Article paru dans
le bulletin « Combattre pour le socialisme » n°62 (n°144 ancienne
série) - 28 septembre 2016 :
SNCF : une défaite majeure des cheminots
« Quand la CGT siffle la fin de la partie » (Le Monde)
C’est avec
ce titre que l’auteur qu’une chronique parue dans Le Monde du 25 juin 2016 salue en se délectant l’épilogue de la
grève à la SNCF. Le journaliste exulte : « Bonne nouvelle, la CGT sait arrêter une grève. En refusant de
s’opposer à l’accord d’entreprise à la SNCF ainsi qu’à l’accord de branche, la
centrale syndicale met fin à un conflit qui a déjà fait perdre 300 millions
d’euros au transporteur ferroviaire. Fidèle à l’esprit de Maurice Thorez en
1936, le syndicat assure que “ la stratégie de la terre brûlée n’est
pas la conception CGT du syndicalisme ”. » Il poursuit : « Mais cette forme d’acceptation tacite
(je ne le vote pas mais je ne m’y oppose pas) du texte revient aussi à valider
une disposition au cœur de la lutte contre la loi El Khomry.
Dorénavant les établissements locaux pourront négocier des accords moins
avantageux que l’accord national pour améliorer leur compétitivité, si une
majorité de signataires de l’accord, dont la CFDT et l’UNSA, l’autorisent, et
la CGT ne pourra s’y opposer. “C’est ni plus ni moins l’application de
l’article 2 de la loi El Khomry à la SNCF ” s’est exclamé un membre du bureau fédéral
de SUD-Rail dans les colonnes de l’Humanité ».
Le 9
juin 2016 était publié le nouveau décret-socle qui annule et remplace le décret
de décembre 1999. Ce dernier reprenait intégralement le RH 0077, c’est-à-dire
l’accord d’entreprise établissant les règles applicables à la SNCF en matière
d’organisation du temps de travail des conducteurs et des roulants (par exemple
contrôleurs). Concomitamment à la publication du nouveau décret-socle, le CFDT,
l’UNSA et la CFTC ont signé la nouvelle convention collective nationale (CCN),
applicable dans l’ensemble des entreprises intervenant dans le secteur
ferroviaire, dont la SNCF, ainsi que le nouvel accord d’entreprise, la révision
du RH 0077, applicable à la SNCF.
Le
nouveau décret-socle, publié par le gouvernement, constitue une régression
considérable par rapport au décret de 1999. Il prévoit, notamment, un
allongement de la durée du travail pouvant atteindre 39 heures, la suppression
de 11 à 22 jours de repos annuels, de 22 repos doubles, de 8 dimanches. Il
prévoit des fins de service avant repos à 22 heures et non à 19 heures et des
reprises à 2 heures du matin plutôt que 6 heures, l’allongement d’une
demi-heure à une heure de la durée maximale de travail quotidienne. De plus, la
programmation des journées de travail peut être modifiée jusqu’à une heure
avant la prise de service. Là où le décret de 1999 détaillait en une
cinquantaine de pages les règles applicables, le nouveau décret se réduit à six
pages. La CCN se limite à reprendre l’essentiel du décret-socle.
La
version révisée du RH 0077 maintient, momentanément, un certain nombre de
dispositions de la version antérieure. C’est par cette manœuvre que le
gouvernement a pu obtenir la signature de la CFDT et de l’UNSA. Mais
l’essentiel est contenu dans son article 49 qui stipule que « les roulements de service, tableaux de service et tableaux de
roulement peuvent être modifiés au plan local », à condition « de
respecter au minimum les dispositions de la convention collective nationale de
la branche ferroviaire » et d’avoir « la majorité en nombre des organisations signataires du présent accord ». En
d’autres termes, il ne s’agit ni plus ni moins que de la transcription de
l’article 2 de la loi El Khomri. Il prévoit que des dérogations à l’accord
pourront être négociées localement en fonction des contraintes et des besoins
du service. Selon ce texte, si un chef d’établissement local souhaite déroger à
l’accord d’entreprise afin d’améliorer sa compétitivité, en réorganisant les
horaires lors de la renégociation d’une convention avec une région par exemple,
il pourra le faire si une majorité des signataires de l’accord d’entreprise
national signent l’accord localement. A tout moment, des « accords »
locaux peuvent remettre en cause les dispositions de l’accord national.
