Article paru dans “Combattre pour le socialisme”
n°61 (7 juin 2016) :
L’Angleterre
à la veille du « grand saut » ?
Le Brexit déchire la
bourgeoisie britannique…
Le 23 juin 2016 aura lieu au Royaume-Uni un
référendum sur le « Brexit » (« Britain exit », la sortie de
l'Union européenne). La question posée est : « Le Royaume-Uni doit-il rester membre de l’Union européenne ou
quitter l’Union européenne ? ». Le premier ministre David Cameron
a été contraint d'organiser ce référendum sous la pression de forces politiques
centrifuges propres à la bourgeoisie britannique. L'issue en est plus
qu'incertaine pour lui, qui a pris la tête de la campagne pour le maintien dans
l'UE. Car cette question divise profondément et de longue date le parti conservateur
(Tory) et plus généralement la bourgeoisie britannique. C'est d'ailleurs sur ce
thème que s'est constituée en 1993 la formation ultra-réactionnaire UKIP (UK
Independence Party, Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni), par une scission
du parti Tory, et dont les résultats électoraux ont considérablement augmenté
ces derniers mois.
Les prises de position pour ou contre le Brexit
conduisent à des affrontements féroces au sein de la classe possédante.
Le 6 janvier 2016, Cameron lui-même a dû annoncer à
Westminster que « ses ministres –
dont trois au moins veulent quitter l’UE – seraient déliés de la solidarité
gouvernementale et pourraient faire campagne librement. À vrai dire, il n’avait
pas le choix : les ministres rebelles à l’Europe menaçaient de
démissionner si M. Cameron les obligeait à s’aligner sur sa position »
(Le Monde, 8 janvier 2016).
Dès le 21 février 2016, Boris Johnson, ex-maire conservateur de
Londres et principal challenger de Cameron pour la direction du parti Tory,
sinon pour le 10 Downing-Street, se posait en chef de file de la campagne
pour la sortie. Plus grave, le 18 mars 2016, Iain Duncan Smith, ancien leader
du parti Tory entre 2001 et 2003 et figure emblématique des pro-Brexit,
démissionnait de son poste de ministre du travail, non sans avoir critiqué
ouvertement la politique budgétaire et sociale du ministre des finances
Osborne, dauphin désigné du premier ministre. Le Monde du 21 mars n’hésitait pas à parler dès lors de « guerre civile » ouverte dans
les sommets du parti conservateur. Il est clair que Cameron, par ailleurs
affaibli par la révélation de son implication dans le scandale des
« Panama papers », ne pourrait probablement pas, en dépit de ses
rodomontades, se maintenir à la tête du gouvernement britannique en cas de
victoire du Brexit.
De son côté, la haute bourgeoisie britannique la
plus liée au capital financier international et aux grands groupes capitalistes
les plus intégrés aux marchés européens et mondiaux, voit comme une catastrophe
une éventuelle sortie de l'UE. Les marchés des pays de l’UE représentent
48 % des exportations britanniques. L’interpénétration des grands groupes
britanniques avec ceux des autres États européens est très forte, comme en
témoigne par exemple, dans l’industrie agro-alimentaire, la fusion récente du
groupe britannique R&R avec une filiale de Nestlé, ou encore le projet
d’EPR britannique d’EDF à Hinckley Point. Rappelons également qu’en 2008, EDF
avait racheté British Energy pour 15,7 milliards d’euros.
De fait, dans les sommets de la bourgeoisie
anglaise, on craint de n’avoir plus voix au chapitre sur les règles régissant
les marchés de l’UE et sur les décisions financières de la zone euro. Est significatif cet appel signé par 200
hauts dirigeants d’entreprises représentant plus du tiers des 100 plus grandes
sociétés britanniques, publié le 23 février 2016 par The Times : « Quitter l’UE découragerait l’investissement, menacerait l’emploi
et mettrait en danger l’économie. Le Royaume-Uni sera plus fort, plus en
sécurité et plus riche en restant un membre de l’UE » (…) « Les entreprises ont besoin d’un accès
sans restriction au marché européen de 500 millions de personnes pour pouvoir
continuer à grandir, à investir et à créer des emplois ».
La bourgeoisie anglaise a également à craindre qu’un
Brexit ne donne un nouvel élan décisif pour une séparation de l’Écosse, surtout
après la victoire électorale lors de l’élection du parlement local le
5 mai 2016 du parti indépendantiste écossais le SNP, parti bourgeois
par ailleurs furieusement pro-Union européenne. Le Brexit pourrait alors
constituer le prodrome de la dislocation du Royaume-Uni lui-même.
…et inquiète l’ensemble des
puissances impérialistes
C'est aussi la crainte quasi-unanime des sommets des
différentes bourgeoisies des États membres de l'UE et de leurs gouvernements
respectifs. Le vote de juin prochain laisse en effet présager un « grand
saut » dans un avenir incertain, tant pour le Royaume-Uni que pour l'UE
elle-même.
Dans Le Monde
du 20 janvier 2016, après avoir cité les propos de Cameron : « C’est peut-être la décision la plus
importante que nous aurons à prendre de toute notre vie »,
Martin Wolf
écrit : « (…) si le vote pour
rester dans l’UE équivaut à prolonger un statu quo inconfortable, le vote en
faveur de la sortie ouvrirait une voie vers l’inconnu. Ils ne sauront pas
comment les membres restants de l’UE et l’Écosse réagiront, même si la sortie
de l’Écosse du Royaume-Uni est devenue moins probable en raison de la chute du
prix du pétrole. Enfin, ils ne sauront pas de quelle façon réagira le milieu
des affaires. Un vote en faveur de la sortie serait un saut dans le
vide. ».
Pour autant, les milieux « européens » de
l’impérialisme anglais entendent se servir de la menace du Brexit pour faire
pression sur leurs concurrents continentaux. Ainsi, à l’approche d’une
importante réunion du Conseil européen, Cameron adresse une lettre à Donald
Tusk, président de cette instance, dans laquelle il n’hésite pas à agiter la
menace de la sortie de l’UE pour donner poids aux « revendications »
du capitalisme britannique, qui se résument, pour l’essentiel, à exiger plus
d’espaces pour s’émanciper des règles communes de l’UE, et l’alignement de
celles-ci sur le « moins-disant social » en cours au Royaume-Uni.
La bourgeoisie anglaise ne renonce en rien à
continuer à jouer le rôle d’avant-garde de la mise en pièce des acquis ouvriers
en Europe, et de la réaction en général. Ce faisant, elle défend au premier
chef ses propres intérêts, tout en se présentant en « modèle » pour
l’ensemble des bourgeoisies européennes, comme ce fut déjà le cas avec
Thatcher. Ce rôle dévolu à l’État
britannique s’est vu confirmé par les déclarations d’Obama, qui s’est prononcé
à son tour, lors de son voyage en Europe en avril 2016, contre le Brexit afin
que l’impérialisme US puisse continuer à disposer de la « relation
particulière » USA-GB comme instrument de pression au sein du marché
européen.
Après avoir fait mine de présenter ses demandes
ainsi que des « conditions » qu’il poserait pour mener campagne pour
le maintien, Cameron a complété cette comédie lors du conseil européen des 18
et 19 février 2016, essentiellement consacré au Brexit. Il déclare
d’emblée : « On a besoin d’un accord
qui soit assez fort pour persuader les Britanniques de soutenir l’appartenance
du Royaume-Uni à l’Union européenne. ». Mais tout cela est cousu de fil blanc. Comme prévu, le sommet
donne satisfaction à l’essentiel des demandes britanniques, non sans que le
« Prime minister » fasse mine d’avoir « arraché » ce qui
lui était accordé par avance par les autres dirigeants de l’UE, ménageant un
« suspense » totalement artificiel. Le tout sur un texte aux formules
diplomatiques inconsistantes, permettant à chacun de continuer à faire comme
bon lui semble, à commencer par la traque, l’enfermement et la répression des
immigrés : « La libre
circulation des travailleurs peut être restreinte par des mesures
proportionnelles aux buts légitimes poursuivis », est-il indiqué.
Le maintien de la Grande-Bretagne dans l’UE est en
effet la position unanime, bon gré mal gré, de l’ensemble des gouvernements des
pays membres, et ces derniers ne manquent pas une occasion de le marteler,
Merkel en tête, pour tenter d’éviter le « saut dans le vide », selon
l’expression de Martin Wolf. Cette peur panique des conséquences d’un
Brexit, tous les partisans du « in », à commencer par Cameron
lui-même, cherchent à en contaminer la masse des électeurs du Royaume-Uni. Ce
dernier n’a ainsi pas hésité à faire diffuser à 27 millions d’exemplaires une
brochure de propagande financée par l’argent public (9,3 millions de
livres, 11,7 millions d’euros), destinée à expliquer pourquoi le
gouvernement « conseille » le vote « in ».
Le « Brexit »,
« néfaste pour la City »
Dans Le Monde
du 20 avril 2016, le directeur général du Centre for European Policy Studies de Bruxelles, Karel Lannoo,
exprime les craintes des milieux dirigeants du capital financier et la Bourse à
l’échelle mondiale :
« Cela ne devrait faire aucun doute, un
« Brexit » sera néfaste pour la position de la City. (…) Plus
globalement, un « Brexit » affectera négativement la compétitivité
des marchés financiers européens. (…)
« Londres a réussi à s’adapter rapidement pour servir
de tête de pont aux banques étrangères, et plus particulièrement aux
institutions financières américaines, pour leurs opérations au sein de l’Union.
