Éditorial du bulletin « Combattre pour le
socialisme » n°69 (n°151 ancienne série) - 24 mai 2018 :
Alors que les cheminots tentent avec
acharnement de combattre en défense de leur statut,
Macron : arrogance et
soumission
« No
chance! ». Il n’y aucune possibilité que je recule sur les réformes :
voilà ce que Macron sûr de lui a répondu au journaliste de Fox News (média américain proche du Parti républicain) le 23 avril
dernier. Le ton est celui de l’arrogance face au prolétariat de France. La même
arrogance à l’égard de ceux « qui
pensent que le sommet de la lutte, c’est de garder leurs 50 euros d’APL »
au moment où Macron, dans un acte de provocation délibérée visant à indiquer de
manière ostentatoire pour qui il gouverne, décide d’abolir l’« exit
tax », véritable invitation à l’évasion fiscale !
Mais
chacun le sait, la morgue envers les faibles (ou plutôt ceux qui sont rendus
faibles par leurs propres dirigeants) s’accompagne toujours de la veulerie
envers les puissants.
Trump
vient de décider de « déchirer » l’accord sur le nucléaire avec
l’Iran. On lira plus bas le véritable mobile de cette décision. La visite de
Macron lui a permis de préparer cette annonce. Car la position que Macron y a
défendue constituait un pas d’importance dans le sens de la position
américaine. À l’inverse de ce que déclaraient encore il y a quelques mois les
dirigeants de l’UE en défense de l’accord, Macron a affirmé que l’accord devait
« être complété » et qu’en particulier devaient être imposées de
nouvelles conditions au régime iranien - extension au delà de 2025 de
l’interdiction des recherches nucléaires, interdiction faite à l’Iran de
disposer de missiles balistiques, etc.-. Il a donc lui-même indiqué que
l’accord était caduc, offrant ainsi une justification à la décision de Trump.
Il l’a fait au détriment même des intérêts de certaines firmes capitalistes
françaises – Total, Renault, PSA par exemple – qui entendaient utiliser
l’accord pour s’implanter ou se réimplanter sur le territoire iranien. Car la
décision américaine s’accompagne d’une injonction sous forme de diktat :
toute entreprise ne respectant pas la décision américaine de rétablissement des
sanctions économiques contre l’Iran subira les mêmes mesures de rétorsion.
Cette
soumission s’inscrit dans la ligne d’autres prises de position récentes parmi
lesquelles l’association française aux bombardements en Syrie ou encore le
plein soutien à la barbare intervention de l’Arabie saoudite au Yémen qui, avec
de l’armement français, bombarde quotidiennement hôpitaux et écoles, rase des
villages entiers. Ce soutien a été encore récemment affirmé à l’émir d’Arabie
saoudite reçu en grande pompe à Paris. Or l’intervention de l’Arabie saoudite –
à nouveau allié privilégié des USA - se fait en collaboration complète avec
Trump qui y voit un terrain privilégié de l’affrontement avec l’Iran.
La décision de Trump de
rompre l’accord nucléaire avec l’Iran
Sans
doute, il y a à l’évidence une crise au sommet de l’administration américaine.
Trump n’était pas le premier choix de la bourgeoisie américaine. Lorsque
l’ancien dirigeant du FBI écrit que « Trump
est incapable d’être président pour des raisons morales », il n’est
pas certain qu’il ne pense qu’au goût immodéré de ce dernier pour les
prostituées. C’est plutôt qu’il n’est pas bon que la principale puissance
impérialiste soit dirigée par un homme aux décisions imprévisibles et aux
déclarations intempestives.
Mais
la bourgeoisie américaine dans l’immédiat doit faire avec. Et sur un certain
nombre de questions, il est certain que la politique de Trump a l’assentiment
d’une large partie de celle-ci.
C’est
le cas au Moyen-Orient. La décision de Trump de « déchirer l’accord
nucléaire » et de rétablir les sanctions intervient après les frappes
aériennes contre la Syrie. Les frappes aériennes se sont faites sous couvert de
riposte au recours aux armes chimiques. Pour ceux qui prendraient cette fable
au sérieux, est-il nécessaire de rappeler les bombardements américains au
napalm de villages entiers pendant la guerre du Vietnam ? Ces frappes
étaient en réalité dirigées contre l’Iran. Les bombardements israéliens
visaient quant à eux explicitement des cibles iraniennes.
Cela
signifie que l’administration Trump réaffirme l’objectif de laver l’affront
subi en Iran en 1979, et d’effacer la défaite humiliante qu’a représenté le
renversement du régime du shah qui lui était entièrement dévoué. Certes, le
régime des ayatollahs entièrement réactionnaire a évité ce qui eût été pour la
bourgeoisie mondiale le pire, à savoir la victoire en Iran de la révolution
prolétarienne dont existaient les prémices. Il n’empêche que le régime des
ayatollahs souffre d’un « péché originel ». Il est né d’une défaite
de l’impérialisme, même si les masses ont été frustrées de leur victoire. Il
doit donc être renversé. Tout le reste relève de la mise en scène, telle la
grotesque exhibition par Netanyahou des « preuves » de l’armement
nucléaire iranien. L’histoire bégaie et dans un but similaire – la liquidation
alors du régime de Saddam Hussein – on se rappelle des « preuves »
exhibées par Colin Powell de l’existence d’« armes de destruction massive »
irakiennes !
L’Arabie
saoudite, comme Israël poussent en effet de parfaite connivence dans le sens de
ce renversement. Quant à la Palestine, Trump comme Netanyahou jugent que les
accords de Washington, Oslo ont fait leur office, ont suffisamment désarmé
politiquement les masses palestiniennes, et que l’on peut passer à une autre
étape : fixer l’objectif d’un seul État, l’État d’Israël. Cela suppose
l’amplification de la terreur et des massacres comme les manifestations à la
frontière de Gaza en donnent l’opportunité. Nous renvoyons nos lecteurs au
communiqué Palestine de notre Groupe publié dans ce numéro de CPS.