Autre
exemple : la rédaction de l’article 45 laisse clairement supposer que le
forfait-jours peut être mis en place, c’est-à-dire que l’agent concerné soit de
fait contraint d’accepter de ne plus pouvoir faire référence à une quelconque
durée horaire. En réalité, le cadre est posé pour que soit totalement liquidé à
terme, en application de la CCN, ce qu’il reste du RH 0077. Le patron de la SNCF
s’en réjouit.
Après
jusqu’à 17 jours de grève pour certains d’entre eux, les cheminots, en
particulier les conducteurs et les roulants, viennent de subir une nouvelle
défaite majeure, sinon décisive. En décidant de ne pas faire opposition à la
CCN et à l’accord d’entreprise à la SNCF, les dirigeants de la CGT consacraient
leur totale capitulation face au gouvernement, à la direction de la SNCF et aux
patrons des entreprises privées du transport ferroviaire. Avec la complicité de
SUD Rail, ils ont organisé la défaite des cheminots.
La loi sur la réforme
ferroviaire
Pour
comprendre le contexte du dernier mouvement de grèves à la SNCF, il faut
remonter à 2014. En août 2014, a été promulguée la loi sur la réforme
ferroviaire adoptée par l’Assemblée nationale le 2 juillet. En résumé, le
contenu de la loi « portant sur la
réforme ferroviaire » restructure le système ferroviaire français
en profondeur pour le rendre plus compatible avec le processus de
libéralisation du rail mené à l’échelle européenne.
Le premier
axe de la réforme, effectif depuis le 1er juillet 2015, est la séparation de la
SNCF en trois EPIC : Groupe Public Ferroviaire
(GPF), qui prend en charge le pilotage global du groupe ; SNCF
Réseau (anciennement le RFF, séparé de la SNCF en 1997), qui gère et exploite
et développe le réseau ferré français ; SNCF Mobilités, pour le transport
de voyageurs et de marchandises dans le but d’assurer la neutralité du
gestionnaire d’exploitation ferroviaire (SNCF Réseau) vis-à-vis des autres
entreprises ferroviaires. C’est de fait une étape considérable vers le
démantèlement de la SNCF. Il n’y a plus de SNCF, même si le sigle reste, mais
un « groupe » SNCF, avec trois établissements distincts.
Le
second axe consiste en « l’harmonisation » des conditions de travail des
cheminots du public et du privé, l’une des exigences de Guillaume Pepy, président de la SNCF. La dite « harmonisation », c’est en fait la suppression de la
réglementation du travail SNCF cristallisée dans un décret de 1999 reprenant
intégralement l’accord d’entreprise SNCF, le RH 0077, et son remplacement par
un « décret-socle » et par une convention collective censée couvrir tous
le secteur ferroviaire (dans ce secteur, actuellement 150 000 cheminots et
5000 travailleurs du privé).
En
apparence, la réintégration du RFF, saluée alors comme une victoire par la CGT,
dans ce qui n’est plus la SNCF mais le « groupe » SNCF, était censée
aller à l’encontre de la liquidation de la SNCF comme entreprise publique. En
réalité, c’est l’inverse. Ce n’est plus la SNCF, mais le « groupe »
avec trois EPIC. En 1997, la séparation avec le RFF, chargé de la gestion et du
développement du réseau, a été un jalon important vers l’ouverture du transport
du FRET à la concurrence qui est effectif depuis 2005 (en même temps que
c’était le pillage organisé de la SNCF, la dette du RFF vis-à-vis de la SNCF
étant de plusieurs milliards d’euros, les opérateurs privés du FRET ne payant
des redevances que bien en deçà des coûts réels de l’entretien des
infrastructures). La nouvelle organisation prépare, suite à celle du FRET,
l’ouverture à la concurrence du transport de voyageurs programmé, en théorie,
pour 2019. En réalité, cette ouverture à la concurrence du transport de
voyageurs est déjà partiellement engagée depuis plusieurs années.
En juin
2014, les cheminots ont cherché à combattre le projet loi. Le conflit a duré 14
jours, mais ils ont subi une défaite décisive. Combattre pour le Socialisme (n°55 nouvelle série – n°137) de
décembre 2014 tirait un premier bilan :
« A
la SNCF, le dernier appel de la CGT a été un bide retentissant (et d’ailleurs
peut-être organisé pour mettre davantage la tête des cheminots dans le seau).
