Les confédérations CGT et FO, la FSU ont décidé d’une manifestation nationale à Paris le 14 juin, au début des débats au Sénat du projet de loi El Khomry.

Pour arracher le retrait de la loi, la responsabilité des organisations est d’appeler à une manifestation nationale, le 14 juin, à Paris, à l’Assemblée nationale !

 

La loi El Khomri - la destruction du code du travail – adoptée, sans vote (art.49-3, en 1ère lecture)
avec la complicité de la majorité de députés PS et PCF élue en 2012

 Est-il encore possible d’éviter la dure défaite annoncée pour le prolétariat sans contraindre les dirigeants des confédérations CGT et FO, de la FSU, de l’UNEF à appeler les travailleurs et la jeunesse à manifester massivement
à l’Assemblée nationale pour : « À bas la loi El Khomri » ! ?

Comme le rapporte, avec ses mots, la presse, « depuis lundi 30, une évolution notable s’est produite à la CGT : Philippe Martinez ne fait plus du retrait du projet de loi un préalable. » (Le Monde)

Il faut être lucide, les dirigeants de la CGT, et avec eux ceux de FO et de la FSU, affichent désormais ouvertement et sans ambigüité leur trahison pour faire passer la loi El Khomry : « Si le gouvernement, demain, dit : on discute, il n’y a plus de grève. Que chacun prenne ses responsabilités » (P. Martinez). Et aussi : « Il n’est pas question de bloquer l’Euro… » ! Si le gouvernement aboutit à l’adoption définitive de cette loi, les dirigeants des confédérations CGT et FO, ceux de la FSU, porteront une responsabilité majeure. Notre responsabilité est de faire ce qu’il est possible de faire, comme les militants enseignants, qui, avec la tendance Front unique, ont combattu au Conseil national de la FSU et ont proposé la motion suivante, le 25 mai :

« Pour imposer le retrait pur et simple de la loi Travail, le Cdfn de la FSU s’adresse aux directions de la CGT, de FO et de l’UNEF pour que la manifestation nationale du 14 juin soit convoquée à l’Assemblée nationale, où siège une majorité de députés PS/PCF élus en 2012 pour en finir avec la politique de Sarkozy-Fillon » (Résultat du vote : Pour : 4; contre : 60; abstention : 11; refus de vote : 18).

Les possibilités de défaire le gouvernement de plus en plus compromises


Le 10 mai, par le coup de force du recours à l’article 49-3, Valls a fait un pas important dans le sens de l’adoption de la loi El Khomri dite « loi travail ». Sans doute, le recours à l’article 49-3 manifestait le fait qu’il ne pouvait le faire par le jeu ordinaire du débat parlementaire. Mais cela ne change rien au fond. Valls a eu recours au 49-3 parce qu’il jugeait qu’il avait les moyens politiques de le faire. Au sein même de l’Assemblée, la grande majorité des députés PS, y compris les partisans d’Aubry, avaient indiqué leur disposition à se coucher devant le gouvernement. Quant aux « frondeurs » ou prétendus tels, ils se sont livrés à la comédie de la menace de « motion de censure de gauche » – dont ils n’avaient du reste pas les moyens.

Au point où l’on en était, la seule véritable menace pour Valls eût été que la majorité de députés PS-PCF se dresse


contre le gouvernement, se déclare souveraine, au nom du vote du prolétariat et de la jeunesse pour chasser Sarkozy de 2012,et au nom de ce même vote, annonce le rejet de la loi et, au-delà, dépose le gouvernement Hollande-Valls-Macron.

Mais cette menace n’a jamais existé. Depuis maintenant 4 ans, la majorité PS-PCF s’est toujours servilement soumise au gouvernement dirigé par Ayrault puis par Valls. Elle a encaissé sans broncher ou presque toutes les conséquences de cette servilité, les désastres électoraux qui s’en sont suivis pour le PS, lui-même au bord de la liquidation.

Il est certain que la majorité PS-PCF n’aurait pu s’opposer au gouvernement que si elle avait été elle-même soumise à la contrainte du mouvement des masses, au rassemblement par centaines de milliers des travailleurs et des jeunes assiégeant l’Assemblée nationale pour imposer le retrait.

S’agissant de la disponibilité des masses, il est hors de doute que cette possibilité était ouverte. Mais les appareils syndicaux se sont dressés contre cette perspective avec acharnement, bien épaulés en cela par les groupes dits « d’extrême-gauche » - POI, POID, NPA, LO – qui, comme en 2003, auront été des auxiliaires d’une importance non négligeable pour les appareils syndicaux.

C’est le combat qui a été mené à la mesure de leurs moyens par les militants révolutionnaires regroupés autour du bulletin Combattre pour le Socialisme, notamment dans le cadre du courant Front unique à l’intérieur de la FSU. En témoigne par exemple la motion présentée par son représentant au Bureau national de la FSU – motion repoussée par la direction syndicale et les diverses composantes d’« extrême-gauche » :

« Le BDFN affirme qu’il ne saurait y avoir de discussion avec le gouvernement tant que son projet de loi Travail ne sera pas retiré.

Il exige donc clairement le retrait pur et simple de ce projet qui n’est ni amendable, ni négociable.

Il s’adresse aux directions de la CGT, de FO et de l’UNEF pour appeler en commun à une manifestation nationale et centrale à Paris, à l’Assemblée nationale, pour imposer à la majorité PS-PCF, le retrait pur et simple du projet de loi Travail. »

Le fait que les appareils syndicaux unis se soient ainsi dressés contre cette perspective place la classe ouvrière dans une situation redoutable avec des possibilités amoindries d’éviter une défaite terrible. En dehors du surgissement de la spontanéité ouvrière dans tel ou tel secteur - surgissement rendu d’autant plus improbable que pèse désormais sur tous les secteurs l’entreprise de laminage des potentialités qui existaient sur la loi El Khomri -, la défaite est probable. CPS a suffisamment insisté sur ce que signifiait cette loi El Khomri du point de vue du rapport entre les classes pour ne pas sous-estimer les conséquences qu’entraînerait une telle défaite.

Établir sur la base de l’étude rigoureuse des faits où sont les responsabilités de la périlleuse situation dans laquelle se trouve le prolétariat, faire partager cette compréhension à une frange même réduite de celui-ci pour qu’elle soit mieux armée dans les combats à venir, tel est le but présent de Combattre pour le Socialisme. C’est la seule façon de limiter les conséquences de la situation critique dans laquelle se trouvent le prolétariat et la jeunesse. Qui est responsable ? Où se situent les obstacles à balayer pour en finir avec la spirale des victoires de la bourgeoisie et de son gouvernement ? C’est à ces questions que vise à répondre cet éditorial.


Ce n’est que contraints et forcés que les appareils syndicaux se sont prononcés pour le retrait


Il faut le rappeler : la position initiale des directions des organisations syndicales – en tout cas de la CGT et de la FSU – n’était en rien le retrait du projet de loi El Khomri. Bien au contraire à travers la prise de position commune avec la CFDT du 23 février, c’était une offre de service au gouvernement pour « travailler... sur les autres articles du projet [autre que l’article instaurant un barème maximum d’indemnité au salarié pour licenciement abusif] », c’était l’affirmation par ces directions selon laquelle elles se déclaraient « disponibles pour engager le dialogue permettant le développement de l’emploi... «  (voir CPS n° 60 page 2).

Dix jours après la déclaration du 23 février, CGT, FO, FSU, UNEF se prononcent cependant pour le retrait du projet de loi. Ils le font sous la pression des masses. Celle-ci se manifeste en particulier par la prise de position de plusieurs organisations de jeunesse dès le 25 février, confirmant celle de l’UNEF du 19 (voir plus bas). Le 29, l’UNEF, l’UNL, la FIDL, le MJS, la JC se prononceront en effet pour le retrait du projet de loi et la rupture de toute négociation. Dans de nombreux syndicats CGT et FO, des prises de position violemment hostiles au communiqué CGT-CFDT-FSU-UNEF du 23 et pour le retrait du projet de loi se font entendre. Pour garder le contrôle de la situation, les dirigeants CGT, FO, inquiets comme le gouvernement d’une possible irruption de la jeunesse, ont ajusté leur position. Mais ils ont mis en place un dispositif pare-feu. La perspective ouverte était celle d’une grève interprofessionnelle et d’une journée de manifestations le… 31 mars. La «  tactique  » était claire : isoler un mouvement possible de la part de la jeunesse étudiante, la laisser s’épuiser dans de multiples actions sans perspectives.

