Article paru dans
le bulletin « Combattre pour le socialisme » n° 67 (n° 149
ancienne série) - 1er décembre 2017 :
Palestine
Appuyé sur l’élection de Trump
à la présidence américaine, le gouvernement Netanyahou à la tête de l’État d’Israël
entend imposer une « résolution définitive » au « problème
palestinien »
Au
cours du mois de juillet, des manifestations palestiniennes se sont succédées
aux alentours de la vieille ville de Jérusalem. Les médias ont fait grand cas
des « affrontements » opposant des Palestiniens désespérés à la
police et à l’armée d’Israël, et s’adonnent à leur jeu préféré, c’est-à-dire le
décompte des victimes « de part et d’autre » - leur manière
traditionnelle de camoufler l’affrontement inégal entre l’opprimé et
l’oppresseur. La réalité est qu’il y a eu d’une part une répression méthodique
et massive des Palestiniens de Jérusalem, de l’autre des actes de résistance
désespérés qui soulignaient le dénuement politique, organisationnel mais aussi
militaire sans précédent du peuple palestinien, face à un État sioniste mieux
armé que jamais.
A l’origine
de cette situation : la dernière provocation en date du premier ministre
israélien Netanyahou. Ce dernier a annoncé l’installation de détecteurs de
métaux à l’entrée de l’Esplanade des Mosquées à Jérusalem. Le lieu était déjà
interdit d’accès aux palestiniens de moins de 50 ans depuis 2014. Cette
provocation s’inscrivait donc dans une continuité : celle de la marche à
l’éviction progressive des centaines de milliers d’habitants palestiniens de Jerusalem-est, marche qui s’accélère sensiblement ces derniers
temps.
Israël,
État colonial et raciste, revendique depuis toujours Jerusalem
comme sa « capitale éternelle » en lieu et place de Tel Aviv. Le développement d’implantations juives entourées de
murs et de caméras, mobilisant pour quelques poignées de familles des centaines
de policiers et d’agents de sécurité privée, la dépossession progressive des
habitants arabes et leur humiliation croissante par le harcèlement policier et
les « checkpoints » ont conduit ces
dernières années les palestiniens de Jerusalem au
point de rupture : la tension est constante, les jets de pierre fréquents.
Cette
provocation n’a été que la dernière d’une longue série. En septembre 2000,
Ariel Sharon, boucher du peuple palestinien, était allé se pavaner sur les
lieux en compagnie d’une escorte policière massive, provoquant ce qui a été
appelé la « seconde Intifada ». Depuis, les « visites »
régulières de colons ultra-orthodoxes sur cette Esplanade ou la construction de
synagogues sur le même site se multiplient – alors que le creusement de tunnels
censés révéler les vestiges d’anciens temples hébreux se développe depuis les
années 90. Fin 2015 encore, ces provocations continues conduisaient de jeunes
palestiniens à occuper les lieux avec des pierres pour en chasser les colons qui
avaient annoncé leur « visite » sur les lieux. A chaque incident,
Netanyahou prend prétexte des « affrontements » qu’il a délibérément
provoqués pour intensifier la répression comme la colonisation.
Les
provocations autour de l’Esplanade des Mosquées ont permis aux dirigeants de
l’État d’Israël, dès l’orée des années 2000, de mettre fin au « processus
de paix » tel qu’il était défini dans les accords d’Oslo/Washington et de
reprendre la colonisation. Depuis, les « négociations » réouvertes périodiquement n’ont été organisés que pour
ponctuer l’offensive récurrente contre le peuple palestinien et la colonisation
récurrente des territoires palestiniens. Désormais, Netanyahou va encore plus
loin : il s’agit désormais d’œuvrer à un « règlement » définitif
de la question palestinienne, c’est-à-dire à la colonisation totale de la
Palestine, à l’écrasement des palestiniens et à la liquidation de toute
revendication nationale palestinienne.