Il fait suite à la défaite de juin dernier. Il faut dire que dans la grève de
juin, c’est l’appareil qui était à l’initiative avec l’appel à une journée
d’action pour accompagner la négociation sur la liquidation du statut des
cheminots de la SNCF au profit d’une convention collective commune de tous les
travailleurs du rail. Il est vrai que les cheminots ont tenté de déborder
l’appareil, qu’ils ont formulé contre l’appareil dans un certain nombre
d’assemblées générales et de manifestations l’exigence du retrait du projet de
loi gouvernemental. Il est même vrai qu’ils ont tenté de se rendre à
l’Assemblée nationale, manifestation interdite avec le silence complice des
appareils. Mais à aucun moment, face à la manœuvre de l’appareil CGT qui, tout
en parlant de « victoire » n’avait pu appeler dans un premier temps à la
reprise comme il l’avait prévu, les cheminots n’ont été en mesure de prendre en
charge leur propre mouvement, ce qui aurait supposé : constitution de
comités de grève, centralisation nationale de ces comités de grève en imposant
aux directions syndicales d’en être partie prenante sous contrôle des masses,
etc. ».
Suite à l’adoption de la loi, la CGT et tous les
autres syndicats, dont SUD Rail, il faut le souligner, se sont totalement
situés dans le cadre de son application. La CGT a été le fer de lance pour la
négociation d’une Convention Collective Nationale du Ferroviaire (CCNF) de
« haut niveau », applicable à tous les travailleurs du secteur, ceux
de la SNCF et les autres. Il faut noter que les « négociations » sur
le projet de CCN ont débuté en février 2014, avant même l’adoption de la loi
ferroviaire. C’était de fait accepter, au-delà du démantèlement de la SCNF, des
« négociations » vers la liquidation des acquis des cheminots
cristallisés pour l’essentiel dans le RH 0077 transposé dans le décret en 1999.
Sur ce plan, les « négociations » et la concertation n’ont jamais été
interrompues.
En février, le gouvernement a présenté le projet de
décret-socle et sommé les dirigeants syndicaux et l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP, comptant parmi ces
entreprises adhérentes Veolia, RATP, Transdev, Eurostar,
VLFI… et la SNCF) d’accélérer les négociations sur la CCN, l’échéance fixée par
la loi étant le 1er juillet 2016. Organiser la riposte à ce moment
impliquait de combattre sur l’orientation : rupture de toute négociation
sur la CCNF et l’accord d’entreprise SNCF ; à bas le projet de
décret-socle ; maintien intégral du RH 0077 et du décret de 1999 et
leur extension à toutes les entreprises de la branche ferroviaire. Dans cette
voie, l’urgence de l’heure était de combattre pour la réalisation d’un front
unique des organisations, appelant à la grève générale des cheminots, à
l’élection à tous les niveaux de comités de grève et à leur centralisation.
Une entreprise de
dislocation méthodiquement organisée
A partir du 9 mars, l’intersyndicale CGT, SUD, UNSA,
CFDT et FO ont appelé à une série de journées de grèves « carrées »
les 9 mars et 26 avril. La CGT, a ensuite appelé à une nouvelle série de grèves
« rectangulaires » les 18 et 19 mai et les 25 et 26 mai, grèves
tournantes par catégorie qui plus est. De son côté, SUD Rail a appelé à des
grèves reconductibles d’un jour. Puis CGT, SUD, UNSA, CFDT et FO ont déposé un
préavis de grève « illimitée
reconductible » (sic !) à partir du 31 mai au soir. Ce préavis
n’était en aucun cas un appel à une grève générale des cheminots et à sa
centralisation. Selon la tactique de dislocation éprouvée, comme en 1995, 2003,
2010, etc., il s’agissait d’appeler les cheminots, jour après jour, site par
site et dépôt par dépôt, à décider ou non de la poursuite du mouvement. Au dernier
moment, la CFDT et l’UNSA se sont désistées. On ne
saurait concevoir entreprise plus délibérée de bousille. Ce dispositif a
effectivement permis aux dirigeants des appareils syndicaux, en premier lieu
ceux de la CGT, d’éviter tout débordement, de contrôler de bout en bout le
mouvement et d’épuiser les cheminots dans leur aspiration réelle à engager le
combat.
