Éditorial du bulletin « Combattre pour le socialisme » n°68 (n°150 ancienne série) - 1er mars 2018 :

Destruction du statut de la Fonction publique, des régimes de retraite, de l'enseignement technique public, instauration de la sélection à l'université... :

Pour que la classe ouvrière et la jeunesse soient en mesure
d'arrêter le bras du gouvernement Macron-Philippe,
il faut agir pour imposer que soit rompue
la collaboration des directions syndicales avec lui !
Il faut agir pour la rupture du « dialogue social » et pour
la réalisation du front unique des organisations du mouvement ouvrier

 

L’éditorial de ce numéro de CPS (voir page 2) était bouclé quand a été publié, le 15 février, le « rapport » de Spinetta, ce « grand serviteur de l’État » bourgeois. Le « rapport sur l’avenir du transport ferroviaire » peut être réduit à deux points : faire disparaître le statut du personnel, exploser la SNCF, la privatiser (à l’exception ? de la holding de tête).

Le gouvernement a annoncé simultanément que des « concertations commencent le 19 février », notamment avec les « partenaires sociaux » et que « la méthode et le calendrier seront annoncés le 26 février. (…) Il y a urgence à agir ».

Si le sort du régime spécial de retraite des cheminots n’est pas abordé, c’est que Macron lui-même avait annoncé, le 1er juillet, in situ, à des employés triés, dans une rame de Tgv, que sa liquidation serait entreprise en 2018.

À cette déclaration de guerre ouverte contre les cheminots, la responsabilité des directions syndicales était de riposter, toutes affaires cessantes, en dressant dans l’unité, l’ensemble des personnels avec le mot d’ordre : Bas les pattes devant notre statut ! maintien du statut de la SNCF ! retrait du rapport Spinetta !

Les réactions des bureaux fédéraux n’ont pas tardé. Avec cette affirmation, le jour même : « C’est donc avec conviction et détermination que la Fédération CGT des cheminots abordera les rencontres prévues avec le ministère dans les jours et semaines à venir. »

Le lendemain, dans un tract CGT titré « Le 22/3/2018 : le retour des cheminots à Paris ! Manifestation nationale », le rapport Spinetta est présenté comme « la 4e mauvaise solution proposée après le projet de loi Nègre/Maurey, les assises des mobilités, le rapport Duron. Le gouvernement confirme donc sa politique anti-ferroviaire ». Quant aux annonces meurtrières de Spinetta, elles sont débitées, avec désinvolture. Par exemple : « possibilité de mettre un terme aux recrutements à statut, transférabilité des cheminots, etc. »

Et, in fine, avec un usage très appuyé du conditionnel :

« Si d’aventure, le gouvernement décidait de reprendre ses mauvaises propositions et tentait le passage en force, la Fédération CGT, avec les cheminotes et les cheminots, mettrait tout en œuvre afin d’envisager un autre avenir pour le service public ferroviaire que celui tracé par la direction de la SNCF et le gouvernement. »

Ces brefs extraits montrent que l’appareil de la CGT (idem pour les autres syndicats) prend totalement en charge la guerre ouverte par le gouvernement contre les cheminots.

Le gouvernement table sur la passivité des cheminots, étourdis, désorientés par les dures défaites [lire CPS 62-28/9/2016], en particulier depuis 2014, lors de la présentation de la « réforme ferroviaire », et par les coups de poignard dans le dos assénés par les dirigeants syndicaux : en 2014, Lepaon, secrétaire général de la CGT, militait publiquement, dans les media, au plus fort de la grève pour « tourner ». Et en 2016, après 17 jours de grèves pour beaucoup (« carrées » + » reconductibles »), les cheminots, impuissantés dans le cadre des prétendues « AG souveraines », voyaient l’appareil CGT, constatant « l’affolement d’un gouvernement aux abois » (sic !) décider « de ne pas exercer (son) droit d’opposition aux différents accords » [convention collective nationale, accord d’entreprise], en déclarant que « la stratégie de la terre brûlée n’est pas la conception CGT du syndicalisme. »

Le Pouvoir sait d’expérience que tant qu’ils ont les mains libres, les appareils ne rompront jamais avec le « dialogue social ».

Mais il n’y a pas lieu d’être optimiste pour le compte de la bourgeoisie et de leurs lieutenants ouvriers ! Les cheminots conservent une place stratégique dans la lutte des classes.

Ils savent l’impatience des groupes capitalistes de trouver de nouveaux espaces pour l’accumulation du capital avec l’ouverture totale du transport ferroviaire à la concurrence et la privatisation-éclatement-explosion de la SNCF. Le gouvernement vient une nouvelle fois de se faire l’interprète de leurs exigences, dans l’implacable langage de la comptabilité analytique : « Le coût au km en France est supérieur de 30 % à celui de nos voisins. Ce n’est plus tenable. » (la ministre Borne, JDD). En résumé, comme l’a lâché un responsable du syndicat First : si le rapport Spinetta passe, « on aura tout perdu ».

Encore faut-il que les cheminots trouvent les ressources pour aller trancher le « nœud gordien » que constitue la collaboration des appareils syndicaux traîtres aux plans meurtriers de la bourgeoisie et déployer toute la puissance dont ils disposent quand ils s’engagent unis pour la défense de leurs conditions d’existence.

 

Économie mondiale : un craquement sinistre

Lundi 5 février, la Bourse de New York a connu une brutale chute du cours des actions, le Dow Jones perdant 4,73 %. Une nouvelle rechute, le jeudi 8, faisait baisser le Dow Jones de plus de 10 % sur la semaine. Dans le même temps, Tokyo baissait de 8 %, et les Bourses européennes connaissaient une chute de moindre importance. Personne ne peut dire si le mouvement pourra, pour un temps, être enrayé ou si la situation aboutira à un véritable krach boursier. Dans tous les cas, ce mouvement baissier est d'autant plus remarquable qu'il intervient au terme d'un mouvement de hausse particulièrement important au cours de l'année 2017, où le même Dow Jones avait vu sa valeur augmenter de 25 %.

L'explication qu'en donne Le Monde a de quoi surprendre :

«Le déclencheur de ce mouvement de vente a été la publication vendredi matin par le département du travail de chiffres exceptionnellement bons pour l’emploi : non seulement l’économie américaine a créé 200 000 emplois en janvier, soit plus qu’attendu, mais surtout les salaires ont progressé au rythme annuel de 2,9 %, contre 2,5 %. Du jamais-vu depuis la fin de la récession, en juin 2009. Cette tension sur les salaires était attendue en vain depuis des années, ceux-ci ne progressant pas aux États-Unis en dépit d’un taux chômage au plus bas depuis le début du siècle (4,1 %).»

En somme, si la Bourse s'est ainsi trouvée au bord de l'effondrement, c'est que l'économie américaine se porte à merveille. Si la Bourse s'effondre, c'est parce que les bonnes nouvelles qu'elle attendait se sont confirmées... Il doit y avoir une erreur quelque part...

