Article paru dans le bulletin « Combattre pour le socialisme » n°62 (n°144 ancienne série) - 28 septembre 2016 :

 

SNCF : une défaite majeure des cheminots

 

« Quand la CGT siffle la fin de la partie » (Le Monde)

 

C’est avec ce titre que l’auteur qu’une chronique parue dans Le Monde du 25 juin 2016 salue en se délectant l’épilogue de la grève à la SNCF. Le journaliste exulte : « Bonne nouvelle, la CGT sait arrêter une grève. En refusant de s’opposer à l’accord d’entreprise à la SNCF ainsi qu’à l’accord de branche, la centrale syndicale met fin à un conflit qui a déjà fait perdre 300 millions d’euros au transporteur ferroviaire. Fidèle à l’esprit de Maurice Thorez en 1936, le syndicat assure que “ la stratégie de la terre brûlée n’est pas la conception CGT du syndicalisme ”. » Il poursuit : « Mais cette forme d’acceptation tacite (je ne le vote pas mais je ne m’y oppose pas) du texte revient aussi à valider une disposition au cœur de la lutte contre la loi El Khomry. Dorénavant les établissements locaux pourront négocier des accords moins avantageux que l’accord national pour améliorer leur compétitivité, si une majorité de signataires de l’accord, dont la CFDT et l’UNSA, l’autorisent, et la CGT ne pourra s’y opposer. “C’est ni plus ni moins l’application de l’article 2 de la loi El Khomry à la SNCF ” s’est exclamé un membre du bureau fédéral de SUD-Rail dans les colonnes de l’Humanité ».

Le 9 juin 2016 était publié le nouveau décret-socle qui annule et remplace le décret de décembre 1999. Ce dernier reprenait intégralement le RH 0077, c’est-à-dire l’accord d’entreprise établissant les règles applicables à la SNCF en matière d’organisation du temps de travail des conducteurs et des roulants (par exemple contrôleurs). Concomitamment à la publication du nouveau décret-socle, le CFDT, l’UNSA et la CFTC ont signé la nouvelle convention collective nationale (CCN), applicable dans l’ensemble des entreprises intervenant dans le secteur ferroviaire, dont la SNCF, ainsi que le nouvel accord d’entreprise, la révision du RH 0077, applicable à la SNCF.

Le nouveau décret-socle, publié par le gouvernement, constitue une régression considérable par rapport au décret de 1999. Il prévoit, notamment, un allongement de la durée du travail pouvant atteindre 39 heures, la suppression de 11 à 22 jours de repos annuels, de 22 repos doubles, de 8 dimanches. Il prévoit des fins de service avant repos à 22 heures et non à 19 heures et des reprises à 2 heures du matin plutôt que 6 heures, l’allongement d’une demi-heure à une heure de la durée maximale de travail quotidienne. De plus, la programmation des journées de travail peut être modifiée jusqu’à une heure avant la prise de service. Là où le décret de 1999 détaillait en une cinquantaine de pages les règles applicables, le nouveau décret se réduit à six pages. La CCN se limite à reprendre l’essentiel du décret-socle.

La version révisée du RH 0077 maintient, momentanément, un certain nombre de dispositions de la version antérieure. C’est par cette manœuvre que le gouvernement a pu obtenir la signature de la CFDT et de l’UNSA. Mais l’essentiel est contenu dans son article 49 qui stipule que « les rou­lements de service, tableaux de service et tableaux de roulement peuvent être modifiés au plan local », à condition « de respecter au minimum les dispositions de la convention collective nationale de la branche ferroviaire » et d’avoir « la majorité en nombre des or­ganisations signataires du présent accord ». En d’autres termes, il ne s’agit ni plus ni moins que de la transcription de l’article 2 de la loi El Khomri. Il prévoit que des dérogations à l’accord pourront être négociées localement en fonction des contraintes et des besoins du service. Selon ce texte, si un chef d’établissement local souhaite déroger à l’accord d’entreprise afin d’améliorer sa compétitivité, en réorganisant les horaires lors de la renégociation d’une convention avec une région par exemple, il pourra le faire si une majorité des signataires de l’accord d’entreprise national signent l’accord localement. A tout moment, des « accords » locaux peuvent remettre en cause les dispositions de l’accord national.

