Article paru dans le bulletin « Combattre pour le socialisme » n° 67 (n° 149 ancienne série) - 1er décembre 2017 :

 

Palestine

Appuyé sur l’élection de Trump à la présidence américaine, le gouvernement Netanyahou à la tête de l’État d’Israël entend imposer une « résolution définitive » au « problème palestinien »

 

Au cours du mois de juillet, des manifestations palestiniennes se sont succédées aux alentours de la vieille ville de Jérusalem. Les médias ont fait grand cas des « affrontements » opposant des Palestiniens désespérés à la police et à l’armée d’Israël, et s’adonnent à leur jeu préféré, c’est-à-dire le décompte des victimes « de part et d’autre » - leur manière traditionnelle de camoufler l’affrontement inégal entre l’opprimé et l’oppresseur. La réalité est qu’il y a eu d’une part une répression méthodique et massive des Palestiniens de Jérusalem, de l’autre des actes de résistance désespérés qui soulignaient le dénuement politique, organisationnel mais aussi militaire sans précédent du peuple palestinien, face à un État sioniste mieux armé que jamais.

A l’origine de cette situation : la dernière provocation en date du premier ministre israélien Netanyahou. Ce dernier a annoncé l’installation de détecteurs de métaux à l’entrée de l’Esplanade des Mosquées à Jérusalem. Le lieu était déjà interdit d’accès aux palestiniens de moins de 50 ans depuis 2014. Cette provocation s’inscrivait donc dans une continuité : celle de la marche à l’éviction progressive des centaines de milliers d’habitants palestiniens de Jerusalem-est, marche qui s’accélère sensiblement ces derniers temps.

Israël, État colonial et raciste, revendique depuis toujours Jerusalem comme sa « capitale éternelle » en lieu et place de Tel Aviv. Le développement d’implantations juives entourées de murs et de caméras, mobilisant pour quelques poignées de familles des centaines de policiers et d’agents de sécurité privée, la dépossession progressive des habitants arabes et leur humiliation croissante par le harcèlement policier et les « checkpoints » ont conduit ces dernières années les palestiniens de Jerusalem au point de rupture : la tension est constante, les jets de pierre fréquents.

Cette provocation n’a été que la dernière d’une longue série. En septembre 2000, Ariel Sharon, boucher du peuple palestinien, était allé se pavaner sur les lieux en compagnie d’une escorte policière massive, provoquant ce qui a été appelé la « seconde Intifada ». Depuis, les « visites » régulières de colons ultra-orthodoxes sur cette Esplanade ou la construction de synagogues sur le même site se multiplient – alors que le creusement de tunnels censés révéler les vestiges d’anciens temples hébreux se développe depuis les années 90. Fin 2015 encore, ces provocations continues conduisaient de jeunes palestiniens à occuper les lieux avec des pierres pour en chasser les colons qui avaient annoncé leur « visite » sur les lieux. A chaque incident, Netanyahou prend prétexte des « affrontements » qu’il a délibérément provoqués pour intensifier la répression comme la colonisation.

Les provocations autour de l’Esplanade des Mosquées ont permis aux dirigeants de l’État d’Israël, dès l’orée des années 2000, de mettre fin au « processus de paix » tel qu’il était défini dans les accords d’Oslo/Washington et de reprendre la colonisation. Depuis, les « négociations » réouvertes périodiquement n’ont été organisés que pour ponctuer l’offensive récurrente contre le peuple palestinien et la colonisation récurrente des territoires palestiniens. Désormais, Netanyahou va encore plus loin : il s’agit désormais d’œuvrer à un « règlement » définitif de la question palestinienne, c’est-à-dire à la colonisation totale de la Palestine, à l’écrasement des palestiniens et à la liquidation de toute revendication nationale palestinienne.

