Vers la liquidation du Parti socialiste ?

De capitulation en capitulation

En mai 2012 François Hollande, candidat du PS, a été élu à la présidence de la République (10,3 millions de voix au premier tour, plus de 18 millions au second). En juin 2012, aux élections législatives, 280 députés de PS étaient élus à l’Assemblée nationale alors que des dizaines de circonscriptions avaient été offertes aux Verts, au PRG et au MDC. Les candidats du PS ont obtenu 7,6 millions de voix au premier tour (29,4 %) et 9,4 millions de voix au second tour (40,9 %). Une majorité du PS et du PCF a été élue avec au total 290 députés. Une nouvelle fois, sans aucune illusion, le prolétariat et la jeunesse ont massivement voté pour le PS pour chasser Sarkozy et la majorité UMP-UDI.

Les gouvernements dirigés par Ayrault puis par Valls sont des gouvernements bourgeois au service du capitalisme français en crise. Ils ont mené une politique réactionnaire contre les travailleurs et la jeunesse. Cette politique dépasse en intensité des attaques de celle du gouvernement Sarkozy-Fillon. Face à ce gouvernement, le PS est allé de capitulation en capitulation. C’est sans difficulté majeure que le gouvernement a pu faire adopter chaque année les budgets (ceux de l’État et de la Sécurité sociale), le pacte responsabilité et le programme de stabilité. Le PS a capitulé sur la loi Macron, article 49ter ou pas. Sur le fond, les gesticulations des « frondeurs », présentés fallacieusement comme son aile gauche, n’ont pas signifié la moindre résistance réelle.

Le PS a soutenu sans faille la politique du gouvernement de renforcement de l’État policier. Il est reste muet suite à l’assassinat de Rémi Fraisse à Sirvens en octobre 2014. Après avoir voté la loi policière sur le renseignement, les députés du PS ont voté sans hésitation par trois fois l’instauration puis la prolongation de l’état d’urgence. On peut ajouter un quatrième vote sur la question de la réforme constitutionnelle. En un aucun cas, le PS n’a remis en cause l’inscription de l’état d’urgence dans la constitution. Effectivement une partie des députés du PS, un tiers environ, a refusé de voter sur la question de la déchéance de la nationalité. Mais pour la bourgeoisie, c’est une question secondaire. Il faut ajouter que le 16 mars, à l’unanimité, l’Assemblée nationale a adopté la loi sur la sécurité dans les transports qui en particulier autorise les services de « sécurité » de la RATP et de la SNCF à procéder à des contrôles d’identité, à des palpations des voyageurs et à faire appel à la police. Les députés du PS ont, le 9 mars, approuvé le projet de loi sur la révision de la procédure pénale, projet de loi qui, de fait, instaure les dispositions de l’état d’urgence en permanence.

Enfin, à ce jour, les députés du PS sont sur le chemin de la capitulation totale sur le projet de loi El Khomri. Les 15 et 16 mars, Valls et El Khomri ont présenté le nouveau projet devant les députés PS. Les Echos du 16 mars 2016 commente : « La majorité rassurée par l’ “équilibre“ de la nouvelle version de la loi travail. L’évolution de la position de la CFDT a apaisé le cœur du groupe PS. ». Ceux des députés qui manifestent leur opposition, à l’image d’Aubry ou des frondeurs, n’en demandent pas le retrait mais proposent une « réécriture », voire la « suspension ».

De défaite en défaite

Depuis 2014, le PS a subi défaite sur défaite au plan électoral. On peut même parler de déroutes. Il ne fait aucun doute que ses défaites ont pour cause première l’abstention de l’électorat qui avait porté Hollande à la présidence de la République.

