Article paru dans “Combattre pour le socialisme”
n°61 (7 juin 2016) :
51e
congrès de la CGT :
L’appareil
dirigeant, avec la complicité de l’«extrême-gauche», se dresse contre la
centralisation du combat pour affronter le gouvernement et arracher le retrait
du projet de loi El Khomri
Le
projet de loi El Khomri a occupé la place centrale dans le congrès de la CGT.
Il ne pouvait en être autrement car la régression historique qu'il impulse avec
la primauté donnée à l'accord d'entreprise s'oppose à l'existence de la CGT
telle qu'elle est organisée avec ses syndicats, ses fédérations et ses unions
départementales. Or le mode d'organisation de la CGT ne doit rien au hasard :
c'est le produit du mouvement historique par lequel le prolétariat a tendu à
sortir de l'isolement entreprise par entreprise pour surmonter la concurrence
entre salariés et créer le rapport de forces le plus favorable possible aux
travailleurs. C'est pourquoi la question posée dans ce congrès était celle de
l'organisation du combat contre le projet de loi El Khomri, du rôle moteur que
devait naturellement y jouer la CGT. Mais la question ne se posait pas de
manière abstraite, elle se posait dans un contexte politique et syndical précis
sur lequel il est indispensable de revenir pour comprendre. C'est ce à quoi cet
article s'attache.
La CGT : une place
centrale
La
crise du capitalisme ouverte depuis 2008 a pour caractéristique sa persistance,
le fait que les bourgeoisies sont frappées par une incapacité à s'en sortir.
Elle a produit des effets ravageurs : en France, le nombre de chômeurs de
toutes les catégories dépasse les 6 millions, ce qui ne s'était jamais vu.
Moins d'un chômeur sur deux est indemnisé, la pauvreté et la précarité se sont
largement étendues. Or le seul remède vraiment efficace pour relancer
l'investissement en augmentant le taux de profit consiste à aggraver les
attaques contre les travailleurs et la jeunesse. Cette nécessité est encore
plus forte dans le cas de la bourgeoisie française qui est affaiblie et voit
ses positions ne cesser de reculer sur le marché mondial. C'est pourquoi les
gouvernements constitués depuis 2012, gouvernements entièrement soumis aux
exigences de la bourgeoisie, ont porté des coups de plus en plus durs contre
les travailleurs et la jeunesse. Mais ces gouvernements sont porteurs d'une
faiblesse originelle : ils sont issus d'une majorité PS-PCF élue pour
défendre au contraire les intérêts de la population laborieuse. Aussi leur
politique n'a cessé d'approfondir la crise historique des partis issus du
mouvement ouvrier, à commencer par le PS, plongé aujourd'hui dans une crise de
décomposition. C'est pourquoi ils ont dû recourir, plus encore que les
gouvernements qui les ont précédés, au dialogue social avec les organisations
syndicales et l'ériger en véritable méthode de gouvernement pour faire passer
toutes les contre-réformes.
Les
organisations syndicales ont donc occupé une place de premier rang dans le
dispositif des gouvernements depuis 2012 et, parmi elles, la CGT, la place
centrale. En effet, de par sa place dans l'histoire des luttes de classe en
France, la CGT dispose encore d'une force sans équivalent dans le mouvement
ouvrier, d'une force qui va bien au-delà des scores, en baisse sensible,
qu'elle peut réaliser dans les élections professionnelles. Il n'est qu'à voir
l'importance des cortèges CGT dans les manifestations organisées par le
mouvement syndical pour le toucher du doigt.
La « méthode du
dialogue social » a permis une aggravation constante
des attaques portées contre les travailleurs et la jeunesse
Dès
la constitution du gouvernement Hollande-Ayrault-Pinel, B Thibault a indiqué
que la CGT entendait prendre toute sa place dans le dialogue social en
affirmant : « Nous
participerons sans réserve à toutes les négociations ». Cette position
a été relayée à tous les niveaux de la CGT.
L'appui
apporté par la direction confédérale au dialogue social s'est en particulier
traduit par sa participation aux conférences sociales, réunissant chaque année
à l'initiative du gouvernement les organisations syndicales et le MEDEF. Elles
ont permis d'afficher l'accord des directions syndicales avec la méthode du
dialogue social pour « réformer » la France et ont joué un rôle
moteur dans la mise en œuvre de la politique du gouvernement.
En
2012 la conférence sociale a lancé le processus de « négociation « dit sur la
sécurisation de l'emploi, répondant à l'exigence du MEDEF que soit franchi un
pas supplémentaire dans la flexibilité.
La
confédération s'est totalement impliquée dans les négociations au nom de la
possibilité d'y gagner de prétendus droits nouveaux, tels que la généralisation
de la complémentaire santé, alors que cette généralisation, actée dans le cadre
de l'accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 (ANI), ne vise
qu'à préparer la substitution progressive des complémentaires payées par les
salariés à l'assurance-maladie obligatoire reposant sur le salaire différé.
Elle
a soutenu ces négociations en organisant les journées d'action des 8 octobre et
13 décembre 2012 qui ont accompagné tout le processus de négociation au nom de
la défense de l'industrie et de l'emploi, alors que c'était précisément le
thème invoqué par le MEDEF pour exiger qu'un pas supplémentaire soit fait dans
la flexibilité en facilitant les licenciements et en permettant que soient
passés des accords d'entreprise, dits défensifs, pour allonger les horaires de
travail et/ou baisser les rémunérations.
Une
fois l'accord signé entre le MEDEF, la CFDT et diverses organisations, elle a
refusé, toujours au nom de l'existence de prétendus droits nouveaux, d'exiger
lors des journées d'action 5 mars et 9 avril 2013 le retrait du projet de loi
de sécurisation des parcours professionnels déposé pour transcrire l'ANI.
La
loi passée en juillet 2013, le patronat a pu saluer les résultats du dialogue
social dans une tribune libre de ses principaux représentants en ces
termes : « réformer notre pays
est possible, comme le montre l'accord du 11 janvier, permettant les premières
réformes du marché du travail »... « Ceci est le résultat d'efforts coordonnés des partenaires sociaux et de
la puissance publique. Saluons-le ».
Cette
victoire a permis au gouvernement d'enchaîner avec la contre-réforme des
retraites en 2013. Toujours selon la méthode du dialogue social.
