe, sûrement pas les partis bourgeois, aussi bien LR que le RN et Debout la France, supporteurs du mouvement dès le premier jour.

Il s’agit donc bien politiquement d’un mouvement réactionnaire, expression politique de la rage de la petite-bourgeoisie que toute l’évolution du capitalisme conduit au déclassement social et qui ne trouve du côté du prolétariat la moindre issue.

Mais il ne suffit pas de caractériser ainsi ce mouvement. Il faut expliquer ce qui lui permet de prendre la place qu’il occupe. À cet égard, il faut insister sur la responsabilité première, principale des dirigeants du mouvement ouvrier. L’organisation par les dirigeants syndicaux de défaites majeures, aussi bien sur les contre-réformes des retraites, la loi El Khomri, les ordonnances Macron, le statut des cheminots, via le « dialogue social » combiné à l’organisation des journées d’action visant à éviter tout affrontement avec le gouvernement, tout cela contribue chaque jour à convaincre non seulement la petite-bourgeoisie, mais même les franges du prolétariat les plus éloignées du mouvement ouvrier, qu’il n’y a rien à espérer de ce côté-là. L’organisation par la CGT d’une « journée d’action » sans aucune revendication précise le 1er décembre ne fera que les conforter dans ce point de vue.

Mais au-delà de ces défaites, le fait que pas moins de quatre fois depuis 1981 les travailleurs aient élu des majorités de députés issus des vieux partis d’origine ouvrière, et qu’à la suite aient été mis en place des gouvernements bourgeois multipliant les mesures anti-ouvrières et précipitant aussi, chemin faisant, les couches populaires non-salariées (artisans, paysans) dans la misère, contribue à rejeter la petite-bourgeoisie dans le camp de la réaction.

Il est instructif de voir comment les diverses forces politiques se positionnent par rapport à ce mouvement. Rien d’étonnant à ce que LFI et Mélenchon mêlent leurs voix au RN et à LR sur le terrain d’un soutien enthousiaste. CPS n’a cessé de le dire : LFI s’est constituée sur le terrain de la liquidation des vieux partis ouvriers. Son socle politique consiste à affirmer qu’à la lutte des classes, il faut substituer l’opposition du « peuple » ‑ toutes classes confondues ‑ aux « élites ». Sur ce terrain-là, la proximité avec Le Pen et Wauquiez ne gêne en rien Mélenchon.

Mais il faut remarquer que le mouvement bénéficie également du soutien de partis et organisations d’origine ouvrière. Le 21 novembre, Laurent, futur ex-secrétaire général du PCF, a affirmé le soutien de son parti, indiquant que « les communistes seraient présents sur les barrages des gilets jaunes ». Quant à Besancenot, pour le NPA, il s’est ingénié à peindre en rouge le mouvement : « La question qui est posée, c’est celle des salaires, des revenus, des pensions de retraite, des allocations… Ça fait trop longtemps que c’est bloqué de ce côté-là, c’est pour ça qu’on a un mouvement extrêmement profond. » Et à suggérer une transformation du mouvement... en mobilisation ouvrière : « Pour bloquer le gouvernement, il faudra un peu plus que ces barrages filtrants. » « Il faudra aussi des manifestations, et utiliser l’arme des travailleurs : la grève. ». Autant vouloir changer le plomb en or ! La même position prévaut aussi bien au POI qu’à Lutte Ouvrière. LO, qui concède que le mouvement comprend aussi des patrons du bâtiment, des artisans et agriculteurs qui y défendent des revendications anti-ouvrières n’en affirme pas moins : « Ces mobilisations ont rassemblé des manifestants qui, pour beaucoup, vivaient là leur première action collective. Elles ont été organisées à la base, hors des cadres habituels des partis et des directions syndicales. Les ministres qui ont souligné l’absence “d’organisateurs identifiés” déploraient en fait de n’avoir personne avec qui négocier pour stopper le mouvement au plus vite. »

Une telle orientation n’est pas seulement stupide. Pour le mouvement ouvrier, elle est suicidaire. Car si demain le mouvement des « gilets jaunes » se radicalise, il ne peut le faire que contre le mouvement ouvrier lui-même.