Iran, Corée : même
méthode, mêmes objectifs
C’est
la même volonté d’effacer les échecs antérieurs qui explique la politique de
Trump en Corée. En 1950, l’impérialisme US avait dû renoncer à son objectif
d’installation d’un régime à sa botte sur toute la péninsule. Mais le régime
stalinien de Corée du Nord savait que sa survie dépendait de sa possibilité de
maintenir la menace nucléaire. Il n’en a aujourd’hui plus les moyens. Les mêmes
« négociations » sur le modèle iranien sont en cours. Dans le même
temps, le gouvernement Abe au Japon est en passe de faire sauter les barrières
constitutionnelles à son réarmement. Le but des « négociations » en
Corée ne peut être autre chose que la liquidation du régime de Kim Jong Un au
profit de l’impérialisme. Le seul élément qui peut enrayer cet ordonnancement
consisterait dans l’irruption des masses tant en Corée qu’au Japon et en Chine.
Cette irruption mettrait à l’ordre du jour l’unification de la Corée sur la
base de l’expulsion de l’impérialisme US de la partie sud, du renversement, non
par l’impérialisme mais par le prolétariat du régime de terreur bureaucratique
au Nord pour l’instauration de la république des soviets dans toute la Corée,
dans la perspective des États Unis socialistes d’Extrême-Orient.
Certes
le mouvement des masses n’en est pas là. Mais en Corée, l’aspiration à
l’unification comme au départ des troupes US au Sud demeure profonde. Le prolétariat
de la partie sud a par ailleurs non seulement une puissance objective
considérable, mais aussi une forte tradition de combat de classe. Et au Japon
même, les possibilités d’un combat des masses, notamment de la jeunesse contre
la remilitarisation du pays, existent. Toute la question, là comme ailleurs,
demeure celle d’une direction politique à même de mener ses combats à bien,
autrement dit celle du parti révolutionnaire.
Europe et Amérique
La
veulerie de Macron à l’égard de Trump ne signifie pas l’absence d’intérêts
contradictoires entre l’impérialisme US et la bourgeoisie française. Si
rétrécie que soit sa part sur le marché mondial, si réduite soit la place de
l’impérialisme française, Macron n’a pas renoncé à les défendre lors de sa
visite aux États‑Unis. Mais sur les questions où à l’évidence la
politique de Trump entre en contradiction avec les intérêts de la bourgeoisie
française, Trump a superbement ignoré les jérémiades de Macron, laissant ce
dernier pérorer à la Chambre des représentants sans même faire semblant de lui
faire la moindre concession : c’est le cas quant aux menaces de taxation
des produits européens – en particulier l’acier – à l’importation sur le sol
américain.
De
toute façon, ce sont des choses qui se discutent avec des gens qui comptent
pour quelque chose, ce qui n’est visiblement pas le cas du représentant de la
malingre bourgeoisie française.
Le
faste avec lequel Trump a reçu Macron a contrasté avec l’extrême modestie de la
réception de Merkel quelques jours plus tard. Mais il ne faut pas s’y tromper.
L’ampleur des frais de réception de l’un puis de l’autre est inversement
proportionnelle à leur importance réelle. Le problème majeur de la bourgeoisie
américaine, ce n’est certainement pas principalement la France. Ce sont les
automobiles et les machines-outils allemandes qui prennent une place toujours
plus grande sur le marché américain. C’est contre la bourgeoisie allemande que
sont dirigées les mesures protectionnistes américaines (à supposer que Trump
puisse les mettre en oeuvre jusqu’au bout). Trump agite Macron comme une
marionnette sous le nez de Merkel. Quant à celle-ci, elle ne se paye pas de
mots et ne joue pas la comédie des grandes embrassades : « Le président (Trump) décidera », a t-elle dit sobrement
en sortant de l’entrevue. Ce n’est sans doute pas la guerre commerciale
généralisée ; mais c’est au moins la paix armée...
Mais
il n’est pas certain que ces mesures protectionnistes s’appliquent car elles se
heurtent à une sérieuse opposition dans la classe dominante US elle-même. D’où
le report d’un mois de la mesure de taxation de l’acier européen. Les patrons
de l’automobile américains sont plus que réservés sur cette taxation qui
pourrait avoir pour effet de renchérir leurs coûts... et donc accentuerait la
présence de véhicules d’origine étrangère sur le sol américain.
Sur
cette question, la bourgeoisie américaine est à vrai dire profondément divisée.
Macron : impuissance à
rétablir la situation du capitalisme français...
Répétons-le :
dans ce combat planétaire de l’impérialisme pour écraser sous sa botte les
masses des pays dominés, l’impérialisme français ne peut prétendre à jouer dans
le meilleur des cas qu’un rôle de force d’appoint. Même les grandes envolées
oratoires, telles que celles auxquelles se livrait encore Villepin en 2003 à
l’ONU pour un sursis avant l’intervention militaire en Irak, ne sont plus de
saison. Ce qu’exprime le quasi-alignement de Macron derrière Trump sur l’Iran,
comme les rebuffades qu’il essuie régulièrement de la part de l’Allemagne dans
ses propositions de réforme de l’UE, c’est la réalité crue des rapports des
forces économiques et de l’insigne faiblesse du capitalisme français dans le
cadre de ces rapports.
On
lira dans ce numéro de CPS une
appréciation d’ensemble de la situation économique. En ce qui concerne la
France, les numéros précédents de notre bulletin indiquaient que si, dans les
derniers semestres, une maigre croissance semblait avoir succédé à la
stagnation, elle était accompagnée d’une accentuation de la dégradation de la
part relative du capitalisme français sur l’arène mondiale, dont l’indice le
plus sûr était l’augmentation du déficit du commerce extérieur.
Mais
comme dans toute l’Europe, cette maigre croissance elle-même semble avoir
disparu en France sans qu’on puisse faire de pronostic sur la suite. Le Monde indique : « Le Produit intérieur brut (PIB) qui avait progressé de 0,7 % à la fin
de l’année précédente plafonne à 0,3 % pour les trois premiers mois de 2018...
La production manufacturière tombe dans le rouge, à -1,1 %, après
+1,5 % au quatrième trimestre... »
Le
gouvernement se flatte d’être passé au-dessous des 3 % de déficit
budgétaire à 2,6 %. Il l’a fait, lui et le précédent, au prix de
l’étranglement des collectivités locales, des fermetures de lits d’hôpitaux, du
quasi-blocage des salaires des fonctionnaires, de la baisse de leur pouvoir
d’achat, de la réduction des APL, de l’ensemble des mesures anti-ouvrières déjà
actées en 2017. Mais il faut ajouter que cette baisse du déficit s’accompagne
d’une augmentation persistante du montant de la dette. Cette dette, qui atteint
97 % du PIB, quand celle de l’Allemagne est de 65 %, n’a jamais été
aussi élevée.