Aux élections municipales de mars 2014, le PS a perdu presque un tiers des municipalités de plus de 10 000 habitants qu’il dirigeait en passant de 509 à 349. Le fait qu’il ait conservé la direction des municipalités de Paris, Lille et Lyon ne peut en rien occulter l’ampleur de la défaite. Aux élections européennes de juin 2014, le record de Michel Rocard lors de l’élection de juin 1994 a été battu. La liste Rocard avait obtenu 14,28 % des exprimés, ce qui lui avait valu d’être dans la foulée débarqué de la direction du PS. En juin 2014 le PS n’obtient même pas 14 % (13,98 %). Aux élections départementales de mars 2015, le PS a connu selon la presse, une défaite historique. Il perd la direction de 28 départements, soit la moitié de ses positions acquises lors de la précédente élection de ce type (maigre consolation, il gagne un département, la Lozère). La débâcle a été totale lors des élections régionales de décembre 2015, débâcle accentuée par la ligne du front républicain (voir plus loin). Le PS voit son nombre de conseillers régionaux réduit de quasiment la moitié (de 1006 à 520).

La décomposition du PS s’amplifie

Le dernier congrès du PS s’est tenu à Poitiers en juin 2015. Cambadélis, orfèvre en matière de traficotage et de manipulation des chiffres, a revendiqué 130 000 adhérents. Lors du vote sur les motions d’orientation, il y aurait eu 71 140 de votes exprimés, soit 54,52 %. Auparavant, en décembre 2014, Cambadélis avait soumis au vote des adhérents une charte des socialistes (il avait déclaré alors 150 000 adhérents !). Seulement 60 000 adhérents se sont exprimés. À n’en pas douter le nombre d’adhérents, sans parler de militants réels, est considérablement gonflé.

Les liens du PS avec les masses exploitées, l’ensemble du prolétariat, sont distendus à l’extrême. Depuis l’éclatement de la FEN en 1991, les seuls liens restants du PS avec les organisations syndicales se sont délités. La plus grande majorité des quelques adhérents du PS qui ont une activité syndicale dans les entreprises et la Fonction publique milite à la CFDT ou à l’UNSA, des syndicats pro gouvernementaux que l’on peut considérer sans vraiment forcer le trait comme des syndicats « jaunes ». Le PS possède encore - pour combien de temps, c’est à voir -, des milliers d’élus à tous les niveaux (députés, conseillers départementaux et régionaux, maires et conseillers municipaux, etc.). C’est d’ailleurs par ce canal que le PS garde un certain contact avec les masses, celui du « socialisme municipal ». Autour de ces derniers, quelques dizaines de milliers d’adhérents gravitent et constituent une partie du « monde associatif » et « citoyen », bénéficiant plus ou moins directement, sinon de prébendes, du moins « d’avantages ». Selon Le Monde du 28 janvier 2016, en termes d’assistants parlementaires, de conseillers des élus départementaux, régionaux et des maires, de chargés de mission et de personnel divers à tous les niveaux, le PS comptait 10 000 « collaborateurs ». Suite à la succession des défaites électorales nombre d’entre eux connaissent maintenant le sort de millions de travailleurs et de jeunes : ils pointent à Pôle emploi… et quittent le PS. La quasi-totalité de ses adhérents sont politiquement organiquement attachés à la société bourgeoise. Sa composition politique et sociale est une expression du caractère ultra-dégénéré du PS en tant que parti ouvrier bourgeois.

Dans ce contexte, les défaites électorales du PS depuis 2014 concourent à sa liquéfaction en tant que parti. Elles fournissent un terrain propice aux liquidateurs qui veulent en finir, au compte de la bourgeoisie,  avec le « parti d’Épinay ».