D’ailleurs, en même temps que les travailleurs et les jeunes imposaient aux directions syndicales une prise de position formelle pour le retrait, jamais ils ne purent leur imposer la rupture avec le gouvernement. Immédiatement après le 3 mars, les dirigeants syndicaux étaient dans le bureau du ministre se prêtant en réalité au jeu de l’« amélioration » du projet de loi, permettant au gouvernement de déclarer, qu’après tout, tout le monde était pour une réforme du Code du travail, ce que faisait particulièrement la direction de la CGT avec ce « mot d’ordre » qui était une main tendue en permanence au gouvernement : le « Code du travail du XXIe siècle ».

On a beaucoup comparé ce qui se passait sur la loi El Khomri à la mobilisation, il y a dix ans, sur le CPE. Remarquons-le : les dirigeants syndicaux n’évoquent le CPE que pour insister sur une circonstance tout à fait exceptionnelle dans l’histoire de la lutte des classes, à savoir : le décret CPE a été abrogé alors même que la loi dont il était partie prenante avait déjà été adoptée (laquelle loi « LEC » était restée en vigueur dans ses autres aspects, rappelons-le). En insistant sur cette circonstance particulière et quasiment unique, le but poursuivi par les dirigeants syndicaux était limpide. Il s’agissait de faire croire aux travailleurs et aux jeunes que l’adoption (par le vote ou par le coup du 49-3) à l’Assemblée nationale était une péripétie de peu d’importance, et par conséquent la mobilisation en direction de l’Assemblée pour l’empêcher hors de propos. Dans une interview au journal La Montagne du 4 mai, le secrétaire de l’UD-CGT du Puy-de-Dôme exprime clairement ce point de vue : « Si le texte devait survivre à son passage à l’Assemblée nationale, il faudrait mobiliser le Sénat ».

Ne rien faire pour imposer à la majorité PS-PCF de rejeter le texte et... s’en remettre à la majorité LR du Sénat : voilà ce qui est proposé !

A vrai dire, si l’on veut faire une comparaison sérieuse, il faut insister sur une différence essentielle. En 2006, les dirigeants syndicaux avaient refusé toute discussion avec le gouvernement tant que le décret CPE subsistait. En 2016, cette rupture n’a jamais eu lieu. Bien au contraire tous les communiqués syndicaux rappellent la disponibilité des appareils syndicaux à discuter. Si la profondeur de la mobilisation, en particulier dans la jeunesse, a été largement plus faible en 2016 qu’en 2006, cette différence ne joue pas peu. C’est particulièrement vrai dans la jeunesse. A cet égard, le revirement de la direction de l’UNEF a été de première importance.


La direction de l’UNEF immédiatement congratulée par les appareils syndicaux
renie ses positions antérieures


La prise de position de la direction de l’UNEF du 19 février en écho à l’indignation suscitée dans la jeunesse par la loi El Khomri n’avait pas été pour rien dans le revirement des appareils CGT et FSU, les conduisant à se prononcer pour le retrait du projet de loi. Même si dès le départ la direction de l’UNEF dit tout et son contraire, puisque quelques jours plus tard, le 23, elle est cosignataire avec la CFDT, la CGT et la FSU de la déclaration faisant état de la « disponibilité au dialogue » avec le gouvernement.

Il n’empêche : le 19 février, la direction de l’UNEF annonce qu’elle ne discutera de rien avec le gouvernement tant que le projet de loi El Khomri n’aura pas été retiré. Rappelons-en les termes : « L’UNEF exige le retrait du projet de la loi El Khomri. C’est un préalable avant toute discussion sur les véritables attentes de la jeunesse ».

Si les mots ont un sens, cela signifie : « Nous ne discuterons pas tant que le projet de loi n’est pas retiré ».

C’est donc en contradiction totale avec cette déclaration que le 11 mars, l’UNEF, ainsi que l’UNL, et la FIDL, les organisations lycéennes, se rendent à l’invitation de Valls. Le 11 mars, c’est 48 heures après la mobilisation du 9 mars marquée par une forte présence de la jeunesse étudiante et lycéenne et par de nombreux syndicats CGT et FO. Le 9 mars, jour préalablement prévu pour la présentation du projet au conseil des ministres, était appelé comme un simple rassemblement place de la République, à Paris. Sous la pression, il s’est transformé en manifestation jusqu’à Nation. Certes, à ce moment-là les assemblées générales étudiantes connaissent une participation limitée. Néanmoins, dans un certain nombre d’universités (Lille, Paris 8, Montpellier, Rennes 2), elles rassemblent plusieurs centaines d’étudiants et l’on se souvient qu’en 2006, à quelques exceptions près, les AG étudiantes connaissaient aussi au début du mouvement une participation limitée.

Trois semaines plus tard, il y aura sans doute le 31 mars deux à trois fois plus de monde que le 9 mars, mais la mobilisation de la jeunesse sera moindre et essentiellement lycéenne. Pour l’essentiel, les étudiants resteront en dehors de la manifestation et il n’y aura pas grève sauf exception.

La réception de l’UNEF par Valls a joué pleinement son rôle. En rentrant dans la concertation et en commençant à y faire ses « propositions », la direction de l’UNEF annonce publiquement que l’affrontement avec le gouvernement n’est pas à l’ordre du jour. Elle coupe net l’élan d’une possible mobilisation étudiante. Un peu plus tard, le reflux se manifestera aussi dans la jeunesse lycéenne, par ailleurs matraquée avec la dernière brutalité par la police de Valls, pour lequel la concertation et la matraque sont les deux versants de la même politique. Et le gouvernement sait parfaitement que pour une large part l’issue du combat tient à la capacité à faire rentrer la jeunesse dans le rang.

Il n’y a que le premier pas qui coûte. De la concertation à l’apologie du gouvernement, il n’y a pas loin. Le 6 avril, Valls reçoit à nouveau l’UNEF. Il annoncera le 11 avril des « mesures en faveur des jeunes ». Martinet se déboutonne : il se livre à une véritable apologie des mesures annoncées : « Ce sont des mesures qui répondent aux préoccupations de la jeunesse ». Quant à la loi El Khomri, il n’en est pour ainsi dire plus question. Martinet indique que « L’UNEF demeure solidaire de la mobilisation des salariés... » On ne saurait mieux dire que la jeunesse n’est pas concernée. Ce n’est plus qu’affaire de « solidarité ». Reste à envelopper tout cela de la ritournelle habituelle sur le fait que « la lutte paie », régulièrement entonnée par les bureaucrates pour couvrir la trahison.

Quelles mesures a annoncées Valls ? C’est à peine si elles méritent d’être énoncées. Car un mois après, il n’est pas un jeune qui s’en souvienne : promesses de maintien des bourses quelques mois après le diplôme, extension du « droit » au « revenu universel » pour les jeunes chômeurs - la mendicité universelle -, renchérissement des cotisations sociales sur les CDD. Le gouvernement mettra moins de temps lui-même que les jeunes pour les oublier. Déjà la surcotisation des CDD est passée à la trappe. Tout ce qui coûterait un sou de plus aux patrons suivra le même chemin. Par contre, le gouvernement se saisira immédiatement du point d’appui que constitue la reprise de la concertation pour décider une violente mesure contre le droit aux études : l’instauration désormais légale - un décret sera publié à cet effet avec mise en œuvre dès la rentrée 2016 - de la sélection au terme de la première année de master pour 40% d’entre eux, et l’ouverture de 4 mois de concertation, dont l’objectif ne peut être que la généralisation de ladite sélection.