Pour
le gouvernement Macron, c’est la quadrature du cercle. Il faut alléger toujours
plus l’impôt sur le capital, au nom de la compétitivité. Il faut augmenter le
budget militaire, pour assumer la défense des positions de l’impérialisme
français. En sorte que malgré les attaques de toute sorte contre les budgets
sociaux, la dette continue à enfler...
S’il
fallait un concentré et un symbole de la déconfiture du capitalisme français,
on pourrait le trouver dans la situation de Bolloré. On apprend à propos de sa
mise en examen ce qu’on savait déjà : le marché des ports de Conakri et
Lomé a été obtenu par Bolloré moyennant la prise en charge des campagnes
« électorales » d’Alpha Condé en Guinée et de Faure Gnassingbe au
Togo, qui ont en commun de faire tirer à balles réelles sur les manifestants et
de mettre les urnes électorales sous le contrôle sans doute plus sûr des
militaires. Toujours est-il que l’explosion du « scandale » met à mal
les positions de Bolloré en Afrique. Ses ennuis ne s’arrêtent pas là, puisqu’il
vient de se faire expulser d’une position qu’il croyait acquise en Italie avec
la perte de contrôle de Telecom Italia au profit du fonds d’investissement
américain Elliot.
Pour
en revenir à la situation d’ensemble, « la
principale inquiétude – toujours selon Le
Monde - vient du niveau de la
consommation... Cette frilosité des ménages s’explique notamment par la
contraction du pouvoir d’achat. »
Quelle
surprise ! Et dans le détail, cette « frilosité » – expression
admirable ! - touche d’abord l’alimentation. Il s’agit donc bien de la
consommation des masses populaires au point que les grandes surfaces,
constatant une baisse sensible des achats alimentaires durant la dernière
quinzaine du mois, ont décidé... d’ouvrir leurs crédits à la consommation à ces
produits. Telle est la réalité de la situation matérielle d’une large partie du
prolétariat. Quant au chômage, rien de nouveau dans les annonces faites sur la
« baisse du chômage ». Le
Journal du Net donne les chiffres de la DARE : « au premier trimestre 2018, pour l’ensemble des catégories dans
la France entière, le nombre de chômeurs atteint
6 592 100 personnes contre 6 627 100 personnes au
trimestre précédent, soit une baisse de 0,5 %. «
La
variation est donc insignifiante et la réalité celle d’un chômage de masse.
...et contre-réformes en
rafales : les contre-réformes en cours..
Plus
le gouvernement se révèle impuissant à redresser la situation du capitalisme
français, plus il met de frénésie dans l’accumulation des contre-réformes. La
contre-réforme de liquidation du statut des cheminots occupe bien sûr une place
centrale, ne serait-ce que parce qu’elle conditionne largement le succès des
suivantes (voir plus bas).
Sans
prétendre à l’exhaustivité, essayons de faire le bilan des contre-réformes en
cours d’une part, et programmées de l’autre (voir plus loin).
-
Sélection à l’université : après Parcoursup, qui vise à interdire l’accès
des jeunes d’origine populaire à l’université, la réforme de la licence,
actuellement en « concertation » qui vise à la fois à l’expulsion de
dizaines de milliers d’étudiants et à la destruction de la licence comme
diplôme national pour en faire un diplôme local à valeur variable, étroitement
inféodé dans son contenu aux exigences du patronat local (voir le supplément CPS Universités dans ce bulletin).
-
Liquidation du baccalauréat comme diplôme national, premier grade
universitaire, réforme du lycée réduisant massivement les heures de cours et
organisant la fusion des matières au mépris des contenus disciplinaires et de
la qualification des professeurs. D’après le SNES (Syndicat National de
l’Enseignement Secondaire), la réforme a pour conséquence une réduction de
10 % des heures et donc des postes. Les différents décrets et arrêtés ont
été soumis aux instances de « dialogue social », en particulier au
Conseil Supérieur de l’Éducation auquel ont participé toutes les directions
syndicales, proposant des « amendements » à la contre-réforme. La
direction du SNES n’a pu éviter qu’au congrès national de ce syndicat, soit
prise une position pour l’abrogation de cette contre-réforme. Elle se
contente... de ne pas publier auprès des enseignants cette prise de
position !
-
Apprentissage et formation professionnelle : mise sous la coupe du
patronat de l’enseignement technique et professionnel et asphyxie des Lycées
Professionnels. Il se confirme que ceux-ci ne bénéficieront plus de la taxe
d’apprentissage. Les ouvertures et implantations des CFA (Centre de formation
des apprentis) sont à la discrétion du patronat local. La régionalisation des
CIO (Centre d’Orientation), mesure sur laquelle en 2003 le gouvernement avait
dû reculer, est actée. La formation professionnelle fait désormais l’objet d’un
compte personnel. Autrement dit, les garanties collectives disparaissent. Elle
est par ailleurs « monétisée », ce qui signifie une réduction massive
des droits, puisque le barème horaire fixé est très en-dessous du coup horaire
réel de la formation. Mais il est précisé que rien n’interdit au salarié... de
s’offrir lui-même la formation en dehors de son temps de travail. En clair, il
appartient au travailleur d’assurer à ses frais, au moins en partie, son
« employabilité ». Les dirigeants syndicaux se plaignent beaucoup du
fait que le projet de loi final ne correspond pas à l’« accord des
partenaires sociaux ». Mais ils se sont prêtés à une concertation, dont
tout le monde savait où elle menait, jusqu’au bout.
-
Assurance-chômage : l’indemnité chômage cesse en réalité d’être un droit.
Le gouvernement aura désormais toute latitude pour en modifier le montant par
décret (montant qui était précédemment garanti par accord conventionnel et ne
pouvait être modifié en dehors de la renégociation de la convention). La
suppression pure et simple de l’allocation pour ceux qui ont un « travail
occasionnel » est envisagée.
-
Réforme de la justice : fusion des tribunaux d’instance et de grande
instance, « numérisation » ou traitement administratif de litiges qui
passaient précédemment devant le juge, donc remise en cause du droit des
justiciables.