En appelant au mouvement de mars, les organisations
syndicales dites « représentatives », CFDT, CGT, SUD et UNSA, écrivent,
dans un communiqué commun :
« Les cheminots ont
agi pour exiger l’ouverture de négociations au sein du Groupe public
ferroviaire sur les questions d’emplois et de salaires… Concernant le décret socle,
les futures négociations d’une CCN (convention collective nationale) et
d’accords d’entreprise, la mobilisation importante des cheminots du GPF, mais
aussi des entreprises ferroviaires privées, impose au gouvernement ainsi qu’à
l’UTP (union des transports patronale), d’ouvrir de véritables négociations
avec les organisations syndicales. Sur l’ensemble des sujets, nous sommes
porteurs de propositions alternatives et disponibles pour entamer des
négociations sérieuses et sincères (sic !) ».
Les grèves de mars et avril ont été massivement
suivies, en particulier chez les conducteurs et les « roulants » qui
ont répondu pour plus de 60 % d’entre eux. Leur volonté d’engager le combat
était réelle.
En témoigne le succès de la manifestions appelée par
les syndicats le 10 mai 2016. Combattre
pour le socialisme (CPS Nouvelle série n°61- n°143 du 7 juin 2016)
indiquait :
« Il est pourtant un secteur où la question de
la grève jusqu’à satisfaction se trouve bel et bien posée : c’est celui
des cheminots. La base de la colère qui gronde chez les cheminots, c’est dans
le cadre de l’ouverture totale à la concurrence, la liquidation du statut des
cheminots de la SNCF, en particulier le RH 0077. Il faut préciser : malgré
l’ouverture à la concurrence, 148000 des 170000 cheminots sont aujourd’hui
employés de la SNCF. Le combat pour la défense du statut SNCF (et de son
extension à tous les cheminots) est le seul combat qui peut unir la profession.
Or l’accord des appareils syndicaux se fait sur l’acceptation de la liquidation
du RH 0077 et la « négociation » d’un « nouveau cadre ». C’est ce
qu’indique par exemple sans ambiguïté l’appel CGT au rassemblement national au
ministère du 10 mai :
“A compter du 1er juillet 2016, le RH 0077
n’existera plus et sera remplacé par un nouveau cadre social composé de 3
étages (décret socle, CCN et accords d’entreprise).
Le CGT est porteuse d’un projet, partagé par
l’ensemble des organisations syndicales négociant la future convention
collective nationale ferroviaire (CGT, UNSA, CFDT, SUD-Rail, FO, CFTC,
CFE-CGC). Ce projet, porté dans l’unité syndicale, permet de parler d’une seule
et même voix face au patronat (UTP) qui, aujourd’hui, refuse toute forme de
négociations. (...) Les cheminots (...) sont tous concernés par la négociation
de la future Convention Collective Nationale. Ils ne doivent pas laisser leur
avenir leur échapper en laissant la direction et le patronat décider seuls de
leur quotidien. La démarche unitaire CGT, UNSA, CFDT, SUD-Rail, FO, CFTC,
CFE-CGC est un véritable atout pour aller chercher tous ensemble un nouveau
cadre social novateur et des conditions de travail, d’emploi et de vie de haut
niveau, tout en assurant la qualité et sécurité du service public ferroviaire.
Manifester le 10 mai 2016, c’est primordial pour
l’avenir de tous les cheminots et du service public SNCF. La négociation et le
contenu du décret socle, de la Convention Collective Nationale et des accords
d’entreprise ne doit pas échapper au contrôle des cheminots.”
C’est clair. La
liquidation du statut SNCF est considérée comme acquise et il s’agit « de ne
pas laisser la direction et le patronat décider seuls «, donc de décider...
avec eux, et la négociation se fait « pour un nouveau cadre social «,
c’est-à-dire avec comme point de départ la liquidation du RH 0077. La volonté
de combat des cheminots s’est exprimée de manière patente d’abord le 9 mars,
puis le 26 avril, et encore dans le rassemblement au ministère du 10 mai qui a
rassemblé 15 000 cheminots, soit près de 1 sur 10. Mais le premier problème
auquel elle se heurte, c’est le fait qu’à aucun moment les directions
syndicales ne formulent leur véritable revendication : le maintien du RH
0077 (et son extension aux travailleurs du rail hors SNCF), mais qu’au
contraire les diverses actions auxquelles ils sont conviés visent à «
soutenir » les négociations en cours, lesquelles, à travers le « nouveau
cadre social », ne visent à rien d’autre qu’à l’application immédiate...
