Article paru dans
le bulletin « Combattre pour le socialisme » n°65 (n°147 ancienne
série) - 1er juin 2017 :
Introduction : Trotsky
aurait-il appelé à voter Macron pour faire barrage au Front national ?
Entre les deux tours de l’élection présidentielle, une
escouade de journalistes, intellectuels et militants dits de gauche Jean
Birnbaum, Edwy Plenel, Michel Broué, Gérard Filoche, José Chatroussat et
François Chesnais est montée au front, plume dans une main et courage dans
l’autre, pour défendre l’appel à voter Macron et contribuer à sauver la
démocratie française, prétendument menacée par la présence de Le Pen fille au
second tour. À ce titre, qu’ils le veuillent ou non, qu’ils s’en défendent ou
non, nos valeureux antifascistes de papier se sont inscrits dans le cadre du
front républicain, au sein duquel les appareils à la tête des organisations
issus du mouvement ouvrier, partis et syndicats, ont tenu une place centrale.
En défense de l’ordre bourgeois, Filoche et compagnie se sont de fait alignés
sur le PS, le PCF et les appareils syndicaux, pour lesquels ils ont
objectivement joué un rôle de flanc-garde sur la gauche. Contre les différents
opposants refusant de se soumettre au front républicain : lycéens,
militants syndicaux, mouvements se réclamant de « l’antifascisme »,
ils ont usé de méthodes héritées du stalinisme, en se prévalant frauduleusement
de la caution des écrits de Trotsky sur l’Allemagne des années 30, laissant
ainsi entendre que ce dernier aurait fait le même choix qu’eux. À les en
croire, Trotsky, le président du soviet de Petrograd en 1905, le théoricien de
la Révolution permanente et fondateur de la IVe Internationale
aurait donc voté pour le banquier Macron. On a atteint là une forme de sommet
dans la falsification. Trotsky prônant le vote Macron, et pourquoi pas Lénine
en soutien de Fillon ? Le Vieux a dû se retourner dans sa tombe.
Faire voter les morts a longtemps été une spécialité
du couple Xavière et Jean Tibéry, manifestement ceux-ci ont fait des émules
dans certains milieux de gauche. Il est donc nécessaire de rétablir la vérité
et de réhabiliter l’honneur de Trotsky enrôlé à son corps défendant dans les
eaux fangeuses du front républicain. La nécessité en est d’autant plus grande
que l’offensive des falsificateurs contre Trotsky porte sur une question
politique fondamentale, celle du front unique, et donc de l’indépendance de
classe du prolétariat et de ses organisations contre la bourgeoisie. Libre à
Filoche, Chesnais et leurs acolytes de capituler en rase campagne et de se vautrer
dans le front républicain, mais ils n’avaient pas le droit de le faire en
invoquant une fidélité au combat de Trotsky. C’est tout à la fois inacceptable
et honteux.
L’analogie que font les faussaires entre l’appel à
voter Macron et les positions défendues par Trotsky à propos de la situation en
Allemagne dans les années 30 repose sur la démonstration suivante :
Trotsky a prôné des alliances avec les partis bourgeois dans la lutte contre le
fascisme or, la montée du FN et la présence de Le Pen au second tour correspond
à une montée du fascisme en France, donc Trotsky aurait appelé à voter Macron,
CQFD. L’hypothèse selon laquelle Trotsky aurait voté Macron repose donc à la
fois sur une falsification honteuse de ses écrits et sur une incompréhension
totale de la situation actuelle en France qui n’a rien à voir avec celle de
l’Allemagne dans les années 30.
Un recyclage des calomnies
staliniennes contre Trotsky
Pour démonter pièce par pièce ce parfait exercice de
faussaire, il faut reprendre les faits. Chronologiquement, la première charge
contre Trotsky a été lancée simultanément le 26 avril par Gérard Filoche[1] et Michel Broué[2] sur leur blog respectif.
Une deuxième salve a été tirée début mai par Edwy Plenel[3] et José Chatroussat[4] (site Culture &
Révolution) et Jean Birnbaum dans une tribune du journal Le Monde du 3 mai. Le bouquet final de ce véritable feu d’artifice
a été assuré par François Chesnais, le 5 mai, dans un article intitulé : «
Écraser Le Pen électoralement dimanche
signifie voter Macron et non pas voter blanc ou s’abstenir. ».[5]
C’est donc Filoche qui, sans le nommer, a lancé la
mode des citations de Trotsky pour justifier l’appel au vote Macron le 26
avril : « Pour le 2nd
tour, du 7 mai désarmons d’abord en votant contre Le Pen. Macron veut nous
empoisonner, Le Pen appuie un revolver contre notre tempe. Si l’un de mes
ennemis m’empoisonne et que l’autre veut me tirer un coup de revolver, je tente
d’abord d’arracher le revolver des mains de mon deuxième ennemi, ce qui me
laissera une possibilité d’en finir avec le premier. Cela ne signifie pas que
le poison est un « moindre mal » en
comparaison du revolver. »
Ce texte est en réalité un plagiat pur et simple de
Trotsky. Ce dernier, dans ses écrits sur l’Allemagne dans les années 30,
compare effectivement Brüning (qui serait Macron) au « poison » et
Hitler (qui serait donc Le Pen) au « revolver ». Trotsky dit :
il faut d’abord se débarrasser du « révolver ». Filoche conclut
frauduleusement : il faut voter pour « le poison ». Pour
rétablir la vérité, il convient de citer le texte original de Trotsky:
« La
social-démocratie soutient Brüning, vote pour lui, assume la responsabilité de
sa politique devant les masses, en se fondant sur l’affirmation que le
gouvernement Brüning est un " moindre mal ". C’est ce point de vue
que le Rote Fahne essaie de m’attribuer, sous prétexte que j’ai protesté contre
la participation stupide et honteuse des communistes au référendum d’Hitler.
Mais est-ce que l’opposition de gauche allemande, et moi en particulier, avons
demandé que les communistes votent pour Brüning et lui apportent leur
soutien ? Nous, marxistes, considérons Brüning et Hitler ainsi que Braun
comme les représentants d’un seul et même système. La question de savoir qui
d’entre eux est un " moindre mal " est dépourvue de sens, car leur
système, contre lequel nous nous battons, a besoin de tous ses éléments. Mais
aujourd’hui, ces éléments sont en conflit, et le parti du prolétariat doit absolument
utiliser ce conflit dans l’intérêt de la révolution.
