Article paru dans le bulletin « Combattre pour le socialisme » n°63 (145 ancienne série) 7 décembre 2016 :

Grande-Bretagne :

Travailleurs et jeunes tentent d’investir le Labour party

 

Le 23 juin dernier, le résultat du referendum sur le maintien ou la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne fut sans appel :

Participation :

33 551 983

72,2 % des inscrits

« Rester membre de l’Union européenne » (Remain) 

16 141 241

48,11 %

« Quitter l’Union européenne » (Leave) 

17 410 742

51,89 %

 

La participation atteint un record avec trois millions de votes exprimés de plus qu’aux élections générales de 2015. Le « leave » l’a emporté largement dans toutes les régions d’Angleterre et du Pays de Galles, à l’exception de Londres, et aussi de l’Irlande du Nord et de l’Écosse, qui ont donné la majorité au « remain ». Les régions où le Brexit obtient les pourcentages d’exprimés les plus importants sont celles qui sont les plus frappées par le chômage et la crise.

Sous le titre « Un défi à la classe politique », Le Monde du 24 juin rappelle : « Mercredi, dans un dernier effort de campagne, les quatre premiers ministres vivants, les conservateurs David Cameron et John Major et les travaillistes Gordon Brown et Tony Blair, avaient lancé un appel à voter pour rester dans l’UE. Le camp du « in » comptait également dans ses rangs l’essentiel des représentants de la City et du patronat, ainsi que l’écrasante majorité des universitaires et des chercheurs, tout comme l’archevêque de Canterbury. »

Bon gré mal gré, tous les dirigeants politiques aussi bien que les sommets de l’économie capitaliste durent prendre acte de ce résultat. Pour autant, aussi clair arithmétiquement qu’il soit, ce vote n’en exprime pas moins une grande confusion politique dans le camp de la classe ouvrière et de la jeunesse. S’il est incontestable qu’une partie de l’électorat du Labour a voté pour le » leave «, ce n’est en aucun cas la mobilisation en masse de l’électorat ouvrier qui explique le résultat, contrairement à ce que veut faire croire une série de commentateurs « avisés ». Le « leave » l’a emporté du fait d’une mobilisation sans précédent de l’électorat petit-bourgeois, voire bourgeois, des couches les plus réactionnaires, ceux que l’on dénomme parfois les « pieds écrasés », qui font les frais de la crise économique. L’électorat de l’UKIP s’est mobilisé mais aussi une partie très importante de l’électorat traditionnel du parti conservateur, réfraction de la crise qui secoue ce parti, crise qui avait conduit Cameron à s’engager dans la voie du référendum. Ce vote n’apporte par lui-même aucune issue politique pour les travailleurs. Il n’a pas été un vote classe contre classe. La responsabilité en incombe aux directions des organisations ouvrières, Labour et syndicats, qui ont tout fait pour qu’il en soit ainsi. Il n’y avait pourtant là aucune fatalité.

Les bourgeoisies européennes forcées de s’accommoder du Brexit

Le résultat du referendum britannique a fortement ébranlé l’Union européenne et l’ensemble de ses composantes. Le mot « séisme » a couru dans les médias ainsi qu’un sombre présage de la dislocation de cette « union » qui n’a jamais été - et qui ne peut être - que l’alliance conflictuelle des bourgeoisies capitalistes des différents États du continent.

Au lendemain du vote, l’ensemble des marchés financiers spéculatifs connaissaient un instant de panique, à vrai dire assez prévisible, sinon prévu. Le 24 juin, dès l’ouverture, les indices boursiers plongeaient unanimement de 7 % à 10 %. La livre sterling tombait à 1,36 dollar, son plus bas niveau depuis 1985. L’euro de son côté perdait 3 % à 1,10 dollar. Les banques, qui font à présent figures de talon d’Achille du capital financier du fait de l’accumulation de « créances douteuses » dans les bilans même des plus sérieuses, comme la Deutsche Bank, accusaient le coup très sévèrement. « Le secteur bancaire est l’un des plus attaqués. Les valeurs de certaines grandes banques comme Royal Bank of Scotland (RBS), Barclays et Lloyds Banking Group s’effondraient de près de 30 % à Londres. A Francfort, la Deutsche Bank chutait de 17 % à l’ouverture. A Paris, BNP Paribas s’écroulait de 16 %, la Société générale de… 25 %. Déjà sous pression par l’environnement de taux bas qui rognent leurs marges, les établissements britanniques vont, avec le « Brexit », perdre leur « passeport européen » qui leur permet de vendre leurs produits financiers en Europe. » (Le Monde, 24 juin 2016)

De leur côté, les emprunts d’État retrouvaient leur tendance toxique à des taux négatifs. Enfin, signe indubitable de toute crise économique et financière, l’or connaissait une hausse générale sur toutes les places boursières : « L’once d’or grimpe de 6 %, à 1 323 dollars (1 165 euros), soit son plus haut niveau depuis l’été 2014. Et il devrait poursuivre son ascension : les analystes de la Société générale estiment qu’il pourrait atteindre rapidement les 1 400 dollars. » (ibid.) Tels des bookmakers bluffeurs, les spéculateurs capitalistes et leurs valets traders se voyaient brutalement démasqués.

Mais ce n’étaient là que les convulsions d’un moment de panique. Le Monde du 24 juin 2016 commente :

« La baisse de l’indice britannique aurait même pu être plus forte au vu de l’événement qui est en train de se jouer. Mais comme la majeure partie du chiffre d’affaires des sociétés du Footsie 100 (indice boursier britannique) est réalisé en dehors du Royaume-Uni, les entreprises vont bénéficier de la baisse de la devise britannique, qui est synonyme de gains de compétitivité et améliorera mécaniquement leurs résultats ». Par ailleurs, un autre article du même journal expliquait que toutes les banques centrales de la planète s’étaient concertées afin de se préparer à couvrir un éventuel afflux de demande de liquidités et à racheter massivement de la dette publique, tout en sachant qu’il ne peut s’agir là que d’expédients à court terme.

Dès le 24 juin, tous les dirigeants des États et des institutions de l’Union européenne prenaient acte du vote et tentaient d’en limiter les effets. À vrai dire, l’édifice juridique de l’UE n’avait prévu aucune procédure de séparation si un État membre décidait un jour de s’en séparer. Le fameux article 50 du Traité de Lisbonne se contente d’exposer cette possibilité, et renvoie pour la suite à l’article 218 du traité sur l’UE et du traité sur le fonctionnement de celle-ci, qui règle les rapports avec « les États tiers », autrement dit on repart à zéro dans des négociations appelées à traîner en longueur. Or les économies capitalistes sont aujourd’hui tellement imbriquées, les « équilibres » tellement instables, dans un contexte de marasme général et de crise persistante, que le capital financier ne peut se payer le luxe d’incertitudes juridiques se prolongeant sur des mois et des années. Les relations au sein du système bancaire en particulier demandent à être très rapidement clarifiées.