(…)
« Une fragmentation de la taille critique dont
Londres bénéficie aujourd’hui sera aussi négative pour la compétitivité de
l’Union européenne dans son ensemble. Même si d’autres centres financiers en
Europe tireront un avantage d’un éventuel « Brexit », il est fort probable que
l’Union soit perdante, notamment parce qu’elle perdra à la fois une partie de
la diversité des acteurs présents à Londres, et la spécialisation que la City
(et le Royaume-Uni) a réussi à établir. »
Le carcan des frontières
nationales et la camisole de l’UE
Plus fondamentalement, le dilemme du Brexit exprime
la contradiction propre à l'impérialisme anglais, déchiré entre les liens
historiques qui le portent vers son ancien empire colonial à travers le
Commonwealth, ainsi que l'assujettissement particulier qui est le sien à
l'égard de l'impérialisme US d'une part, d'autre part la profonde intégration
du capitalisme britannique d’aujourd’hui avec les économies continentales
européennes. Autrement dit, d'un côté le grand large, de l'autre la terre ferme
du continent. Les contradictions politiques qui déchirent la bourgeoisie
anglaise à travers le Brexit ne font qu'exprimer cette contradiction matérielle
sur fond du déclin continu et irréversible de l’impérialisme anglais.
C’est également une expression particulière à cet
impérialisme de l’une des contradictions essentielles du mouvement général du
capital cherchant sans fin à éliminer les obstacles des particularismes
nationaux qui entravent son développement (ce qui est appelé aujourd’hui la
« mondialisation »), sans être jamais en mesure de parvenir à
supprimer les frontières nationales qui ont constitué le cadre de la naissance
et du développement des bourgeoisies et des puissances impérialistes, et qui le
demeureront tant que se survivra le système capitaliste en putréfaction.
« Stay » ou « Leave »,
mais tous contre les immigrés
Lors du sommet Franco-britannique du 3 mars 2016,
Hollande et Cameron ont présenté un front commun particulièrement féroce contre
les immigrés :
« M. Cameron a clairement fait comprendre qu’il
ne voulait pas accepter les migrants : “Calais n’est pas la salle
d’attente pour le Royaume-Uni.“ À l’exception des mineurs isolés qui ont de la famille outre-Manche, a concédé
David Cameron.
François Hollande a fait preuve de la même fermeté : “ La
frontière est fermée. Aller à Calais est la certitude de pas pouvoir traverser
la Manche. “
Avant un sommet européen avec la Turquie, lundi 7 mars, le président du Conseil
européen, Donald Tusk, a fait passer un message encore plus clair aux migrants
économiques : “ Ne venez pas en Europe. Ne risquez pas de
perdre vos vies et votre argent. Ce serait pour rien. “ » (Le Monde,
4 mars 2016). Voilà bien ce qu’il en est de leur « sentiment
humanitaire » !
Le patronat britannique est bien heureux de pouvoir
exploiter sans limite la main-d’œuvre immigrée, taillable et corvéable à merci,
pour autant que tout droit et toute possibilité de se défendre lui soient
interdits, voire qu’elle soit refoulée dans les ghettos de la
« clandestinité ». Il s’en sert aussi pour faire pression et abaisser
la valeur de la force de travail en général dans le pays. Mais la bourgeoisie
britannique, comme celle de tous les pays capitalistes, n’en agite pas moins,
avec une hypocrisie répugnante, la haine des « étrangers », le
racisme et la xénophobie, pour diviser les exploités, et dresser les prétendus
« nationaux » contre les immigrés. C’est un ressort politique
essentiel pour égarer les prolétaires et maintenir sa domination de classe.
En Angleterre, la question des immigrés est utilisée
actuellement tant par les dirigeants bourgeois du Brexit que par ceux du camp
du « in » ainsi qu’un punching-ball raciste et réactionnaire qu’ils
se jettent mutuellement à la tête. Tandis que les UKIP (« Leave.EU »)
et les Tories pro-Brexit (« Vote Leave ») font campagne pour l’arrêt
de toute immigration, sinon pour expulser les immigrés, les élites du
« in » n’hésitent pas à effrayer le bon peuple des électeurs en
prophétisant qu’en cas de sortie, la « jungle » se transporterait de
Calais à Douvres. Ainsi Cameron n’a-t-il pas hésité à affirmer : « notre frontière effective est à
Calais et non à Douvres. Cela est bon pour la Grande-Bretagne et je veux que
cela continue. Si nous restons dans l’Europe, la frontière restera à
Calais ». Sinon…
De même est agitée par les chefs national-populistes
du Brexit la problématique de la « sécurité », en particulier après
les attentats sur le continent, auxquels les « immigrés » sont implicitement
et honteusement assimilés, ainsi que « l’espace Schengen » dont le
Royaume-Uni, au demeurant, ne fait pas partie.
Les « facilités » du droit du travail
britannique profitent bien évidemment à 100 % aux patrons d’outre-Manche
pour exploiter à leur guise tous les travailleurs présents sur le sol
britannique, qu’ils soient étrangers ou autochtones. Mais elles attirent aussi
(parfois avec beaucoup d’illusions, mais le plus souvent dans le simple espoir
de pouvoir survivre en paix) les masses miséreuses des pays opprimés. La
politique du prolétariat ne peut être fondée que sur ce qui demeure un des axes
essentiels du programme de la société communiste, à savoir l’internationalisme
prolétarien, qui trouve sa base matérielle dans la réalité commune de l’exploitation
des prolétaires par la classe capitaliste, quels que soient l’origine
nationale, la couleur de peau ou tout autre particularisme.
La déclaration de notre Groupe du
21 septembre 2015 a exposé ce que cela signifie aujourd’hui : « L’impérialisme, ses guerres à
outrance, sont responsables de la barbarie qui contraint des millions d’émigrés
à l’exil. Lorsqu’ils parviennent aux frontières du pays, Hollande [et
Cameron avec lui, NDLR] répond :
expulsions et bombardements sur la Syrie ! Pour le mouvement ouvrier,
partis et syndicats : « Les travailleurs n’ont pas de patrie »
(Marx et Engels). C’est la responsabilité de ses dirigeants de se
prononcer : Liberté de circulation ! Régularisation de tous les
émigrés ! » (…)
Ce qui est dit dans ce texte à propos de la
responsabilité du gouvernement français devant le désastre en cours est pour
l’essentiel applicable au gouvernement Cameron et à l’impérialisme
britannique :
« Sous l’impact de la
crise du capitalisme, le système de pillage impérialiste en vigueur depuis des
décennies débouche aujourd’hui sur une barbarie sans limites : les
interventions militaires enchaînées par les grandes puissances ont institué des
territoires entiers de non-droit, disloqués économiquement et où règne la
terreur des clans et autres bandes armées… restent les profits des marchands
d’armes et la nécessité d’écraser les peuples. La surface du globe terrestre se
couvre de plaies ouvertes, purulentes, dont les puissances impérialistes
portent l’entière responsabilité.
« Le constat qui vaut
pour les victimes de cette barbarie s’étend aux prétendus “ immigrés
économiques “, dont la situation découle de l’exploitation forcenée de la
main-d’œuvre par les grandes métropoles, accompagnée du soutien aux régimes qui
leur sont inféodés ou soumis par la contrainte. »
Notre déclaration concluait notamment : « Arrêt immédiat des expulsions.
Fermeture des centres de rétention. À bas les accords de Schengen, de
Dublin et les quotas ! Ouverture des frontières, liberté de circulation
pour tous les émigrés. Mêmes droits pour les travailleurs immigrés que pour les
travailleurs français. » (…) « Seul un tel gouvernement [issu du
front unique ouvrier, rompant avec la bourgeoisie et dont le prolétariat et la
jeunesse exigeraient la satisfaction de leurs revendications] renouant avec l’internationalisme
prolétarien pourrait s’engager dans la voie pour en finir avec l’Union
européenne, pour les États Unis Socialistes d’Europe. »
Combattre en ce sens est une tâche primordiale pour
les militants ouvriers et révolutionnaires, en Grande-Bretagne comme en France.
Apparences et réalités du
capitalisme britannique…
Le Royaume-Uni fut jusqu’à l’aube du XXe siècle
la première et la principale puissance capitaliste et un impérialisme
d’envergure mondiale, mais sa position hégémonique a été irrémédiablement
perdue depuis bien longtemps. Cependant il demeure de nos jours la cinquième
puissance mondiale et la deuxième de l’Union européenne.
Le capitalisme britannique affiche en 2016 des
performances économiques à faire pâlir d’envie ses concurrents du continent.
Depuis fin 1992 (date de la sortie de la livre sterling du système monétaire
européen), le PIB britannique a progressé de 68 %, contre 42 % pour
la zone euro, et encore de 2,2 % en 2015. Le taux de chômage est en
baisse, à 5,5 % fin 2015, le taux de « croissance » du PIB à
2,5 %, le plus élevé du G7... La récession de 2008 semble n’être qu’un
mauvais souvenir.
