Article paru dans
le bulletin « Combattre pour le socialisme » n°71 (n°153 ancienne
série) - 05 décembre 2018 :
Brésil : tirer les leçons de l’élection de Bolsonaro
L’élection de Bolsonaro, une
victoire de la bourgeoisie dont il faut expliquer les raisons
Au
second tour de l’élection présidentielle, le 28 octobre dernier, sur 147
millions d’inscrits, Bolsonaro a recueilli presque 58 millions de voix, soit 38 %
des inscrits, quand Haddad, le candidat du PT soutenu par le PCdoB et les
organisations syndicales, faisait 47 millions de voix, soit 31,5 % des
inscrits, tandis que les nuls et blancs, additionnés à l’abstention (vote
obligatoire pour les 18-70 ans, facultatif pour les 16-18 ans), représentaient
44 millions de voix, soit 29 % des inscrits.
Ce
résultat clôt un cycle, durant lequel toutes les élections présidentielles
avaient été gagnées par le PT depuis 2002. Le recul du PT est encore plus
spectaculaire si l’on compare les résultats du premier tour depuis 2002. En
effet au premier tour, Bolsonaro avait frôlé l’élection directe, avec 46 %
des votants exprimés (33 % des inscrits), tandis que Haddad ne réalisait
que 21 % des inscrits. En reprenant les résultats des premiers tours des
élections présidentielles depuis 2002 des candidats présentés par le PT, il se
dégage une tendance très nette.
|
% des exprimés |
Total voix |
% des inscrits |
2018 Haddad |
29,23 % |
31 341 839 |
21,27 % |
2014 Dilma Roussef |
41,5 % |
43 267 488 |
30,56 % |
2010 Dilma Roussef |
46,81 % |
47 651 434 |
35,14 % |
2006 Lula |
48,60 % |
46 661 414 |
40,82 % |
2002 Lula |
46,44 % |
39 455 233 |
45,81 % |
Cette
tendance est celle d’un déclin historique, après le véritable raz-de-marée de
2002 ; à chaque élection, la perte correspond à 5 % des inscrits, la
dernière marche étant double, soit 10 % d’un seul coup. De même, si le PT garde la plus
importante fraction parlementaire avec 56 députés, il n’a cessé de perdre des
sièges lors des dernières élections, et il est dépassé aujourd’hui en voix par
le parti de Bolsonaro (PSL) qui, avec plus de 11 millions de voix au Congrès
des députés, devance le PT de plus d’un million voix, même s’il n’est que la
deuxième représentation dans ce Congrès avec 52 députés (il passe tout de même
de 1 à 52 députés !).
Le
succès de Bolsonaro, c’est d’abord une sorte de bilan de 13 ans de
gouvernements vertébrés par le PT. Durant treize ans, le PT n’a gouverné qu’en
coalition avec la bourgeoisie. Même en 2002. Le prolétariat et la jeunesse
croyaient alors voter pour le seul candidat du PT, Lula, mais en réalité ils
votaient pour un ticket, ce qui était représentatif de cette politique de
coalition avec la bourgeoisie : le candidat vice-président de Lula était
un patron, Alêncar, tandis que celui de Dilma Roussef, quelques années plus
tard, sera un représentant de l’un des principaux partis bourgeois du Brésil,
le PMDB ; il s’agissait de Temer, celui-là même qui prit l’offensive pour
destituer Dilma Roussef en 2016.
C’est
donc un bilan de cette politique de collaboration de classes, inaugurée dès
avant l’élection de Lula par l’engagement à respecter la politique monétaire et
le remboursement de la dette brésilienne auprès du FMI. Dans ce cadre, la
politique de Lula, puis celle de Dilma, ont limité la réforme agraire au point
de redistribuer moins de terres que durant la dernière présidence de la
dictature. Durant toute cette période, le gouvernement a soutenu et favorisé
les intérêts des latifundiaires de l’agrobusiness, dont le boom, immense, a
porté la croissance économique brésilienne avant la crise de 2009, au détriment
d’ailleurs des secteurs industriels qui se sont développés dans la zone
Rio-Belo Horizonte-São Paulo.
