Notes
sur la situation internationale
Situation économique :
plus que jamais sous la menace de la dépression
Les
décisions de Yellen au nom de la FED comme de Draghi au nom de la BCE en témoignent : non seulement
l’horizon de l’économie capitaliste à l’échelle mondiale ne s’éclaircit pas,
mais la menace d’une dépression majeure se fait chaque jour plus lourde.
Aux
États-Unis, nonobstant les annonces sur la baisse du chômage, la FED a
considéré qu’il était absolument impossible d’augmenter les taux d’intérêt,
donc de renchérir le crédit, sans compromettre le pâlot taux de croissance américain,
sans compter les catastrophes concomitantes à l’échelle internationale que
pourrait provoquer une telle hausse. Déjà la Chine et les pays dits « émergents » sont contraints de vider les
réserves de change pour défendre leur monnaie sous le feu de la fuite des
capitaux. La hausse des taux US ne pourraient qu’accélérer le phénomène.
Car la
situation américaine est en réalité tout sauf florissante. En rapport avec la
baisse des exportations, sous l’effet combiné de la hausse du dollar et du
ralentissement de la demande mondiale, notamment en provenance de Chine et des
pays « émergents », le déficit
commercial est reparti à la hausse. La production industrielle continue à
baisser ainsi que les profits des entreprises : - 8,1 % au 4e
trimestre 2015, 5,1 % sur l’ensemble de l’année, soit la baisse la plus
importante depuis l’ouverture de la crise en 2008. Dans certains secteurs, la
chute est spectaculaire : - 50 % dans celui de l’énergie, secteur-clé
de l’économie américaine, dont la rentabilité est plombée par la forte baisse
des prix du pétrole mais aussi du charbon, à tel point que Peabody,
premier producteur de charbon outre-Atlantique, est au bord de la faillite. La
dégradation de la rentabilité des entreprises entraîne une diminution de leurs
investissements, ce qui en retour va peser à la baisse sur le niveau de la
production industrielle et donc des profits. Se mettent ainsi en place les
éléments d’un cercle vicieux qui menace la croissance américaine. Pour l’instant,
cette croissance ne se maintient que par l’augmentation de la consommation.
Celle de la bourgeoisie, grande et petite, car pour ce qui est du prolétariat,
les salaires étant officiellement à la baisse, le niveau de sa consommation n’a
pu être maintenue que par le recours massif à des emprunts subprime dont on se souvient qu’ils
ont été le facteur déclenchant la crise de 2007. Quant à la partie la plus
défavorisée du prolétariat américain, le salaire ne permet pas même de se
nourrir, comme en témoigne la situation des salariés de Wall Mart (1,4 million d’employés) dont Le Monde du 21 février nous apprend qu’ils ont massivement recours
aux bons alimentaires.
En
Europe, la Banque centrale européenne est engagée dans une fuite en avant
effrénée. Sa politique tient en deux mots : toujours plus ! Toujours
plus de rachat d’actifs : on est passé de 60 à 80 milliards mensuels, et
la BCE rachète non seulement des obligations d’État mais aussi d’entreprise.
Toujours plus de crédit facile : les banques empruntent désormais à 0 %.
Quant au taux de dépôt de la BCE, il a été porté à - 0,4 %, ce qui revient
à augmenter la taxe sur les dépôts des banques afin de les inciter à utiliser
davantage leurs liquidités pour financer l’économie. De manière complémentaire,
des « primes » sont prévues pour les banques les plus
généreuses au niveau des volumes de crédits accordés aux entreprises. Le
problème, c’est que toutes ces mesures se sont révélées jusqu’ici
remarquablement inefficaces. Dans les cas où les capitalistes industriels
sollicitent des prêts bancaires, les doutes sur leur solvabilité dominent dans
une situation où à nouveau nombre de banques sont grevées de créances
douteuses. Pour le reste, « on ne fait pas boire un âne
qui n’a pas soif ». Et le trait dominant, c’est que l’économie réelle « n’a pas soif » c’est-à-dire n’investit
pas.