Dans une gamme il y a sept
notes. Se demander quelle note est la " meilleure ", do, ré ou sol,
n’a pas de sens. Cependant, le musicien doit savoir quand et sur quelle touche
frapper. Se demander abstraitement qui, de Brüning ou Hitler est le moindre mal
est tout aussi dépourvu de sens. Mais il faut savoir sur laquelle de ces
touches frapper. C’est clair ? Pour ceux qui ne comprennent pas, prenons
encore un exemple. Si l’un de mes ennemis m’empoisonne chaque jour avec de
faibles doses de poison, et qu’un autre veut me tirer un coup de feu par
derrière, j’arracherais d’abord le revolver des mains de mon deuxième ennemi,
ce qui me donnera la possibilité d’en finir avec le premier. Mais cela ne
signifie pas que le poison est un " moindre mal " en comparaison du
revolver. »
(« En quoi la politique du parti
communiste allemand est-elle erronée ? », 1931)
On y lit donc que la social-démocratie a appelé à
voter Brüning, candidature bourgeoise « au
nom du moindre mal ». Mais on y lit surtout que Trotsky se défend
explicitement des calomnies des staliniens l’accusant d’avoir préconisé le vote
Brüning ! Honte à Filoche de recycler un siècle plus tard les calomnies
staliniennes contre Trotsky dans le but de masquer sa propre capitulation
devant le front républicain avec la caution de ce grand révolutionnaire. Le
procédé est minable. Oui, Trotsky a bien écrit et défendu qu’il faut
« arracher le revolver » des mains d’Hitler, non par le vote Brüning
comme l’ont fait croire les staliniens et à leur suite Filoche, mais par le
front unique SPD (parti social-démocrate allemand)-KPD (parti communiste
allemand)-ADGB (Confédération générale des syndicats allemands), la
constitution d’organes d’autodéfense ouvrière pour liquider les bandes
fascistes. Mené sur cette orientation, le combat contre les fascistes aurait
permis dans le même temps de diminuer l’influence de la social-démocratie au
sein du prolétariat allemand, dont la persistance, en dépit de la trahison des
dirigeants du parti social-démocrate allemand (SPD), était précisément le
produit du combat des staliniens contre le front unique dans la lutte contre le
fascisme. C’est ce qu’explique très clairement Trotsky dans la suite du texte
dont Filoche a plagié sans vergogne un passage :
« Maintenant,
il faut se retourner contre le fascisme en formant un seul front. Et ce front
de lutte directe contre le fascisme, commun à tout le prolétariat, il faut
l’utiliser pour une attaque de flanc, mais d’autant plus efficace contre la social-démocratie.
Il faut montrer dans les faits le plus grand empressement à conclure avec les sociaux-démocrates un bloc contre les fascistes partout où ils sont prêts à adhérer à ce bloc. Quand on dit aux ouvriers sociaux-démocrates : « Abandonnez vos chefs et rejoignez notre front unique en dehors de tout parti », on ne fait qu’ajouter une phrase creuse à des milliers d’autres. Il faut savoir détacher les ouvriers de leurs chefs dans l’action. Et l’action maintenant, c’est la lutte contre le fascisme (…) La majorité écrasante des ouvriers sociaux-démocrates veut se battre contre les fascistes mais, pour le moment encore, uniquement avec son organisation. Il est impossible de sauter cette étape. Nous devons aider les ouvriers sociaux-démocrates à vérifier dans les faits - dans une situation nouvelle et exceptionnelle -, ce que valent leurs organisations et leurs chefs, quand il s’agit de la vie ou de la mort de la classe ouvrière. » (« En quoi la politique du parti communiste allemand est-elle erronée ? », 1931).
Le front unique transformé en son exact
contraire : un cadre d’alliance possible avec des partis bourgeois
C’est dans le cadre de cette politique de front
unique ouvrier, classe contre classe, que doit être replacée la fameuse
citation de Trotsky à propos des accords possibles avec « le diable et sa grand-mère »
utilisée par Broué, Birnbaum, Plenel et Chesnais. Ce dernier la cite sous la
forme suivante: « Je ne suis pas
particulièrement satisfait que ce soit quelqu’un d’autre qu’un militant
trotskyste pour porter à l’attention d’un large public l’un des fils
conducteurs des textes de Trotski des années 1930, à savoir que “dans la
lutte contre le fascisme nous sommes prêts à passer des accords avec le diable,
avec sa grand-mère” » De cette
phrase, ils tirent tous la conclusion que pour faire barrage au FN, Trotsky
aurait voté pour le "diable", incarné par Macron. Pour dîner avec le
diable, il faut paraît-il une longue cuillère. Or, dans le cas présent, pour
les faussaires, cette longue cuillère, c’est Trotsky en personne, dont ils
utilisent frauduleusement les écrits pour justifier leur pacte avec le « diable » Macron.
Mais l’un des falsificateurs ne s’arrête pas là, il
pousse le bouchon encore plus loin. En effet, Jean Birnbaum dans une tribune du
Monde écrit: « Au soir du récent premier tour, sa façon de
renvoyer dos à dos Marine Le Pen et Emmanuel Macron a paru d’autant plus
emblématique que Mélenchon est un militant à la mémoire longue, formé à l’école
d’un courant où l’antifascisme représente un repère identitaire : le
trotskysme. Pour en prendre la mesure, il faut rappeler quelques éléments
historiques. Tout part du traumatisme fondateur : la victoire d’Hitler en
1933 et la « défaite sans combat » du mouvement ouvrier allemand, le plus puissant
et le plus cultivé d’Europe. De génération en génération, les trotskistes ont
appris que le principal responsable de cette catastrophe était le parti
communiste allemand (KPD) aux ordres de Staline. Dans la période qui précéda
l’avènement du nazisme, en effet, le KPD refusa obstinément de faire alliance
avec les socialistes pour faire barrage à Hitler. Au contraire, ses chefs
désignèrent les sociaux-démocrates leurs ennemis prioritaires, allant jusqu’à
les qualifier de « sociaux-fascistes » (...) Pour Léon Trotski, cette
position suicidaire constituait « une trahison d’une ampleur historique »
au moins équivalente à celle de la social-démocratie le 4 août 1914, lorsque
les socialistes votèrent les crédits de guerre. Depuis l’île de Prinkipo où il
était exilé, l’ancien chef de l’Armée Rouge mena la bataille contre ce 4 août
du stalinisme. Il appela l’ensemble des militants ouvriers, communistes,
socialistes ou sans parti, à constituer un « front unique » contre le nazisme.
(…) La fin du « front unique » antifasciste marque l’enterrement de cette
sensibilité antitotalitaire. Simultanément, elle signe la victoire posthume
d’un certain esprit stalinien. » (Le
Monde, 03/05/2017).
La charge au vitriol contre Mélenchon – au demeurant
fort injuste compte tenu de la position réelle du tribun de La France insoumise
entre les deux tours qui a de fait appelé à voter Macron (cf. supplément CPS 64) – se double d’une offensive non
moins violente contre les trotskystes aujourd’hui, accusés de commettre le même
péché mortel que les staliniens dans les années 30. Birnbaum fait du refus
d’appeler à voter Macron, et donc du combat pour le front unique ouvrier sur la
ligne, « pas une voix pour Macron, pas
une voix pour Le Pen », une resucée du « social-fascisme ». Il s’agit en l’espèce d’une monstruosité
commise envers la réalité historique puisqu’au contraire, le front unique
ouvrier a constamment été mis en avant par Trotsky pour contrer et briser le
« social-fascisme » défendu
par les staliniens.
Pour rétablir la vérité, il faut procéder comme pour
la première citation sur le « revolver » et le « poison »
et partir de la citation exacte de Trotsky tirée d’un texte de 1932, intitulé:
« La seule voie » :
« Aucune
plate-forme commune avec la social-démocratie ou les dirigeants des syndicats
allemands, aucune publication, aucun drapeau, aucune affiche commune !