Quoi qu’il en soit, ce seront les États et les gouvernements qui seront aux manettes, et le nouveau traité, si traité il y a, entre l’Angleterre et l’UE, sera le produit d’un rapport de forces entre puissances impérialistes. Les « négociations » ne règlent en l’occurrence que le poids et la place spécifique reconnus à chacun. C’est ce que sont appelés à établir les « sommets » entre UE et Angleterre qui suivront.

En réalité, les conséquences du Brexit ne sont pas tant juridiques, économiques ou institutionnelles, que politiques. La Grande-Bretagne n’appartenait ni à la zone Euro ni à l’espace Schengen, disposait déjà de très nombreuses dérogations, les « opt-out », et n’avait pas signé nombre de traités de l’UE, sans parler des accommodements budgétaires obtenus par Thatcher en 1984 et toujours en vigueur. C’est d’abord le choix politique de rompre avec l’UE exprimé lors de ce scrutin qui inquiète l’ensemble des bourgeoisies du continent, car la crainte de la contagion les plonge dans une incertitude fort néfaste pour les affaires du capital financier.

À la veille du vote, Martin Wolf écrivait dans le Financial Times « Ce référendum est probablement l’acte le plus irresponsable commis par un gouvernement britannique que j’ai jamais connu. Le résultat pourrait se révéler catastrophique. » Et Wolfgang Schäuble explicitait au lendemain dans Die Welt, sous le titre « L’Europe a besoin de l’influence libérale des Britanniques » : « L’Europe n’a pas seulement besoin de la capacité des Anglais à déclencher des réformes… L’Europe a besoin de la Grande-Bretagne aussi parce qu’elle aide l’Union européenne a toujours se souvenir de ses racines libérales et parce qu’elle considère que la Commission européenne doit fonctionner comme un organe qui règle les problèmes. » Autrement dit, le poids réactionnaire et anti-ouvrier du Royaume-Uni au sein de l’UE va leur manquer… Mais ils vont devoir apprendre à s’en passer.

Le vote du Brexit relance les forces centrifuges vers une dislocation du Royaume-Uni

Le Brexit est une des multiples manifestations de la tendance à la dislocation de l’économie mondiale, au protectionnisme et à la guerre commerciale et financière, qui agite l’ensemble des États capitalistes sous l’effet de la crise économique qui les tenaille depuis 2007-2008, et dont la contraction du commerce mondial est une manifestation majeure. Les différentes formes de « patriotisme », économique ou autre, de nationalisme, de xénophobie, de repli « identitaire », de fermeture des frontières, sont des expressions politiques de cet aiguisement de la concurrence entre bourgeoisies nationales, des contradictions entre impérialismes, de la décomposition sociale que produit la crise capitaliste, et de l’incapacité du système capitaliste à surmonter les frontières et mettre fin aux limites nationales. Ce déluge réactionnaire est rendu possible et alimenté par la décomposition politique et l’assimilation complète des appareils des partis et syndicats ouvriers aux exigences du capitalisme pourrissant.

Dans le cas de l’impérialisme britannique, ces tendances se traduisent également par le développement de forces qui tendent à disloquer ce qu’on a appelé le Royaume-Uni.

Le séparatisme écossais va connaître un nouvel élan. Dès le lendemain du vote, Le Monde écrivait : « En Écosse, (…) c’est le choc : on s’y est prononcé à 62 % pour rester dans l’UE. L’ensemble des 32 circonscriptions écossaises ont choisi le maintien. Dans la matinée, Nicola Sturgeon, première ministre de l’Écosse, déclare que la région voit “son avenir au sein de l’Union européenne“. Elle ajoute : “ La possibilité d’un second référendum [sur l’indépendance de

l’Écosse par rapport au Royaume-Uni] doit être sur la table, et elle est sur la table.“ »

En Irlande du Nord, où tous les partis politiques, « républicains » comme « unionistes », avaient appelé à voter « remain », et où le oui l’a emporté avec 56 % des suffrages exprimés, le Sinn Fein a tiré argument du Brexit pour demander l’unification immédiate de l’Irlande, et le chef du gouvernement régional nord-irlandais, dirigeant du Fine Gael, Enda Kenny lui-même, a évoqué un referendum sur l’unification de l’Irlande, autrement dit la séparation du Royaume-Uni, qui dès lors, ne le serait plus guère.

L’avenir dira si toutes ces résolutions étaient autre chose que des paroles en l’air, mais il est clair que tous ces politiciens bourgeois n’entendent en rien s’opposer sérieusement au gouvernement de l’impérialisme britannique de Londres, ni combattre sérieusement pour les indépendances écossaise et irlandaise.

Une campagne marquée par la violence des déchirements de la bourgeoisie britannique…

Les profondes divisions de la classe dirigeante britannique, quant à ses relations aux autres puissances européennes et au reste du monde, ont donné un tour particulièrement hystérique à la campagne référendaire. Chaque « camp » faisant usage des pires délires hystériques, pour masquer les véritables enjeux politiques du vote.

Le point culminant de cette dramaturgie émotionnelle a été représenté par le meurtre de la députée, membre du Labour, blairiste et farouchement pro-UE, Helen Joanne Cox, assassinée par un nervi d’extrême-droite. La victime n’est pas n’importe qui. Après avoir signé pour appuyer la candidature de Corbyn à la tête du parti, Cox regretta immédiatement ce geste tactique, et fit partie de la fraction de l’appareil qui demanda la démission de ce dernier après les élections locales de 2016. Elle s’illustra encore en s’alliant avec des députés tories pour appuyer publiquement l’intervention en Syrie. L’évènement de sa mort fut immédiatement exploité pour tenter de faire remonter le « remain » dans les sondages. Dès l’annonce du meurtre, la livre sterling et l’euro regagnaient du terrain face au dollar sur les marchés financiers. Corbyn lui-même crut bon de payer de sa personne en allant poser aux côtés de Cameron devant le mémorial édifié pour les obsèques de Cox. Mais les larmes de crocodiles déversées par les politiciens de tout bord autour de cette mort ne devaient pourtant pas inverser le vote majoritaire en faveur du Brexit.

Le résultat, clair et incontestable, signifie d’abord une défaite majeure pour le parti conservateur (Tory) au pouvoir, et singulièrement pour le Premier ministre Cameron. Comme il était prévisible, ce dernier dut annoncer sa démission dès le lendemain du vote.