- Loi
asile-immigration : une place particulière doit être attribuée à cette loi
infâme qui vise à l’expulsion accélérée des demandeurs d’asile. Nous renvoyons
à l’analyse qui en a été faite dans le numéro précédent de CPS (n° 68 du 1er
mars). Collomb en a donné le sens dans des termes empruntés au Front
national : « Certaines régions
sont submergées par l’immigration ». Il est utile de le rappeler aux
dirigeants du PS, du PCF, des syndicats qui appelaient à voter Macron il y a un
an... pour nous protéger de la politique anti-migrants de Marine Le Pen!
L’Assemblée nationale et le groupe LREM se sont longuement livrés à la comédie
des amendements. Mais les enfants seront bien maintenus 90 jours en rétention
administrative avant expulsion – autrement dit, la loi prévoit l’emprisonnement
des enfants - « pour ne pas
être séparés de leurs parents » ! . On ne saurait aller plus loin
dans l’ignominie. On a aussi voulu nous faire croire que le « délit de solidarité » – qui
autorise la poursuite des militants qui viennent en aide aux migrants – avait
disparu de la version finale de la loi. C’est faux, puisque le délit est
maintenu pour tous ceux qui situent leur aide aux migrants dans une perspective
militante. Même le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe a
condamné la loi !
Quelle
réaction à cette loi ignoble ?
« Plusieurs centaines de manifestants se
sont rassemblés lundi aux abords de l’Assemblée nationale pour dénoncer le
controversé projet de loi asile et immigration, dont l’examen par les députés
doit débuter en fin de journée.
Rassemblés à proximité du Palais-Bourbon, les
manifestants emmenés notamment par la Cimade ou la Ligue des droits de l’Homme
ont donné de la voix pour dénoncer une « loi liberticide », indique Le Parisien du 15 avril. Autrement dit, à peu près rien. La
responsabilité est claire : contre cette infamie, les directions
syndicales, le PS, le PCF n’ont pas bougé le petit doigt !
... et contre-réformes
programmées
Macron
a prévenu s’agissant des réformes : « Cela
ne s’arrêtera ni demain, ni le mois prochain, ni dans trois mois ». À peine
un train de réformes est-il adopté, qu’un autre se profile :
· Projet de loi « sur le secret des
affaires ». Au nom de la préservation des secrets de fabrication, de
l’innovation et de la propriété intellectuelle, les journalistes, scientifiques
ou autres qui rendraient publics les effets nocifs pour la santé publique, par
exemple, de la mise sur le marché de certains produits, ou qui rendraient
publics la mise en danger des travailleurs dans les entreprises du fait de
leurs conditions de travail relèveraient de poursuite pénales. Ainsi, les
laboratoires Servier qui ont compromis gravement la santé de milliers de
patients avec le Mediator, ne seraient plus en situation d’accusés mais… de
plaignants. La liberté du capital de réaliser ses profits en empoisonnant ceux
qui consomment ses marchandises, et en écourtant la vie des ouvriers doit être
totale ! La loi doit être soumise prochainement à l’Assemblée en
« procédure accélérée ».
· Projet de loi PACTE sur la base du rapport Sénart
(patron de Michelin)/Notat (ex-dirigeante CFDT) : développement de
l’épargne retraite (cheval de Troie contre le système de retraite par
répartition), exonération du 1 % logement pour certaines entreprises,
remise en cause des « seuils sociaux » définissant les obligations
légales en matière de représentants du personnel – dans la lignée des
ordonnances Travail -, augmentation de la « participation »,
c’est-à-dire de la part du salaire conditionnée aux résultats de l’entreprise,
et peut-être augmentation de la présence des salariés dans les Conseils
d’administration, vers la cogestion.
· Projet de réforme constitutionnelle. Ce qui
importe vraiment à Macron dans ce projet, c’est la réduction de l’Assemblée
nationale à l’état de « parlement croupion » bien plus encore qu’il ne
l’est aujourd’hui. La Ve République s’est édifiée sur les ruines du régime
parlementaire de la IVe République. Toute une série d’articles (le fameux
article 49ter par lequel le gouvernement engageant sa responsabilité peut faire
adopter une loi sans vote, l’article 40 qui interdit tout amendement budgétaire
entraînant une dépense nouvelle, le droit de dissolution, l’article 16 par
lequel le Président peut s’arroger les pleins pouvoirs, etc.) visent à assurer
la suprématie de l’exécutif. Il n’empêche que de Gaulle n’a pu aller jusqu’au
bout de ce qu’il voulait faire dans sa subordination de l’Assemblée nationale.
Le gouvernement a encore besoin de la couverture parlementaire pour gouverner.
En ce
sens, l’Assemblée nationale peut être le lieu contre lequel se concentre la
force de l’ensemble du prolétariat et de la jeunesse contre tel ou tel projet
du gouvernement comme on l’a vu encore en 1986 où, à travers de puissantes
manifestations à l’Assemblée, les étudiants avaient arraché le retrait du
projet de loi Devaquet.
C’est
là une limite au pouvoir du Bonaparte que Macron entend bien effacer. Le cœur
du projet de réforme constitutionnelle consiste donc à limiter encore les
pouvoirs de l’Assemblée et des députés : limitation du droit d’amendement,
possibilité pour le gouvernement de modifier l’ordre du jour de l’Assemblée
pour lui imposer en urgence la discussion d’un projet de loi gouvernemental,
etc. Le gouvernement, pour faire passer sa réforme, a besoin du soutien de la
majorité LR du Sénat, car il lui faut un vote de trois cinquième des députés et
sénateurs rassemblés. Peut-être sera-t-il amené pour obtenir ce résultat à
renoncer à des aspects pour lui secondaires de la réforme, telle la réduction
du nombre de députés et sénateurs ?
· Liquidation du statut de la Fonction
publique (voir plus bas).
· Projet de réforme des retraites. La
concertation avec les directions syndicales a commencé le 16 avril sous la
houlette de Delevoye, ancien ministre de Raffarin, le ministre de la Fonction
publique qui a mis en œuvre le passage de 37,5 à 40 annuités pour les
fonctionnaires. Un homme qui a des références donc !