Le
secteur automobile en Europe en donne une parfaite illustration. Le redémarrage
de la demande (redémarrage au demeurant qui laisse la production bien en deçà
de 2008) ne se traduit aucunement par l’augmentation des capacités de
production, mais par l’augmentation de leur taux d’utilisation à 80 % là
où il était descendu au taux historiquement bas de 68 % en 2013. Cette
remontée a été favorisée par une stratégie à double détente : d’une part,
la fermeture d’usines en Europe de l’Ouest et leur redéploiement dans le sud en
Espagne, Turquie et surtout en Europe centrale, où les capitalistes peuvent
exploiter une main-d’œuvre payée à vil
prix, d’autre part l’augmentation du taux d’exploitation des travailleurs sur
les sites de production restés ouverts en Europe de l’Ouest. Et pour l’augmenter
encore, le patronat, Renault par exemple, n’envisage rien d’autre que la
signature de nouveaux « accords de compétitivité », imposant la
flexibilité des horaires et la diminution des salaires. En France, c’est la
possibilité offerte aux patrons de généraliser de tels accords qui est au cœur
du projet de loi El Khomri.
Peur sur la Chine
Mais
tous les regards et toutes les inquiétudes de la bourgeoisie mondiale se
tournent vers la Chine, dont la situation se dégrade à vitesse accélérée. On
annonce une baisse du volume des exportations de 25 % entre février 2015
et février 2016. Dans ces conditions, les capitaux quittent la Chine. La Banque
centrale chinoise doit racheter en masse des yuans pour éviter une dépréciation
trop brutale de celui-ci. Mais à peine terminés les travaux du G20 réuni à
Shanghai et où, comme à l’accoutumée, avaient été prises de fermes résolutions
contre « la guerre des monnaies », le gouvernement chinois annonçait
une dévaluation du yuan : ni par plaisir, ni par mauvaise volonté à l’égard
de ces résolutions, mais par nécessité. Il a simplement fallu sanctionner une
réalité de fait, celle où les « investisseurs » se débarrassent de
leurs capitaux en yuan pour les rapatrier en dollar notamment.
Pour le
reste, les dénégations du G20 n’y changent rien. La guerre des monnaies est bel
et bien engagée. Après la BCE, la BOJ (Banque centrale du Japon) a décidé à son
tour de pratiquer les taux de dépôts négatifs. Or la pratique des taux négatifs
a d’abord pour fonction de baisser le cours de la monnaie par rapport aux
autres (le yen pour le Japon, l’euro pour l’Union économique et monétaire, zone
euro), en dissuadant les placements de capitaux dans les dites banques
centrales, donc en faisant diminuer la demande de la dite monnaie.
Revenons
en à la Chine. Le gouvernement s’y trouve évidemment confronté à un énorme
problème de surcapacités. Les mesures prises en 2009 pour sauver la Chine de la
catastrophe – et éloigner la menace du prolétariat chinois –, à savoir le
gigantesque plan de relance, se retournent en leur contraire. Et c’est pourquoi
« l’Assemblée populaire », c’est-à-dire le rassemblement national de
la bureaucratie du PCC, s’est tenue sur l’objectif de la liquidation des « entreprises
zombies » dont certaines ne survivent que par crainte de l’énorme choc
social que provoquerait leur disparition. Dit autrement, le mot d’ordre de l’Assemblée
populaire a été : guerre au prolétariat !
L’Agence
Reuters annonce :
« Le
gouvernement envisage de licencier cinq millions de travailleurs dans les
industries qui souffrent d’une surabondance de l’offre, d’après une source
proche du gouvernement. Une deuxième de ces sources évalue le nombre de mises à
pied à six millions. Les deux sources ont demandé l’anonymat parce qu’elles
ne sont pas autorisées à parler aux médias sur ce sujet politiquement sensible,
de peur de déclencher des troubles sociaux. »
Mais
concomitamment à l’annonce de ces plans de licenciement à la hache, Pékin a
décidé un nouveau plan de relance d’un montant de 2450 milliards de yuans
(celui de 2009 équivalait à 4000 milliards de yuans) : augmentation de l’offre
de crédit distribuée par les banques chinoises et investissements dans les
infrastructures (construction de routes, de voies ferrées, d’aéroports...). L’annonce
conjointe de millions de licenciements et d’un nouveau plan de relance est l’expression
concentrée de la tenaille qui enserre de plus en plus fortement la bureaucratie
chinoise : économiquement, le plan de relance est une fuite en avant qui
ne peut que relancer... la surproduction, au moment même où le montant des
créances douteuses détenues par les banques bat des records ; mais
politiquement, ce plan est une nécessité pour la bureaucratie, qui entend se garder
une marge de manœuvre afin de gérer au mieux l’ampleur des coupes à pratiquer
dans le secteur d’État et en amortir le choc. C’est à cet objectif que répond
également la création d’un fonds de 100 milliards de yuans pour le reclassement
des millions d’ouvriers licenciés et dont le Premier ministre Li Keqiang a expliqué qu’il pourrait être augmenté si
nécessaire.