Les appareils syndicaux CGT, FSU, FO, à l’initiative desquels selon toute probabilité la direction de l’UNEF a repris sa collaboration avec le gouvernement, se sont immédiatement félicités de la prétendue « victoire » obtenue par l’UNEF dans leur communiqué du 14 avril.

« Le gouvernement a présenté le 11 avril dernier, des mesures importantes en faveur des jeunes (Aide à la Recherche du Premier Emploi, surcotisation des CDD, amélioration de la rémunération des apprentis, revalorisation des bourses, prolongation du droit aux bourses, création de places en BTS…). Pour les organisations CGT, FO, FSU, Solidaires, UNEF, UNL, FIDL ces annonces sont le fruit des fortes mobilisations des jeunes, à l’appel des organisations lycéennes et étudiantes au côté des salariés. Elles répondent aux revendications portées de longue date par les organisations de jeunesse. Les organisations seront particulièrement vigilantes sur la mise en œuvre de ces mesures pour améliorer la formation et l’insertion à l’emploi des jeunes.

Pour autant, le désaccord sur le projet de loi reste entier. Et le 9 avril a permis à des milliers de personnes de toutes catégories sociales n’ayant pu se mobiliser jusqu’ici de s’inscrire dans le mouvement. L’opinion publique soutient cette mobilisation et de nombreuses initiatives se multiplient au niveau local. Le gouvernement doit poursuivre dans la voie du dialogue amorcé avec les organisations de jeunesse. Il doit aussi écouter les organisations de jeunesse et de salariés qui restent toujours opposées à la loi Travail. »

Certes, un « désaccord » subsiste. Mais on le voit, l’essentiel est ailleurs : dans « les mesures importantes en faveur des jeunes ». Au point que le communiqué peut inviter le gouvernement à « poursuivre dans la voie du dialogue amorcé avec les organisations de jeunesse ».

Le ton, comme le fond, c’est celui de la soumission au gouvernement. Le « dispositif d’action » pour citer le langage des appareils syndicaux sera à la mesure de cette soumission.

Disloquer la force qui avait commencé à se rassembler le 9 mars, protéger le gouvernement en éloignant cette force de « là où cela se décide », du siège du pouvoir, de l’Assemblée nationale lorsque celle-ci sera saisie du projet de loi : tel est l’objectif des journées d’action à répétition que convoquent les appareils syndicaux.

Les appareils syndicaux multiplient les journées d’action,
les communiqués syndicaux enterrent le mot d’ordre de retrait du projet de loi


La tactique des « journées d’action » à répétition a fait ses preuves en particulier en 2010 sur la contre-réforme des retraites Sarkozy-Fillon : une bonne dizaine de journées d’action, les travailleurs étant régulièrement invités à faire le tour de leur ville jusqu’à épuisement... des manifestants. Le nombre de manifestants (il y a eu parfois plus d’un million de manifestants) ne changeait rien à l’affaire. Le gouvernement Sarkozy-Fillon savait bien que ces promenades inoffensives ne le menaçaient en rien.

C’est exactement le même dispositif que les appareils syndicaux ont mis en place sur la loi El Khomri. Dès le 9 mars, les appareils surent que la loi ne pouvait passer sans que la classe ouvrière et la jeunesse ne tentent de s’y opposer. C’est contre leur volonté que les simples rassemblements qu’ils avaient prévus se sont transformés en manifestations. Laissant la jeunesse isolée - et par conséquent immédiatement soumise à une répression d’une rare violence (universités investies par la police, lycéens bastonnés à la porte de leur établissement comme au lycée Bergson) -, ils attendirent le 31 mars pour convoquer la journée d’action suivante. Numériquement, le 31 mars, avec 1 million de manifestants, a constitué le sommet de la participation (malgré tout beaucoup moins que sur le CPE, où 3 millions de manifestants furent réunis au moment le plus fort). Mais politiquement, le 31 mars marque déjà une reprise en main par les appareils. La jeunesse est déjà largement moins présente. Le 9 avril (un samedi pour « ne pas avoir à appeler à la grève » déclare Bernadette Groison, la secrétaire générale de la FSU !), la manifestation « familiale » marque un net reflux.

En même temps, la déclaration de l’intersyndicale du 14 avril n’évoque plus qu’incidemment le retrait de la loi El Khomri. L’accent est mis à la fois sur les prétendues « avancées dans la jeunesse » et sur la demande de réouverture du dialogue social pour discuter avec le gouvernement des généralités sous lesquelles les appareils ont coutume d’enterrer toute exigence précise des masses :

« Les organisations syndicales dénoncent l’entêtement du gouvernement à maintenir son projet de loi Travail. Il doit les recevoir et entendre les revendications des salariés : emploi, salaires et pensions, temps de travail, protection sociale, garanties collectives, conditions de travail, égalité professionnelle femme/homme, santé au travail, médecine du travail, formation permettant des créations d’emplois stables et de qualité, droits et libertés syndicales… des propositions porteuses de progrès social et correspondant à la réalité du travail d’aujourd’hui et de demain. « 

Le 28 avril, il y aura deux à trois fois moins de manifestants que le 31 mars. La lassitude des journées d’action intervient plus vite qu’en 2010, plus vite qu’en 2003, précisément parce qu’il y a eu l’expérience de 2003 et de 2010. C’est ce que confirmeront encore les journées d’action du 3 mai, du 12 mai, du 17 mai à chaque fois moins de manifestants et davantage de provocations et de violences policières.

C’est la politique des appareils syndicaux, le discrédit qu’elle entraîne qui va permettre l’apparition du mouvement Nuit debout au soir du 31 mars. Il suscite l’émerveillement de nombre de groupes dits d’« extrême-gauche » et, ce qui aurait dû interroger ces derniers, bénéficie d’une incroyable promotion des médias aux ordres de la bourgeoisie. Malgré son caractère violemment hostile aux organisations - il est interdit d’y intervenir en faisant état de son appartenance politique ! -, les appareils dirigeants vont très vite comprendre qu’il n’y a rien à en redouter. Mieux même, ils voient qu’il pourrait leur être utile puisque dressé contre les organisations : il est du même coup dressé contre le combat pour le Front unique des organisations ouvrières pour défaire le gouvernement. Et c’est ainsi que très vite, notamment en banlieue, c’est l’appareil du PCF et de la CGT qui va être à l’initiative des – maigres – rassemblements étiquetés Nuit debout.


L’objectif des initiateurs de Nuit debout :
faire disparaître la revendication de retrait du projet de loi El Khomri


Qu’un certain nombre de jeunes sincèrement à la recherche d’un cadre leur permettant de combattre pour défaire le gouvernement se soit retrouvés dans les assemblées Nuit debout ne fait aucun doute. Cela n’en rend que plus indispensable une appréciation claire et nette dudit mouvement. Il faut d’abord démonter une mystification. Nuit debout aurait inventé une nouvelle forme de « démocratie », une démocratie « directe », « horizontale », etc. « Personne ne peut parler au nom de Nuit debout. A Nuit debout, il n’y a pas de représentants » déclare le cofondateur de SUD, Aguiton. C’est une tromperie qui d’ailleurs a déjà servi ailleurs. On a vu cela avec Grillo et son Mouvement 5 étoiles où la « démocratie horizontale » était la feuille de vigne du pouvoir absolu de Grillo lui-même ; avec Iglesias, qui fait périodiquement le ménage dans Podemos. A l’opposé de la démocratie ouvrière par laquelle la classe ouvrière depuis l’expérience de la Commune de Paris désigne ses représentants élus, mandatés et révocables à chaque instant, la « démocratie horizontale » permet à des petits-bourgeois n’ayant de compte à rendre à personne de parler « au nom » de tous.