Marcher séparément, frapper ensemble ! Se mettre d’accord uniquement sur
la manière de frapper, sur qui et quand frapper ! On peut se mettre
d’accord sur ce point avec le diable, sa grand-mère et même avec Noske et
Grzesinski. A la seule condition de ne pas se lier les mains. »
[Nous soulignons, ndlr]
Quand on compare la citation originale avec celle
reproduite par les faussaires, on s’aperçoit qu’ils ont fait subir à la phrase
de Trotsky un triple lifting. Lifting n’est sans doute pas le terme
exact ; en l’espèce, nos imposteurs font plutôt dans la chirurgie lourde,
limite boucherie.
Première falsification : la citation est
amputée du passage suivant: « et même avec
Noske et Grzesinski ». Or ce passage est capital. Grzesinski était le chef
social-démocrate de la police de Berlin du gouvernement social-démocrate de
Prusse, dissous par von Papen le 20 juillet 1932. Quant à Noske, il était
également membre du parti social-démocrate allemand, il fut ministre de la
Défense entre 1919 et 1920. Il est resté célèbre dans l’histoire pour avoir été
l’un des bouchers de la révolution allemande et fait assassiner Rosa Luxembourg
et de Karl Liebknecht. Aussi traîtres soient-ils, Noske et Grzesinski étaient
des sociaux-démocrates, ce qui donne à la phrase de Trotsky une tout autre
signification que celle donnée par les imposteurs: ce que défend Trotsky
évoquant des alliances possibles avec le "diable et sa grand-mère",
c’est une politique de front unique ouvrier contre le fascisme et non une
quelconque alliance avec des politiciens appartenant à des partis bourgeois, ce
qui est le cas, jusqu’à preuve du contraire du banquier Macron.
Deuxième
falsification : les truqueurs de Trotsky amputent l’expression front
unique ouvrier de l’adjectif « ouvrier » ce qui permet de transformer
la stratégie du front unique en une alliance de partis sans rivage à droite. Un
tel tour de passe-passe serait bien entendu impossible avec l’expression
complète front unique ouvrier qui dans les termes mêmes est antagonique avec la
défense du vote pour le banquier Macron. La ficelle est tellement grosse que
Vincent Présumey, lui-même auteur d’un texte en défense du front républicain[6], a quelque scrupule à trop
tirer dessus. Dans un message dont l’un des destinataires était François
Chesnais en réponse à son texte, il met en garde sur le point suivant: « Quelques mots supplémentaires sur un point
précis qui pèse sans doute très lourd dans la position de certains
camarades : le principe qui voudrait qu’en aucun cas on ne vote pour un
candidat bourgeois. De ce point de vue, la référence fréquente à Trotsky en
1931 et l’alliance avec le diable n’est pas adéquate, car Trotsky n’a pas
envisagé en Allemagne de voter pour quelque candidat bourgeois que ce soit face
au nazisme, mais préconisé le front unique KPD/SPD. Ne surinterprétons donc pas
cette référence ». En clair, Présumey conseille d’y aller mollo sur la
référence à Trotsky au risque que la supercherie finisse par se voir. Il est
très significatif que Présumey dévoile le pot aux roses mais que par la suite
François Chesnais n’ait en rien modifié son texte. Que des journalistes
bourgeois ne s’embarrassent pas de détails quand il d’agit de se référer à
Trotsky et d’évoquer son orientation politique, qu’ils fassent même preuve
d’une ignorance crasse en la matière est dans l’ordre des choses : cela
correspond à leur fonction au sein de la société capitaliste. Mais que Filoche,
Plenel et Chesnais, tous trois s’étant réclamés du trotskysme, se livrent eux
aussi à un tel exercice correspond à une tromperie volontaire, faite en
parfaite connaissance de cause, et participant donc d’un combat conscient mené
contre le trotskysme et le front unique ouvrier.
Ce
combat constitue un obstacle au combat du prolétariat et de la jeunesse contre
la bourgeoisie et les gouvernements à son service dans la mesure où toute lutte
de classe d’envergure pose la question du pouvoir. Or, l’unité de la classe
ouvrière et de ses organisations défendue par les trotskystes a précisément
pour objectif de rendre possible le combat politique de la classe ouvrière pour
s’ouvrir une perspective gouvernementale face à la bourgeoisie et ses partis.
Tel était le sens de la résolution sur la tactique de l’Internationale
communiste qui dans son IVe congrès précisait: « Le mot d’ordre de gouvernement ouvrier est
la conséquence inévitable de toute la tactique du front unique ».
C’est contre une telle perspective que se dressent ralliement au front
républicain et combat contre le front unique ouvrier qui sont en réalité les
deux faces d’une seule et même orientation aboutissant à empêcher le
prolétariat d’exister comme classe pour soi sur le terrain politique. En cela,
une telle orientation complète et aggrave la prise en charge constante durant
le quinquennat Hollande des intérêts de la bourgeoisie par les dirigeants du PS
et du PCF et les appareils syndicaux, dont la collaboration politique sans
faille à la survie du régime capitaliste en crise, en désarmant et en
déboussolant les travailleurs, a conduit à éjecter de l’élection présidentielle
le prolétariat, placé de fait dans l’incapacité d’émettre un vote de classe au
second tour.
Une falsification du combat
défendu par Trotsky et l’Opposition de gauche contre le fascisme
Troisième
et dernière falsification: à l’exception de Birnbaum, tous les falsificateurs
sortent la citation de Trotsky sur « le
diable et sa grand-mère » de son contexte politique. Or, cette citation ne
peut être comprise en dehors du combat acharné mené par Trotsky contre la
théorie du « social-fascisme »
impulsée depuis Moscou par la bureaucratie stalinienne. L’Allemagne des années
1930-1933 en a été le tragique champ d’expérimentation. Le « social-fascisme »
consistait à mettre sur le même plan fascisme et social-démocratie, qualifiée
par Staline lui-même « d’aile
modérée du fascisme ». Cette théorie a servi en réalité de couverture
aux intérêts particuliers du Kremlin. Une victoire de la révolution
prolétarienne en Allemagne aurait en effet donné en URSS même une puissante
impulsion à la révolution politique donc à l’expulsion de la bureaucratie
stalinienne. Il fallait donc pour Staline s’opposer à une cette perspective,
quitte pour cela à livrer pieds et poings liés le prolétariat allemand à
Hitler. En application de la théorie du « social-fascisme
», les dirigeants du parti communiste allemand (KPD) ont fait du combat contre
la social-démocratie le combat prioritaire du prolétariat allemand pour être en
mesure d’engager par la suite celui contre le fascisme dans de meilleures
conditions politiques. Combinée au crétinisme parlementaire du parti
social-démocrate allemand (SPD) et à son soutien à la bourgeoisie, cette
politique d’obstruction systématique au front unique ouvrier a tout à la fois
divisé, désarmé et paralysé le prolétariat allemand, ouvrant ainsi en grand la
voie à l’arrivée d’Hitler au pouvoir.