Néanmoins,
Lula avait mis en place un programme de traitement de la misère (Bolsa
familia, mais aussi dans le domaine du logement, de l’électricité ou de l’entrée
à l’université de jeunes de condition défavorisée). Le transfert correspondant
a été en réalité minime. Tout le monde s’accorde pour dire que le programme
principal, celui qui a fait sortir le nez de la misère noire à une fraction de
la population la plus pauvre, ne représentait en réalité que 1,6 % des
dépenses publiques, seulement 0,5 % du PIB brésilien. Une goutte d’eau
dans l’océan de la pauvreté.
Si les
chiffres officiels rendaient compte d’une amélioration, cette dernière n’entamait
pas la structure de la société. Le Brésil est resté l’un des pays les plus
inégalitaires au monde : selon le coefficient de Gini, un calcul de la
répartition des revenus (une manière cependant superficielle d’approcher les
inégalités), le Brésil est 148e sur 158… Avec la crise revenue à
partir de 2014 après deux années de récession, l’édifice a volé en éclats. La
crise, il faut le rappeler, est particulièrement virulente au Brésil parce que
ce pays exporte des produits agricoles et des matières premières (il a aussi a
commencé l’exploitation pétrolière), et qu’il est de plus en plus dépendant de
la Chine devenue son premier client. La Chine représente en effet presque 20 %
des exportations brésiliennes, soit 35 milliards de dollars. Les années de
récession ont été marquées par un fort recul des exportations, corollaire à la
dégradation de la compétitivité du Brésil et une baisse de la consommation
chinoise, et d’autre part par une contraction des importations résultant de la
réduction de la consommation intérieure en raison de la baisse du niveau
général de vie.
Depuis
2014 le chômage a crû très rapidement, atteignant officiellement 13 millions de
personnes, en réalité bien plus, sans doute le double. Il faut aussi le redire,
le premier gouvernement à avoir engagé un plan d’ajustement a été celui de
Dilma Roussef : même si ce plan n’a pas satisfait toutes les exigences du
capital, il s’en prenait aux masses.
Dans
ces conditions, la victoire de Bolsonaro referme une époque et résonne comme le
bilan de la politique de collaboration de classes et de la prise en charge des
intérêts de la bourgeoisie par la direction du PT depuis 2002. En ce sens, ce
constat est comparable à celui que l’on peut faire de l’évolution de nombreux
partis ouvriers bourgeois qui ont à leur manière mené cette même politique, en
particulier les partis sociaux-démocrates en Europe. Mais cette comparaison
doit tenir compte des conditions particulières du Brésil, le PT ayant été créé
en 1980, dans la lutte des classes contre la dictature, pour accéder pour la
première fois au pouvoir en 2002.
Comment Bolsonaro a pu rassembler
la bourgeoisie derrière lui
En
réalité, Bolsonaro n’a été au long de sa carrière dans la vie politique du
Brésil qu’un député terne, bruyant mais très secondaire ; il était surtout
le représentant des lobbys militaires dans le Congrès des députés, ses appuis
politiques étaient généralement ces partis sans autre fonction que celle de
capter une part de la corruption gigantesque dans le Parlement. Mais il a
cristallisé sur sa personne la tendance à l’autoritarisme et à la reprise en
main directe du pouvoir par la bourgeoisie.
Les
conditions de la résistible ascension de Bolsonaro ont été fournies par l’offensive
bonapartiste lancée par la bourgeoisie en 2016, la manœuvre de destitution de
Dilma Roussef, la première vaste offensive contre les travailleurs menée Temer,
avec ses réussites et ses échecs : coupe dans les dépenses publiques, loi
travail augmentant la précarisation mais aussi cassant la définition du temps
de travail.