Pour Trump et Netanyahou il ne doit y avoir qu’ » un seul État » : l’État sioniste

Les mots ne sont pas trop forts : c’est exactement ce que pensent et désirent les tenants de l’État d’Israël, qui ont été galvanisés par la victoire de Donald Trump aux élections présidentielles américaines. L’hebdomadaire Le Point indiquait ainsi en novembre 2016 : « Pour Israël, l’élection de Trump est une bonne nouvelle ». Les réactions des colons israéliens constituaient déjà l’annonce de plan de ce qui se déroule aujourd’hui en Palestine :

« En Israël, la droite est en fête. Avec l’élection de Donald Trump, elle peut rêver d’une victoire absolue sur les Palestiniens. Le ton est donné par Ariel Kahana, un éditorialiste du site d’information pro-colons NRG : « C’est une occasion historique qui ne se répétera pas. Si seulement nous en avons le désir, nous pourrons annexer, bâtir, imposer notre souveraineté, établir des faits accomplis (en Cisjordanie) et en finir pour toujours avec le problème palestinien. » Moins brutal, mais tout aussi clair, Naftali Bennett, le chef du Foyer juif, le parti des colons, et ministre de l’Éducation, a déclaré : « La victoire de Donald Trump est une occasion formidable pour Israël de rejeter immédiatement l’idée d’un État palestinien. » Le rabbin Yehuda Glick, député du Likoud et membre du mouvement pour la reconstruction du Temple juif, a invité le nouveau président américain à venir à Jérusalem pour visiter et prier sur le mont du Temple, qui est aussi l’esplanade des Mosquées, le troisième lieu saint de l’islam. Tzipi Hotovely, ministre déléguée aux Affaires étrangères, en a profité pour rappeler la promesse faite par le candidat républicain : celle de transférer l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem. »

Dès avant son élection, en effet, dans le cours de sa campagne électorale, Trump a donné aux partisans d’Israël l’assurance d’un soutien inconditionnel. En mars 2016, il a été ovationné par 18 000 membres du plus puissant des lobbies pro-israéliens, l’AIPAC, en s’engageant à reconnaître Jerusalem comme capitale d’Israël en lieu et place de Tel Aviv, en jurant de « démanteler l’accord catastrophique » sur le nucléaire iranien conclu sous Obama, en juillet 2015, et en promettant de relancer une offensive frontale contre l’Iran, accusé grossièrement d’être « le plus grand soutien du terrorisme dans le monde ». C’est exactement ce pour quoi les lobbies pro-israéliens et pro-saoudiens en Amérique faisaient campagne depuis des mois, avec la dernière énergie.

Quant au « règlement » du sort de la Palestine, il prônait la mise sur la touche des autres puissances impérialistes présentes à l’ONU au profit de « négociations directes » entre l’État d’Israël armé jusqu’aux dents et les pantins dérisoires de l’ » Autorité palestinienne » en lambeaux : « Laissez-moi être clair : un accord imposé par l’ONU serait un désastre complet et total. Les États-Unis doivent s’opposer à cette résolution en utilisant leur droit de véto. » On comprendrait mal ces injustes reproches à l’ONU - qui n’a jamais rien « imposé » à Israël - si on ne lisait entre les lignes le message réel de Trump : sous couvert de « négociations directes » - une revendication portée par Netanyahou depuis 2011 - Israël aura les coudées franches à un niveau sans précédent dans un « dialogue » inégal entre l’opprimé et l’oppresseur.

En février 2017, Trump recevait Netanyahou à Washington et renouvelait son soutien sans fard à l’État d’Israël : il commençait par avaliser l’installation et le plan de développement de toutes les colonies israéliennes en Cisjordanie. Il désignait son propre beau-fils, Jared Kushner – issu d’une famille d’amis personnels de Netanyahou et mécène notoire des colons sionistes en Cisjordanie – comme « négociateur » américain au Proche-Orient. Puis il indiquait la perspective : « Je regarde deux États et un État, et si Israël et les Palestiniens sont contents, je suis content avec la solution qu’ils préfèrent. Les deux me conviennent. » (Le Point, 17/2/2017). Dans de telles conditions, le message est clair : le « seul État » dont il est question, c’est l’État sioniste.

La provocation de Netanyahou est survenue moins de deux mois après la visite officielle de son “ami”, dans le cadre de sa toute première tournée diplomatique officielle: Trump était parfaitement au fait des plans de Netanyahou et leur avait donné le feu vert. Le test a été concluant: depuis, Netanyahou a validé de Nouvelles annexions de colonies, donné le feu vert au développement de Nouvelles enclaves en Cisjordanie, durci encore davantage l’accès à l’électricité et à l’eau des habitants de Gaza.