Manuel Valls

Suite à la défaite électorale des élections municipales de mars 2014, Valls a été désigné Premier ministre le 31 mars. Il était auparavant ministre de l’intérieur dans le gouvernement Ayrault. Valls a débuté sa carrière politique dans le sillage de son mentor Michel Rocard, c’est-à-dire de celui dont le combat constant a été la liquidation du PS. En 2001, il est élu maire d’Évry et en 2002 député de l’Essonne. Son action à la mairie d’Évry est marquée par le triplement des effectifs et l’armement de la police municipale, la généralisation des caméras de surveillance, l’expulsion de Roms, l’interdiction d’un supermarché halal… Valls a été franc-maçon de 1988 à 2005 et l’un de ses meilleurs amis est Alain Bauer, l’un des principaux conseillers de Sarkozy en matière de renforcement de l’État policier. Au sein du PS, Valls a été surnommé le « Sarkozy de gauche ». En 2015, Valls a été décoré par le roi d’Espagne « Grand-croix de l’Ordre d’Isabelle la Catholique », l’une des plus hautes distinctions héritée de l’État franquiste.

Manuel Valls a une idole et un modèle : Georges Clemenceau. Le portrait de Clemenceau trônait dans son bureau lorsqu’il était ministre de l’intérieur de François Hollande. Entre Clemenceau et Jaurès, entre le chef de l’Union sacrée pour soumettre le prolétariat à la première guerre impérialiste et celui qui a été assassiné pour avoir combattu contre la boucherie, Valls a choisi sans hésitation le premier. Georges Clemenceau ? Ministre de l’Intérieur de mars à octobre 1906, puis président du Conseil jusqu’en 1909, ce dernier revendiquait d’être « le premier flic de France ». Au pouvoir pendant cette période, Clemenceau s’est distingué par l’envoi massif de l’armée pour casser et faire tirer sur les manifestations ouvrières et de vignerons. À son actif, la mise en état de siège de Paris pour casser le combat des fonctionnaires en lutte pour obtenir le droit de grève. À son actif, des dizaines de prolétaires tombés sous le feu de la mitraille. À son actif, la répression massive contre les dirigeants et les militants de la CGT. À son actif, les premières lois répressives contre « les gens du voyage » et les Tsiganes. On comprend d’où vient l’acharnement de Valls contre les immigrés, particulièrement les Roms, le tout accompagné de propos racistes, et la fermeture quasi-totale des frontières aux réfugiés, se permettant, lors d’un déplacement en Allemagne de faire la leçon à Merkel.

Lors d’un dîner du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France) le 7 mars 2016, Valls a déclaré : « Il y a l’antisémitisme d’extrême droite mais aussi d’extrême gauche (…) il y a l’antisionisme, c’est-à-dire tout simplement le synonyme de l’antisémitisme et de la haine d’Israël » (Le Monde du 9 mars 2016). C’est un appel à la répression et à la poursuite judiciaire de tous ceux qui combattent pour les droits du peuple palestinien, contre la répression féroce qu’il subit de la part de l’État sioniste. La France est le seul pays d’Europe où l’appel au boycott des produits importés d’Israël peut être considéré comme un délit passible de poursuite pénale.

Un éditorialiste du Monde a écrit « Manuel Valls, un pseudo-socialiste qui trahit toutes les valeurs de la gauche » (Le Monde du 13-14 mars 2016). Effectivement, Manuels Valls est un élément exogène au PS, un corps étranger. Il suffit de rappeler que lors des primaires de 2011 pour désigner le candidat du PS (et du PRG), Valls n’avait recueilli que 5,6 % des suffrages exprimés. Valls, c’est de la réaction sur toute la ligne.

