Article paru dans le bulletin « Combattre pour le socialisme » n°62 (n°144 ancienne série) - 28 septembre 2016 :

 

Enseignement public :

Pour arracher le retrait du projet de réforme de l’évaluation des enseignants, combattre pour que les dirigeants des syndicats enseignants rompent avec le gouvernement et réalisent un front uni contre lui

 


 

En cette rentrée, le gouvernement Hollande-Valls-Baylet-Cosse peut se vanter d’avoir imposé une défaite majeure au prolétariat avec la promulgation de la loi El Khomri contre le droit du travail (voir édito).

Contre l’enseignement public et les enseignants, il est aussi parvenu à faire appliquer sa contre-réforme du collège. Celle-ci s’ajoute à celles des rythmes scolaires et de la liquidation des décrets de 1950 sur les obligations de service des enseignants du 2nd degré, qui toutes trois sont la déclinaison de la loi dite de refondation de l’école adoptée avec le soutien des directions des principaux syndicats de l’enseignement public.

Après la réforme du collège, c’est désormais le lycée qui est dans le collimateur du gouvernement.

Mais encore plus urgent pour lui, il prépare une loi de sélection à l’Université pour limiter drastiquement le nombre d’étudiants en master, qu’il voudrait présenter dès novembre.

Et depuis des mois, il est pleinement engagé dans une réforme de l’évaluation des enseignants en application de PPCR. Nous consacrerons une part essentielle de cet article à ce sujet.


« Cette réforme [du collège], qu’on le veuille ou non, elle se fait » (N. Vallaud-Belkacem)


N. Vallaud-Belkacem a pu pavoiser en cette rentrée. La contre-réforme du collège rejetée massivement par les enseignants entre en application dès maintenant. La ministre a déclaré :

« Cette réforme fait partie d’un ensemble très cohérent et c’est pourquoi, qu’on le veuille ou non, elle se fait, dans l’intérêt des élèves. Nous avons veillé à actionner l’ensemble des leviers : nous donnons 20% d’autonomie aux établissements pour choisir une offre pédagogique pertinente, des temps d’enseignement pluridisciplinaire (EPI) et d’accompagnement personnalisé des élèves. En même temps, nous instaurons de nouveaux programmes et une évaluation qui correspondent à ces nouvelles pratiques. »

En cette rentrée les enseignants des collèges sont accablés. Ils sont soumis à un bouleversement complet de l’exercice de leur métier. Les enseignements disciplinaires sont réduits, tous les cours doivent être changés pour s’adapter aux nouveaux programmes, les nouveaux manuels feront le plus souvent défaut et les réunions se multiplient sans limite. Le développement de l’autonomie des établissements signifie le renforcement du pouvoir des chefs d’établissement que le gouvernement veut encore accroître avec la réforme de l’évaluation des enseignants.

Comment le gouvernement a-t-il pu imposer tout cela ? Pour la loi de Refondation, pour la réforme des rythmes, pour la liquidation des décrets de 1950, il a bénéficié de la concertation avec les représentants syndicaux et aussi de leur soutien.

Pour la réforme du collège, la direction du SNES a attendu que le décret soit promulgué pour évoquer son abrogation. Mais pour elle, cette abrogation n’a jamais été clairement un objectif à atteindre. Quand elle était contrainte de mettre en avant ce mot d’ordre, c’était toujours assorti du sempiternel « pour une autre réforme du collège ». Au cours de l’année scolaire écoulée, la direction du SNES a refusé de lancer un mot d’ordre national clair de boycott des « formations » à la réforme. Elle a laissé les enseignants de chaque établissement se débrouiller. Et elle a refusé de convoquer une conférence de délégués d’établissements pour organiser le combat pour l’abrogation. Et surtout ,pendant toute l’année, la direction du SNES a bien fait comprendre que la publication du décret de la réforme du collège par le gouvernement en mai 2015 ne constituait nullement un casus belli. Elle a combattu pour que la direction de la FSU approuve en septembre 2015 le protocole PPCR, qu’elle participe à la conférence « sociale » en octobre 2015 et aux journées de la Refondation début mai convoquées par le gouvernement.