de la loi El Khomri à ce secteur puisque comme l’indiquent les dirigeants
eux-mêmes, toute la place est désormais donnée aux accords
d’entreprise ! »
Le gouvernement prend
l’affaire en main
La CGT, qui joue un rôle majeur à la SNCF avec 31 %
aux dernières élections professionnelles de 2015, a tout fait pour que le mot
d’ordre de maintien du RH 0077 soit occulté, centrant la revendication sur une
CCN de « haut niveau ». Jusqu’à fin presque mai elle ne
« connait » pas le RH. Son orientation est celle, par exemple de son
tract du 11 mai :
« Le 10 mai
2016, près de 15 000 cheminots actifs et retraités ont manifesté dans les rues
de Paris, répondant ainsi massivement à l’appel unitaire de leurs organisations
syndicales. Gouvernement, patronat et directions ne peuvent plus rester figés
dans une posture dogmatique et archaïque. Ils doivent maintenant nous
entendre ! Après les journées d’actions tous services des 9 mars et 26
avril 2016 afin d’exiger l’ouverture immédiate de réelles négociations
pour une réglementation du travail de haut niveau, pour une augmentation
générale des salaires, pour l’emploi, les cheminots de la SNCF et des
entreprises ferroviaires privées, quel que soit leur collège, ont réaffirmé
leur détermination à ne rien lâcher et ont lancé un nouvel avertissement
sérieux au gouvernement, au patronat et aux directions. »
Il faut ajouter que pour mieux étrangler les
cheminots, la CGT a systématiquement avancé dans l’objectif des grèves, suivie
par l’ « extrême gauche » (LO, NPA, POID…) et SUD Rail, le
retrait du projet de loi travail.
Malgré leurs cadres disloqués, les grèves du mois de
mai ont été massivement suivies par les conducteurs. Au moins 60 % d’entre eux
se sont engagés. Les dirigeants syndicaux ont déposé le préavis de grève
« illimitée reconductible » à partir du 31 mai au soir.
Le 28 mai, avant le début de la grève reconductible,
le gouvernement a repris les choses en main. Le secrétaire d’État chargé des
transports, Alain Vidalies, a pris l’initiative de négocier directement avec la
CFDT et l’UNSA. Alain Vidalies a convoqué les syndicats
« réformistes » (CFDT et UNSA) et le directeur des ressources
humaines (DRH) de la SNCF, Jean-Marc Ambrosini, afin
de boucler, une fois pour toutes, les négociations. Il aurait assuré que le RH
0077 serait récrit mais que ces dispositions seraient maintenues dans l’accord
d’entreprise SNCF. CFDT et UNSA ont crié victoire et ont levé leur préavis de
grève pour le 31 mai au soir. En réalité, si effectivement nombre de
dispositions RH étaient momentanément maintenues, par exemple le 19/6,
l’article 49 du projet d’accord est un décalque de l’article 2 du projet
El Khomri (voir plus haut).
Dans un premier temps, la CGT, SUD et FO ont dénoncé
une trahison et ont appelé à la poursuite de la grève. Selon la
direction de la SNCF, le 5 juin, plus d’un conducteur sur deux et d’un
contrôleur sur trois étaient encore en grève.
Du 7 au 8 juin s’est tenue l’ultime séance de
négociation en réponse à un ultimatum du gouvernement. Le Monde du 7 juin 2016 indique :
« Selon nos
informations, si Gilbert Garrel, le secrétaire
général de la CGT Cheminots, a mené la négociation dans la salle de réunion,
c’est Philippe Martinez, le patron de la centrale, qui était à la manœuvre. Il
a été l’interlocuteur unique côté CGT et la négociation, cette nuit, s’est
faite surtout avec la SNCF, sous le regard d’Alain Vidalies, le secrétaire
d’État aux transports ».
Le projet d’accord SNCF, tel que négocié entre le
gouvernement et la CFDT et l’UNSA, ainsi que la CCN, a été soumis à la
signature jusqu’au 14 juin. CFDT et UNSA ont annoncé qu’elles signeraient. SUD
Rail et FO, qui ne participe pas aux négociations à la SNCF n’ayant pas atteint
la barre des 10 % aux élections professionnelles, ont dénoncé un accord et une
convention « scélérats » et se sont prononcés contre la signature.