Mais ces résultats sont payés au prix fort par la
population laborieuse et la jeunesse et masquent de profondes faiblesses. Le Bilan du Monde 2016 explique : « La reprise repose sur la consommation
des ménages et non sur l’investissement ou les exportations. Elle se paie par
des salaires bas et l’explosion du travail précaire. Plus d’un Britannique sur
cinq (contre 6 % en France) perçoit moins des deux tiers du salaire médian
mensuel (1 580 euros). Quant aux « contrats zéro heure »
qui ne garantissent aucun travail au salarié, leur nombre a progressé de
20 % en un an pour atteindre 744 000. La majorité des emplois créés
relèvent du statut d’auto-entrepreneur. » Cela montre l’escroquerie
des statistiques du chômage, d’autant que si 73,7 % de la main-d’œuvre
travaille, la Grande-Bretagne est caractérisée par un bas niveau de
productivité et un retard important d’équipement en infrastructures.
… payées par la classe
laborieuse en Angleterre au fil de 35 ans de politique anti-ouvrière
En décembre 2015, la dernière mine de charbon du
Royaume-Uni fermait ses portes, à Kellingley, entraînant la mise au chômage de
450 mineurs, en dépit de réserves de minerai évaluées à vingt ans de
production. C’est tout un symbole politique pour la classe ouvrière britannique
dont la corporation des mineurs a, depuis des décennies, constitué un des fers
de lance du combat de classe. Il n’est que de rappeler la longue grève des
mineurs contre le gouvernement de Thatcher en 1984-1985.
Le prolétariat anglais, un des plus organisés au
monde, à l’histoire politique séculaire, subit depuis plus de trente ans des
attaques incessantes qui ont démantelé une grande part de ses garanties
collectives, fruits de décennies de combats de classe. Pas un des gouvernements
successifs, thatchériens et blairistes, n’a interrompu cette chaîne de
destruction des acquis ouvriers. Le gouvernement tory de Cameron ne fait bien
évidemment pas exception à la règle. Le Bilan
du Monde 2016 parle, à propos de la première législature de Cameron, d’« un homme et un gouvernement qui ont
administré au pays un remède de cheval sans pitié pour les personnes modestes
et ont promis de poursuivre pour cinq ans ce traitement ».
Les salaires reculent depuis de nombreuses années. Le Monde du 28 octobre 2015
précise : « Le Royaume-Uni est
l’un des pays européens qui compte le plus de bas salaires : 22 % des
Britanniques touchent en effet moins des deux tiers du salaire médian, soit
moins de 19 000 euros par an. Un pourcentage bien plus élevé que la
moyenne de l’Union européenne (17 %) et qu’en France (6 %). (…) Ces
millions d’emplois mal payés et faiblement qualifiés expliquent en grande
partie le taux de chômage de seulement 5,4 %. Depuis la crise de 2008,
cette tendance s’est renforcée. Les salaires des Britanniques ont fortement
baissé. Malgré un rebond depuis un an, ils restent 6 % en dessous de leur pic
de 2009 (en valeur réelle). » Le nombre de bénéficiaires des crédits
d’impôts a de ce fait été multiplié par sept en 15 ans. Un salarié sur cinq
gagnerait moins que le « salaire de vie » (living wage), soit le minimum nécessaire pour vivre
convenablement, estimé à 7,85 livres (10 euros) de l’heure en
province et 9,15 livres (11,60 euros) à Londres.
Le Monde du 3 septembre 2015 exposait
que « malgré la croissance, la
précarité ne recule pas au Royaume-Uni. Le nombre de contrats à « zéro
heure », qui ne garantissent aucun travail fixe à leur signataire, a
progressé de 20 % sur un an. Il y en avait 744 000 entre avril et juin,
contre 624 000 à la même période en 2014, selon les données publiées
mercredi 2 septembre par l’Office national des statistiques (ONS). »
Mais selon d’autres sources, ce chiffre pourrait atteindre 1,5 million de
contrats, soit 4 % des emplois. « Les
contrats à zéro heure ne sont cependant que la facette la plus connue d’un
marché du travail toujours plus flexible. L’auto-entreprenariat, le travail
intérimaire, les salaires uniquement sur commission sont autant d’autres formes
de précarité, également en hausse. » (ibid.) Les
« auto-entrepreneurs » (self-employment)
représentent les trois quarts des emplois créés depuis 2008, et 15 % de
l’emploi total. Pour une bonne part, il s’agit en fait de contrats salariaux
déguisés, qui permettent aux capitalistes de ne pas payer les cotisations
sociales. Ce sont des millions de « non-salariés » qui n’ont pas
accès aux droits élémentaires des salariés (épargne-retraite,
assurance-chômage…) et qui ont vu leur revenu diminuer en moyenne de 20 à
25 % depuis la crise économique de 2008, tout comme les « contrats
zéro heure » qui ne bénéficient pas de congés payés, ni d’indemnité
maladie.
Selon Le Monde
du 7 avril 2016, « en
2013, l'ONG Oxfam estimait que 2 millions de Britanniques étaient mal
nourris, et qu'un parent sur six se privait de nourriture pour mieux subvenir
aux besoins de sa famille. (…) Fin
2013, un rapport sur la faim et l'insécurité alimentaire au Royaume-Uni, (…) a
mis en lumière la forte augmentation des prix des denrées alimentaires et du
fioul domestique, à un rythme plus rapide que celui de la hausse des salaires
et que celui de l'inflation. (…) Mais
l'invraisemblable augmentation de la pauvreté outre-Manche depuis quelques mois
trouve aussi ses origines dans le « Welfare Reform Act 2012 », la
réforme d'ampleur de la protection sociale initiée par le gouvernement
conservateur de David Cameron. (…) Un
million de personnes ont déjà été victimes d'interruptions du versement de
leurs allocations – des sanctions qui durent au minimum quatre semaines et
peuvent aller jusqu'à trois ans. »
La situation en matière de logement au Royaume-Uni
est particulièrement catastrophique. Sous le titre « Au Royaume-Uni,
quarante-cinq ans de constructions insuffisantes », Le Monde du
29 avril 2015 écrit : « En 1969, 380 000 logements
ont été construits au Royaume-Uni, moins de 200 000 en 1990 et
140 000 en 2013. Ce déclin continu est au cœur de la crise immobilière
britannique : la population croît plus vite que le logement. (…) « Dans le Grand Londres, le prix
moyen d’une propriété atteint 7,5 fois le revenu moyen, moitié plus qu’il y a
quatre ans. Inabordable pour l’immense majorité de la population. ».
En début d’année, on dénombrait 340 000 personnes sur liste d’attente,
alors que Londres a enregistré 850 000 habitants supplémentaires en huit
ans. Les prix de l’immobilier auraient encore augmenté de 50 % en cinq ans
et les loyers sont si chers (couramment 50 à 60 % du salaire, avec un
montant moyen de loyer de 3 500 € par mois, 1 350 € par
mois pour un studio) que le recours à la « colocation » devient
désormais quasi-obligatoire y compris pour les plus de trente ans, voire pour
les « quinquas ».
Concernant l'enseignement public, il a subi des
coupes budgétaires incessantes depuis plus de trois décennies, qui conduisent à
la privatisation et à la dislocation du système d’instruction publique dans ce
pays. Le Monde du
6 avril 2016 écrit à ce sujet : « Depuis 2012, en effet,
le gouvernement de David Cameron a permis aux universités de tripler leurs
frais de scolarité (sans dépasser un plafond de
9 000 livres sterling par an – environ 11 200 euros).
Les deux tiers d’entre elles se sont automatiquement alignées sur ce plafond,
entraînant la hausse des prêts étudiants. En moyenne, les jeunes Britanniques
se sont endettés de 13 292 livres sterling
(16 600 euros) pour leurs seules études. Avec approximativement 12
millions d’étudiants, le rapport [de The Knowledge Academy
– NDLR] estime que le décalage entre études et emploi aurait
coûté aux étudiants 65 milliards de livres (81 milliards d’euros) ». Et ce, alors que le
chômage des jeunes atteint 14 % contre un taux moyen de 5 % sur
l'ensemble de la population active.
L'indigence du système de santé publique, le NHS
(National Health Service), est un exemple flagrant de la mise en coupe réglée
des acquis sociaux au profit du capital financier. Le NHS c’est encore
10 500 cabinets médicaux, 2 300 hôpitaux et 1 600 000
salariés, soit près de 6 % de la population active. Le gouvernement a
imposé au NHS un programme de 30 milliards d’euros de coupes budgétaires,
soit près de 15 % du budget total, ce qui a conduit nombre d’hôpitaux
publics à constater en 2015 un déficit comptable, dont la cause unique est
l’étranglement financier décidé par le gouvernement. La misère des moyens à
laquelle les gouvernements successifs ont réduit le NHS conduit à des délais
d’attente inacceptables pour les malades, y compris pour les urgences et les
maladies graves comme le cancer.
Aujourd’hui, il est clair que cette conquête majeure
du prolétariat anglais qu’est le NHS, créé en 1948, est menacé dans son
existence même par la volonté politique délibérée des gouvernements
anti-ouvriers successifs. Il est non moins clair que l’attachement profond et
indéfectible de la population laborieuse du Royaume-Uni à son NHS ne peut que pousser
à combattre pour le défendre.