Autre exemple : la rédaction de l’article 45 laisse clairement supposer que le forfait-jours peut être mis en place, c’est-à-dire que l’agent concerné soit de fait contraint d’accepter de ne plus pouvoir faire référence à une quelconque durée horaire. En réalité, le cadre est posé pour que soit totalement liquidé à terme, en application de la CCN, ce qu’il reste du RH 0077. Le patron de la SNCF s’en réjouit.

Après jusqu’à 17 jours de grève pour certains d’entre eux, les cheminots, en particulier les conducteurs et les roulants, viennent de subir une nouvelle défaite majeure, sinon décisive. En décidant de ne pas faire opposition à la CCN et à l’accord d’entreprise à la SNCF, les dirigeants de la CGT consacraient leur totale capitulation face au gouvernement, à la direction de la SNCF et aux patrons des entreprises privées du transport ferroviaire. Avec la complicité de SUD Rail, ils ont organisé la défaite des cheminots.

La loi sur la réforme ferroviaire

Pour comprendre le contexte du dernier mouvement de grèves à la SNCF, il faut remonter à 2014. En août 2014, a été promulguée la loi sur la réforme ferroviaire adoptée par l’Assemblée nationale le 2 juillet. En résumé, le contenu de la loi « portant sur la réforme ferroviaire » restructure le système ferroviaire français en profondeur pour le rendre plus compatible avec le processus de libéralisation du rail mené à l’échelle européenne.

Le premier axe de la réforme, effectif depuis le 1er juillet 2015, est la séparation de la SNCF en trois EPIC : Groupe Public Ferroviaire (GPF), qui prend en charge le pilotage global du groupe ; SNCF Réseau (anciennement le RFF, séparé de la SNCF en 1997), qui gère et exploite et développe le réseau ferré français ; SNCF Mobilités, pour le transport de voyageurs et de marchandises dans le but d’assurer la neutralité du gestionnaire d’exploitation ferroviaire (SNCF Réseau) vis-à-vis des autres entreprises ferroviaires. C’est de fait une étape considérable vers le démantèlement de la SNCF. Il n’y a plus de SNCF, même si le sigle reste, mais un « groupe » SNCF, avec trois établissements distincts.

Le second axe consiste en « l’harmonisation » des conditions de travail des cheminots du public et du privé, l’une des exigences de Guillaume Pepy, président de la SNCF. La dite « harmonisation », c’est en fait la suppression de la réglementation du travail SNCF cristallisée dans un décret de 1999 reprenant intégralement l’accord d’entreprise SNCF, le RH 0077, et son remplacement par un « décret-socle » et par une convention collective censée couvrir tous le secteur ferroviaire (dans ce secteur, actuellement 150 000 cheminots et 5000 travailleurs du privé).

En apparence, la réintégration du RFF, saluée alors comme une victoire par la CGT, dans ce qui n’est plus la SNCF mais le « groupe » SNCF, était censée aller à l’encontre de la liquidation de la SNCF comme entreprise publique. En réalité, c’est l’inverse. Ce n’est plus la SNCF, mais le « groupe » avec trois EPIC. En 1997, la séparation avec le RFF, chargé de la gestion et du développement du réseau, a été un jalon important vers l’ouverture du transport du FRET à la concurrence qui est effectif depuis 2005 (en même temps que c’était le pillage organisé de la SNCF, la dette du RFF vis-à-vis de la SNCF étant de plusieurs milliards d’euros, les opérateurs privés du FRET ne payant des redevances que bien en deçà des coûts réels de l’entretien des infrastructures). La nouvelle organisation prépare, suite à celle du FRET, l’ouverture à la concurrence du transport de voyageurs programmé, en théorie, pour 2019. En réalité, cette ouverture à la concurrence du transport de voyageurs est déjà partiellement engagée depuis plusieurs années.