S’agissant
de la « retraite à points », tout est dans cette citation de Delevoye
lui-même : « Le vrai sujet,
c’est que le système de demain soit adaptable soit aux périodes de tempêtes
soit aux périodes de croissance... Et que nous puissions sans psychodrame,
avoir cette période d’adaptation ». En termes clairs, dans le système
de « retraite à points », le montant de la retraite dépend du nombre
de points, mais la valeur du point n’est pas garantie, variant selon des
paramètres divers. Autrement dit, c’est la fin de toute garantie de montant de
retraite. Et au nom de l’égalité, la liquidation de ce qui reste des régimes
spéciaux, du code des pensions de la Fonction publique, etc.
C’est
donc en toute connaissance de cause que les dirigeants se rendent à cette
concertation. Thibault ancien secrétaire général de la CGT, auditionné au
Sénat, peut plus librement que les dirigeants en exercice livrer la clé de la
concertation : « Si on refuse
d’envisager de manière très active une association très étroite des salariés,
de leurs représentants sur le type de mesures à envisager (…) on prend des
risques. » On ne saurait être plus explicite.
Liquidation du statut des cheminots :
un art consommé de la trahison des dirigeants syndicaux
Dans le supplément CPS du 20 avril, nous écrivions : « Il faut dire la vérité. Si les
cheminots n’arrivent pas à briser le carcan dans lequel ils sont enfermés par
les directions syndicales, ils sont condamnés à être vaincus. »
Cela reste vrai
aujourd’hui, à ceci près que chaque jour qui passe rend cette possibilité de
briser le carcan plus difficile à réaliser. Nous renvoyons nos lecteurs à la
description des trois éléments de ce carcan : exclusion délibéré des mots
d’ordre des appareils syndicaux des vrais revendications des cheminots, en
particulier de celui-ci : défense inconditionnelle du statut, concertation
en continu pour une « bonne » réforme de la SNCF, organisation
méthodique de l’épuisement des cheminots à travers la tactique des
« grèves perlées ».
Depuis, la politique
de trahison, pour appeler les choses par leur nom, a connu de nouveaux
développements. Les dirigeants syndicaux ont frauduleusement présenté comme une
victoire l’acceptation par Philippe de prendre le relais de Borne pour la
concertation. Philippe a martelé le cadre de ladite concertation : « il y a des choses non
négociables : la mise en concurrence, la transformation de la société en
société anonyme, la fin du recrutement sous statut. Nous ne reviendrons pas sur
la loi adoptée à une très large majorité à l’Assemblée nationale ».
Par contre, a dit
Philippe, restent beaucoup de choses à discuter : « l’amélioration du fonctionnement de l’entreprise »
« la polyvalence » et aussi « la
convention collective du rail » et « l’accord
d’entreprise ».
C’est ce cadre que
les dirigeants syndicaux ont totalement assumé. Tout le monde comprend par
exemple que si les cheminots sont désormais soumis à une convention collective
du rail, cela signifie qu’il n’y a plus de statut des cheminots de la SNCF. Et
alors qu’à la sortie de la réunion de concertation, Philippe maintenait tout,
Laurent Brun, le secrétaire de la CGT Cheminots déclarait à France Info le 7 mai :
« Le Premier ministre a confirmé
aujourd’hui que c’était lui qui reprenait le dossier. C’est un élément pour
nous très positif. Il a fait des ouvertures concernant les sujets périphériques
comme la dette et la convention collective ».
Donc
Laurent Brun accepte la liquidation du statut et son remplacement par une
convention collective du rail, et le communiqué officiel de la fédération CGT
croit bon de préciser :
« Les cheminots l’ont bien compris. Face
à un gouvernement et une direction SNCF qui ont déclaré les hostilités et
décidé d’en finir une fois pour toute avec le service public ferroviaire, ils
se sont mis en ordre de marche pour gagner le rapport de force dans
l’entreprise et la bataille de l’opinion publique.
Lucides, sereins et déterminés, ils agissent
non pas pour défendre le statu quo mais pour développer le service public
ferroviaire, dans l’intérêt de tous, avec les moyens nécessaires à son bon
fonctionnement. »
Pas
de défense du statu quo, cela signifie sans jeu de mot pas de défense du statut
tout court.
Sur
cette orientation, la direction de la CGT, qui donne le la, a entraîné
l’ensemble des directions syndicales. Et c’est dans l’« unité » que
les appareils ont fait une nouvelle trouvaille. La solution serait dans un
« referendum d’entreprise ». Faute d’avoir convaincu gouvernement et
direction de la SNCF de l’organiser, les appareils syndicaux ont décidé de
l’organiser eux-mêmes. Notons-le : cela signifie que les appareils
syndicaux reprennent - en le modifiant à peine - un dispositif phare des
ordonnances Macron : le recours au « referendum » pour décider
de la légitimité des revendications en lieu et place des syndicats et des
assemblées de travailleurs.
Cette
proposition a été saisie au bond par Coquerel député de la France insoumise
qui, lui, a proposé un referendum national sur la même question. Il s’agit
clairement d’une opération visant à museler l’indépendance de classe du
prolétariat définissant lui-même ses revendications et ses modes d’action par
le recours à la « vox populi », toutes classes confondues. Le
caractère réactionnaire de ce genre de proposition apparaît immédiatement
quand, à sa suite, un député LR a proposé un referendum... sur l’accueil des
migrants !
Mais
cette initiative répond également à un besoin immédiat des directions
syndicales. Ce n’est pas un hasard si elle intervient après les réunions où le
Premier ministre Philippe a indiqué qu’il s’agit d’en passer maintenant à la
négociation de la convention collective des transports publics et de l’accord
d’entreprise de la SNCF. La question posée aux cheminots dans le
referendum, « êtes-vous pour ou contre la réforme ? », n’est pas
seulement grotesque après le nombre élevé de journées de grèves où les
cheminots ont affirmé très clairement leur volonté de combat malgré le cadre
pourri de la grève perlée. C’est avant tout un écran de fumée destiné à
masquer, sous une formulation qui évite une nouvelle fois de se prononcer pour
la défense du statut, la participation annoncée des directions syndicales aux
négociations sur la convention collective et l’accord d’entreprise,
c’est-à-dire leur prise en charge directe de la liquidation du statut.
Les
appareils syndicaux doivent masquer et truquer car, comme l’explique avec
cynisme un dirigeant syndical cité anonymement par Le Monde du 29 avril :
« le deuil du statut n’est pas encore fait ».