Le parti conservateur est apparu dans la campagne référendaire plus divisé que jamais, de sa base à ses sommets. Pendant que Cameron prenait la tête de la campagne du « remain », le bouffon Boris Johnson croyait bon de jouer les ténors du Brexit, mais c’est la prudente légitimiste Theresa May qui l’emportait finalement après avoir préparé l’avenir tout en assurant le sien propre. La majeure partie de l’appareil du parti tory a soutenu plus ou moins ouvertement la campagne du « leave » aux côtés d’organisations d’extrême-droite comme UKIP de Nigel Farage (parti lui-même issu d’une scission des Tories), le Swinton Circle, ou « Britain first » (dont l’assassin de Cox était membre), groupe issu du BNP fasciste.

… mais tous d’accord pour s’en prendre aux immigrés

L’essentiel des « arguments » des leaders réactionnaires du Brexit relevaient de la pire ordure xénophobe et raciste, et consistaient à agiter la peur de l’» invasion migratoire » dont le Brexit était censé protéger le Royaume de sa gracieuse majesté. Mais il faut rappeler que dans le camp d’en face, les thèmes de campagne du « remain » exploitaient exactement les mêmes ressorts anti-immigrés, en menaçant les électeurs d’un raz-de-marée de migrants en cas de Brexit. Les travailleurs britanniques étaient donc placés devant ce « choix » répugnant d’une des deux ailes de la réaction noire, concurrentes sur la meilleure façon de taper sur les immigrés.

Le gouvernement de Teresa May et la perspective de la sortie effective de l’UE

Dès le lendemain du vote, Cameron devait annoncer sa démission, et, le 11 juillet, il pouvait présenter Teresa May comme appelée à lui succéder au 10 Downing Street. Après avoir fait carrière dans la banque et les institutions financières, celle-ci fut présidente du parti Tory en 2002, puis ministre de l’intérieur des différents gouvernements Cameron depuis 2010. Elle s’illustra à ce poste, qu’elle occupa six années durant, notamment dans des mesures de renforcement des dispositions anti-immigrés. Connue pour des prises de positions « euro-sceptiques », elle se rangea néanmoins à la position du « remain » lors du referendum. Cela lui permit, dès la succession de Cameron ouverte, de se présenter comme seule candidate capable de maintenir l’unité des Tories, court-circuitant ainsi toute velléité de Boris Johnson. Ce dernier, capitulant lamentablement devant des responsabilités manifestement trop lourdes pour lui, obtint cependant un lot de consolation en décrochant le poste de ministre des affaires étrangères dans le cabinet dirigé par May.

L’objectif essentiel du ministère May est de tenter de gérer une « sortie de crise », sinon la sortie de l’UE, au mieux des intérêts de l’impérialisme britannique. Nul ne peut dire si le Royaume-Uni quittera effectivement l’UE. Il est probable que les négociations sur ce point entre puissances impérialistes vont s’étirer sur une échelle de temps assez étendue, et que nombreux sont ceux qui ont intérêt à « jouer la montre ». Martin Wolf s’interroge : « Il est toujours possible que le Brexit ne se produise pas », ce qui demeure une hypothèse juridiquement envisageable sur le papier, mais il ajoute : « Ignorer ou chercher à renverser le résultat aurait un coût politique supérieur à son acceptation », et plus loin : « Le Royaume-Uni quitte l’UE. Cela doit être l’hypothèse de ses partenaires de l’UE », il parle alors de « départ quasi certain du Royaume-Uni » (Le Nouvel Économiste, 15 juillet 2016) .

Quoi qu’il en soit, il ne fait aucun doute que cela ne peut entraîner pour la classe ouvrière et la jeunesse de Grande-Bretagne que de nouveaux reculs des conquêtes sociales et du niveau de vie des masses déjà fortement dégradé depuis des décennies.

Le vote du Brexit n’apaise pas les divisions de la bourgeoisie anglaise

La profonde division de la bourgeoisie britannique sur la question de l’appartenance à l’UE s’est à nouveau exprimée lors du congrès annuel du parti tory du 2 au 5 octobre 2016. Pendant que la grande majorité des délégués s’adonnaient à l’euphorie du Brexit, sous la conduite de Theresa May prétendant que les Tories constituaient désormais « le centre de la vie politique » britannique, et promettait un « great repeal act » que la presse croyait pouvoir qualifier de « Brexit dur », d’autres éminents représentants de la bourgeoisie britannique ne cachaient pas leur inquiétude. Le Monde du 6 octobre 2016 indique : « Le cercle de réflexion ultralibéral Open Europe donne la parole à Mark Boleat, stratège politique de la City. “ Nous sommes au bord d’une falaise d’une hauteur impressionnante “, lance-t-il, en évoquant le risque d’une perte par les financiers du « passeport » qui leur permet d’effectuer des transactions en euros. Pour lui, des dizaines de milliers d’emplois sont en cause. Ailleurs encore, James Bardrick, patron de la branche britannique de la banque Citi, met les points sur les « i » : “ Si nous perdons le passeport, nous devrons transférer des personnels de l’autre côté du Channel.“ »

De son côté, le parti national-populiste UKIP, dont la tâche pouvait apparaître achevée avec le Brexit, traversait une crise violente de direction. Après la démission de sa présidente, un de ses dirigeants a même dû être hospitalisé à la suite d’une rixe avec ses rivaux.

May espérait éviter d’avoir à passer par un vote au Parlement pour déclencher la procédure de l’article 50 de la constitution de l’UE qui prévoit les conditions de sortie d’un État membre. Mais le 4 novembre, la Haute Cour rendait une décision selon laquelle seul le Parlement pouvait déclencher le processus de la sortie de l’UE. La requête était présentée à l’initiative d’un groupe de requérants représentant des intérêts financiers à la City, dirigé par Gina Miller, un gestionnaire de placements du cabinet « SCM Private » de Londres. Le gouvernement May a immédiatement interjeté appel auprès de la Cour suprême, et l’audience est prévue pour les 7 et 8 décembre 2016.

Cela constitue un rebondissement important de la crise politique qui secoue le Royaume-Uni et qui déchire la classe dominante anglaise. Cependant, la classe ouvrière britannique a été empêchée de pouvoir utiliser politiquement cette crise majeure au profit de ses intérêts, à commencer par chasser les Tories du pouvoir. Les dirigeants des organisations ouvrières, parti et syndicats, se sont alignés sur l’un ou l’autre des camps en présence, tous deux dirigés par les partis bourgeois et le gouvernement tory. Ce faisant, ils ont conduit les travailleurs et les jeunes à abdiquer toute politique ouvrière indépendante et à se soumettre à l’une ou l’autre fraction de la bourgeoisie. La conséquence immédiate : une fois nommée, May a engagé une nouvelle offensive contre le prolétariat et la jeunesse : réduction massive de l’impôt sur les sociétés, coupes sombres dans les budgets de la santé et de l’enseignement, accentuation de la chasse aux immigrés, etc.