Derrière la politique de Netanyahou, il y a le vrai visage d’Israël

Depuis plus de 20 ans, Benyamin Netanyahou s’est imposé comme une figure centrale de la vie politique israélienne pourtant de plus en plus dispersée : premier ministre en 1996, ministre des Affaires Etrangères puis des Finances sous le gouvernement d’Ariel Sharon en 2002-2005, il a repris ensuite la direction du Likoud à ce dernier sur le terrain d’une orientation encore plus outrageusement favorable à la colonisation et aux opérations guerrières contre le peuple palestinien. Premier ministre depuis 2009, Netanyahou a dirigé cinq gouvernements successifs, toujours plus ancrés à droite.

S’il en est ainsi, c’est qu’il a su avec le plus grand cynisme s’appuyer sur cette idée directrice : en Israël, les élections se gagnent dans le sang palestinien. État colonial, État « juif » - c’est-à-dire excluant par définition les palestiniens -, État raciste, Israël voit dans l’essor de la colonisation et l’intensification des massacres la réponse à toutes ses difficultés.

Toute l’évolution de la vie politique en Israël depuis des décennies témoigne de la nature de cet État : le Parti Travailliste israélien, courant dominant du mouvement sioniste originel, représentait non le « prolétariat » israélien mais bien les élites ashkénazes venues d’Europe et d’Amérique. L’organisation syndicale officielle, Histadrout, a toujours été la cheville « ouvrière » du colonialisme. Mais dès les années 1970, le Likoud, appuyé sur les nouvelles vagues d’immigrants séfarades, a commencé à prendre le pas sur les Travaillistes. A la fin des années 1990, les immigrants russes ont trouvé dans Israël Beitenou leur expression politique. Plus récemment, ce sont les partis « ultra-orthodoxes » et les représentants directs des colons de Cisjordanie qui se sont taillé une place sur l’échiquier politique israélien. A chaque étape, c’est dans le sens d’une plus grande hystérie coloniale et anti-palestinienne que le paysage politique israélien a évolué : depuis 2009, le seul Likoud et les partis situés à sa « droite » sur le plan du colonialisme ont toujours raflé plus de 50% des suffrages exprimés aux élections – l’ensemble des partis israéliens adhérant de toutes manières à l’idéologie coloniale sioniste.

Depuis plus de dix ans, Netanyahou a su anticiper ces évolutions en préparant les élections par des opérations sanglantes contre le peuple palestinien : opérations « Plomb durci » de 2009 et « Bordure protectrice » en 2014, provoquant des milliers de morts et des destructions incommensurables à Gaza. En 2015, pourtant entaché par plusieurs scandales et affaires de corruption, Netanyahou a permis au Likoud d’obtenir la première place des élections législatives en termes de suffrages en promettant de s’opposer à la proclamation de tout État palestinien. Significativement, les importantes manifestations israéliennes de l’été 2011 contre le coût de la vie n’ont jamais abouti à une rupture avec le sionisme ni à la moindre remise en cause des opérations dirigées contre les masses palestiniennes.

Derrière Netanyahou, c’est tout l’État d’Israël qui aspire à en finir avec la Palestine. La politique de Netanyahou ne fait que traduire la pression de la société israélienne fondée sur la colonisation.

Le peuple palestinien plus démuni que jamais

Ce qui ressort en tout premier lieu des manifestations de cet été est que jamais, la résistance du peuple palestinien à une provocation de cette envergure n’a été en réalité aussi réduite et morcelée.

Pour l’essentiel, les manifestations palestiniennes restent sont restées circonscrites à Jérusalem. En Cisjordanie, elles se sont limitées à quelques points situés à proximité des enclaves coloniales les plus importantes (Hébron, camp de réfugiés à l’est de Jérusalem). A Gaza, où le Hamas s’est distingué au début de l’année en réprimant violemment les premières manifestations palestiniennes depuis 2011 (il s’agissait de protestations contre le manque d’électricité, chronique depuis 10 ans), le peuple palestinien est resté apathique.

A l’instar de ce qui s’est passé lors de l’ » Intifada des couteaux » de 2015-2016, au cours de laquelle des Palestiniens isolés ont fait usage d’armes de fortune contre des soldats de Tsahal ou des colons, les quelques attaques individuelles dont des colons et militaires israéliens ont fait les frais cet été – sans commune mesure avec les centaines de Palestiniens blessés ou tués par l’armée israélienne – soulignent surtout le fait que la « résistance palestinienne » a totalement disparu du paysage. Un officier israélien le déclarait nettement au journal français Libération, dans un article du 11 mars 2016 : « En tout cas, dans les camps de réfugiés, les «Tanzim» [les milices du Fatah, ndlr] astiquent leurs armes et rongent leur frein ».