Le
fait que malgré les épouvantables conditions dans lesquelles sont mis les
cheminots la participation à la grève « perlée », même si elle ne
peut que s’affaiblir, des catégories décisives de cheminots – en particulier
les conducteurs - demeure majoritaire à ce jour est significatif. En
s’exprimant ainsi, cet apparatchik indique à la fois ce à quoi les cheminots ne
peuvent se résoudre ; et en même temps, il indique très exactement la
fonction de la tactique des grèves perlées et du referendum :
accompagner le « deuil » du statut !
Fonction publique :
concertation et journée d’action
Derrière
la mise à mort du statut des cheminots, se profile celle du statut de la
Fonction publique. C’est un projet d’ensemble défendu explicitement par
Macron : en finir avec la « société
du statut ».
Le
numéro précédent de CPS (n°68 du 1er
mars) analyse les quatre termes de ce projet de liquidation : recours au
contrat et non plus recrutement par concours, salaire au mérite et
individualisation des rémunérations, organisation de la « mobilité »
des fonctionnaires... hors de la Fonction publique, remise en cause des CAP
(commissions administratives paritaires) contrôlant justement le respect des
dispositions statutaires appliquées à la carrière de l’agent. C’est ce projet
PAP (Plan action publique) 22 qui est soumis à la concertation des dirigeants
syndicaux.
L’objectif
de destruction du statut alloué à la concertation est tellement transparent que
les dirigeants syndicaux se sont vus dans l’obligation de faire des manières
quant à leur participation. Le gouvernement a donc soumis deux versions
successives nouvelles du texte constituant le tableau de marche de la
concertation. Mais personne – pas même le bureaucrate syndical le plus
complaisant avec le gouvernement – ne peut expliquer en quoi la troisième
version diffère de la première, la totalité des objectifs gouvernementaux étant
maintenue.
Mais
après la troisième version, fin des contorsions et du chipotage !
L’impératif de la collaboration avec le gouvernement doit primer. Toute honte
bue, tous les dirigeants syndicaux se sont engagés dès le 9 avril dans la
concertation.
La
revue Acteurs Publics s’en
félicite : « Enfin, diront
certains. Après plusieurs semaines de tergiversations et la présentation de
trois moutures du document d’orientation, les discussions sur la réforme
du cadre statutaire des agents publics ont officiellement débuté lundi
9 avril. Au programme : la réunion d’ouverture du premier chantier de
la concertation, relatif aux instances de dialogue social, présidée par le
secrétaire d’État auprès du ministre de l’Action et des Comptes publics,
Olivier Dussopt. »
Pour
couvrir et accompagner leur participation, les dirigeants syndicaux appellent
ensemble à la troisième journée d’action depuis octobre le 22 mai. Dans l’appel
à cette journée d’action, ils n’ont pu éviter d’évoquer les attaques
programmées contre le statut – qu’ils occultaient dans les appels aux journées
d’action précédentes. Cette journée est précédée d’un « rassemblement à
Bercy » le 15 mai explicitement sur le terrain du soutien à la
concertation : « D’ores et
déjà, elles appellent à un rassemblement devant Bercy le 15 mai à midi à
l’occasion de l’ouverture du chantier consacré au recours au contrat. ».
L’appel
exclut délibérément tout mot d’ordre de retrait du PAP 22. Il dit même très
explicitement le contraire puisqu’« elles
[les organisations syndicales, ndlr] appellent
le Gouvernement à être extrêmement vigilant sur les suites à donner au futur
rapport du Comité Action Publique 2022. »
Quelle
que soit la participation des fonctionnaires à cette journée – il faut compter
avec la lassitude des fonctionnaires qui ont pu constater que les deux
précédentes journées n’avaient rien changé au plan du gouvernement -, le 22 mai
n’ouvre pas la moindre perspective aux fonctionnaires sur l’objectif de défense
de leur statut.
Air France :
gouvernement et direction malgré un échec sévère restent dressés contre les
revendications
La
proposition de referendum à la SNCF était directement inspirée de ce qui vient
de se passer à Air France. Le patron d’Air France, avec le soutien appuyé du
ministre Le Maire au nom du gouvernement, anticipant sur la mise en œuvre des
ordonnances Macron – la possibilité qu’elle donne d’opposer à la position
majoritaire des syndicats un referendum patronal –, avait organisé un
referendum sur ses propositions salariales. Outre l’aumône de 2 % pour
l’année en cours, celles-ci consistaient à conditionner toute augmentation
salariale aux résultats de l’entreprise. Il s’agissait bien par ce referendum
d’écraser les syndicats et leur légitimité à définir les revendications des
travailleurs. Mais l’arme anti-ouvrière s’est retournée contre le patron. Avec
plus de 55 % de Non, le patron Janaillac a essuyé un revers cinglant. Ce
rejet a été particulièrement net dans les couches les plus exploitées
(personnels au sol, hôtesses et stewards). Le Non dépasse de loin la proportion
de grévistes, démontrant que nombre de travailleurs à Air France approuvent la
revendication salariale des 6 % mais ne se retrouvent pas dans la tactique
des « grèves perlées » qui, comme à la SNCF, est mise en œuvre par
les directions syndicales.
Mais
ces dernières persistent dans cette tactique d’épuisement, aggravée d’une
« suspension » de la grève. Et c’est pourquoi, malgré cet échec, le
gouvernement et la direction d’Air France – sans Janaillac démissionnaire –
peuvent rester « droits dans leurs bottes » et continuer à rejeter
les revendications.
Chez les étudiants,
répression policière et impasse politique
Nous
renvoyons nos lecteurs aussi bien au supplément CPS du 20 avril que du supplément Universités (publiés dans ce
numéro).
Le
fait majeur, c’est l’irruption violente et générale des flics de Macron dans
les facs, frappant les étudiants (récemment, un étudiant gravement blessé à
Toulouse Le Mirail). Ce fait a une importance historique. Depuis des siècles
prévalaient les franchises universitaires qui interdisaient aux flics de
pénétrer dans les facs. Au moment où se multiplient les initiatives de
« commémoration » de Mai-Juin 1968 – dans la plupart des cas de
camouflage historique de la grève générale de Mai-Juin 1968 –, il faut rappeler
que c’est à la suite de l’occupation policière de la Sorbonne, suivi de l’appel
de l’UNEF au mouvement ouvrier, que s’est enclenché le mouvement vers la grève
générale, les directions syndicales ayant été contraintes d’appeler à la grève
le 13 mai 1968.