Pour Trump
et Netanyahou il ne doit y avoir qu’ » un seul État » :
l’État sioniste
Les
mots ne sont pas trop forts : c’est exactement ce que pensent et désirent
les tenants de l’État d’Israël, qui ont été galvanisés par la victoire de
Donald Trump aux élections présidentielles
américaines. L’hebdomadaire Le Point
indiquait ainsi en novembre 2016 : « Pour
Israël, l’élection de Trump est une bonne
nouvelle ». Les réactions des colons israéliens constituaient déjà
l’annonce de plan de ce qui se déroule aujourd’hui en Palestine :
« En Israël, la droite est en fête. Avec
l’élection de Donald Trump, elle peut rêver d’une
victoire absolue sur les Palestiniens. Le ton est donné par Ariel Kahana, un éditorialiste du site d’information pro-colons
NRG : « C’est une occasion historique qui ne se répétera pas. Si seulement
nous en avons le désir, nous pourrons annexer, bâtir, imposer notre
souveraineté, établir des faits accomplis (en Cisjordanie) et en finir pour
toujours avec le problème palestinien. » Moins brutal, mais tout aussi
clair, Naftali Bennett, le chef du Foyer juif, le
parti des colons, et ministre de l’Éducation, a déclaré : « La victoire de
Donald Trump est une occasion formidable pour Israël
de rejeter immédiatement l’idée d’un État palestinien. » Le rabbin Yehuda Glick, député du Likoud et
membre du mouvement pour la reconstruction du Temple juif, a invité le nouveau
président américain à venir à Jérusalem pour visiter et prier sur le mont du
Temple, qui est aussi l’esplanade des Mosquées, le troisième lieu saint de
l’islam. Tzipi Hotovely,
ministre déléguée aux Affaires étrangères, en a profité pour rappeler la
promesse faite par le candidat républicain : celle de transférer l’ambassade
des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem. »
Dès
avant son élection, en effet, dans le cours de sa campagne électorale, Trump a donné aux partisans d’Israël l’assurance d’un
soutien inconditionnel. En mars 2016, il a été ovationné par 18 000
membres du plus puissant des lobbies pro-israéliens, l’AIPAC, en s’engageant à
reconnaître Jerusalem comme capitale d’Israël en lieu
et place de Tel Aviv, en jurant de « démanteler l’accord
catastrophique » sur le nucléaire iranien conclu sous Obama, en
juillet 2015, et en promettant de relancer une offensive frontale contre
l’Iran, accusé grossièrement d’être
« le plus grand soutien du terrorisme dans le monde ». C’est exactement ce pour quoi les
lobbies pro-israéliens et pro-saoudiens en Amérique faisaient campagne depuis
des mois, avec la dernière énergie.
Quant
au « règlement » du sort de la Palestine, il prônait la mise sur la
touche des autres puissances impérialistes présentes à l’ONU au profit de
« négociations directes » entre l’État d’Israël armé jusqu’aux dents
et les pantins dérisoires de l’ » Autorité palestinienne » en
lambeaux : « Laissez-moi être
clair : un accord imposé par l’ONU serait un désastre complet et total.
Les États-Unis doivent s’opposer à cette résolution en utilisant leur droit de
véto. » On comprendrait mal ces injustes reproches à l’ONU - qui n’a
jamais rien « imposé » à Israël - si on ne lisait entre les lignes le
message réel de Trump : sous couvert de
« négociations directes » - une revendication portée par Netanyahou
depuis 2011 - Israël aura les coudées franches à un niveau sans précédent dans
un « dialogue » inégal entre l’opprimé et l’oppresseur.
En
février 2017, Trump recevait Netanyahou à Washington
et renouvelait son soutien sans fard à l’État d’Israël : il commençait par
avaliser l’installation et le plan de développement de toutes les colonies
israéliennes en Cisjordanie. Il désignait son propre beau-fils, Jared Kushner –
issu d’une famille d’amis personnels de Netanyahou et mécène notoire des colons
sionistes en Cisjordanie – comme « négociateur » américain au
Proche-Orient. Puis il indiquait la perspective : « Je regarde deux États et un État, et si Israël et les Palestiniens
sont contents, je suis content avec la solution qu’ils préfèrent. Les deux me
conviennent. » (Le Point,
17/2/2017). Dans de telles conditions, le message est clair : le
« seul État » dont il est question, c’est l’État sioniste.
La
provocation de Netanyahou est survenue moins de deux mois après la visite
officielle de son “ami”, dans le cadre de sa toute première tournée
diplomatique officielle: Trump était parfaitement au
fait des plans de Netanyahou et leur avait donné le feu vert. Le test a été
concluant: depuis, Netanyahou a validé de Nouvelles annexions de colonies,
donné le feu vert au développement de Nouvelles enclaves en Cisjordanie, durci
encore davantage l’accès à l’électricité et à l’eau des habitants de Gaza.