Succession d’agressions contre le PS

Suite à la débâcle des élections municipales, le 31 mars 2014, Valls a été nommé Premier ministre. Un choix de Hollande qui ne tient en rien au hasard. Il a été sélectionné parce qu’il était l’homme de la situation pour, sans aucun état d’âme, intensifier l’offensive contre le prolétariat et la jeunesse, et tenter de museler toute velléité d’opposition au sein du PS. Le dispositif de Hollande a été sciemment organisé. Le 9 avril 2014, la potiche Harlem Désir a été éjectée sans ménagement de la direction du PS au profit de Cambadélis, avec l’aval de Martine Aubry, il faut le souligner. Hollande a fait appel à un « professionnel ». Cambadelis est un parvenu sans foi ni loi, bardé de faux diplômes, parasite de la MNEF pendant des années avec son comparse, Jean-Marie Le Guen. C’est un spadassin au service du gouvernement, c’est-à-dire un tueur à gage. Il est passé du combat pour la révolution permanente en tant que dirigeant de l’OCI et du PCI à la contre-révolution en permanence au sein du PS depuis 1986. Le « courant gauche » qu’il prétendait construire n’a jamais existé, c’était tout simplement une arnaque. Après l’échec de Jospin à l’élection présidentielle de 2002, il s’est mis au service, avec Le Guen, de Strauss Khan, incarnation de la « droite » du PS, lequel qui a dû se « retirer » de toute compétition au sein du PS pour de scabreuses affaires de mœurs. Le duo Cambadélis-Le Guen est à l’avant-garde, au service du gouvernement et de Valls, pour museler le PS, sans grande résistance au sein de ce dernier, il faut le noter. Le Guen, secrétaire d’État aux relations avec le Parlement depuis avril 2014, a été affublé par la presse du surnom « sniper » par tous ceux qui, au sein du PS, ont quelques velléités d’opposition à la politique du gouvernement. Ses déclarations en direction des opposants sont brutales, voire humiliantes. Mais ils acceptent sans mot dire !

La nomination de Macron en août 2014, en remplacement de Montebourg, comme Ministre de l’Économie, de l’Industrie et du numérique a l’allure d’une provocation vis-à-vis du PS. Macron était un banquier d’affaire de la banque Rothschild, millionnaire au titre des opérations qu’il a conduite au compte de cette banque. Hollande et Valls indiquaient au PS : il faudra se soumettre à un gouvernement dont la politique sera exclusivement au service des capitalistes. À la nomination de Macron, on peut ajouter celle de Toubon, garde des Sceaux ultra réactionnaire au sein du gouvernement Chirac-Juppé, comme « défenseur des droits de l’homme ». Et encore celle de l’intégration dans le « staff » de l’Élysée de Jouyet, l’un des soutiens de Sarkozy après son élection en 2007.

Sur la déchéance de la nationalité, le PS a été traité sans aucun management. Le Monde du 25 décembre 2015 rapporte : « Dans la majorité, beaucoup de responsables socialistes croyaient cette mesure définitivement enterrée. Ils ont découvert avec stupéfaction à la sortie du conseil des ministres, mercredi 23 décembre, qu’ils allaient devoir en débattre après les fêtes ». Le préposé Le Guen a sorti la schlague : « Cette revendication ne heurte en rien nos valeurs habituelles (…) on va avoir les indignés habituels ». Balayant l’indignation au sein du PS, Valls a déclaré, méprisant, au JDD du 25 décembre 2015 : « Une partie de la gauche s’égare au nom de grandes valeurs en oubliant le contexte, notre état de guerre, et le discours d’un président devant le Congrès ».

Une opération de sabordage

Lors du second tour des élections régionales, Hollande, Valls et Cambadélis voulu imposer la ligne du « désistement républicain », au nom de la lutte pour faire barrage au Front national. Dans les régions Nord-Pas-de-Calais-Picardie, avec le soutien d’Aubry, il faut le rappeler, et en Provence-Alpes-Côte d’Azur, ils sont parvenus à leur fin. Par contre, dans la région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, la tête de liste du PS, Masseret a refusé d’appliquer la consigne. L’homme de main Cambadélis, de concert avec Valls, a tout tenté pour le faire capituler. « Une cellule “anti-Masseret“ a été mise en place au siège du parti. Les colistiers contactés un à un » (Le Monde du 10 décembre 2015). Valls est intervenu pour appeler le récalcitrant à « rester digne ». « Les secrétaires d’État Christian Ecker et Jean-Marc Todeschini, tous deux Lorrains, l’ont imploré de rester dans le droit chemin » (Le Monde du 10 décembre 2015). Masseret a maintenu sa liste. Se référant au parti de Blum et de Jaurès, Masseret et la majorité de ses colistiers n’ont pas capitulé. Un ultime réflexe de survie politique alors que lors des élections départementales, Masseret s’était prononcé pour le désistement républicain. Il est à noter que dans les deux régions où le dit désistement a été appliqué, l’abstention au second tour a été significativement plus importante qu’au premier tour (4,35 % dans le Nord, 5,31 % dans le Sud-Est avec 9,14 % dans le département des Hautes-Alpes). Au second tour, Masseret gagne plus de 50 000 voix par rapport au premier tour.