Sous la menace du prolétariat chinois
La
question est de savoir si le gouvernement du PCC peut imposer une telle purge
sans se heurter au prolétariat chinois. Rien n’est moins sûr. Le même article
rappelle la terrible purge de 28 millions de travailleurs licenciés entre 1998
et 2003. Toutefois - lire ou relire l’article paru dans CPS 57 -, les conditions du combat se sont considérablement modifiées
depuis ces dates dans le sens d’une augmentation sensible de l’activité de
classe du prolétariat, malgré les conditions formidablement difficiles. Le Monde du 15 mars évoque une
manifestation de mineurs dans la ville de Shuangyashan, brandissant des banderoles :
« Nous voulons vivre, nous voulons manger, nous voulons nos salaires »
... « Lu Hao (le gouverneur de la province,
ndlr) ment les yeux ouverts ».
Le même
Lu Hao avait affirmé à l’Assemblée du Peuple que « la
restructuration suivait son cours » en réponse au président Xi Jinping. « Le président avait souligné que l’entreprise
devait affronter les lois du marché.» Le même article fait état du constat
de China Labour Bulletin : « Nous constatons une
augmentation des mouvements sociaux en Chine depuis près de deux ans. En
général, les manifestations dénoncent des salaires et des cotisations sociales
non payés ou des licenciements. Le secteur minier est particulièrement touché. »
Tel est
bien la source des inquiétudes non seulement du gouvernement chinois mais,
au-delà, des cercles dirigeants des puissances impérialistes : la mise en
branle de la formidable puissance sociale du prolétariat chinois.
Amérique latine : marasme économique et conséquences politiques
On l’a
écrit à de nombreuses reprises dans CPS,
les conséquences du marasme chinois se mesurent à l’échelle mondiale, notamment
dans les pays dits « émergents ». L’Amérique latine en constitue une
flagrante illustration. Brésil, Argentine, Venezuela : avec des
différences, les économies de ces trois pays dépendaient largement des
exportations de matières premières (agricoles dans les deux premiers cas, le
pétrole dans le troisième). La prospérité (relative) de ces trois pays
dépendait au bout du compte de la formidable demande chinoise qui assurait le
maintien de prix élevés des matières agricoles, des minerais, du pétrole.
Il y
avait des différences notables entre les gouvernements Lula au Brésil, Kirchner
en Argentine, Chavez au Venezuela. Les gouvernements Lula étaient des
gouvernements d’alliance entre un Parti « ouvrier-bourgeois » selon
la formule de Lénine (le PT) et des partis bourgeois. Les gouvernements Chavez
et Kirchner étaient des gouvernements bonapartistes, l’un étant structuré par
la caste militaire, l’autre par le parti péroniste. Les uns et les autres s’appuyaient
sur la pleine collaboration de l’appareil syndical domestiqué d’une manière ou
d’une autre. Jusqu’à un certain point, ces gouvernements, quoique totalement
bourgeois, pouvaient concéder quelques mesures sociales financées par la manne
de la rente économique acquise par la vente à bon prix des matières premières :
« bolsa familia » au Brésil, programmes sociaux au
Venezuela. Jusqu’à un certain point – s’agissant notamment de l’Argentine et du
Venezuela – ils pouvaient faire obstacle aux appétits de certains secteurs de
leur propre bourgeoisie, en particulier le secteur le plus ouvertement lié à l’impérialisme
américain. Kirchner, par exemple, a regimbé à payer la totalité des « fonds
vautour », même si elle n’a cessé de chercher l’accord avec eux. Elle a
maintenu des taxes à l’exportation sur les produits agricoles pour financer des
subventions à certains produits de première nécessité et s’assurer qu’une
partie de la production agricole nourrit la population locale. Elle a maintenu
un certain contrôle des changes. Chavez et Maduro ont
fait de même et cherché à s’opposer – par des moyens purement administratifs -
à une augmentation débridée et spéculative du prix des produits de première
nécessité. Tout en collaborant en sous-main avec les compagnies pétrolières
impérialistes, ils ont tenté de conserver pour le gouvernement une part des
revenus pétroliers.