Or
précisément, la vérité est que les jeunes ont été laissés seuls face à la
répression policière massive. Les directions syndicales, aussi bien celles des
enseignants que les confédérations, se sont contentées dans le meilleur des cas
de protestations purement platoniques, qui plus est agrémentées de l’appel
réitéré « à un vrai dialogue social ». Les étudiants avaient besoin
de toute autre chose : à savoir la prise en charge par le mouvement
ouvrier dans son ensemble du combat pour bouter les flics hors des facs, à
travers la mise en place de comités de défense des étudiants intégrant les
organisations ouvrières, la mobilisation dans le cadre du Front unique des
organisations ouvrières contre ce pas de première importance réalisé par Macron
dans le sens de l’État policier.
Quant
à l’appel au « dialogue social », là comme ailleurs, il est le nœud
coulant passé autour du cou des étudiants pour étouffer leur combat. Il est
vrai que la direction du SNESup comme celle de l’UNEF ont fini par quitter la
table de la concertation sur le plan « licence ». Mais cette décision
qui, prise plus tôt, aurait pu constituer un point d’appui pour les étudiants,
l’a été à un moment et dans des termes (c’est encore au nom d’un « vrai
dialogue » que les dirigeants syndicaux ont quitté la table) tels qu’elle
ne pouvait changer la donne.
Comme
chez les cheminots, On peut cependant remarquer que, de manière locale, les
étudiants manifestent une vraie obstination à ne pas quitter le champ de
bataille. C’est ce dont atteste, de manière certes de plus en plus locale,
l’existence d’assemblées générales significatives. C’est une preuve que ce qui
a manqué, ce n’est pas la volonté de la jeunesse de combattre la loi ORE et
l’instauration de la sélection.
Pour
une avant-garde d’étudiants, il faudra essayer de tirer les leçons du combat
dont on ne voit pas maintenant comment il pourrait déboucher. Tirer le bilan,
cela signifie avoir une claire conscience des obstacles qu’ont dressé contre
leur mobilisation les directions syndicales et en même temps saisir le rôle
crucial de celles-ci, donc la nécessité de combattre pour mettre le syndicat à
leur service. Cela signifie aussi apprécier clairement le rôle de toutes les
forces (« autonomes » peu ou prou suivis par l’ « extrême
gauche ») qui n’ont eu de cesse de noyer la revendication d’abrogation de
la loi ORE dans mille autres considérants qui avaient pour effet d’écarter du
combat la masse des étudiants et de faire obstacle à la nécessité de le
centraliser pour défaire le gouvernement en développant les illusions
infantiles sur les « universités libérées », les facs « communes
libres » et autres fariboles.
Bref,
ce qui ressort de ces dernières semaines, c’est la nécessité d’une force
politique à l’université combattant sur la ligne de la rupture avec le
gouvernement, du combat centralisé contre lui ; la nécessité d’une
organisation révolutionnaire de la jeunesse.
Du 5 au 26 mai
Dans
le même temps que les cheminots, étudiants, travailleurs d’Air France ou de
Carrefour sont confrontés aux obstacles et trahisons dressés devant eux par la
politique des appareils syndicaux. Ruffin, député de LFI, organisait avec LFI,
soutenu par le PCF, Générations (de Hamon), le NPA la manifestation du 5 mai.
Le mot d’ordre : « faire la
fête à Macron » était délibérément ambigu, montrant par là que les
grands pourfendeurs des vieux partis avaient quand même appris d’eux l’art du
double langage. D’un côté il fallait laisser entendre qu’il s’agissait d’un
combat pour affronter Macron, lui « faire sa fête », pour attirer
travailleurs et jeunes qui aspirent à en finir avec lui. De l’autre, les
dirigeants de la manifestation multipliaient les déclarations sur le caractère
« festif », « joyeux », bref totalement inoffensif de ce
rassemblement.
Dans
un jeu de rôles parfaitement orchestré, Macron qui avait parfaitement en
réalité saisi le caractère inoffensif de cette manifestation, a affecté
l’indignation contre les « pyromanes
insoumis », ceux qui veulent « organiser
dans la rue la revanche des élections », etc.
Il
s’agissait en réalité de pousser les dirigeants de la manifestation à des
déclarations de soumission au gouvernement. Ces déclarations, Macron les a
obtenues au-delà de ses espérances. Indépendamment du fait indéniable qu’un
certain nombre de jeunes se sont retrouvés avec la volonté vraie d’affronter le
gouvernement, le contenu politique de la manifestation du 5 mai a été clair
avec un immense drapeau bleu blanc rouge flottant à la tribune. Le député LFI
Quatennens a justifié en réponse à une journaliste la substitution du drapeau
bleu blanc rouge au drapeau rouge. Le même député, « théoricien » de
LFI, précisait : « Il
[Macron, ndlr] est légitime et personne
ne peut contester son élection » mais « Macron met la France en retard » (sic)... « Je suis frustré parce que depuis 12
mois on aurait pu faire autre chose » (resic).
Quant
à Ruffin, il déclarait la veille de la manifestation : « J’accepte pleinement l’élection de
Macron et je l’ai reconnue le soir des élections dès 20 heures 01 ».
Sans
doute est-il nécessaire de purger jusqu’au bout la rage anti-Macron qui saisit
une large part de la classe ouvrière et de la jeunesse, car la même opération
doit être renouvelée le 26 mai. Le contenu n’en sera pas différent.
Les signes d’une recherche
politique : le congrès confédéral FO…
Dans les
dernières semaines, il y a eu tant chez les cheminots que chez les étudiants
une tentative réelle d’affronter le gouvernement et de lui infliger une
défaite. Comme nous l’avons analysé, les obstacles et trahisons rendent
difficile l’aboutissement victorieux de ces tentatives. Et il ne faut pas
cacher que Macron, s’il se confirme que ces tentatives échouent et qu’une
nouvelle défaite est infligée au prolétariat, en recevra une puissante
impulsion pour amplifier les contre-réformes, en particulier celle des
retraites. La comparaison faite entre Macron et Thatcher est parfaitement
juste. Il y a la même volonté non seulement de vaincre mais d’écrabouiller le
prolétariat et la jeunesse. Les appels inlassables des dirigeants syndicaux au
« dialogue social » n’en sont que plus écœurants.