De ce point de vue, l’appel à la grève des enseignants lancé par la direction du SNES pour le 8 septembre n’était en aucun cas la manifestation d’un combat contre le gouvernement avec lequel elle prépare activement depuis des mois la réforme de l’évaluation des enseignants.


« Valeurs républicaines », « laïcité », le gouvernement veut des enseignants à son service


Le gouvernement a instrumentalisé les attentats pour instaurer l’état d’urgence et pour restreindre les libertés démocratiques dans une marche accélérée à l’État policier. Et il est déterminé à exploiter la situation pour transformer radicalement l’école. Tous les gouvernements ont souhaité que les enseignants promeuvent des « valeurs » de soumission à l’ordre établi, à la « nation » c’est-à-dire à l’exploitation capitaliste. Le plus souvent, le syndicalisme enseignant a pris la responsabilité de combattre pour que les enseignants exercent leur métier, non pas pour promouvoir les intérêts du pouvoir, mais pour se consacrer à l’instruction des élèves qui leur étaient confiés. Aujourd’hui, le gouvernement voudrait enrôler les enseignants au nom de « valeurs républicaines ». Dans la dernière période, de manière plus ou moins explicite, les enseignants ont été sollicités pour dénoncer des élèves qui apparaîtraient en voie de « radicalisation ». En général, les enseignants n’ont pas répondu à ce genre de demandes. Mais lors d’un entretien accordé à des journalistes, la ministre de l’Education nationale a indiqué le 29 août :

« Cette question s’est posée après les attentats de janvier avec des enseignants qui craignaient de passer pour des substituts de la police. Mais preuve que notre pays a passé un cran dans la préoccupation à l’égard du terrorisme, l’état d’esprit a beaucoup changé et les établissements ont signalé plus de 600 cas (…) » Certes le plus souvent ce sont les chefs d’établissement qui se chargent de cela, mais il ne faut pas nier que des enseignants y ont contribué.

Au prétexte de la sécurité, de plus en plus de circulaires signées conjointement par la ministre de l’Education nationale et celui de l’Intérieur sont adressées aux établissements scolaires. Récemment, au prétexte de lutte contre le terrorisme, la mairie LR d’Aix-en-Provence, avec l’approbation du rectorat, a fait remettre aux enseignants des écoles de la ville des « bippeurs » anti-intrusion, pouvant émettre des messages d’alerte au poste de police municipale.

L’intervention de policiers dans les établissements scolaires est devenue banale. Récemment, le chef d’établissement d’un lycée de Berck a collaboré à une opération « préventive » de police. C’est ainsi qu’une dizaine de policiers,accompagnés d’un chien ont contrôlé et fouillé les élèves de ce lycée.

Il est de la responsabilité des directions syndicales de dénoncer ces agissements. Pour les enseignants, il est essentiel pour mériter la confiance de leurs élèves de ne pas être associés aux forces répressives dont les violences délibérées font que de plus en plus de jeunes scandent le slogan : « Tout le monde déteste la police ! ».


Le gouvernement applique PPCR contre les enseignants


Nous avons à de multiples reprises évoqué PPCR (parcours professionnels, carrières, rémunération). Le gouvernement a imposé ce protocole – malgré le vote des organisations syndicales majoritaires dans la Fonction publique – qui intègre des objectifs majeurs de la bourgeoisie contre les fonctionnaires (mobilité forcée, rémunération au « mérite », attaques contre les règles statutaires et mise en cause des commissions paritaires …).

En application de ce protocole, le gouvernement a fait paraître avant l’été de nouvelles grilles de carrières des enseignants. Il y apparaît un déroulement apparemment identique pour tous correspondant au déroulement moyen existant actuellement, avec possibilité de gagner un an dans son avancement par deux fois, on verra pour qui et pour combien. Mais les enseignants en début de carrière verraient eux leur avancement ralenti pendant les premiers échelons. Actuellement, ils atteignent le 4e échelon après 2 années, avec la nouvelle grille, il leur faudrait le double.