La vérité est que la seule politique révolutionnaire consiste non à vouloir « radicaliser » ce mouvement, mais à œuvrer  à une alternative ouvrière à ce mouvement. Pour éviter que la petite-bourgeoisie - qui ne peut avoir de politique indépendante ‑ soit coalisée avec le grand capital et lui serve de masse de manœuvre contre le prolétariat, il faut faire en sorte que la classe ouvrière ouvre une issue politique. Il n’y a pour cela aucun raccourci. Il faut aider la classe ouvrière à engager l’affrontement conduisant à une défaite du gouvernement Macron. Pour cela, il faut combattre pour la rupture de la collaboration des dirigeants syndicaux avec le gouvernement. Il est clair que si une telle défaite était infligée à Macron, se poserait immédiatement la perspective du gouvernement des organisations ouvrières, dans l’objectif d’un véritable gouvernement ouvrier expropriant les grands groupes capitalistes, particulièrement des banques et libérant ainsi petits paysans, artisans, etc., du joug du capital.

Les ressources existent dans le prolétariat, seule classe révolutionnaire

Sans aucun doute, le balancier de l’histoire penche aujourd’hui dans le sens de la réaction. Cela est vrai en France. C’est encore plus net au Brésil, comme le montre l’article dans ce numéro de CPS. Avec toutes les différences entre les deux pays, dans les deux cas ‑ mais à un stade beaucoup plus avancé au Brésil –, la petite-bourgeoisie se radicalise dans un sens réactionnaire, à cause de la politique de trahison des directions des partis et syndicats issus du mouvement ouvrier.

La politique des appareils dirigeants du mouvement ouvrier, la collaboration de ces derniers à la mise en oeuvre de toutes les réformes au profit du grand capital, réformes qui jettent dans la misère le prolétariat mais aboutissent aussi au déclassement de couches de la petite-bourgeoisie, ont pour effet de jeter dans les bras de la réaction sous des formes diverses ces couches petites-bourgeoises. Ce n’est pas vrai seulement en France, mais dans toute l’Europe (en Italie, en Allemagne avec le développement des mouvements dits « populistes »). Sous une forme plus radicale, ce sont les mêmes couches qui ont servi de masse de manœuvre à Bolsonaro au Brésil, après des années de gouvernements vertébrés par le PT qui ont constamment mené une politique anti-ouvrière.

Cette politique de trahison génère d’ailleurs des crises dans les partis et syndicats issus du mouvement ouvrier. Mais à cette étape ces crises demeurent des crises de décomposition. Aucun courant significatif cherchant à rompre avec le cours de soumission au capital ne se dégage. Au Brésil (voir article dans ce numéro), le Parti des travailleurs est engagé dans un processus d’affaiblissement constant depuis 15 ans. Dans de nombreux pays d’Europe, les partis sociaux-démocrates sont engagés dans un déclin profond, dont les symptômes vont de la disparition pure et simple (Italie, Grèce) au coma profond (France), ou au recul d’influence sans précédent. Ce dernier cas trouve son illustration en Allemagne avec l’effondrement électoral du SPD en Bavière et en Hesse. Cet effondrement est le résultat direct de la participation du SPD à la grande coalition. Pourtant Nahles, la dirigeante du SPD, maintient coûte que coûte la ligne de la participation. Pourquoi ? Parce qu’à cette étape, il n’y a pas en Allemagne pour la bourgeoisie d’autre gouvernement possible, et qu’à la tête du SPD prime l’impératif de défense de la bourgeoisie allemande sur tout autre considérant, y compris sur les intérêts électoraux du SPD lui-même.

Cette crise affecte aussi les syndicats comme en témoigne ce qui se passe à Force ouvrière (on lira l’article dans ce numéro : « À propos de l’indépendance réciproque des syndicats et des partis »). L’élection d’Yves Veyrier ‑ par ailleurs le candidat le plus ouvertement partisan de la collaboration avec Macron ‑ ne refermera pas cette crise. L’appareil syndical ne peut prendre en charge de manière toujours plus étroite les contre-réformes toujours plus violemment anti-ouvrières du gouvernement sans saper les bases de l’existence même du syndicat comme organisation de classe : tel est le fondement réel de la crise. D’autant que le gouvernement et la bourgeoisie, en même temps qu’ils prennent totalement appui sur la politique des directions syndicales, poursuivent inlassablement l’objectif d’affaiblir les syndicats comme syndicats. Le dévoilement opportun des « scandales » touchant l’appareil FO visait ce but, à la veille des élections professionnelles dans la Fonction publique où le gouvernement espère un progrès des listes étrangères au mouvement ouvrier (CFDT, UNSA, etc).