A
nouveau, la direction de la CGT a permis par sa participation que la conférence
sociale convoquée à cet effet se tienne, elle s'est impliquée à fond dans la
concertation organisée en juillet et août 2013 au motif de gagner des droits
nouveaux, tels que le compte personnel pénibilité, alors qu'il s'agit d'une
amorce d'individualisation des droits à la retraite selon un système
d'accumulation de points qui va tout à fait dans le sens de la réforme
systémique voulue par la CFDT et consorts de retraite par points.
Sur
la base de cet « acquis », elle a refusé tout combat contre le projet,
alors que celui-ci prolonge de deux ans les annuités nécessaires pour
bénéficier de la retraite à taux plein, augmente les « cotisations
salaries » et amorce la suppression des cotisations d'allocations
familiales. Au contraire, elle s'est située en soutien au texte en appelant par
la bouche de Thierry Lepaon à la journée d'action du 10/09 pour
l'améliorer : « l'objectif de
la mobilisation n'est pas le retrait du texte, mais de permettre d'améliorer le
projet lors des débats parlementaires ». Sur la base de ce soutien au
gouvernement, il était clair que la mobilisation ne pouvait être au
rendez-vous.
Cette
nouvelle défaite imposée sans mobilisation aux travailleurs a permis au
gouvernement d'en passer au stade supérieur dans les attaques, avec le pacte de
responsabilité, et de programmer un véritable hold-up sur les finances
publiques ainsi que dans les poches des travailleurs, au bénéfice du MEDEF, en
abaissant les charges des patrons de 41 milliards en trois ans et en opérant 50
milliards de coupes dans les budgets de l'État, des collectivités locales et de
la Sécurité sociale.
Alors
qu'il s'agit d'un programme de coupe sans précédent dans tous les budgets,
allant bien au-delà de ce qu'avait pu faire Sarkozy, la direction confédérale a
dit oui par avance à la concertation « dans
le cadre du pacte de responsabilité « par une déclaration avec la CFDT,
l'UNSA et la FSU le 14 janvier 2014 – avant même que Hollande annonce
officiellement le pacte de responsabilité. Le 18 mars, elle a participé à
l'organisation d'une journée d'action, avec FO, sans mot
d'ordre ; Thierry Lepaon déclarant : « ce ne sera pas une journée contre le pacte de responsabilité mais
sur les salaires, l'emploi et le financement de la protection sociale »,
ce qui équivalait pour le gouvernement à un laissez-passer.
Laissez-passer
confirmé le 28 avril, lorsque le pacte de responsabilité a été soumis à
l'Assemblée nationale et que la direction confédérale a refusé d'appeler la
population laborieuse à se rassembler à Paris pour imposer à la majorité PS-PCF
qu'elle rejette le pacte. Elle l'a refusé, alors que le fait que le groupe
parlementaire PCF ait voté contre, et surtout que 41 députés du groupe
parlementaire PS se soient abstenus démontrait qu'il y avait la possibilité de
peser sur la majorité PS-PCF, à condition de mobiliser la population
laborieuse.
Dans
la Fonction publique, les choses ont été tout aussi claires. Toutes les
journées d'action organisées depuis 2012, sans exception, ont eu pour fonction
d'accompagner et de justifier la participation au dialogue social du
gouvernement : que ce soit celle appelée au moment de l'engagement de la
concertation sur l'agenda social Fonction publique du gouvernement en février
2012 ou bien celle du 15 mai 2014 au moment où doivent débuter les négociations
à partir du rapport Pêcheur qui constituent une nouvelle étape dans l'offensive
contre le statut.
La
direction confédérale porte donc la responsabilité d'avoir permis au
gouvernement de porter des coups redoublés contre les travailleurs conformément
aux exigences de la bourgeoisie. De la loi sur la sécurisation sur les parcours
professionnels, en passant par la réforme des retraites et au pacte de
responsabilité, c'est à une aggravation constante des attaques contre les
salariés et la jeunesse qu'a conduit le dialogue social. Pour le mesurer, il
suffit d'ailleurs de comparer le contenu de la loi sur la sécurisation des
parcours professionnels avec celui du projet de loi El Khomri, qui généralise
l'offensive contre les conventions collectives et donne un droit
quasi-discrétionnaire aux patrons pour licencier, quelle que soit la taille de
l'entreprise.
Thierry Lepaon : le
dialogue social incarné
Des
premières tensions à l'intérieur même de l'appareil confédéral se sont
exprimées avant le 50e
congrès (mars 2013) par une lutte publique autour de la succession de B.
Thibault. C'est Thierry Lepaon qui a été désigné par défaut avant le 50e
congrès, les autres candidats ayant été récusés. Il est incontestable que T.
Lepaon (passé par le Conseil économique et social et environnemental, sorte de
laboratoire du dialogue social sous direction du patronat), tant par sa
personnalité que par ses prises de position, personnifiait le dialogue social
encore plus que d'autres.
Le
premier discours qu'il fait en tant que secrétaire général, son discours d'ouverture
du 50e congrès, est d'ailleurs totalement axé sur le travail comme
point d'entrée de l'activité revendicative. Quoi de plus normal en apparence
pour le dirigeant d'une organisation syndicale ? Sauf qu'il ne s'agit pas de
traiter des questions classiques de durée du travail et de rémunération, mais
de l'inverse. Car ce dont il s'agit, en faisant miroiter des choses aussi
illusoires en régime capitaliste que la recherche de l'épanouissement des
salariés et la réalisation de la démocratie dans l'entreprise, c'est de pousser
à l'association des salariés à la marche de l'entreprise, c'est-à-dire
précisément ce qui s'oppose aux revendications classiques des salariés en
matière de salaire et de temps de travail.
Sur
le fond, il n'y a là rien de bien nouveau. En effet depuis le 44e congrès de la CGT en 1992 et la restauration
du capitalisme en URSS, l'appareil CGT, sous la direction de Louis Viannet, a
fait expurger des statuts l'expropriation du capital, en 1995, et mis l'accent
sur la démocratie dans l'entreprise, l'association des salariés à la marche de
l'entreprise, le travail comme axe revendicatif et les réformes de structure à
réaliser dans la CGT pour l'adapter aux exigences du capital. Mais depuis,
l'appareil butte sur la résistance des syndicats et sections à prendre en
charge cette orientation corporatiste qui est contradictoire à ce qu'est la
CGT, à sa nature de classe. Le discours de Lepaon au 50e congrès
exprime le fait que pour l'appareil, en mars 2013, on ne peut plus
tergiverser : il faut en passer aux accords d'entreprise contre les
conventions collectives (c'est à ce moment-là que l'ANI instaure les accords
d'entreprise dits « défensifs » contre les conventions collectives),
il faut attacher la CGT et ses militants au char de l'entreprise, c'est-à-dire
aux nécessités de l'exploitation capitaliste. La défense des intérêts de la
bourgeoisie française l'exige. Lepaon est celui qui exprime le plus ouvertement
la ligne de l'appareil.