Mais surtout, les augmentations indiciaires présentées par le gouvernement dans sa communication sont fallacieuses ; et pourtant, elles sont le plus souvent reprises telles quelles par les représentants syndicaux. La progression est de 15 à 27 points d’indice selon l’échelon à partir de janvier 2019, dont 9 ne sont que la transformation d’une partie de l’indemnitaire en indiciaire, donc en réalité une progression de 6 à 18 points étalés sur 3 ans. Mais il n’aura échappé à personne qu’au mois de mai prochain aura lieu une élection présidentielle. Or avant celle-ci, le nombre de points attribués en janvier 2017 varie de 2 à 7 points alors que ce mois-là, une nouvelle augmentation de la ponction « pension civile » va en amputer la portée en affectant les traitements de tous les fonctionnaires. Actuellement la valeur du point d’indice brut est de 4,68 euros.

Comme on vient de le voir, cette « revalorisation » est plus que symbolique pour des enseignants qui figurent parmi les plus mal rémunérés d’Europe. Mais de plus, cette pseudo-revalorisation à la sauce gouvernementale ne parvient pas à masquer l’objectif poursuivi par le gouvernement avec sa réforme de l’évaluation : diviser les enseignants en octroyant de manière discrétionnaire une carrière nettement améliorée à ceux qu’il aurait choisis.

Actuellement un ensemble de règles qui peuvent être différentes d’un corps enseignant à un autre ont été acquises au fil du temps, comme produit des luttes syndicales contre l’arbitraire. Elles concernent en particulier le déroulement de carrière et les nominations. Des barèmes existent qui limitent l’arbitraire et des commissaires paritaires élus lors d’élections professionnelles vérifient que les droits des personnels sont respectés lors des promotions.

Tout cela contrevient aux objectifs gouvernementaux énoncés dans PPCR et c’est tout l’enjeu de la réforme de l’évaluation. Ce qui est avancé, c’est que désormais à 4 occasions dans une carrière, 30 % des enseignants puissent être choisis par le recteur (2nd degré) ou l’inspecteur d’académie (1er degré) pour connaître une accélération de carrière.

Il faut insister : c’est le recteur et l’inspecteur d’Académie qui choisiront la totalité des promus (les 30%) en leur attribuant la mention « excellent ». Plus de barème, et des commissions paritaires transformées en chambre d’enregistrement du fait du prince.

Si l’accélération de carrière dont bénéficieraient les promus ne serait que d’une année au 6e échelon et d’une autre au 8e, c’est surtout pour le passage à la hors classe que le gain pour le bénéficiaire serait le plus grand car il pourrait dès 18 ans d’ancienneté obtenir un accès à ce grade privilégié, alors que ses collègues, en particulier dans le 1er degré, devraient attendre au moins 8 ans et peut-être bien davantage pour y accéder à leur tour. Dans ces conditions l’affirmation gouvernementale selon laquelle chaque fonctionnaire avec PPCR serait assuré de parcourir deux grades au cours de sa carrière apparaît comme un marché de dupes. Le 2e grade serait atteint peut-être, quant à être parcouru, c’est une tout autre affaire... Cela nécessiterait que de nombreux enseignants acceptent de différer leur départ à la retraite ou qu’ils y soient contraints par une nouvelle contre-réforme.


Le projet de réforme de l’évaluation des enseignants


On vient de voir que c’est le recteur ou l’inspecteur d’académie qui choisirait les promus. Il le ferait bien sûr parmi une présélection opérée par les inspecteurs (et les chefs d’établissements dans le 2nd degré).

Actuellement, l’inspecteur attribue une note pédagogique à l’enseignant sur 20 dans les écoles. Dans les collèges et lycées, cette note est sur 60 et est complétée par une note sur 40 attribuée par le chef d’établissement. Ces notes s’inscrivent dans des grilles de référence pour en limiter l’arbitraire et c’est principalement sur l’exercice professionnel constaté dans sa classe que l’enseignant est évalué. Ce qui est en projet bien avancé, c’est d’en finir avec cette note centrée sur l’exercice du métier à laquelle seraient substituées des appréciations portant sur 11 compétences.