Les manifestations internationales de soutien au peuple palestinien, quant à elles, sont restées très limitées.

Un peuple palestinien disloqué entre Gaza, morceaux « autonomes » de Cisjordanie, Jérusalem-est et camps de réfugiés dans les pays voisins ; politiquement et militairement désarmé, tenu en coupe réglée aussi bien par Israël que par les lambeaux d’ » Autorité palestinienne ». Voilà le bilan de la transformation, depuis des années, des organisations nationalistes palestiniennes en geôlières de leur propre peuple, sous couvert de « négociations de paix » plus chimériques que jamais.

Un recul historique du peuple palestinien

Il y a bientôt 70 ans que l’ONU donnait naissance à l’État colonial, raciste et meurtrier d’Israël, en adoptant un « plan de partage » qui octroyait 55% du territoire de la Palestine à l’ « État juif » et disloquait d’emblée l’ » État arabe » en lambeaux de territoires. Au cours des décennies précédentes, l’impérialisme anglais doté du pouvoir « mandataire » sur la Palestine, n’avait cessé d’encourager le développement des colonies sionistes en vue d’installer un « foyer national juif » (déclaration Balfour de 1917) : les colons juifs fournissaient en contrepartie une masse de manœuvre utile contre les masses palestiniennes. En 1948, l’ONU – avec le soutien décisif de Staline, qui fournit même à Israël les armes qui lui permirent de vaincre - décida d’autoriser les colons sionistes à proclamer leur État. Elle autorisait de fait l’expulsion et le massacre de centaines de milliers de Palestiniens.

Il y a exactement 50 ans, Israël infligeait une nouvelle défaite aux masses palestiniennes et aux armées des pays voisins à l’issue de la seconde guerre israélo-arabe. L’État sioniste en profitait pour procéder à de nouvelles annexions, que l’ONU avalisait aussitôt. Puis, six ans plus tard, le nouveau dictateur égyptien Sadate organisait une nouvelle guerre… qu’il était résolu à perdre pour « justifier » son rapprochement avec Washington et Israël. La réalité est que jamais les États arabes voisins n’ont réellement œuvré à soutenir ni combattu pour le peuple palestinien, dont les centaines de milliers de réfugiés sont entassés dans des camps, privés de droits. Aujourd’hui, en Jordanie, en Egypte, les régimes soumis à l’impérialisme assistent ouvertement Israël dans la répression et le refoulement des masses palestiniennes dans des ghettos invivables.

C’est la lutte révolutionnaire des masses palestiniennes, et elle seule, qui a permis que la Palestine ne soit d’emblée liquidée et engloutie. Dès lors, et pendant des décennies, cette lutte s’est située à l’avant-garde des masses de toute la région, en même temps qu’elle a constitué une épine dans le pied des puissances impérialistes et des dictateurs arabes. Le combat pour la libération de la Palestine, pour le droit au retour des millions de réfugiés, suppose d’en finir avec l’État d’Israël et, au-delà, de remettre en cause les frontières artificielles et les régimes mis en place par l’impérialisme – à commencer par celui de la Jordanie. C’est une lutte révolutionnaire, indissociable des luttes des masses de toute la région.

C’est du fait de cette lutte constante que les organisations nationalistes palestiniennes – organisations nationalistes petites-bourgeoises – se sont imposées à la tête de l’OLP, conçue à l’origine par Nasser pour placer les Palestiniens sous son contrôle. Le peuple palestinien s’est ainsi placé à l’avant-garde de toutes les luttes révolutionnaires de la région jusqu’au début des années 1990 : de l’éruption révolutionnaire en Jordanie (1970) à l’Intifada (1987) en passant par le Liban dans les années 1970. Mais en même temps qu’elles se sont heurtées à l’État d’Israël, les masses palestiniennes se sont systématiquement heurtées aux dictatures arabes voisines, aux puissances impérialistes alliées d’Israël, à l’ONU qui a donné naissance à cet État.