Il
est aussi celui qui insiste le plus sur les aspects positifs des
contre-réformes. La ligne qu'il défend ne diverge en rien de celle de Thibault,
mais la façon qu'il a de faire ressortir les aspects positifs des
contre-réformes heurte. C'est ainsi que lorsqu'il vient au meeting de rentrée
de l'Union départementale à Marseille, début septembre 2013, et déclare « ne boudons pas notre plaisir » à
propos de la prise en compte de la pénibilité pour justifier le fait que la CGT
n'appelle pas au retrait du projet de loi sur les retraites, une grande partie
des 500 militants présents sont interloqués.
Pour
l'essentiel, le 50e congrès constitue une victoire pour
l'appareil : il a pu éviter que la confédération exige le retrait du
projet de loi dit « de sécurisation des parcours professionnels » et
que soit organisé un vote séparé sur le syndicalisme rassemblé, c'est-à-dire
l'alignement sur la CFDT. Néanmoins, les votes d'approbation pour l'activité et
l'orientation marquent déjà un tassement.
Jusqu'où prendre en charge
et sous quelle forme ? Aux origines de la crise de direction de la CGT
De
même qu'au plan politique, la prise en charge de la politique du gouvernement,
déroute électorale après déroute électorale, n'ouvre aux députés du PS, à des
centaines d'élus locaux que la perspective d'un bon de sortie et parfois d'une
inscription à Pôle emploi, la prise en charge de la politique du gouvernement
par la direction confédérale affaiblit la CGT de manière significative - les
résultats aux élections professionnelles dans une série de secteurs de grande
importance dès le second semestre 2014 en sont l'expression. Cela conduit des
fractions de l'appareil à se demander s'il ne faut pas que la CGT s'affiche un
peu moins en positif vis-à-vis de la politique gouvernementale.
Les
choses vont se cristalliser à l'occasion de la conférence sociale de 2014 qui
porte sur le pacte de responsabilité. En réalité, sur le pacte de
responsabilité, l'essentiel s'est passé avant la conférence sociale, avec le
« oui » donné en janvier avec la CFDT par avance à la concertation,
la journée d'action sans mot d'ordre le 18 mars et le fait que le vote de
principe soit passé à l'Assemblée sans qu'aucune mobilisation n'ait été
organisée en direction de l'Assemblée. Grosso modo, le boulot avait été fait.
Il ne restait qu'à organiser la participation aux concertations dans les
branches sur la déclinaison du pacte de responsabilité, mais cela pouvait être
fait en dehors de la conférence sociale. Quel intérêt cela présentait-t-il de
s'afficher encore une fois en porteurs de valises du gouvernement et de
participer du début à la fin à la conférence sociale ? Ce n’était pas
l'appel une fois de plus à une journée d'action le 26 juin pour tenter de
donner une coloration revendicative à la participation qui était de nature à
tromper qui que ce soit. C'est pourquoi, au sein même de la Commission
exécutive confédérale des voix s'élevèrent pour demander que soit donnée une
autre « image» de la CGT. Ces membres de la direction faisaient connaître
un courrier aux instances confédérales qui trouvait immédiatement un écho
auprès des directions locales de syndicats. Résultat de cette pression, les
représentants de la CGT participeront à la première journée de la conférence,
celle qui compte vraiment parce qu'elle vaut approbation de la méthode du
dialogue social puis ils quitteront la conférence : une posture.
Il
est éminemment probable qu'on ne peut dissocier ces « frictions « dans
l'appareil des révélations dont fera l'objet à la fin de l'année Lepaon
concernant un certain nombre de faits avérés révoltants pour tout militant
ouvrier. Mais personne n'est dupe : la pratique consistant à attribuer des
primes de dizaines de milliers d'euros sous forme d'indemnités de rupture de
contrat est loin d'être réservée au seul Lepaon dans l'appareil. En réalité
Lepaon a été éjecté car une partie de l'appareil a considéré qu'il menaçait ses
positions. Il n'en demeure pas moins que les révélations sur les mœurs et
prébendes de l'appareil affaiblissent l'autorité de l'ensemble de ses
composantes dans une organisation où, stalinisme oblige, des générations
entières ont été formées à l'obéissance aveugle à la direction. Cet
affaiblissement de l'autorité de l'appareil sur l'organisation est renforcé par
le fait qu'au sein des bases militantes les doutes sur le fond sont déjà bien
présents.
La direction Martinez est
sur la même orientation
Les
paroles sont plus radicales : on parle des 32 heures, du fait que les
représentants syndicaux ne doivent pas passer tout leur temps à discuter avec
les patrons, mais pour autant il n'est question que d'un rééquilibrage entre le
dialogue social avec les patrons et les rapports avec les salariés.
Alors
quid sur le fond ? L'épisode de la reprise du dialogue social sur la loi
Rebsamen à l'initiative de FO mais aussi de la CGT et les propositions
consistant à officialiser le fait qu'il n'y a pas de représentation syndicale
dans les très petites entreprises (TPE) en disent long. Les négociations sur le
dialogue social et les seuils sociaux ont été engagées à la demande du
gouvernement fin 2014-début 2015 afin de pousser à une fusion des institutions
représentatives du personnel (IRP) dans une délégation unique des personnels
(DUP) qui permettrait de supprimer les délégués du personnel et de créer un
cadre qui favorise l'association des représentants du personnel à la bonne
gestion de l'entreprise. Une attaque en règle donc contre le droit syndical.
Or, la confédération a couvert ces « négociations « par sa participation. Il se
trouve que la CGC, contre toute attente, a empêché la signature de l'accord. Le Monde s'est interrogé : est-ce
la fin de la méthode du dialogue social ? Non, car à la demande de FO et de la
CGT, la concertation a repris sur la base du projet de loi Rebsamen... qui
reprend les exigences du MEDEF. Mais il faut dire que, encore une fois, il y
avait des « droits nouveaux », puisqu’à la demande en particulier de
la délégation CGT a été créée une représentation paritaire extérieure pour les
très petites entreprises (TPE). Le droit syndical en dehors de l'entreprise,
voilà en effet un droit tout à fait nouveau !