L’essentiel de ces « compétences » n’a rien à voir avec le métier d’enseignant mais avec des activités périphériques. Qu’on en juge avec ce florilège présenté dans la Lettre de liaison du courant Front unique publiée récemment :

« Le professeur sera jugé sur tout... sauf sur son aptitude à enseigner

Certains des onze critères de «compétences» sur la base desquels les enseignants vont être jugés, non seulement laissent place à l’arbitraire et à la subjectivité, mais visent en fait à promouvoir les conduites les plus serviles, à favoriser la carrière des serviteurs les plus zélés des contre-réformes.

Quelques exemples :

“Coopérer au sein d’une équipe”: haro sur le collègue qui ne sera pas disponible à tout moment pour la myriade de réunions convoquées par le chef d’établissement (de niveau, pluridisciplinaire, école/collège, réunion de «projet pédagogique» avec les élus locaux, etc.)

“Coopérer avec les parents d’élèves”. Il s’agit d’autre chose que de rendre compte auprès des parents des résultats de l’élève, de ses difficultés éventuelles. Il s’agit – comme c’est contenu dans la réforme du collège – de considérer que les parents sont co-élaborateurs des projets pédagogiques et donc ont un droit de regard sur la pédagogie. Quid du collègue qui par exemple résistera – dans le cadre du contrôle continu – à la pression du parent pour l’augmentation de la note de l’élève ?

“Contribuer à l’action de la communauté éducative et coopérer avec les partenaires de l’école/établissement”. On comprend bien que celui qui participe au «conseil pédagogique» sera jugé plus méritant que celui qui n’y participe pas, par exemple parce qu’il ne veut pas avoir pour rôle d’imposer la réforme à ses collègues. On comprend bien que celui qui juge que ce n’est pas au patronat local de définir le contenu de l’enseignement de l’économie, par exemple sera jugé moins «coopératif» qu’un autre. Cette «compétence» devrait porter un autre nom : elle devrait s’appeler servilité.

“Agir en éducateur responsable et selon des règles éthiques”. Désormais donc, il y a une «éthique» officielle à laquelle chacun est tenu de se conformer. Nul doute que la promotion des «valeurs» au nom desquelles Valls désigne à l’action de la police les femmes d’origine immigrée voilées dans la rue, au nom desquelles doit être vantée l’action «civilisatrice» des bombes déversées sur les populations civiles en Irak et en Syrie fasse partie de cette «éthique». Dans le passé, au nom de «l’éthique», Jules Ferry invitait les enseignants à rappeler aux enfants «la ligne bleue des Vosges» et plus récemment Pétain leur faisait chanter : « Maréchal, nous voilà ! ». Cette «compétence» devrait porter un autre nom : formatage idéologique des enseignants !

Le “document d’appui au rendez-vous de carrière”

Par ailleurs, l’enseignant est invité périodiquement à rédiger le «bilan de sa propre activité» pour la hiérarchie. Cela signifie quoi au juste ? Se comporter en VRP de sa propre activité d’enseignant ? Refaire périodiquement allégeance aux contre-réformes gouvernementales ? Mâtiner la promotion de son activité de quelques «actes de contrition» pour ne pas avoir l’air d’en faire trop ? Dans tous les cas, le rôle qu’on veut faire jouer aux enseignants est inacceptable.

Le “grade exceptionnel”

La mise en place du «grade exceptionnel» (pour 10% des collègues) est d’une extrême gravité. Car il s’agit d’un grade fonctionnel, c’est-à-dire l’accomplissement de certaines tâches particulières. Beaucoup de ces tâches consistent à faire prendre en charge par les collègues les contre-réformes gouvernementales. Le «grade exceptionnel» vise à établir une hiérarchie entre collègues, à donner à certains un pouvoir de décision sur les autres. C’est le «management» des enseignants tel qu’il existe dans certains pays – notamment anglo-saxons – et aussi dans les établissements privés où des responsables de département ou de niveau déterminent l’emploi du temps de leurs collègues, les convoquent à des réunions et même ont le pouvoir de les réemployer ou de les licencier !