Derrière la politique de
Netanyahou, il y a le vrai visage d’Israël
Depuis
plus de 20 ans, Benyamin Netanyahou s’est imposé comme une figure centrale de
la vie politique israélienne pourtant de plus en plus dispersée : premier
ministre en 1996, ministre des Affaires Etrangères puis des Finances sous le
gouvernement d’Ariel Sharon en 2002-2005, il a repris ensuite la direction du
Likoud à ce dernier sur le terrain d’une orientation encore plus outrageusement
favorable à la colonisation et aux opérations guerrières contre le peuple
palestinien. Premier ministre depuis 2009, Netanyahou a dirigé cinq
gouvernements successifs, toujours plus ancrés à droite.
S’il en
est ainsi, c’est qu’il a su avec le plus grand cynisme s’appuyer sur cette idée
directrice : en Israël, les élections se gagnent dans le sang palestinien.
État colonial, État « juif » - c’est-à-dire excluant par définition
les palestiniens -, État raciste, Israël voit dans l’essor de la colonisation
et l’intensification des massacres la réponse à toutes ses difficultés.
Toute
l’évolution de la vie politique en Israël depuis des décennies témoigne de la
nature de cet État : le Parti Travailliste israélien, courant dominant du
mouvement sioniste originel, représentait non le « prolétariat »
israélien mais bien les élites ashkénazes venues d’Europe et d’Amérique.
L’organisation syndicale officielle, Histadrout, a
toujours été la cheville « ouvrière » du colonialisme. Mais dès les
années 1970, le Likoud, appuyé sur les nouvelles vagues d’immigrants séfarades,
a commencé à prendre le pas sur les Travaillistes. A la fin des années 1990,
les immigrants russes ont trouvé dans Israël Beitenou
leur expression politique. Plus récemment, ce sont les partis
« ultra-orthodoxes » et les représentants directs des colons de
Cisjordanie qui se sont taillé une place sur l’échiquier politique israélien. A
chaque étape, c’est dans le sens d’une plus grande hystérie coloniale et
anti-palestinienne que le paysage politique israélien a évolué : depuis
2009, le seul Likoud et les partis situés à sa « droite » sur le plan
du colonialisme ont toujours raflé plus de 50% des suffrages exprimés aux
élections – l’ensemble des partis israéliens adhérant de toutes manières à
l’idéologie coloniale sioniste.
Depuis
plus de dix ans, Netanyahou a su anticiper ces évolutions en préparant les
élections par des opérations sanglantes contre le peuple palestinien :
opérations « Plomb durci » de 2009 et « Bordure
protectrice » en 2014, provoquant des milliers de morts et des
destructions incommensurables à Gaza. En 2015, pourtant entaché par plusieurs
scandales et affaires de corruption, Netanyahou a permis au Likoud d’obtenir la
première place des élections législatives en termes de suffrages en promettant
de s’opposer à la proclamation de tout État palestinien. Significativement, les
importantes manifestations israéliennes de l’été 2011 contre le coût de la
vie n’ont jamais abouti à une rupture avec le sionisme ni à la moindre
remise en cause des opérations dirigées contre les masses palestiniennes.
Derrière Netanyahou, c’est tout l’État d’Israël qui
aspire à en finir avec la Palestine. La politique de Netanyahou ne fait que
traduire la pression de la société israélienne fondée sur la colonisation.
Le peuple palestinien plus démuni que jamais
Ce qui
ressort en tout premier lieu des manifestations de cet été est que jamais, la
résistance du peuple palestinien à une provocation de cette envergure n’a été
en réalité aussi réduite et morcelée.
Pour
l’essentiel, les manifestations palestiniennes restent sont restées
circonscrites à Jérusalem. En Cisjordanie, elles se sont limitées à quelques
points situés à proximité des enclaves coloniales les plus importantes (Hébron,
camp de réfugiés à l’est de Jérusalem). A Gaza, où le Hamas s’est distingué au
début de l’année en réprimant violemment les premières manifestations
palestiniennes depuis 2011 (il s’agissait de protestations contre le manque
d’électricité, chronique depuis 10 ans), le peuple palestinien est resté
apathique.
A
l’instar de ce qui s’est passé lors de l’ » Intifada des
couteaux » de 2015-2016, au cours de laquelle des Palestiniens isolés ont
fait usage d’armes de fortune contre des soldats de Tsahal ou des colons, les
quelques attaques individuelles dont des colons et militaires israéliens ont
fait les frais cet été – sans commune mesure avec les centaines de Palestiniens
blessés ou tués par l’armée israélienne – soulignent surtout le fait que la
« résistance palestinienne » a totalement disparu du paysage. Un
officier israélien le déclarait nettement au journal français Libération, dans un article du 11 mars
2016 : « En tout cas, dans les
camps de réfugiés, les «Tanzim» [les milices du
Fatah, ndlr] astiquent leurs armes et
rongent leur frein ».