Ce
qui se passe autour de la conférence sociale d'octobre 2015 en dit également
très long. Il faut rappeler que le contexte, c'est le rapport Combrexelle, donc la loi travail en préparation, c'est la
question du Compte personnel d'activité (CPA). Autrement dit, un contexte où la
question de la rupture du dialogue social se pose avec encore plus de gravité
que lors des années précédentes. Or, la direction confédérale a prévu le
scénario suivant : Martinez participerait à la première journée, celle où
s'affiche le soutien politique à la méthode du dialogue social et ensuite des
représentants de moindre importance prendraient le relais la seconde journée
dans le cadre des groupes de travail thématiques. Autrement dit, une posture
pire qu'en 2014 : une participation accompagnée d'un faux départ ! Ce
qui va imposer la non-participation, c'est l'arrestation le 13 octobre au matin
par les flics qui viennent les cueillir à 6 heures à leur domicile, comme s'ils
faisaient partie du grand banditisme, de travailleurs d'Air France, dont une
majorité de militants de la CGT, qui ont participé à l'investissement du comité
d'entreprise d'Air France contre le nouveau plan de suppression d'emplois et de
licenciements. Dans un premier temps, la CGT Air France a condamné les
violences de toutes sortes, renvoyant dos-à-dos la direction et son énième plan
avec menace de licenciements et la réaction des travailleurs qui, excédés, ont
osé s'en prendre au DRH ou plutôt à sa chemise…
Mais
les appels de Valls à la répression contre les travailleurs qualifiés de
voyous, la déclaration de Hollande qui vient préciser que le seul rôle dévolu
aux organisations syndicales consiste à participer à un « dialogue social apaisé »,
c'est-à-dire à prendre en charge les mauvais coups, plus le passage en force du
gouvernement sur le protocole PPCR dans la Fonction publique, poussent cette
fois-ci à un mouvement venu d'en bas : des dizaines de syndicats et de
sections interpellent les instances nationales de la confédération pour leur
dire qu'il est inconcevable dans ces conditions de se prêter à l'opération
dialogue social du gouvernement. Fait significatif : la décision sera
prise dans une Commission exécutive confédérale réunie le mercredi 14 au
soir : la non-participation l'emporte d'une voix. Que dans une telle
situation le résultat fut aussi partagé est lourd de signification sur la
position réelle de l'appareil.
Tout aussi
lourd de signification est le fait que vis-à-vis de l'état d'urgence proclamé
par le gouvernement, la direction confédérale se soit contentée de faire des
phrases - contre « l'état
d'urgence permanent », d’exprimer un « rejet absolu », d’affirmer que pour elle « c'est définitivement non » ;
le fait est : Martinez s'en est d'ailleurs vanté en déclarant que la CGT a
« alimenté le débat »,
jamais la direction confédérale ne s'est opposée réellement au gouvernement en
menant combat pour la levée immédiate de l'état d'urgence et contre le projet
dit de réforme pénale qui renforce la marche à l'État policier en instaurant
« la loi la plus sévère d'Europe »
selon Le Monde, c'est-à-dire la plus
restrictive d'Europe pour les libertés démocratiques.
La politique gouvernementale
évacuée du rapport d'activité soumis au 51e congrès
La
première caractéristique des rapports soumis au 51e congrès est le
fait qu'ils ne partent pas de la situation réelle, de ce à quoi les
travailleurs sont confrontés. D'ailleurs, lorsque le rapport d'activité déclare
qu'il faut s'appuyer sur «ce que la CGT
réalise, imagine et innove plutôt que sur ce que nous subissons », il
l'indique : pour définir l'orientation, il ne faut pas partir de la
situation réelle, des attaques redoublées que subissent les travailleurs pour
les combattre. Aussi n'est-il pas étonnant qu'il n'y ait dans les rapports pas
un mot sur le pacte de responsabilité ainsi que sur la contre-réforme 2013 des
retraites, des détails sur lesquels il n'y a pas lieu de revenir… Sur la
réforme territoriale, qui est indissociable de la réduction drastique des
dotations budgétaires, ce qui est mis en avant ce n'est pas le combat contre la
loi NOTRe, le développement de l'intercommunalité, le développement massif de
la mobilité que cela implique pour les personnels ; non, c'est la création
d'instances de concertation aux niveaux national, régional et départemental,
visant à associer salariés et usagers à l'organisation et à l'évaluation des
services publics. Idem sur le temps de travail : les 32 heures sont mis en
avant, mais les accords d'allongement du temps de travail sont placés sous
silence tout comme la concertation qui se développe déjà, au moment où s'écrit
le rapport d'activité, sur la loi travail.
Il y
a un grand absent dans le rapport d'activité, c'est la politique
gouvernementale. Il y est bien question d'une crise de la démocratie française,
mais elle proviendrait du fait que la démocratie est confisquée par quelques
grands groupes, que l'Union européenne s'inscrit dans cette construction. Du
gouvernement français, il n'est pas question ; par contre, le rapport fait des
phrases sur les conséquences qui en résultent, comme l'abstention, le repli sur
soi, le nationalisme, le racisme, la xénophobie... Un paragraphe entier du
rapport d'activité est consacré à la crise de la démocratie française. Il
décrit : « le sentiment de
malaise, de choses qui nous échappent, la perception de décisions prises on ne
sait où, quand et par qui est dominant. Toutes ces réalités vécues au quotidien
entraînent des phénomènes de désarroi qui se traduisent par le désengagement et
l'abstention. Elles entraînent aussi la colère, le repli sur soi, le populisme,
la violence dont se nourrissent le Front national comme l'antagonisme
religieux. Face à cette montée de la haine, la CGT mène conjointement le débat
idéologique et l'action pour développer la solidarité, la fraternité, l'égalité
et la liberté entre les peuples. Elle l'a fait autour de la formidable
mobilisation après le drame de Charlie Hebdo et les attentats du 13 novembre.
Elle le fait aussi avec la quasi-totalité des organisations syndicales dans les
initiatives pour dénoncer l'idéologie du Front national ».
Dans
ce passage, il n'y a pas un mot sur le fait que le premier déni de démocratie
dans le pays est le fait que la politique du gouvernement est la négation du
vote de 2012 contre Sarkozy et pour l'élection d'une majorité PS-PCF. Pas un
mot pour expliquer que c'est la politique gouvernementale qui est responsable
de la « colère », « du
repli sur soi », du développement massif de l'abstention et de la
montée en puissance de l'extrême-droite populiste. Il faut ajouter que
lorsqu'il aborde la question des interventions militaires, le rapport évoque
les interventions militaires en général qui constituent le terreau sur lequel
le terrorisme se développe, il n'est pas question des interventions de ce
gouvernement, du gouvernement français, pour en exiger l'arrêt immédiat. Le
seul moment où le gouvernement est cité et critiqué c'est pour être passé en
force sur la loi Macron, pour dire : « il n'y a pas assez de
concertation, de dialogue social ».