Tout le pouvoir aux chefs d’établissement !

Le fond de l’affaire, c’est bien sûr de placer les enseignants sous la tutelle étroite des chefs d’établissement dans le second degré, des DASEN dans le premier degré. C’est ce qu’indique  assez clairement la revue Acteurs publics pour le second degré :

“Il reviendrait ainsi au principal de collège ou au proviseur de lycée de juger du niveau de “coopération au sein d’une équipe” et de la “contribution à l’action de la communauté éducative” de chaque enseignant. Mais aussi de juger de son action “en éducateur responsable et selon des principes éthiques”…” »

En 2012, au lendemain de sa défaite aux élections présidentielles, Sarkozy avait publié un décret sur l’évaluation des enseignants qui, en particulier, donnait tout le pouvoir aux chefs d’établissement pour l’évaluation des enseignants. Le gouvernement Hollande-Ayrault-Dufflot-Pinel avait abrogé ce décret uniquement pour permettre à Peillon de réunir tous les représentants syndicaux dans une concertation sur le projet de la loi dite de Refondation. Depuis, en application de cette loi, le décret d’août 2014 sur les obligations de services des enseignants du 2nd degré a multiplié les missions pouvant être exigées des enseignants en plus de leurs horaires d’enseignement. Ainsi, pour l’application de la réforme du collège, les chefs d’établissement ont les moyens de contraindre les enseignants à se réunir tant et plus. Avec le projet de réforme de l’évaluation, il s’agit d’aller encore plus loin en leur donnant le pouvoir de privilégier ceux les plus dociles, les plus soumis à la mise en place des contre-réformes.

Mais dans les écoles où les mobilisations ont empêché jusqu’à présent la création d’un statut de directeur-chef d’établissement, il est évident que si ce projet de réforme de l’évaluation s’imposait, comment un inspecteur pourrait-il juger des compétences « coopérer avec les partenaires de l’école » ou « coopérer avec les parents d’élèves » ? L’inspecteur serait nécessairement amené à demander au directeur de le renseigner. Et ce dernier deviendrait de fait, en portant appréciation sur ses collègues, un supérieur hiérarchique. L’octroi d’un statut reconnaissant ce fait serait à nouveau d’actualité.


Pour les directions du SNES et du SNUIPP, une réforme globalement positive ?


Comme il est développé dans l’éditorial de ce bulletin, la situation déliquescente du capitalisme français implique de réduire drastiquement les dépenses publiques. Les fonctionnaires sont donc en première ligne. Leur nombre doit être réduit, leur temps de travail augmenté et leurs acquis statutaires pulvérisé.

Pour cela, il est indispensable de s’en prendre aux corps les plus nombreux, ceux des enseignants. C’est pour cela que des coups importants leur ont déjà été portés ces dernières années. Mais c’est bien au-delà qu’il s’agit d’aller avec cette réforme de l’évaluation. Le but, c’est de contraindre les enseignants qui ont toujours fait montre d’une capacité d’opposition aux contre-réformes et qui ont toujours défendu bec et ongles leur liberté pédagogique. En s’affranchissant des règles existantes, le gouvernement espère diviser profondément les enseignants, briser les solidarités, susciter la concurrence. Déjà, il y a quelques années, le gouvernement Sarkozy-Fillon avait institué une prime variable au « mérite » dans les établissements ECLAIR (éducation prioritaire) qui avait souvent provoqué un climat délétère parmi les enseignants des établissements concernés.