La bourgeoisie aux commandes, tant chez les « remain » que chez les « leave »

La campagne a vu la pire démagogie populiste, chauvine et xénophobe se déverser sur la tête des électeurs, et les chefs bourgeois de chacun des deux « camps » ont fait assaut de vociférations toutes plus réactionnaires les unes que les autres. Les travailleurs n’étaient appelés par les dirigeants des organisations issues du mouvement ouvrier qu’à se mettre à la remorque de l’une ou l’autre des fractions de la classe dirigeante. Les intérêts de la classe ouvrière ont été totalement occultés et / ou dévoyés dans les aboiements populistes anti-immigrés et nationalistes.

La responsabilité en incombe totalement aux dirigeants syndicaux et à ceux du Labour qui ont, dans leur grande majorité, appelé à voter pour le maintien dans l’UE, soutenant ainsi de fait le gouvernement Cameron. Quant à ceux qui se prononçaient pour le Brexit, ils se sont discrédités en s’affichant aux côtés des chefs de UKIP et autres vermines bourgeoises réactionnaires et populistes. Ainsi en est-il de George Galloway, ancien député de l’alliance « Respect », qui a participé à un meeting aux côtés de Nigel Farage, le chef de UKIP, déclarant que « gauche et droite » pouvaient marcher ensemble au nom du Brexit. Nombre de leaders politiques et syndicaux du « Left leave » ou « Labour leave » ont eux aussi versé dans le chauvinisme et l’effacement des limites de classe, notamment en participant à la campagne « Grassroots Out » (« la base pour la sortie », mais l’expression contient aussi le mot signifiant « racines »…) largement marquée par la démagogie xénophobe. En réalité, il n’y a pas eu de « Brexit de gauche ». Tous les groupes qui prétendaient l’incarner, comme le SWP britannique, George Galloway, le Socialist Party, ou le PC de Grande-Bretagne, n’ont su que conduire les travailleurs à la remorque des leaders bourgeois réactionnaires du Brexit.

En refusant de mener le combat au sein du Labour Party, tous ont barré la possibilité d’un combat de classe. Ce faisant, ils laissaient les mains libres à Corbyn pour égarer les jeunes et les travailleurs dans le vote pour le « remain » en soutien de fait au gouvernement tory.

Corbyn paie le prix de son alignement sur Cameron

Le 14 juin, lors d’un discours prononcé au siège de la confédération syndicale TUC, Corbyn appelait à voter pour le maintien, prétendant effrontément et contre toute évidence, que « l’appartenance à l’Union européenne protégeait les droits des travailleurs ». De ce fait, il ne pouvait que se voir associé à la défaite de Cameron. Ce dernier s’est même cru autorisé à le lui signifier avec arrogance, en osant déclarer aux Communes le 29 juin à l’adresse de Corbyn : « C’est sans doute dans l’intérêt de mon parti qu’il soit assis là, mais ce n’est pas dans l’intérêt national. Pour l’amour du ciel, mon vieux, partez ! » (Le Monde, 29 juin 2016).

En soutenant le referendum de Cameron et en se prononçant pour le « remain », la direction Corbyn a livré des millions de travailleurs et de jeunes aux démagogues national-populistes de UKIP et des Tories. Il a laissé ces derniers diriger la campagne du Brexit, condamnant ainsi les électeurs du Labour qui voulaient en finir avec l’UE et Cameron, à se ranger sous la bannière de ces forces politiques bourgeoises hyper-réactionnaires. Cette politique désastreuse de Corbyn encourage la confusion et conduit de plus en plus d’ouvriers et de jeunes à se laisser séduire par les discours empoisonnés de l’extrême-droite, à se jeter dans les griffes de la réaction, et à s’écarter parfois du Labour et de toute conscience de classe ouvrière.

Blair et sa « troisième voie », l’appareil qu’il a formé, ont œuvré sans relâche au compte de la bourgeoisie
pour détruire le Labour Party comme parti ouvrier

Le blairisme, aux commandes du Labour pendant plus de vingt ans, n’a pas signifié seulement la prise en charge totale des exigences du capital financier rongé par sa crise structurelle. Les « années Blair » ont également vu l’appareil dirigeant du parti travailliste modifier les structures internes et les procédures au sein du parti pour tenter d’affaiblir les liens, le poids et l’influence de la classe ouvrière et des syndicats sur le Labour, pour tenter en fin de compte de refouler ce qui demeure de la nature ouvrière du Labour party. Ainsi, un observateur de l’évolution du parti travailliste explique :

« » New Labour », loin de n’être qu’un slogan publicitaire, fut aussi le nom d’un nouveau fonctionnement du parti, d’une nouvelle distribution de ses rapports de forces internes entre branches de circonscriptions parlementaires, élus locaux et régionaux, syndicats affiliés, sociétés socialistes affiliées, parti travailliste parlementaire (Parliamentary Labour Party, PLP). Là où prévalait une distribution fédérale des forces au sein du parti, les réorganisations internes des années 1980 et 1990 ont consisté à mettre à distance et affaiblir les composantes organisées (syndicats, sections locales) à même d’intervenir dans la construction de l’orientation du parti, pour y substituer un ordre descendant, entre une élite professionnalisée d’experts en communication et stratégies électorales, et une périphérie de soutiens ou d’adhérents neutralisés dans le cadre de mécanismes institutionnels complexes.

« Dans ce régime nouveau, les seuils et les barrières dressés entre centre et périphérie édulcorent voire éteignent les possibilités d’intervention et de politisation dans et par le parti qui, du fait de cette dépossession, renonce à être un instrument d’implication et de participation collectives. Les congrès perdent leur vocation de moments d’élaboration programmatique au profit d’un « National Policy Forum » hors de portée des non-initiés. Pour ne prendre qu’un exemple de la force nouvelle du contrôle politique au sein du « New labour », alors que l’intervention militaire en Irak aux côtés de Bush venait de donner lieu aux plus grandes manifestations de masse de l’histoire du pays, et que cette intervention était la cause directe de défections de masse chez les adhérents, l’organisation du congrès (Labour party Conference) réussit l’exploit de ne permettre aucune motion et aucun débat sur le sujet. » (Thierry Labica, Revue Contretemps, 2016)

Mais en dépit de leurs tentatives de rompre le lien historique et organique du Labour avec la classe ouvrière britannique, et singulièrement avec les syndicats ouvriers et le TUC, Blair et ses successeurs ne sont pas parvenus à leurs fins. Sous le fouet de la nécessité de se défendre politiquement contre les attaques redoublées des Tories et la crise capitaliste, les travailleurs et la jeunesse vont tenter de faire sauter le dispositif visant à les réduire à l’impuissance politique, en se rassemblant autour du nom de Jeremy Corbyn et en investissant massivement le Labour.