Contrairement
aux calomnies staliniennes recyclées aujourd’hui par les falsificateurs,
Trotsky n’a jamais défendu la social-démocratie dans son soutien aux différents
gouvernements bourgeois, mais il a en revanche pilonné sans relâche la
caractérisation stalinienne de la social-démocratie comme
social-fasciste : « La théorie
du « social-fascisme » reproduit l’erreur fondamentale des
lassalliens sur des bases historiques nouvelles. En collant aux
nationaux-socialistes et aux sociaux-démocrates la même étiquette fasciste, la
bureaucratie stalinienne est entraînée dans des actions comme le soutien au
référendum d’Hitler : cela ne vaut pas mieux que les combinaisons des
lassalliens avec Bismarck. » (Préface
à la révolution allemande et la bureaucratie stalinienne, 1932). Trotsky a
constamment opposé au « social-fascisme » le combat pour le front
unique ouvrier, dont il tire jusqu’au bout toutes les implications:
« marcher séparément, frapper ensemble », y compris, le cas échéant,
aux côtés des bouchers de la révolution allemande. Dans le passage sur « le diable et sa grand-mère », un lecteur
averti et honnête constate sans peine que Trotsky accentue volontairement le
trait en défendant des accords pratiques avec Grzesinski et Noske. Il faut en
effet comprendre cette phrase comme un piège tendu aux staliniens dans une
situation de vie ou de mort pour le prolétariat allemand, comme une façon de
mettre les staliniens en face de leurs contradictions afin de les démasquer aux
yeux des masses et de mieux faire ressortir le caractère criminel de leur
orientation politique axé sur le poison du « social-fascisme » :
« L’année passée, j’écrivais que dans la lutte
contre le fascisme, les communistes devaient être prêts à conclure un accord
pratique non seulement avec le diable et sa grand-mère mais aussi avec
Grzesinski. Cette phrase fit le tour de la presse stalinienne mondiale :
pouvait-on trouver une meilleure preuve du « social-fascisme » de
l’opposition de gauche? Certains camarades m’avaient prévenu : « Ils
se saisiront de cette phrase. » Je
leur répondis : « Cette phrase est écrite précisément pour qu’ils
s’en saisissent. Qu’ils saisissent un fer rouge et s’y brûlent les
doigts ! Il faut donner des leçons aux imbéciles. » Le cours de la lutte amena Von Papen à faire connaître la
prison à Grzesinski. Est-ce que cet épisode cadrait avec la théorie du
social-fascisme et les prévisions de la bureaucratie stalinienne ? Non, il
était en totale contradiction avec elles. Par contre, notre appréciation de la
situation admettait tout à fait une telle éventualité et lui attribuait une
place déterminée. (…)
Si le Parti communiste avait déclaré ouvertement,
ne serait-ce qu’il y a un an : nous sommes prêts à lutter contre les
bandits fascistes, même avec Grzesinski ; si de cette formule il avait
fait un mot d’ordre de lutte s’il l’avait développée dans ses discours et ses
articles et l’avait fait pénétrer profondément dans les masses, Grzesinski
n’aurait pas pu en juillet justifier sa capitulation devant les ouvriers en se
référant au sabotage du Parti communiste. Il lui aurait fallu soit s’engager
encore plus dans la lutte, soit se compromettre définitivement aux yeux de ses
propres ouvriers. N’est-ce pas clair? » (« La
seule voie »,1932)
Dans sa
démonstration, Trotsky mentionne qu’« il
faut donner des leçons aux imbéciles ». Quatre-vingt-cinq ans plus
tard, les rôles se sont inversés ! Ce sont les « imbéciles » qui prétendent donner des leçons aux trotskystes,
falsifiant pour cela honteusement les écrits de Trotsky. Par la triple
falsification qu’ils ont fait subir à la citation de Trotsky sur « le diable et sa grand-mère », les
faussaires lui font dire l’inverse de ce que voulait signifier Trotsky. D’une
charge violente contre le « social-fascisme »
pour mieux faire ressortir la nécessité absolue d’une politique de front unique
ouvrier, et du combat classe contre classe, ils l’ont transformée en son
contraire : une défense d’un front républicain avec la bourgeoisie, érigé
en rempart contre le fascisme, soit l’exacte inverse du combat contre le
fascisme développé par Trotsky en conclusion de « La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne » (1932) :
« CLASSE CONTRE CLASSE : Que faut-il au
Parti communiste? Le retour à l’école stratégique des quatre premiers congrès
de l’Internationale communiste. Abandon de l’ultimatisme à l’égard des
organisations ouvrières de masse : la direction communiste ne saurait être
imposée, elle ne peut être que gagnée.
Abandon de la théorie du social-fascisme, qui
aide la social-démocratie et le fascisme.
Exploitation conséquente de l’antagonisme
entre la social-démocratie et le fascisme :
a) pour une lutte plus effective contre le
fascisme ;
b) pour opposer les ouvriers
sociaux-démocrates à leur direction réformiste.
Ce sont les intérêts vitaux de la démocratie
prolétarienne, et non les principes de la démocratie formelle, qui doivent
servir de critères pour apprécier les changements de régimes politiques de la
domination de la bourgeoisie.
Aucun soutien
ni direct ni indirect au régime de Brüning !
Défense hardie et dévouée des organisations
du prolétariat contre les fascistes.
« Classe contre classe ! »
Cela signifie que toutes les organisations du prolétariat doivent occuper leur
place dans le front unique contre la
bourgeoisie.
Le programme pratique du front unique doit
être défini par un accord entre les organisations devant les masses. Chaque
organisation demeure sous son drapeau et conserve sa direction. Dans l’action,
chaque organisation respecte la discipline du front unique.
« Classe contre classe! » Il faut
mener une campagne d’agitation inlassable pour que les organisations sociales-démocrates et les syndicats réformistes
rompent avec leurs perfides alliés bourgeois du « front de fer » et
serrent les rangs avec les organisations communistes et toutes les autres
organisations du prolétariat. »
Quelle est la véritable nature du FN, comment
le combattre
et quel est le sens du combat pour le front unique ouvrier ?
Cette
entreprise de falsification des écrits de Trotsky et du sens fondamental de son
combat contre le fascisme méritait à elle seule que l’on y revienne pour
défendre l’honneur de celui-ci et de son combat inlassable contre la montée du
fascisme et la capitulation du Parti communiste allemand. Mais on ne peut
s’arrêter là. En détournant les écrits d’un des plus ardents combattants contre
le fascisme dans les années 30, il s’agit d’abord et avant tout de soutenir le
front républicain bourgeois, en défense du vote Macron contre Le Pen, et
surtout en défense de l’état bourgeois « 100% républicain », même si
nos falsificateurs s’en défendent. Et pour justifier de se vautrer dans ce
front républicain sans rivage à droite, il s’agit également de créer beaucoup
de confusion sur la nature réelle du FN, sur sa base politique et matérielle.