Mais en même temps, cette erreur comprend une part de vérité. Il est vrai que dans le système capitaliste, l'insuffisance de l'inflation contient une redoutable menace : celle de la déflation, dont les effets récessifs sont terribles. Celle-ci pousse à retarder les investissements comme les achats de consommation ; elle précipite les faillites d'entreprises incapables d'honorer le remboursement de leurs emprunts du fait de la baisse de leurs rentrées d'argent. Et c'est notamment pour conjurer le danger de déflation que les banques centrales depuis des années ont envahi le marché de liquidités par des prêts à taux nul ou très réduit. Notons en passant que cette inflation faible ne concernait que les pays capitalistes avancés, nombre de pays dominés étant au contraire en proie à une inflation accélérée, voire à une hyperinflation en particulier sur les produits de première nécessité, jetant les masses dans la misère et la famine.

Mais voilà que l'inflation repart – quoique de manière modeste – aux États-Unis, et que cette inflation tant attendue... provoque un début d'effondrement boursier avec l’évaporation en quelques jours de 1 000 milliards de capital fictif.

« L’ultime shoot avant l’overdose » (Le Monde, 30 janvier)

Pourquoi ? La politique des taux nuls ou très réduits, combinée au rachat d'obligations d'États (aux États-Unis de bons du Trésor) par les banques centrales a eu un double effet : d'une part le taux des obligations d'État a baissé, puisque les États n'étaient plus en difficulté pour les placer, d'autre part l'afflux de liquidités a alimenté une formidable spéculation sur le marché des actions, poussant à une valorisation de celles-ci sans rapport avec les bénéfices réels des entreprises.

Cette valorisation boursière peut certes avoir immédiatement un effet de croissance sur l’économie, la consommation de la bourgeoisie et petite bourgeoisie étant stimulée par les bénéfices tirés de la Bourse, mais elle est lourde de menaces. L’économie se trouve à chaque instant en danger d’explosion de bulles, faisant disparaître instantanément des masses énormes de capital fictif. La valorisation boursière ne correspond en effet à aucune création réelle de richesse, et elle menace ainsi de s’évanouir instantanément en réaction à n’importe quel événement économique ou politique (baisse de bénéfice de telle ou telle entreprise, crise politique, etc.). C’est avant la dernière secousse boursière que Le Monde du 30 janvier faisait état de ce rapport alarmant entre bénéfices des entreprises et valorisation boursière. «(Avec) l’indice de Schiller...il s’agit de prendre les cours du S&P 500 [Standard and Poors : indice boursier ndlr] - rapportés aux bénéfices moyens des dix années précédentes. Sur une longue période, il est en moyenne de 17. À la veille du Lundi noir de 1929, il était monté à 30. Actuellement nous sommes à 34,75». Et l’article d’évoquer à propos de la «politique accommodante», «l’ultime shoot avant l’overdose».

C’est la raison pour laquelle la défense des intérêts bien compris du capitalisme exige d’en finir le plus rapidement possible avec la politique dite «accommodante» des banques centrales (rachat d’obligations et autres titres, politique de taux réduits ou nuls). Mais comme le montre la récente secousse boursière, la sortie d’une telle politique n’est pas moins dangereuse. La remontée des taux d’intérêt a pour effet de raboter les profits boursiers. En augmentant le taux d’emprunt des obligations d’État, elle porte le risque d’augmenter la dette des États, qui malgré les taux bas, n’a cessé d’enfler. Elle risque aussi d’entraîner l’effondrement des obligations d’État précédentes, actuellement en cours, contractées à des taux antérieurs donc plus faibles. Dit autrement, le système capitaliste est comme un malade auquel on aurait prescrit des médicaments visant à fluidifier le sang (la politique du «quantitative easing» des banques centrales) pour éviter l’infarctus ou l’AVC. Mais il faut l’interrompre car un autre danger menace : l’hémorragie. Or l’interruption n’est pas moins dangereuse que la continuation du traitement. Au point que c’est la simple menace de l’interruption du traitement qui provoque un début d’hémorragie !

Un hommage à Marx venant d’un héraut du capital financier

Le problème de fond, c’est que, quoi qu’on fasse, le malade ne peut être rajeuni. Il est décidément au bout de son rouleau : ««La dynamique du capitalisme est aujourd’hui bien celle qu’avait prévue Karl Marx» ; tel est le titre, explicite, d’une note publiée vendredi 2 février par Natixis. Patrick Artus, son auteur, n’a rien d’un militant rouge. Responsable des études économiques de la banque, membre du Conseil d’administration de Total, c’est de l’intérieur qu’il scrute les évolutions du capitalisme. Et ce qu’il voit lui paraît d’une «logique implacable»... Il constate une «baisse de l’efficacité des entreprises des pays de l’OCDE... qui risque de réduire le rendement du capital. Deux, pour éviter ce possible recul de leurs profits, les sociétés concernées font en sorte de capter une plus grande part de la valeur ajoutée, au détriment des salariés, dont la rémunération diminue. Mais cette compression a une limite : l’impossibilité de réduire les salaires au-dessous d’un certain niveau correspondant au «salaire de subsistance». Dans un troisième temps : pour soutenir malgré tout le rendement du capital, les capitalistes recourent à la spéculation. Ils misent sur le bitcoin ou l’immobilier, les entreprises rachètent leurs propres actions, etc.» « : ainsi, via la référence à Artus, Le Monde, dont nul ne peut douter qu’il défend les rapports de production capitalistes, rend hommage à Marx.

On peut tout à fait contester à Artus comme au Monde leur «compréhension» de Marx. Par exemple, la simple comparaison entre le Bengladesh et la France montre que la définition du niveau du «salaire de subsistance» est éminemment sociale et qu’à cet égard, la bourgeoisie juge qu’elle dispose encore de larges possibilités de réduire le dit salaire... sauf si la lutte des classes le lui interdit. Mais qu’aujourd’hui le capital, faute de pouvoir se valoriser de manière satisfaisante dans la production, le fasse par un recours effréné à la spéculation est incontestable. Rien ne l’illustre davantage que les variations de valeur de ces purs produits spéculatifs que sont les «cryptomonnaies» type bitcoin. Chaque secousse boursière vient nous rappeler que le développement monstrueux de la spéculation et du capital fictif, organiquement lié au capitalisme lui-même, fait peser sur celui-ci une menace mortelle qui risque de précipiter la civilisation humaine dans l’abîme.

Ce qu’il en est réellement de la « santé » de l’économie américaine

Mais revenons-en à la thèse extravagante attribuant la crise boursière à la trop bonne santé de l’économie américaine. C’est un signe des temps qu’on puisse s’émerveiller d’une croissance annuelle annoncée à 2,3 % - dernier chiffre annoncé. Passons même sur la mesure de cette croissance qui intègre aussi bien les profits spéculatifs, que la prostitution ou le trafic de drogue. Mais il faut ajouter : la croissance américaine reste très en-deçà de celle d'avant-crise. Le cycle de croissance est certes l'un des plus longs qu'ait connus l'Amérique. Mais c'est aussi l'un des plus lents (le new médiocre de Lagarde). La croissance moyenne observée depuis 2008 dépasse à peine 2 %. Elle était de 3,6 % dans les années 1990 et d’environ 5 % dans les années 60.