Parler de « petits-bourgeois » à propos de ces porte-parole auto-désignés, ce n’est jamais que dire d’eux ce qu’ils en disent eux-mêmes. Car d’emblée le mouvement se définit lui-même comme non-prolétarien, interclassiste par la bouche de Ruffin, le réalisateur du film « Merci patron ». Dans Le Monde du 7 avril qui consacre deux pleines pages à Nuit debout, on peut lire :

« Comme dans son documentaire, il arbore un tee-shirt « I love Bernard » (Arnault) – il s’agit du magnat de l’industrie du luxe ». On aurait tort de croire qu’il l’arbore par dérision comme l’explique la suite : « Le but de son film est de sortir de l’entre-soi et de rencontrer d’autres classes sociales ».

Suit un développement sur le fait qu’il s’agit de réaliser « la jonction de la petite bourgeoisie que j’incarne et des classes populaires ».

Autre théoricien et porte-parole de Nuit debout, l’économiste et « philosophe » Lordon. Il déclare à République : « Nous ne revendiquons rien ». « Revendiquer, c’est déjà se soumettre ». Il dira plus tard : « J’aurais plutôt dû dire : Nous revendiquons tout ». C’est la même chose. Dans tous les cas, tout comme les appareils syndicaux mais avec un autre habillage, le but est le même : faire disparaître la revendication concrète, précise : retrait du projet de loi El Komri !

Comme il s’agit de « rencontrer d’autres classes sociales », tout le monde y va de son petit tour place de la République. Mélenchon y demande « à être récupéré »(sic), Varoufakis, l’ancien ministre de Tsipras engagé aujourd’hui en Grande-Bretagne pour convaincre le prolétariat britannique de voter Non au Brexit comme le demande Cameron (voir notre article dans ce numéro) y est reçu triomphalement. Le philosophe archi-réactionnaire et admirateur de Netanyaou Finkielkraut, celui qui demande que soient poursuivis et jetés en prison les antisionistes s’y risque lui-même. Et si finalement, il est jeté dehors par quelques jeunes, c’est bien malgré les initiateurs de Nuit debout.

Les chefs – car il y a des chefs – de Nuit debout auront joué leur rôle dans la dislocation du mouvement pour le retrait du projet de loi. Mais à vrai dire, ils n’ont que l’existence que leur donnent les médias aux ordres et les appareils syndicaux eux-mêmes. En réalité, dans la seconde quinzaine d’avril, les choses se jouent ailleurs. Elles se jouent en particulier au congrès de la CGT.


Le congrès CGT quelques jours avant l’ouverture de la discussion à l’Assemblée nationale


Un article complet est consacré dans ce numéro de CPS au congrès CGT. On ne peut qu’y renvoyer le lecteur. Il y trouve les développements nécessaires sur cinq aspects essentiels :

- Situé une dizaine de jours avant l’ouverture de la discussion parlementaire, il avait une responsabilité essentielle : ouvrir la voie de l’affrontement avec le gouvernement, proposer que se réalise le front unique des organisations syndicales pour interdire à la majorité PS-PCF de voter la loi El Khomri. Toute la politique de l’appareil dirigeant s’est dressée contre cette perspective ;

- Jamais la politique de l’appareil n’a été aussi peu approuvée par les délégués, comme le montre le résultat du vote sur le rapport d’activité. La possibilité existait donc pour une organisation véritablement révolutionnaire ayant les moyens d’y intervenir de mener cette bataille ;

- Les organisations dites d’extrême-gauche ont pleinement joué leur rôle pour conforter l’appareil dirigeant et Martinez. En menant la bataille sur le terrain de la « grève reconductible », elles ont activement évacué la vraie question, celle de l’affrontement avec le pouvoir. Elles ont interdit conjointement avec l’appareil que celle-ci soit posée dans le congrès à travers la perspective de la manifestation centrale ;

- La seule position notable dans ce sens était celle prise par le syndicat CGT Goodyear, syndicat ouvrier, qui avait déclaré avant le congrès : «  Si nous [congrès CGT] le décidons, dans les conditions actuelles nous sommes capables d’organiser à Paris le 28 avril une manifestation unitaire de plus d’un million de personnes pour arracher le retrait de la loi travail.  »

Les représentants de ce syndicat ont été interdits de parole dans le congrès.

- Ainsi le congrès a marqué une étape décisive dans le sens d’interdire aux travailleurs d’affronter le gouvernement.

«  Grève reconductible  », «  grève générale  » ?


La discussion sur la « grève reconductible », la « grève générale » et le mot d’ordre de manifestation centrale à l’Assemblée nationale ne peut être véritablement saisie que par un retour sur les grands événements de la lutte des classes depuis une vingtaine d’années, exactement depuis 1995.

En 1995, Juppé annonce son plan d’étatisation de la Sécurité sociale, qui vient s’ajouter au « contrat de plan » SNCF et à la liquidation du code des pensions dans la Fonction publique. Mais il est confronté à l’irruption de la spontanéité ouvrière qui déborde le dispositif des appareils syndicaux. Il est nécessaire de rappeler le bilan que tirait Stéphane Just dans Combattre pour le Socialisme du 20 janvier 1996 :

« Les appareils syndicaux et en particulier celui de la CGT ont fait preuve d’un art consommé de la trahison (...) Formellement, ce sont eux qui ont appelé à une grève de 24 heures le 24 novembre. Mais les travailleurs de la SNCF ont fait de cette grève de 24 heures le point de départ d’un mouvement qui s’est terminé le 16 décembre. Ils lui ont donné un tout autre caractère que celui que voulaient donner les appareils syndicaux, à savoir les sempiternelles grèves de 24 heures sans issue ni résultat sinon de fatiguer les travailleurs (...) Les appareils syndicaux ont surtout veillé à ce que la grève ne s’organise pas, ne se centralise pas, ne constitue pas de la base au sommet, de direction. Surtout pas de comités de grève élus en Assemblée Générale dont les membres sont révocables, désignent leurs représentants à des comités de grève d’entreprise, de corporations jusqu’au comité central national de grève, comités auxquels les responsables syndicaux auraient été intégrés à tous les niveaux. A cette véritable démocratie, ils ont substitué une sorte de « démocratie » en miettes : chaque Assemblée Générale décidant dans son coin, sans liaison avec l’ensemble, soi-disant souverainement, de la poursuite ou non de la grève. »

Arrivé ici de son développement, Stéphane Just explique le caractère fondamentalement, réactionnaire, dislocateur du mot d’ordre de « grève reconductible » :

« Les dirigeants syndicaux ont trouvé une merveilleuse formule : grève renouvelable chaque jour ». Comme si une grève dont l’objectif est d’imposer le retrait du plan Juppé pouvait être découpée en tranches journalières comme du saucisson ? Une grève ayant un tel objectif ne peut être que : « jusqu’à satisfaction ». Formuler : « grève renouvelable chaque jour, c’est admettre a priori que le combat puisse s’arrêter sans que l’objectif soit atteint, c’est introduire l’arrêt du combat, c’est s’orienter dès le début sur le renoncement (...) La grève qui vient d’avoir lieu n’était pas une addition de grèves mais un combat engagé contre le pouvoir centralisé de l’État, du pouvoir, du gouvernement. Pour vaincre, il lui fallait se centraliser, s’organiser, avoir une direction à tous les niveaux jusqu’au niveau national. Que dirait-on de généraux d’une armée en campagne contre un puissant adversaire centralisé, disposant d’un état-major qui expliquerait que chaque bataillon de cette armée doit décider, sans coordination avec les autres, toutes les 24 heures, s’il combat ou non ? Que ce sont des traîtres. »