Comme pour tous les partis sociaux-démocrates, que nous caractérisons comme des partis « ouvriers-bourgeois », l’appareil du Labour party n’est pas « moitié-moitié », il est à cent pour cent bourgeois. Nombre de ses membres font partie intégrante de la bourgeoisie, voire même de la haute bourgeoisie financière. Rappelons que Tony Blair se vantait de tenir des conférences pour le gratin de la grande bourgeoisie internationale qui lui rapportaient 240 000 € la séance.

La contradiction de classe au sein du parti travailliste passe en fait entre d’un côté les aspirations des masses et de la base ouvrière, pour qui ce parti est et demeure leur représentation politique en tant que classe, leur outil de combat politique face à la classe possédante, et de l’autre côté l’appareil dirigeant de ce même parti, qui est l’agent destructeur, instrument de la classe ennemie au sein même de l’organisation ouvrière.

C’est précisément parce qu’ils sont totalement bourgeois, ultra-réactionnaires, et qu’ils tendent de plus en plus à s’intégrer à la classe dominante que les dirigeants du Labour procèdent avec une ardeur redoublée au sabordage du parti dont ils forment l’appareil. L’accentuation de la crise du système capitaliste exige avec urgence du point de vue de la bourgeoisie d’expulser le prolétariat de la scène politique. C’est aussi ce qui explique que l’essentiel de l’appareil dirigeant du Labour, Corbyn compris, a volé au secours de la City en s’associant à la campagne référendaire pour le « remain ». Cette prise de position entièrement intégrée à un des deux camps bourgeois a interdit pratiquement que parvienne à s’exprimer le point de vue politique de la classe ouvrière, à savoir le combat pour en finir avec l’austérité, chasser les tories, porter au pouvoir un véritable gouvernement ouvrier, dans la perspective des États unis socialistes d’Europe.

Tout à l’opposé de cette orientation, la politique de Corbyn a au contraire permis que l’offensive liquidatrice des blairistes se poursuive.

L’appareil blairiste à l’offensive contre Corbyn

Dès l’accession de Corbyn à la tête du Labour, l’appareil du parti, à commencer par la majorité du groupe parlementaire, totalement imprégné par le blairisme et sa « troisième voie », est parti à l’assaut pour tenter d’évincer celui qu’il voyait comme un imposteur, parce qu’il incarnait, fût-ce à son corps défendant, le « vieux Labour », c’est-à-dire les racines historiques de classe et les liens encore vivants au prolétariat britannique et à ses organisations syndicales. C’est du reste pour cette raison que la masse des adhérents et militants du parti travailliste avaient massivement investi Jeremy Corbyn. En ce sens, la bataille pour le contrôle du Labour est bien une guerre de classes, entre l’appareil totalement bourgeois qui en est le parasite, et la classe ouvrière qui s’efforce d’en faire l’instrument de sa volonté politique.

Un des dirigeants du « left leave » (« sortie de gauche », partisans du Brexit dans le Labour), John Hilary déclarait : « Corbyn se trouve en territoire ennemi à la tête du Labour ». En réalité, pour les blairistes qui composent le gros de l’appareil, le problème n’est pas Corbyn lui-même, dont ils se sont accommodés pendant des décennies, et qui fait de son mieux pour ne pas les déranger dans leurs basses œuvres. Ce qu’ils veulent empêcher, c’est qu’à travers lui, des centaines de milliers de travailleurs, de jeunes cherchent à prolonger leurs combats, à se servir du Labour pour poser la question du pouvoir, chasser les Tories et mettre en place un gouvernement à leur service.

Jusqu’où sont prêts à aller les blairistes pour s’opposer à Corbyn, et surtout au courant profond qui le porte ? La réponse avait été donnée par Antony Blair lui-même : « Que ma position soit tout à fait claire : je ne souhaiterais pas gagner sur la base d’un programme de gauche à l’ancienne. Même si je pensais que ce devait être le chemin pour y parvenir, je ne m’y engagerais pas » (The independent, 22 juillet 2015). Autrement dit, plutôt les Tories que le retour du « vieux Labour ».

Avant même le vote du Brexit, nombre de dirigeants blairistes du Labour ont reproché à Corbyn de ne pas avoir fait campagne pour le « remain » avec assez d’enthousiasme. À l’annonce des résultats, une campagne échevelée visant à destituer Corbyn a été engagée par une large majorité de l’appareil dirigeant du Labour. Au lendemain du vote du Brexit, seize, soit la moitié des membres du « cabinet fantôme » nommés par Corbyn lui-même, démissionnaient en exigeant son éviction de la présidence du parti. Corbyn refusait immédiatement : « J’ai été élu par des centaines de milliers de membres et sympathisants du Labour. (…) Je regrette les démissions qui ont eu lieu aujourd’hui dans mon cabinet fantôme. Mais je ne vais pas trahir la confiance de ceux qui ont voté pour moi ni celle des millions de sympathisants dans le pays qui ont besoin d’être représentés par le Labour. Ceux qui veulent changer la tête du Labour devront en passer par une élection démocratique, à laquelle je serai candidat. » Certes, on peut faire mieux comme appel au combat.

Pourtant, dès le 27 juin, une pétition en ligne demandant le maintien de Jeremy Corbyn à la direction du Labour avait déjà recueilli plus de 180 000 signatures. Immédiatement, des militants opposés à son départ se rassemblaient à Londres autour du Parlement. Alors que Corbyn pleurnichait sur le départ des ministres fantômes qu’il avait lui-même choisis dans l’appareil largement blairiste du Labour, les militants qui cherchent à s’appuyer sur son nom, eux, s’en prenaient directement aux politiciens corrompus et traîtres qui gangrènent l’appareil du parti. Le 27 juin, Le Monde n’hésitait pas à parler de « crise ouverte au sein du Labour ».