Quant à la quasi-disparition du chômage annoncée (4,1 % de la population active), c’est une annonce de pure propagande. Dans le même temps, le «taux de participation», qui prend en compte cette partie grandissante de la population qui a renoncé à chercher du travail, est tombé à 62 %. Le taux de chômage réel n’a donc rien à voir avec celui qui est annoncé officiellement.

Un aspect particulièrement éclairant de l’état réel de l’économie US est le fait que non seulement la productivité ne progresse pas, mais qu’elle est même sur le point de régresser. « Sincèrement, on ne sait pas trop l'expliquer », a reconnu Janet Yellen; « certains mettent en cause les entreprises, qui ont massivement réduit leurs investissements depuis la crise. Celles-ci préfèrent embaucher de nouveaux salariés, plutôt que d'acheter des machines qui permettraient de mieux faire travailler les anciens » (Les Échos du 29 mai 2017). En réalité, Yellen fournit une explication. La réduction brutale des salaires directs ou indirects depuis 2008 s’ajoute au fait qu’aux États-Unis le mouvement vers la concentration sous forme de monopole est beaucoup plus avancé qu’en Europe. Le fouet de la concurrence joue donc moins pour pousser aux investissements. C’est un des aspects les plus typiques de la putréfaction du capitalisme dans son stade ultime : l’impérialisme.

En réalité, l’assez mince croissance américaine a des fondements totalement vermoulus : outre les profits boursiers évoqués plus haut, il faut évoquer l’énorme endettement privé et public.

En août 2017, La Tribune prévenait déjà concernant la dette des ménages : «A 12.840 milliards de dollars à la fin juin, cette dette dépasse le précédent sommet de 12.680 milliards de dollars établi à la fin du 3e trimestre 2008, indique la Fed de New York, soit au moment du déclenchement de la crise financière des subprimes. Elle est en augmentation de 114 milliards (+0,9 %) par rapport au 1er trimestre et de 15,1 % supérieure à son nadir atteint au 2e trimestre 2013.».

La comparaison avec 2008 est éclairante, lorsqu’on sait que la cause immédiate de l’effondrement de 2008 fut précisément le surendettement. Quant au déficit public, il est reparti à grande vitesse à la hausse et atteint à nouveau les 5 % du PIB.

Un bon instrument de mesure de la santé réelle de l’économie américaine est donné par la mesure du déficit du commerce extérieur. Le déficit des échanges extérieurs américains s'est creusé à 566 milliards de dollars en 2017 (+12,1 % par rapport à 2016), soit le niveau plus élevé depuis 2008. Mais cela s’inscrit dans un mouvement historique plus vaste. La balance commerciale américaine a cessé d’être excédentaire depuis 1975, et la place des USA dans l’économie mondiale n’a cessé de se rétrécir.

C’est bien comme expression de la tentative désespérée de l’impérialisme US de reconquérir la place qui était la sienne au lendemain de la Seconde Guerre mondiale qu’il faut comprendre la promotion de Trump à la présidence des États-Unis.

Trump : au terme de la fuite en avant, la catastrophe prévisible

Cette tentative prend la forme d’une fuite en avant effrénée que l’on peut appréhender sous divers aspects.

D’une part, il y a la tentative de mesures protectionnistes, tentatives plus ou moins abouties car elles se heurtent aux intérêts de certaines fractions de la bourgeoisie US elle-même, fractions qui ont tout à redouter de la remise en cause du libre-échange. Elles sont plus ou moins abouties, mais loin d’être négligeables : dénonciation de l’accord commercial transpacifique, taxation de produits chinois (panneaux solaires) ou coréens (électroménager), menaces à peine voilées contre les pays d’Europe, en premier lieu l’Allemagne, dont l’excédent commercial avec les USA est considérable, renégociation de l’ALENA (accord commercial avec le Canada et le Mexique). Un des enjeux essentiels de cette renégociation concerne l’automobile, où Trump entend imposer un pourcentage de composants US dans les véhicules importés faute de quoi ces importations seront taxées.

D’autre part, il y a l’ensemble des mesures fiscales en premier lieu la réduction massive de l’impôt sur les sociétés de près de 15 % (désormais à 21 %) qui vise à rapatrier les capitaux aux États-Unis et à donner un avantage en termes de compétitivité à l’économie US.

Enfin, il y a l’énorme augmentation du budget militaire. Le budget militaire 2019 est programmé à hauteur de 716 milliards, soit une augmentation de plus de 7 %. Cette augmentation a sans aucun doute des raisons politiques. L’impérialisme US entend faire jouer à fond sa supériorité écrasante dans ce domaine et nous rappelle à l’occasion que c’est par la guerre au bout du compte que se maintient la domination impérialiste et que se règlent les conflits inter‑impérialistes. Mais elle vise aussi à faire jouer à l’économie d’armement le rôle classique de volant d’entraînement de l’économie dans son ensemble.

Mais tant les mesures fiscales que l’augmentation astronomique du budget militaire ne peut qu’avoir comme conséquence une aggravation considérable du déficit budgétaire et de la dette, qui, elle-même, pousse à l’augmentation des taux d’intérêt sur les bons du Trésor américain.

C’est le prolétariat américain qui est invité à payer la note par la réduction massive des budgets sociaux (santé, éducation). Se trouvent donc programmées de nouvelles attaques brutales contre les maigres garanties dont il dispose en la matière.

Au bout du compte, la politique de Trump, de cavalerie financière, n’est en rien l’expression d’une économie florissante, mais tout au contraire celle d’une économie aux abois. Elle ne repousse les échéances qu’en préparant les plus grandes catastrophes pour l’avenir.

Économie française : la débandade continue

« La croissance française en nette accélération, a atteint 1,9 % en 2017. L’économie se porte mieux. Les réformes passées ont porté leurs fruits » titre Le Monde du 31 janvier. «France is back» plastronne Macron entre Versailles, où le président monarchiste reçoit le gratin du capital, et Davos.

Il en va pourtant comme dans la chanson populaire : «Tout va très bien, Madame la marquise». La suite de la chanson dit l’inverse du titre. Mis à part l’aéronautique, l’industrie militaire, celle du luxe et les vins et spiritueux, la situation est tout simplement désastreuse. C’est ce que confirme La Tribune :

« Le poids des exportations françaises de biens et services dans le total des exportations de la zone euro a légèrement reculé en 2017. Elle est passée de 13,2 % en 2016 à 12,9 % l'année dernière contre 17 % en 2000. La baisse des exportations françaises par rapport à celles de la zone euro constitue «une tendance majeure de l'économie française depuis le début des années 2000» rappellent les auteurs de l'étude. Ces derniers distinguent trois périodes : une chute brutale entre 2000 et 2007 (de 17,0  % à 14,2  %), une stabilisation autour de 14  % de 2008 à 2013, et «une nouvelle érosion depuis 2013 à un rythme plus modéré qu'au début des années 2000, mais significatif. »

Le Monde confirme : la part de la France dans les exportations mondiales est passée de 4,7 % en 2000 à 3 % aujourd’hui.