Tout pour le parasitisme
financier de la City…
Cette politique continue de tous les gouvernements
depuis Thatcher n’a qu’un seul but : permettre au capital financier de
continuer à prélever les taux de profit les plus élevés. C’est ce qui attire
vers Londres les capitaux du monde entier. En Grande-Bretagne, le secteur dit
des « services financiers », autrement dit et pour l'essentiel, la
spéculation du capital financier, représente 30 % à 40 % du PIB selon
les estimations. La « City » de Londres demeure la deuxième place
financière et boursière du monde après Wall Street, et la seule véritablement
globale d’Europe. Mais la concurrence est rude.
Le 23 février dernier était annoncée la fusion
de la Bourse de Londres, le London Stock
Exchange (LES), qui existe depuis plus de trois siècles, avec la Deutsche
Börse de Francfort. En 2011, le LSE avait déjà acquis la Bourse de Milan. Mais Le Monde du 24 février 2016
précisait : « Face à lui, des
groupes de plus en plus gros se sont constitués. Les plus importants sont
l’américain Intercontinental Exchange (ICE, qui comprend la Bourse de New
York), le Chicago Mercantile Exchange (CME) et la place de Hongkong (Hongkong
Exchanges and Clearing). Quant à la société Euronext, qui possède notamment la
Bourse de Paris, elle est nettement plus petite que ses rivales, depuis que ICE
s’en est séparée, en 2014. Ce mouvement mondial de concentration doit permettre
de faire face à la concurrence à laquelle se livrent les diverses plateformes.
Dans les années 2000, les États-Unis puis l’UE ont dérégulé les marchés
actions. De nombreuses petites structures ont vu le jour. Ainsi, aujourd’hui, à
peine plus de la moitié des actions britanniques s’échange sur le LES ; l’autre
moitié se répartit entre de multiples nouveaux venus, qui offrent leurs
services à prix cassé. Résultat, l’activité historique de la Bourse de Londres,
l’échange d’actions, représente désormais moins de 20 % de son chiffre
d’affaires. » Le reste est constitué par diverses activités de
« services financiers » accessoires à l’échange d’actions proprement
dit et autres.
Cette domination écrasante du capital financier sur
l’économie britannique n’a pu se réaliser que par une destruction de forces
productives sans précédent dans tout le pays, et la plongée dans la misère de
la classe ouvrière et de la jeunesse.
… au prix du déclin
continu de l’impérialisme anglais
Un exemple tout récent du déclin du capitalisme
britannique est l'annonce en avril 2016 par le groupe Tata Steel (groupe de
capitaux indiens contrôlant déjà une part importante de l’industrie
sidérurgique et métallurgique en Europe) de la cession de toutes ses activités
métallurgiques au Royaume-Uni. Mais c’est en fait l’ensemble de la sidérurgie
britannique qui est désormais menacée de disparition, avec plus de 4 000
licenciements depuis 2015.
« 15 000 emplois
directs sont en jeu. En 2007, Tata avait racheté les vestiges de British Steel,
l’ancienne entreprise sidérurgique nationale, privatisée par Margaret Thatcher.
Il possède aujourd’hui une dizaine de sites au Royaume-Uni, dont deux
hauts-fourneaux. Le plus important se situe à Port Talbot, au Pays de Galles.
Dans cette vallée industrielle, près de 40 000 emplois dépendent de
l’acier. La fermeture du site porterait un coup terrible à l’une des régions
les plus pauvres du pays. » (Le Monde,
11 avril 2016). Cette crise de surproduction de l’acier mondial signifie pour
le Royaume-Uni le risque d’une catastrophe nationale.
Depuis Thatcher, l’industrie britannique est mise à
l’encan des pires figures du capitalisme vautour sans foi ni loi, comme Tata ou
ses successeurs.
Les bases économiques du capitalisme anglais sont
profondément minées et gangrenées par les mêmes maux qui rongent toutes les
puissances impérialistes, avec cependant des traits accentués qui tiennent à la
structure même de l'économie du Royaume-Uni. Les gouvernements successifs à
partir de Thatcher ont favorisé à l’extrême le parasitisme du capital
financier, bancaire et boursier, et poussé à la liquidation de l’industrie
britannique, en dépit de toutes leurs postures « patriotiques ». Leur
politique a conduit à des destructions massives de forces productives, en
expulsant de l’emploi productif des millions de travailleurs et de jeunes, qui
se retrouvent soit au chômage, soit dans des petits boulots ou dans la
précarité.
Quoi qu’il en soit, « Brexit » ou pas,
rien ne sera réglé quant à l’avenir de la Grande‑Bretagne. Ce vote ne
tranchera rien de décisif dans l’affrontement entre les classes outre-Manche.
Les oppositions sur le
Brexit ne recoupent pas les frontières de classes
Le 14 avril 2016, Jeremy Corbyn, leader du Parti
travailliste, se prononçait ouvertement pour le maintien dans l’UE, apportant
ainsi un soutien de poids au gouvernement Tory et à Cameron. Selon Les Échos du
15 avril 2016, « il a
défendu avec ferveur le rôle “ protecteur “ de l’Europe en matière de
droit du travail, de défense de l’environnement ou encore de lutte contre
l’optimisation fiscale des multinationales. Il rejoint ainsi les principaux
syndicats britanniques, qui soulignent les avancées sociales réalisées grâce à
l’Europe, comme la durée minimale des congés payés ou la limitation du temps de
travail. Autant de droits “ vitaux “ qui seraient fragilisés, selon
Jeremy Corbyn, en cas de Brexit. » Il s’agit là d’une sinistre escroquerie.
Rappelons qu’en 1975, lors du précédent référendum
sur l’appartenance à ce qui était alors la CEE, tenu deux ans après l’adhésion
du Royaume-Uni, alors que le gouvernement travailliste de Harold Wilson faisait
campagne pour le maintien, position que soutenait également la direction du
parti tory avec à sa tête Margaret Thatcher, une partie du Labour Party, dont
Corbyn et certains ministres du Labour, avaient fait campagne pour la sortie,
de même, que la centrale syndicale TUC. En 1983, le manifeste du Labour
réclamait un retrait de la Communauté économique européenne. Quant à Corbyn, il
avait voté contre le traité de Maastricht, et encore en 2008 contre le traité
de Lisbonne. Aujourd’hui, le même déclarait le 14 avril lors d’un meeting à
l’université de Londres : « Le
Labour est très majoritairement en faveur d’un maintien [dans l’UE] parce que nous estimons que le projet
européen a apporté emplois, investissement et protection aux travailleurs, aux
consommateurs et à l’environnement ». On sait ce qu’il en est dans la
réalité et on comprend que l’enthousiasme fait défaut à ce discours, de même
que nombre d’électeurs travaillistes vont s’en tenir à l’abstention, sinon à
voter contre.
On mesure ainsi l’avancement de la décomposition
politique du mouvement ouvrier dans ce pays, puisqu’en 2016 toutes les grandes
organisations ouvrières ont pu être alignées derrière le gouvernement tory dans
la campagne pour le maintien, sans que ne se lève d’opposition significative.
Ainsi la direction du TUC ose soutenir le « in » sous le slogan « ne prenez pas de risques »,
en prétendant que la sortie mettrait en danger les emplois, les droits des
travailleurs et la « base industrielle » du pays, cela après plus de
35 ans de licenciements, de destruction de branches entières de l’économie
et de reculs incessants des acquis ouvriers !
Seules des fractions minoritaires du mouvement
ouvrier font campagne pour la sortie. C’est le cas de quelques syndicats comme
le syndicat RMT (Rail, Mer et Transport), le syndicat des conducteurs de train
ASLEF et celui des boulangers BFAWU, ainsi que le groupement des
« Syndicalistes contre l’Union européenne » (TUAEU), que dirige le
PCB stalinien, ainsi que le SP et le SWP qui se réclament vaguement du
trotskysme. Mais la campagne de ces courants ne dépasse pas l’opportunisme
chauvin qui se drape dans la défense de la main-d’œuvre britannique, et de fait
contre la main-d’œuvre immigrée. Ils constituent des obstacles pour le
regroupement d’une force révolutionnaire ouvrière, repoussant eux aussi les
travailleurs qui veulent refuser l’UE dans les bras des leaders bourgeois
réactionnaires et nationalistes du Brexit, au nom de la « souveraineté
nationale ».
Où sont les intérêts de la
classe ouvrière ?
La défense des intérêts des travailleurs exige au
contraire la rupture avec l’Union européenne des bourgeoisies et des États
impérialistes. Les travailleurs et la jeunesse du Royaume-Uni ont bien
évidemment tout intérêt à ce que le Brexit l’emporte, à ce que la
Grande-Bretagne quitte l’UE, à ce que l’UE et ses états-majors de combat anti‑ouvriers
soient disloqués et disparaissent, à ce que l’Euro soit démantelé. Mais il est
clair que le vote pour le « Brexit » ne saurait exprimer à lui seul
la défense des intérêts de la classe ouvrière face à l’offensive réactionnaire
à laquelle elle a à faire face dans tous les domaines. Les forces politiques
qui dirigent la campagne pour le Brexit sont pour l’essentiel des partis
bourgeois, sinon des chauvins réactionnaires de la pire espèce, qui, tous, sur
fond du racisme anti-immigrés le plus répugnant, se réclament de la défense de
l’impérialisme britannique et de sa compétitivité, rivalisant avec leurs
concurrents partisans du « in » sur les meilleurs moyens d’assurer la
position du capitalisme anglais face à ses concurrents impérialistes. Ils ne
sont rivaux que sur les meilleurs moyens d’exploiter le plus possible les
travailleurs britanniques et étrangers.