Alors
que cette politique se heurtait à la résistance des travailleurs (grève du 28
avril 2017 regroupant 40 millions de grévistes), les directions syndicales
renonçaient à affronter le gouvernement en corsetant les masses dans un
dispositif de journées d’actions et en rentrant en juin de cette même année
dans un « conseil national du travail » mis en place afin de
restaurer le dialogue avec les dirigeants syndicaux. En s’y rendant, les
dirigeants syndicaux permettaient au gouvernement de sauver l’essentiel, même
si, affaibli, il ne put trouver de majorité parlementaire pour faire adopter sa
réforme sur les retraites.
Cet
échec parlementaire différé permet, par contraste, de saisir le rôle essentiel
que les directions syndicales, en particulier celles de la CUT, ont joué en se
rendant à la convocation du gouvernement Temer en juin 2017. À bout de souffle, le gouvernement Temer
faisait plusieurs tentatives de mise en place d’une sorte d’état d’urgence,
justifiant l’intervention de l’armée une première fois lors d’une journée d’action
du printemps de 2017 à l’occasion d’une manifestation à Brasilia. Mais il avait
dû aussitôt retirer cette mesure.
Une
deuxième fois, après le carnaval de Rio en 2018, l’intervention de l’armée dans
les favelas de l’État de Rio était décrétée au nom du rétablissement de la
sécurité. Cette intervention musclée et brutale, comme toutes les précédentes
incursions des forces de répression dans les quartiers pauvres de la métropole
de Rio, a été responsable de 1 000 morts supplémentaires selon les ONG,
dans un pays où la police tue environ 5 000 personnes par an. C’est dans
ce cadre que Marielle Franco, conseillère municipale du PSOL, chargée par le
conseil municipal de Rio de surveiller l’application de la mesure, a été
assassinée par des sbires utilisant les balles du stock de l’armée. À noter que toutes les déclarations des
dirigeants du mouvement ouvrier sur l’intervention à Rio ont été placées sur le
terrain d’une bonne politique sécuritaire, donc ne remettant pas en cause
fondamentalement l’intervention.
L’autre
phase de l’offensive bonapartiste a été menée contre le PT et la candidature de
Lula. La justice a jugé, condamné, confirmé et aggravé la condamnation de Lula
ainsi que son inéligibilité, et réduit son droit de s’exprimer dans des délais
très rapides. Le juge anticorruption Moro a sans doute ainsi contribué à une
croisade contre la corruption (endémique au Brésil), en s’acharnant surtout à
détruire cette candidature, qui aurait, selon les sondages, permis à Lula de l’emporter.
Selon le général Mourão, co-candidat de Bolsonaro, ce juge aurait donné son
accord pendant la campagne électorale pour être le ministre de la justice de
Bolsonaro. Intervenant dans le débat judiciaire, le chef de l’état-major, le
général Vilas Boas, affirmait que si Lula n’était pas condamné, l’armée était
prête à prendre ses responsabilités afin de défendre l’ordre.
Dans ce
processus se développant durant la campagne électorale et alors que se
liquéfiaient les partis bourgeois traditionnels - la popularité de Temer étant
tombée selon les sondages à 3 % -, avec le soutien des militaires de plus
en plus visibles dans la vie politique, celui des lobbys agrariens représentant
l’agrobusiness et les latifundiaires, et celui des églises évangélistes, dont
le poids ne cesse de grandir dans le pays, Bolsonaro agrégeait une force qui
cristallisait la volonté de revanche de la bourgeoisie contre le PT et le
désespoir de la petite-bourgeoisie, des « classes moyennes », frappées
elles aussi par la crise, tournant leur rage contre les plus pauvres, ceux qui
bénéficient de la très réduite aide sociale mise en place par le PT.
Dans
cette campagne, les rangs de la bourgeoisie se sont resserrés derrière
Bolsonaro. La bourse a d’ailleurs salué les résultats du premier tour. Les
représentants du capital, de l’impérialisme, qui au départ n’avaient pas choisi
ce candidat, se sont ralliés à lui dès la semaine précédant le premier tour. Du
Wall Street Journal à Christine Lagarde, au nom du FMI, tout le monde a
félicité Bolsonaro pour son programme économique.