En 2003, la situation se reproduit. Confrontés à la nouvelle offensive du gouvernement Chirac- Raffarin contre le code des pensions, les fonctionnaires débordent le dispositif des journées d’action. Des centaines et des centaines d’établissements scolaires, de centres des impôts, et d’autres catégories de fonctionnaires se mettent en grève. Là encore, la forme que prend la trahison des bureaucrates syndicaux, c’est l’invitation à la « grève reconductible ». « Décidez comme vous le voulez, établissement par établissement ! Ce sont les travailleurs qui décident ! » Tel est le nouveau langage de la trahison. L’appareil syndical a compris que cette pseudo-liberté laissée aux travailleurs entreprise par entreprise est somme toute aussi efficace pour briser le mouvement que l’injonction à reprendre le travail telle qu’ils y ont eu recours dans le passé. D’ailleurs, dans de nombreuses assemblées générales, les travailleurs ne sont pas dupes. C’est par dizaines que sont adoptées les prises de position d’assemblées générales demandant aux dirigeants d’appeler à la grève générale. C’est sur mandat de l’assemblée des grévistes de Clermont-Ferrand que sera organisée, sur proposition des militants révolutionnaires, la délégation qui se rendra au siège central des syndicats : de la CGT, de la FSU notamment, pour leur demander d’appeler à la grève générale. Mais les dirigeants syndicaux s’arqueboutent dans le refus d’y appeler. Comme le montre à l’époque le Conseil national de la FSU, dans ce refus ils bénéficient du soutien actif – déjà – des militants de la dite « extrême-gauche ». En 2003, la grève reconductible finira par s’effilocher, établissement par établissement, ce qui permet aux appareils syndicaux de faire porter la responsabilité aux travailleurs qui reprennent le travail. Le gouvernement remportera alors une victoire de première importance contre les fonctionnaires, victoire qui marque encore aujourd’hui les rapports entre les classes.

Ce retour sur le passé a toute son importance. Il manifeste que le mot d’ordre de grève reconductible a toujours eu un contenu réactionnaire. Dans les situations où se trouve posée la question de la grève générale, il est dressé par les appareils dirigeants et leurs flancs-gardes d’extrême-gauche contre l’appel central à la grève générale.

Mais il faut ajouter : la question de la grève générale n’est pas posée en toute circonstance. Seuls des doctrinaires stupides peuvent du 1er janvier au 31 décembre, quels que soient les rapports entre les classes, répéter comme des perroquets : grève générale ! grève générale ! Nous l’avons montré, ou plutôt le mouvement du prolétariat lui-même le montrait, en 1995, en 2003, la question était posée. Et comme l’indiquait en 1996 Stéphane Just à la suite de Trotsky, lorsque se pose la question de la grève générale, est posée la question du pouvoir, la question : « Qui est maître [quelle classe sociale ?] dans la maison ? »

Il faut donc poser la question : est-ce que dans les semaines qui viennent de s’écouler, la question de la grève générale était posée ? Si l’on veut comparer sérieusement avec 1995 ou 2003, une situation où la grève surgissait spontanément, débordant le dispositif des appareils syndicaux, la réponse est évidente. Elle était posée en 1995 comme en 2003 ; elle ne l’était pas en 2016. Elle aurait pu, du reste, le devenir. Que les dirigeants appellent à la manifestation centrale à l’Assemblée, que s’y rassemblent des centaines de milliers de travailleurs, que le gouvernement persiste et que les députés PS-PCF persistent à se coucher, peut-être la question de la grève générale eût été posée le soir même ! Mais ce genre de supputation est assez inutile. Le fait est qu’à l’étape où nous en étions, la question n’était pas posée. Dans ces conditions, le mot d’ordre de grève reconductible est encore plus réactionnaire. Il revient à faire porter entreprise par entreprise et par avance la responsabilité de la défaite sur le mode : « Vous n’avez pas voulu vous mettre en grève ; donc vous êtes responsables de la défaite ! »

C’est pourquoi en réalité, les appareils dirigeants de la CGT, de la FSU, de FO ne s’opposent à aucun moment à ce mot d’ordre. Que dit par exemple l’appel du congrès de la CGT ? « D’ici le 28 avril, la poursuite de la construction de l’action implique la tenue d’assemblées générales dans les entreprises et les services publics pour que les salariés décident, sur la base de leurs revendications et dans l’unité, de la grève et de sa reconduction pour gagner retrait et ouverture de véritables négociations de progrès social. »


Une entreprise de dislocation savamment organisée chez les cheminots


Il est pourtant un secteur où la question de la grève jusqu’à satisfaction se trouve bel et bien posée : c’est celui des cheminots. La base de la colère qui gronde chez les cheminots, c’est dans le cadre de l’ouverture totale à la concurrence, la liquidation du statut des cheminots de la SNCF, en particulier le RH0077. Il faut préciser : malgré l’ouverture à la concurrence, 148000 des 170000 cheminots sont aujourd’hui employés de la SNCF. Le combat pour la défense du statut SNCF (et de son extension à tous les cheminots) est le seul combat qui peut unir la profession.

Or l’accord des appareils syndicaux se fait sur l’acceptation de la liquidation du RH0077 et la « négociation » d’un « nouveau cadre ». C’est ce qu’indique par exemple sans ambigüité l’appel CGT au rassemblement national au ministère du 10 mai :

« A compter du 1er juillet 2016, le RH 0077 n’existera plus et sera remplacé par un nouveau cadre social composé de 3 étages (décret socle, CCN et accords d’entreprise).

Le CGT est porteuse d’un projet, partagé par l’ensemble des organisations syndicales négociant la future convention collective nationale ferroviaire (CGT, UNSA, CFDT, SUD-Rail, FO, CFTC, CFE-CGC). Ce projet, porté dans l’unité syndicale, permet de parler d’une seule et même voix face au patronat (UTP) qui aujourd’hui, refuse toute forme de négociations. (...)

Les cheminots (...) sont tous concernés par la négociation de la future Convention Collective Nationale. Ils ne doivent pas laisser leur avenir leur échapper en laissant la direction et le patronat décider seuls de leur quotidien.

La démarche unitaire CGT, UNSA, CFDT, SUD-Rail, FO, CFTC, CFE-CGC est un véritable atout pour aller chercher tous ensemble un nouveau cadre social novateur et des conditions de travail, d’emploi et de vie de haut niveau, tout en assurant la qualité et sécurité du service public ferroviaire.

Manifester le 10 mai 2016, c’est primordial pour l’avenir de TOUS les cheminots et du service public SNCF. La négociation et le contenu du décret socle, de la Convention Collective Nationale et des accords d’entreprise ne doit pas échapper au contrôle des cheminots.

C’est pourquoi la CGT appelle tous les cheminots de la SUGE à participer massivement à la manifestation unitaire. »

C’est clair. La liquidation du statut SNCF est considérée comme acquise et il s’agit « de ne pas laisser la direction et le patronat décider seuls », donc de décider... avec eux, et la négociation se fait « pour un nouveau cadre social » , c’est-à-dire avec comme point de départ la liquidation du RH 0077.

La volonté de combat des cheminots s’est exprimée de manière patente d’abord le 9 mars, puis le 26 avril, et encore dans le rassemblement au ministère du 10 mai qui a rassemblé 15 000 cheminots, soit près de 1 sur 10. Mais le premier problème auquel elle se heurte, c’est le fait qu’à aucun moment les directions syndicales ne formulent leur véritable revendication : le maintien du RH 0077 (et son extension aux travailleurs du rail hors SNCF), mais qu’au contraire les diverses actions auxquelles ils sont conviés visent à « soutenir » les négociations en cours, lesquelles, à travers le « nouveau cadre social », ne visent à rien d’autre qu’à l’application immédiate... de la loi El Komri à ce secteur puisque comme l’indiquent les dirigeants eux-mêmes, toute la place est désormais donnée aux accords d’entreprise !

Tout récemment, les directions syndicales, chacune selon ses modalités propres, et donc dans la division la plus complète, ont lancé une multitude d’appels à la « reconductible » (deux jours par semaine pour la CGT, tournante par catégorie qui plus est !, tous les jours pour SUD Rail) dont elles annoncent qu’elles courront jusqu’à la finale de l’Euro de football soit ... le 10 juillet. On ne saurait concevoir entreprise plus délibérée de bousille. Dès lors, la victoire des cheminots supposerait qu’ils arrivent à balayer le dispositif des appareils syndicaux, à leur imposer la défense de leur revendication de défense du statut (qui inclut la rupture de la négociation - liquidation - de celui-ci), à imposer l’appel à la grève jusqu’à satisfaction. Dans le cas contraire, la force qui existe encore sera dilapidée, et viendra s’ajouter à la liste une lourde défaite d’une corporation dont l’histoire a montré à quel point elle pouvait être décisive pour tout le prolétariat.