Puis en 1991, conforté par le rétablissement du capitalisme en Russie et la dislocation consécutive de l’ex-URSS, l’impérialisme américain organisait la guerre du Golfe – dirigée non pas contre Saddam Hussein, mais bien contre les masses de toute la région. Washington galvanisait ainsi ses alliés, à commencer par Israël, soumettait un peu plus ses affidés tels l’Egypte et la Jordanie : il infligeait dans le même mouvement un coup redoutable aux masses du Moyen-Orient, à commencer par le peuple palestinien.

C’est ainsi que, réactivant la « vieille garde » de l’OLP et du Fatah, l’impérialisme américain organisait la liquidation des conséquences de l’Intifada en faisant signer par Yasser Arafat les accords de Washington (1993) : comme nous le verrons, des accords de trahison des masses palestiniennes. Ces accords, piétinés depuis 17 ans, n’en ont pas moins parfaitement rempli leur rôle : il s’agit désormais pour l’État d’Israël de s’engager dans une nouvelle étape, en vue de tirer un trait définitif sur la Palestine, son peuple et son combat.

La Palestine en lambeaux

La carte la plus récente de l’état d’avancement de la colonisation en Cisjordanie est plus éloquente que n’importe quel discours sur la situation actuelle du peuple palestinien.

Outre la réduction des territoires sous contrôle de l’ » Autorité palestinienne » à des confettis épars, parsemés d’avant-postes israéliens et de colonies en développement, la Cisjordanie est bornée à l’Ouest par un Mur gigantesque et, à l’Est, elle est coupée de la Jordanie voisine par les zones annexées par Israël. 450 000 colons juifs seraient désormais installés sur place, contre 2,8 millions de Palestiniens.

Les accords d’Oslo/Washington distinguaient trois zones en Cisjordanie. L’interview d’un chercheur par le journal La Croix (16/2/2017) permet d’aboutir à un constat éloquent : « Depuis Oslo, la partie de la Cisjordanie contrôlée par les Palestiniens a été grignotée à un point tel qu’il ne peut pas y avoir un État palestinien viable. Selon ces accords, la Cisjordanie est découpée en trois zones : la zone A, regroupe les grandes villes sous contrôle palestinien. Elle ne recouvre que 20 % de la Cisjordanie actuelle et abrite 55 % de la population palestinienne des zones occupées. La zone B intermédiaire qui comprend des petites villes et des villages et la zone C – 62 % de la Cisjordanie –, est totalement sous contrôle israélien et très peu d’Arabes palestiniens (10 %) y vivent. La zone C est de facto annexée. Aujourd’hui, l’enjeu, ce sont les zones A et B, environ 40 % de la superficie, qui abritent près de 90 % des Palestiniens. » Dans ce sens, le gouvernement Netanyahou autorisait le 30 mars dernier la création d’une nouvelle implantation – ce serait la première depuis 1999 - pour reloger des colons « sauvages » installés auparavant sur des terres privées palestiniennes.

A Gaza, territoire infime où s’entassent 2 millions de Palestiniens, la situation est encore pire : les opérations guerrières de 2009 et 2014 ont laissé derrière elles des monceaux de ruines, laminé les infrastructures vitales – eau potable, électricité, hôpitaux, etc. Emmurée, encerclée par Tsahal mais aussi l’armée égyptienne qui soutient activement la répression israélienne, en proie à un blocus meurtrier, la population est placée sous la férule du Hamas qui, pour ne pas être reconnu officiellement par Israël, n’en impose pas moins le talon de fer aux Palestiniens pour asseoir sa « respectabilité » aux yeux des puissances impérialistes. Même les malades graves ne sont pas autorisés à sortir de ce ghetto à ciel ouvert pour recevoir les soins nécessaires et s’entassent dans des hôpitaux devenus mouroirs.

Résumons : l’immense majorité de la population palestinienne s’entasse aujourd’hui dans moins d’un cinquième du territoire de la Palestine historique, à la merci de l’État colonial.

Si, en 2015, Mahmoud Abbas s’est prêté à la mauvaise comédie consistant à supplier l’ONU de reconnaître l’ » État palestinien » - résolution rejetée – c’est bien parce que la colonisation a franchi un seuil décisif, au-delà duquel il n’est même plus possible de soutenir la fiction d’un « État palestinien » croupion.