Dans ces conditions, il est décisif pour les
militants ouvriers et révolutionnaires de réaffirmer que le drapeau de classe
de la lutte des travailleurs contre l’UE comme contre l’impérialisme anglais,
c’est le drapeau de l’internationalisme ouvrier, et non celui de la bourgeoisie
anglaise. Pour s’ouvrir la voie, les travailleurs et les jeunes doivent mener
de front et en même temps le combat contre l’UE et contre leur propre
bourgeoisie, avec leurs propres moyens et sur leur propre terrain, en utilisant
leurs organisations de classe, syndicat et parti. Il leur faut se garder comme
de la peste de s’aligner si peu que ce soit derrière les forces
archi-réactionnaires à qui les « médias » ont décerné le leadership
de la campagne pour le Brexit. Aucune connivence, aucun « front
commun » avec les Boris Johnson, la droite des Tories, ni avec UKIP !
Indépendance totale par rapport aux forces bourgeoises du Brexit ! Car
au-delà de la question posée lors de ce référendum, la question européenne
reste un enjeu politique majeur, dont la solution ouvrière ne peut résider que
dans le combat de chacun des prolétariats d’Europe pour chasser les
gouvernements au service du capital, mettre en place un gouvernement ouvrier et
prendre le pouvoir dans son propre pays, s’engager dans la voie qui mène au
socialisme, et ainsi avancer vers les États-Unis socialistes d’Europe, seule
issue dans cette partie du monde pour en finir à la fois avec l’exploitation
capitaliste et les frontières qui étouffent les peuples, en Europe et ailleurs.
Si le Brexit devait l’emporter au soir du
23 juin 2016, cela constituerait une défaite politique majeure et
cinglante pour Cameron, qui l’obligerait très certainement à démissionner de
son poste de premier ministre. Mais pour autant, cela ne saurait représenter,
dans les conditions présentes, une victoire pour la classe ouvrière
britannique. Car s’il devait céder la place, en l’absence d’alternative
crédible du côté du Labour, Cameron ne pourrait qu’être immédiatement remplacé,
sans coup férir, par un de ses concurrents conservateurs, avec une politique
semblable, voire encore plus anti-ouvrière, anti-immigrés et réactionnaire.
Comprendre comment on a pu en arriver là nécessite
de revenir sur deux événements majeurs dans la période récente : les
élections générales du 7 mai 2015, qui ont vu la reconduction des
Tories au gouvernement, et corrélativement, l’élection le
12 septembre 2015 de Corbyn à la tête du Labour Party.
Les élections générales de
2015 marquent la faillite complète de la politique du « New Labour »
Le 7 mai 2015, les élections générales
étaient appelées à renouveler les 650 sièges de la Chambre des Communes. Le
tableau qui suit rappelle ces résultats détaillés et comparés à ceux des
élections précédentes :
(Source : Union inter-parlementaire, IPU, http://www.ipu.org et House of
Commons, http://www.parliament.uk) |
7 mai 2015 |
6 mai 2010 |
5 mai 2005 |
7 juin 2001 |
1 mai 1997 |
9 avril 1992 |
11 juin 1987 |
||
Inscrits |
|
46 354 197 |
45 597 461 |
44 245 939 |
44 403 238 |
43 784 559 |
43 253 000 |
43 181 321 |
|
Exprimés |
|
30 691 680 |
29 687 604 |
27 148 510 |
26 265 187 |
31 287 097 |
33 609 431 |
32 536 205 |
|
|
% sur Inscrits |
66,21% |
65,11% |
61,36% |
59,15% |
71,46% |
77,70% |
75,35% |
|
Labour
Party |
|
9 344 328 |
8 609 527 |
9 552 436 |
10 724 895 |
13 517 132 |
11 557 134 |
10 033 633 |
|
|
% sur Exprimés |
30,45% |
29,00% |
35,19% |
40,83% |
43,20% |
34,39% |
30,84% |
|
|
% sur Inscrits |
20,16% |
18,88% |
21,59% |
24,15% |
30,87% |
26,72% |
23,24% |
|
|
Sièges |
232 |
258 |
355 |
412 |
418 |
271 |
229 |
|
Tories |
|
11 300 303 |
10 726 614 |
8 784 915 |
8 357 622 |
9 602 857 |
14 093 148 |
13 763 134 |
|
|
% sur Exprimés |
36,82% |
36,13% |
32,36% |
31,82% |
30,69% |
41,93% |
42,30% |
|
|
% sur Inscrits |
24,38% |
23,52% |
19,85% |
18,82% |
21,93% |
32,58% |
31,87% |
|
|
Sièges |
330 |
306 |
198 |
166 |
165 |
336 |
376 |
|
Libéraux |
|
2 415 388 |
6 836 824 |
5 985 454 |
4 812 833 |
5 242 894 |
5 998 446 |
7 339 912 |
|
|
% sur Exprimés |
7,87% |
23,03% |
22,05% |
18,32% |
16,76% |
17,85% |
22,56% |
|
|
% sur Inscrits |
5,21% |
14,99% |
13,53% |
10,84% |
11,97% |
13,87% |
17,00% |
|
|
Sièges |
8 |
57 |
62 |
52 |
46 |
20 |
22 |
|
Scottish National Party (SNP) |
1 454 436 |
491 686 |
412 267 |
464 305 |
621 540 |
629 552 |
416 873 |
||
|
% sur Exprimés |
4,74% |
1,66% |
1,52% |
1,77% |
1,99% |
1,87% |
1,28% |
|
|
% sur Inscrits |
3,14% |
1,08% |
0,93% |
1,05% |
1,42% |
1,46% |
0,97% |
|
|
Sièges |
56 |
6 |
6 |
5 |
6 |
3 |
3 |
|
UK Independence Party (UKIP) |
3 881 129 |
919 546 |
605 973 |
|
|
|
|
||
|
% sur Exprimés |
12,65% |
3,10% |
2,23% |
|
|
|
|
|
|
% sur Inscrits |
8,37% |
2,02% |
1,37% |
|
|
|
|
|
|
Sièges |
1 |
0 |
0 |
|
|
|
|
|
Green
Party |
|
1 157 613 |
285 616 |
257 758 |
|
|
|
|
|
|
% sur Exprimés |
3,77% |
0,96% |
0,95% |
|
|
|
|
|
|
% sur Inscrits |
2,50% |
0,63% |
0,58% |
|
|
|
|
|
|
Sièges |
1 |
1 |
0 |
|
|
|
|
|
Sinn
Fein |
|
176 232 |
171 942 |
174 530 |
175 933 |
126 921 |
|
|
|
|
% sur Exprimés |
0,57% |
0,58% |
0,64% |
0,67% |
0,41% |
|
|
|
|
% sur Inscrits |
0,38% |
0,38% |
0,39% |
0,40% |
0,29% |
|
|
|
|
Sièges |
4 |
5 |
5 |
4 |
2 |
|
|
|
Autres |
|
962 251 |
1 645 849 |
1 375 177 |
1 729 599 |
2 175 753 |
1 331 151 |
982 653 |
|
|
% sur Exprimés |
3,14% |
5,54% |
5,07% |
6,59% |
6,95% |
3,96% |
3,02% |
|
|
% sur Inscrits |
2,08% |
3,61% |
3,11% |
3,90% |
4,97% |
3,08% |
2,28% |
|
|
Sièges |
18 |
17 |
24 |
20 |
22 |
21 |
20 |
|
|
Total
sièges |
650 |
650 |
650 |
659 |
659 |
651 |
650 |
|
L'élément fondamental est l'échec du Labour Party à reconquérir
la majorité, et ce après cinq années de gouvernement des Conservateurs en
alliance avec les Libéraux. En dépit de l'effondrement du parti
Libéral-Démocrate qui perd 60 % de ses voix et plus de 85 % de ses
sièges de 2010, se voyant réduit à huit représentants au parlement, le parti
travailliste n'a pas été en mesure de capter le mécontentement, le rejet de
l'austérité et des Tories ainsi que de leurs alliés Lib'Dem', et la volonté de
résistance des masses qui s'était pourtant largement manifestée au cours de la
première mandature de Cameron. Et ce en dépit de la profonde division politique
qui traverse la classe possédante anglaise sur le Brexit, ce dont témoigne
également la très forte poussée du parti ultra-réactionnaire et raciste UKIP
qui recueille en 2015 près de quatre millions de voix, multipliant par plus de
quatre son score de 2010.
La sévère défaite du Labour marque la faillite de la
politique du « New Labour », incarnée alors par Ed Miliband, qui
n'a su présenter aux travailleurs et à la jeunesse qu'une perspective de
nouveaux sacrifices, pour permettre à l'impérialisme anglais de tenter de
maintenir son rang, et au capital britannique son taux de profit. Le manifeste
électoral 2015 du Labour était intitulé « La
Grande-Bretagne peut être meilleure » (Britain can be better) et proclamait en couverture : « La Grande-Bretagne ne peut réussir
que si les travailleurs réussissent. Voici un plan pour accéder au travail dur,
partager la prospérité et construire une meilleure Grande-Bretagne ».