En
évacuant la responsabilité du gouvernement du rapport d'activité, la direction
Martinez sait ce qu'elle fait. La preuve en est son discours d'ouverture du
congrès, le 18 avril, qui montre que, quand il le veut, Martinez sait s'en
prendre directement au gouvernement. Il déclare : « le gouvernement actuel prolonge et amplifie
ce que faisait celui présidé par Nicolas Sarkozy : (...) il renforce les
aides aux entreprises, en majorité les plus grandes ». Ou bien
encore : « les différents ANI,
les lois Rebsamen et Macron, ont été autant de coups portés au monde du travail
mais avec la loi travail, Hollande et Valls nous proposent purement et
simplement un retour au XIXe
siècle ». De même en ce qui concerne les conflits militaires, le
discours affirme que « notre pays
est particulièrement actif dans nombreux de ces conflits (...) F. Hollande se présente
en chef de guerre, espérant ainsi redorer son blason en reprenant le flambeau
des Bush, de Poutine ou de Netanyahou ».
Cela
étant, ce ne sont que des phrases, car devant l'injonction de Cazeneuve qui au
même moment indique la limite à ne pas franchir en dénonçant une affiche du
syndicat CGT Info' Com contre les violences policières pourtant bien réelles
commises en particulier sur les cortèges de jeunes manifestants et pour
empêcher les étudiants de se réunir en AG dans les facs, immédiatement Martinez
s'exécute : au lieu de renvoyer Cazeneuve à sa responsabilité d'avoir
ordonné ces violences, il organise dans le congrès un point presse pour se
désolidariser du syndicat Info' Com : l'affiche n'est pas sur le site de
la confédération, explique-t-il.
Pourquoi
ce double langage ? Parce que le rapport d'ouverture a essentiellement pour
fonction de permettre à la direction de maîtriser le congrès, ce qui autorise
des phrases gauches, d'autant plus qu'entre-temps la direction Martinez a dû
concéder le mot d'ordre du retrait du projet de loi El Khomri devant la
pression venue d'en bas.
Mais
le rapport d'activité, lui, ne peut pas jouer avec les mots : non
seulement il a vocation à être pérennisé par le vote du congrès, mais surtout
il doit être en cohérence avec le projet de document d'orientation qui est
entièrement écrit sous l'angle du syndicalisme de proposition, c'est-à-dire du
refus de combattre la politique du gouvernement.
Le document
d'orientation : un outil au service du syndicalisme de proposition
Dans
le prolongement du 50e congrès, le projet de document d'orientation
remet cela sur la fameuse approche revendicative à partir du travail (voir plus
haut) qui vise, sous prétexte de « transformer
le travail » (Le Peuple), à
attacher les salariés à la bonne marche de leur entreprise, l'association
capital-travail au sein de chaque boîte, en proposant que la CGT « aide les salariés à s'emparer [lire :
se soumettre] de la stratégie de
l'entreprise, de l'administration afin que la finalité de leur travail réponde
aux besoins sociaux. » Il ajoute incidemment : « C'est ce qu'on appelle le processus
de construction des luttes ».
Mais
faire de la prétendue nécessité de « peser
sur la stratégie de l'entreprise pour rendre le travail émancipateur »,
selon les termes du rapport, le processus même de construction des luttes, ce
n'est pas n'importe quelle affirmation dans la CGT, c'est-à-dire dans une
organisation où « la lutte », même sous une forme totalement pervertie,
fait partie, en raison de la place historique de la CGT dans les combats du
prolétariat en France, de son ADN : c'est une remise en cause de la nature
ouvrière de la CGT.
Un
thème entier (il y en a 5) est consacré à la « construction des
luttes » dans le projet de document d'orientation. Or c'est un véritable
mode d'emploi sur les différentes manières de ne pas s'opposer à la politique
du gouvernement et à la bourgeoisie. Il y est dit dans le § 141 : « les luttes s'inscrivent dans le champ de
décisions politiques. C'est le cas lors d'un projet de loi où la CGT fait
connaître ses propositions, ses désaccords éventuels sur des réformes... La
question n'est donc pas d'avoir une posture syndicale par rapport à une posture
politique, mais d'agir pour défendre et étendre les droits des salariés, à
partir de toutes interventions adéquates : propositions de nouveaux
droits, contributions aux textes de lois, pétitions, manifestations, recherche
d'élargissement du mouvement, adresse à l'opinion publique, interventions
auprès des élus ». Il y a dans ce paragraphe toute la panoplie des
artifices utilisés pour ne pas s'opposer, jusqu'aux interventions auprès des
élus que l'appareil a opposées systématiquement au combat centralisé des
travailleurs et de la jeunesse pour contraindre la majorité PS-PCF à rejeter
les contre-réformes. Mais le plus significatif est le fait que l'énoncé
commence par les propositions de nouveaux droits, autrement dit il ne s'agit
surtout pas d'exiger le retrait des contre-réformes.
Ce
qu'il en est des nouveaux droits, de leur nature et de leur fonction, le Compte
personnel d'activité en est le meilleur exemple. La discussion ouverte sur le
CPA démontrerait « que les
revendications et propositions de la CGT sur le nouveau statut du travail salarié
et la sécurité sociale professionnelle, forgées il y a plus de 15 ans, sont
d'une modernité sans faille », affirme le rapport d'activité.
D'une
modernité sans faille ? En réalité, il s'agit d'abord d'une manœuvre
politique. Car le fait que le gouvernement a commencé par ouvrir une
négociation sur le CPA avant de l'intégrer en tant que tel dans le projet de
loi El Khomri, a eu pour fonction d'associer les directions syndicales,
particulièrement la CGT, à l'élaboration du projet de loi et d'éviter qu'elles
s'y opposent frontalement en exigeant son retrait. Sur le fond, en guise de
droits nouveaux, le CPA s'inscrit dans une logique d'atomisation du
prolétariat, de liquidation des garanties collectives du salariat. De ce point
de vue, lorsque le projet de rapport d'orientation affirme que « le nouveau statut du travail salarié doit
intégrer les nouvelles formes de travail tels que les auto-entrepreneurs et les
formes d'emploi telles que l'ubérisation », cela revient à s'aligner
sur la position exposée par Hollande selon laquelle la création du CPA est
faite pour prendre en compte toutes les formes d'emploi, le passage de l'une à
l'autre, d'un statut de salarié à un statut d'auto-entrepreneur. C'est la
perspective pour les travailleurs et la jeunesse d'une précarité à vie, en
passant d'un statut précaire à l'autre, avec pour seuls droits des droits dits
« rechargeables » donc eux aussi précaires. Le CPA est donc,
effectivement, d'une « modernité sans faille », mais seulement si
l'on se place du point de vue de la bourgeoisie.