Le « processus de paix » a parfaitement rempli son rôle

En septembre 2015, Abbas lui-même, devant l’ONU, expliquait que le « processus de paix » était mort et enterré. Évoquant l’intensification de la colonisation, il affirmait : « Nous déclarons dès lors que nous ne pouvons continuer à être engagés par ces accords et qu’Israël doit assumer toutes ses responsabilités comme puissance occupante, parce que le statu quo ne peut continuer. » (Le Monde, 30/9/2015). L’ONU a rejeté sa demande de « reconnaissance d’un “État palestinien” ». Abbas n’a pas mis fin, depuis lors et à notre connaissance, à la collaboration « sécuritaire » constante des policiers palestiniens avec Israël.

Il est important de le signifier : en réalité, la situation dramatique, insoutenable du peuple palestinien aujourd’hui ne constitue nullement un « échec » des accords d’Oslo/Washington de 1993, improprement qualifiés de « processus de paix » par les médias. Ces accords ont, au contraire, parfaitement rempli leurs objectifs réels.

Contrairement aux allégations des dirigeants de l’OLP, les textes signés par ces derniers n’incluaient pas la perspective de la reconnaissance d’un « État palestinien », mais bien la reconnaissance d’Israël comme un État « légitime » par l’OLP en contrepartie de la « reconnaissance » de l’OLP comme « interlocuteur » par Israël. Ils instituaient, pour une « période transitoire » de cinq ans, une « Autorité palestinienne » aux pouvoirs limités (les textes précisent en particulier que les colonies sionistes en Cisjordanie relèvent du seul gouvernement israélien !). En fait, le Fatah et l’OLP acceptaient de déposer les armes et d’abandonner la perspective de libération de la Palestine : ils s’engageaient à faire la police au compte d’Israël dans les maigres territoires placés sous leur contrôle. Ils troquaient en définitive leurs treillis d’opérette contre d’authentiques uniformes de gardiens de prison et quelques costumes trois-pièces.

A partir de 2000, comme ce « processus » était parvenu à son terme initial, l’État d’Israël s’appuyant sur les conséquences des provocations d’Ariel Sharon y a mis fin : les incursions militaires et massacres de Palestiniens ont repris, la colonisation de même.

Mais la soumission ad nauseam des dirigeants du Fatah et de l’OLP n’a pas cessé, au contraire : jamais ces derniers n’ont cessé d’aller ramper devant les dirigeants d’Israël pour céder toujours plus aux exigences de l’État sioniste. Ce dernier a mis les bouchées doubles pour parachever la domestication de ses anciens adversaires : arrestation de Marwan Barghouti – le dirigeant du Fatah qui était désigné par Israël comme le chef de sa branche armée – en 2002 ; mort suspecte de Yasser Arafat en 2004 ; propulsion de Mahmoud Abbas – le représentant de l’aile la plus conciliatrice - à la tête de l’OLP et du Fatah en 2005, sous la pression insistante d’Israël et des États-Unis qui sont devenus, au passage, les principaux bailleurs de fonds de Ramallah. Le Fatah a été complètement purgé, liquidé dans l’ » Autorité palestinienne ».

En 2007, le degré de putréfaction atteint par la principale organisation nationaliste palestinienne s’est manifesté à travers la perte du contrôle de Gaza : face à quelques milliers de combattants liés au Hamas, les dizaines de milliers de combattants théoriques du Fatah se sont littéralement évaporés, l’ » Autorité palestinienne » liée au Fatah s’est effondrée comme un château de cartes. Cette « Autorité » est, depuis, déchirée en deux fractions adverses. Quant aux élections qui devraient théoriquement permettre aux masses palestiniennes de désigner leurs représentants, elles ne cessent d’être « reportées » depuis des années.

Les tenants de l’État d’Israël, poussant de hauts cris d’horreur en public, s’en frottent les mains en privé : la victoire du Hamas, proclamée « entité terroriste », à Gaza autorise l’État sioniste à toutes les incursions sanglantes. Pourtant, à l’instar du Fatah, le parti islamiste n’a de cesse d’œuvrer à être « reconnu » par les puissances impérialistes, a même révisé sa Charte en ce sens et œuvre à tenir Gaza en coupe réglée.

Début octobre, Hamas et Fatah ont annoncé la conclusion d’un « accord » en vue de rétablir l’unité des lambeaux d’ « Autorité palestinienne » : qu’est-ce à dire, sinon que les uns et les autres se disposent une fois de plus à « négocier » avec Israël la poursuite de la colonisation, en même temps qu’ils s’accordent pour cadenasser par avance toute vélléité de résistance au sein des masses palestiniennes ?