Le gouvernement engage une répression policière d’une formidable brutalité


C’est un fait majeur des dernières semaines. Rarement, la violence policière contre les manifestants et particulièrement la jeunesse n’aura revêtu une telle intensité. Rarement l’appareil d’État bourgeois (police et justice) n’aura frappé avec une telle brutalité. Régulièrement, les cortèges jeunes des manifestations ont été isolés par les CRS du reste de la manifestation puis matraqués sans ménagement. Des jeunes sont gravement blessés comme cet étudiant rennais énucléé alors qu’il fuyait la manifestation ! Alors que Piquemal, le général organisateur de la marche factieuse contre les migrants de Calais vient de se voir menacé par le procureur de.... 500 euros d’amende, des dizaines de lycéens, mais aussi cheminots, hospitaliers, etc., sont inculpés quand ils ne sont pas immédiatement jetés en prison à la suite de jugements expéditifs en comparution immédiate.

Les provocations policières sur ordre du gouvernement sont à chaque fois à l’origine des violences : présence policière au plus près des manifestants, voire à l’intérieur des manifestations, interdiction préfectorale de manifester sur les lieux habituels des manifestations (comme à Rennes, où tout commence par l’interdiction faite de manifester au centre ville et l’expulsion des opposants à la loi El Khomri d’une salle qui leur avait d’abord été concédée), expulsions de Nuit debout des places qu’ils occupaient.

Il faut préciser : il est incontestable que confrontée à cette violence policière, aux provocations et insultes, une frange – certes minoritaire mais réelle – de la jeunesse a décidé d’assumer l’affrontement avec l’appareil policier. Laissons les Tartuffe en tout genre condamner la violence « d’où qu’elle vienne ». Pour les militants révolutionnaires, la première violence, c’est la violence de l’État bourgeois, celle de l’exploitation capitaliste. C’est la violence des institutions de la Ve République et de son 49-3. Pour les militants révolutionnaires, la révolution, c’est le renversement inévitablement violent de l’ordre bourgeois, de ses institutions, la destruction de son appareil d’État.

La question n’est donc nullement celle de la violence en soi. Mais dans ce cas précis, l’affrontement avec la police n’est que la tentative désespérée, et inévitablement minoritaire, d’une partie de la jeunesse d’échapper à l’impasse politique dans laquelle est mis le mouvement de par la politique des appareils syndicaux. A ce titre, elle est elle-même une impasse, et pire, elle peut constituer l’alibi utile pour le gouvernement pour frapper largement sans distinction entre les « bons » et les « mauvais » manifestants.

Le gouvernement - par la bouche de Valls comme de Cazeneuve - n’a pas manqué, quant à lui, une seule occasion de féliciter la police de la brutalité avec laquelle elle réprimait. Il assure les flics d’une impunité totale (le jugement contre le flic qui avait brutalement frappé le lycéen de Bergson a été reporté pour permettre son acquittement lorsque la situation le permettra). Aiguillonné par le député Ciotti (député LR), qui demandait que la police nettoie la place de la République et interdise les manifestations (ce que permet l’état d’urgence, souligne le même député), Cazeneuve a fait fièrement étalage du nombre d’interpellations et de gardes à vue. Il a d’ailleurs immédiatement répondu aux injonctions dudit Ciotti en organisant le nettoyage de la place de la République, puis en interdisant la manifestation contre la répression policière à Rennes, manifestation en réponse à la provocation que représente l’appel des syndicats de police (y compris la CGT, avec l’aval de Martinez) à une manifestation contre « la haine anti-flics ».

Il faut préciser : le matraquage de la jeunesse s’est fait avec la complicité totale des dirigeants syndicaux, du PS et du PCF. Rien n’est plus significatif que le désaveu public de Martinez à l’égard du syndicat CGT info’com qui avait publié une affiche au demeurant sur une orientation qui pourtant n’est pas si différente de celle des appareils syndicaux. Le texte dit : « La police doit protéger les citoyens et non les frapper. Stop à la violence ! », comme si on pouvait imaginer une police dont ce soit le but ! Mais elle a le tort aux yeux de tous les défenseurs de l’ordre bourgeois de montrer un écusson de CRS, une matraque dans une mare de sang. Interrogé en boucle sur sa position sur cette affiche, Martinez n’a eu de cesse de dire que cette affiche n’engageait pas la confédération !

Mais il y a pire : dans un certain nombre de manifestations, c’est avec la complicité totale des appareils syndicaux que le cortège jeunes a été isolé puis matraqué. Le 17 mai à Paris, à peine sortis de la bouche de métro où les attendaient les CRS pour une palpation musclée agrémentée d’insultes, c’est sans ménagement que de nombreux jeunes se sont vus enjoints par les services d’ordre syndicaux, parfois manches de pioche en main, de prendre place là où l’appareil syndical l’avait décidé. Là encore, les appareils syndicaux ne font qu’obéir servilement aux ordres du gouvernement qui avaient exigé d’eux qu’ils fassent la police eux-mêmes dans les manifestations !

La marche vers l’État policier avec le soutien des dirigeants syndicaux, du PS et du PCF


La position des directions syndicales CGT, FO est en réalité une position de soutien ouvert à la répression policière, le sommet d’ignominie ayant été atteint dans leurs déclarations par rapport à la manifestation « contre la haine anti-flics » du 18 mai.

Le 18 mai 2016 le syndicat Alliance, noyauté par le Front national, a appelé à un rassemblement Place de la République. Il faut noter que ce rassemblement a reçu le plein soutien de Force ouvrière. «  Une fois n’est pas coutume, le syndicat Unité-SGP-Police-FO avait annoncé qu’il se joindrait à l’appel d’un autre, le syndicat Alliance, pour une journée d’action le 18 mai.

Cette journée intitulée par ce syndicat «  stop à la haine anti-flic  » prévoit un rassemblement le 18 mai à midi, place de la République à Paris. D’autres rassemblements devraient être organisés dans les régions.

«  Toute initiative visant à défendre les policiers va dans le bon sens et c’est pourquoi Unité-SGP-Police-FO sera présent le 18 mai à la manifestation nationale  » expliquait le syndicat soulignant qu’il est nécessaire de «  défendre les policiers qui depuis plusieurs semaines sont la cible d’un déchaînement de violence sans précédent et d’accusations inadmissibles.  » 

Et Mailly d’enchaîner :

« Moi je ne remets pas en cause les policiers », a-t-il déclaré sur RTL, rappelant qu’il avait « condamné » l’affiche controversée du syndicat CGT info’com évoquée plus haut.

« S’il y a des dérapages », les policiers « doivent être sanctionnés, bien entendu, ça c’est logique. Mais ils font un métier pas facile avec parfois ordres, contre-ordres pas faciles à suivre sur le terrain », a expliqué le leader de FO.

« Ils sont un peu en burn-out, faut bien comprendre aussi, entre l’état d’urgence, les manifs aujourd’hui, l’Euro 2016 demain », a-t-il ajouté, rappelant les « 18 millions d’heures supplémentaires dans la police nationale qui aujourd’hui ne sont pas payées », les policiers ne pouvant « pas prendre tous leurs congés de récupération ».

« Donc je n’incrimine pas les policiers », a insisté M. Mailly, assurant que des membres de FO participeraient à la manifestation prévue mercredi à l’appel notamment d’Alliance (syndicat majoritaire) contre « la haine anti-flic ».

Martinez pour la direction de la CGT n’est pas en reste qui déclare le 11 mai sur Europe1 : «  Les policiers ont besoin d’effectifs supplémentaires et de reconnaissance. D’ailleurs la CGT Police appelle à manifester le 18 sur les revendications de la police et nous soutenons cette démarche de la CGT Police  ».