Les
manifestations internationales de soutien au peuple palestinien, quant à elles,
sont restées très limitées.
Un
peuple palestinien disloqué entre Gaza, morceaux « autonomes » de
Cisjordanie, Jérusalem-est et camps de réfugiés dans les pays voisins ;
politiquement et militairement désarmé, tenu en coupe réglée aussi bien par Israël
que par les lambeaux d’ » Autorité palestinienne ». Voilà le
bilan de la transformation, depuis des années, des organisations nationalistes
palestiniennes en geôlières de leur propre peuple, sous couvert de
« négociations de paix » plus chimériques que jamais.
Un recul historique du
peuple palestinien
Il y a
bientôt 70 ans que l’ONU donnait naissance à l’État colonial, raciste et
meurtrier d’Israël, en adoptant un « plan de partage » qui octroyait
55% du territoire de la Palestine à l’ « État juif » et disloquait
d’emblée l’ » État arabe » en lambeaux de territoires. Au cours
des décennies précédentes, l’impérialisme anglais doté du pouvoir
« mandataire » sur la Palestine, n’avait cessé d’encourager le
développement des colonies sionistes en vue d’installer un « foyer
national juif » (déclaration Balfour de 1917) : les colons juifs
fournissaient en contrepartie une masse de manœuvre utile contre les masses
palestiniennes. En 1948, l’ONU – avec le soutien décisif de Staline, qui
fournit même à Israël les armes qui lui permirent de vaincre - décida
d’autoriser les colons sionistes à proclamer leur État. Elle autorisait de fait
l’expulsion et le massacre de centaines de milliers de Palestiniens.
Il y a
exactement 50 ans, Israël infligeait une nouvelle défaite aux masses
palestiniennes et aux armées des pays voisins à l’issue de la seconde guerre
israélo-arabe. L’État sioniste en profitait pour procéder à de nouvelles
annexions, que l’ONU avalisait aussitôt. Puis, six ans plus tard, le nouveau
dictateur égyptien Sadate organisait une nouvelle guerre… qu’il était résolu à
perdre pour « justifier » son rapprochement avec Washington et
Israël. La réalité est que jamais les États arabes voisins n’ont réellement
œuvré à soutenir ni combattu pour le peuple palestinien, dont les centaines de
milliers de réfugiés sont entassés dans des camps, privés de droits.
Aujourd’hui, en Jordanie, en Egypte, les régimes soumis à l’impérialisme
assistent ouvertement Israël dans la répression et le refoulement des masses
palestiniennes dans des ghettos invivables.
C’est
la lutte révolutionnaire des masses palestiniennes, et elle seule, qui a permis
que la Palestine ne soit d’emblée liquidée et engloutie. Dès lors, et pendant
des décennies, cette lutte s’est située à l’avant-garde des masses de toute la
région, en même temps qu’elle a constitué une épine dans le pied des puissances
impérialistes et des dictateurs arabes. Le combat pour la libération de la
Palestine, pour le droit au retour des millions de réfugiés, suppose d’en finir
avec l’État d’Israël et, au-delà, de remettre en cause les frontières
artificielles et les régimes mis en place par l’impérialisme – à commencer par
celui de la Jordanie. C’est une lutte révolutionnaire, indissociable des luttes
des masses de toute la région.
C’est
du fait de cette lutte constante que les organisations nationalistes
palestiniennes – organisations nationalistes petites-bourgeoises – se sont
imposées à la tête de l’OLP, conçue à l’origine par Nasser pour placer les
Palestiniens sous son contrôle. Le peuple palestinien s’est ainsi placé à
l’avant-garde de toutes les luttes révolutionnaires de la région jusqu’au début
des années 1990 : de l’éruption révolutionnaire en Jordanie (1970) à l’Intifada
(1987) en passant par le Liban dans les années 1970. Mais en même temps
qu’elles se sont heurtées à l’État d’Israël, les masses palestiniennes se sont
systématiquement heurtées aux dictatures arabes voisines, aux puissances
impérialistes alliées d’Israël, à l’ONU qui a donné naissance à cet État.