Sur
ces bases d'adaptation à la politique gouvernementale, le rapport d'orientation
reprend à son compte les évolutions des structures de la CGT inscrites dans les
résolutions 4, 5 et 6 adoptées au 49e congrès mais qui demeurent
pour l'essentiel non appliquées. Il pousse plus loin dans le sens de la
territorialisation des structures de la CGT et de l'adaptation à la
régionalisation, en cherchant à faire passer une régionalisation des structures
de la CGT qui devrait être entérinée lors du 52e congrès.
Conséquence
logique, la réaffirmation du choix du syndicalisme rassemblé avec la CFDT. Le
rapport d'activité y apporte un vibrant soutien en déclarant que la CGT est
« viscéralement attachée au
syndicalisme rassemblé » ; quant à la résolution n° 3 du projet
de rapport d'orientation, elle affirme : « pour un syndicalisme rassemblé vers la transformation sociale,
la CGT et ses syndicats s'engagent … à faire de la convergence d'action un
objectif permanent par l'unité syndicale la plus large possible sur des bases
revendicatives communes et partagées ».
Des « bases revendicatives communes et
partagées » avec la CFDT,
soit exactement ce qui a été fait le 23 février et conduit à soutenir la
politique gouvernementale en s'alignant sur la CFDT.
23 février :
l'alignement de la direction Martinez sur la CFDT, sur le projet de loi El
Khomri
D'abord,
un constat : il y a bien eu concertation sur le projet de loi en gestation,
même si elle a eu lieu en catimini. En témoignent, les récriminations de FO se
plaignant de rectifications de dernière minute. Mais une fois le projet révélé
dans la presse, plus personne ne peut faire semblant. Laurent Berger s'exprime
dans une interview au Monde du 20
février. Dans cette interview, il distingue très clairement ce qui constitue un
casus belli : en particulier, le
plafonnement des indemnités prud’homales, accessoirement les licenciements
économiques. Il ajoute : « la
CFDT n'est pas opposée à agir avec d'autres, mais si c'est pour s'opposer au
renforcement de la négociation contenu dans le texte, ce ne sera pas
possible ». Autrement dit, il n'est pas question d'action commune si
c'est pour s'opposer à ce qui est au cœur du projet, c'est-à-dire l'inversion
de la hiérarchie des normes : le fait qu'un maximum de choses, durée du
travail et rémunérations, devrait être déterminé maintenant au niveau de
l'entreprise, conduisant à ce qu'il y ait un code du travail par entreprise, autrement
dit plus de code du travail véritable. Berger précise qu'il est d'accord aussi
sur l'introduction par la loi du recours au référendum qui généralise la
jurisprudence SMART et donne aux patrons un moyen supplémentaire pour mettre la
pression sur les organisations syndicales dans le cadre de la négociation
d'entreprise, en les obligeant à avaliser les mauvais coups sous peine de
risquer de voir les salariés leur être opposés dans le cadre des référendums.
Dans cette interview, Berger a tracé la ligne rouge : pas question d'unité
pour combattre le projet, ce qui est conforme à la nature bourgeoise de la
CFDT.
Le 23
février, les organisations syndicales se réunissent au siège de la CGT. Il en
ressort un communiqué commun. En se bornant à demander « le retrait de la barémisation des indemnités
prud’homales dues en cas de licenciement abusif et des mesures qui accroissent
le pouvoir des employeurs », c'est un copié-collé des positions
exprimées par Laurent Berger. On est là dans l'exact prolongement des positions
de la confédération de 2010, c'est le « syndicalisme rassemblé ».
Voilà ce qu'il en est des positions réelles de Martinez et de son équipe.
La direction Martinez a dû
tourner
Mais
la déclaration commune du 23 février a soulevé une tempête au sein de la
confédération : des responsables d'unions départementales ont
vigoureusement dénoncé cette déclaration comme une honte. Elle soulève une
protestation générale dans les réunions de militants. Des fédérations se dressent
contre la déclaration du 23 (la fédération du commerce, cf. l'édito de CPS du 7 avril). La protestation dans la
CGT contre la déclaration du 23 est d'autant plus forte qu'elle peut s'appuyer
sur la déclaration des organisations de jeunesse qui, le 25 février, appellent
à une journée de mobilisation le 9 mars sur la base du mot d'ordre du retrait,
ainsi que sur le succès de la pétition « loi
El Khomri non merci » qui fait un tabac sur Internet. Résultat :
la direction Martinez ne peut plus tenir, elle doit se prononcer pour le
retrait, ce qu'elle fait le 29 février. C'est pourquoi le 3 mars, les choses ne
se passent pas de la même façon : l'intersyndicale associant la CGT, FO,
la FSU et les organisations de jeunesse se prononce pour le retrait, même si
elle maintient l'exigence des « droits nouveaux », comme un fil qui
n'est pas rompu avec la concertation. La direction confédérale a dû concéder à
la base militante ce qu'elle s'était refusée à faire depuis le CPE en 2006.
Qui
plus est, le 9 mars, sous la pression de la base, l'appareil a dû accepter de
convertir les rassemblements prévus en manifestations, et ce dans toute la
France. Par contre, il a réussi à faire reporter par l'intersyndicale la
prochaine journée de mobilisation au 31 mars, ce qui laissait largement le
temps pour que s'essoufflent les mobilisations de la jeunesse qui se
retrouveront isolées.
Isolées,
les tentatives de mobilisation de la jeunesse vont être confrontées dès le 17
puis le 24 mars à un déchaînement de la violence policière contre les
manifestants, des facs sont investies pour en vider les étudiants. Or,
l'appareil ne protège pas les manifestations de la jeunesse.