Le lendemain de cette manifestation, le 19 mai 2016, l’Assemblée nationale a adopté incognito, la prolongation de l’état d’urgence jusqu’au 26 juillet, sous prétexte d’Euro de football et de Tour de France ! (46 pour, 20 contre, 2 abstentions… comme si c’était une décision anodine !). Le 19 mai, été adopté définitivement après avis unanime de la commission des lois, le projet de loi pénale : «  la législation la plus sévère d’Europe…et la plus souple pour l’État » (Le Monde du 13 mai 2016). Ce texte de loi, c’est l’instauration de l’état d’urgence en permanence. C’est la marche en avant vers l’État policier.

L’article 49-3 pour faire passer la loi


La matraque, et autres Flash-Balls dans les manifestations, la matraque de l’article 49-3 à l’Assemblée, tel est le concentré de la politique du gouvernement Hollande-Valls-Macron. L’utilisation de l’article 49-3 par Hollande-Valls illustre le fait que le gouvernement n’a pu passer qu’en piétinant (comme il l’avait fait sur la loi Macron) la majorité PS-PCF à l’Assemblée nationale. Elle manifeste au grand jour la contradiction objective entre la nature de ce gouvernement et le vote exprimé en 2012.

Mais il faut ajouter que ladite majorité PS-PCF a bien voulu se laisser piétiner. Si Valls a utilisé à fond les ressources de la constitution anti-démocratique (y compris du point de vue de la démocratie bourgeoise), non seulement la majorité des députés PS a elle-même soutenu explicitement le recours au 49-3, mais encore les « frondeurs » eux-mêmes se sont en réalité totalement soumis à cette même constitution. Comme chacun le sait, la constitution de la Ve République veut que la loi soit adoptée sans vote sauf dépôt d’une motion de censure contre le gouvernement. C’est en acceptant totalement cette procédure que les « frondeurs » ont prétendu présenter une motion de censure « de gauche » – ce en quoi ils ont finalement échoué. La notion même de « motion de censure de gauche » supposait d’ailleurs l’appel à des députés autres que PS et PCF (EELV, radicaux, non-inscrits). Quant au PCF, sa politique a été s’il est possible encore plus réactionnaire en votant la motion de censure présentée par LR dont les considérants étaient... que la loi El Khomri s’en prenait insuffisamment aux droits ouvriers. L’adoption d’une telle motion eût immanquablement conduit à la dissolution de l’Assemblée ce qui, dans l’état actuel des choses ne pourrait qu’aboutir à l’élection d’une chambre « bleu horizon » !

C’eût été une tout autre politique que celle qui eût consisté à en appeler à tous les députés PS-PCF pour qu’ils récusent l’usage du 49-3, que la majorité PS PCF se déclare souveraine et se débarrasse du gouvernement Hollande-Valls-Macron. On comprend bien qu’imposer une telle rupture à la majorité de députés PS-PCF était totalement hors de portée sans que, par centaines de milliers, travailleurs et jeunes affluent à l’Assemblée. De cela, comme on l’a vu, les dirigeants syndicaux ne voulaient à aucun prix !

La preuve a pourtant été faite que c’est ce à quoi tendaient instinctivement travailleurs et jeunes. Le 10 mai au soir, des centaines d’entre eux ont afflué spontanément en direction de l’Assemblée nationale. Numériquement, cette tentative – qui s’est du reste rapidement trouvée confrontée aux gaz lacrymogènes des CRS – est réduite. Elle ne pouvait évidemment pas modifier le cours des évènements. Mais politiquement, elle a une grande importance. Elle indique clairement que le mot d’ordre de « Manifestation centrale à l’Assemblée nationale », loin d’être une lubie des militants révolutionnaires, n’est autre que « l’expression consciente du mouvement inconscient » pour reprendre la formule de Marx. D’autres faits en attestent d’ailleurs. L’article dans ce numéro sur le congrès CGT montre que quelques délégués dans le congrès - en dehors de la CGT Goodyear censurée - ont repris à leur compte le mot d’ordre de manifestation centrale. Et y compris Place de la République, Martinez a été interpellé sur cette question par un responsable de la « coordination étudiante ». Ce qui a manqué pour que cette exigence prenne corps, c’est une force organisée suffisamment puissante pour imposer un tel mot d’ordre aux appareils syndicaux.

Et maintenant ?


Chaque jour qui passe va dans le sens de la défaite. Les signes en sont manifestes : d’abord le caractère de plus en plus maigrelet des manifestations lors des journées d’action, et aussi les opérations de queue de mouvement qu’on a déjà vu en 2003 et 2010 : occupations bidon de dépôts de carburants et de péages d’autoroutes, pseudo-appels aux « grèves reconductibles » chez les routiers et dans les ports. Dans ce genre d’opérations, rivalisent d’ardeur certaines franges de l’appareil CGT auxquels Martinez offre un os à ronger, les membres de SUD et de différents groupes d’extrême-gauche. Il est pourtant aisé de distinguer ce genre d’opération d’une vraie tendance à la grève. Si cette tendance avait dû se manifester, c’est au lendemain du 9 mars, alors que la mobilisation était sur une pente ascendante, qu’on l’aurait vu, pas deux mois après. Il s’agit en réalité de faire boire aux masses le breuvage amer de la défaite jusqu’à la lie.

Pour la galerie, les dirigeants répètent que « la lutte continue », que « la bataille n’est pas terminée ». Mais en réalité, ils commencent à prendre aussi le virage qui consiste, comme à l’accoutumée, à transformer la défaite en victoire. Les dirigeants de la FSU - parce qu’ils ont une responsabilité moins centrale et que les conséquences de la défaite dans la Fonction publique, si elles sont réelles, sont moins immédiates – jouent un rôle d’éclaireurs. POUR, le bulletin de la FSU, fait parler à la place de Groison, une pseudo- »spécialiste » du droit du travail, ce qui permet de donner la position de l’appareil syndical sans l’endosser formellement : « Le texte va encore bouger.... Ce projet est encore trop déséquilibré : pour les salariés en particulier les plus jeunes, et aussi pour les entreprises et surtout les plus petites. » A charge sans doute du Sénat de trouver le « bon » équilibre.

Dans une interview au Parisien, outre sa proposition d’un « référendum » – qui revient à priver le prolétariat de son propre combat de classe sur la question – Mailly passe discrètement par dessus bord l’exigence de retrait pur et simple de la loi :

« A tous ceux qui sont pour l’inversion de la hiérarchie des normes côté syndical, comme la CFDT, ou du côté gouvernement, je propose d’ouvrir une discussion avec le patronat. Retirons l’article 2 du projet de loi et discutons sur l’articulation des niveaux de négociation. C’est quand même nous qui négocions ! On verra ce que ça donne. « 

Les appareils syndicaux ont organisé la défaite. Ils se disposent pour la situation qui en découlera.

Le communiqué intersyndical du 20, mai 2016 est édifiant :

«  Le gouvernement n’a pas d’autre issue que celle du dialogue avec les organisations qui luttent pour le retrait de ce projet de loi et pour être écoutées sur les revendications qu’elles portent. C’est pourquoi les organisations CGT, FO, FSU, Solidaires et les organisations de jeunesse, UNEF, UNL et FIDL en appellent solennellement au Président de la République.

Des secteurs professionnels sont engagés dans un mouvement de grève reconductible, d’autres vont entrer dans l’action. Les organisations appellent le 26 mai prochain à une journée nationale de grève, manifestations et actions.

Les organisations décident de renforcer l’action par une journée de grève interprofessionnelle avec manifestation nationale à Paris le 14 juin, au début des débats au Sénat. Elles appellent à multiplier d’ici là, sur tout le territoire, des mobilisations sous des formes diversifiées.

Elles décident également une grande votation dans les entreprises, les administrations et les lieux d’étude qui se déroulera dans les semaines à venir en parallèle au débat parlementaire afin de poursuivre avec les salarié-es et les jeunes les débats sur la loi Travail, obtenir le retrait de ce texte pour gagner de nouveaux droits permettant le développement d’emplois stables et de qualité.