Puis en
1991, conforté par le rétablissement du capitalisme en Russie et la dislocation
consécutive de l’ex-URSS, l’impérialisme américain organisait la guerre du
Golfe – dirigée non pas contre Saddam Hussein, mais bien contre les masses de
toute la région. Washington galvanisait ainsi ses alliés, à commencer par
Israël, soumettait un peu plus ses affidés tels l’Egypte et la Jordanie : il
infligeait dans le même mouvement un coup redoutable aux masses du
Moyen-Orient, à commencer par le peuple palestinien.
C’est
ainsi que, réactivant la « vieille garde » de l’OLP et du Fatah,
l’impérialisme américain organisait la liquidation des conséquences de
l’Intifada en faisant signer par Yasser Arafat les accords de Washington (1993)
: comme nous le verrons, des accords de trahison des masses palestiniennes. Ces
accords, piétinés depuis 17 ans, n’en ont pas moins parfaitement rempli leur
rôle : il s’agit désormais pour l’État d’Israël de s’engager dans une
nouvelle étape, en vue de tirer un trait définitif sur la Palestine, son peuple
et son combat.
La Palestine en lambeaux
La
carte la plus récente de l’état d’avancement de la colonisation en Cisjordanie
est plus éloquente que n’importe quel discours sur la situation actuelle du
peuple palestinien.
Outre
la réduction des territoires sous contrôle de l’ » Autorité
palestinienne » à des confettis épars, parsemés d’avant-postes israéliens
et de colonies en développement, la Cisjordanie est bornée à l’Ouest par un Mur
gigantesque et, à l’Est, elle est coupée de la Jordanie voisine par les zones
annexées par Israël. 450 000 colons juifs seraient désormais installés sur
place, contre 2,8 millions de Palestiniens.
Les
accords d’Oslo/Washington distinguaient trois zones en Cisjordanie. L’interview
d’un chercheur par le journal La Croix
(16/2/2017) permet d’aboutir à un constat éloquent : « Depuis Oslo, la partie de la Cisjordanie contrôlée par les
Palestiniens a été grignotée à un point tel qu’il ne peut pas y avoir un État
palestinien viable. Selon ces accords, la Cisjordanie est découpée en trois
zones : la zone A, regroupe les grandes villes sous contrôle palestinien. Elle
ne recouvre que 20 % de la Cisjordanie actuelle et abrite 55 % de la population
palestinienne des zones occupées. La zone B intermédiaire qui comprend des
petites villes et des villages et la zone C – 62 % de la Cisjordanie –, est
totalement sous contrôle israélien et très peu d’Arabes palestiniens (10 %) y
vivent. La zone C est de facto annexée. Aujourd’hui, l’enjeu, ce sont les zones
A et B, environ 40 % de la superficie, qui abritent près de 90 % des
Palestiniens. » Dans ce sens, le gouvernement Netanyahou autorisait le
30 mars dernier la création d’une nouvelle implantation – ce serait la première
depuis 1999 - pour reloger des colons « sauvages » installés
auparavant sur des terres privées palestiniennes.
A Gaza,
territoire infime où s’entassent 2 millions de Palestiniens, la situation est
encore pire : les opérations guerrières de 2009 et 2014 ont laissé
derrière elles des monceaux de ruines, laminé les infrastructures vitales – eau
potable, électricité, hôpitaux, etc. Emmurée, encerclée par Tsahal mais aussi
l’armée égyptienne qui soutient activement la répression israélienne, en proie
à un blocus meurtrier, la population est placée sous la férule du Hamas qui, pour
ne pas être reconnu officiellement par Israël, n’en impose pas moins le talon
de fer aux Palestiniens pour asseoir sa « respectabilité » aux yeux
des puissances impérialistes. Même les malades graves ne sont pas autorisés à
sortir de ce ghetto à ciel ouvert pour recevoir les soins nécessaires et
s’entassent dans des hôpitaux devenus mouroirs.
Résumons :
l’immense majorité de la population palestinienne s’entasse aujourd’hui dans
moins d’un cinquième du territoire de la Palestine historique, à la merci de l’État
colonial.
Si, en
2015, Mahmoud Abbas s’est prêté à la mauvaise comédie consistant à supplier
l’ONU de reconnaître l’ » État palestinien » - résolution
rejetée – c’est bien parce que la colonisation a franchi un seuil décisif,
au-delà duquel il n’est même plus possible de soutenir la fiction d’un
« État palestinien » croupion.