Ainsi, le « processus de paix » a si bien réussi que le gouvernement israélien et Trump envisagent désormais de plus en plus ouvertement de faire table rase de toute « autonomie » palestinienne pour avancer dans le sens de sa « solution à un État ».

Les conséquences du reflux et de l’échec de la vague révolutionnaire

Significativement, c’est lors du déferlement de la vague révolutionnaire partie de Tunisie et culminant en Egypte, en 2011, que des jeunes Palestiniens ont trouvé la force de chercher une issue à l’impasse politique dans laquelle les dirigeants nationalistes petits-bourgeois les ont enfermés. En effet : dans le même temps où ils renversaient Moubarak, les masses égyptiennes revendiquaient le combat pour la libération de la Palestine, qui est un combat contre l’État d’Israël. A plusieurs reprises, de réelles actions de boycott d’Israël (notamment son approvisionnement en gaz par l’Egypte) ont eu lieu. En septembre 2011, une manifestation au Caire, balayant le barrage policier, s’en est pris à l’ambassade d’Israël.

C’est dans ces conditions qu’au printemps 2011, les rédacteurs du « Manifeste des Jeunes de Gaza » ont pu développer plusieurs manifestations qui, parties de Gaza, se sont répercutées en Cisjordanie et en Jordanie. Ces jeunes revendiquaient de l’OLP qu’elle rompe avec le cadre des accords de Washington, qu’elle renoue avec l’objectif historique de libération de la Palestine et qu’elle réunifie l’ensemble des organisations palestiniennes dans ce sens. A Gaza comme en Cisjordanie, les jeunes se sont heurtés à la répression des différents morceaux de l’ « Autorité palestinienne ».

Depuis, la vague révolutionnaire a reflué et, faute de direction révolutionnaire, elle s’est soldée partout par des échecs : la dictature militaire égyptienne a été rétablie et a même durci le talon de fer ; de manière directe ou indirecte, les puissances impérialistes ont alimenté le déferlement de la barbarie en Libye et en Syrie ; en Irak, les opérations de « guerre contre le terrorisme » ont réduit en cendres les villes de Falloujah, Ramadi et Mossoul. Notons-le par ailleurs : en Syrie, les milices liées à Daesh se gardent bien de s’en prendre aux soldats israéliens de l’autre côté du Golan (sans parler des combattants liés au Front Al Nosra qui, eux, sont directement soignés dans les hôpitaux israéliens !).

Pendant plusieurs décennies – du début des années 1970 à la signature des accords de Washington, de la révolution en Jordanie en 1970 jusqu’à l’Intifada de 1987 – le peuple palestinien s’est placé, par son combat, aux avant-postes des masses de toute la région. Depuis les lendemains de la guerre du Golfe et la signature des accords de Washington, le rapport s’est inversé : sans mobilisation internationaliste résolue en soutien aux masses palestiniennes, ces dernières ne peuvent trouver la force de reprendre leur combat.

C’est une évidence qu’après le reflux de la vague révolutionnaire de 2011, les conditions de l’offensive sont éminemment favorables à l’État d’Israël et défavorables au peuple palestinien.

L’étau des dictatures arabes

Si Trump défend la perspective d’une alliance renforcée entre Washington, Israël et l’Arabie saoudite, ce n’est pas sans raison : depuis plusieurs années maintenant, un rapprochement sensible s’est opéré entre Tel Aviv et Riyad.

La chercheuse Fatiha Dazi-Héni indique dans son livre L’Arabie saoudite en 100 questions (Tallandier, 2017 - p. 271) :

« Une campagne médiatique intense, menée en Israël, vante le rapprochement réel avec les pays du Golfe. Des rencontres d’Israéliens avec des responsables saoudiens ont lieu. Israël ouvre à Abu Dhabi sa première mission diplomatique dans le Golfe au sein de l’Irena (Agence internationale pour les énergies renouvelables) en novembre 2015. Des coopérations sécuritaires privées sont lancées avec de petits émirats.

Le Royaume, lui, souhaite rester discret. Pour s’entendre avec Israël, il mise sur ses alliés arabes qui bénéficient de son aide financière considérable et qui ont signé des traités de paix avec Israël : l’Egypte et la Jordanie. Il compte aussi sur la Turquie qui, en juin 2016, re-normalise ses relations avec Tel Aviv après six années de vives tensions.