Le plan en question est révélateur. Le premier point en est la « responsabilité budgétaire »,
et la première phrase du texte : « Nous
sommes un grand pays ». Cela cadre tout le reste. Comment mieux
exprimer que la perspective du « New Labour » est la défense de
l’impérialisme anglais ? Comment mieux dire que le sac à promesses du
Labour de Miliband avait pour nom austérité ? Les blairistes n’avaient à
proposer que la poursuite de la politique des Tories sous un verbiage
« gauche », à l’opposé de la volonté des masses d’en finir avec
Cameron et sa politique de misère. Le « New Labour » de Miliband
n’est même pas parvenu à retrouver ses voix de 2005. La reconduction des Tories
au pouvoir a ainsi procédé d’abord et avant tout de l’échec de la direction du
Parti travailliste bien plus que d’une force intrinsèque des Conservateurs, qui
sont loin de récupérer les voix perdues par leurs ex-associés libéraux qui,
quant à eux, s’effondrent littéralement. Empêchés de se rassembler dans le vote
Labour pour en finir avec l’austérité et les Tories, les électeurs ouvriers et
jeunes se sont dispersés dans l’abstention, qui est passée d’un quart à un
tiers des inscrits en vingt ans, ou sur diverses formations politiques
bourgeoises plus ou moins réactionnaires.
Aggravation de la
législation anti-grèves et du contrôle étatique sur les syndicats
Dès sa reconduction en mai 2015, Cameron a engagé
une contre-réforme visant à limiter davantage le droit de grève, déjà soumis à
de sévères entraves depuis Thatcher. Le projet de loi présenté le 15 juillet
2015 et finalement adopté dès septembre, prévoit l’obligation d’une
participation d’au moins 50 % des syndiqués concernés au vote par
correspondance préliminaire imposé par la loi. Dans le secteur public et les
services dits « vitaux », la grève devrait en outre être votée par au
moins 40 % des inscrits, indépendamment du taux de participation. Par
ailleurs, la loi Cameron autorise le recours aux intérimaires pour remplacer les
grévistes, ce qui était interdit depuis 47 ans. La durée de préavis de
grève est portée de 7 à 14 jours. Les manifestations des grévistes et les
piquets de grève sont sévèrement restreints, soumis à autorisation préalable
par la police, et les infractions constatées relèvent désormais du droit pénal.
Une institution étatique de « régulation » devra contrôler la liste
des membres des syndicats, leurs règles de fonctionnement et leurs comptes. Les
heures de délégation syndicale dans le secteur public pourront être plafonnées
par le gouvernement. Le prélèvement automatique des cotisations sur les
salaires est aboli.
Cette loi aggrave considérablement les entraves déjà
existantes contre les grèves et le mouvement ouvrier, dont la plupart remontent
à l’époque de Thatcher.
La vérité est que la classe possédante a
parfaitement conscience que pour porter encore plus de coups contre les
conditions d’existence des salariés, elle doit s’attaquer beaucoup plus
profondément aux droits démocratiques d’expression et d’organisation de la
classe ouvrière, lui infliger des défaites politiques suffisantes sur le
terrain de la lutte des classes directe. Cameron l’avait exprimé clairement à
l’été 2014, à la veille d’un mouvement de grèves et manifestations qui allait
mobiliser plus d’un million de fonctionnaires, dont des milliers d’enseignants,
contre les restrictions de salaires et de retraites : « Il faut faire cesser les grèves dans les écoles. », « Je ne pense pas que ces grèves soient
justes. Comment est-il possible que ce soit bon pour l’éducation de nos enfants
d’être perturbés ainsi par les syndicats ? Il est temps de
légiférer. » (Cameron dans The
Telegraph).
Les appareils syndicaux ont tout fait pour éviter
toute action à la hauteur contre cette loi dont ils n’ont pas exigé le retrait.
Le plus grand syndicat du pays, « Unite », a proposé ses services au
gouvernement pour des « discussions » sur tel ou tel recul pour mieux
faire avaler l’ensemble. Ils n’ont appelé qu’à quelques actions symboliques en
octobre 2015 devant le congrès Tory et au Parlement sans la moindre
mobilisation. Frances O’Grady, la secrétaire générale du TUC, qualifiait la loi
Cameron d’« attaque inutile contre
les travailleurs et les libertés civiles ». On appréciera ce
qualificatif « mesuré » qui relève assurément de l’offre de bons et
loyaux services au patronat et aux Tories, et de l’assurance que rien ne serait
fait pour exiger le retrait du projet.
C’est Angela Eagle,
chargée du commerce (sic !) dans le « shadow cabinet » du
Labour, qui fut chargée de parler le 15 septembre au Parlement au nom du
Labour. Elle qualifia le projet Cameron d’« attaque
idéologique et partisane des conservateurs contre les syndicats, alors que le
nombre de jours de grève a chuté de 90 % en deux décennies ». On
appréciera le cynisme éhonté de l’argumentation. Corbyn est quant à lui resté
silencieux au premier rang des Communes, se contentant dans la presse du
lendemain d’une plainte gémissante : « La
Grande-Bretagne a déjà les lois syndicales les plus restrictives d’Europe occidentale ».
Trois jours après son élection à la tête du Labour, ce silence de Corbyn était
déjà lourd de signification politique : qui ne dit mot consent.
Tentatives de résistance
C'est un fait que les travailleurs britanniques ne sont
pas encore parvenus à surmonter la défaite historique des mineurs contre
Thatcher en 1985. Mais il n'en reste pas moins que leurs capacités de
résistance, quoique entamées, demeurent encore très importantes.
En novembre 2010, la jeunesse se mobilisait contre
un projet du gouvernement visant à diminuer les bourses d’études et tripler le
montant des droits d’inscription à l’université. Le 10 novembre, plus de
50 000 jeunes et enseignants manifestaient à Londres devant le Parlement
de Westminster. C’était le droit aux études qui était remis en cause avec des
taxes portées à 10 500 € par an, alors même que nombre d’étudiants
devaient déjà s’endetter lourdement pour pouvoir poursuivre leurs études. Ce mouvement
était le plus puissant depuis l’arrivée au pouvoir de Cameron. Spontanément,
les jeunes se dirigèrent en masse vers le siège du parti tory à Millbank Tower,
l’occupèrent et le mirent à sac. Des affrontements très violents avec la police
s’ensuivirent, et les semaines suivantes virent la répression s’abattre sur les
participants traités et lourdement condamnés ainsi que des criminels. Le
syndicat étudiant NUS fut surpris par l’ampleur et la détermination des jeunes,
mais s’empressa de « condamner les violences », et tenta de détourner
les jeunes du lieu du pouvoir en appelant à manifester loin du Parlement. Le 24
novembre, puis le 9 décembre de nouvelles manifestations des étudiants et
lycéens eurent lieu à Londres, ainsi que dans d’autres villes, sans l’appel de
la NUS. Mais cette fois-ci, la police, déployée en nombre, parvint à cantonner
les manifestants par la tactique de répression de rue dite du
« kettling » (encerclement). Le mouvement se poursuivit par la suite
par des occupations de locaux d’enseignement, mais il finit par s’effilocher en
l’absence de relais de la classe ouvrière et de perspectives politiques, du
fait des directions syndicales et du Labour, qui appuya le gouvernement tory
tant dans ses mesures d’austérité que lors de la répression des manifestants,
de même que les directions de la NUS, des syndicats enseignants et du TUC,
renvoyant à une journée d’action… trois mois plus tard ! Il n’en demeure
pas moins que ce mouvement restera comme un moment essentiel pour l’expérience
politique de toute une génération.
Ce mouvement de la jeunesse venait après une série
de grèves dans de multiples secteurs comme les transports urbains, les
cheminots, les postiers, les enseignants, la santé, etc., et exprimait le rejet
par l’ensemble des travailleurs et des jeunes de la politique d’austérité
auquel le gouvernement conservateur, prenant appui sur ce qu’avaient fait avant
lui les blairistes, entendait élargir et accélérer (voir CPS n° 42, du 10 février 2011).
Le 26 mars 2011, 500 000 manifestants
déferlaient à Londres contre le gouvernement Cameron, gigantesque manifestation
qui fut une fois de plus « cadenassée
par les dirigeants syndicaux et le Labour » comme l’écrivait CPS n° 43
(11 mai 2011) :
« si massive que soit la manifestation, si révélatrice qu’elle soit
de la disponibilité du prolétariat au combat, elle ne résout aucun de ses
problèmes. L’offensive Cameron peut continuer à se développer, même si celui-ci
a dû se livrer à une manœuvre purement tactique : retarder de quelques
mois la mise en œuvre du plan de privatisation de la NHS. Car il faut noter
que, de manière délibérée, les dirigeants syndicaux anglais ont laissé seuls
les étudiants qui ont cherché à affronter le pouvoir en décembre dernier, et
par conséquent laissé le Parlement adopter les augmentations de droits
d’inscription, retardant de plusieurs mois la convocation de la manifestation.
D’autre part, c’est sous le signe d’une « journée pour les
alternatives » que les dirigeants syndicaux ont convoqué cette
manifestation. Miliband, le dirigeant du Labour prenant la parole à l’issue de
cette manifestation, en a donné le contenu : "Tout le monde sait
aujourd’hui que le pays connaît des temps difficiles. Mais nous savons aussi
qu’il y a d’autres voies. (...) Nous avons besoin de faire des choix difficiles,
et quelques coupes. Mais ce gouvernement va trop loin et trop vite en
détruisant le ciment de notre société".