Faisant suite aux défaites lors des élections municipales et départementales subies dans les deux régions, c’est la liquidation complète du PS qui est engagée. Du point de vue de l’histoire du PS, le fait a une grande importance politique. Le département du Nord, avec Mauroy, et celui des Bouches-du-Rhône, avec Deferre, ont incarné la continuité du PS avec la vieille SFIO. C’est dans ces régions que le PS avait gardé des liens réels avec les travailleurs et leurs organisations. C’est dans ces départements que nombre de militants avaient pris part activement héroïquement au combat dans la Résistance contre l’occupant nazi, en particulier dans le Nord, aux côtés des ouvriers des mines (ceux que Clemenceau avait fusillés). Au congrès d’Épinay, en 1971, les départements du Nord et des Bouches-du-Rhône ont apporté 30 % des mandats à François Mitterrand.

L’acharnement pour le désistement républicain de Valls, Cambadélis, Le Guen et consorts a eu une signification politique qui va bien au-delà des régions concernées.

Les liquidateurs du PS à l’offensive

Cherchant à utiliser à leur compte les défaites électorales du PS, les liquidateurs du PS ont multiplié les initiatives. Valls est en première ligne. Le Monde du 11 décembre rapporte qu’en juin 2014, devant le conseil national du PS, il a déclaré : « Si la gauche ne se réinvente pas », avertissait-il, « elle peut mourir », car « elle n’a jamais été aussi faible dans l’histoire de la Ve République ». Pour l’ancien rocardien, le PS tel qu’il avait été pensé par François Mitterrand au congrès d’Épinay en 1971 est à bout de souffle. « Nous sommes arrivés au bout de quelque chose, ou bout peut-être d’un cycle historique de notre parti ». Dans une interview au Nouvel Observateur, en octobre 2014, il propose de transformer le PS en une « maison commune ouverte à toutes les forces progressistes pour faire face à la menace d’une droite dure et d’une extrême droite qui progresse ». Le Monde du 11 juin 2015, à propos de la discussion lors du congrès national du PS, commente : « Mais Valls entend reconfigurer la vieille mécanique socialiste. » (…) « Il a besoin d’un dépassement du PS » (…) À ses yeux, “ce n’est pas un problème d’outil, mais de message. Les partis politiques doivent d’adresser à tous les Français pour rassurer et aller chercher les abstentionnistes“. Quitte à devoir abattre, pour y parvenir, certaines clés de voûte idéologiques ». À l’adresse des frondeurs, le 22 février 2016, Valls déclare : « Il y en a qui sont encore au XIXe siècle, moi et les membres du gouvernement ici présents nous sommes dans le XXIe siècle » (Le Monde, 13-14 mars 2016). On pourrait multiplier à l’infini les déclarations du Premier ministre sur cette orientation.

Cambadélis est sur la même orientation. Lors du congrès de Poitiers, il a martelé sur la nécessité du « renouveau ». Il a appelé comme Valls à « dépasser le PS ». Dans une interview à Paris Match en décembre 2015, il a déclaré : « Nous devons créer un élargissement qui conduira au dépassement du PS (…) Une ouverture tous azimuts sans inféodation à personne. Je propose donc la création d’une formation d’une formation politique qui se substituera à terme au vieux Parti socialiste (…) La question du nom n’est pas pour l’instant ouverte. Et c’est le combat pour le dépassement qui déterminera son issue (…). J’appelle à trois ruptures. D’abord, sur la forme de notre organisation, le Parti socialiste d’Épinay est mort. Il faut un changement complet du parti. »