Il nous
faut donc nous demander si le FN est un parti de nature fasciste ou s’il
présente a minima des « traits fascisants » comme l’écrit Chesnais,
ce qui d’ailleurs n’est pas tout à fait la même chose. Car l’invocation de
Trotsky et de ses écrits des années 30 dans le cadre du combat contre le
fascisme en Allemagne, en défense du front républicain, perd tout son sens en
l’absence d’un tel diagnostic aux lourdes conséquences. Au demeurant, une fois
établie la nature spécifique du FN, on verra combien le véritable combat
pratique et immédiat contre celui-ci, contre ses idées et contre les menaces
dont il serait porteur est antagonique avec le front républicain et le vote
Macron. S’il existe bien un combat spécifique à mener contre le FN en tant que
tel, pour lui interdire la rue et la tenue de ses meetings et réunions,
combattre aujourd’hui les prolégomènes du fascisme repose d’abord et avant tout
sur le combat contre la montée des tendances autoritaires et répressives de
l’état bourgeois, tendances que cristallisent aujourd’hui la question de l’état
d’urgence et de la marche à l’État policier.
Qu’est-ce que le
fascisme ? Quelques rappels
Précisons
toutefois d’emblée qu’il ne nous sera pas possible dans cet article de
caractériser longuement et précisément la nature du FN ; ce sera l’objet
d’un travail ultérieur que présentera CPS,
et nous nous limiterons ici à quelques rappels et constatations qui écartent
toutefois rapidement l’idée que le FN est un parti fasciste.
Dire du
FN qu’il est un parti fasciste signifierait a minima plusieurs choses. Une
telle caractérisation impliquerait que le FN est un parti qui combat plus ou
moins ouvertement pour le renversement du parlementarisme bourgeois, qu’il fait
campagne sur ce terrain pour « en
finir avec un régime faible, éloigner la menace communiste, supprimer les
syndicats et permettre à chaque patron d’être un Führer dans son entreprise »
comme l’écrit très justement Éric Vuillard dans son dernier roman L’ordre du jour. Cette agitation
antiparlementaire devrait s’accompagner par des manifestations concrètes sous
la forme de véritables milices, vertébrées par le FN, militairement organisées,
disposant de puissants relais au sein de l’appareil de répression - police et
justice - destinées à affronter et tenter d’écraser physiquement le mouvement
ouvrier et à faire régner la terreur. Enfin et surtout, il faudrait que le FN
constitue un recours politique pour la bourgeoisie et le grand capital, que
celle-ci considère sérieusement, au regard de conditions économiques et
politiques toujours plus chaotiques, la nécessité de soutenir, pousser,
financer ce parti en vue de son accession au pouvoir. En définitive, c’est
Trotsky qui donne le mieux l’essence de ce qu’est le fascisme :
« Le régime fasciste voit son tour
arriver lorsque les moyens "normaux", militaires et policiers de la
dictature bourgeoise, avec leur couverture parlementaire, ne suffisent pas pour
maintenir la société en équilibre. À travers les agents du fascisme, le capital
met en mouvement les masses de la petite bourgeoisie enragée, les bandes des
lumpen-prolétaires déclassés et démoralisés, tous ces innombrables êtres humains
que le capital financier a lui-même plongés dans la rage et le désespoir. La
bourgeoisie exige du fascisme un travail achevé : puisqu’elle a admis les
méthodes de la guerre civile, elle veut avoir le calme pour de longues années.
Et les agents du fascisme utilisant la petite bourgeoisie comme bélier et
détruisant tous les obstacles sur leur chemin, mèneront leur travail à bonne
fin. La victoire du fascisme aboutit à ce que le capital financier saisit
directement dans ses tenailles d’acier tous les organes et institutions de
domination, de direction et d’éducation : l’appareil d’État avec l’armée,
les municipalités, les universités, les écoles, la presse, les organisations
syndicales, les coopératives. La fascisation de l’État n’implique pas seulement
la "mussolinisation" des formes et des méthodes de gouvernement -
dans ce domaine les changements jouent en fin de compte un rôle secondaire -
mais avant tout et surtout, l’écrasement des organisations ouvrières : il
faut réduire le prolétariat à un état d’apathie complète et créer un réseau
d’institutions pénétrant profondément dans les masses, pour faire obstacle à
toute cristallisation indépendante du prolétariat. C’est précisément en cela
que réside l’essence du régime fasciste. » (La révolution allemande et la bureaucratie stalinienne; Démocratie et
fascisme, 1932).
On mesure bien que le surgissement de mouvements fascisants procède d’abord d’une situation de crise intense des rapports capitalistes et de la société bourgeoise, crise durable qui accentue considérablement les contradictions propres au capitalisme parvenu à son stade impérialiste. La dislocation du cadre normal d’exploitation qui en résulte, le rejet dans le dénuement le plus extrême de millions de prolétaires et de couches intermédiaires forge la base sociale sur laquelle s’appuient ces mouvements fascistes en même temps que la crise qui traverse la bourgeoisie leur fournit le soutien décisif de franges du grand capital décidées à en recourir à tous les moyens pour poursuivre et accentuer l’exploitation capitaliste.
Le FN peut-il être
caractérisé comme un parti fasciste ou fascisant ?
Selon
tous ces aspects, et d’abord et avant tout en raison des circonstances
historiques très différentes de celles des années 30 qui caractérisent notre
période, le FN n’est pas un parti fasciste comme le furent le parti nazi ou le
Parti national fasciste, et il est encore très loin de le devenir !
Aujourd’hui, le FN se fond totalement dans le moule des institutions de la Ve
République et de son bonapartisme bâtard, et il ne remet aucunement en cause le
rôle et les pouvoir du Parlement en place, même à demi-mot (à l’inverse par
exemple de situations comme celles de la manifestation du 6 février 1934 ou des
journées entourant la tentative de putsch des généraux pendant la guerre
d’Algérie). Au contraire, il clame partout son respect des institutions de la Ve
République et il entend d’abord utiliser les pouvoirs et dispositions les plus
bonapartistes (mais « républicains ») que lui confère celle-ci,
dispositions qui ont toutes été considérablement renforcées ces dernières
années, pour porter des attaques plus ambitieuses et plus frontales contre les
jeunes, les travailleurs et les immigrés !
Une
illustration de la nature du FN est que, suite au second tour de l’élection
présidentielle, le FN connaît les débuts d’une crise entre différentes
fractions. L’affrontement le plus important se déroule entre une première
fraction qui semble se structurer autour de Marion Maréchal-Le Pen et désire en
finir avec les revendications de sortie de l’UE et de l’Euro, revendications
qui agissent aujourd’hui comme un obstacle pour nouer des accords avec les
composantes les plus réactionnaires issues de LR, et une seconde, incarnée par
Philippot, qui refuse aujourd’hui l’abandon de ces revendications. Marine Le
Pen louvoie entre ces deux orientations tandis que Jean-Marie Le Pen, soutenu
par de nombreux cadres du FN, a pris l’initiative de présenter 150 à 200
candidats au nom d’une Union des patriotes, dont la ligne vise davantage à
jeter les bases d’un véritable parti fasciste.