Jamais Israël, dont le gouvernement Netanyahou, le plus à droite de l’histoire du pays, en faveur de la poursuite de la politique de colonisation des territoires palestiniens, n’a eu de relations aussi étroites avec les appareils sécuritaires et de renseignement égyptien et jordanien. La lutte coordonnée, pour contrôler les activités du Hamas palestinien et prévenir les intrusions de l’État islamique installé au Sinaï et d’autres groupes jihadistes présents en Syrie, constitue l’un des volets pivots de cette étroite coopération »

La perspective de Trump est d’avancer dans le sens d’une « normalisation » des relations israélo-arabes dans le sang des Palestiniens. La lutte en soutien au peuple palestinien est indissociable du combat contre les dictatures soumises à l’impérialisme, à commencer par le combat contre toute « normalisation » des relations israélo-arabes.

Quelques conclusions

Si favorable que soit la situation pour Trump et Netanyahou, si défavorable qu’elle soit aux masses palestiniennes, avancer dans le sens d’une « solution à un seul État » tel que Trump la présente n’est pas une mince affaire.

En dernière analyse, annexer Jérusalem pour en faire la capitale d’Israël, pousser jusqu’à son terme la colonisation de la Palestine suppose de procéder à un véritable génocide, au-delà de tous les massacres qui ont déjà été perpétrés par Israël. Cela ne pourrait être envisagé sans déstabiliser un peu plus toute la région. En réalité, cet objectif ne pourra pas être atteint.

A contrario, si désemparées que soient aujourd’hui les masses palestiniennes, et quelles que soient les difficultés auxquelles elles se heurtent, il n’est tout simplement pas possible pour elles de cesser de lutter contre la barbarie sioniste.

Mais il manque au peuple palestinien la perspective qui peut lui permettre d’avancer dans le sens de sa libération : pour en finir avec l’État d’Israël, pour une Assemblée constituante palestinienne sur tout le territoire de la Palestine garantissant le droit au retour des réfugiés, pour les États-Unis socialistes du Moyen-Orient. Il manque aux masses palestiniennes le Parti ouvrier révolutionnaire à même de défendre cette perspective : l’expérience montre que les organisations nationalistes petites-bourgeoises ne peuvent remplir ce rôle.

En-dehors de la Palestine, œuvrer réellement à soutenir le peuple palestinien commence par balayer résolument tous les bredouillages larmoyants sur le thème du « droit international » qu’il s’agirait de faire appliquer à l’ONU, les suppliques aux gouvernements impérialistes ou aux dictateurs. Seule la mobilisation internationaliste et indépendante du prolétariat et de la jeunesse peut offrir un appui aux masses palestiniennes : ce combat est aussi un combat contre les gouvernements bourgeois ou soumis à la bourgeoisie. Foin de « droit international », il faut se placer inconditionnellement aux côtés du peuple palestinien, peuple opprimé, contre l’État d’Israël, État oppresseur colonial et raciste.

Les déclarations de Trump au sujet de la Palestine démontrent objectivement que la « perspective à deux États » est un leurre. L’offensive de Netanyahou, poussé à toujours davantage d’outrance meurtrière par ses « partenaires » de gouvernement et par de larges fractions de la population israélienne elle-même, est entièrement calculée et doit être exposée comme telle : il s’agit d’aller jusqu’au bout dans la colonisation de la Palestine, le massacre du peuple palestinien.

Mais avancer comme le font aujourd’hui reste un pari risqué. Ce qui empêche le développement d’un mouvement de soutien important, c’est en dernière analyse la politique des appareils qui continueront de vouloir rester accrochés au char de « leur » impérialisme en opposant par exemple « leur » diplomatie à la politique de Trump, l’ONU à la Maison-Blanche, le prétendu « droit international » aux opérations militaires de Netanyahou, le chimérique « processus de paix » au soutien réel aux masses palestiniennes.

Il faut combattre cette politique sur l’axe stratégique du soutien inconditionnel au peuple palestinien : à bas l’État d’Israël ! Ce combat est aussi un combat contre les gouvernements des puissances impérialistes et les dictatures arabes : il implique en effet de combattre toutes les relations diplomatiques, économiques, stratégiques, etc. entre Israël et ses alliés.

 

 

Le 15 octobre 2017

 

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