Valls et Cambadélis sont la même orientation que Rocard, soutenu par Mélenchon et Royal, qui en 1993 proposait un « Bing Bang » en transformant le PS en « mouvement ». Une majorité de l’appareil avait réagi pour au bout du compte éjecter Rocard de la direction. Il faut constater à ce jour que la résistance à l’orientation Valls-Cambadélis est limitée. Le refus de Masseret d’appliquer le front républicain en est une expression. Les difficultés que Cambadélis a rencontrées pour faire avaler la révision constitutionnelle et la rebuffade d’un tiers des députés du PS sur le code de la nationalité en est une autre, bien que par ailleurs ils aient totalement capitulé sur la question de l’état d’urgence.

Il n’y a pas de « courant gauche » dans le PS

Les frondeurs sont affublés du titre de « gauche » du PS.

En aucun cas les frondeurs ne constituent une opposition réelle. Leur motion pour le congrès de Poitiers, comme la motion de Valls-Cambadélis, prônait « un dépassement du PS ». Sur leur opposition à la politique du gouvernement, Le Monde du 12-13 mars 2015 commente : » Sur le fond, ils ne sont pas non plus assez éloignés de la motion de la majorité pour créer un effet de contraste (…) La réelle différence repose sur la ligne économique. Mais, là encore, la fronde des députés a souvent donné l’impression de tourner autour d’une question de curseur davantage que sur des choix structurants ». À l’occasion du vote du budget 2016, Le Monde du 22 octobre 2015 se moque : « La fronde se dégonfle. Seuls 19 députés du PS se sont abstenus, mardi, lors du vote de la partie » recettes » du projet de loi de finances. ». Jean-Marie Le Guen avait averti les frondeurs : « Qu’est-ce qu’appartenir à une majorité, de façon classique ? C’est voter un budget. Si un certain nombre de députés soi-disant socialistes ne votaient pas pour le budget, il y aurait indiscutablement un problème nouveau. » Indiscutablement les frondeurs ont en tenu compte.

Il en est de même pour Aubry. Il suffit de rappeler que lors de la préparation du congrès de Poitiers, avec ses partisans, elle a rallié la motion Cambadélis-Valls, c’est-à-dire celle du gouvernement. Le partisan d’Aubry, le député Jean-Marc Germain, donne la clef pour décoder sa tribune publiée dans Le Monde du 25 février 2016 : « On a voulu que ce texte soit représentatif de la « gauche de gouvernement ». Il ne s’agit pas d’être contre Hollande, on reconnaît que des choses bien se sont faites, mais il nous semble important de proposer notre propre vision du réformisme. Nous ne voulons pas entériner l’idée de Valls selon laquelle il y aurait une gauche réformiste et une gauche conservatrice. Nous avons toujours été des réformateurs, mais il faut redonner un sens au mot « réforme ».

Aubry, comme les frondeurs, n’exige pas le retrait du projet de loi El Khomri, projet qui s’inscrit dans la continuité de sa loi sur les « 35 heures » qui a constitué pour le patronat une étape importante dans l’instauration de la flexibilité et la liquidation du code du travail. Elle ne remet pas en cause l’état d’urgence et l’adoption des lois vers l’instauration de l’État policier. Sa tribune, cosignée par des « personnalités » étrangères aux PS, par le réactionnaire Cohn-Bendit et le député Vert Jadot, fait barrage de fait à ce que s’organise au sein du PS un début d’opposition aux liquidateurs. C’est en ce sens qu’Aubry s’est ralliée à la perspective de « primaires à gauche » qui est de la même nature : tout faire pour ce ne soient pas les adhérents qui désignent le candidat du PS et pour annihiler toute tentative d’opposition à sa liquidation en son sein.