« En somme, l’alternative, ce sont d’autres coupes dans le budget,
d’autres attaques contre le prolétariat. Il est important de remarquer que
Miliband a été copieusement sifflé par les manifestants. » (…)
Les travailleurs britanniques ne se résignaient
pourtant pas. Le 30 novembre 2011, la Grande-Bretagne connaissait la plus
grande grève de son histoire depuis celle de 1926. Plus de 2,5 millions de
travailleurs du secteur public faisaient grève et manifestaient dans la rue,
avec un soutien massif de l’ensemble de la population, à l’appel de 26
syndicats du secteur public. Dans le secteur de la santé, on comptait
400 000 grévistes. 18 342 établissements scolaires étaient fermés.
90 % des employés des douanes et des impôts étaient en grève. Quelque
mille cortèges de manifestations se déroulaient dans tout le pays, et on compta
750 000 manifestants à Londres. Les travailleurs du secteur public combattaient
un plan du ministre Osborne visant à supprimer 710 000 postes de
fonctionnaires (sur un total de 2 750 000), à baisser le niveau des
salaires et des pensions, reculer l’âge de la retraite et disloquer les grilles
nationales de rémunérations. Le dirigeant blairiste du Labour, Miliband,
n’avait pas hésité alors à casser le piquet de grève qui se tenait devant la
chambre des Communes, et le gouvernement Cameron avait maintenu son plan.
L’automne 2013 a vu se dérouler de vastes mouvements
de grèves des enseignants dans tout le pays qui ont touché jusqu’à 3 500
établissements scolaires, avec des manifestations massives dans plusieurs
villes. Il s’agissait de combattre un plan d’ensemble d’attaques contre le
corps enseignant : augmentation des cotisations retraite, relèvement de
l’âge légal de départ à la retraite, abolition de l'échelle salariale
nationale, introduction du salaire lié à la « performance »,
imposition d’un programme d’enseignement axé sur les résultats, suppression de
l'inclusion dans l'emploi du temps d'heures de préparation des cours,
allongement des heures de cours et recours à des enseignants non qualifiés dans
les salles de classe. La cohérence de ce plan d’ensemble est
l’« académisation » des établissements locaux, c’est-à-dire en faire
des unités autonomes, conduisant à la dislocation totale du système
d’instruction publique et du corps enseignant, avec à la clé les budgets de
misère « locaux » pour les établissements déjà étranglés depuis des
années et la marche à la privatisation. Les dirigeants syndicaux du NUT et du
NASUWT ont détourné cette volonté de combat de tout affrontement avec le
gouvernement pour en user ainsi que d’une simple masse de manœuvre destinée à
« faire pression » pour obtenir que le gouvernement réponde à leurs
offres de « négociations », en vérité pour faire passer les
contre-réformes.
On pourrait encore citer nombre de grèves et de
mouvements de résistance des masses britanniques, ne serait-ce que ces derniers
mois. Il faut d’ailleurs signaler que si l’on en croit les statistiques du BIT,
le nombre de jours de grèves au Royaume-Uni est loin d’être à son plus bas
comme on l’entend parfois. Quelles que puissent être les limites de ces
données, on relève cependant une réelle remontée ces dernières années :
Années |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
Nombre de jours de grèves (source : B.I.T.) |
758 861 |
455 200 |
365 300 |
1 390 000 |
249 000 |
443 600 |
788 300 |
(Les chiffres de l’année 2015 ne sont pas encore publiés à la date de cet article)
Le prolétariat et la jeunesse de Grande-Bretagne ne
renoncent pas à combattre pied à pied contre les conséquences de la crise
capitaliste et la politique des gouvernements au service du capital détruisant
leurs conditions d’existence, pour la défense des conquêtes ouvrières, aussi
bien les droits sociaux du « welfare
state » que le droit aux études pour la jeunesse, mais aussi les
libertés démocratiques, à commencer par le droit de grève et d’organisation
syndicale. Ils se heurtent à la politique des directions syndicales et du
Labour Party, tout entière orientée pour empêcher l’affrontement avec le
gouvernement et bousiller la volonté de combat des masses, permettant ainsi que
s’appliquent les contre-réformes.
La détermination et l’opiniâtreté de la jeunesse et
du prolétariat britanniques à combattre pour défendre ses intérêts de classe
plongent profondément leurs racines dans l’histoire politique et les traditions
révolutionnaires et d’organisation de la classe ouvrière de ce pays. Et c’est
bien à cela qu’il faut se référer pour comprendre comment a pu se produire
l’improbable accession de l’improbable Jeremy Corbin à la tête du Labour Party.
L’élection de Jeremy Corbyn
à la tête du parti travailliste
Ni la classe ouvrière ni la jeunesse n’ont ni la
liberté du choix ni du temps. Face aux attaques qui ne cessent pas de pleuvoir
contre leurs acquis, les masses ne peuvent attendre qu’un nouveau parti
exprimant authentiquement leurs aspirations soit constitué et capable de
prendre le pouvoir. C’est pourquoi elles n'ont d'autre choix dans l’immédiat
que de tenter d’utiliser le vieux parti travailliste, en dépit et contre la
politique de sa direction, pour s’efforcer sans relâche d'en finir avec
l’austérité et les gouvernements de défense du capital.
C’est cette volonté qui s’est ainsi exprimée le
12 septembre 2015 avec l’élection de Corbyn à la tête du Labour,
contre le successeur désigné d’Ed Miliband et contre la volonté de la
majorité de l’appareil et des notables mis en place par Blair et ses
successeurs.
Corbyn était depuis 1983 le député constamment réélu
d’une circonscription pauvre du nord de Londres (Islington North). Il n’a
jamais occupé de position dans l’appareil dirigeant du parti. Jusqu’à son
élection à la tête du Labour, il s’est toujours situé à la « gauche »
du Labour, dans le sillage de John McDonnell, Ken Livingstone ou Tony Benn. Il
s’était prononcé pour le soutien au Sinn Fein irlandais et pour le retrait des
troupes britanniques d’Irlande du Nord, ou encore contre le financement pour
140 milliards d’euros du programme d’armement nucléaire, contre l’OTAN,
etc. On estime qu’il détient une sorte de record en ayant, comme député,
exprimé à 500 reprises des votes à l’encontre des directives de la direction du
parti. De fait, il ne parvint à déposer sa candidature que d’extrême justesse,
puisqu’il n’obtint qu’à la dernière heure les 36 parrainages de députés exigés,
dont la plupart estimaient sans doute qu’il n’avait aucune chance sinon comme
exutoire pour « la gauche ».
Il se présenta pendant sa campagne ainsi qu’un « socialiste parlant vrai »,
comme un homme honnête et « de principes »
dénonçant ouvertement toute politique d’austérité. Cela lui permit de capter le
fort rejet par la base du Labour du blairisme et de la soumission constante de
ses dirigeants au grand capital financier, qui va de pair avec la corruption
répugnante qui les caractérise. Corbyn a ainsi pu apparaître comme une
alternative crédible « à gauche » pour tous ceux qui voulaient en
finir avec le « new Labour » et la « troisième voie » des
blairistes. L’élan autour de sa candidature s’est révélé considérable parmi les
travailleurs et la jeunesse, et a mis en défaut tous les pronostics, tant des
« médias » que des notables blairistes.
Corbyn parvint à se faire soutenir par l’UNISON, le
grand syndicat des services publics (1,3 million de membres), mais aussi
par trois syndicats du chemin de fer, le syndicat des télécommunications CWU et
« Unite » (syndicat généraliste de l’industrie, revendiquant
1,420 million de membres). La haine contre Corbyn, y compris dans ses
aspects personnels, largement déployée par la presse tabloïd pourrie et les
« fat cats » blairistes, larbins engraissés du capital, ne pouvait
que renforcer la sympathie et le soutien par les travailleurs du rang, les
jeunes révoltés et plus généralement tous les « oubliés » par l’« establishment »
capitaliste.
On estime à plus de 100 000 les nouveaux
adhérents qui ont rejoint le Parti travailliste ou qui ont repris leur carte
pour pouvoir voter pour Corbyn, utilisant ainsi une modalité de vote
initialement mise en place pour affaiblir le lien avec les syndicats et leur
poids dans le Labour, et signifier la prise de distance avec la classe
ouvrière. Cet afflux d’électeurs internes au Labour fut lui-même l’objet d’une
bataille juridique conduite par la direction blairiste, mais qui ne parvint pas
à endiguer le mouvement vers Corbyn.
Sur un total de 610 753 adhérents régulièrement
inscrits, Corbyn a été élu dès le premier tour avec 251 417 votes, soit
59,5 % des 422 000 suffrages exprimés, loin devant chacun des autres
candidats, soit 83,8 % des votes des « adhérents temporaires »,
mais aussi 49,6 % des suffrages exprimés des 303 110 « adhérents
de plein droit » et 57,6 % de ceux des 158 991 adhérents des
organisations affiliées (notons cependant 55 % d’abstentions parmi les
adhérents des syndicats, souvent égarés par les manœuvres des appareils). Quoi
qu’il en soit, il s’agit là d’une victoire historique et de scores sans
précédent dans l’histoire du Parti travailliste. On mesure par là l’espoir
ainsi exprimé par les travailleurs britanniques d’en finir avec l’austérité et
le blairisme, et les attentes portées sur Corbyn.