Il n’y a pas d’autre explication à la rage destructrice des acquis sociaux du gouvernement Macron-Philippe. Car il n’y a qu’une manière de tenter d’enrayer la relégation du capitalisme français sur le marché mondial : baisser le coût de la force de travail, livrer à la voracité du capital toute la part de la richesse sociale qui y échappe encore comme produit de décennies de lutte de classes du prolétariat.

Pour la classe ouvrière et la jeunesse, une offensive d’une ampleur historique

Les ordonnances Macron rentrent dans la vie. On voit les conséquences par exemple des «ruptures conventionnelles collectives» (RCC) : les quelques obligations liées à la présentation d’un «plan social» – justification «économique», obligations de reclassement, priorités en cas de réembauche, etc. disparaissent avec les RCC. Le nombre de «jours de carence» dans le cadre des RCC (nombre de jours durant lesquels, sous prétexte que le travailleur touché une prime de licenciement, il ne bénéficie pas de l’indemnité journalière de chômage) est doublé. C’est à ce procédé qu’a pu se livrer la direction de PSA avec 1300 licenciements à la clef (2200 si on compte, ce qu’il faut faire les «congés seniors») avec la signature de tous les syndicats sauf la CGT (mais avec FO).

Par ailleurs les limites considérables aux indemnités accordées au travailleur dans le cas d’un licenciement jugé abusif en prudhommes fait que deviennent pratique courante les décisions de licenciement de travailleurs jugés gênants. Le licenciement sera jugé abusif, mais le patron n’en a cure. Il peut «s’offrir» un licenciement à prix cassé.

L’offensive contre les travailleurs se poursuit. Les ordonnances n’avaient pas répondu à l’attente de la CFDT sur l’association capital-travail. La loi PACTE veut y répondre en complétant la loi travail : elle veut aller plus loin que le gaullisme n’est jamais allé. Il s’agirait qu’à terme 100 % des salariés soient intéressés aux résultats (déclaration de Lemaire). Pour cela il est prévu l’allègement des taxes sur l’intéressement. La loi PACTE aurait aussi pour fonction de pousser plus loin dans le sens de l’intégration des organisations syndicales en augmentant le nombre de représentants des personnels dans les Conseils d’administration. La CFDT joue là tout son rôle : Notat, son ex-secrétaire générale de sinistre mémoire, est en charge de la réflexion sur le rôle social de l’entreprise qui a vocation à être intégrée à la loi.

Le logement social est dans le collimateur : le siphonage de la trésorerie des bailleurs sociaux impulsé par la loi de finances sur plusieurs années par l’État vise également à les inciter à fusionner pour constituer de véritables entreprises comptant le parc HLM comme actifs. Le projet, c’est de privatiser le parc HLM comme cela a été fait en Grande-Bretagne et en Allemagne pour en finir avec les APL, avec le financement du logement social. Cette question du logement est appelée à prendre une grande importance. Il se construisait jusqu’ici, rappelons-le, près de 100 000 logements sociaux encore en France chaque année.

La «réforme de l’assurance-chômage» avance au pas de charge. Les «partenaire sociaux», dont les dirigeants syndicaux, ont siégé sans broncher depuis le 11 janvier. Le terme de la concertation est prévu le 15 février. Dans le cahier des charges accepté sans moufeter par les appareils syndicaux, l’invitation faite par Pénicaud de définir de nouvelles méthodes de flicage des chômeurs pour éviter les «abus». Par ailleurs, l’ouverture des droits aux indépendants va concerner en priorité les travailleurs des plateformes qui n’ont pas le statut de salarié. Il ne s’agit pas de commencer à en faire des salariés, mais au contraire d’inciter un maximum de chômeurs auxquels on aura mis la pression à accepter de devenir auto-entrepreneurs, sur le modèle de ce qui se passe en Allemagne (2 millions d’auto-entrepreneurs). D’ores et déjà, le nombre de micro-entreprises a augmenté de plus de 8 points en 2017. C’est carrément le statut de salarié et les droits qui vont avec qui se trouvent sur la sellette.

La «réforme de l’apprentissage». Là aussi, jusqu’au bout, les dirigeants syndicaux ont siégé de manière zélée jusqu’à la fin. Cela vaut aussi pour ceux de l’enseignement technique public (CGT, SNETAA-FO, SNUEP-FSU), alors que ladite réforme vise à porter un coup très grave, peut-être fatal, à l’enseignement technique public (voir article Enseignement dans ce numéro). Issu de cette concertation, vient de paraître le rapport Brunet qui met les points sur les i : «Les axes de réforme qui ressortent des positions exprimées par les différents acteurs de la concertation, que ce soit en plénière, en groupe de travail, en auditions ou par le biais des contributions écrites sont, dans l’ensemble, ceux qui ont fait l’objet d’un large consensus.»

Quels sont ces axes ? Toute licence est donnée en matière de création de CFA et dans la définition du contenu des certifications aux branches professionnelles. Les limitations à la surexploitation des apprentis disparaissent. Il y a donc eu «consensus» pour qu’un apprenti boulanger à 16 ans fasse 40 heures par semaine de nuit puisque désormais le travail de nuit est possible pour les apprentis et que la limitation horaire hebdomadaire passe de 35 à 40 heures.

Mais si la «réforme de l’apprentissage» concerne en premier lieu la jeunesse, elle constitue une attaque contre le prolétariat dans son ensemble en particulier à travers cette proposition : «Il semble donc opportun de supprimer la limite supérieure d’âge d’entrée en apprentissage et permettre l’usage de cette modalité de formation préparant à un diplôme ou à un titre professionnel tout au long de la vie.»

Désormais, un patron pourra donc embaucher un travailleur adulte sous forme d’un «contrat d’apprentissage» en lieu et place d’un CDI, à une rémunération largement inférieure au SMIC

La contre-réforme des retraites. Le prolétariat a subi depuis Balladur en 1993 jusqu’à 2012 avec Hollande une multitude de contre-réformes. Mais ce qui est préparé avec la concertation Delevoye - à laquelle participent tous les dirigeants syndicaux - est qualitativement différent. Jusqu’à présent, il s’agissait d’écorner le système de retraites existant : retraite par répartition, régimes spéciaux, code des pensions dans la fonction publique d’État, garanties offertes par la Caisse des retraites de Collectivités locales pour la fonction publique territoriale et hospitalière. Malgré l’amputation profonde des droits à travers les différentes contre-réformes, la base du système demeurait et constituait un point d’appui qui subsistait. Là, il s’agit de dynamiter tout le système à travers l’instauration de la retraite à points, instauration confirmée par Macron récemment. Les euros cotisés correspondent à un certain nombre de «points» et toute garantie quant au montant disparaîtrait, puisque la valeur du point dépendrait de paramètres changeants (démographie, situation économique, etc.). La contre-réforme doit être adoptée au premier semestre 2019.

la liquidation du statut des cheminots et la transformation de la SNCF en société anonyme - donc sa privatisation. Le rapport Spinetta qui le proposera doit sortir incessamment. En attendant la concertation bat son plein sur la mise en œuvre des ordonnances Macron à la SNCF.

Réforme de l’apprentissage, liquidation du bac comme premier diplôme universitaire,
sélection à l’université : liquidation du droit aux études et surexploitation

Il faut attribuer une place particulière aux attaques contre la jeunesse et l’enseignement public : les trois contre-réformes (apprentissage, contre-réforme du lycée et sélection à l’université) doivent être appréhendées comme un tout. D’un côté, réserver l’université aux enfants de la bourgeoisie ; de l’autre, liquider les diplômes nationaux et livrer la jeunesse à une surexploitation sans frein à travers la réforme de l’apprentissage. Nous renvoyons nos lecteurs à l’article consacré à cette question dans ce numéro.

Fonction publique : faire exploser les éléments constitutifs du statut général

Il faut dire sur les projets gouvernementaux de dynamitage de la Fonction publique ce qui a été dit plus haut sur les retraites. Il ne s’agit pas simplement d’une nouvelle attaque contre la Fonction publique, identique à celles qui se sont accumulées depuis 30 ans. Il s’agit de liquider les bases même du statut.

Les nouvelles mesures – là aussi soumises à la «concertation» des directions syndicales (voir plus bas) – s’inscrivent dans le cadre de CAP 2022. Il s’agit de supprimer 120 000 postes dans la Fonction publique et aussi les «agences» publiques. Pour ces dernières, on annonce la suppression d’un emploi sur 5 à Météo France par exemple. De même une restructuration meurtrière en postes se prépare à France Télévisions, au point que Mathieu Gallet, jusqu’ici président et qui pourtant avait fait ses preuves en matière de combat contre les employés lors de la grève de 2015, a été mis dehors, jugé insuffisamment zélé pour la mettre en œuvre.

Mais cela va au-delà : il ne s’agit pas seulement de supprimer des postes dans la Fonction publique, mais de liquider la Fonction publique elle-même à travers les garanties essentielles attachées à son statut :

généralisation du recrutement sur la base de contrats de droit privé. C’est la logique qui a prévalu à France Télécom. Dans un premier temps, subsisteraient des fonctionnaires à côté de travailleurs sous statut de droit privé, les premiers ayant progressivement vocation à disparaître au profit des seconds

possibilité de «départs volontaires». Il est inutile de commenter le sens que prend ici le mot «volontaire», puisque le départ volontaire (sans guillemet) existait jusqu’alors sous la forme de la possibilité de démission. Donc il s’agit en réalité de licenciements

salaire au mérite, autrement dit individualisation des rémunérations et liquidation de la grille des salaires : cette dernière mesure s’inscrit dans la nouvelle gestion des affectations, les «managers» ayant la main sur les affectations et mutations. Ce principe a été réaffirmé récemment avec force par Blanquer à l’Assemblée nationale à propos de la nomination des enseignants par les chefs d’établissement qui est dans les tuyaux

cette «nouvelle gestion» va de pair avec la mise au rencart des commissions paritaires nationales qui avaient précisément pour fonction de vérifier la juste application du statut (mutations, promotions) au profit d’un «dialogue social décentralisé», instrument de la pulvérisation des statuts nationaux, et où les représentants syndicaux, cessant d’être les défenseurs des garanties collectives des fonctionnaires, deviennent les «co-acteurs» de la politique du gouvernement. C’est l’application à la Fonction publique des ordonnances Macron.

La loi de programmation militaire prévoit une augmentation vertigineuse du budget militaire

Toutefois, il est un secteur qui échappe à l’écrémage des postes et aux restrictions budgétaires : celui de l’armement. «La première séquence va de 2019 à 2023 : le budget annuel du ministère atteindra alors 44 milliards d’euros, contre 34,2 aujourd’hui (ndlr : soit une augmentation de près de 29 %)... le budget augmentera de 1,7 milliards par an» nous dit Le Monde du 9 février. Des perspectives plus radieuses encore sont annoncées après 2023, où «la loi de Finances prévoira une augmentation du budget des armées de 3 milliards par an». En la matière, derrière le géant Trump, le nain Macron avance aussi vite que lui permettent ses petites jambes. Tous les secteurs vont être généreusement arrosés (armée de terre, marine, aviation, force nucléaire). Mais il faut accorder une mention particulière à l’implantation des bases militaires en Afrique dont on nous annonce qu’elles «seront renforcées». C’est de la défense de l’impérialisme français qu’il s’agit, bien mal en point malgré tous les efforts. Au Mali, la situation est redevenue tout aussi chaotique qu’elle l’était avant l’» opération Barkhane », malgré la présence de milliers de soldats français. Idem en République centrafricaine. Dans les deux cas, la tentative d’édifier des états stables et fiables du point de vue de l’impérialisme est à vrai dire un échec piteux.

Notons-le au passage : cette augmentation ne trouve pas grâce aux yeux de Mélenchon qui la juge fort insuffisante. Dans son blog où, par ailleurs, il déplore le fait qu’«une certaine hollandisation du pétulant Macronisme semble s’installer [et que] sur tous les sujets surgis dans l’actualité, une gélatineuse inaction semble s’être étendu.»(sic), Mélenchon s’en prend particulièrement à l’insuffisance du budget militaire : « Ils [les députés de LFI] ont dénoncé le manque de moyen pour l’armée et la faible vision stratégique du pouvoir macroniste. Ils ont notamment expliqué que 60 % de la hausse de budget prévue se ferait… après la fin du mandat d’Emmanuel Macron ! »

Renforcement de l’état policier et chasse aux migrants

L’augmentation du budget militaire est un aspect du renforcement de l’état militaro-policier opéré par le gouvernement Macron-Philippe. Un autre aspect est la constitution de la «police de sécurité quotidienne» annoncée par Collomb qui vise notamment à renforcer la police dans les quartiers populaires, au moment où la diffusion de la vidéo filmant le viol de Théo montre le rôle qu’elle y joue. À ce propos, ceux qui ont vu cette vidéo apprécieront le rôle des «expertises» commandées par la justice aux ordres, dont l’une a jugé que le coup de matraque ayant provoqué une déchirure du canal excréteur de 10 cm avait été administré «selon les règles de l’art».

Le même Collomb se signale par un activisme de tous les instants contre les migrants. Dans quelques semaines, la loi anti-immigrés sera présentée au Parlement : réduction des délais pour l’étude des dossiers de demande d’asile, réduction des délais dans la procédure d’appel (15 jours alors qu’il faut un mois pour obtenir un rendez-vous en préfecture : c’est à ce genre de raffinement que l’on reconnaît l’«humanisme» de ceux qui gouvernent); par contre, augmentation du séjour légal en camp de rétention. Cette loi est une machine à expulser en masse. Elle se met en place avec le silence complice total des dirigeants du mouvement ouvrier. On lira dans la rubrique «Les militants interviennent», à titre d’exemple, l’intervention de notre camarade au conseil national de la FSU, en défense des migrants et pour le retrait du projet de loi. L’appareil dirigeant de la FSU, ne se distinguant en cela en rien de celui de la CGT et de FO, a rejeté la motion en ce sens. Les appareils dirigeants entendent bien ne rien faire qui fasse obstacle à l’adoption de cette loi scélérate !

Il faut placer sous la même rubrique la création de 1 100 postes de surveillants de prison. À ce propos disons-le : honte à ceux qui, jusque dans les rangs de «l’extrême gauche», mettent sur le même plan la grève des surveillants de prison – agents de la répression de l’État bourgeois au même titre que les militaires et les flics – et celle des personnels des EPHAD qui combattent pour pouvoir soigner les personnes âgées  dans des conditions décentes ! Et honte aux dirigeants des confédérations ouvrières qui, non seulement acceptent de syndiquer ces corps anti-ouvriers, mais qui en rajoutent sur l’exigence de : plus de prison ! plus de quartiers de haute sécurité ! plus de mesures de répression !

À travers la concertation, les dirigeants syndicaux
prêts à accompagner le gouvernement jusqu’en enfer !

Non, n’en déplaise à Mélenchon, ce qui caractérise le gouvernement Macron-Philippe ce n’est pas la «gélatineuse inaction», cest au contraire la frénésie anti-ouvrière de tous les instants.

Mais au regard de cette frénésie anti-ouvrière, il est légitime de se poser la question : pourquoi la réaction de la classe ouvrière et de la jeunesse demeure-t-elle aussi limitée à cette étape ?

Il faut répondre sans barguigner à cette question, à l’inverse de tous ceux qui, pratiquant l’auto-intoxication avec ferveur, voient des «luttes» et des grèves partout !

Les militants regroupés autour de Combattre pour le socialisme ne doutent pas du fait qu’au bout du compte surgira le prolétariat en défense de ses conditions d’existence. Trotsky nous le rappelle dans la préface à l’Histoire de la Révolution russe : «Les masses se mettent en révolution non point avec un plan tout fait de transformation sociale, mais dans l'âpre sentiment de ne pouvoir tolérer plus longtemps l'ancien régime.

Et il écrit quelques lignes plus haut :  « Les idées et les rapports sociaux restent chroniquement en retard sur les nouvelles circonstances objectives, jusqu'au moment où celles-ci s'abattent en cataclysme

L’ensemble des mesures du gouvernement Macron est en train de faire disparaître le cadre politique du rapport entre les classes hérité du «compromis de 45». Les termes de ce compromis étaient les suivants : pour éviter de tout perdre – c’est-à-dire le pouvoir – la bourgeoisie française avait dû faire de très larges concessions au prolétariat : Sécurité sociale, statut général de la Fonction publique, logement social, enseignement technique public, etc.

Aujourd’hui, toutes ces conquêtes sont méthodiquement liquidées par le gouvernement. Il s’agit donc bien, pour reprendre Trotsky, de «nouvelles circonstances objectives». Mais à ce jour, «les idées et les rapports sociaux restent chroniquement en retard sur les nouvelles circonstances objectives».

Un des éléments – lié à d’autres (voir plus bas) – décisifs de ce «retard», c’est la politique des appareils dirigeants, en particulier des appareils syndicaux. Se manifeste sous nos yeux cette loi historique : plus violente est l’offensive de la bourgeoisie contre les masses, plus étroite est la collaboration des appareils syndicaux avec la bourgeoisie et le gouvernement. Ce n’est pas là une loi spécifiquement française. Le dirigeant de l’AFL CIO, Trumka, donne ainsi aux États-Unis sa bénédiction à Trump dont on apprend qu’il est sur la voie d’une politique… favorable aux travailleurs : « L’annonce du retrait des États-Unis du TPP (traité transpacifique) et de la volonté de renégocier l’Alena est une première étape importante vers une politique commerciale qui œuvre pour les travailleurs ». Quant aux dirigeants de la DGB en Allemagne, nous renvoyons à l’article dans ce numéro de CPS qui lui est consacré illustratif de la même loi.

Que cette collaboration soit pour les appareils syndicaux parfois difficile et même pénible, c’est ce dont se plaint dans une sorte de «cri du cœur » Groison dans une interview à l’AEF le 22 janvier :

«En ce début de quinquennat, j’ai alerté le gouvernement à tous les niveaux sur le fait que le dialogue social commençait très mal concernant la Fonction publique. Les clignotants sont au rouge. Si l’on continue comme cela, une distance risque de se créer entre les agents vis-à-vis non seulement des organisations syndicales mais aussi vis-à-vis du gouvernement (souligné par nous) et des responsables des administrations avec pour conséquence un repli professionnel de la part de certains agents qui n’attendront plus rien ni des uns ni des autres.»

Pénible, mais inéluctable. L’appareil syndical est un appareil bourgeois à la tête d’une organisation ouvrière. Il est organiquement lié à la bourgeoisie, à ses objectifs, à son gouvernement. Il a stricto sensu partie liée avec eux ! Il doit assumer coûte que coûte le rôle que ceux-ci lui assignent. C’est ce dont témoigne le propos de Groison qui évoque comme un risque commun le danger de la distance vis-à-vis du gouvernement et des appareils syndicaux.

Il faut donc «faire le boulot» jusqu’au bout. Mailly, que la bourgeoisie n’autorise plus à poser en «opposant» comme il le faisait encore sur la loi El Khomri, le dit sans ambages (dépêche AFP du 5 février) à propos de la réforme-destruction de la Fonction publique :

«Plan de départ volontaires, rémunérations au mérite, évolution des services : «ce sont des têtes de gondole (sic) a dit Jean Claude Mailly sur Radio Classique ajoutant qu’avec neuf mois de concertation, cela a le temps d’évoluer.»

Tout y est : l’invitation à considérer que les attaques destructrices du statut ne doivent pas être prises au sérieux mais un simple exercice de communication (des «têtes de gondole»), et surtout l’affirmation que tout cela va évoluer avec la concertation (à l’image sans doute de l’«évolution» des ordonnances Macron !).

La direction de la CGT n’est pas en reste. S’agissant de la contre-réforme des retraites, la direction de l’UFSE CGT (Union fédérale des syndicats de l’État) écrit par exemple : «Dans un premier temps (elle) prend au sérieux l’engagement du gouvernement d’avoir une large séquence de diagnostic et de concertation avant négociation» . Il est vrai que la direction de la CGT vient opportunément de faire ressortir son mot d’ordre de «maison commune des retraites» qui, au moment où le gouvernement entend faire sauter tous les régimes particuliers avec les garanties afférentes (et notamment le code des pensions de la Fonction publique), est une véritable perche tendue au gouvernement Macron pour la réalisation de son objectif d’un régime commun de retraite par points.

L’autre face de la collaboration : journées d’action et division

Le complément de la concertation – collaboration, c’est l’organisation des journées d’action. Le plus souvent, et pour faire bonne mesure, celles-ci sont appelées dans la division : un jour les uns, un autre les autres. Les enseignants, étudiants et lycéens en ont fait l’amère expérience avec les journées d’action disloquées du 1er et du 6 février (voir article enseignement) dont les initiateurs annoncent imperturbablement et contre toute évidence qu’elles furent des «succès».

Cette division, les travailleurs de Carrefour confrontés à un plan officiel de 2 100 suppressions d’emploi – en réalité beaucoup plus, le sort d’autres employés étant suspendu à la vente aléatoire de magasins à des repreneurs qui, en tout état de cause, commencent par dénoncer la convention collective – la vivent dramatiquement.

Les grèves locales, parfois massivement suivies jusqu’à 80 %, montraient la disponibilité des travailleurs à s’engager sur le terrain de la grève générale pour l’annulation du plan de licenciements et l’appel à tous les travailleurs pour un rassemblement au siège central pour l’exiger. Mais la politique des appareils syndicaux tourne le dos à cette perspective. Le 5 février, la direction de la CGT organisait une petite opération dans le style des «opérations spectaculaires» habituelles avec 200 membres au Carrefour de Montreuil, en face du local confédéral avec Martinez en tête et une poignée de permanents. Quant à FO, il appelait à la grève le 8, sur l’objectif… d’une bonne négociation du plan de licenciement «dossier par dossier», comme l’indiquait Europe 1 le 25 janvier :

«Dejan Terglav (dirigeant FO Carrefour) lors d'une entrevue mercredi avec Alexandre Bompard : «Je lui ai dit que je n'acceptais pas», a déclaré Dejan Terglav à l'AFP. FO, qui a appelé à la grève et à un rassemblement devant le siège de Carrefour à Massy, dans l'Essonne, le 8 février, «maintient sa mobilisation», a ajouté Dejan Terglav qui a porté deux demandes : «que tout soit mis sur la table au comité de groupe» vendredi, et que l'on prenne «dossier par dossier», avec des négociations «véritables, transparentes et complètes».

Même si fondamentalement, la grève du 30 janvier dans les EPHAD relève de la même politique, elle s’en distingue par le fait que, appelée par l’ensemble des organisations syndicales, et au vu de la situation insupportable des personnels, elle a été relativement suivie. Les travailleurs du secteur sont en particulier confrontés au plan Buzyn, qui consiste à dépouiller les EPHAD publics, les seuls accessibles aux travailleurs retraités, et encore à la condition qu’ils bénéficient d’une retraite convenable, au profit des EPHAD privées appartenant à des grands groupes financiers (Korian, Orpea, etc.). Il faut préciser que ces dernières accueillent les personnes âgées pour des sommes mensuelles astronomiques (entre 3000 et 4000 euros, voire davantage !) ce qui fait de ce secteur un de ceux où le retour sur investissement est le plus juteux pour les actionnaires. S’il est vrai que la plateforme syndicale contient un certain nombre de revendications, quoique formulées de manière très générale, s’agissant des postes, du réemploi des contrats aides, etc., à aucun moment, elle ne pose le problème de l’affrontement avec le gouvernement, faisant au contraire de la réception des syndicats par Macron... la revendication centrale.

La journée d’action Fonction publique du 22 mars
dans le cadre de la concertation pour la liquidation du statut

Une autre journée d’action est prévue le 22 mars dans la Fonction publique. On peut faire à ce propos une première réflexion. Une première journée d’action a eu lieu en octobre dernier. Sans que ce soit un raz-de-marée, elle avait été relativement suivie. À l’évidence, non seulement elle n’a pas suffi à arrêter le bras du gouvernement, mais (voir plus haut) celui-ci a décidé d’amplifier encore l’offensive contre les fonctionnaires. N’importe lequel d’entre eux ne pourra manquer de se poser la question : pourquoi ce qui n’a abouti à rien en octobre, aurait de meilleurs résultats en mars ? A cet égard, il faut le remarquer – c’est notamment la leçon de la faible participation à la grève du 6 février en lycée : le scepticisme, pour ne pas dire le rejet des «journées d’action», est de plus en plus ample dans le prolétariat.

Mais il y a plus. Le gouvernement vient d’annoncer qu’il allait faire exploser sur le statut de la Fonction publique une véritable bombe nucléaire. Or ce qui caractérise l’appel des fédérations de fonctionnaires, c’est qu’il parle... d’autre chose :

 «Parce que la Fonction publique est garante de l’intérêt général au service de la cohésion sociale, parce que les moyens existent pour mettre en œuvre des orientations de progrès social pour tous, les organisations syndicales CFTC CGC CGT FAFP FO FSU Solidaires, constatant que leurs positions ne sont pas entendues et que leurs propositions ne sont pas prises en compte, appellent tou.te.s les agent.e.s des trois versants de la Fonction publique à :

une journée de grève et de manifestations le 22 mars 2018

Pour :

- Une négociation salariale immédiate pour le dégel de la valeur du point d’indice, le rattrapage des pertes subies et l’augmentation du pouvoir d’achat ;

 - L’arrêt des suppressions d’emplois et les créations statutaires dans les nombreux services qui en ont besoin et non un plan destiné à accompagner de nouvelles et massives suppressions ;

- Un nouveau plan de titularisation des contractuel.le.s, de nouvelles mesures pour combattre la précarité et non pour favoriser son extension comme le préconise le gouvernement ;

- Des dispositions exigeantes pour faire respecter l’égalité professionnelle ;

- L’abrogation du jour de carence

- La défense et la pérennisation du système de retraite par répartition et des régimes particuliers»

L’oubli de ce qui devrait être le mot d’ordre central : défense inconditionnel du statut ! Retrait du projet Philippe de réforme destruction de celui-ci, n’a rien de fortuit. Dans le même temps, le 12 février, la concertation en effet a commencé. La revue Acteurs publics précise :

“Plus appréhendables et plus lisibles” selon les termes d’Olivier Dussopt rapportés par les représentants du personnel, les questions de la simplification du paysage des instances de dialogue social ainsi que de l’élargissement du recours à la contractualisation seront abordées dès ce premier semestre, avec un relevé de conclusions probable d’ici l’été. Les discussions concernant la plus grande individualisation des rémunérations et le renforcement de l’accompagnement des agents pendant leur carrière (qui comprend notamment la négociation de plans de départs volontaires) seront quant à elles remises à plus tard.»

Le cadre est donc clair et précis. Aucun dirigeant syndical ne peut plus longtemps faire croire qu’ils participent pour défendre les revendications du personnel, selon l’argumentaire habituellement fourni. D’ailleurs les dirigeants syndicaux ne peuvent même plus le cacher :

“À part peut-être pour changer quelques virgules, nous avons d’ores et déjà l’impression qu’il n’y aura pas de véritable place laissée à la discussion, l’essentiel étant déjà tranché par le gouvernement”, estime Jean-Marc Canon, de la CGT, rejoint par Denis Turbet-Delof, pour qui l’exécutif “refusera sans aucun doute une réelle négociation”.

Et pourtant aucun d’entre eux ne fait même mine de quitter la table : la concertation jusqu’en enfer...

Une redoutable absence de perspective politique

Nous interrogions plus haut : «au regard de cette frénésie anti-ouvrière, il est légitime de se poser la question : pourquoi la réaction de la classe ouvrière et de la jeunesse demeure-t-elle aussi limitée à cette étape ?»

La politique des dirigeants syndicaux paralysant le prolétariat par le «dialogue social» constitue un premier élément de réponse. Un autre est constitué par l’absence de perspective politique. Cette absence de perspective n’est pas là non plus spécifiquement française et ne remonte pas à hier ! C’est un des apports fondamentaux de Stéphane Just au marxisme d’avoir mis en évidence dès 1997 les conséquences pour le prolétariat mondial du rétablissement du capitalisme en Russie. Pour la grande masse des travailleurs, la perspective du socialisme s’en trouvait durablement enfouie, le désarroi politique imprimait durablement sa marque sur la lutte des classes (nous invitons nos lecteurs à prendre connaissance sur notre site du texte adopté en 1997, Une nouvelle perspective, qui établit ce diagnostic).

Approfondissant ce cadre général, en France, la quasi-disparition du PS et du PCF, en l’absence de tout regroupement d’importance sur le terrain de la construction du Parti ouvrier révolutionnaire, loin d’ouvrir au prolétariat un avenir radieux, constitue un élément d’aggravation de son désarroi. Le PS et le PCF ont mille fois trahi les intérêts ouvriers, sans compter leur participation directe à l’oppression sanglante des peuples dominés de l’ancien empire colonial français. Mais ils ont pendant des décennies constitué les seuls instruments dont disposait le prolétariat pour chasser les partis bourgeois du pouvoir.

Ils sont à l’agonie, comme en témoigne le résultat des élections partielles. Dans le territoire de Belfort, il n’y avait pas de candidat du PCF. Le candidat du PS réalise le score dérisoire de 2,6 % des votants et de 0,76 % des inscrits (dans une situation où l’abstention dépasse les 70 %). Dans le Val-d’Oise (près de 80 % d’abstentions), le PS réalise 6,88 % des votants et 1,40 % des inscrits ; le PCF 1,97 % des votants et 0,40 % des inscrits !

Par ailleurs, ces élections sont marquées par la défaite des candidats macronistes par rapport aux candidats LR. Cela montre que malgré les ralliements ou demi-ralliements à Macron de quelques dirigeants gaullistes notoires (Juppé notamment), la constitution d’un mouvement bonapartiste autour de Macron qui suppose la mise à mort du parti bonapartiste historique de la Ve République (LR héritier de l’UMP, du RPR, de l’UNR) ne sera pas facile. Mais du point de vue du prolétariat, faut-il le rappeler, la victoire de LR c’est la victoire d’un parti qui réclame plus de suppressions de postes de fonctionnaires, plus de flics, plus de sélection à l’université, etc.

Dans ces conditions les congrès du PS et du PCF qui s’annoncent promettent de s’apparenter sinon à des rituels funéraires, du moins à des réunions de famille autour de l’agonisant.

Comment pourrait-il en être autrement ? Le PCF se déchire entre ceux qui, pour conserver les quelques positions électorales du PCF, proposent le ralliement à Mélenchon, et ceux qui s’y refusent. Aucune de ces deux voies ne peut éviter d’ailleurs l’issue fatale historiquement inscrite dans la liquidation de l’URSS.

Quant au PS, toute sa politique est depuis un an celle du soutien honteux à Macron. On en trouve une dernière illustration avec cette prise de position de la représentante du PS au Sénat s’agissant de la loi Vidal de sélection à l’université, Sylvie Robert : « Nous sommes opposés à toute idée de sélection, qu'elle soit sauvage, institutionnelle ou déguisée (…) Nous ne pouvons qu'approuver le dispositif d'accompagnement et les parcours individuels mis en place (…) mais les mesures d'accompagnement nécessitent des moyens financiers ». Peut-on concevoir pire soutien au gouvernement ?

Dans ces conditions, du point de vue des travailleurs, il n’y a pas le moindre enjeu à l’élection du premier secrétaire dont le favori, Faure – anecdote significative et grotesque à la fois – a dû faire démissionner en urgence sa femme... d’un cabinet ministériel !

Agir inlassablement pour la rupture des organisations du mouvement ouvrier
avec la bourgeoisie et son gouvernement

Rosa Luxemburg, qui ne détestait pas avoir recours à la maxime philosophique, disait : « Il faut travailler et faire ce que l’on peut... On ne rend pas la vie meilleure en étant amer ».

La maxime pour les militants révolutionnaires aujourd’hui ne serait pas de mauvais conseil !

Ce qui est sur le devant de la scène, c’est l’avancée qui semble irrésistible du gouvernement sur le chemin des contre-réformes, laminant des décennies de conquêtes ouvrières. Ce qui est sur le devant de la scène, c’est la honteuse collaboration des appareils syndicaux à cette marche en avant.

La situation n’est peut-être pourtant pas pour la bourgeoisie aussi stable qu’elle semble. Non seulement parce qu’elle n’a résolu aucune des contradictions qui ont abouti au krach de 2008, mais qu’au contraire, comme le montre le début de cet article, les expédients auxquels elle a recours ne font qu’accumuler des explosifs pour les temps qui viennent. Mais aussi parce qu’inéluctablement, sans qu’on puisse en prévoir les délais et les formes, le prolétariat et la jeunesse sont amenés à surgir à leur tour sur le devant de la scène. Et c’est pour cette raison et aucune autre que le gouvernement a un besoin aussi vital de la collaboration des appareils dirigeants du mouvement ouvrier via le dialogue social.

« Travailler et faire ce que l’on peut », c’est aujourd’hui agir pour regrouper travailleurs et militants pour la rupture de ce dialogue social. C’est proposer les perspectives permettant aux travailleurs, aux jeunes de prendre en main eux-mêmes le combat centralisé contre le gouvernement Macron-Philippe. Dans ce numéro de CPS, au travers des interventions militantes dans les différents secteurs, on peut voir qu’à l’échelle de leurs forces, les militants regroupés autour de Combattre pour le socialisme œuvrent dans ce sens. C’est la seule manière aujourd’hui de contribuer à la préparation politique des affrontements à venir. C’est la seule manière d’œuvrer à la construction du Parti ouvrier révolutionnaire, de l’Internationale ouvrière révolutionnaire.

Nous invitons nos lecteurs à s’associer à ce combat.

 

 

Le 14 février 2018

 

 

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