En juin 2014, les cheminots ont cherché à combattre le projet loi. Le conflit a duré 14 jours, mais ils ont subi une défaite décisive. Combattre pour le Socialisme (n°55 nouvelle série – n°137) de décembre 2014 tirait un premier bilan :

« A la SNCF, le dernier appel de la CGT a été un bide retentissant (et d’ailleurs peut-être organisé pour mettre davantage la tête des cheminots dans le seau). Il fait suite à la défaite de juin dernier. Il faut dire que dans la grève de juin, c’est l’appareil qui était à l’initiative avec l’appel à une journée d’action pour accompagner la négociation sur la liquidation du statut des cheminots de la SNCF au profit d’une convention collective commune de tous les travailleurs du rail. Il est vrai que les cheminots ont tenté de déborder l’appareil, qu’ils ont formulé contre l’appareil dans un certain nombre d’assemblées générales et de manifestations l’exigence du retrait du projet de loi gouvernemental. Il est même vrai qu’ils ont tenté de se rendre à l’Assemblée nationale, manifestation interdite avec le silence complice des appareils. Mais à aucun moment, face à la manœuvre de l’appareil CGT qui, tout en parlant de « victoire » n’avait pu appeler dans un premier temps à la reprise comme il l’avait prévu, les cheminots n’ont été en mesure de prendre en charge leur propre mouvement, ce qui aurait supposé : constitution de comités de grève, centralisation nationale de ces comités de grève en imposant aux directions syndicales d’en être partie prenante sous contrôle des masses, etc. ».

Suite à l’adoption de la loi, la CGT et tous les autres syndicats, dont SUD Rail, il faut le souligner, se sont totalement situés dans le cadre de son application. La CGT a été le fer de lance pour la négociation d’une Convention Collective Nationale du Ferroviaire (CCNF) de « haut niveau », applicable à tous les travailleurs du secteur, ceux de la SNCF et les autres. Il faut noter que les « négociations » sur le projet de CCN ont débuté en février 2014, avant même l’adoption de la loi ferroviaire. C’était de fait accepter, au-delà du démantèlement de la SCNF, des « négociations » vers la liquidation des acquis des cheminots cristallisés pour l’essentiel dans le RH 0077 transposé dans le décret en 1999. Sur ce plan, les « négociations » et la concertation n’ont jamais été interrompues.

En février, le gouvernement a présenté le projet de décret-socle et sommé les dirigeants syndicaux et l’Union des transports publics et ferroviaires (UTP, comptant parmi ces entreprises adhérentes Veolia, RATP, Transdev, Eurostar, VLFI… et la SNCF) d’accélérer les négociations sur la CCN, l’échéance fixée par la loi étant le 1er juillet 2016. Organiser la riposte à ce moment impliquait de combattre sur l’orientation : rupture de toute négociation sur la CCNF et l’accord d’entreprise SNCF ; à bas le projet de décret-socle ; maintien intégral du RH 0077 et du décret de 1999 et leur extension à toutes les entreprises de la branche ferroviaire. Dans cette voie, l’urgence de l’heure était de combattre pour la réalisation d’un front unique des organisations, appelant à la grève générale des cheminots, à l’élection à tous les niveaux de comités de grève et à leur centralisation.

Une entreprise de dislocation méthodiquement organisée

A partir du 9 mars, l’intersyndicale CGT, SUD, UNSA, CFDT et FO ont appelé à une série de journées de grèves « carrées » les 9 mars et 26 avril. La CGT, a ensuite appelé à une nouvelle série de grèves « rectangulaires » les 18 et 19 mai et les 25 et 26 mai, grèves tournantes par catégorie qui plus est. De son côté, SUD Rail a appelé à des grèves reconductibles d’un jour. Puis CGT, SUD, UNSA, CFDT et FO ont déposé un préavis de grève « illimitée reconductible » (sic !) à partir du 31 mai au soir. Ce préavis n’était en aucun cas un appel à une grève générale des cheminots et à sa centralisation. Selon la tactique de dislocation éprouvée, comme en 1995, 2003, 2010, etc., il s’agissait d’appeler les cheminots, jour après jour, site par site et dépôt par dépôt, à décider ou non de la poursuite du mouvement. Au dernier moment, la CFDT et l’UNSA se sont désistées. On ne saurait concevoir entreprise plus délibérée de bousille. Ce dispositif a effectivement permis aux dirigeants des appareils syndicaux, en premier lieu ceux de la CGT, d’éviter tout débordement, de contrôler de bout en bout le mouvement et d’épuiser les cheminots dans leur aspiration réelle à engager le combat.