Quelle place Bolsonaro
occupe-t-il dans le déferlement contemporain de gouvernements bonapartistes ?
En l’absence
de toute perspective politique ouverte par le prolétariat, la masse confuse des
« classes moyennes », de la petite-bourgeoisie, se radicalise et
tourne sa rage contre le prolétariat. Cette tendance est d’autant plus
virulente que le stade actuel du capitalisme ne secrète que putréfaction,
désespoir et barbarie. Cette tendance s’exprime partout, sous des formes
diverses qui conduisent toutes à des formes de bonapartismes, dont les degrés d’agressivité
varient vis-à-vis des structures parlementaires, des organisations ouvrières, des
droits démocratiques, les populations les plus faibles étant généralement les
premières visées. Le bonapartisme, c’est la combinaison du renforcement de l’appareil
d’État derrière un homme fort, providentiel, un « arbitre » pour
tenter de régler les luttes politiques et la lutte des classes au compte bien
entendu de la classe dominante. Le bonapartisme est d’autant plus nécessaire
que la situation est instable. Il est porté au pouvoir par la crise, au Brésil
par la conjonction de la rage de la petite-bourgeoisie et des besoins du
capital financier, des latifundiaires et de l’impérialisme, Bolsonaro devant
agir pour rétablir l’ordre et si possible le taux de profit.
Si les
diverses formes de bonapartisme cherchent toutes à désarmer le prolétariat en
visant ses organisations traditionnelles, elles ne se valent pas pour autant.
Bolsonaro n’est pas Chávez ou Maduro, il ne cherche pas à s’appuyer sur des
syndicats, à les intégrer à l’État,
ou sur une organisation politique issue de ces syndicats qui lui serait
inféodée ; il ne cherche pas à imiter Perón ou Cardenas. Il n’a pas
cherché non plus à obtenir le soutien des dirigeants syndicaux, contrairement à
Trump lors de la campagne électorale de la présidentielle aux Etats-Unis.
Il
cherche au contraire à affronter les organisations ouvrières brésiliennes,
avant tout le PT et la CUT, nées du mouvement de la classe ouvrière durant la
dictature, un mouvement de la classe et de la jeunesse qui a abouti à la « transition »
vers le régime actuel.
Il veut
chasser les rouges, les “canailles” du PT, les “activistes”, promouvoir des
instruments de répression permettant de qualifier de terroristes les militants
occupant des terres, chasser les enseignants opposants des écoles. Même sous
une forme confuse, tout le monde comprend de quoi il s’agit lorsqu’il fait l’éloge
du régime de la dictature militaire. Jusqu’où peut-il aller ? Jusqu’à la
destruction des organisations ouvrières ? Il est difficile de le prévoir
dès maintenant, car cela dépendra fondamentalement du rapport politique entre
les classes.
Sur
quoi peut-il s’appuyer pour réaliser son programme ? S’il n’a pas de parti
véritablement structuré, (son parti, le PSL, Parti social libéral, a fait plus
de 11 millions de voix lors de l’élection des députés au Congrès), il peut
néanmoins s’appuyer sur les relais de sa campagne qu’il place dans son
gouvernement. Ainsi, de nombreux généraux devraient exercer des fonctions
ministérielles, une première depuis 1985. Le juge Moro devrait être nommé
ministre de la Justice : l’assurance de la poursuite des attaques contre
le PT (dont toute la direction vient d’être mise en examen pour corruption).
Dans
son gouvernement, dont on connaîtra la composition définitive en janvier 2019,
on retrouvera aussi probablement des pasteurs évangélistes et bien entendu les
représentants des latifundiaires. De plus, Bolsonaro peut s’appuyer sur les
milices qui agissent un peu partout dans le pays en lien avec l’appareil d’État
et terrorisent les favelas comme les militants de la réforme agraire. Le
déferlement de violence entre les deux tours de l’élection présidentielle est à
ce titre évocateur de ce que peuvent faire les bolsonaristes déchaînés.