L’adjudant-chef Le Guen a commenté cyniquement la tribune d’Aubry « Chacun est libre de ses engagements, mais on ne peut pas donner des leçons de morale quand on voit notamment la situation dans laquelle est le Parti socialiste dans le Nord-Pas-de-Calais. Et moi je ne veux pas pour la gauche ce qui s’est passé l’année dernière dans le Nord-Pas-de-Calais, c’est-à-dire que l’on soit condamné à voter pour un candidat de droite face à l’extrême droite. Parce que l’alternative à François Hollande aujourd’hui, c’est la droite ou l’extrême droite, ce n’est pas la gauche de Martine Aubry (…) Je pense qu’il y a effectivement deux gauches. Celle de François Hollande, c’est une gauche pragmatique, réaliste, qui a su entraîner dans ces primaires et dans l’action aujourd’hui. Parce que quoi qu’on en dise, la gauche de contestation est minoritaire à gauche, très minoritaire. »

Face à l’offensive des liquidateurs, l’existence du PS est en jeu

Trotsky qualifiait les partis sociaux-démocrates de partis ouvriers‑bourgeois parlementaires. Cette caractérisation s’applique encore au PS en France. Il n’existe en tant que parti qu’autant qu’il a la possibilité au sein de la société bourgeoise d’être la représentation politique du prolétariat sur le terrain des élections, essentiellement, à tous les niveaux, tout en jouant le rôle de le subordonner à la domination de la bourgeoisie.

Toutes les conditions sont réunies pour que la crise du PS connaisse des développements de grande importance.

L’éditorial de CPS N°59 (N°141) du 20 janvier 2016 indiquait :

« Mais pourquoi donc cet acharnement à vouloir détruire le PS ? Il y a là un paradoxe incompréhensible pour tous ceux – et ils sont nombreux dans ce qu’on appelle « l’extrême gauche » – qui pensent selon la logique formelle et sont incapables de penser dialectiquement. Pour ceux-là, le PS est un parti bourgeois puisqu’il a une politique bourgeoise. Et en effet, il n’y a pas le moindre doute que la politique du PS soit 100 % bourgeoise, et cela, non depuis hier ou avant-hier, mais depuis son ralliement à l’Union sacrée il y a un peu plus d’un siècle ! En cela il ne diffère d’ailleurs pas du PCF, dont la politique n’est pas moins bourgeoise. Et pourtant, ce vieux parti pourri, corrompu jusqu’à la moelle, la bourgeoisie n’a de cesse de le voir disparaître ! Et il y a à cela une bonne raison. C’est encore de ce parti principalement (aujourd’hui bien plus secondairement du PCF) que les masses cherchent à se saisir lorsqu’il s’agit de chasser les partis bourgeois, comme elles l’ont fait en 2012. Liquider ce parti, le transformer en une sorte de parti démocrate à l’américaine, ce serait créer une situation où le prolétariat ne disposerait plus d’aucun instrument pour affirmer sa candidature au pouvoir en l’absence de Parti révolutionnaire. Car le PS, 100 % bourgeois par sa politique, est historiquement un parti qui a été construit par la classe ouvrière, occupant la place qu’occupait la SFIO. Ces racines historiques ne sont absolument pas secondaires. Pas plus que n’est secondaire la dénomination de ce parti. On sait que les liquidateurs du PS – dont beaucoup sont à la tête du PS lui-même – ne cessent de réclamer la disparition de la dénomination « socialiste » pour le qualifier. »

Par leur prise en charge de la politique du gouvernement au compte du capitalisme, tous les dirigeants du PS sont des liquidateurs en puissance. Néanmoins, au sein du PS, il y a une ligne de partage entre ceux qui sont ouvertement pour sa liquidation et ceux qui jugent que leur existence politique implique une continuité de l’existence du PS en tant que parti. La frontière entre les deux camps est mouvante. Mais aujourd’hui ce sont les liquidateurs qui ont l’initiative.

 

 

Le 29 mars 2016

 

 

 

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