Mais en
même temps, ces gouvernements au service de la bourgeoisie combattaient le
prolétariat, y compris par la plus brutale répression, cherchaient à le
museler, multipliaient les mesures contre les masses (cf. article Brésil dans
CPS 59 du 23 juillet). Ils redoutaient par-dessus tout que le prolétariat
cherche par ses propres moyens les voies du combat pour l’expropriation du
capital par la constitution de gouvernements ouvriers. C’est la réalité, en
particulier s’agissant de Chavez, puis de Maduro, qu’ont
cherché à camoufler tous les groupes pseudo-trotskystes qui s’étaient faits les
apologètes de Chavez.
Un tournant politique
Toujours
est-il que cette politique distribuant quelques miettes aux masses sur la base
de la relative prospérité économique de la précédente décennie a fait long feu.
L’heure est donc venue pour la bourgeoisie de ces pays de remettre en place des
gouvernements bourgeois « classiques », c’est-à-dire ouvertement
inféodés à l’impérialisme - d’abord l’impérialisme américain bien sûr - dans
une situation où le prolétariat, privé de parti révolutionnaire ou même de
parti propre (Argentine et Venezuela), est hors d’état de faire prévaloir ses
propres solutions. Tel est le sens de la victoire de Macri
en Argentine, de la coalition pro-impérialiste aux législatives au Venezuela,
mettant en état d’agonie Maduro – lequel, cependant,
a commencé à prendre des mesures contre les masses, en particulier en termes de
libération des prix. Dans le même temps, la marche au rétablissement du
capitalisme à Cuba s’accélère : c’est le sens du rétablissement des
relations diplomatiques avec les USA.
La
situation au Brésil est à l’évidence en train de tourner. Jusqu’à il y a
quelques semaines, la bourgeoisie brésilienne entendait s’appuyer totalement
sur le gouvernement Roussev-Temer
(intégrant le PMDB, parti bourgeois) pour porter les plus violentes attaques
contre les masses. Elle pouvait d’ailleurs y compter comme le montre l’article
Brésil de CPS déjà évoqué. Les
derniers événements montrent cependant que désormais elle table sur la chute
rapide du gouvernement dirigé par Roussev. L’inculpation
de Lula le manifeste. Les raisons de l’inculpation ont peu à voir avec les
faits de corruption qui lui sont reprochés. La corruption existe certes, qui
procède de la soumission du PT et de son chef à la bourgeoisie. Au demeurant,
toute l’histoire du Brésil montre que c’est une pratique universelle à laquelle
les accusateurs de Lula ont évidemment autant et plus recours que Lula
lui-même. Mais cette accusation sert de bannière à toute la réaction qui a
récemment si massivement mobilisé dans les rues des grandes villes
brésiliennes. Et l’objectif est désormais de se débarrasser du gouvernement de Roussev et de mettre en place par tous les moyens
disponibles un gouvernement excluant le PT, gouvernement dont la tâche
immédiate sera de mater le prolétariat brésilien.
Les prolétariats d’Amérique latine n’ont pas dit leur dernier mot
Au bout
du compte, c’est parce qu’elle doute des capacités du gouvernement de Roussev à briser la résistance du prolétariat que la
bourgeoisie brésilienne a opéré ce tournant. Mais ce doute est alimenté par l’activité
de classe du prolétariat et de la jeunesse du Brésil. Mouvement de la jeunesse
contre l’augmentation du prix des transports, grèves dans de nombreux secteurs
(pétrole, automobile, enseignement, etc.) qui, dans certains cas, ont même fait
reculer le patronat, la classe ouvrière brésilienne a mené sur son propre
terrain de classe des combats vigoureux comme l’indique l’article de CPS n° 59 : « depuis
juin 2013, le Brésil a connu un véritable réveil de la lutte de classe du
prolétariat et de la jeunesse... ». La classe ouvrière est sans aucun
doute disponible pour combattre l’offensive réactionnaire. Mais la nasse dans
laquelle l’appareil du PT, celui de la CUT, cherchent à emprisonner les
travailleurs et la jeunesse consiste à détourner cette aspiration sur le
terrain de la défense du gouvernement Roussev-Temer (intégrant désormais Lula). Or ce qui donne la force
à l’offensive réactionnaire au Brésil, c’est précisément la politique
ouvertement réactionnaire aux services des intérêts capitalistes dudit gouvernement.