Les travailleurs et la jeunesse britanniques tentent de se réapproprier et d’utiliser
leur outil traditionnel : en 2015…

Le 12 septembre 2015, après une campagne de nombreux meetings de masse, Jeremy Corbyn avait rassemblé 251 417 voix des 422 664 inscrits du parti travailliste, soit 59,5 % des suffrages exprimés, avec un taux de participation exceptionnel de 76,3 %. Les candidats blairistes qui lui étaient opposés se voyaient écrasés. Son élection faisait exploser les pronostics des « experts » et toutes les manœuvres de l’appareil blairiste, y compris le « ABC » (« Anything but Corbyn », tout sauf Corbyn) lancé par Alistair Campbell lui-même, l’ancien stratège en communication de Blair. Pendant la campagne interne et à la suite de l’élection de Corbyn, le parti travailliste enregistrait une vague de milliers d’adhésions nouvelles et de ré-adhésions sans précédent, singulièrement dans les quartiers ouvriers. Certaines sections voyaient leurs effectifs doubler, tripler et plus.

À la nomination de Blair comme premier ministre en 1997, le Labour revendiquait 407 000 membres et avait ensuite perdu plus de la moitié de ses effectifs, qui tombaient, selon les chiffres officiels du parti, à 157 000 en 2009 et 185 000 en 2010. Mais, alors qu’en mai 2015, le Labour revendiquait 201 293 membres, il en comptait 388 407 au 10 janvier 2016.

…Puis de nouveau en 2016

Cette dynamique s’est reproduite et amplifiée lors de l’élection du leader du parti en 2016. À la clôture des inscriptions pour ce scrutin, fin juillet 2016, le parti travailliste enregistrait 183 541 nouveaux inscrits, pour un total de plus de 600 000 adhérents appelés à voter (le triple des effectifs existants avant l’élection de Corbyn).

La campagne pour la réélection de Corbyn a vu des meetings de masse encore plus larges qu’en 2015, dont celui de Londres tenu devant le Parlement et qui rassembla plus de 10 000 personnes. Corbyn fut réélu le 12 septembre 2016 avec 313 209 voix, soit 61,8 % des exprimés. Son adversaire Owen Smith, candidat unique de l’appareil, obtenait 193 229 suffrages, mais Corbyn rassemblait sur son nom 62 000 voix de plus que l’année précédente. La participation atteignait 77 % des inscrits, mais bon nombre d’adhérents ne purent prendre part au vote du fait des manœuvres de l’appareil blairiste.

En 2016, une nouvelle fois, les travailleurs et la jeunesse d’Angleterre – et tout particulièrement la jeunesse, il faut le souligner – ont infligé une défaite à l’appareil du Labour et au-delà, à la bourgeoisie anglaise qui s’était massivement mobilisée, par l’intermédiaire de ses médias et de son personnel politique, pour expulser Corbyn de la direction du Labour.

La direction du Labour a conduit un combat acharné pour interdire le vote de nombreux adhérents, réécrire dans la précipitation le code électoral du Labour, exclure des militants accusés d’antisémitisme ou de fractionnisme trotskiste. Une partie de ces mesures a été recalée devant les tribunaux.

Quoi qu’il en soit, le mouvement des masses et de la jeunesse vers le Labour n’a pas été endigué et ce parti est redevenu, non seulement le plus grand parti d’origine ouvrière, mais aussi le plus grand parti tout court en Europe.

Vraisemblablement, l’artillerie déployée par l’appareil du Labour et par la bourgeoisie a alerté les travailleurs et la jeunesse sur l’importance de ce qui se jouait, ce qui a stimulé leur volonté de rester coûte que coûte électeurs ou d’adhérer au Labour pour les nouveaux membres. Après la victoire de Corbyn, un mouvement inverse a commencé à se faire jour dans les marges les plus dégénérées de l’appareil blairiste : quelques cadres ont déclaré à grand fracas qu’ils quittaient le Labour pour rejoindre les Tories. Néanmoins, le gros de l’appareil s’est mobilisé pour résister, et Corbyn a fait de son mieux pour le rassurer.

Plus la base du Labour veut aller à gauche, plus Corbyn cède à la droite et recule devant les blairistes

Dans la foulée du vote interne, s’est tenue la conférence nationale du Labour. Le discours d’ouverture de Corbyn a débuté par un appel à « clore la parenthèse » des débats sanglants (sanglants d’un seul côté, à vrai dire !), car il serait nécessaire de réunir « tout le parti » pour chasser les Tories et mettre en place un gouvernement du Labour, perspective qu’il ne peut éviter d’évoquer en paroles.

Outre le rappel de son combat contre le Brexit, il a immédiatement donné du crédit à l’une des attaques les plus vicieuses de l’appareil blairiste à l’encontre de ses partisans, accusés d’» antisémitisme ». À la suite, Corbyn s’est rendu à la conférence du Jewish Labour Movement, l’antenne du Parti Travailliste israélien dans le Labour – un mouvement dont l’essentiel de l’activité consiste à s’arroger le rôle d’arbitre « moral » en matière d’antisémitisme dans le Labour, autrement dit une forme de police politique au sein du Labour au compte de la bourgeoisie anglaise.

Corbyn s’est fait vivement applaudir après avoir salué la mémoire de Shimon Peres, et réitéré sa condamnation de l’antisémitisme « inacceptable » dans le parti. En vérité, sous couvert d’» antisémitisme », il s’agit de menacer les militants ouvriers et jeunes qui soutiennent le peuple palestinien et ses légitimes droits nationaux, et qui dénoncent les exactions de l’état colonial sioniste.

Chasse aux sorcières dans le Labour au prétexte d’» antisémitisme »

Il y a des raisons historiques pour lesquelles l’» antisémitisme » s’impose comme arme privilégiée pour mener la chasse aux sorcières dans le Labour. L’Angleterre est le pays de Lord Balfour, dont le nom est attaché à la « déclaration » qui, le 2 novembre 1917, encourageait officiellement l’installation d’un foyer sioniste en Palestine. C’est aussi le nom de l’impérialisme colonial qui dominait le Moyen-Orient avant la deuxième guerre mondiale. Le Labour, parti ouvrier-bourgeois, c’est le grand frère historique du parti Travailliste israélien, parti de la colonisation sioniste, qui fut aux commandes de l’État d’Israël durant des décennies. La « lutte contre l’antisémitisme » dans le Labour est une ligne de défense des intérêts de l’impérialisme anglais. C’est aussi un instrument politique redoutable pour tenter d’étouffer les revendications portées par les travailleurs et les jeunes qui ont afflué vers le Labour dans le prolongement de leurs combats, et singulièrement les travailleurs et les jeunes d’origine immigrée.

Une des premières conséquences du feu vert donné par Corbyn, c’est l’éviction de la présidente du courant qui s’est constitué pour le soutenir, Momentum. En cause, des déclarations effectivement ambiguës de cette femme au sujet de l’antisémitisme… devant une assemblée de sionistes. L’essentiel n’est pas le caractère de ses déclarations mais bien le fait que la police politique sioniste du Labour se voit autorisée à purger le parti.