Une modification de la situation du mouvement ouvrier n’est possible qu’en relation avec le surgissement de la classe ouvrière sur le terrain de la lutte des classes directe. Un tel surgissement ne redresserait pas les vieux partis corrompus (sociaux-démocrates ou anciens partis staliniens) : ceux-ci sont définitivement irredressables. Mais il serait propice à l’apparition dans les syndicats, dans la jeunesse de regroupements politiques cherchant la voie d’une orientation révolutionnaire.

Il est clair que les prémices d’un tel surgissement sont aujourd’hui ténues. Néanmoins, tous ceux qui ont enterré la classe ouvrière comme classe révolutionnaire en seront pour leurs frais.

La classe ouvrière comme classe vit et combat. Depuis un mois, les 50 000 postiers canadiens, par leur grève pour les salaires et les créations de poste, menacent le gouvernement Trudeau à tel point que ce dernier les menace en retour d’une « loi spéciale » par laquelle les grévistes seraient passibles de sanctions pénales. Ce qui poserait la question de la riposte de toute la classe ouvrière du Canada.

En Chine, le mouvement des travailleurs de Jasic exigeant le droit de constituer leur syndicat a suscité un mouvement de solidarité dans plus de 50 universités chinoises. Pour le gouvernement du PCC, et son chef Xi, il y a là une véritable source d’angoisse : celle que représente la formidable puissance sociale du prolétariat chinois.

En France même, alors que les gros bataillons du prolétariat semblent hors d’état de soulever à cette étape la chape de plomb des appareils, un événement, en lui-même limité par le nombre de ses protagonistes, doit attirer notre attention. À la suite de l’effondrement de plusieurs immeubles à Marseille, des manifestations rassemblant plusieurs milliers de participants se sont dirigées vers la mairie au cri de « Gaudin (le maire de Marseille) démission ». Le maire peut en effet être considéré comme le premier responsable des huit habitants morts sous les gravats. Les rapports s’étaient entassé sur le bureau de la mairie annonçant la possibilité de la catastrophe. Mais le maire avait de bonnes raisons de les ignorer, deux de ses proches politiques étant propriétaires de quelques-uns de ces immeubles, touchant des loyers confortables pour la location de taudis. Cet écroulement en dit long sur la façon dont la classe dominante loge le prolétariat dans un contexte où la loi Elan du gouvernement Macron porte le fer contre le logement social, organisant la vente à la découpe d’une partie du parc HLM, asphyxiant les organismes HLM en leur imposant de répercuter sur les loyers la baisse des APL qu’il a décidée, et mettant en oeuvre le déménagement forcé de milliers de familles vivant en HLM.

Ce qui est significatif, c’est que cette manifestation organisée à l’initiative d’une association d’habitants du quartier sinistré, a vu affluer spontanément une partie de la population laborieuse, s’est dirigée naturellement là où se trouvent les responsables de la tragédie, et a posé la question de chasser ces responsables de la fonction qu’ils occupent. Quel contraste avec les journées d’action soigneusement éloignées du siège du pouvoir et dont les appels à manifester évitent soigneusement de nommer les responsables des mesures prises contre les travailleurs !

Si limité que soit cet événement, il témoigne du fait que les ressources demeurent intactes au sein du prolétariat, disponibles pour la lutte. Les militants regroupés autour du bulletin Combattre pour le socialisme situent leur action militante dans la perspective de ce surgissement de la spontanéité ouvrière. À la mesure de leurs forces, ils contribuent à en préparer les conditions politiques. Ils invitent nos lecteurs à s’associer à leur action.

 

Le 24 novembre 2018

 

 

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