Ce vote au sein du Labour complète le scrutin
législatif du printemps 2015 pour exprimer que les masses vomissent les
blairistes et leur « New Labour », et témoigne de l’attachement de la
classe ouvrière britannique à son parti traditionnel, le vieux Labour Party,
expression politique des syndicats ouvriers du TUC, constitué historiquement
par eux et qui leur demeure lié organiquement en dépit de toutes les manœuvres
des blairistes pour les en dissocier.
C’est aussi une expression de la volonté des masses
britanniques de se réapproprier leur outil politique, leur parti historique,
pour tenter d’en finir avec plus de vingt ans de « New Labour » et
mettre un coup d’arrêt aux attaques Tory-blairistes.
Corbyn peut-il ouvrir une
issue pour le prolétariat et la jeunesse ?
Même si son rejet de l’austérité des décennies
passées ne pouvait qu’être saisi comme un point d’appui par les travailleurs et
les jeunes, les promesses de Corbyn durant sa campagne en restaient à de vagues
généralités inconsistantes du genre « construire
un nouveau mouvement social pour amener un vrai changement dans notre pays…
afin de placer sa richesse et les possibilités qu’il offre au service de
millions de personnes au lieu d’être le monopole des millionnaires »,
qu’il existe « une alternative à
cette orthodoxie budgétaire », « une
autre façon de gérer l’économie » (capitaliste ! ‑ NDLR),
que « les salariés ne sont pas les
responsables de la crise » et qu’il faut « faire cesser les coupes massives dans les aides sociales »,
augmenter les impôts des plus riches et « investir
dans l’industrie et les infrastructures ».
Cependant les bons sentiments du programme de Corbyn
ne suffisaient pas à préciser quels moyens il entendait utiliser pour réaliser
ses objectifs pacifistes et humanistes. Nulle part, il ne proposait ni d’en
finir avec le système capitaliste, ni même de commencer à s’en prendre aux
grands groupes capitalistes. Son programme ne prévoyait aucune incursion dans
la propriété privée des moyens de production.
Dès son élection, il avait déjà cédé devant
l’appareil blairiste en refusant d’imposer aux députés du Parti travailliste un
vote contre l’extension des bombardements britanniques en Irak et en Syrie, les
laissant « libres de leur vote », alors même que le congrès du parti
s’était prononcé expressément contre les bombardements. De même, il capitulait
sans conditions face aux cris d’orfraie de l’état-major et renonçait à s’opposer
au financement du programme d’armement nucléaire. Il avait aussi donné des
gages à l’aile droite du Labour en intégrant à son cabinet fantôme ce que Le Monde (14/09/2015) appelle « des personnalités centristes »
comme Andy Burnham ou Tom Watson, figures de l’appareil blairiste.
Corbyn n’est en rien un révolutionnaire, ni même un
défenseur authentique des droits de la population laborieuse. Ses déclarations
comme ses actes montrent que son programme est entièrement bourgeois, qu’il
entend respecter et défendre la propriété privée du capital, la société et
l’État capitalistes, et qu’il n’aspire qu’à constituer un gouvernement de plus
de « sa gracieuse majesté », tout comme il entend en être à présent
« l’opposition » respectueuse. Corbyn, on l’a dit, n’a pas hésité à
se ranger derrière Cameron en appelant au vote pour le maintien dans l’UE, en
couverture de ce dernier menacé dans ses propres rangs, ré-enchaînant de fait
le Labour au train fou de la banque, de la finance, de la City et de la
politique de Cameron, et désarmant ainsi les travailleurs de tout combat de
classe pour en finir avec le gouvernement tory et sa politique. Il a montré dès
son élection qu’il n’entendait en rien s’appuyer sur les centaines de milliers
de travailleurs et de jeunes qui l’ont porté à la présidence du Labour, mais
qu’il ne pouvait au contraire que les décevoir et les démoraliser en respectant
le cadre pourri de l’appareil blairiste et des directions syndicales. En
promettant de laisser en place le système capitaliste, et en apportant un appui
décisif au gouvernement tory en difficulté, la politique de Corbyn s’apparente
au couteau sans lame auquel il manque le manche.
On peut prédire sans grand risque d’erreur que la
déception des masses à son égard ne tardera guère.
Sadiq Khan élu maire de Londres
La méfiance des masses à l’égard de la nouvelle
direction du Labour s’est déjà exprimée dans le peu d’entrain de l’électorat
populaire à voter travailliste aux élections locales du 5 mai 2016. En Écosse,
le Labour a continué à payer son positionnement anti-indépendantiste de défense
de l’impérialisme anglais. Il a perdu plusieurs dizaines de sièges, au profit
du SNP parti nationaliste bourgeois écossais, qui le devance au parlement local
et conserve l'exécutif écossais. Au Pays de Galles, où le Labour était
majoritaire, il perd 8 % au profit des national-populistes xénophobes de
UKIP, conservant de justesse la majorité des sièges. La victoire du candidat
travailliste Sadiq Khan à la mairie de Londres, fils
d’un conducteur de bus immigré pakistanais, « musulman anti‑extrêmiste »,
repose sans doute en partie sur sa personnalité, qu’il a systématiquement mise
en avant durant sa campagne, ce qui ne peut manquer de l’avoir favorisé, dans
une capitale où 37 % des habitants sont nés hors du Royaume-Uni. Mais il
ne faut pas oublier que le maire sortant Boris Johnson ne se représentait pas,
et que les Tories n’ont pu aligner pour le remplacer qu’un milliardaire de la
« gentry ». Le Monde du
7 mai 2016 écrit : « M. Khan
a promis une politique sociale : il veut construire davantage de logements
abordables et geler les tarifs des transports pendant quatre ans. Mais il se
dit aussi favorable au monde des affaires, et s’est engagé à défendre les intérêts
de la City, en premier lieu en faisant campagne pour rester dans l’Union
européenne ». Sadiq Khan a déclaré vouloir « aider les entreprises à
prospérer » et a même été jusqu’à prétendre qu’il serait « le maire le plus pro-business que
Londres ait jamais connu ».
Il faut rappeler qu’il a été ministre d'État aux
communautés entre 2008 et 2009, puis aux transports entre 2009 et 2010, dans le
gouvernement de Gordon Brown. En 2010, il a aussi dirigé la campagne d’Ed
Miliband pour la direction du Parti travailliste, dont il a fait partie de
l’équipe de direction. En 2015 il a soutenu le blairiste Andy Burnham pour
l'élection du chef du Labour, contre Jeremy Corbyn. Pourtant, il ne faut pas
voir dans l’élection de Khan un vote anti-Corbyn. En prenant position pour le
maintien dans l’UE, Khan s’est situé au fond sur la même ligne que Corbyn. Mais
en dépit de son positionnement à la droite du Labour, son élection exprime
avant tout un vote anti-tories des travailleurs et des jeunes, un vote pour en
finir avec la politique anti-ouvrière des Cameron-Johnson.
L’avenir dira que tout espoir en ce sens est une
illusion par avance perdue.
Plus que jamais : quel
programme ? Quel gouvernement ? Quel parti ?
À propos des derniers développements en
Grande-Bretagne, le précédent numéro de CPS (7 avril 2016) écrivait « qu’aucune illusion n’est permise. En
l’absence d’un véritable regroupement militant sur le programme
révolutionnaire, d’une taille significative, l’aspiration à une politique de
rupture avec le capitalisme est condamnée à être dévoyée. » Il s’agit
là d’un point de départ essentiel pour tout militant ouvrier révolutionnaire.
Notre bulletin Combattre pour le
socialisme a eu l’occasion à plusieurs reprises depuis plus de trente ans
d’indiquer les axes politiques sur lesquels un tel regroupement devrait
s’opérer (voir CPS n°2 a.s ;
1984, n°68 a.s.1997 ; n°22 n.s 2005). En décembre 1998 (CPS n° 76 a.s.) résumait : « En d’autres termes [il
faut combattre pour que soit] ouverte au
prolétariat la perspective du socialisme, seule voie possible pour en finir
avec les maux du régime capitaliste. Cette perspective passe par le combat pour
un gouvernement ouvrier en Grande-Bretagne, un gouvernement qui pourrait répondre
aux besoins élémentaires des larges masses en s’engageant dans la voie de
l’expropriation du capital. En l’absence d’un parti ouvrier révolutionnaire, la
mobilisation des masses pour un tel gouvernement passe par l’exigence adressée
au Labour Party et aux dirigeants du TUC : « Rompez avec le
gouvernement Blair ! Dehors les représentants du capital :
gouvernement du seul Labour Party appuyé sur le TUC ! ». D’un tel
gouvernement, les masses exigeraient qu’il donne satisfaction à leurs
revendications et notamment qu’il renverse les institutions de la monarchie,
qu’il mette fin à l’oppression du peuple irlandais en retirant toutes les
troupes d’occupation de l’Ulster, qu’il dénonce l’Union européenne. »
C’est sur la base de ces éléments programmatiques que
les jeunes et les travailleurs révolutionnaires peuvent combattre et se
regrouper, tant au sein des organisations ouvrières que dans les mouvements qui
ne manqueront pas de se produire sous l’effet de la crise du système
capitaliste et des coups portés par la classe ennemie et ses gouvernements.
Le 23 mai 2016
«