L’aboutissement de cette réforme de l’évaluation des enseignants est donc scruté attentivement par les représentants de la bourgeoisie. Ainsi, le journal patronal Les Echos ne s’est pas trompé sur la portée du projet gouvernemental. Le 2 juillet, après avoir titré un article : « Le gouvernement prêt à s’attaquer à l’évaluation des enseignants », il commençait ainsi : « C’est un sujet explosif sur lequel le gouvernement sonde discrètement les syndicats. » En fait, depuis des années cette question est en discussion avec les directions syndicales. Les choses étant devenues plus précises dans le cadre de la concertation PPCR. Et dès le mois de mars, le SGEN-CFDT publiait un dossier qui annonçait ce qui est devenu public depuis peu. Pendant la mobilisation contre le projet de loi El Khomri, les dirigeants des syndicats de la FSU ont scrupuleusement respecté l’embargo sur l’information, ne commençant à s’exprimer que lorsque le ministère commencé à le faire.

L’article déjà cité (Les Echos), journal dont la lecture est plus courante chez les patrons que chez les enseignants, rapporte :

« Le sujet doit être manié avec précautions, insiste Sébastien Sihr, du SNUipp : “ Si on s’engage dans une réforme de l’évaluation, il faut que la ministre arbitre très vite et que les décisions se prennent à partir de cet arbitrage. Sinon, après les rythmes scolaires et le collège, on va rouvrir la boîte à gifles.” » Nous n’avons pas de nouvelles de S. Sihr depuis qu’il n’est plus responsable du SNUipp, mais on peut se demander à cette lecture s’il ne souhaiterait pas devenir un conseiller expert en « déminage » auprès de la Ministre.

Le conseil national du SNUipp du 14 septembre écrit dans son texte d’action :

« L’évaluation doit concerner le cœur du métier. De plus, un barème doit être établi intégrant l’ancienneté. Les CAPD ne doivent pas être réduites à des chambres d’enregistrement. En l’état, le projet de réforme de l’évaluation n’est pas acceptable. »

Comme souvent, une formule contredit tout le reste. Indiquer « En l’état » signifie refuser de combattre ce projet ce qui exige d’en exiger le retrait. Et la conclusion : « Il s’appuiera sur la consultation de la profession pour faire évoluer fortement le projet ministériel. En fonction des réponses ministérielles, il mobilisera la profession pour faire évoluer le projet. » Répéter deux fois « faire évoluer le projet » montre que la direction a bien l’intention d’apporter son concours au gouvernement.

Pour sa part, la direction du SNES, estime que le système actuel d’évaluation des enseignants « comporte toutefois des garanties : double évaluation avec prépondérance de l’évaluation pédagogique qui correspond à notre volonté d’être évalués sur ce que nous considérons comme le « cœur du métier », encadrement des notations (dans des grilles de référence actuellement) qui laissent une marge de manœuvre faible à l’évaluation administrative et permet de dénoncer certaines pratiques d’inspections, possibilité de contestation de l’évaluation administrative devant une commission paritaire. » Alors que le projet ministériel veut en finir avec ces garanties, elle ose écrire : « Les objectifs et les principes fixés vont, pour une partie d’entre eux dans le bon sens. » Et même si elle critique plusieurs dispositions, elle affirme qu’elle va poursuivre la concertation avec le gouvernement.

Ainsi, les directions de ces deux syndicats de la FSU soutiennent de fait ce projet en demandant simplement quelques modifications.

Dans la partie consacrée à cette question dans le texte action adoptée au CDFN de la FSU le 21 septembre, une phrase résume bien leur position :

« [La FSU] sera particulièrement vigilante à ce que le projet de réforme de l’évaluation ne fournisse pas un outil supplémentaire de managment. »

Alors que justement, tout le projet est fondé sur cela.

Xavier Albanel, sociologue auteur d’un ouvrage sur l’inspection dans le second degré, interrogé le 20 septembre par Le Monde au sujet du système actuel dit ceci :

« Le dispositif actuel est perçu comme protecteur, à plusieurs titres. D’abord, le fait d’être jugé par une personne extérieure à l’établissement, ancien enseignant de sa discipline, garantit un jugement neutre, tandis que le jugement d’un chef d’établissement pourrait être biaisé par des règlements de comptes personnels, induire de l’arbitraire. L’inspection est aussi garante de la liberté pédagogique : au fond, c’est une heure un peu angoissante, mais une fois passée, on retrouve son autonomie ; il n’y a pas d’autres formes de contrôle.