Les dirigeants de la CGT
organisent la débâcle
Selon Le Monde
du 7 juin 2016, « A la CGT, le discours
était plus neutre. L’organisation “souhaite prendre le temps d’évaluer le
texte”, selon un porte-parole contacté
par Le Monde. « La CGT ne semblait pas vouloir s’opposer à l’accord mardi matin
(…) ». La CGT communique « Les évolutions du texte définitif lors de cette
séance de négociations amènent la future règlementation sur l’aménagement du
temps de travail applicable aux cheminots de la SNCF au niveau du RH 0077. Des
améliorations arrachées par la mobilisation sont à observer. Il n’en demeure
pas moins que des points négatifs subsistent ». Le journal informe
ensuite : « De son côté, la
CGT-cheminots a déclaré par un communiqué s’en remettre aux assemblées générales
à qui “il appartient” de “déterminer les suites”, sans donner de mot d’ordre.
Le premier syndicat, sans donner de position définitive sur le texte, souligne
néanmoins qu’il est “au niveau” de la réglementation actuelle. ».
Les dirigeants de la CGT mentent effrontément.
En clair, la CGT s’apprêtait à signer et appelait à
la reprise. Elle a organisé une consultation des syndiqués en mettant le
paquet : un argumentaire de quatre pages mettant en avant les avancées,
avec insistance sur le fait qu’en cas de non-signature, elle serait écartée des
négociations sur les accords locaux.
Le 11 juin, toujours selon la direction de la SNCF,
un conducteur sur deux était toujours en grève. Dans de nombreuses assemblées
générales, certes à participation de plus en plus réduite, le reprise du
travail s’enclenchant, les cheminots ont voté pour « un décret socle et une convention collective au minimum à la hauteur du
RH » et ont demandé « aux
organisations de refuser de signer les deux textes, de les dénoncer majoritairement ».
Par exemple à St Lazare, une motion avec ce contenu a été adoptée par 62 pour
et 2 abstentions. De plus, certaines sections CGT-cheminots, à l’image de celle
de Trappes, ont dénoncé le procédé de la consultation, exigé que la CGT ne
signe pas et qu’elle fasse valoir son droit d’opposition. Malgré le cadre
pourri, 57 % des cheminots consultés ont voté contre la signature. Jusqu’au
14/06, un nombre significatif de conducteurs ont refusé de reprendre le
travail. La CGT n’a pas pu signer, d’autant plus que SUD Rail avait pris
position contre la signature. Par la suite, les dirigeants de la CGT ont laissé
planer le doute sur le fait qu’ils feraient jouer avec SUD le droit
d’opposition à l’accord SNCF, les deux syndicats ayant obtenu plus de 50 % aux
élections professionnelles… pour finalement renoncer.
Mais après 17 jours de grève pour nombre de
conducteurs, en faisant le cumul depuis le 9 mars, c’est la reprise. Après la
défaite de 2014, les cheminots ont été à nouveau battus et c’est une défaite de
grande ampleur. La responsabilité en incombe totalement aux dirigeants de la
CGT suppléés par ceux de SUD Rail.
Un objectif majeur de la
bourgeoisie française :
démanteler et privatiser la SNCF, casser le statut des cheminots…
Le
démantèlement de la SNCF est un objectif poursuivi depuis des décennies par la
bourgeoisie. Il s’agit d’ouvrir au capital de nouveaux champs d’accumulation.
Pour le réaliser, il lui est nécessaire de briser toutes les conquêtes
arrachées par de longues années de lutte des cheminots, dont la corporation
constitue l’un des bastions historiques de la classe ouvrière et de l’ensemble
du prolétariat, en particulier depuis la nationalisation des compagnies
ferroviaires en 1938. Il s’agit pour les capitalistes de réaliser ce que même
le régime de Vichy n’avait pu remettre en cause. La loi ferroviaire de 2014
annule celle de 1940. C’est en application de cette loi de 1940, qui confirmait
la nationalisation, qu’avait été pris le décret de 1999.