Ensuite,
il n’existe pas aujourd’hui de milices fascisantes comme il en existait dans
les années 30 en Italie et en Allemagne et même, toute proportion gardée, dans
les années 60 en France. Les petits groupes de nervis d’extrême droite prêts à
donner le coup de poing, les assassins de Clément Méric, ne représentent aucune
force organisée de masse. Enfin, pour de nombreuses raisons, mais d’abord à
cause de sa position sur l’Euro et l’UE profondément incompatible avec les
intérêts du grand capital français, le FN n’est aucunement vu comme un recours
par la bourgeoisie (tout au contraire de Macron sur ce plan, malgré ses
faiblesses politiques). Pour preuve, son incapacité chronique à financer ses
campagnes électorales, ce qui le pousse à contracter des emprunts auprès de
banques russes et à verser dans des magouilles que le RPR et l’UMP n’auraient
pas reniées.
En
substance, le FN n’est pas un parti fasciste ou à même de le devenir dans un
proche intervalle de temps parce que tout à la fois la situation du capitalisme
français en crise et les rapports entre les classes ne nécessitent pas (encore)
d’en arriver à de telles extrémités ; ni le cadre vermoulu d’une Ve
République pourtant de plus en plus en crise, ni l’activité des masses
n’imposent aujourd’hui à la bourgeoisie d’en recourir à l’écrasement physique
du mouvement ouvrier. Cela ne signifie toutefois aucunement que ce ne puisse
être le cas à mesure que la crise va s’approfondir. Mais ce n’est pas encore le
cas, loin s’en faut.
Quelle est donc la nature du
FN ?
Pour
autant, le FN conserve en tant que parti des caractéristiques qui lui sont
particulières. Il puise ses origines dans un assemblage hétéroclite de tout ce
qu’il y avait de plus réactionnaire comme formations politiques d’extrême
droite, structuré autour d’Ordre nouveau dans les années 1970, lui-même issu
des groupuscules Occident et GUD, dont certains dirigeants tels Longuet,
Devedjian, Madelin se sont totalement intégrés à l’UMP puis à LR. Depuis le
milieu des années 1980 qui ont consacré son implantation sur le terrain
électoral, ce parti a développé une rhétorique nauséabonde, d’abord sur fond
d’antisémitisme et de négationnisme, avant de déverser son torrent de haine
contre les populations immigrées.
Comme l’indique
CPS n°91 du 11/10/2002, « le courant politique qui se reconstitue
autour du FN et de Le Pen a des racines historiques dans une fraction de la
vieille bourgeoisie française ultraréactionnaire. Celle, qui, issue et liée à la
vieille aristocratie et à l’église, plonge ses racines lointaines dans la
contre-révolution pour abattre par la première République, le camp des
Vendéens, les partisans de la restauration monarchique après la Commune de
Paris, le camp des antidreyfusards et celui de l’extrême droite française dans
les années vingt et trente, le camp de la collaboration de Pétain avec le
régime nazi ».
Il est
utile de rappeler que la figure historique du FN, son actuel président
d’honneur, a eu un début de carrière qui n’est pas anecdotique. Sous-officier
engagé en Algérie – après l’avoir été en Indochine (appellation de l’époque) –
il a fait partie de la fraction de l’appareil d’État la plus acharnée à
maintenir ce pays sous oppression française et à réprimer le combat pour
l’indépendance du peuple algérien : il est avéré que sous ses ordres, une
patrouille a torturé à mort un militant algérien, en mars 1957. Ce n’est pas un
hasard si le socle électoral historique dont bénéficie le FN se situe dans le
Sud méditerranéen, là où se regroupent les survivants et les descendants des
« pieds-noirs ».
Politiquement, le FN est le représentant d’une petite bourgeoisie constituée
d’artisans, de commerçants, de professions libérales ainsi que de couches
intermédiaires heurtées de plein fouet par la crise du capitalisme et les
tendances propres de l’impérialisme (monopole et dictature du capital
financier). De ce point de vue, le FN est effectivement un parti dont le
programme demeure violemment réactionnaire, xénophobe, et anti-ouvrier nonobstant
les aménagements de façade qui ne dupent personne. Il est porteur d’un
nationalisme et d’un patriotisme exacerbés, et il défend inlassablement un
retour à l’ordre, aux valeurs morales perdues et à l’autorité. Ce faisant, le
FN a toujours été en pointe dans la défense et la mise en avant de toutes les
mesures les plus réactionnaires en termes de répressions et de restrictions des
libertés démocratiques. À ce titre, il conserve une singularité parmi les
partis politiques de la Ve République, et il s’agit de le combattre
en tant que tel.
Il
convient enfin de constater que le FN a historiquement joué le rôle d’aiguillon
pour la bourgeoisie française qui a parfaitement su s’en accommoder. Du point
de vue de celle-ci, le FN a précisément toujours eu pour fonction d’avancer et
de développer toutes ces idées les plus réactionnaires afin qu’elles pénètrent
la conscience des masses et créent un contexte politique favorable, permettant
aux gouvernements bourgeois au pouvoir d’aller toujours plus loin sur le terrain
de la répression anti-ouvrière et anti-immigrés, et sur celui du recul des
libertés démocratiques. Il est cependant aujourd’hui plus qu’un
aiguillon : dans bien des domaines, il donne le ton, en premier lieu celui
du renforcement de l’État bourgeois, de la répression policière et des attaques
contre les libertés démocratiques, mais pas seulement.
Quel est le sens réel du
combat pratique contre le FN et comment doit-il se mener ?
Toutefois,
dire que le FN est un parti xénophobe, ultra-réactionnaire et qu’il porte un
projet politique autoritaire et particulièrement agressif envers les immigrés
et les libertés démocratiques n’est pas la même chose que de le qualifier de
fasciste ou de fascisant. Ces tendances autoritaires et le recours à une
politique de plus en plus répressive sont contenus dans les développements
mêmes du capitalisme parvenu à son stade impérialiste et des rapports entre les
classes que sa crise récurrente engendre. Toutes les formations politiques
bourgeoises sont susceptibles à un moment ou un autre, en fonction des
évènements et de la lutte de classe, de recourir à des méthodes de plus en plus
autoritaires et de tendre vers l’État policier, c’est-à-dire au déferlement
d’une violence exercée par l’appareil de répression de l’État dressé contre le
mouvement ouvrier organisé, les immigrés et les minorités en général, appuyé si
nécessaire par des milices fascisantes afin de faire régner la terreur. Cela
est le propre de toutes les dictatures militaires qui ont jalonnées l’histoire
de la seconde moitié du XXe siècle (Grèce, Argentine, Chili,
Brésil…). De même, il n’est pas étonnant de constater que la formation
politique qui se rapprocherait le plus d’une formation fasciste en Europe se
trouve aujourd’hui en Grèce avec Aube dorée, et
que son éclosion politique procède d’abord de l’intensité de la crise
économique qui règne en Grèce.