En appelant au mouvement de mars, les organisations syndicales dites « représentatives », CFDT, CGT, SUD et UNSA, écrivent, dans un communiqué commun :

« Les cheminots ont agi pour exiger l’ouverture de négociations au sein du Groupe public ferroviaire sur les questions d’emplois et de salaires… Concernant le décret socle, les futures négociations d’une CCN (convention collective nationale) et d’accords d’entreprise, la mobilisation importante des cheminots du GPF, mais aussi des entreprises ferroviaires privées, impose au gouvernement ainsi qu’à l’UTP (union des transports patronale), d’ouvrir de véritables négociations avec les organisations syndicales. Sur l’ensemble des sujets, nous sommes porteurs de propositions alternatives et disponibles pour entamer des négociations sérieuses et sincères (sic !) ».

Les grèves de mars et avril ont été massivement suivies, en particulier chez les conducteurs et les « roulants » qui ont répondu pour plus de 60 % d’entre eux. Leur volonté d’engager le combat était réelle.

En témoigne le succès de la manifestions appelée par les syndicats le 10 mai 2016. Combattre pour le socialisme (CPS Nouvelle série n°61- n°143 du 7 juin 2016) indiquait :

 « Il est pourtant un secteur où la question de la grève jusqu’à satisfaction se trouve bel et bien posée : c’est celui des cheminots. La base de la colère qui gronde chez les cheminots, c’est dans le cadre de l’ouverture totale à la concurrence, la liquidation du statut des cheminots de la SNCF, en particulier le RH 0077. Il faut préciser : malgré l’ouverture à la concurrence, 148000 des 170000 cheminots sont aujourd’hui employés de la SNCF. Le combat pour la défense du statut SNCF (et de son extension à tous les cheminots) est le seul combat qui peut unir la profession. Or l’accord des appareils syndicaux se fait sur l’acceptation de la liquidation du RH 0077 et la « négociation » d’un « nouveau cadre ». C’est ce qu’indique par exemple sans ambiguïté l’appel CGT au rassemblement national au ministère du 10 mai :

“A compter du 1er juillet 2016, le RH 0077 n’existera plus et sera remplacé par un nouveau cadre social composé de 3 étages (décret socle, CCN et accords d’entreprise).

Le CGT est porteuse d’un projet, partagé par l’ensemble des organisations syndicales négociant la future convention collective nationale ferroviaire (CGT, UNSA, CFDT, SUD-Rail, FO, CFTC, CFE-CGC). Ce projet, porté dans l’unité syndicale, permet de parler d’une seule et même voix face au patronat (UTP) qui, aujourd’hui, refuse toute forme de négociations. (...) Les cheminots (...) sont tous concernés par la négociation de la future Convention Collective Nationale. Ils ne doivent pas laisser leur avenir leur échapper en laissant la direction et le patronat décider seuls de leur quotidien. La démarche unitaire CGT, UNSA, CFDT, SUD-Rail, FO, CFTC, CFE-CGC est un véritable atout pour aller chercher tous ensemble un nouveau cadre social novateur et des conditions de travail, d’emploi et de vie de haut niveau, tout en assurant la qualité et sécurité du service public ferroviaire.

Manifester le 10 mai 2016, c’est primordial pour l’avenir de tous les cheminots et du service public SNCF. La négociation et le contenu du décret socle, de la Convention Collective Nationale et des accords d’entreprise ne doit pas échapper au contrôle des cheminots.”

C’est clair. La liquidation du statut SNCF est considérée comme acquise et il s’agit « de ne pas laisser la direction et le patronat décider seuls «, donc de décider... avec eux, et la négociation se fait « pour un nouveau cadre social «, c’est-à-dire avec comme point de départ la liquidation du RH 0077. La volonté de combat des cheminots s’est exprimée de manière patente d’abord le 9 mars, puis le 26 avril, et encore dans le rassemblement au ministère du 10 mai qui a rassemblé 15 000 cheminots, soit près de 1 sur 10. Mais le premier problème auquel elle se heurte, c’est le fait qu’à aucun moment les directions syndicales ne formulent leur véritable revendication : le maintien du RH 0077 (et son extension aux travailleurs du rail hors SNCF), mais qu’au contraire les diverses actions auxquelles ils sont conviés visent à « soutenir » les négociations en cours, lesquelles, à travers le « nouveau cadre social », ne visent à rien d’autre qu’à l’application immédiate... de la loi El Khomri à ce secteur puisque comme l’indiquent les dirigeants eux-mêmes, toute la place est désormais donnée aux accords d’entreprise ! »