Les
manœuvres conjointes contre la mobilisation de la jeunesse ont certes pu
empêcher son développement, mais le 31 mars, les manifestations sont
imposantes : des centaines de milliers de manifestants, de nombreux
cortèges du secteur privé, avec des banderoles unitaires, se prononcent sans
ambiguïté pour le retrait. Par contre, aucun mouvement vers la grève, sauf à la
SNCF, où les travailleurs sont confrontés à la remise en cause de leur statut
au profit de l'établissement d'une convention collective, alors que les
journées d'action auxquelles les conducteurs s'associent massivement sont
conduites sur le mot d'ordre pour une « convention collective de haut
niveau », ce qui suppose la liquidation du statut des cheminots…
Le syndicat CGT Goodyear
montre la voie
Dès
lors, la question est incontournable : va-t-on rejouer le scénario de 2010
avec les journées d'action décentralisées à répétition jusqu'à épuisement des
potentialités de mobilisation ? Comment défaire le gouvernement dans ces
conditions ? N'est-il pas évident qu'il faut regrouper toutes les forces à
Paris, les centraliser au siège du pouvoir ? Le syndicat CGT Goodyear va
apporter une réponse à cette question.
Déjà
avant le 49e congrès, en 2009, au moment où les travailleurs étaient
confrontés aux plans sociaux en série, le syndicat CGT Goodyear avait
déclaré : « la réaction de la
CGT est inexistante. Nous n'avons eu droit qu'à des mobilisations éclatées sur
plusieurs mois. Nous sommes tous là en train de crever dans nos coins alors que
tous ensemble nous aurions déjà gagné ».
La
différence, c'est que, cette fois, ce syndicat va préciser la forme que peut
revêtir le « tous ensemble », en tirant les leçons des 11 journées
d'action décentralisées de 2010 qui avaient débouché… sur la défaite. Le 9
avril, après une première amorce le 18 mars, il fait paraître une pétition qui
dit : « mais que fout la
confédé CGT, qu'attendent-ils pour jeter toutes nos forces dans la bataille
contre la loi travail ? Si nous le décidons, dans les conditions actuelles
nous sommes capables d'organiser à Paris le 28 avril une manifestation unitaire
de plus d'un million de personnes pour arracher le retrait de la loi travail.
(...) Il faut que cela change et le 51e Congrès doit être le
tournant par lequel la CGT reprend possession de ses forces (...) Décidons à
notre congrès à Marseille d'organiser une manifestation d'une ampleur sans
précédent le 28 avril tous ensemble à Paris pour imposer le retrait de la loi
El Khomri ».
La
position du syndicat CGT Goodyear est un point d'appui, même si elle ne pose
pas la question de la réalisation du front unique des organisations syndicales
pour l'organisation de la manifestation nationale et même si elle ne précise
pas que la manifestation nationale, ce n'est pas le trajet Nation-Bastille
qu'elle devra emprunter, car elle devrait plutôt être dirigée vers le siège du
pouvoir pour engager l'épreuve de force avec le gouvernement.
Le congrès de
Marseille : « l'extrême-gauche » vole au secours d'une direction affaiblie
Mais le
syndicat CGT Goodyear ne va pas pouvoir exprimer librement cette position dans
le congrès qui s'ouvre le 18 avril à Marseille. Or le syndicat CGT Goodyear
n'est pas n'importe quel syndicat, c'est celui des 8 de Goodyear, qui viennent
d'être condamnés à 24 mois de prison dont 8 mois fermes sur plainte du parquet,
c'est-à-dire du gouvernement. Les 8 de Goodyear, au même titre que les
travailleurs d'Air France poursuivis, incarnent la politique répressive du
gouvernement à l'égard des travailleurs, politique qui a été parfaitement
résumée à Air France : le mouvement syndical doit pratiquer le
syndicalisme apaisé, si tel n'est pas le cas, en cas d'action sur le terrain
direct de la lutte de classe, ce sera la répression la plus féroce. Voilà quel
est le sens de la répression qui frappe les travailleurs de Goodyear. C'est
pourquoi elle est emblématique et appelle une riposte du niveau le plus élevé
possible. Normalement, c'est le syndicat Goodyear qui aurait dû ouvrir le
congrès CGT, et le congrès les accueillir debout. C'est ce qui aurait d être
organisé, c'est ce que l'on est en droit d'attendre de n'importe quelle
direction syndicale digne de ce nom, ne serait ce que parce que cela aurait
permis de donner immédiatement une dynamique au congrès.
Mais
faire de la défense des Goodyear un emblème et leur donner la parole pour
exprimer leur proposition de rassembler toutes les forces à Paris aurait été à
l'encontre de toute l'orientation défendue par la direction Martinez :
cela est hors de question, car cela signifierait une position d'affrontement
avec le gouvernement. C'est pourquoi, les Goodyear vont apprendre que leur
demande d'intervention est repoussée au jeudi soir à 18 heures. Le jeudi soir à
18 heures, c'est l'heure à laquelle le congrès s'achève, celle de l'apéro qui
précède la soirée conviviale. Encore faut-il préciser que le jeudi soir, en
guise de séquence de lutte contre la répression anti-syndicale, ce sont des
sketches avec des comédiens qui sont organisés, ce qui a eu le don de mettre
mal à l'aise une grande partie des délégués.
Le
syndicat CGT Goodyear ne s'est pas prêté à ce simulacre, il a eu raison. Après
avoir déclaré qu'il interviendrait dans le congrès le mardi après-midi, il a
renoncé devant les risques d'affrontement avec le service d'ordre. Mais comment
se fait-il que les délégués dits « d'extrême-gauche » (POI, LO, NPA…)
n'aient rien dit et fait contre le traitement inadmissible dont ont fait
l'objet les représentants du syndicat Goodyear ?
Le
congrès a été marqué par deux éléments majeurs. D'une part, la direction
confédérale a recueilli des votes historiquement faibles, aussi bien sur
l'activité, qui n'a été approuvée que par 58,9% des mandats, que sur le
document d'orientation amendé, qui n'a recueilli que 62,77% des mandats (80,63%
en 2013). C'est une première dans l'histoire de la CGT de voir la direction
sortir d'un congrès avec un soutien aussi faible. De l'avis général, s'il y
avait eu un vote séparé sur le « syndicalisme rassemblé », la
direction aurait été balayée. La presse du capital rapporte avec dépit qu'il
n'a pas été question des « droits nouveaux ». La direction
confédérale a été constamment sur la défensive durant le congrès : elle a
limité autant que faire se peut la possibilité de débattre et de décider, en
faisant en sorte que les amendements au document d'orientation qui n'avaient
pas été retenus en commission ne puissent être défendus en séance plénière, et
en empêchant nombre de délégués d'intervenir.
Mais,
d’autre part, autre fait notable, c’est que la direction a pu franchir sans
encombre l'épreuve du congrès. Certes quelques amendements véritables ont été
adoptés, ceux sur le « syndicalisme rassemblé », qui affirment qu'il
faut construire l'unité syndicale sur la base des revendications tout en
n'écartant pas la notion de syndicalisme rassemblé, ce qui vient en affaiblir
la portée, ou contre le CPA… Mais outre le fait que ces amendements sont très
peu nombreux, le document d'orientation tel qu'il est construit, même amendé,
demeure un mode d'emploi en faveur du syndicalisme de proposition.