De
toutes les formes bonapartistes, le précipité formé autour de Bolsonaro au
Brésil est le plus dangereux, celui qui pourrait se transformer en une
dictature militaire, en un régime de type fasciste si les circonstances le
permettent, un régime qui irait vers l’écrasement du mouvement ouvrier et la
destruction des libertés démocratiques de la façon la plus radicale. Bien
entendu, il lui faudra pour cela affronter le prolétariat et lui imposer une
défaite politique majeure. D’ores et déjà dans la période de transition entre
le gouvernement Temer et celui de Bolsonaro, les prémices de la politique du
prochain gouvernement s’accordent avec les ambitions déçues du précédent.
Dès maintenant, Bolsonaro
prépare son gouvernement et son offensive
Les
élections et la période de transition actuelle fournissent quelques indications
utiles pour comprendre ce qui pourrait se passer. Un secteur particulièrement
visé, celui de l’enseignement, prend une valeur de test. On assiste en effet
depuis plusieurs années à des grèves d’enseignants et de lycéens, et dans le
cadre de la dernière campagne électorale, les universités ont été une base de
résistance à Bolsonaro.
Dès
avant l’élection de Bolsonaro, les tribunaux ont cherché à empêcher les
manifestations anti-Bolsonaro sur les campus, les réunions et les débats. Les
banderoles ont été décrochées par la police militaire, les tribunaux ont
ordonné la perquisition des locaux syndicaux - au Brésil, les syndicats ne
prétendent nullement être indépendants des partis politiques, tout
particulièrement du PT qui a contribué à fonder la CUT en 1983 -, notamment
ceux du syndicat des travailleurs du pétrole et de la fédération des
enseignants, la CNTE, pour y saisir les bulletins syndicaux qui faisaient,
selon eux, de la propagande illégale.
Le
projet de loi « Escola sem partido », école sans parti, déposé
en 2016 devant le Congrès et depuis perdu dans les sables de la fin de
législature, vient d’être réactivé depuis l’arrivée de Bolsonaro au pouvoir.
Son parcours parlementaire avance de nouveau. La députée Campagnolo, puis
Bolsonaro lui-même ont appelé à la délation des enseignants, et ont même
demandé que ces derniers soient filmés par les élèves - ce dont les “bons”
enseignants ne doivent pas avoir peur, dit Bolsonaro...
L’objectif
serait donc de nettoyer l’enseignement de toute opposition, le texte du projet
prévoyant des sanctions pénales contre les enseignants coupables de « dogmatisme
ou de prosélytisme » et affirmant « le droit des parents à ce
que leurs enfants reçoivent l’éducation morale qui correspond à leurs
convictions ». Le projet devrait être étendu aux universités.
Un accord s’est fait aussi pour relancer la procédure
parlementaire autour du projet de loi sur les retraites afin de le faire
adopter durant l’année 2019. Le plan de privatisation doit être relancé, comme
le confirme la nomination du nouveau PDG de Petrobras qui, dès sa première
déclaration publique, a réclamé la privatisation de l’entreprise. Un projet de
privatisation de l’eau est aussi sur le tapis. Les privatisations font partie
intégrante de la politique budgétaire de Guedes, le “Chicago boy” de Bolsonaro,
dont le plan est : tout doit disparaître. Le gouvernement prépare des
amendements à une loi antiterroriste préparée et votée en 2016 sous le
gouvernement de Dilma Roussef afin de permettre de traiter les mouvements d’occupation
de terres ou de propriétés comme des mouvements terroristes : sont visés
le MST (Mouvement des sans terre) et le MTST (Mouvement des travailleurs sans
toit). En matière de santé publique, par accord entre Temer et Bolsonaro, les 8 000
médecins cubains qui travaillaient au Brésil commencent à être expulsés, ce qui
laisse des régions et surtout des catégories entières sans couverture médicale.