Enfin, l’inspection consacre les aspects disciplinaires du métier : l’inspecteur évalue avant tout le travail dans la classe, le rapport à la discipline – ce que les enseignants perçoivent comme le cœur de leur métier  –, et met de côté les autres aspects comme le travail collectif, les relations avec les parents… Ils perçoivent comme une menace l’intrusion d’un chef d’établissement qui ne connaît pas leur discipline et viendrait plutôt évaluer ces autres facettes du métier. Derrière les débats sur l’évaluation des enseignants, ce sont toujours deux conceptions du métier qui s’affrontent. »

C’est bien cela, l’objectif est d’en finir avec l’enseignant bénéficiant de sa liberté pédagogique en contrepartie de qualité professionnelle. Il cèderait la place à un exécutant sous la coupe d’un chef d’établissement omnipotent.

On a vu que les dirigeants des syndicats de la FSU soutiennent de fait le projet en acceptant la concertation avec le gouvernement et en refusant d’en exiger le retrait. Mais, ils savent que les enseignants, qui ont subi tant de défaites ces dernières années, ne se laissent pas abuser par les discours du gouvernement. Quand de réelles informations leur sont données et qu’ils peuvent en discuter, ils rejettent ce projet de réforme.

La direction du SNUipp, au lieu d’exiger le retrait du projet ministériel et d’organiser la mobilisation pour imposer son retrait, préfère recourir à un sondage appelé consultation des personnels.

Et dans un communiqué du 19 septembre, les secrétaires généraux des trois principaux syndicats de la FSU dans le 2nd degré (SNES, SNUEP, SNEP) proposent eux aussi de consulter les enseignants afin « de mettre en débat les propositions du ministère »… Le « débat » au lieu du combat, un programme qui ne peut que réjouir le gouvernement.


Front uni des syndicats enseignants
pour le retrait du projet de réforme de l’évaluation des enseignants


La défense des enseignants implique que les dirigeants des syndicats enseignants exigent le retrait du projet de réforme de l’évaluation et boycottent la concertation avec le gouvernement.

Nos lecteurs ne seront pas étonnés d’apprendre que les responsables du SE-UNSA et du SGEN-CFDT sont favorables au projet ministériel. C’est le contraire qui aurait été surprenant. Quant à la direction de FO, si son analyse du projet est correcte dans l’ensemble, elle n’en conclut pas pour autant au mot d’ordre de retrait et poursuit les concertations.

On a vu que les directions des principaux syndicats (SNES et SNUipp) sont sur une orientation de collaboration avec le gouvernement auquel elles demandent des « améliorations » de son projet.

Au Conseil national de la FSU, le courant Front unique a combattu pour que la FSU se prononce pour le retrait du projet de réforme de l’évaluation des enseignants. Et une motion a été soumise en ce sens. Le résultat du vote présente un certain intérêt. Elle a recueilli 11 voix pour et 59 contre. Mais il faut noter qu’il y a eu 49 refus de vote. Deux courants syndicaux co-dirigent la FSU Unité Action très majoritaire et Ecole Emancipée. Or cette dernière, qui aime à se présenter comme plus combattive, a présenté une contribution dans laquelle le projet de réforme était assez clairement dénoncé avec comme conclusion : « Ce projet est inacceptable. » Pour quiconque un minimum cohérent, cette affirmation devrait conduire à en exiger le retrait. Mais pour l’Ecole Emancipée, il n’en va pas ainsi et ses représentants ont refusé de se prononcer dans le vote.

Tous ceux qui sont attachés à la défense de l’enseignement public, à la défense des règles statutaires des enseignants, à leur indépendance et à leur liberté pédagogique auront à cœur d’engager toutes leurs forces dans la bataille pour imposer le front uni des syndicats enseignants pour imposer le retrait pur et simple du projet de réforme de l’évaluation. Dans les établissements scolaires, dans les assemblées de personnels, dans les instances syndicales à tous les niveaux, des prises de position en ce sens doivent être adoptés et centralisés sur notre site et sur celui du courant Front unique.


 

Le 22 septembre 2016

 

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