À cet égard la conclusion de l’article de CPS
59 qui définit deux axes de combat pour la construction d’un regroupement
révolutionnaire au Brésil demeure entièrement valide : d’une part le
combat pour que le PT rompe l’alliance avec le PMDB, que soient chassés les
ministres bourgeois ; d’autre part la rupture de la CUT avec le gouvernement
dirigé par Roussev. Ce n’est que sur cette
orientation que l’offensive réactionnaire peut être repoussée et vaincue.
En
Argentine, la violente offensive engagée par Macri
contre les masses a commencé. La facture des fonds vautour sera d’une manière
ou d’une autre payée par les masses. Un plan de suppressions de dizaines de
milliers de fonctionnaires est en route. La libération des changes signifie une
dévaluation massive du peso, donc va produire une inflation galopante. Les prix
vont s’envoler d’autant que les subventionnements des produits de première
nécessité vont être supprimés. Le prolétariat ne demeurera pas inerte. C’est à
des développements importants de la lutte des classes qu’il faut s’attendre.
Toute la question est de savoir si à travers ces développements les matériaux
pour la construction de véritables partis ouvriers révolutionnaires peuvent s’agréger.
En Europe
La
suite dira si les développements du combat de la jeunesse et du prolétariat
français contre le projet de « loi Travail » du gouvernement
Hollande-Valls constituent un tournant en Europe. Sans doute la classe ouvrière
en Europe n’est pas restée sans réaction. La récente grève de 24 heures en
Grèce contre les nouvelles et violentes mesures anti-ouvrières du gouvernement
Tsipras-Kammenos en témoigne. Mais ce qui caractérise jusqu’à ce jour les
réactions de la classe ouvrière, c’est qu’elles demeurent cadenassées par les
appareils syndicaux et sans perspective politique. Au Portugal, le prolétariat
par son propre mouvement a interdit au PSP de nouer l’alliance gouvernementale
avec les partis bourgeois qu’il ambitionnait. Ce n’est pas négligeable. En même
temps, le gouvernement dirigé par le PSOE (et soutenu par le PCP et le « Bloc
des gauches », sorte de Syriza portugais), s’il a fait quelques
concessions mineures aux revendications ouvrières, a surtout fait allégeance à
la troïka.
À vrai
dire, ce qui domine, c’est la crise économique et politique de l’Union
européenne sans que la classe ouvrière puisse faire prévaloir ses propres
solutions. Pour ce qui est de la crise économique, on a vu comment la BCE
essayait vainement d’y répondre. Politiquement, la « crise des réfugiés »
en dit long sur ce qu’est l’Union européenne. La décision de ne plus admettre
en Europe un seul réfugié, fut-il syrien ou irakien, de renvoyer même ceux qui
sont déjà là - avec la contrepartie parfaitement illusoire d’en faire venir un
nombre équivalent de Turquie - met au grand jour la barbarie de l’UE et de
chacun de ses gouvernements. Barbarie, dont Can Dündar,
journaliste d’opposition turc, encourant la prison à vie, a donné toute la
mesure dans une tribune parue dans Le
Monde du 16 mars : « L’Europe loue un camp de concentration
à l’extérieur de ses frontières et ferme les yeux sur l’oppression exercée par
le gardien volontaire de ce camp. » L’accord UE-Turquie place de fait « le gardien de camp » Erdogan en position de force sur un plan intérieur pour
continuer et accélérer l’offensive contre les libertés démocratiques, la
répression des opposants politiques et le massacre des Kurdes. Tous les
discours sur les « valeurs démocratiques, humanistes, etc., de l’UE »
se révèlent pour ce qu’ils sont : une répugnante mystification pourtant
véhiculée à longueur de colonne par les dirigeants syndicaux en particulier. La
façon dont a été prise cette décision en dit long également. Merkel ne s’est
pas embarrassée de tous le fatras de la « légalité » des institutions
européennes. Elle a négocié directement avec la Turquie, répondant ainsi de
manière pratique à la question : qui est maître en Europe ? Pour le
reste, et sur le fond, elle ne risquait pas d’être contredite, en tout cas pas
par le gouvernement dirigé par Hollande et Valls. C’est ce dernier qui avait
déclaré lors de son voyage en Allemagne : « Plus un seul réfugié » !