Le
combat pratique, réel, contre la montée de ces tendances autoritaires et ce
glissement vers l’état policier ultra-répressif ne peut en aucun cas passer par
un quelconque appel à voter pour Macron, contre le FN, car ces mêmes tendances
autoritaristes et répressives sont contenues en puissance dans n’importe quel gouvernement bourgeois qui mène
une politique au compte du capital. Car de quoi parle-t-on concrètement
lorsqu’on évoque ces tendances autoritaires exacerbées dont le FN, et lui seul,
serait porteur : d’une politique de répression, de contrôle systématique,
de fichage racial et de harcèlement à l’endroit des jeunes issus de
l’immigration ? De la violence policière sans cesse accrue qui se déchaîne
aujourd’hui dans ces quartiers mais aussi dans les manifestations, avec le
soutien constant des plus hautes autorités ? À ce propos, il est
particulièrement significatif que Macron ait choisi comme directeur de cabinet
Patrice Strzoda, « Monsieur Flashball » qui s’est illustré en tant
que préfet de Bretagne dans la répression particulièrement violente du
mouvement contre la loi travail. Parlons-nous de manifestations de flics
cagoulés, de déportations massives de travailleurs étrangers, d’arrestations et
de condamnations de militants syndicaux ? Parlons-nous des assassinats et
des mutilations de jeunes et de manifestant perpétrées par les forces de
l’ordre « républicaines » dans une totale impunité ?
Si
c’est de cela dont nous parlons, ce n’est malheureusement pas de menaces et
périls abstraits contenus dans le programme du FN, contre lesquels il
conviendrait de lutter un dimanche de mai au bureau de vote, mais une réalité
concrète, et la combattre signifie pratiquement tout le contraire de l’appel au
vote Macron. Combattre la montée des tendances autoritaires et répressives,
celles qui s’abattent quotidiennement sur ces populations que certains de nos
falsificateurs nous accusent à demi-mot de négliger, mener la lutte pratique et
réelle contre le FN, c’est d’abord combattre contre la mise en œuvre de l’état
policier « 100% républicain » qui s’est formidablement accélérée ces
deux dernières années. S’il existe bien un corps dans lequel le FN s’implante
véritablement, ce sont les flics et les militaires. Le rôle que le FN a pu
jouer dans les récentes manifestations de flics le démontre sans fard. La
violence croissante des forces de l’ordre, les libertés qu’elles prennent, les
pouvoirs considérables qu’elles ont acquis ces dernières années, tout cela est
la manifestation concrète, immédiate, de ce dont le FN serait porteur. C’est
pourquoi, le combat réel contre le FN est indissociable du combat immédiat
contre l’état policier. Il commence même par là !
Le combat pour réaliser le
front unique des organisations ouvrières
contre la marche accélérée à l’État policier
Le
combat effectif contre le FN signifie d’abord combattre inlassablement pour
réaliser le front unique des organisations ouvrières contre l’état d’urgence et
l’union nationale qui s’est constituée sous couvert de lutte contre le
terrorisme (union qui allait du PCF au FN, Le Pen étant reçue par Hollande en
tant que leader d’un parti d’opposition !), contre toutes les lois
policières (notamment la dernière qui a encore élargi le régime de légitime
défense des flics en l’alignant sur celui des gendarmes), pour la libération et
l’arrêt des poursuites contre les militants syndicaux réprimés (notamment les
militants d’Air France et ceux de Goodyear) ; cela signifie combattre pour
la constitution de comités de défense intégrant les services d’ordre des
centrales ouvrières dans les manifestations pour faire face à l’acharnement des
forces de l’ordre qui s’est encore amplifié lors des manifestations du 1er-Mai.
Combattre pour le socialisme peut
produire maintes démonstrations de son engagement dans tous ces combats. Les
faussaires et les donneurs de leçons peuvent-ils en faire autant ?
Pour
autant, cela ne signifie pas qu’il n’y a pas de combat contre le FN à mener en
tant que tel. La classe ouvrière et le prolétariat ne peuvent pas ne pas
s’inquiéter du poids politique croissant que le FN gagne élections après
élections. Que signifierait donc un tel combat contre le FN ? Comme
l’indiquait CPS n°41 du 01/02/1992, «
les déclarations, la main sur le cœur,
pour la « défense de la démocratie », les procès pour « injures » ne peuvent
absolument rien contre Le Pen et le Front National ». Le combat pratique
contre le FN consisterait d’abord à combattre pour lui interdire la rue, pour empêcher
qu’il ne puisse tenir ses meetings, ses réunions et ses manifestations. Des
franges non négligeables de la jeunesse aspirent aujourd’hui à mener ce combat,
mais pour être efficace, pour qu’il ne demeure pas isolé et à la merci de la
répression de l’appareil d’état qui ne manquera pas de défendre le FN dans ces
circonstances, celui-ci doit être mené dans le cadre du front unique des
organisations ouvrières. Ce combat, ce sont les jeunes et les travailleurs qui
devront l’imposer aux directions syndicales qui, elles, s’y opposeront de
toutes leurs forces. Le combat contre le FN en tant que tel et le combat contre
l’état d’urgence et la marche à l’État policier sont néanmoins des combats
indissociables et complémentaires. Ce n’est pas un hasard si, parmi les rares
organisations qui ont refusé de se vautrer dans le front républicain, on
retrouve en première ligne des organisations « antifascistes » qui
n’ont eu de cesse de combattre pratiquement le FN, la répression et la marche à
l’État policier.
Pour finir,
il faut indiquer que, ce qui nourrit électoralement le FN depuis des années,
c’est d’abord l’impuissance organisée de la classe ouvrière et du prolétariat
face aux conséquences du capitalisme parvenu à son stade impérialiste (chômage
de masse, inégalités croissantes, remise en cause permanente des acquis,
destruction des services publics), conséquences qui ont été décuplées avec les
nouveaux développements de la crise depuis 2008.
Cette
impuissance procède de plusieurs éléments, mais l’un d’entre eux est
fondamental, central : la responsabilité du PS du PCF et des appareils
syndicaux, particulièrement depuis 1981. Tous les gouvernements dirigés par le
PS – avec au départ la participation du PCF puis avec son soutien – ont mené
sans relâche une politique au compte du capitalisme contre les travailleurs et
la jeunesse. La violence des attaques anti-ouvrières est allée crescendo au fur
et à mesure des besoins du capitalisme français toujours plus déliquescent. De
leur côté, les directions syndicales ont systématiquement refusé d’engager le
combat contre les gouvernements bourgeois, contre leurs projets, de rompre avec
eux et de ne participer d’aucune façon à l’élaboration ou à la mise en œuvre
des contre-réformes à travers le dialogue social. Ce refus est appuyé et
soutenu par de nombreuses forces « d’extrême gauche » (NPA, LO, POI,
POID...) qui évitent soigneusement de mener tout combat sur cette orientation
de rupture avec les gouvernements, contre l’orientation des directions
traîtres, à l’intérieur même des syndicats.
En
accompagnant toutes les contre-réformes des gouvernements depuis des décennies,
en cadenassant toutes les aspirations et tentatives de la jeunesses et des
travailleurs de se dresser contre les conséquences de la crise du capitalisme et
contre les attaques de la bourgeoisie, les vieux appareils traîtres du
mouvement ouvrier ont, conjointement avec leurs supplétifs « d’extrême
gauche », accentués le désarroi politique des travailleurs, rejeté loin de
l’organisation des franges de la jeunesse, nourri le discours antisyndical et
anti-organisation, et ainsi apporté leur pierre au processus de décomposition
politique et organisationnel toujours plus significatif du mouvement ouvrier.