Déjà,
en 1978, le rapport Guillaumat préconisait le démantèlement de la SNCF. En
1982, sous la houlette de Fiterman, ministre PCF des transports, a été adoptée
la loi d’orientation des transports intérieurs (LOTI) qui permettait
l’organisation des transports par les régions. Depuis le début des années 1990,
l’offensive contre les cheminots a été menée au nom de l’application des
directives européennes sur l’ouverture des marchés à la concurrence (transport,
énergie, distribution d’eau, etc.). Il convient de rappeler que lesdites
directives ne procèdent en fait que de la collaboration entre les gouvernements
de l’Union européenne pour ouvrir au capital de nouveaux champs d’accumulation
en liquidant, en particulier, les monopoles d’entreprises publiques. En
dernière analyse, ce sont les gouvernements de chaque pays qui les appliquent.
Tel est le cas en ce qui concerne le secteur du ferroviaire.
L’ouverture
à la concurrence a été engagée en 1997 par le détachement de la SNCF de la
gestion des réseaux et des infrastructures avec la constitution du Réseau ferré
de France (RFF), RFF ayant le droit de sous-traiter à des opérateurs privés la
maintenance du réseau. Par étape, en 2003 puis en 2006, l’ensemble du trafic
fret a été ouvert à la concurrence, avec à la clef la suppression de 7000
emplois. En 2004, c’est la création de la filiale IDTGV pour le transport de
voyageurs. En 2010, c’est l’ouverture à la concurrence des trafics voyageurs
internationaux. En 2014 est promulguée la loi ferroviaire sur la réforme
ferroviaire. En 2015, un nouveau coup a été porté à la SNCF avec l’ouverture à
la concurrence du transport par autocars (« les cars Macron »). En
février 2016, Alain Vidalies, secrétaire d’État aux transports, a déclaré que
l’État allait se désengager de six des huit lignes de nuit « Intercités » exploitées par la SNCF dès le 1er juillet
2016. Il appelle les concurrents à proposer de « nouveaux schémas
d’exploitation innovants ». Avant fin 2019, les régions pourront ouvrir à
la concurrence les TER. Pour les lignes à grande vitesse (LVG), l’ouverture est
d’ores et déjà programmée pour 2020. Des opérateurs tels que Deutsche Bahn allemande et Trenitalia sont déjà sur les rangs.
… avec la totale
collaboration des dirigeants de la CGT
La préparation
de la loi de réforme ferroviaire a été engagée par le gouvernement
Sarkozy-Fillon. En 2011, il a organisé des » assises du rail »
dont l’objectif affiché était déjà la « négociation » d’une
convention collective du ferroviaire en vue de l’élargissement de l’ouverture à
là concurrence du transport de voyageurs. Les dirigeants de CGT, aux côté de
ceux de SUD Rail et autres, ont pleinement participé. En 2012, le Conseil
économique, social et environnemental (CESE) a adopté à la quasi-unanimité un rapport
qui préconise :
● d’« Initier l’expérimentation de la mise en concurrence des TER début 2015,
après mise en place des textes juridiques et mesures d’accompagnement, en
tenant compte d’une anticipation possible par le 4e “paquet ferroviaire” en préparation de l’échéance de 2019 prévue par
le règlement OSP » et de « transférer aux régions la propriété des matériels TER… ».
● « un cadre social commun à tous les opérateurs apparaît comme
un moyen de lutter contre les distorsions de concurrence, d’éviter les risques
de dumping social et environnemental et de répondre aux exigences de sécurité
ferroviaire ».
Ce
rapport a reçu alors l’approbation des représentants de la CGT. Et pour cause,
l’un des deux rapporteurs était Thierry Le Paon, futur secrétaire général
de la confédération.
A la
SNCF les dirigeants de la CGT ont été de trahison en en trahison, organisant
systématiquement la bousille des tentatives des cheminots de combattre la
liquidation de leur statut et le démantèlement de la SNCF. Le dernier mouvement
des cheminots de mars à juin 2016 l’a encore démontré.
Cette
orientation conduit à la destruction du syndicat. En 1996, lors des élections
professionnelles à la SNCF, la CGT recueillait 47 % des exprimés. En 2015, le
score est tombé à 37 %. C’est une illustration du fait que la
« concertation » visant à accompagner la mise en œuvre de la
politique réactionnaire des gouvernements au service du capital conduit à la
destruction des organisations ouvrières.
[ http://socialisme.free.fr
- © A.E.P.S., 1 Bis Rue GUTENBERG,
93100 MONTREUIL ]