Le « processus de
paix » a parfaitement rempli son rôle
En
septembre 2015, Abbas lui-même, devant l’ONU, expliquait que le
« processus de paix » était mort et enterré. Évoquant l’intensification
de la colonisation, il affirmait : « Nous
déclarons dès lors que nous ne pouvons continuer à être engagés par ces accords
et qu’Israël doit assumer toutes ses responsabilités comme puissance occupante,
parce que le statu quo ne peut continuer. » (Le Monde, 30/9/2015). L’ONU a rejeté sa demande de
« reconnaissance d’un “État palestinien” ». Abbas n’a pas mis fin,
depuis lors et à notre connaissance, à la collaboration
« sécuritaire » constante des policiers palestiniens avec Israël.
Il est important
de le signifier : en réalité, la situation dramatique, insoutenable du
peuple palestinien aujourd’hui ne constitue nullement un « échec »
des accords d’Oslo/Washington de 1993, improprement qualifiés de
« processus de paix » par les médias. Ces accords ont, au contraire,
parfaitement rempli leurs objectifs réels.
Contrairement
aux allégations des dirigeants de l’OLP, les textes signés par ces derniers
n’incluaient pas la perspective de la reconnaissance d’un « État
palestinien », mais bien la reconnaissance d’Israël comme un État
« légitime » par l’OLP en contrepartie de la
« reconnaissance » de l’OLP comme « interlocuteur » par
Israël. Ils instituaient, pour une « période transitoire » de cinq
ans, une « Autorité palestinienne » aux pouvoirs limités (les textes
précisent en particulier que les colonies sionistes en Cisjordanie relèvent du
seul gouvernement israélien !). En fait, le Fatah et l’OLP acceptaient de
déposer les armes et d’abandonner la perspective de libération de la Palestine :
ils s’engageaient à faire la police au compte d’Israël dans les maigres
territoires placés sous leur contrôle. Ils troquaient en définitive leurs
treillis d’opérette contre d’authentiques uniformes de gardiens de prison et
quelques costumes trois-pièces.
A
partir de 2000, comme ce « processus » était parvenu à son terme
initial, l’État d’Israël s’appuyant sur les conséquences des provocations
d’Ariel Sharon y a mis fin : les incursions militaires et massacres de
Palestiniens ont repris, la colonisation de même.
Mais la
soumission ad nauseam des dirigeants du Fatah et de
l’OLP n’a pas cessé, au contraire : jamais ces derniers n’ont cessé
d’aller ramper devant les dirigeants d’Israël pour céder toujours plus aux
exigences de l’État sioniste. Ce dernier a mis les bouchées doubles pour
parachever la domestication de ses anciens adversaires : arrestation de Marwan Barghouti – le dirigeant
du Fatah qui était désigné par Israël comme le chef de sa branche armée – en
2002 ; mort suspecte de Yasser Arafat en 2004 ; propulsion de Mahmoud
Abbas – le représentant de l’aile la plus conciliatrice - à la tête de l’OLP et
du Fatah en 2005, sous la pression insistante d’Israël et des
États-Unis qui sont devenus, au passage, les principaux bailleurs de fonds
de Ramallah. Le Fatah a été complètement purgé, liquidé dans
l’ » Autorité palestinienne ».
En
2007, le degré de putréfaction atteint par la principale organisation
nationaliste palestinienne s’est manifesté à travers la perte du contrôle de
Gaza : face à quelques milliers de combattants liés au Hamas, les dizaines
de milliers de combattants théoriques du Fatah se sont littéralement évaporés,
l’ » Autorité palestinienne » liée au Fatah s’est effondrée
comme un château de cartes. Cette « Autorité » est, depuis, déchirée
en deux fractions adverses. Quant aux élections qui devraient théoriquement
permettre aux masses palestiniennes de désigner leurs représentants, elles ne
cessent d’être « reportées » depuis des années.
Les
tenants de l’État d’Israël, poussant de hauts cris d’horreur en public, s’en
frottent les mains en privé : la victoire du Hamas, proclamée
« entité terroriste », à Gaza autorise l’État sioniste à toutes les
incursions sanglantes. Pourtant, à l’instar du Fatah, le parti islamiste n’a de
cesse d’œuvrer à être « reconnu » par les puissances impérialistes, a
même révisé sa Charte en ce sens et œuvre à tenir Gaza en coupe réglée.
Début
octobre, Hamas et Fatah ont annoncé la conclusion d’un « accord » en
vue de rétablir l’unité des lambeaux d’ « Autorité
palestinienne » : qu’est-ce à dire, sinon que les uns et les autres
se disposent une fois de plus à « négocier » avec Israël la poursuite
de la colonisation, en même temps qu’ils s’accordent pour cadenasser par avance
toute vélléité de résistance au sein des masses
palestiniennes ?