Dans la ligne de mire, il y a aussi la nouvelle présidente du NUS (National Union of Students), organisation syndicale étudiante qui rappelle ce qu’était l’UNEF « corpo » d’avant les années 60, mais qui, ces dernières années, a été investie par nombre de militants issus des mobilisations étudiantes de l’automne 2010, pour y imposer et défendre leurs revendications. Ce mouvement de maturation politique s’est traduit par des bouleversements internes à la NUS, et a conduit à l’élection d’une étudiante d’origine algérienne, notoirement pro-palestinienne, à la tête du syndicat.

Répétons-le : les accusations d’» antisémitisme » contre tous ceux qui sont suspectés de la moindre critique contre l’État sioniste visent à ostraciser et discréditer les militants ouvriers et jeunes qui cherchent la voie de la lutte de classe. Les capitulations incessantes de Corbyn sur le thème du soi-disant antisémitisme sont un coup porté au mouvement en cours dans le Labour. Mais ce coup n’est ni suffisant ni décisif.

Un mouvement profond de la classe ouvrière et de la jeunesse britanniques…

Le mouvement qui s’est porté vers le Labour autour du vote Corbyn en 2015 puis à nouveau en 2016 procède de la volonté des travailleurs et des jeunes de défendre la nature ouvrière du Labour, à l’encontre de la politique de l’appareil largement blairiste, et en dépit de l’orientation de conciliation et de capitulation de Corbyn lui-même.

Il s’agit un mouvement profond, essentiellement appuyé sur la classe ouvrière, avec aux premiers rangs la jeunesse, mais aussi la fraction immigrée du prolétariat britannique, un mouvement quasi-spontané surgi de la base du parti (« grassroots »), et qui va bien au-delà, sinon à l’encontre, de ce que Corbyn lui-même souhaite et exprime. Il consiste essentiellement en une tentative du prolétariat anglais de se réapproprier son parti politique de classe traditionnel pour en finir avec les Tories, les blairistes, et leur politique commune tout entière au service du capital, qui ne produit que misère pour les masses.

La classe ouvrière, que la bourgeoisie, puissamment aidée par les appareils du Labour et des syndicats, pensait bien avoir éjectée de la scène politique à l’occasion du Brexit, tente obstinément et contre vents et marées de trouver une expression politique organisée de ses intérêts de classe, et de se frayer ainsi une voie vers le pouvoir politique.

…un mouvement qui vient de loin…

Ces développements en cours trouvent leur source dans les nombreux combats que les salariés et la jeunesse de ce pays ont conduits ces dernières années pour tenter de résister aux attaques incessantes des gouvernements blairistes puis tories. Combattre pour le socialisme n°61 a rappelé les moments les plus importants de ces luttes souvent extrêmement massives. Il n’y a pas lieu d’y revenir ici. Rappelons seulement ce que nous indiquions à propos du mouvement des étudiants de la fin de l’année 2010 : « Il n’en demeure pas moins que ce mouvement restera comme un moment essentiel pour l’expérience politique de toute une génération ». La jeunesse avait alors massivement affronté le gouvernement Cameron, mais aussi l’appareil policier, notamment lors de l’investissement et la mise à sac du siège des Tories par une manifestation de 50 000 étudiants à Londres le 10 novembre 2010.

C’est à ce moment que s’engagea la dynamique de maturation et d’organisation politiques qui s’exprime aujourd’hui au sein du Labour. Et c’est bien la jeunesse qui prit l’initiative et donna l’impulsion, tout comme aujourd’hui elle est aux premiers rangs du combat politique dans le Labour. À l’encontre des dirigeants blairistes de la NUS qui acceptaient de « dialoguer » sur la hausse des frais d’inscription et la suppression des bourses universitaires en 2010, le syndicat étudiant avait été ébranlé par la mobilisation étudiante contre la hausse des frais d’inscription. Une coalition étudiante dénommée NCAFC (National Campaign Against Fees and Cuts) avait appelé, en dépit du refus de la direction de la NUS, à une manifestation significative qui s’était dirigée vers le Parlement le jour du vote. Après la défaite, le NCAFC décida d’investir la NUS pour y imposer leurs revendications. Le principal initiateur du NCAFC, Michael Chessum, fait partie désormais de la commission exécutive de la NUS… et aussi de la direction (auto-investie) du courant « Momentum », principal soutien militant de Corbyn au sein du Labour.

Le NCAFC s’est prononcé pour le retrait du White Paper, agenda des contre-réformes dans l’enseignement supérieur. Il a exprimé clairement que cet objectif nécessite de combattre en ce sens au sein de la NUS et du Labour. Il défend et a fait voter par la conférence de la NUS le principe d’aller manifester au Parlement lors de « toute discussion des réformes ». Il défend le droit d’organisation et d’expression politique et syndicale à l’université, la discussion politique au sein de la NUS, et combat les tentatives de détruire la NUS au compte de la bourgeoisie.

À nouveau le 19 novembre 2016, des milliers d’étudiants manifestaient à Londres contre l’augmentation des droits d’inscription à l’université et les coupes budgétaires. Les mots d’ordre scandés étaient : « L’éducation est un droit, pas un luxe », « Des livres, pas des bombes », et d’autres encore exigeant « l’éducation gratuite ». Le journal 20 minutes rapporte :

« Avant la réforme votée en 2010, les frais d’inscription s’élevaient à 3 300 livres (près de 4 000 euros). Les étudiants avaient massivement protesté contre le doublement à partir de 2012 des frais d’inscription dans les deux-tiers des universités anglaises, des frais qui atteignent même 9.000 livres (10 500 euros) dans un tiers d’entre elles, surtout à Londres.

« “Nous voulons une éducation gratuite pour tous. Ça a du sens économiquement. Cela payera dans le futur», a déclaré à l’AFP Nehaal Bajwa, une étudiante en master d’économie de 26 ans qui paye 9 360 livres par an de frais universitaires.

« “Beaucoup d’argent va aux banques. Nous voulons qu’il aille à l’école. Pas seulement à l’université mais aussi aux crèches, aux lycées, etc. Cela fait un peu partie des droits de l’homme“, a-t-elle ajouté alors qu’elle prenait part à la manifestation.