Quant à ceux qui attendent une défense de la
constitution, le président du tribunal suprême vient de faire une déclaration
publiée dans l’édition brésilienne du journal espagnol El país où il
prétend garantir les libertés. On peut en juger : il s’est d’abord
félicité de la « tranquillité » des élections et propose un pacte du
pouvoir judiciaire avec les deux autres pouvoirs afin de répondre d’abord aux
questions urgentes, la réforme des retraites et la question de l’insécurité, le
pouvoir judiciaire prétendant assurer la sécurité juridique. On ne peut que se
féliciter de « l’indépendance de la justice » qui propose elle-même
de soutenir le gouvernement, ce qui évitera les scènes pénibles promises par l’un
des fils de Bolsonaro au cas où le tribunal suprême devait bloquer le
gouvernement, à savoir qu’un seul soldat suffirait à le faire fermer...
Quelle
est l’unique issue possible ?
En réalité, en fait de contre-pouvoirs, le prolétariat
ne peut compter que sur ses propres forces. Il n’a rien à attendre des
institutions, de la constitution ou d’hypothétiques alliés bourgeois, qui d’ailleurs
à cette étape soutiennent tous Bolsonaro, comme le fait le PSDB, et lui
laissent le loisir d’agir (F.H. Cardoso, ancien président de la république,
conscience du PMDB, dit juger les actes de Bolsonaro et non ses paroles, pour
mieux le laisser faire...).
Alors que Bolsonaro affûte ses armes pour mener son
offensive contre le prolétariat, il n’y a d’issue que dans l’affrontement. Mais
encore faut-il tirer les leçons politiques de tout ce qui a mené à la défaite
du prolétariat et Bolsonaro au pouvoir. Aller à l’affrontement sans faire ce
bilan, c’est s’y présenter dans les pires conditions. Tirer les leçons, c’est
constater que la politique menée par la direction du PT, voulue par Lula et
Dilma Roussef, poursuivie par Haddad, sur le terrain de collaboration de
classes, ne conduit qu’à des capitulations successives. Cette politique a
consisté à maintenir les rapports bourgeois entre les classes, à prendre en
charge la politique d’ajustement, à avoir permis à la bourgeoisie de reprendre
l’offensive, ce qui a mené jusqu’à Temer.
La véritable corruption politique de la direction du PT,
c’est d’avoir fait de cette force qui s’était constituée dans le cadre de la
lutte contre la dictature un parti intégré au régime, lié à la bourgeoisie par
sa politique de collaboration permanente, en trahissant les intérêts de la
classe qu’il était censé représenter.
Tirer les leçons de la défaite, c’est se rappeler qu’en
avril 2017 le prolétariat manifestait sa puissance dans une journée de grève
rassemblant 40 millions de travailleurs contre la politique de Temer, et que
cette force a été dilapidée par les journées d’actions programmées tous les
deux mois, tandis que les directions syndicales, en particulier celle de la
CUT, acceptaient de se rendre à la première réunion d’un fantomatique Conseil
national du travail, créé dans l’unique but de voler à la rescousse de Temer.
Ces forces n’ont pas disparu. Elles sont éparpillées,
menacées, découragées, et la responsabilité première est celle des directions
du PT et de la CUT. Contrairement à ce qu’écrit la direction de la CUT le 28
octobre, au soir du second tour, le PT et la CUT ne sortent pas renforcés de l’élection.
Contrairement à ce qu’écrivent le Front Brésil Populaire et Peuple sans Peur
(coalitions constituées autour du PT, des syndicats, avec des partis bourgeois)
le soir même de l’élection, des milliers d’hommes et de femmes ne se sont pas « manifestés
en faveur des piliers de notre constitution », une constitution qui a
permis la déposition de Dilma Roussef, la continuité entre Temer et Bolsonaro
et que ce dernier gouverne aujourd’hui.
Non, la politique de « front démocratique »,
de recherche d’alliance avec la bourgeoisie ne permet pas de « défendre la
démocratie ». D’ailleurs, dans cette recherche d’alliance entre les deux
tours, Haddad a officiellement abandonné toute référence à l’abrogation des
lois adoptées par le gouvernement Temer afin de donner toute garantie. Peine
perdue. Féliciter et souhaiter bonne chance à Bolsonaro n’est pas une
orientation qui permet de combattre. Idem pour la déclaration des directions
des organisations syndicales réunies juste après l’élection qui se situe sur le
terrain suivant : la position des syndicats dépendra de Bolsonaro !