Ainsi,
le « processus de paix » a si bien réussi que le gouvernement
israélien et Trump envisagent désormais de plus en
plus ouvertement de faire table rase de toute « autonomie »
palestinienne pour avancer dans le sens de sa « solution à un État ».
Les conséquences du reflux
et de l’échec de la vague révolutionnaire
Significativement,
c’est lors du déferlement de la vague révolutionnaire partie de Tunisie et
culminant en Egypte, en 2011, que des jeunes Palestiniens ont trouvé la force
de chercher une issue à l’impasse politique dans laquelle les dirigeants
nationalistes petits-bourgeois les ont enfermés. En effet : dans le même
temps où ils renversaient Moubarak, les masses égyptiennes revendiquaient le
combat pour la libération de la Palestine, qui est un combat contre l’État
d’Israël. A plusieurs reprises, de réelles actions de boycott d’Israël
(notamment son approvisionnement en gaz par l’Egypte) ont eu lieu. En septembre
2011, une manifestation au Caire, balayant le barrage policier, s’en est pris à
l’ambassade d’Israël.
C’est
dans ces conditions qu’au printemps 2011, les rédacteurs du « Manifeste
des Jeunes de Gaza » ont pu développer plusieurs manifestations qui,
parties de Gaza, se sont répercutées en Cisjordanie et en Jordanie. Ces jeunes
revendiquaient de l’OLP qu’elle rompe avec le cadre des accords de Washington,
qu’elle renoue avec l’objectif historique de libération de la Palestine et
qu’elle réunifie l’ensemble des organisations palestiniennes dans ce sens. A
Gaza comme en Cisjordanie, les jeunes se sont heurtés à la répression des
différents morceaux de l’ « Autorité palestinienne ».
Depuis,
la vague révolutionnaire a reflué et, faute de direction révolutionnaire, elle
s’est soldée partout par des échecs : la dictature militaire égyptienne a
été rétablie et a même durci le talon de fer ; de manière directe ou
indirecte, les puissances impérialistes ont alimenté le déferlement de la
barbarie en Libye et en Syrie ; en Irak, les opérations de « guerre
contre le terrorisme » ont réduit en cendres les villes de Falloujah, Ramadi et Mossoul.
Notons-le par ailleurs : en Syrie, les milices liées à Daesh
se gardent bien de s’en prendre aux soldats israéliens de l’autre côté du Golan
(sans parler des combattants liés au Front Al Nosra
qui, eux, sont directement soignés dans les hôpitaux israéliens !).
Pendant
plusieurs décennies – du début des années 1970 à la signature des accords de
Washington, de la révolution en Jordanie en 1970 jusqu’à l’Intifada de 1987 –
le peuple palestinien s’est placé, par son combat, aux avant-postes des masses
de toute la région. Depuis les lendemains de la guerre du Golfe et la signature
des accords de Washington, le rapport s’est inversé : sans mobilisation
internationaliste résolue en soutien aux masses palestiniennes, ces dernières
ne peuvent trouver la force de reprendre leur combat.
C’est
une évidence qu’après le reflux de la vague révolutionnaire de 2011, les
conditions de l’offensive sont éminemment favorables à l’État d’Israël et
défavorables au peuple palestinien.
L’étau des dictatures arabes
Si Trump défend la perspective d’une alliance renforcée entre
Washington, Israël et l’Arabie saoudite, ce n’est pas sans raison : depuis
plusieurs années maintenant, un rapprochement sensible s’est opéré entre Tel Aviv et Riyad.
La
chercheuse Fatiha Dazi-Héni
indique dans son livre L’Arabie saoudite
en 100 questions (Tallandier, 2017 - p. 271)
:
« Une campagne médiatique intense, menée
en Israël, vante le rapprochement réel avec les pays du Golfe. Des rencontres
d’Israéliens avec des responsables saoudiens ont lieu. Israël ouvre à Abu Dhabi
sa première mission diplomatique dans le Golfe au sein de l’Irena (Agence
internationale pour les énergies renouvelables) en novembre 2015. Des
coopérations sécuritaires privées sont lancées avec de petits émirats.
Le Royaume, lui, souhaite rester discret.
Pour s’entendre avec Israël, il mise sur ses alliés arabes qui bénéficient de
son aide financière considérable et qui ont signé des traités de paix avec
Israël : l’Egypte et la Jordanie. Il compte aussi sur la Turquie qui, en juin
2016, re-normalise ses relations avec Tel Aviv après
six années de vives tensions.