Voilà
le véritable lit sur lequel prospère le FN aujourd’hui avec son discours
prétendument anti-système et ce qui lui permet à présent de capter les voix
d’un nombre certain d’ouvriers ! Le meilleur antidote contre le vote FN,
c’est le combat contre le capitalisme, le combat contre les contre-réformes bourgeoises,
pour la rupture des organisations ouvrières avec tout gouvernement au service
du capital financier, le combat pour le gouvernement ouvrier afin d’arracher à
l’influence de Le Pen les couches sociales désespérées par la politique au
service du capital financier et jetées dans les bras de Le Pen pour cette
raison même.
Ici
encore, le Groupe Combattre pour le
socialisme peut apporter de multiples preuves de son combat incessant sur
cette orientation de front unique des organisations ouvrières. Mais qu’en est-il
de nos falsificateurs ? Ceux qui aujourd’hui tentent de jeter l’anathème
sur les militants qui refusent de se vautrer dans un front républicain sans
rivage, au côté de Sarkozy, Fillon et Gattaz, ceux qui nous disent, « Dimanche on dégage Le Pen, lundi on combat
Macron » peuvent-ils nous présenter leur fait d’armes sur ce
terrain ? Quand ont-ils ouvertement combattu contre les directions
syndicales traîtres pour qu’elles en finissent avec le mortifère dialogue
social et qu’elles engagent le combat sur telle ou telle contre-réforme sur le
terrain du front unique ouvrier ?
Conclusion : la
nécessité du combat en défense des acquis du trotskysme
Quand
bien même la montée du fascisme serait un danger immédiat en France, quand bien
même des bandes armées s’en prendraient physiquement aux militants ouvriers et
aux organisations du prolétariat, jamais Trotsky n’aurait appelé à voter
Macron, ni à rallier le front républicain. Prétendre le contraire relève à la
fois du mensonge pur et simple et de la calomnie, mais aussi d’une négation des
enseignements de l’histoire. Combattre
Pour le Socialisme n° 91 précisait à propos du front républicain de
2002 contre le FN :
« Pour justifier le vote Chirac et enserrer le
prolétariat et la jeunesse sur la ligne du « Front Républicain », le PS, le
PCF, les dirigeants des organisations syndicales ouvrières et enseignantes et
la LCR présentent le FN comme un parti fasciste. Tel n’est pas le cas et il
convient d’ajouter immédiatement que, même s’il en était ainsi, l’orientation du
« Front républicain » ou de la lutte pour la défense de la « Démocratie », ou
encore la politique du « front populaire » et ses variantes édulcorées telle
celle de la « gauche plurielle », ne permet pas de vaincre le fascisme et
d’écraser les partis fascistes. Au contraire, elle désarme et impuissante la
classe ouvrière et la jeunesse et les conduit invariablement à la défaite,
servant les intérêts fondamentaux de la bourgeoisie. Le prolétariat l’a appris
à ses dépens en subissant des défaites tragiques et sanglantes, par exemple en
Allemagne, en Italie et en Espagne dans les années 1920-1930 mais aussi, plus
récemment au Chili au début des années 1970. « Il vient encore d’en faire une
cruelle expérience en France, bien entendu dans une moindre mesure, avec
l’élection triomphale de Chirac, l’élection d’une majorité « bleu CRS » à
l’Assemblée Nationale, la constitution du gouvernement Chirac-Raffarin. En
1938, dans le Programme de Transition Léon Trotsky indiquait : “C’est
pourquoi la divulgation impitoyable de la théorie et de la pratique du « Front
populaire » est la première condition d’une lutte révolutionnaire contre le
fascisme”. »
Dans la
continuité du combat de Trotsky, axé sur la rupture avec la bourgeoisie, le
Groupe, dans le contexte de l’entre-deux tours, a opposé au front républicain
avec la bourgeoisie le front unique ouvrier sur la ligne : « pas une voix pour Le Pen, pas une voix pour
Macron ! ». En jouant les rabatteurs pour le front républicain au
compte de la bourgeoisie et des appareils, les falsificateurs de Trotsky ont
apporté leur caution à une opération politique visant à offrir au capital
financier, dont Macron est l’émanation directe (comme le montre de manière
éclatante les révélations sur le financement de sa campagne), des conditions
politiques favorables pour lancer une offensive brutale mais « 100%
républicaine » contre les intérêts des travailleurs et de la jeunesse. Voilà à
quelle impasse mortelle conduit le combat mené ouvertement par les faussaires
contre le front unique ouvrier. Qui s’inscrit dans une lutte politique de ce
type est inévitablement amené à dévaler une pente réactionnaire.
Face à
la falsification de Trotsky, sciemment orchestrée par les renégats du
trotskysme à l’occasion de l’élection présidentielle, le Groupe ne pouvait
rester sans réaction. En effet, cette campagne d’intoxication s’inscrit dans
une offensive beaucoup plus large, menée en relation avec la décomposition
accélérée du mouvement ouvrier, et visant à liquider les acquis politiques et
théoriques issus du combat pour la IVe Internationale cristallisant
les leçons de toute l’expérience politique du prolétariat. Dans une telle
situation, demeure plus que jamais la nécessité du combat pour la défense de
ces acquis tel que l’avait formulé CPS
n°35 du 07/01/2009 à propos de la liquidation de la LCR : « Dans l’immédiat, la liquidation de la LCR,
abondamment médiatisée, contribue sans conteste à nourrir le désarroi politique
des travailleurs, de la jeunesse, à dresser des obstacles à tous niveaux à la
reconstruction du mouvement ouvrier sur l’axe de la révolution. Malgré tous les
obstacles, ce mouvement s’engagera. S’y préparer, le préparer, exige de
défendre la théorie de la révolution prolétarienne mondiale, le marxisme, le
trotskysme, contre tous ceux qui veulent les enterrer, pour propager les acquis
indispensables à la construction de partis ouvriers révolutionnaires capables
de jouer pleinement leur rôle, et dès aujourd’hui organiser autour d’eux.
C’est, dans la présente période historique, la tâche que s’est fixée le Groupe
et son bulletin Combattre pour le Socialisme ».
25 mai 2017
[ http://socialisme.free.fr
- © A.E.P.S., 1 Bis Rue GUTENBERG,
93100 MONTREUIL ]
[1]
http://www.filoche.net/2017/04/26/unite-rouge-rose-verte-dabord-pour-battre-le-pen-puis-combattre-macron-et-ses-futures-lois-scelerates-contre-le-code-du-travail-et-la-protection-sociale/
[2]
https://blogs.mediapart.fr/michel-broue/blog/260417/nos-amis-de-gauche-qui-deviennent-fous-2
[3]
https://www.mediapart.fr/journal/france/010517/dire-non-au-desastre?page_article=2
[4]
http://culture.revolution.free.fr/lettres/Lettre_175_02-05-2017.html
[5]
http://www.rezocitoyen.org/Second-tour-Ecraser-Le-Pen-electoralement-dimanche-signifie-voter-Macron-et-non-pas-voter-blanc-ou-s-abstenir.html
[6]
https://aplutsoc.wordpress.com/2017/05/04/tout-reste-possible/