Une telle déclaration permet de laisser toutes les portes ouvertes, y compris
celle du dialogue social avec Bolsonaro ; en faisant mine de ne pas
comprendre ce qu’est sa politique !
Il faut mener la critique la plus serrée de cette
orientation en direction des organisations ouvrières. Il faut lui opposer le
front unique ouvrier, orientation de combat sur les revendications du
prolétariat, de la jeunesse. Il s’agit de permettre l’unité de la classe pour
la défense des revendications ouvrières, à commencer par la défense des
enseignants et de l’enseignement, pour le droit à la retraite et la défense des
droits démocratiques. Sur ce terrain, il faut être clair : seule la lutte
de classe du prolétariat permettra la défense des droits démocratiques, la
défense du droit des femmes, des noirs, des minorités sexuelles. La bourgeoisie
de ce point de vue a choisi son camp, elle est prête à tout y sacrifier.
Ce n’est que dans le cadre de la lutte des classes, de
la lutte pour défendre les organisations de classes elles-mêmes, le droit pour
elles de s’exprimer, que l’ensemble des droits démocratiques pourra être
défendu. L’orientation de front unique est l’orientation qui met les
organisations ouvrières au service de la lutte de classe du prolétariat, pour
lui permettre de former dans l’unité de classe, le plus large front de résistance
face à la politique de Bolsonaro, sur son propre terrain de classe, par la
grève et la manifestation.
Cette orientation, opposée à la soumission aux intérêts
bourgeois, est la seule qui permette d’infliger une défaite à Bolsonaro, et à
partir de cette défaite, de poser la question de le chasser. Cette orientation
est la seule qui puisse permettre d’envisager de souder y compris une partie de
la petite-bourgeoisie derrière les organisations ouvrières, Bolsonaro ne
pouvant de toute façon qu’adopter une politique qui satisfasse la fraction
dominante de la bourgeoisie et de l’impérialisme, ce qui ne peut que décevoir
la petite-bourgeoisie elle-même. La politique de front unique est la seule qui
puisse ouvrir une perspective, notamment pour ceux qui dans le camp de la
petite-bourgeoisie prendraient conscience de ce que Bolsonaro va mettre en
place : la dictature du capital financier, la défense des intérêts
impérialistes.
La politique du front unique s’adresse aussi à des
partis comme le PSOL, qui a joué durant la campagne électorale, avant le
premier tour et entre les deux tours, une politique strictement parallèle à
celle du PT, rejoignant son programme économique avant le premier tour et le « front
démocratique » au second. Dans ces conditions, le même combat doit être
mené en direction du PSOL et du PT : il n’est pas possible d’entretenir l’illusion
d’une « alternative à gauche du PT ».
Au-delà de cette orientation, le prolétariat brésilien a
besoin d’un soutien international. Il est de la responsabilité des
organisations ouvrières dans le monde d’accorder leur soutien aux travailleurs
brésiliens et à leurs organisations. C’est ainsi que le courant Front unique,
lors du dernier Conseil national de la FSU, a déposé une motion pour que la FSU
appelle à une manifestation à l’ambassade du Brésil pour la défense des
libertés démocratiques, des enseignants et des étudiants brésiliens, et des
organisations syndicales attaqués par Bolsonaro (voir “Les militants
interviennent” dans le présent numéro de CPS). La direction de la FSU s’y
est refusée. Ce qui témoigne qu’elle refuse d’affronter le gouvernement
brésilien, comme elle refuse d’affronter le gouvernement français.
A contrario, les militants révolutionnaires, dans les
syndicats notamment, se doivent de porter la défense des droits démocratiques,
ce qui est, il faut bien le constater un véritable mot d’ordre révolutionnaire.
Le 26
novembre 2018
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