Le gouvernement prend l’affaire en main

La CGT, qui joue un rôle majeur à la SNCF avec 31 % aux dernières élections professionnelles de 2015, a tout fait pour que le mot d’ordre de maintien du RH 0077 soit occulté, centrant la revendication sur une CCN de « haut niveau ». Jusqu’à fin presque mai elle ne « connait » pas le RH. Son orientation est celle, par exemple de son tract du 11 mai :

« Le 10 mai 2016, près de 15 000 cheminots actifs et retraités ont manifesté dans les rues de Paris, répondant ainsi massivement à l’appel unitaire de leurs organisations syndicales. Gouvernement, patronat et directions ne peuvent plus rester figés dans une posture dogmatique et archaïque. Ils doivent maintenant nous entendre ! Après les journées d’actions tous services des 9 mars et 26 avril 2016 afin d’exiger l’ouverture immédiate de réelles négociations pour une réglementation du travail de haut niveau, pour une augmentation générale des salaires, pour l’emploi, les cheminots de la SNCF et des entreprises ferroviaires privées, quel que soit leur collège, ont réaffirmé leur détermination à ne rien lâcher et ont lancé un nouvel avertissement sérieux au gouvernement, au patronat et aux directions. »

Il faut ajouter que pour mieux étrangler les cheminots, la CGT a systématiquement avancé dans l’objectif des grèves, suivie par l’ « extrême gauche » (LO, NPA, POID…) et SUD Rail, le retrait du projet de loi travail.

Malgré leurs cadres disloqués, les grèves du mois de mai ont été massivement suivies par les conducteurs. Au moins 60 % d’entre eux se sont engagés. Les dirigeants syndicaux ont déposé le préavis de grève « illimitée reconductible » à partir du 31 mai au soir.

Le 28 mai, avant le début de la grève reconductible, le gouvernement a repris les choses en main. Le secrétaire d’État chargé des transports, Alain Vidalies, a pris l’initiative de négocier directement avec la CFDT et l’UNSA. Alain Vidalies a convoqué les syndicats « réformistes » (CFDT et UNSA) et le directeur des ressources humaines (DRH) de la SNCF, Jean-Marc Ambrosini, afin de boucler, une fois pour toutes, les négociations. Il aurait assuré que le RH 0077 serait récrit mais que ces dispositions seraient maintenues dans l’accord d’entreprise SNCF. CFDT et UNSA ont crié victoire et ont levé leur préavis de grève pour le 31 mai au soir. En réalité, si effectivement nombre de dispositions RH étaient momentanément maintenues, par exemple le 19/6, l’article 49 du projet d’accord est un décalque de l’article 2 du projet El Khomri (voir plus haut).

Dans un premier temps, la CGT, SUD et FO ont dénoncé une trahison et ont appelé à la poursuite de la grève. Selon la direction de la SNCF, le 5 juin, plus d’un conducteur sur deux et d’un contrôleur sur trois étaient encore en grève.

Du 7 au 8 juin s’est tenue l’ultime séance de négociation en réponse à un ultimatum du gouvernement. Le Monde du 7 juin 2016 indique :

« Selon nos informations, si Gilbert Garrel, le secrétaire général de la CGT Cheminots, a mené la négociation dans la salle de réunion, c’est Philippe Martinez, le patron de la centrale, qui était à la manœuvre. Il a été l’interlocuteur unique côté CGT et la négociation, cette nuit, s’est faite surtout avec la SNCF, sous le regard d’Alain Vidalies, le secrétaire d’État aux transports ».