Jamais Israël, dont le gouvernement
Netanyahou, le plus à droite de l’histoire du pays, en faveur de la poursuite
de la politique de colonisation des territoires palestiniens, n’a eu de
relations aussi étroites avec les appareils sécuritaires et de renseignement
égyptien et jordanien. La lutte coordonnée, pour contrôler les activités du
Hamas palestinien et prévenir les intrusions de l’État islamique installé au
Sinaï et d’autres groupes jihadistes présents en
Syrie, constitue l’un des volets pivots de cette étroite coopération »
La
perspective de Trump est d’avancer dans le sens d’une
« normalisation » des relations israélo-arabes dans le sang des
Palestiniens. La lutte en soutien au peuple palestinien est indissociable du
combat contre les dictatures soumises à l’impérialisme, à commencer par le
combat contre toute « normalisation » des relations israélo-arabes.
Quelques conclusions
Si
favorable que soit la situation pour Trump et
Netanyahou, si défavorable qu’elle soit aux masses palestiniennes, avancer dans
le sens d’une « solution à un seul État » tel que Trump
la présente n’est pas une mince affaire.
En
dernière analyse, annexer Jérusalem pour en faire la capitale d’Israël, pousser
jusqu’à son terme la colonisation de la Palestine suppose de procéder à un
véritable génocide, au-delà de tous les massacres qui ont déjà été perpétrés
par Israël. Cela ne pourrait être envisagé sans déstabiliser un peu plus toute
la région. En réalité, cet objectif ne pourra pas être atteint.
A
contrario, si désemparées que soient aujourd’hui les masses palestiniennes, et
quelles que soient les difficultés auxquelles elles se heurtent, il n’est tout simplement
pas possible pour elles de cesser de lutter contre la barbarie sioniste.
Mais il
manque au peuple palestinien la perspective qui peut lui permettre d’avancer
dans le sens de sa libération : pour en finir avec l’État d’Israël, pour
une Assemblée constituante palestinienne sur tout le territoire de la Palestine
garantissant le droit au retour des réfugiés, pour les États-Unis socialistes
du Moyen-Orient. Il manque aux masses palestiniennes le Parti ouvrier
révolutionnaire à même de défendre cette perspective : l’expérience montre
que les organisations nationalistes petites-bourgeoises ne peuvent remplir ce
rôle.
En-dehors
de la Palestine, œuvrer réellement à soutenir le peuple palestinien commence
par balayer résolument tous les bredouillages larmoyants sur le thème du
« droit international » qu’il s’agirait de faire appliquer à l’ONU,
les suppliques aux gouvernements impérialistes ou aux dictateurs. Seule la
mobilisation internationaliste et indépendante du prolétariat et de la jeunesse
peut offrir un appui aux masses palestiniennes : ce combat est aussi un
combat contre les gouvernements bourgeois ou soumis à la bourgeoisie. Foin de
« droit international », il faut se placer inconditionnellement aux
côtés du peuple palestinien, peuple opprimé, contre l’État d’Israël, État
oppresseur colonial et raciste.
Les
déclarations de Trump au sujet de la Palestine
démontrent objectivement que la « perspective à deux États » est un
leurre. L’offensive de Netanyahou, poussé à toujours davantage d’outrance meurtrière
par ses « partenaires » de gouvernement et par de larges fractions de
la population israélienne elle-même, est entièrement calculée et doit être
exposée comme telle : il s’agit d’aller jusqu’au bout dans la colonisation
de la Palestine, le massacre du peuple palestinien.
Mais
avancer comme le font aujourd’hui reste un pari risqué. Ce qui empêche le
développement d’un mouvement de soutien important, c’est en dernière analyse la
politique des appareils qui continueront de vouloir rester accrochés au char de
« leur » impérialisme en opposant par exemple « leur »
diplomatie à la politique de Trump, l’ONU à la
Maison-Blanche, le prétendu « droit international » aux opérations
militaires de Netanyahou, le chimérique « processus de paix » au
soutien réel aux masses palestiniennes.
Il faut
combattre cette politique sur l’axe stratégique du soutien inconditionnel au
peuple palestinien : à bas l’État d’Israël ! Ce combat est aussi un
combat contre les gouvernements des puissances impérialistes et les dictatures
arabes : il implique en effet de combattre toutes les relations
diplomatiques, économiques, stratégiques, etc. entre Israël et ses alliés.
Le 15 octobre 2017
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