« “Nous manifestons pour demander une alternative aux frais d’inscription de 9 000 livres, à la dette étudiante colossale et aux coupes budgétaires sauvages qui ont touché l’éducation“, a déclaré Aaron Kiely du syndicat national étudiant (NUS). »

Ce mouvement conduit la jeunesse, à travers le combat pour le retrait des contre-réformes à l’université, à exiger l’» éducation gratuite » et à poser la nécessité de s’attaquer directement au capital financier. Ainsi, après avoir stigmatisé les immenses inégalités de la société capitaliste actuelle et exigé de « taxer les riches », le NCAFC se prononçait, lors de sa conférence d’été 2016, pour la « nationalisation des banques » et leur placement « sous contrôle démocratique », afin d’en finir avec les droits d’inscription et les coupes budgétaires. Il mettait en avant par ailleurs la nécessité de s’investir dans le syndicat NUS et également dans le Labour Party afin de faire pression sur ces organisations pour qu’elles se joignent aux campagnes contre les droits d’inscription et les coupes budgétaires. Il se prononçait contre les exactions policières, pour la défense des libertés démocratiques et pour la défense des droits des immigrés. En dépit de la confusion des formules, il y a là l’ébauche d’une recherche de solutions politiques qui portent la jeunesse à se tourner vers la classe ouvrière et son programme historique.

C’est cette maturation politique dans la jeunesse qui explique qu’elle soit aujourd’hui à l’avant-garde du mouvement au sein du Labour et l’alimente en forces vives.

…et un événement de première importance

Ce qui se produit dans la jeunesse et dans le Labour Party autour du nom de Jeremy Corbyn constitue une dynamique d’organisation de classe réelle et concrète qui va à l’encontre de la décomposition générale qui ronge l’ensemble des partis issus du mouvement ouvrier, que ce soit en Europe ou dans le reste du monde.

Le Labour a une histoire politique et une relation avec la classe ouvrière tout à fait particulière par rapport aux autres partis sociaux-démocrates. Il est né du combat des organisations syndicales ouvrières pour doter le prolétariat anglais d’une représentation politique propre. Il dispose de structures militantes encore massives parmi les travailleurs et la jeunesse et conserve une représentation directe des syndicats en son sein.

Le parti travailliste constitue le parti du prolétariat au sein du premier pays capitaliste de l’histoire, le pays qui a servi de modèle d’étude à Marx et Engels pour exposer l’analyse de classe du mode de production capitaliste et en dégager la nécessité de la révolution prolétarienne et de la société communiste, mais aussi le pays de la puissance impérialiste qui a dominé sur tous les océans et toutes les places financières jusqu’à la deuxième guerre mondiale. Par sa puissance numérique aussi bien que la force de ses liens aux trade-unions, le Labour party a constitué, aux côtés du SPD allemand, la force dirigeante de ce qui fut la deuxième internationale ouvrière. Mais il représente aussi un ciment essentiel de la cohésion de classe du prolétariat britannique, avec le TUC et les conquêtes sociales qui, malgré plus de trente années de politique thatchérienne, n’ont toujours pas été totalement anéantis.

Pour autant, après plus d’un siècle de trahisons et de politique de défense de l’ordre bourgeois par la social-démocratie, le Labour est depuis longtemps un parti irredressable du point de vue de la révolution prolétarienne. Corbyn est une branche pourrie, qui ne peut être d’aucun appui solide pour les travailleurs et les jeunes. Pour autant les révolutionnaire ne peuvent se tenir à l’écart du mouvement de masse qui se dirige vers le Labour autour du nom de Jeremy Corbyn.

La question est de savoir si et comment une avant-garde peut se détacher dans le combat pour soumettre le Labour à la volonté des masses.


Il faut aux travailleurs anglais un parti aussi fidèle à leurs intérêts que les Tories le sont au capital

Que la recherche par la classe ouvrière et la jeunesse d’une issue politique puisse, du fait de l’existence du Labour et de ses liens organiques et historiques à la classe laborieuse, trouver à s’exprimer en Grande-Bretagne au sein d’un parti politique puissant issu directement du mouvement ouvrier, revêt une importance majeure.

La question de la « forme parti » est pour le prolétariat tout sauf formelle. Les termes « forme parti » expriment en eux-mêmes l’offensive politique du capital pour interdire à la classe ouvrière tout espoir d’en finir avec le capitalisme et d’aller au socialisme, toute volonté politique organisée de prendre le pouvoir, toute représentation politique de classe. Si la bourgeoisie peut dans certaines circonstances se passer de parti politique structuré, ou à tout le moins tolérer la dispute entre différents partis représentant ses intérêts de classe et ses différentes fractions, la classe ouvrière, elle, ne peut espérer en finir avec l’exploitation et la misère que lui promet le capitalisme, qu’en prenant le pouvoir politique, en détruisant de fond en comble l’État bourgeois, et sur cette voie, elle n’a le choix ni des moyens ni des outils. Il lui faut impérativement s’unir politiquement et édifier son parti de classe, compact et puissant, armé du programme de la révolution prolétarienne et de la société communiste, outil indispensable pour arracher le pouvoir politique aux représentants du capital.

Pour autant, et quelque obstinées que soient les tentatives des masses de l’utiliser en ce sens, Corbyn est parfaitement incapable d’incarner et d’organiser une telle voie. Cela ne résulte nullement des caractéristiques singulières du personnage, mais de ses choix politiques, particulièrement après son élection à la tête du Parti travailliste. Investi de la volonté des masses d’en finir avec les Tories au gouvernement et avec les blairistes dans le Labour, Corbyn n’a cessé de reculer, y compris par rapport à ses propres positions antérieures, pour finir par capituler totalement en se rangeant derrière Cameron en appelant à voter « oui » au referendum sur le maintien dans l’UE. De ce fait, il a permis aux Tories d’escamoter Cameron sans dommages après le vote du Brexit, tout en restant au pouvoir, de limiter les conséquences d’un évènement politique majeur qui aurait pu et dû déboucher sur une crise politique de première importance, à un simple changement de cabinet. Dès lors, force est de constater que c’est bel et bien Corbyn qui porte la responsabilité d’avoir interdit aux travailleurs et aux jeunes de transformer le Brexit en vote de classe, en défaite pour le capital, chassant les Tories et imposant un gouvernement du seul Parti travailliste, à même de satisfaire leurs revendications et de répondre aux immenses besoins de la population laborieuse.

Les militants ouvriers et les jeunes de Grande-Bretagne qui cherchent à combattre pour en finir avec les gouvernements Tories et avec toute politique d’austérité et de misère pour les masses, doivent se regrouper, que ce soit au sein du Labour ou en dehors, sur un programme qui porte ses coups contre le capital financier et défende authentiquement les conquêtes sociales et les intérêts de classe ouvriers, un programme qui s’engage sur la voie qui mène au socialisme. Ce programme ne peut être porté que par un parti ouvrier révolutionnaire. C’est le combat du groupe qui publie le bulletin « combattre pour le socialisme ». Nous proposons à ces militants et jeunes d’en discuter, de prendre contact et de nous rejoindre.

 

Le 30 novembre 2016

 

 

 

 

 

 

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