Le projet d’accord SNCF, tel que négocié entre le gouvernement et la CFDT et l’UNSA, ainsi que la CCN, a été soumis à la signature jusqu’au 14 juin. CFDT et UNSA ont annoncé qu’elles signeraient. SUD Rail et FO, qui ne participe pas aux négociations à la SNCF n’ayant pas atteint la barre des 10 % aux élections professionnelles, ont dénoncé un accord et une convention « scélérats » et se sont prononcés contre la signature.

Les dirigeants de la CGT organisent la débâcle

Selon Le Monde du 7 juin 2016, « A la CGT, le discours était plus neutre. L’organisation “souhaite prendre le temps d’évaluer le texte”, selon un porte-parole contacté par Le Monde. « La CGT ne semblait pas vouloir s’opposer à l’accord mardi matin (…) ». La CGT communique « Les évolutions du texte définitif lors de cette séance de négociations amènent la future règlementation sur l’aménagement du temps de travail applicable aux cheminots de la SNCF au niveau du RH 0077. Des améliorations arrachées par la mobilisation sont à observer. Il n’en demeure pas moins que des points négatifs subsistent ». Le journal informe ensuite : « De son côté, la CGT-cheminots a déclaré par un communiqué s’en remettre aux assemblées générales à qui “il appartient” de “déterminer les suites”, sans donner de mot d’ordre. Le premier syndicat, sans donner de position définitive sur le texte, souligne néanmoins qu’il est “au niveau” de la réglementation actuelle». Les dirigeants de la CGT mentent effrontément.

En clair, la CGT s’apprêtait à signer et appelait à la reprise. Elle a organisé une consultation des syndiqués en mettant le paquet : un argumentaire de quatre pages mettant en avant les avancées, avec insistance sur le fait qu’en cas de non-signature, elle serait écartée des négociations sur les accords locaux.

Le 11 juin, toujours selon la direction de la SNCF, un conducteur sur deux était toujours en grève. Dans de nombreuses assemblées générales, certes à participation de plus en plus réduite, le reprise du travail s’enclenchant, les cheminots ont voté pour « un décret socle et une convention collective au minimum à la hauteur du RH » et ont demandé « aux organisations de refuser de signer les deux textes, de les dénoncer majoritairement ». Par exemple à St Lazare, une motion avec ce contenu a été adoptée par 62 pour et 2 abstentions. De plus, certaines sections CGT-cheminots, à l’image de celle de Trappes, ont dénoncé le procédé de la consultation, exigé que la CGT ne signe pas et qu’elle fasse valoir son droit d’opposition. Malgré le cadre pourri, 57 % des cheminots consultés ont voté contre la signature. Jusqu’au 14/06, un nombre significatif de conducteurs ont refusé de reprendre le travail. La CGT n’a pas pu signer, d’autant plus que SUD Rail avait pris position contre la signature. Par la suite, les dirigeants de la CGT ont laissé planer le doute sur le fait qu’ils feraient jouer avec SUD le droit d’opposition à l’accord SNCF, les deux syndicats ayant obtenu plus de 50 % aux élections professionnelles… pour finalement renoncer.

Mais après 17 jours de grève pour nombre de conducteurs, en faisant le cumul depuis le 9 mars, c’est la reprise. Après la défaite de 2014, les cheminots ont été à nouveau battus et c’est une défaite de grande ampleur. La responsabilité en incombe totalement aux dirigeants de la CGT suppléés par ceux de SUD Rail.

Un objectif majeur de la bourgeoisie française :
démanteler et privatiser la SNCF, casser le statut des cheminots…

Le démantèlement de la SNCF est un objectif poursuivi depuis des décennies par la bourgeoisie. Il s’agit d’ouvrir au capital de nouveaux champs d’accumulation. Pour le réaliser, il lui est nécessaire de briser toutes les conquêtes arrachées par de longues années de lutte des cheminots, dont la corporation constitue l’un des bastions historiques de la classe ouvrière et de l’ensemble du prolétariat, en particulier depuis la nationalisation des compagnies ferroviaires en 1938. Il s’agit pour les capitalistes de réaliser ce que même le régime de Vichy n’avait pu remettre en cause. La loi ferroviaire de 2014 annule celle de 1940. C’est en application de cette loi de 1940, qui confirmait la nationalisation, qu’avait été pris le décret de 1999.