Non
seulement cette politique ne se heurte à aucun combat sérieux de la part des
organisations du mouvement ouvrier, mais ces derniers y collaborent pleinement.
Du côté des dirigeants syndicaux, c’est un silence assourdissant. Quant aux
dirigeants des partis sociaux-démocrates, ils en sont pleinement partie
prenante. En Allemagne, sur cette question comme sur les autres, le SPD se
comporte en véritable porteur d’eau de Merkel (rappelons que le SPD est intégré
au gouvernement Merkel de « grande coalition »). Les commentaires sur
les résultats des élections en Allemagne ont beaucoup insisté sur les succès de
l’» Alternative pour l’Allemagne » dont la dirigeante propose de
tirer à balles réelles sur les réfugiés. Ce n’est certes pas un évènement
secondaire quand on sait que ce sont des membres de ce parti qui sèment la
terreur contre les camps de réfugiés en Saxe par exemple. Mais on a moins
insisté sur un résultat concomitant : à savoir la défaite cuisante du SPD.
Dans le Bade-Wurtemberg et la Saxe, le SPD perd entre un tiers et la moitié de
ses sièges, ramené à des scores entre 10,6 et 12,7 % des voix,
historiquement bas. Et même en Rhénanie, il recule. Sans doute moins que dans
les élections partielles en France où, entre 2012 et 2016, le PS a perdu... 4
électeurs sur 5. Le sévère échec du PSOE en Espagne complète le tableau (voir
article dans ce numéro de CPS). La
politique de prise en charge par les PS des violentes contre-réformes
bourgeoisies à travers toute l’Europe reçoit sa sanction immédiate.
Combattre pour la
construction de partis ouvriers révolutionnaires
A cette
étape, la décomposition des partis sociaux-démocrates continue et s’accélère.
Les partis ex-staliniens se survivent quant à eux de manière toujours plus
étriquée, tout en continuant à jouer un rôle considérable pour imposer l’orientation
de « dialogue social » sur la mise en œuvre des contre-réformes dans
les syndicats.
Cette
décomposition n’est en rien compensée : il n’y a pas à cette étape de
véritable tendance à la recomposition du mouvement ouvrier sur un nouvel axe :
celui de la révolution prolétarienne.
Il est
pourtant certain qu’en relation avec de puissantes mobilisations de classe à
venir, dans les syndicats comme dans les vieux partis, des militants tendront à
rompre avec la politique réactionnaire de leurs dirigeants. En France, les
vigoureuses réactions dans la CGT à la politique de Martinez signant le 23
février un accord avec la CFDT sur le terrain du soutien à la « loi
Travail » – réactions contraignant Martinez à une inflexion politique
(voir par ailleurs) – indiquent ce qui se produira à une plus large échelle et
de manière beaucoup plus radicale à une autre étape. Nous avions noté ce qu’avait
signifié l’élection de Corbyn à la tête du Labour en
Grande-Bretagne. Toutefois, il faut remarquer aujourd’hui son alignement
derrière Cameron sur le vote en faveur du maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union
européenne. Cela montre qu’aucune illusion n’est permise. En l’absence d’un
véritable regroupement militant sur le programme révolutionnaire, d’une taille
significative, l’aspiration à une politique de rupture avec le capitalisme est
condamnée à être dévoyée.
La
situation est différente aux États-Unis où le prolétariat américain ne dispose
pas de parti propre. Mais le succès de Saunders - qui
va jusqu’à parler de « socialisme » dans sa campagne aux primaires
américaines, témoigne à sa façon de l’aspiration du prolétariat américain à se
doter d’un tel parti. Toutefois, la fonction de la candidature de Saunders est justement de contenir cette aspiration, de
faire en sorte qu’elle ne se réalise pas, de cantonner la « contestation »
au sein du Parti Démocrate, parti de l’impérialisme américain, comme en
témoigne son engagement en cas de défaite aux primaires à faire la campagne d’Hillary
Clinton.
La
constitution d’une force politique intégrant les acquis politiques de la 1ère,
2e, 3e et 4e Internationales, ainsi que ceux du Comité
fondé par Stéphane Just, est donc de toute première importance pour l’avenir. C’est
en cela que le renforcement de notre Groupe (dont les militants sont rassemblés
autour du bulletin Combattre pour le
Socialisme) est absolument nécessaire. Nous invitons nos lecteurs à y
contribuer.
25 mars 2016
«