La loi doit notamment préserver la hiérarchie des normes, élément protecteur pour tous et toutes les salarié-es.

Cette votation sera remise lors d’un nouveau temps fort qu’elles décideront prochainement.

Les organisations invitent leurs structures à poursuivre la tenue d’assemblées générales avec les salarié-es pour débattre des modalités d’actions, de la grève et de sa reconduction.

Elles se retrouveront rapidement pour assurer l’organisation et la réussite de ces mobilisations et initiatives.  »

Tout y est ! l’appel au dialogue et à Hollande, sauveur suprême, la manifestation nationale dans trois semaines.... à l’occasion des débats au Sénat - dont la majorité LR annonce à qui veut l’entendre qu’elle entend amender la loi dans un sens encore plus violemment anti-ouvrier -, l’organisation des «  votations  » bidon dans les entreprises, une mascarade qui a déjà fait ses preuves dans le passé.

La vérité, c’est que les directions syndicales mettent tout en œuvre pour organiser la défaite.

De lourdes conséquences


Les conséquences de la défaite qui s’annonce ne peuvent toutes être anticipées. Certaines sont pourtant déjà visibles.

D’abord les semaines qui viennent de s’écouler marquent un pas de première importance, comme nous l’avons écrit précédemment, vers l’instauration de l’État policier. Remarquons que les représentants des syndicats de flics sont intervenus pour dire que devaient être tenus responsables des « violences » y compris ceux qui les « encouragent » au nom des « libertés individuelles », citant expressément la CGT, la Ligue des Droits de l’Homme. A travers la mise en cause de la CGT, le mouvement ouvrier est dans le collimateur. Pour la première fois, le gouvernement a eu recours à des interdictions préventives de manifester touchant y compris des reporters, car certaines images ne devaient pas être diffusées ! Des manifestations ont elles-mêmes été interdites, des peines de prison prononcées contre des manifestants. La défense du capitalisme en crise est de plus en plus incompatible avec la défense des libertés démocratiques. Le combat en défense de celles-ci revêt une importance centrale.

Il faut aussi insister sur les conséquences politiques sur le mouvement ouvrier. D’une part, la loi El Khomri est une loi anti-syndicale. Le « référendum d’entreprise » vise à la liquidation des syndicats dans l’entreprise. L’affaiblissement des syndicats – dont la cause principale est dans la politique des appareils dirigeants – va s’amplifier.

Quant au PS, les tendances à sa liquidation (relire article CPS 60) vont recevoir une puissante impulsion. Ces tendances sont internes et externes. Valls s’est saisi de l’affaire de la « motion de censure de gauche » pour proposer de « faire le ménage ». Mais chacun y joue sa partition. Macron est encouragé dans son opération de dézingage du PS, soutenu par une partie de l’appareil du PS lui-même – le maire de Lyon, Collomb vient ouvertement de le soutenir. Même les « frondeurs » entendent apporter leur pierre à l’édifice. Le soutien de Christian Paul à Montebourg va dans ce sens. Montebourg parle au nom de la « société civile » et s’adresse « aussi bien aux syndicalistes qu’aux entrepreneurs ». Et tous de répéter en boucle que « les partis sont dépassés ». L’objectif est clair : qu’il n’y ait pas de candidat PS aux prochaines élections. De son côté, Mélenchon poursuit le même objectif, avec sa candidature « au-dessus des partis ». Tous entendent utiliser le désarroi provoqué par la défaite à venir pour liquider les vieux partis ouvriers bourgeois, priver le prolétariat de la possibilité de les utiliser à ses fins.

La situation de la bourgeoisie française exige que déjà se prépare la prochaine offensive


Liquider les libertés ouvrières et démocratiques, laminer les organisations ouvrières : ce sont là des objectifs indispensables à la bourgeoisie française pour aller de l’avant dans son offensive inlassable contre le prolétariat.

Car elle ne s’arrêtera pas là. La situation critique du capitalisme français l’exige. Dans cet article, nous avons choisi de tout centrer sur les leçons de ces dernières semaines de la lutte des classes. Il aurait fallu un article entier pour analyser la situation économique, montrer le caractère illusoire de l’« amélioration » économique, le caractère mensonger de la prétendue baisse du chômage, insister sur le fait que chaque année se confirme la relégation du capitalisme français à un rôle de troisième ordre.

On s’en tiendra à un exemple qui a valeur de concentré. Un des rares secteurs où le capitalisme français pouvait jouer dans la cour des grands était celui du nucléaire. Il est en train de sombrer. Non seulement Areva – malgré les milliards d’injection du gouvernement – est à l’agonie, mais encore EDF est au bord de la faillite. C’est ce qu’indique sans ambages Piquemal le directeur financier démissionnaire du groupe. Le maintien d’EDF sur le marché mondial exigerait qu’EDF se lance dans la construction de l’EPR britannique. Mais la question posée – après le désastre technique et financier de l’EPR finlandais – est la suivante : EDF a-t-elle les moyens techniques et financiers de le faire ? Voilà ce que dit Piquemal : « Qui parierait 60 ou 70% de son patrimoine sur une technologie dont on ne sait pas si elle fonctionne ? ». Et d’annoncer que le risque encouru par EDF dans ce projet – auquel le gouvernement français pousse, milliards à l’appui, au nom de la place du capitalisme français – est tout simplement le risque de la faillite du groupe. Voilà ce qu’il en est de la situation du capitalisme français par-delà les rodomontades du gouvernement. Et dans cette situation, le seul recours consiste à frapper inlassablement le prolétariat.

Retraites, statut de la Fonction publique, sélection à l’université, continuation des contre-réformes dans l’enseignement (où la réforme des collèges sera un fait à la rentrée 2016), l’offensive de la bourgeoisie ne connaîtra donc aucune interruption.

Combattre pour la construction du POR, de l’IOR


La lutte des classes n’en connaîtra pas non plus, même si le poids de cette nouvelle défaite pèsera lourdement. Avec ces limites, le mouvement qui s’est développé ces dernières semaines a montré que le potentiel de combat du prolétariat et de la jeunesse demeurait. Dans une grande confusion politique sans doute, la fraction la plus avancée a même pris conscience du rôle traître des appareils syndicaux et a manifesté des velléités de s’en émanciper. Elle s’est heurtée non seulement évidemment aux appareils eux-mêmes, mais aussi à ses flancs-gardes d’« extrême-gauche ». Quoi de plus significatif de ce rôle de supplétif de l’appareil que ce titre, quelques jours avant que, par centaines, travailleurs et jeunes tentent de se rendre à l’Assemblée nationale contre le recours au 49-3, d’un des journaux de ladite extrême-gauche (Tribune des Travailleurs) : « Non, ce n’est pas à l’Assemblée nationale que l’exigence du retrait sera imposée ». Ainsi s’est constituée la coalition des grands et petits appareils pour que le mouvement ne se concentre pas dans l’affrontement avec le gouvernement.

Les militants regroupés autour de Combattre Pour le Socialisme n’avaient évidemment pas la force suffisante pour surmonter celle d’une telle coalition. Mais, chacun peut le vérifier, à chaque étape depuis la mi-février, ils ont combattu sur la ligne du front unique des organisations du mouvement ouvrier, pour que le gouvernement soit affronté et vaincu, et sur cette ligne, dans les syndicats, parmi les étudiants et lycéens, ils sont intervenus à la mesure de leurs forces.

Aujourd’hui, dans des conditions très difficiles, il leur appartient de tirer la leçon des événements avec un maximum de travailleurs et de jeunes pour les armer dans les combats à venir. Ils ne peuvent le faire qu’en intervenant dans le mouvement ouvrier tel qu’il est, si affaibli qu’il soit.

C’est dans cette bataille qu’ils pourront tisser des liens dans l’objectif qui est le leur : le combat pour la construction du Parti ouvrier révolutionnaire (POR), de l’Internationale ouvrière révolutionnaire (IOR).

 

Le 21 mai 2016

 

«