Déjà, en 1978, le rapport Guillaumat préconisait le démantèlement de la SNCF. En 1982, sous la houlette de Fiterman, ministre PCF des transports, a été adoptée la loi d’orientation des transports intérieurs (LOTI) qui permettait l’organisation des transports par les régions. Depuis le début des années 1990, l’offensive contre les cheminots a été menée au nom de l’application des directives européennes sur l’ouverture des marchés à la concurrence (transport, énergie, distribution d’eau, etc.). Il convient de rappeler que lesdites directives ne procèdent en fait que de la collaboration entre les gouvernements de l’Union européenne pour ouvrir au capital de nouveaux champs d’accumulation en liquidant, en particulier, les monopoles d’entreprises publiques. En dernière analyse, ce sont les gouvernements de chaque pays qui les appliquent. Tel est le cas en ce qui concerne le secteur du ferroviaire.

L’ouverture à la concurrence a été engagée en 1997 par le détachement de la SNCF de la gestion des réseaux et des infrastructures avec la constitution du Réseau ferré de France (RFF), RFF ayant le droit de sous-traiter à des opérateurs privés la maintenance du réseau. Par étape, en 2003 puis en 2006, l’ensemble du trafic fret a été ouvert à la concurrence, avec à la clef la suppression de 7000 emplois. En 2004, c’est la création de la filiale IDTGV pour le transport de voyageurs. En 2010, c’est l’ouverture à la concurrence des trafics voyageurs internationaux. En 2014 est promulguée la loi ferroviaire sur la réforme ferroviaire. En 2015, un nouveau coup a été porté à la SNCF avec l’ouverture à la concurrence du transport par autocars (« les cars Macron »). En février 2016, Alain Vidalies, secrétaire d’État aux transports, a déclaré que l’État allait se désengager de six des huit lignes de nuit « Intercités » exploitées par la SNCF dès le 1er juillet 2016. Il appelle les concurrents à proposer de « nouveaux schémas d’exploitation innovants ». Avant fin 2019, les régions pourront ouvrir à la concurrence les TER. Pour les lignes à grande vitesse (LVG), l’ouverture est d’ores et déjà programmée pour 2020. Des opérateurs tels que Deutsche Bahn allemande et Trenitalia sont déjà sur les rangs.

… avec la totale collaboration des dirigeants de la CGT

La préparation de la loi de réforme ferroviaire a été engagée par le gouvernement Sarkozy-Fillon. En 2011, il a organisé des » assises du rail » dont l’objectif affiché était déjà la « négociation » d’une convention collective du ferroviaire en vue de l’élargissement de l’ouverture à là concurrence du transport de voyageurs. Les dirigeants de CGT, aux côté de ceux de SUD Rail et autres, ont pleinement participé. En 2012, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) a adopté à la quasi-unanimité un rapport qui préconise :

● d’« Initier l’expérimentation de la mise en concurrence des TER début 2015, après mise en place des textes juridiques et mesures d’accompagnement, en tenant compte d’une anticipation possible par le 4e “paquet ferroviaire” en préparation de l’échéance de 2019 prévue par le règlement OSP » et de « transférer aux régions la propriété des matériels TER… ».

● «  un cadre social commun à tous les opérateurs apparaît comme un moyen de lutter contre les distorsions de concurrence, d’éviter les risques de dumping social et environnemental et de répondre aux exigences de sécurité ferroviaire ».

Ce rapport a reçu alors l’approbation des représentants de la CGT. Et pour cause, l’un des deux rapporteurs était Thierry Le Paon, futur secrétaire général de la confédération.

A la SNCF les dirigeants de la CGT ont été de trahison en en trahison, organisant systématiquement la bousille des tentatives des cheminots de combattre la liquidation de leur statut et le démantèlement de la SNCF. Le dernier mouvement des cheminots de mars à juin 2016 l’a encore démontré.

Cette orientation conduit à la destruction du syndicat. En 1996, lors des élections professionnelles à la SNCF, la CGT recueillait 47 % des exprimés. En 2015, le score est tombé à 37 %. C’est une illustration du fait que la « concertation » visant à accompagner la mise en œuvre de la politique réactionnaire des gouvernements au service du capital conduit à la destruction des organisations ouvrières.

Le 16 septembre 2016

 

 

 

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