Mais
nul n’a le pouvoir d’interrompre la lutte des classes ni d’empêcher que perdure
vaille que vaille la volonté dans les masses de rechercher une issue politique.
Il faut à cet égard mettre en exergue deux événements récents.
Le
premier, c’est ce qui s’est passé au congrès confédéral FO. Pour la première
fois, le rapport de Mailly qui s’est illustré par sa pleine collaboration avec
Macron sur les ordonnances travail a reçu à peine plus de 50 % des votes
exprimés (le nombre de votes « contre » et d’abstentions cumulés
dépassant largement les votes « pour »).
Un
certain nombre de délégués ont formulé cette opposition à Mailly dans des
termes particulièrement clairs, telle la déléguée de Doux – l’usine de
conditionnement de volailles condamnée à la fermeture – déclarant : « Mailly a vendu la classe ouvrière à
Macron ».
Comme
d’habitude, la presse bourgeoise a cru voir dans cette opposition la main des
« trotskystes ». Il n’y avait en réalité aucun
« trotskyste » dans le congrès FO. Ceux que la presse bourgeoise
nomme ainsi, les lambertistes de diverses obédiences ont eu en commun... de
condamner les prises de position de délégués ayant rejeté avec virulence la
politique de Mailly. Le commentateur de La
Tribune des travailleurs, journal d’une de ces fractions, a considéré que
ceux qui étaient intervenus contre le rapport d’activité se livraient à des « effets de manche », opposant
les délégués qui sans prendre position sur le rapport d’activité avaient fait
état des « revendications ». Ainsi se trouve condamnée par exemple la
déléguée de Doux. Comme si la défense des revendications étaient en quoi que ce
soit compatible avec l’orientation de Mailly ! : « Je renouvelle
mon amitié à Jean-Claude Mailly... dans le syndicat nous sommes tous des
réformistes... » a déclaré de son côté le dirigeant lambertiste
historique – représentant de l’autre courant lambertiste - Patrick Hébert
ancien responsable de l’UD 44. Plus que jamais, ces forces politiques qui font
chaque semaine l’apologie de la grève perlée à la SNCF, se révèlent pour ce
qu’elles sont : les éternels flancs-gardes de l’appareil bourgeois du
syndicat.
Le
souci d’Hébert était d’assurer une continuité sans heurt de l’appareil FO et de
sa politique. Il n’a pu éviter les heurts comme l’indique l’absence de Mailly
le dernier jour du congrès et son tweet vengeur contre son successeur Pavageau.
Il n’empêche que la continuité politique est bel et bien assurée. Comme
d’habitude, le congrès s’est terminé par les résolutions consensuelles qui vont
jusqu’à reprendre parfois de manière formelle les revendications comme cette
référence à la défense du statut des cheminots.
Mais
comme d’habitude, ce genre de résolution n’engage en rien l’appareil dirigeant.
Le lendemain même du congrès, Pavageau s’adressait au gouvernement : « Si vous voulez que les choses se
tassent, vous gelez la réforme et vous reprenez le dialogue, vous prenez le
temps »... « Il paraît
qu’il y a une réunion la semaine prochaine, le 7, à Matignon. À ma
connaissance, ni la fédération FO des cheminots ni la confédération n’ont été
invitées ». Prendre le temps de la réforme, c’est le contraire d’en
demander le retrait. Et la demande d’invitation du gouvernement – demande
finalement exaucée d’ailleurs – c’est le contraire de la rupture avec lui. De
ce point de vue, rien de nouveau sous le soleil !
...et la manifestation du 1er
Mai
Le
second évènement, c’est ce qui s’est passé dans la manifestation du 1er
Mai. L’important n’est pas dans les vitrines cassées par les quelques centaines
de « black bloc », dont tout montre qu’au milieu de jeunes révoltés
contre Macron et plus généralement l’ordre bourgeois, il y avait des flics
infiltrés, poursuivant des objectifs faciles à comprendre.
L’important
est dans le fait que plus de 14 000 manifestants avaient décidé de
manifester devant le cortège organisé par les appareils syndicaux, n’en pouvant
plus des mots d’ordre pourris de soumission au gouvernement de ces derniers, et
de leurs manifestations traîne-savates. Cela indique une défiance saine envers
les appareils syndicaux. Un regroupement de cette ampleur manifeste l’existence
d’une force qui cherche à s’exprimer en contradiction avec la politique des
appareils syndicaux, et au-delà, la recherche d’une issue politique, sans doute
confuse, mais indéniable.
« Seule la vérité est révolutionnaire »
C’est
en relation avec cette recherche que les militants regroupés autour de Combattre pour le socialisme militent pour rassembler les premiers éléments oeuvrant
à la construction d’un véritable Parti ouvrier révolutionnaire dont les
derniers événements de la lutte des classes démontrent à nouveau l’absolue
nécessité.
Il se
trouve quelques bons esprits pour dire parfois : « C’est vrai ! La politique des dirigeants n’est pas la
bonne. Mais cela ne sert à rien de le dire. La dénonciation est
contre-productive. En dénonçant les appareils dirigeants, vous démoralisez le
prolétariat ».
C’est
là une rhétorique qui n’est pas nouvelle. C’est celle des professionnels de la
capitulation politique. Il faut leur répondre que la classe ouvrière ne peut
vaincre que les yeux grands ouverts sur les obstacles qui se dressent devant
eux. On ne saurait mieux le dire que Trotsky dans sa lettre ouverte à la
rédaction de La Vérité en 1929 :
« Votre hebdomadaire s’appelle la
Vérité. On a assez abusé de ce mot, comme de tous les autres, d’ailleurs.
Néanmoins, c’est un nom bon et honnête. La vérité est toujours révolutionnaire.
Exposer aux opprimés la vérité de leur situation, c’est leur ouvrir la voie de
la révolution. Dire la vérité sur les dirigeants, c’est saper mortellement les
bases de leur pouvoir. Dire la vérité sur la bureaucratie réformiste, c’est
l’écraser dans la conscience des masses. »
Le 10 mai 2018.
●
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1 Bis Rue GUTENBERG, 93100 MONTREUIL ]