Notes sur la situation internationale

Situation économique : plus que jamais sous la menace de la dépression

Les décisions de Yellen au nom de la FED comme de Draghi au nom de la BCE en témoignent : non seulement l’horizon de l’économie capitaliste à l’échelle mondiale ne s’éclaircit pas, mais la menace d’une dépression majeure se fait chaque jour plus lourde.

Aux États-Unis, nonobstant les annonces sur la baisse du chômage, la FED a considéré qu’il était absolument impossible d’augmenter les taux d’intérêt, donc de renchérir le crédit, sans compromettre le pâlot taux de croissance américain, sans compter les catastrophes concomitantes à l’échelle internationale que pourrait provoquer une telle hausse. Déjà la Chine et les pays dits « émergents » sont contraints de vider les réserves de change pour défendre leur monnaie sous le feu de la fuite des capitaux. La hausse des taux US ne pourraient qu’accélérer le phénomène.

Car la situation américaine est en réalité tout sauf florissante. En rapport avec la baisse des exportations, sous l’effet combiné de la hausse du dollar et du ralentissement de la demande mondiale, notamment en provenance de Chine et des pays « émergents », le déficit commercial est reparti à la hausse. La production industrielle continue à baisser ainsi que les profits des entreprises : - 8,1 % au 4e trimestre 2015, 5,1 % sur l’ensemble de l’année, soit la baisse la plus importante depuis l’ouverture de la crise en 2008. Dans certains secteurs, la chute est spectaculaire : - 50 % dans celui de l’énergie, secteur-clé de l’économie américaine, dont la rentabilité est plombée par la forte baisse des prix du pétrole mais aussi du charbon, à tel point que Peabody, premier producteur de charbon outre-Atlantique, est au bord de la faillite. La dégradation de la rentabilité des entreprises entraîne une diminution de leurs investissements, ce qui en retour va peser à la baisse sur le niveau de la production industrielle et donc des profits. Se mettent ainsi en place les éléments d’un cercle vicieux qui menace la croissance américaine. Pour l’instant, cette croissance ne se maintient que par l’augmentation de la consommation. Celle de la bourgeoisie, grande et petite, car pour ce qui est du prolétariat, les salaires étant officiellement à la baisse, le niveau de sa consommation n’a pu être maintenue que par le recours massif à des emprunts subprime dont on se souvient qu’ils ont été le facteur déclenchant la crise de 2007. Quant à la partie la plus défavorisée du prolétariat américain, le salaire ne permet pas même de se nourrir, comme en témoigne la situation des salariés de Wall Mart (1,4 million d’employés) dont Le Monde du 21 février nous apprend qu’ils ont massivement recours aux bons alimentaires.

En Europe, la Banque centrale européenne est engagée dans une fuite en avant effrénée. Sa politique tient en deux mots : toujours plus ! Toujours plus de rachat d’actifs : on est passé de 60 à 80 milliards mensuels, et la BCE rachète non seulement des obligations d’État mais aussi d’entreprise. Toujours plus de crédit facile : les banques empruntent désormais à 0 %. Quant au taux de dépôt de la BCE, il a été porté à - 0,4 %, ce qui revient à augmenter la taxe sur les dépôts des banques afin de les inciter à utiliser davantage leurs liquidités pour financer l’économie. De manière complémentaire, des « primes » sont prévues pour les banques les plus généreuses au niveau des volumes de crédits accordés aux entreprises. Le problème, c’est que toutes ces mesures se sont révélées jusqu’ici remarquablement inefficaces. Dans les cas où les capitalistes industriels sollicitent des prêts bancaires, les doutes sur leur solvabilité dominent dans une situation où à nouveau nombre de banques sont grevées de créances douteuses. Pour le reste, « on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif ». Et le trait dominant, c’est que l’économie réelle « n’a pas soif » c’est-à-dire n’investit pas.

Le secteur automobile en Europe en donne une parfaite illustration. Le redémarrage de la demande (redémarrage au demeurant qui laisse la production bien en deçà de 2008) ne se traduit aucunement par l’augmentation des capacités de production, mais par l’augmentation de leur taux d’utilisation à 80 % là où il était descendu au taux historiquement bas de 68 % en 2013. Cette remontée a été favorisée par une stratégie à double détente : d’une part, la fermeture d’usines en Europe de l’Ouest et leur redéploiement dans le sud en Espagne, Turquie et surtout en Europe centrale, où les capitalistes peuvent exploiter une main-d’œuvre  payée à vil prix, d’autre part l’augmentation du taux d’exploitation des travailleurs sur les sites de production restés ouverts en Europe de l’Ouest. Et pour l’augmenter encore, le patronat, Renault par exemple, n’envisage rien d’autre que la signature de nouveaux « accords de compétitivité », imposant la flexibilité des horaires et la diminution des salaires. En France, c’est la possibilité offerte aux patrons de généraliser de tels accords qui est au cœur du projet de loi El Khomri.

Peur sur la Chine

Mais tous les regards et toutes les inquiétudes de la bourgeoisie mondiale se tournent vers la Chine, dont la situation se dégrade à vitesse accélérée. On annonce une baisse du volume des exportations de 25 % entre février 2015 et février 2016. Dans ces conditions, les capitaux quittent la Chine. La Banque centrale chinoise doit racheter en masse des yuans pour éviter une dépréciation trop brutale de celui-ci. Mais à peine terminés les travaux du G20 réuni à Shanghai et où, comme à l’accoutumée, avaient été prises de fermes résolutions contre « la guerre des monnaies », le gouvernement chinois annonçait une dévaluation du yuan : ni par plaisir, ni par mauvaise volonté à l’égard de ces résolutions, mais par nécessité. Il a simplement fallu sanctionner une réalité de fait, celle où les « investisseurs » se débarrassent de leurs capitaux en yuan pour les rapatrier en dollar notamment.

Pour le reste, les dénégations du G20 n’y changent rien. La guerre des monnaies est bel et bien engagée. Après la BCE, la BOJ (Banque centrale du Japon) a décidé à son tour de pratiquer les taux de dépôts négatifs. Or la pratique des taux négatifs a d’abord pour fonction de baisser le cours de la monnaie par rapport aux autres (le yen pour le Japon, l’euro pour l’Union économique et monétaire, zone euro), en dissuadant les placements de capitaux dans les dites banques centrales, donc en faisant diminuer la demande de la dite monnaie.

Revenons en à la Chine. Le gouvernement s’y trouve évidemment confronté à un énorme problème de surcapacités. Les mesures prises en 2009 pour sauver la Chine de la catastrophe – et éloigner la menace du prolétariat chinois –, à savoir le gigantesque plan de relance, se retournent en leur contraire. Et c’est pourquoi « l’Assemblée populaire », c’est-à-dire le rassemblement national de la bureaucratie du PCC, s’est tenue sur l’objectif de la liquidation des « entreprises zombies » dont certaines ne survivent que par crainte de l’énorme choc social que provoquerait leur disparition. Dit autrement, le mot d’ordre de l’Assemblée populaire a été : guerre au prolétariat !

L’Agence Reuters annonce :

« Le gouvernement envisage de licencier cinq millions de travailleurs dans les industries qui souffrent d’une surabondance de l’offre, d’après une source proche du gouvernement. Une deuxième de ces sources évalue le nombre de mises à pied à six millions. Les deux sources ont demandé l’anonymat parce qu’elles ne sont pas autorisées à parler aux médias sur ce sujet politiquement sensible, de peur de déclencher des troubles sociaux. »

Mais concomitamment à l’annonce de ces plans de licenciement à la hache, Pékin a décidé un nouveau plan de relance d’un montant de 2450 milliards de yuans (celui de 2009 équivalait à 4000 milliards de yuans) : augmentation de l’offre de crédit distribuée par les banques chinoises et investissements dans les infrastructures (construction de routes, de voies ferrées, d’aéroports...). L’annonce conjointe de millions de licenciements et d’un nouveau plan de relance est l’expression concentrée de la tenaille qui enserre de plus en plus fortement la bureaucratie chinoise : économiquement, le plan de relance est une fuite en avant qui ne peut que relancer... la surproduction, au moment même où le montant des créances douteuses détenues par les banques bat des records ; mais politiquement, ce plan est une nécessité pour la bureaucratie, qui entend se garder une marge de manœuvre afin de gérer au mieux l’ampleur des coupes à pratiquer dans le secteur d’État et en amortir le choc. C’est à cet objectif que répond également la création d’un fonds de 100 milliards de yuans pour le reclassement des millions d’ouvriers licenciés et dont le Premier ministre Li Keqiang a expliqué qu’il pourrait être augmenté si nécessaire.

Sous la menace du prolétariat chinois

La question est de savoir si le gouvernement du PCC peut imposer une telle purge sans se heurter au prolétariat chinois. Rien n’est moins sûr. Le même article rappelle la terrible purge de 28 millions de travailleurs licenciés entre 1998 et 2003. Toutefois - lire ou relire l’article paru dans CPS 57 -, les conditions du combat se sont considérablement modifiées depuis ces dates dans le sens d’une augmentation sensible de l’activité de classe du prolétariat, malgré les conditions formidablement difficiles. Le Monde du 15 mars évoque une manifestation de mineurs dans la ville de Shuangyashan, brandissant des banderoles : « Nous voulons vivre, nous voulons manger, nous voulons nos salaires » ... « Lu Hao (le gouverneur de la province, ndlr) ment les yeux ouverts ».

Le même Lu Hao avait affirmé à l’Assemblée du Peuple que « la restructuration suivait son cours » en réponse au président Xi Jinping. « Le président avait souligné que l’entreprise devait affronter les lois du marché.» Le même article fait état du constat de China Labour Bulletin : « Nous constatons une augmentation des mouvements sociaux en Chine depuis près de deux ans. En général, les manifestations dénoncent des salaires et des cotisations sociales non payés ou des licenciements. Le secteur minier est particulièrement touché. »

Tel est bien la source des inquiétudes non seulement du gouvernement chinois mais, au-delà, des cercles dirigeants des puissances impérialistes : la mise en branle de la formidable puissance sociale du prolétariat chinois.

Amérique latine : marasme économique et conséquences politiques

On l’a écrit à de nombreuses reprises dans CPS, les conséquences du marasme chinois se mesurent à l’échelle mondiale, notamment dans les pays dits « émergents ». L’Amérique latine en constitue une flagrante illustration. Brésil, Argentine, Venezuela : avec des différences, les économies de ces trois pays dépendaient largement des exportations de matières premières (agricoles dans les deux premiers cas, le pétrole dans le troisième). La prospérité (relative) de ces trois pays dépendait au bout du compte de la formidable demande chinoise qui assurait le maintien de prix élevés des matières agricoles, des minerais, du pétrole.

Il y avait des différences notables entre les gouvernements Lula au Brésil, Kirchner en Argentine, Chavez au Venezuela. Les gouvernements Lula étaient des gouvernements d’alliance entre un Parti « ouvrier-bourgeois » selon la formule de Lénine (le PT) et des partis bourgeois. Les gouvernements Chavez et Kirchner étaient des gouvernements bonapartistes, l’un étant structuré par la caste militaire, l’autre par le parti péroniste. Les uns et les autres s’appuyaient sur la pleine collaboration de l’appareil syndical domestiqué d’une manière ou d’une autre. Jusqu’à un certain point, ces gouvernements, quoique totalement bourgeois, pouvaient concéder quelques mesures sociales financées par la manne de la rente économique acquise par la vente à bon prix des matières premières : « bolsa familia » au Brésil, programmes sociaux au Venezuela. Jusqu’à un certain point – s’agissant notamment de l’Argentine et du Venezuela – ils pouvaient faire obstacle aux appétits de certains secteurs de leur propre bourgeoisie, en particulier le secteur le plus ouvertement lié à l’impérialisme américain. Kirchner, par exemple, a regimbé à payer la totalité des « fonds vautour », même si elle n’a cessé de chercher l’accord avec eux. Elle a maintenu des taxes à l’exportation sur les produits agricoles pour financer des subventions à certains produits de première nécessité et s’assurer qu’une partie de la production agricole nourrit la population locale. Elle a maintenu un certain contrôle des changes. Chavez et Maduro ont fait de même et cherché à s’opposer – par des moyens purement administratifs - à une augmentation débridée et spéculative du prix des produits de première nécessité. Tout en collaborant en sous-main avec les compagnies pétrolières impérialistes, ils ont tenté de conserver pour le gouvernement une part des revenus pétroliers.

Mais en même temps, ces gouvernements au service de la bourgeoisie combattaient le prolétariat, y compris par la plus brutale répression, cherchaient à le museler, multipliaient les mesures contre les masses (cf. article Brésil dans CPS 59 du 23 juillet). Ils redoutaient par-dessus tout que le prolétariat cherche par ses propres moyens les voies du combat pour l’expropriation du capital par la constitution de gouvernements ouvriers. C’est la réalité, en particulier s’agissant de Chavez, puis de Maduro, qu’ont cherché à camoufler tous les groupes pseudo-trotskystes qui s’étaient faits les apologètes de Chavez.

Un tournant politique

Toujours est-il que cette politique distribuant quelques miettes aux masses sur la base de la relative prospérité économique de la précédente décennie a fait long feu. L’heure est donc venue pour la bourgeoisie de ces pays de remettre en place des gouvernements bourgeois « classiques », c’est-à-dire ouvertement inféodés à l’impérialisme - d’abord l’impérialisme américain bien sûr - dans une situation où le prolétariat, privé de parti révolutionnaire ou même de parti propre (Argentine et Venezuela), est hors d’état de faire prévaloir ses propres solutions. Tel est le sens de la victoire de Macri en Argentine, de la coalition pro-impérialiste aux législatives au Venezuela, mettant en état d’agonie Maduro – lequel, cependant, a commencé à prendre des mesures contre les masses, en particulier en termes de libération des prix. Dans le même temps, la marche au rétablissement du capitalisme à Cuba s’accélère : c’est le sens du rétablissement des relations diplomatiques avec les USA.

La situation au Brésil est à l’évidence en train de tourner. Jusqu’à il y a quelques semaines, la bourgeoisie brésilienne entendait s’appuyer totalement sur le gouvernement Roussev-Temer (intégrant le PMDB, parti bourgeois) pour porter les plus violentes attaques contre les masses. Elle pouvait d’ailleurs y compter comme le montre l’article Brésil de CPS déjà évoqué. Les derniers événements montrent cependant que désormais elle table sur la chute rapide du gouvernement dirigé par Roussev. L’inculpation de Lula le manifeste. Les raisons de l’inculpation ont peu à voir avec les faits de corruption qui lui sont reprochés. La corruption existe certes, qui procède de la soumission du PT et de son chef à la bourgeoisie. Au demeurant, toute l’histoire du Brésil montre que c’est une pratique universelle à laquelle les accusateurs de Lula ont évidemment autant et plus recours que Lula lui-même. Mais cette accusation sert de bannière à toute la réaction qui a récemment si massivement mobilisé dans les rues des grandes villes brésiliennes. