Article paru dans le bulletin « Combattre pour le socialisme » n°68 (n°150 ancienne série) - 1er mars 2018 :

Allemagne

Vers une nouvelle grande coalition ?

 

Au moment où est bouclé cet article, le 16 février, le résultat de la consultation par correspondance des adhérents du SPD, qui doit se clore le 2 mars 2018, sur l’acceptation ou pas d’un nouveau gouvernement de grande coalition, n’est pas connu.

Schulz, les directions du SPD et de la DGB ont ouvert la voie à une nouvelle grande coalition.

Au soir des élections du 24 septembre 2018, Martin Schulz avait déclaré qu’il était hors de question que le SPD participe à un nouveau gouvernement de grande coalition.

Afin de tenter de disposer d’une majorité de députés au Bundestag, Angela Meckel a engagé des négociations avec les Verts et le FDP (vers une coalition dite Jamaïque). Du côté des Verts aucun obstacle majeur, ces derniers rendant même « un hommage appuyé à Mme Merkel qui “a toujours cherché à faire des compromis” » (Le Monde du 21/11/2017). La négociation n’a pas abouti du fait du FDP. Le 19 novembre 2017 le FDP a rompu sans espoir de retour. Le FDP représente politiquement des composantes de la bourgeoisie allemande qui veulent poursuivre et amplifier sans la moindre concession la mise en œuvre des attaques contre les masses dans la continuité de l’Agenda 2010. Par ailleurs il s’oppose à toute concession de l’impérialisme allemand vis-à-vis de l’impérialisme français (budget d’investissement pour la zone euro, fond monétaire européen : le FDP refuse tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à une « union de transferts » risquant d’aboutir, selon le chef du FDP, à « installer un pipeline d’argent de Berlin à Bruxelles » ; le FDP conteste même le projet d’une Europe de la défense, estimant que l’impérialisme allemand doit garder les mains libres).

Suite à cet échec, le SPD a pris les choses en main. Selon Le Monde du 24/11/2017 : « Le président du SPD, Martin Schulz, a entrouvert la porte à une nouvelle alliance avec les conservateurs d'Angela Merkel, acceptant finalement de parler avec sa rivale. En cas de négociations, il soumettra un éventuel accord de coalition à un référendum des membres du parti (…) « Nous sommes tombés d'accord pour accepter évidemment une invitation du président de la République à un dialogue avec d'autres partis », a-t-il déclaré vendredi, au lendemain d'une réunion de la direction du parti qui a duré huit heures. Pour justifier son changement de pied, Martin Schulz, qui subissait depuis quelques jours une pression extraordinaire, a évoqué « l'appel dramatique » aux partis politiques de la part du président de la République Frank-Walter Steinmeier » (lequel est l’un des hauts dirigeants du SPD et fut lui-même ministre des affaires étrangères dans les deux grandes coalitions dirigées par Merkel de 2005 à 2009, puis de 2013 à 2017). Sous son égide, des discussions informelles se sont engagées.

Le congrès du SPD des 7-9 décembre 2017 a donné, à une large majorité par un vote à mains levées, son feu vert pour ouvrir des négociations en vue de la constitution d’une nouvelle grande coalition. Lors de ce congrès, Schulz a été réélu président du parti avec 81,9% des voix. Dès lors, le processus des négociations officielles s’est engagé avec la CDU et la CSU. Il s’est conclu par un premier projet d’accord de principe présenté vendredi 12 janvier par le président du parti, Martin Schulz, et négocié pendant cinq jours de « discussions préliminaires » avec les conservateurs. Le congrès extraordinaire du SPD a adopté le principe d’une coalition avec Angela Merkel dans un contexte de crise (voir plus loin).

Un contrat dans la continuité de l’Agenda 2010

Le 7 février, CDU CSU et SPD sont parvenus à un accord de gouvernement. Outre les ministères qu’il détenait dans le dernier gouvernement, Affaires étrangères et Travail et affaires sociales, le SPD se verrait accorder le ministère des finances qui serait confié à Olaf Scholz « qui a été l’un des plus avocats (?) des réformes de l’ère Schröder… le contrat de coalition précise par ailleurs l’attachement à l’équilibre budgétaire » (Le Monde du 9/02/2018). Cela cadre les « concessions » très limitées qui auraient été obtenues en matière de santé, d’éducation, de politique de la famille. En ce qui concerne les retraites, « la « GroKo » s’engage à maintenir le niveau des pensions à 48 % du salaire moyen d’ici à 2025. Les cotisations ne doivent pas dépasser 20 %. Une commission des retraites doit se pencher sur « la stabilisation » à long terme » des cotisations et du niveau des retraites après 2025 (…) Le SPD a imposé un encadrement plus strict des CDD » (Les Echos du 8/02/2018).

Le contrat prévoir un renforcement de l’état policier : « Outre la création de 15.000 nouveaux postes dans les « autorités de sécurité » de l’Etat fédéral et des Länder, l’Union et le SPD veulent créer 6.000 nouveaux postes dans la justice. Les partis veulent introduire la vidéosurveillance dans les zones sensibles, et mettre en place des « normes communes » régissant la lutte contre le terrorisme dans l’ensemble du pays » (Les Echos du 8/02/2018). En ce qui concerne l’accueil des réfugiés, la CSU a obtenu gains de cause : « le nombre de ceux qui arriveront en Allemagne ne devra pas dépasser la fourchette annuelle de 180.000 à 220.000. Le regroupement familial des réfugiés qui bénéficient de la « protection subsidiaire » – une protection temporaire – reste en suspens jusqu’au 31 juillet. À partir du 1er août, il sera limité à 1.000 personnes par mois » (Les Echos du 8/02/2018). C’est en réalité ce qui est nécessaire au patronat pour ajuster ses besoins en termes de main-d’œuvre, compte tenu que les expulsions de ceux jugés inaptes deviennent massives.

Enfin, l’un des grands axes de bataille de Schulz pour justifier les avancées obtenues est la politique en matière européenne. Selon lui : « La “solidarité”, la “répartition équitable des fruits de la prospérité” et même “des moyens budgétaires spécifiques qui servent à la stabilisation économique, la convergence sociale et au soutien de réformes structurelles dans la zone euro » (Les Echos du 8/02/2018). Le Monde du 8/02/2018 commente à propos de l’accord : « S’il commence en effet par un chapitre intitulé “un sursaut pour l’Europe”, où est notamment envisagé un “ budget d’investissement pour la zone euro”, ce qu’il prévoit ne marque pas une réelle rupture avec la politique du gouvernement sortant, ce qui est au fond assez logique dans la mesure où le SPD en faisait déjà partie ».

Incontestablement, le virement à 180 degrés de Schulz a conduit à une crise sans précédent au sein du SPD (voir plus loin). Mais il faut aussi noter que l’accord ne fait pas l’unanimité au sein de la CSU, dont un congrès extraordinaire, prévu le 26 février prochain, promet d’être houleux. Merkel et Schulz ont justifié le contrat en évoquant la nécessité de faire barrage au « populisme ». En quelque sorte, le front républicain à l’allemande. Des composantes de la CSU, telles celles représentant les PME, et des cercles dirigeants du patronat du BDA (le MEDEF allemand), déplorant l’octroi du ministère des finances au SPD, se sont indignées contre « ce gouvernement offert au SPD en cadeau ». Certains remettent en question le leadership de Merkel et posent ouvertement la question de sa succession à court terme.

Les élections du 24 septembre 2017

Replacées dans leur contexte depuis 1949, les élections au Bundestag ont donné les résultats suivants.

 

Année

Participation

Résultats en % d’exprimés

 

 

SPD

Kpd

Verts

CDU/CSU

FDP

Ext.dr

Autres

1949

78,5%

29,2%

5,7%

 

31,0%

11,9%

1,8%

20,4%

1953

85,8%

28,8%

2,2%

 

45,2%

9,5%

1,1%

13,2%

1957

87,8%

31,8%

 

 

50,2%

7,7%

1,0%

9,3%

1961

87,7%

36,2%

 

 

45,3%

12,8%

0,8%

4,9%

1965

86,8%

39,3%

 

 

47,6%

9,5%

2,0%

1,6%

1969

86,7%

42,7%

 

 

46,1%

5,8%

4,3%

1,1%

1972

91,1%

45,8%

 

 

44,9%

8,4%

0,9%

 

1976

90,7%

42,6%

 

 

48,6%

7,9%

0,9%

 

1980

88,7%

42,9%

 

1,5%

44,5%

10,6%

0,5%

 

1983

89,1%

38,2%

 

5,6%

48,8%

7,0%

0,4%

 

1987

84,3%

37,0%

 

8,3%

44,3%

9,1%

1,3%

 

 

 

 

PDS

 

 

 

 

 

1990

77,8%

33,5%

2,4%

5,0%

43,8%

11,0%

2,1%

2,2%

1994

79,0%

36,4%

4,4%

7,3%

41,4%

6,9%

1,8%

1,8%

1998

82,2%

40,9%

5,1%

6,7%

35,1%

6,2%

3,3%

2,7%

2002

79,1%

38,5%

4,0%

8,6%

38,5%

7,4%

1,0%

2,0%

 

 

 

D.LIN

 

 

 

 

 

2005

77,5%

34,2%

8,7%

8,1%

35,2%

9,8%

1,4%

1,6%

2009

70,8%

27,9%

11,9%

10,7%

33,8%

14,6%

1,8%

4,1%

 

 

 

 

 

 

 

+AfD

 

2013

71,5%

25,5%

8,6%

8,4%

41,5%

4,8%

6,0%

4,0%

2017

76,2%

20,5%

9,2%

8,9%

32,9%

10,7%

12,6%

5,0%

 

En comparaison avec les élections de 2013, l’évolution est la suivante : CDU/CSU 33 % (-8,5%), SPD 20,5 % (-5,2%), Alternative pour l'Allemagne (AfD) 12,6 % (+7,9%), FDP 10,7 % (+5,9%), Die Linke: 9,2 % (+0,6) ; Verts 8,9 % (+0,5).

La CDU/CSU perd 8,5%. Une partie significative de son électorat en 2013 est revenue au bercail du FDP (311 sièges en 2013, 246 en 2017).

Le FDP renaît de ses cendres. En 2013, n’atteignant pas la barre des 5%, il avait été éliminé d’une représentation au Bundestag (pas de sièges en 2013, 80 en 2017). Il ne faut pas se méprendre sur la nature du FDP, présenté gentiment comme un parti « libéral »… en oubliant qu’il a combattu pendant des années après-guerre pour l’amnistie des patrons et du personnel politique impliqués dans le régime nazi.

Un fait est la percée de l’AfD qui obtient près de 5,9 millions de voix en siphonnant la quasi-totalité de l’électorat du NPD, Parti national-démocrate d’Allemagne, ouvertement néonazi (pas de sièges en 2013, 94 en 2017). Dans les 5 länder issus de la RDA, elle obtient 22,6 % des exprimés et 16,5% des inscrits. En Saxe, elle arrive en tête avec plus de 27 % des exprimés (CSU/CDU 26,9 %). C’est dans ce Land que se sont multipliées les agressions racistes contre les migrants, en particulier à l’initiative de l’organisation néonazi Pediga qui avait réuni des dizaines de milliers de manifestants à Dresde en 2014-2015. Dans les 11 autres Länder qui constituaient la RFA, elle obtient 10,7% des exprimés et 8,8% des inscrits. L’un de ses dirigeants, Gauland, réclamait pour les Allemands, le 2 septembre 2017, « le droit d’être fiers des performances » (...) « de leurs soldats pendant la Seconde Guerre mondiale… » C’est une organisation raciste et xénophobe qui a mené une campagne contre l’ « islamisation » de l’Allemagne, pour la sortie progressive de l’Euro. Pourtant, les Länder concernés n’ont reçu qu’une infime partie des « migrants ». Il faut surtout souligner que les masses de ces Länder ont subi lors de la réunification des dizaines de milliers de licenciements du fait de la liquidation des entreprises d’Etat. Des dizaines de milliers d’ouvriers et d’employés ont été mis à la porte et le taux de chômage est le double de celui de toute l’Allemagne (selon les chiffres officiels, voir plus loin).

C’est aussi dans les Länder de l’Est que Die Linke réalise ses meilleurs scores (60 sièges en 2013, 64 en 2017). Dans les 5 Länder issus de la RDA, il obtient 16,9% des exprimés et 12,3% des inscrits. Dans les 11 autres Länder qui constituaient la RFA, il obtient 7,2% des exprimés et seulement 5,5% des inscrits. Il faut rappeler que Die Linke ne peut être considéré comme un parti issu du mouvement ouvrier. Il est l’héritier du PDS (Parti du socialisme démocratique) fondé en 1989, issu directement du SED (Parti socialiste unifié d’Allemagne) qui fut en RDA, purement et simplement, le parti créé par la bureaucratie stalinienne, un instrument de la dictature qu’elle exerçait sur les masses. Le PDS a intégré en 2007 le WASG - l’Alternative électorale travail et justice sociale – qui regroupait des militants de l’ « extrême gauche » et une poignée de membres du SPD qui l’ont quitté en 2005 avec Oscar Lafontaine en désaccord avec Schroeder (voir CPS n°77 ancienne série, avril 1998). Die Linke (La Gauche) reste marginale dans les Länder de l’ancienne RFA. C’est la politique du SPD qui explique la survivance au plan électoral de Die Linke, héritier du PDS lui-même héritier du SED.

Les Verts est un parti bourgeois (62 sièges en 2013, 66 en 2017). De 1998 à 2005, ils ont fait partie des gouvernements de la coalition « rouge-verte » qui a engagé une offensive sans précédent contre les acquis du prolétariat allemand. A titre d’illustration, ils sont restés plus que discrets sur le « dieselgate », le plus grand scandale industriel qu’ait connu l’Allemagne depuis 1945. Le Monde explique : « Le fait que la seule région qu’ils dirigent soit le Bade-Wurtemberg, fief de Daimler (propriétaire de Mercedes) n’y est pas étranger » [coalition avec la CDU dans ce Land]. Les Verts participent à des gouvernements de coalition dans 9 Länder.

C’est une défaite du prolétariat sur le terrain des élections : seul le SPD (193 sièges en 2013, 153 en 2017) peut être considéré comme parti rattaché historiquement au mouvement ouvrier. 

Effondrement historique du SPD

Depuis 1949, l’évolution des scores électoraux du SPD sont les suivants, sans oublier que les élections de 1987 sont les dernières avant la réunification. Le corps électoral est passé de 45,3 millions en 1987 à 60,4 millions en 1990. En 2017, le nombre d’inscrits était de 61,7 millions.

 

Année

Participation

Voix proportionnelles

% des inscrits

% des exprimés

Sièges/total sièges

Évolution en sièges

1949

78,50%

6 934 975

22,90%

29,20%

131 / 402

 

1953

85,80%

7 944 943

24,70%

28,80%

162 / 509

+ 31

1957

87,80%

11 875 339

34,90%

39,70%

181 / 519

+ 19

1961

87,70%

11 427 355

31,70%

36,20%

203 / 521

+ 22

1965

86,80%

12 813 186

34,10%

39,30%

217 / 518

+ 14

1969

86,70%

14 065 716

37,00%

42,70%

237 / 518

+ 20

1972

91,10%

17 175 169

41,70%

45,80%

242 / 518

+ 5

1976

90,70%

16 099 019

38,60%

42,60%

224 / 518

- 18

1980

88,70%

16 260 677

38,00%

42,90%

218 / 497

- 6

1983

89,10%

14 865 807

34,00%

38,20%

193 / 498

- 25

1987

84,30%

14 025 763

31,20%

37,00%

186 / 497

- 7

1990

77,80%

15 545 366

26,10%

33,50%

239 / 662

+ 53

1994

79,00%

17 140 354

28,80%

36,40%

252 / 672

+ 13

1998

82,20%

20 181 269

33,60%

40,90%

298 / 669

+ 46

2002

79,10%

18 484 560

30,50%

38,50%

251 / 603

- 47

2005

77,70%

16 194 665

26,50%

34,20%

222 / 614

- 29

2009

70,80%

9 988 843

16,30%

23,00%

146 / 620

-76

2013

71,50%

11 247 283

18,40%

25,70%

193 / 631

+ 47

2017

76,20%

9 538 367

15,60%

20,50%

153 / 709

- 40

 

De toutes les élections depuis la réunification, c’est en 1998 que le SPD a réalisé le score le plus élevé. Les masses avaient massivement voté pour le SPD afin de chasser Kohl et la coalition CDU/CSU-FDP. La participation avait atteint un sommet (82,20%).

Dans les Länder de l’ex-RFA, le SPD obtenait 42,5% des exprimés (35,1% des inscrits). Fait notoire dans les Länder de l’ex-RDA, le SPD obtenait 35,1% des exprimés (27,9% des inscrits). Au Bundestag, le SPD occupait 44,5% des sièges. Il faut rappeler que le vote SPD en 1998 était lui-même inférieur aux suffrages obtenus avant 1983 dans l’ex-RFA : 42,7% des exprimés en 1969, 45,8% en 1972, 42,6% en 1976 et 42,9% en 1980, alors que la participation était supérieure (jusqu’à 91,1% en 1972).

En 1998 puis en 2002, sous la conduite de Schröder, le SPD a constitué des gouvernements de coalition avec les Verts pour disposer d’une majorité au Bundestag, mais surtout pour faire barrage aux revendications des masses et engager « l’Agenda 2010 », un programme de remise cause de tous les acquis fondamentaux du prolétariat et de la jeunesse (voir plus loin).

En 2005 puis en 2013, le SPD a constitué avec le CDU/CSU des gouvernements de grande coalition, gouvernements qui ont poursuivi sans répit la mise en œuvre de l’Agenda 2010. A partir de 2005, le SPD paye le prix de la politique anti-ouvrière de Schröder (lois Hartz, l’Agenda 2010, voir plus loin) puis sa participation aux gouvernements de grande coalition de 2005 à 2009 puis de 2013 à 2017. Résultat de cette orientation, à partir de 2005, le SPD décline électoralement, avec un petit rebond en 2013, n’ayant pas participé à la coalition CDU-FDP après les élections de 2009, puis s’effondre. L’érosion des scores du SPD est continue depuis 2002. Elle subit une inflexion significative depuis 2009.

Résultats de la politique des dirigeants du SPD, en 2017, c’est une débâcle qui confirme celle de 2009 et 2013. Au plan national, le SPD n’obtient que 20,5% des exprimés (15,6% des inscrits). Dans les Länder de l’ex-RFA, il obtient 22,0% des exprimés (16,9% des inscrits). Dans les Länder de l’ex-RDA, 13,8% % des exprimés (10,1% des inscrits). En 2017, il réalise 9 538 367 voix, alors que lors des dernières élections avant la réunification, en 1987, il avait obtenu 14 025 763 voix… et alors que le corps électoral est passé de près de 46 millions à plus de 61 millions. Il réalise moins de la moitié des voix obtenues en 1998 (cf. tableau ci-dessus).

Selon Wikipédia : « Après la guerre, le SPD s'est rapidement refondé et a rassemblé les socialistes de tous bords, notamment ceux revenant d'exil et ceux ayant participé à la résistance. En 1949, le parti compte 750 000 membres, puis atteint un premier pic en 1951 avec 820 000 adhérents. Ce nombre diminue ensuite, en 1958 il n'y a plus que 590 000 personnes dans le parti. Dans les années 1960, le nombre d'adhérents croît de nouveau pour atteindre le million en 1977. Dans les années qui suivent, il commence sa lente érosion mais reste au-delà de la barre des 900 000. La réunification est suivie d'un léger regain de partisans relativement passager. La chute se poursuit par la suite : entre 1990 et 2008 le parti a perdu 400 000 adhérents. Le parti compte en mai 2011 un peu moins de 500 000 ».

Aujourd’hui le SPD compterait un peu plus de 460 000. De fait, l’orientation des dirigeants du SPD est une orientation de liquidation du SPD en tant que parti issu du mouvement ouvrier, au compte de la bourgeoisie allemande.

Développements de la crise du SPD

Lors du congrès du SPD de mars 2017, Schulz avait été élu avec 100% des voix suite au renoncement de Sigmar Gabriel, président du parti depuis 2009, vice-chancelier de Merkel depuis 2013. Schulz avait promis, sans préciser, de « corriger des dérives de l’Agenda 2010 ». Le SPD aurait alors connu une petite vague d’adhésions et aurait progressé dans les sondages de 20% à 30%, talonnant la CDU, résultat qu’il faut considérer avec précaution au regard des développements ultérieurs.

En effet, la « schulzmania », terme de la presse, s’est, semble-t-il, vite dégonflée. Lors de la campagne électorale, Schulz s’est surtout exprimé sur l’Europe, rejetant à l’arrière-plan toute remise en question sur le fond des conséquences pour les masses de l’Agenda 2010 (Le Monde indiquait en mars 2017 : « Martin Schulz n'a pas dit quel changement précis il proposerait s'il était élu - ce dont il ne doute pas -, mais il a reconnu que l'Agenda 2010 avait connu des dérives et qu'il fallait revenir dessus »). Le résultat des élections a infirmé les prévisions des sondages : une nouvelle débâcle pour le SPD.

Suite au revirement de Schulz, la direction des Jusos, l’organisation de jeunesse du SPD qui compterait 70 000 membres, a lancé une pétition intitulée NoGroKo (« non à une grande coalition »). Cette pétition a recueilli rapidement plus de 10 000 signatures début décembre. Il en est de même pour une pétition lancée par deux députés au Bundestag (Maro Bülow et Hilde Mattheis) après le 12 janvier. Lors de la préparation du congrès extraordinaire du 21 janvier, de nombreuses sections du SPD ont voté contre la « grande coalition » (à titre d’exemples, les fédérations de Berlin, de Thuringe et de Saxe-Anhalt ; dans la ville de Dortmund, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Land qui compte à lui seul un quart des adhérents du SPD, au cœur de la Ruhr, 97% des adhérents ont voté contre).

Le projet pour une nouvelle grande coalition n’a pas fait l’unanimité à la direction du SPD : le 13 janvier 2018, lors du bureau national, six des trente-quatre membres ont voté contre la poursuite de négociations sur la base du document préliminaire. Lors du congrès du 21 janvier, une opposition significative s’est exprimée : lors d’un vote à main levée, dans un climat tendu (il a été nécessaire de faire voter deux fois), les délégués n’ont approuvé la poursuite des négociations avec la CDU/CSU que par 362 voix contre 279 (soit 56,39% pour et 43,46% contre ; en décembre 2013, le congrès du SPD avait approuvé le contrat de coalition par 76% pour). Lors du dernier congrès, la direction de la DGB a dû peser de tout son poids pour le vote en faveur d’une grande coalition. Le secrétaire général de la confédération a assuré au nom des secrétaires des syndicats de branche « le soutien plein et entier » à une nouvelle grande coalition, tout en promettant « un accompagnement critique ». Mais au sein du congrès, de nombreux délégués adhérents à la DGB ont vivement contesté cette prise de position.

Sorte de coup de tonnerre, le 9 février, Schultz, celui qui avait dirigé toute la négociation avec la CDU/CSU, qui s’était vu confié le ministère des affaires étrangères dans le futur gouvernement, a décidé de renoncer à ce poste. Sa promotion au ministère des Affaires étrangères a provoqué un tollé, y compris dans son propre camp, qui lui rappela que, suite aux dernières élections, il avait déclaré ne jamais participer à un gouvernement avec Merkel. Il est accusé publiquement par Sigmar Gabriel d’avoir manœuvré pour l’éliminer du ministère qu’il détenait dans la précédente coalition.

Le 13 février, Schulz démissionnait de la présidence du SPD. La direction du SPD proposait pour le remplacer, à l’unanimité, Andréa Nahles. Mais l’affaire tourna au fiasco : n’étant pas membre de la direction, la cheffe du groupe parlementaire ne pouvait formellement pas être nommée. Plusieurs fédérations régionales du SPD demandaient alors l’annulation de la nomination, et elles obtinrent gain de cause. Olaf Scholz, qui brigue le futur ministère des finances, a été nommé président par intérim jusqu’au prochain congrès qui devrait se tenir le 22 avril 2018. Selon les derniers sondages, en cas de nouvelles élections, le SPD n’est crédité que de 16,5% des intentions de vote.

Kevin Kühnert, président des Jusos, est présenté comme le fer de lance de la résistance au sein du SPD. Mais il faut en noter les limites en termes de perspective politique. Il conteste l’accord, non sur le principe même, mais en déclarant : « Les revendications centrales du SPD sont absentes de l’accord. Il n’y a pas d’assurance santé citoyenne pour mettre fin à une médecine à deux vitesses. On ne trouve aucun signal en faveur d’une meilleure répartition des richesses par l’impôt (…) Je n’ai jamais dit que j’étais pour de nouvelles élections. Je pense que la solution d’un gouvernement conservateur minoritaire serait idéale (…) C’est pourquoi je suis favorable à ce que le SPD, dans l’opposition, passe un accord précis avec un gouvernement conservateur minoritaire que Madame Merkel pourrait former » (source Médiapart le 19/01/2018).

Du 20 février au 2 mars doit de dérouler une consultation des adhérents par correspondance. S’inspirant du mouvement qui avait vu des milliers de jeunes adhérer au Labor Party en 2016, les Jusos ont lancé un appel « entre et dis non ». Depuis le congrès de mars 2017, le SPD a gagné plus de 30 000 adhérents. Mais il faut noter que c’est en janvier, suite à l’initiative des Jusos, que le SPD a gagné plus de 24 000 adhésions. La direction du SPD s’en est fortement inquiétée. Elle a stoppé le processus en décrétant qu’il fallait avoir adhéré avant le « 5 février 18 heures » pour pouvoir voter : « Dans la mesure où les Jusos font campagne depuis quelques semaines sur le thème « Adhérez et dites non ! », les partisans d’une « grande coalition » craignent que ces nouveaux membres, qui représentent tout de même 5 % du total des adhérents, fassent pencher la balance du côté de leurs détracteurs » (Le Monde du 7/02/2018).

L’appel des Jusos a été entendu par une large couche de jeunes notamment. A défaut de tout autre alternative, existe le sentiment diffus chez nombre de travailleurs et de jeunes qu’il faut tenter de stopper le processus vers la liquidation du SPD en tant que parti issu du mouvement ouvrier et qu’une nouvelle grande coalition en constituerait une nouvelle étape.

Affaiblissement de la DGB

Du point de vue de la situation du mouvement ouvrier allemand, il faut aussi prendre en considération l’affaiblissement considérable de la DGB. Le nombre de syndiqués aurait évolué de la manière suivante, en millions : 5,4 en 1951 ; 6,37 en 1960 ; 7,88 en 1980 ; 11,8 en 1991 (suite à la réunification). Mais la chute des effectifs a été rapide : 8,6 millions en 1997 ; 6,77 millions en 2005 ; 6,1 millions en 2015. Une autre donnée est le taux de syndicalisation : 40 % au début des années 50, 30 % en 1970, 25 % en 1999, 20,7 % en 2006, 18 % en 2011, 18,1 % en 2014.

Entre 2004 et 2013, les syndicats du DGB avaient perdu 900 000 adhérents, soit 12% de leurs effectifs, une évolution qui, bien que très différente d’un syndicat à l’autre, peut tout à fait être qualifiée de dramatique. De manière générale, le taux de syndicalisation a fortement diminué depuis la réunification. La DGB a connu une perte de près de la moitié (48 %) de ses affiliés depuis son plus haut niveau de 1991, malgré l’intégration des 460 000 membres du DAG lors de la création de Ver.Di en 2001.

Le diagnostic est clair : est en cours un affaiblissement considérable de la centrale, même si elle reste à ce jour la confédération syndicale la plus puissante d’Europe. IG Metall (métallurgie, électronique, textile) compte plus de 2,2 millions d’adhérents ; Ver.Di (transports, services publics, commerce, finance, postes et les télécommunications) compte plus de 2 millions d’adhérents. Il faut ajouter les 669 000 membres, l’IGBCE, le puissant syndicat qui regroupe les travailleurs de la chimie et de l’énergie. Au total les syndicats de la DGB comptent plus de 6 millions d’adhérents.

En 1996, la DGB a connu son Bad Godesberg lors d’un congrès extraordinaire. Selon Le Monde du 16/11/1996 : « “L'économie de marché, à condition qu'elle soit socialement et écologiquement régulée, représente un progrès historique important par rapport au capitalisme débridé” : en proposant d'inscrire cette phrase dans le texte de leur nouveau programme, les dirigeants du DGB, la fédération des syndicats allemands, forte de 9 millions de membres, ont déclenché un intense débat au sein de leur mouvement. C'est la première fois que les syndicats abandonnent toute référence rhétorique à la lutte des classes et reconnaissent les vertus de l'économie de marché (…) La démarche des syndicats allemands rappelle celle du SPD en 1959 : cette année-là, le Parti social-démocrate, réuni à Bad Godesberg, avait abandonné toute référence au marxisme. A Dresde, les dirigeants syndicaux réfléchissent à une nouvelle définition de leurs objectifs. “L'Etat social n'est pas une corne d'abondance”, a ainsi reconnu Dieter Schulte, le président du DGB ».

CPS n°13 (nouvelle série), de septembre 2003, et CPS n°23 (nouvelle série), de janvier 2006 reviennent sur l’orientation des dirigeants de la DGB. En résumé, dans le processus de la réunification, ils ont totalement livré au patronat allemand le sort du prolétariat de l’Allemagne de l’Est, liquidant ses tentatives de combattre et en particulier de résister à la liquidation des centaines d’entreprises jugées « non-rentables » et aux dizaines de milliers de licenciement qui en résultaient. Aujourd’hui encore, la durée légale du travail est de 38 heures par semaine dans les 5 Länder issus de l’ex-RDA contre 35 heures pour le reste de l’Allemagne. Ils ont tout fait pour faire barrage à ce que se réalise l’unité de tout le prolétariat pour affronter et défaire Kohl. Puis, à partir de 1998, les dirigeants de la DGB ont apporté leur soutien aux gouvernements SPD-Verts, c’est-à-dire à la mise en œuvre de l’Agenda 2010. La DGB a participé aux commissions élaborant les lois Hartz. Elle a soutenu la constitution des gouvernements de grande coalition en 2005 puis en 2013, en participant directement aux négociations entre le SPD et la CSU/CDU, comme aujourd’hui.

Sur le plan politique, la DGB met en avant sa neutralité officielle et veille à ce qu’au moins l’un des membres de son comité exécutif soit issu des rangs de la CDU. On retrouve aussi quelques membres de la CDU à des postes de direction de plusieurs syndicats. Depuis 1998, la DGB se refuse à donner toute consigne de vote lors des élections à tous les niveaux (Bundestag, parlements des länder).

L’accord entre IG Metall et Gesamtmetall

En janvier dernier, lG Metall a lancé un mouvement de grèves dans la métallurgie en avançant deux revendications présentées ainsi par la presse : augmentation des salaires de 6 % et réduction du temps de travail de 35 à 28 heures. Cette initiative a été qualifiée d’ « historique » et a été saluée sans réserve par l’ « extrême gauche ». En réalité, il s’agissait d’un vaste mouvement de grèves tournantes, site par site, Land par Land, avec des arrêts de travail, voire des grèves d’un jour. La direction d’IG Metall est une habituée de cette méthode de bousille. Il s’agit d’éviter que se réalise, face au patronat, toute mobilisation générale qui dresserait comme un bloc les près de 4 millions de métallos et de travailleurs de l’électrotechnique, en fer de lance du prolétariat allemand, et que le cadre disloqué des négociations Land par Land soit maintenu.

Le 6 février, un accord a été conclu dans le Land de Bade-Wurtemberg. Le Monde du 7/02/2018 tire le bilan :

« Les rémunérations seront augmentées de 4,3 %. La durée du travail pourra être assouplie. Le syndicat IG Metall et les patrons de l'industrie allemande sont parvenus, dans la nuit de lundi 5 à mardi 6 février, à trouver un accord sur les salaires et le temps de travail, après une escalade du conflit la semaine dernière. Dans le Land de Bade-Wurtemberg, qui fait office de région pilote pour toute l'Allemagne, le syndicat a obtenu une hausse des salaires de 4,3 % ainsi que le droit pour les salariés qui le souhaitent de réduire leur semaine de travail à 28 heures. En contrepartie, les employeurs pourront demander à davantage de salariés de travailler 40 heures, contre 35 actuellement (…) La semaine dernière, à l'appel du syndicat, plus de 250 entreprises avaient organisé des grèves d'une journée entière, qui avaient touché toute l'Allemagne. Lors de la conférence de presse du groupe automobile Daimler, jeudi 1er février à Stuttgart, le PDG du groupe, Dieter Zetsche, avait appelé à trouver une " solution rapide au conflit " afin de ne pas " perturber davantage la production qui ne pourrait pas être rattrapée ", tant les moyens de production sont actuellement utilisés à leur maximum. (…). Les deux parties ont négocié une longue période de tranquillité : l'accord obtenu s'étend sur 27 mois, jusqu'au 31 mars 2020. Il prévoit une hausse substantielle des salaires, une des plus fortes jamais obtenues ces dernières années, à 4,3 %. Parallèlement, les salariés recevront des primes mensuelles (…) Le point le plus délicat des négociations – la discussion sur le temps de travail – s'est conclu dans le sens d'un renforcement de la flexibilité. Les salariés pourront, comme ils le demandaient, réduire leur temps de travail jusqu'à 28 heures par semaine sur une durée de deux ans à partir de 2019, mais, généralement, sans compensation salariale. Seules certaines catégories d'employés, ceux qui élèvent des enfants en bas âge, qui doivent s'occuper de parents âgés dépendants ou qui travaillent de manière postée, pourront demander à transformer des hausses salariales prévues en journées de congés supplémentaires.(…) Les patrons ont obtenu gain de cause sur un point important : l'assouplissement des règles sur la limitation du temps de travail à 35 heures. Elle est pratiquée dans certaines branches de l'industrie (métallurgie, électronique, etc.) depuis les accords salariaux de 1995. Tout dépassement de l'horaire hebdomadaire de travail était jusqu'ici strictement réglementé : les accords prévoyaient qu'un maximum de 18 % des salariés d'une même entreprise pouvaient travailler 40 heures par semaine. Cette limitation sera fortement assouplie. Un point important en période de carnets de commandes pleins et de difficultés pour les entreprises à trouver du personnel qualifié (…) Côté syndicat, le responsable régional d'IG Metall, Roman Zitzelsberger s'est félicité que le syndicat ait obtenu des résultats sur tous les points essentiels. "Nous avons montré que nous pouvons négocier sur des sujets difficiles de façon raisonnable, a-t-il souligné. La difficulté est maintenant d'expliquer à l'opinion publique, aux entreprises et aux salariés l'incroyable complexité de l'ensemble (…) L’accord ne vaut dans un premier temps que pour les 900 000 salariés du Land de Bade-Wurtemberg, dans le sud-ouest du pays. Mais les négociations qui y sont conclues servent en général de base aux autres régions. Ces dernières doivent conclure leur propre accord local, qui peut légèrement différer de celui obtenu mardi matin".

Le bilan est clair : les 6% n’ont pas été obtenus, alors qu’ils ne compensaient même pas les pertes de salaires subies depuis des années. Quant à la « revendication » des 28 heures, elle convient totalement au patronat de la métallurgie. Elle aboutit à généraliser à l’ensemble des métallos des accords de flexibilité conclu avec la signature d’IG Metall au niveau de grandes entreprises comme Bosch (40 000 salariés) ou encore Trumpf (11 000 salariés) : « En 2011, l’entreprise avait déjà mis en place un modèle de « travail à la carte » où les salariés peuvent choisir tous les deux ans de travailler plus (40 heures par semaine maximum) ou moins (15 heures par semaine minimum). En 2016, Trumpf a développé son modèle en proposant, dans le cadre d’un accord d’entreprise qui a reçu le feu vert d’IG Metall, d’annualiser le travail de leurs salariés, qui devront avoir réalisé 1 610 heures de travail dans l’année » (selon Médiapart du 6/02/2018).

De plus cet accord intervient à un moment opportun pour le patronat. Des attaques significatives sont engagées : licenciement à Siemens, près de 3500 en Allemagne, dans la filière énergie avec la liquidation totale de deux sites de production (Leipzig et Görlitz) et la vente du site d’Erfurt ; un plan de licenciement de 6000 personnes dans la filiale éolienne, Gamesa. De son côté, General Electric annonce un plan de 12 000  licenciements, dont une partie en Allemagne. A ce stade IG Metall « gronde ». Selon Le Monde, « IG Metall a jugé plus généralement « irresponsable » de mettre à la porte des milliers d'employés alors que le groupe affiche des résultats positifs et s'était engagé au nom de la célèbre « Mitbestimmung » allemande - le principe de cogestion direction/salariés - à consulter les employés pour tout futur plan de licenciement ». En clair, IG Metall est prête à collaborer à la mise en œuvre des plans.

« L’enfer du miracle allemand »

C’est ainsi que Le Monde diplomatique (septembre 2017) fait un état de la situation des masses en Allemagne. De ce point de vue, on ne peut pas sans exagérer parler de « misère du prolétariat allemand ». Néanmoins, il faut rappeler l’ampleur des coups subits depuis près de 20 ans.

Les « activités atypiques », les contrats d’activité réduite (ou « mini-jobs »), les temps partiels de moins de vingt heures par semaine, les intérimaires et les travailleurs indépendants concernent quelque 7,7 millions de personnes, soit 21 % de la population au travail (hors formation), un pourcentage resté constant ces dernières années.

Les lois de libéralisation du droit du travail, dites lois Hartz, adoptées entre 2003 et 2005, ont contribué mécaniquement à faire baisser le taux de chômage officiel (il serait de moins de 5% aujourd’hui) grâce à un ensemble de mesures : augmentation de la pression sur les chômeurs, création de contrats d’activité réduite (ou « mini-jobs »), développement de l’intérim et assouplissement des conditions d’embauche et de licenciement.

Les « mini-jobs » comme job d’appoint à 450 euros par mois, en complément d’un contrat à durée indéterminée faiblement rémunéré, se sont ainsi multipliés ces dernières années. Selon l’institut Enzo Weber, 2,7 millions de personnes sont actuellement dans cette situation, contre 1,3 million en 2003.

11% des retraités allemands sont obligés de travailler (la retraite moyenne est de 1100 euros par mois contre actuellement 1370 euros en France).

La chasse aux chômeurs est organisée d’une manière systématique. Le Monde diplomatique de septembre 2017, indique : « Baptisé du nom de son concepteur, M. Peter Hartz, ancien directeur du personnel de Volkswagen, le quatrième et dernier volet de ces réformes fusionne les aides sociales et les indemnités des chômeurs de longue durée (sans emploi depuis plus d’un an) en une allocation forfaitaire unique, versée par le jobcenter. Le montant étriqué de cette enveloppe — 409 euros par mois en 2017 pour une personne seule est censé motiver l’allocataire, rebaptisé « client », à trouver ou à reprendre au plus vite un emploi, aussi mal rémunéré et peu conforme à ses attentes ou à ses compétences soit-il. Son attribution est conditionnée à un régime de contrôle parmi les plus coercitifs d’Europe. Fin 2016, le filet Hartz IV englobait près de 6 millions de personnes, dont 2,6 millions de chômeurs officiels, 1,7 million de non officiels sortis des statistiques par la trappe des « dispositifs d’activation » (formations, « coaching », jobs à 1 euro, mini-jobs, etc.) et 1,6 million d’enfants d’allocataires (…) En 2005, on pouvait lire dans une brochure du ministère de l’économie, préfacée par le ministre Wolfgang Clement (SPD) et intitulée « Priorité aux personnes honnêtes. Contre les abus, les fraudes et le self-service dans l’État social » : « Les biologistes s’accordent à utiliser le terme “parasites” pour désigner les organismes qui subviennent à leurs besoins alimentaires aux dépens d’autres êtres vivants ». Selon le Monde diplomatique, plus d’un million de sanctions ont été prononcées en 2016.

Il faut ajouter le passage à l’âge de la retraite à 67 ans, décidé en 2005, la réduction de la durée des allocations chômage de 32 à 24 mois, le blocage généralisé des salaires : entre 2000 et 2013, les salaires bruts effectifs ont reculé de 0,7 pour cent, la DGB ayant soutenu une politique de modération sous prétexte de donner la priorité au maintien de l’emploi, etc.

L’arnaque du salaire minimum : l’une des conditions posée par le SPD, soutenue par la DGB, à l’accord pour une nouvelle grande coalition en 2013, était l’instauration d’un salaire minimum (pour la petite histoire, la DGB y a été opposée pendant des années car elle aurait entravé, selon elle, les possibilités de négociation des conventions collectives). Ce salaire minimum a pris effet en janvier 2015. Il a été fixé à 8,5 euros de l’heure (réactualisé à 8,84 début 2017). Une commission paritaire gérant le système statuera en 2018 sur une nouvelle augmentation, pour une application au 1er janvier 2019. A partir de 2015, la mise en œuvre comprenait une période transitoire jusqu’en janvier 2018 permettant à un grand nombre d’entreprises de ne pas appliquer. De plus, les possibilités de déroger sont multiples (chômeurs de longue durée pendant les 6 premiers mois d’emploi, salariés travaillant dans des secteurs prévoyant une période transitoire d’adaptation – livreurs de journaux, intérim, industrie de la viande, coiffure, agriculture, textile, blanchisserie, apprentis… non-application pour les migrants en cours de « formation » dans les entreprises). Les conventions collectives négociées peuvent toujours y déroger.

Il faut ajouter que les possibilités élargies de déroger aux conventions collectives se sont généralisées. Ainsi par exemple, selon un sondage d’IG Metall, environ un tiers des salariés de la métallurgie et de l’industrie électrotechnique sont des travailleurs intérimaires ou employés sous contrat d’entreprise hors convention collective.

Les conventions collectives ont cessé de s’appliquer avec une force évidente ; ce n’est plus briser un tabou que de s’en écarter. Le patronat et les dirigeants syndicaux eux-mêmes, via toute une gamme de clauses d’ouverture et de détresse, ont créé des possibilités de dérogation par rapport aux minima conventionnels (…) dans toutes les branches. S’y ajoute le nombre croissant de “pactes pour l’emploi” signés au niveau des entreprises. Avec ou sans l’accord des acteurs de branche, ils suspendent des acquis conventionnels en échange de promesses d’investissement et/ou de garanties de préservation de l’emploi pour une durée déterminée. Les clauses de détresse et d’ouverture semblent désormais faire partie intégrante du paysage conventionnel, tout comme les pactes locaux pour l’emploi. Mais il ne faut pas oublier les transgressions plus ou moins tacites des conventions collectives, en dehors de toute négociation ou tout accord, qui constituent probablement le gros des déviations. Une donnée fournit par Le Monde : moins de 50 % des travailleurs allemands travaillent dans des entreprises dont leur statut est régi par des conventions collectives, ce qui est par ailleurs un facteur objectif d’affaiblissement de la DGB.

L’accueil de centaines de milliers de « migrants » de 2015 à 2017 ne procède pas de l’altruisme. Il s’agissait de mettre à disposition des patrons, compte tenu du vieillissement de la population, une main-d’œuvre corvéable à merci ne jouissant d’aucun droit et permettant une pression à l’embauche sur l’ensemble du prolétariat. D’ailleurs, pour le capitalisme allemand, les quotas ont été atteints. S’engage une politique massive d’expulsion de tous les « migrants » considérés comme inaptes au travail et à l’intégration.

Il faut ajouter l’aggravation des lois antigrèves. Adoptée en 2015, la loi Nahles, ministre du Travail au sein du gouvernement de coalition et aujourd’hui présidente du groupe SPD au Bundestag, loi adoptée avec le « soutien critique » de la DGB, vise légalement à permettre de substituer au droit de grève le « partenariat social » (droit de grève déjà considérablement remis en cause depuis des décennies : par exemple, il faut le rappeler, les fonctionnaires qui se mettent en grève sont de fait hors la loi).

Place de l’impérialisme allemand

Si l’on se réfère au bilan 2017 en termes de PIB, le classement est le suivant (en milliards de dollars) : Etats-Unis 19 377, Chine 12 362, Japon 5 106, Allemagne 3 619, Royaume-Uni 2 610, France 2 570.

Mais un tel classement ne reflète pas la réalité des rapports politiques et économiques entre l’impérialisme américain, le capitalisme chinois, l’impérialisme japonais et l’impérialisme allemand.

L’impérialisme allemand occupe une place particulière. En 2017, l’Allemagne s’est classée comme le pays ayant le plus grand excédent commercial au monde, devant la Chine. Sur onze mois, les exportations ont atteint près de 1 200 milliards d’euros et la balance commerciale est excédentaire de près de 230 milliards d’euros. L’Allemagne est le troisième exportateur et importateur mondial, derrière la Chine et les Etats-Unis, mais devant le Japon. Selon les données 2016, la Chine est au premier rang, soit une part de 14 %, devant les États-Unis, 9 %, l’Allemagne, 8 %, le Japon 4 %, et les Pays-Bas, 3 %. 80% des exportations sont constitués par des produits industriels. L’Allemagne est le seul pays européen à tirer profit du libre-échange avec la Chine, avec une balance commerciale positive.

Au sein de l’Union européenne, le capitalisme allemand occupe une position dominante avec 19,1% du PIB, 22,8% des exportations intra UE, 28,7 % des exportations hors UE. Avec la réunification, elle a quasiment annexé les pays du centre et de l’est de l’Europe (après avoir quasiment annexé l’Autriche), où elle dispose de près de 40 % de parts de marché, avec une seule exception, la Pologne. Dans les rapports commerciaux avec les USA, selon les données 2016, le classement des pays exportateurs vers ce pays est le suivant : Chine 21,4%, Mexique 13,2% Canada 12,6%, Japon 6,0%, Allemagne 5,2%. Pour ce qui concerne les rapports avec l’UE, toujours en 2016, le déficit des USA a atteint 146,3 milliards de dollars, l’Allemagne représentant à elle seule 45 % (64,9 milliards de dollars).

Au plan intérieur, pour la quatrième année consécutive, les comptes publics (budgets de l’Etat fédéral, des länder, des communes et des administrations de sécurité sociale) affiche un excédent : 38,4 milliards d’euros en 2017 (1,2% du PIB) avec une nouvelle progression par rapport à 2016 (25,7 milliards d’euros, soit 0,8 % du PIB). La dette publique allemande n’atteindrait « que » 68,1% du PIB en 2017, soit environ 2300 milliards de dollars. Elle est en diminution depuis 2010, où elle avait atteint un sommet avec 80% du PIB. L’objectif pour 2018 est de 62,8% du PIB.

Mais au-delà des performances économiques, il faut aussi considérer les rapports politiques. Tirant un bilan politique de la réunification, CPS n° 54 ancienne série, de septembre 1994, indiquait :

« Dès avant 1989, l'Allemagne était la principale puissance économique et financière de la CEE. Libéré désormais des entraves politiques limitant depuis la fin de la IIe guerre mondiale sa capacité d'action politique, digérant (difficilement) l'ex-RDA, ayant d'ores et déjà établi les bases de son nouvel expansionnisme dans les pays de l’Europe centrale et de l'Est (pays de la CEI compris), occupant une position centrale sur le continent européen - l'impérialisme allemand est maintenant la puissance prépondérante en Europe. Il est devenu après la dislocation de l'URSS, la troisième, sinon la deuxième puissance dans le monde, derrière les USA, après ou avant le Japon » [ndlr : en 1994 la place du capitalisme chinois ne se posait pas dans les termes d’aujourd’hui].

CPS n° 77 ancienne série, d’avril 1999, confirmait cette appréciation :

« Aussi coûteuse qu'ait été la réunification, son résultat est que l'impérialisme allemand n'est plus le ‘nain politique’ subissant l’ordre de Yalta et de Postdam. Il l'a manifesté rapidement en impulsant et soutenant la dislocation de la Yougoslavie (indépendance de la Slovénie et de la Croatie) en se dressant contre les intérêts des impérialismes américain, anglais mais surtout français dans cette région. Aujourd’hui, il participe à une guerre formellement pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale ».

Parce qu’il est la puissance prépondérante dans la vielle Europe, économiquement et politiquement, l’impérialisme allemand s’affirme comme l’impérialisme en mesure de contester la place de l’impérialisme américain. Au dernier sommet de Davos, au-delà des discours lénifiants de Macron, Le Monde du 26/01/2018 relève : « La chancelière allemande, Angela Merkel, elle,[souligné par nous ndlr] a attaqué d’emblée, sans s’embarrasser de circonvolutions. Elle a évoqué ses difficultés de politique intérieure et « le poison du populisme de droite », pour dire que « le repli sur soi ne résoudra pas nos problèmes : la réponse n’est pas dans le protectionnisme ». C’est de fait une mise en garde à l’adresse de Trump.

Par ailleurs, lors de ce sommet « Merkel a salué comme « très importante » la création du Fonds européen de défense, car l’Europe avait l’habitude de « se reposer sur les Etats-Unis ». « Mais à présent que les Etats-Unis se concentrent sur eux-mêmes, a-t-elle ajouté, nous devons prendre notre destin entre nos mains » (Le Monde du 26/01/2018).

De ce point de vue, l’impérialisme allemand manœuvre pour le moyen terme. Par ce biais, il s’agit de s’affirmer comme puissance militaire et justifier ses dépenses en matière d’armement. Car dans les faits, l’impérialisme allemand se réarme. Le budget allemand de la défense devrait passer de près de 32 milliards en 2011 à plus de 39 milliards d'euros en 2020. En 2017, le budget de la défense allemand a fait un bond important : il a augmenté de plus de 2,7 milliards d'euros par rapport à celui de 2016, passant de 34,287 milliards d’euros à 37,005 milliards d'euros, soit une croissance de 7,3%. La hausse des crédits d'équipement est quant à elle estimée à 8,4%. Pour l’industrie allemande, aucun marché ne doit échapper, d’autant que les dépenses militaires jouent un rôle de plus en plus important comme volant d’entraînement de l’économie. Ainsi peut-on lire pour 2017 : « S'agissant des exportations, les États-Unis conservent la tête du classement avec 33% de parts de marché, devant la Russie 23%, la Chine 6,2%, et la France 6,0%, l'Allemagne 5,6% ». L’Allemagne talonne la France. Peu à peu, le char Léopard supplante le char Leclerc (avec un aplomb incroyable le gouvernement allemand s’est « ému » de l’utilisation par Erdogan des chars Léopard dans l’offensive contre les Kurdes). Durant la dernière législature (2013-2017), les exportations d’armes de l’Allemagne ont progressé de 20 % par rapport à la législature précédente (2009-2013).

Misère politique du prolétariat et de la jeunesse

Les performances du capitalisme allemand résultent en grande partie des coups portés au prolétariat et à la jeunesse depuis 1998. Ces attaques ont conduit à un abaissement considérable de la valeur de la force de travail prise dans son ensemble (salaires, retraites, accès au droit à la santé et à l’enseignement, multiplication des mini jobs, généralisation de la flexibilité, liquidation des conventions collectives, etc.). Avec les gouvernements successifs de grande coalition, les dirigeants du SPD ont réussi à réduire la classe ouvrière à l’impuissance. Il en est de même pour les dirigeants de la DGB. En particulier à partir de 2009, le prolétariat a presque totalement subi et, Sans perspective politique, il n’a pas trouvé les moyens d’opposer une résistance significative dans un quelconque secteur en imposant sa volonté aux appareils du SPD et de la DGB. Ces derniers ont livré les travailleurs et la jeunesse au patronat.

L’instauration d’une nouvelle grande coalition serait un nouveau coup de grande importance porté à l’ensemble de la classe ouvrière allemande. Elle serait un jalon pour la bourgeoisie allemande, ouvrant la voie à ce que le SPD connaisse le sort du PS en France ou du Pasok en Grèce : la liquidation en tant que parti issu du mouvement ouvrier.

Mais à cette étape, le processus de liquidation est encore inachevé, loin de là. Il est un fait : au sein du SPD et de la DGB, s’est manifestée ces derniers mois une volonté de résistance qui s’est cristallisée sur le rejet d’une nouvelle grande coalition. Combat que des militants révolutionnaires mèneraient sans condition. La résistance initiée par la direction des Jusos, mais pas seulement, en est une illustration, malgré ses limites en termes de perspectives.

Il est une illustration qu’existe potentiellement une force militante disponible pour engager le combat pour la rupture des dirigeants du SPD et de la DGB avec la bourgeoisie et ses partis, pour la défense du SPD en tant que parti issu du mouvement ouvrier. Ce mouvement indique qu’une nouvelle génération de militants issue des rangs de la classe ouvrière, mais surtout de la jeunesse, est disponible. Pour qu’elle se structure et s’organise, manque cruellement à ce stade une organisation combattant, y compris au sein du SPD, sur la perspective politique de la construction du parti révolutionnaire nécessaire à un véritable gouvernement ouvrier, un gouvernement révolutionnaire.

Le 16 février 2018

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