Cela
étant, la question centrale du congrès était celle du combat contre le projet
de loi El Khomri. Et si la direction Martinez a pu franchir sans encombre
l'obstacle que pouvait représenter le congrès, c'est aux groupes dits
« d'extrême-gauche » qu'elle le doit, à ces groupes qui ont fait le
silence sur le sort fait aux Goodyear et à leur proposition d'un combat
centralisé pour défaire le gouvernement sur la loi El Khomri.
Certains
de ces groupes ont dit « grève jusqu'au retrait », d'autres
« grève reconductible », mais tous se sont situés sur le terrain
suivant : la direction propose et c'est la base qui décide. C'est
exactement le contenu de l'appel adopté par le 51e congrès. En
déclarant : « d'ici le 28
avril, la poursuite de la construction de l'action implique la tenue
d'Assemblées Générales dans les entreprises et les services publics pour que
les salariés décident, sur la base de leurs revendications et dans l'unité, de
la grève et de sa reconduction pour gagner retrait et ouverture de véritables
négociations de progrès social »,
il renvoie ouvertement la responsabilité aux Assemblées Générales pour
construire l'action. Or dans une situation où il n'y a pas plus de grèves que
d'assemblées générales, où il n'existe aucun mouvement vers la grève, une telle
position revient à dédouaner la direction confédérale en renvoyant la
responsabilité à la base qui n'en peut mais. Cet appel a été approuvé par ces
mêmes organisations à tel point que certaines – POI et NPA - l'ont publié sans commentaire,
le POID faisant dire à un de ses représentants : « la direction confédérale a
été obligée d'enregistrer et de tenir compte jusqu'à un certain point de la
pression des délégués ». La palme revient à Lutte ouvrière qui l'a
qualifié « d'appel fort et déterminé »,
et même « d'appel regonflant ».
Le point commun étant que l'ensemble de ces organisations l'ont présenté comme
un point d'appui, alors qu'il s'agissait d'une manœuvre de défaussement.
L'intervention
de Martinez le 28 avril au soir à Nuit debout est du même acabit : faire
un numéro sur les AG, l'action décidée en AG jusqu'à la grève, pour mieux
renvoyer la responsabilité sur la base selon une technique éprouvée.
En
réalité, la direction confédérale poursuit sur son orientation de journées
d'action décentralisées jusqu'à épuisement : après le 31 mars et le 9
avril, il y a eu le 28 avril, qui s'est traduit par un tassement prévisible,
puis le 1er mai, le tout accompagné d'un déchaînement de violences
policières - à l'égard desquelles la réaction de l'appareil a été constamment
de renvoyer vers les forces de police pour protéger les manifestations alors
qu'elles n'ont cessé de les agresser (voir la déclaration du 14 avril qui
déclare : « les organisations signataires
rappellent une nouvelle fois que les pouvoirs publics doivent garantir le droit
à manifester, à se réunir, à s'organiser tout en assurant la sécurité des
manifestants »).
Tirer le bilan pour se
réapproprier la CGT
Il
est un fait que dans le 51e congrès des syndicats et des délégués
sont intervenus pour protester contre le traitement infligé aux Goodyear et que
certains ont expressément pris fait et cause pour le rassemblement de toutes
les forces à Paris, telle cette déléguée du CHRU de Lille qui pose la question
dans son intervention : « Quand
faisons-nous la démonstration de nos forces unies, rassemblées à Paris ?
N'attendons pas que ce mouvement s'épuise, ne nous laissons pas piéger par le
jeu de la montre et de l'usure de ce gouvernement et proposons des bus ouverts
aux jeunes pour que nous convergions toutes et tous vers la capitale » ou ce délégué de Paris qui
déclare : « j'aurais trouvé
normal qu'on ouvre le congrès avec nos camarades d'Air France et de Goodyear
pour discuter tout de suite de la lutte pour nos libertés et nos droits. Et je
reprends ici les mots du camarade de Goodyear : Tous ensemble, au
même endroit, au même moment et jusqu'au bout ».
C'est
ce à quoi les dirigeants de la CGT auraient dû appeler dans l'unité, en
particulier au moment où le projet de loi a été présenté le 3 mai à
l'Assemblée : tous ensemble à Paris en direction de l'Assemblée pour
imposer à la majorité de députés PS et PCF que nous avons élue de rejeter le projet
de loi El Khomri et infliger une défaite au gouvernement. Cela aurait
représenté un appel d'air pour tous les travailleurs en Europe, à commencer
pour les travailleurs et la jeunesse français.
Oui,
cela aurait constitué un appel d'air. Cette évidence vient souligner
l'hypocrisie du discours des dirigeants
syndicaux, ceux de la CGT en particulier - car ils sont champions de ce
genre de discours (confère le document d'orientation du 51e congrès)
-, qui invoquent en permanence l'absence d'alternative politique pour expliquer
la faiblesse des mobilisations, se dédouaner et justifier leur prise en charge
des contre-réformes, alors qu'en refusant d'organiser l'affrontement avec le
pouvoir pour obtenir satisfaction sur les revendications, ils contribuent eux-mêmes
à désorienter les travailleurs et à les démoraliser en leur bouchant toute
issue politique.
A la
différence de ce qui s'était passé depuis le CPE, la pression de la base a
obligé Martinez à se prononcer pour le retrait du projet El Khomri, le syndicat
Goodyear et certains délégués au congrès, tirant les leçons des journées
d'actions décentralisées à répétition de 2010, ont par leur propre réflexion
contribué à dégager la forme concrète de l'affrontement avec le pouvoir pour
gagner sur la revendication. Ils se sont adressés à leur direction syndicale
pour qu'elle assume sa responsabilité qui est de l'organiser. Mais ils se sont
heurtés à l'obstacle que représente la politique de l'appareil syndical et de
ses soutiens dits « d'extrême-gauche ».
C'est
pourquoi, aujourd'hui, il faut tirer le bilan de ce à quoi le syndicat Goodyear
et ceux qui les ont soutenus ont été confrontés, aller à la racine,
c'est-à-dire tirer le bilan de la politique de l'appareil et du dialogue
social.
C'est
indispensable pour aider les travailleurs et les militants qui cherchent à
utiliser leur syndicat pour combattre, à se le réapproprier.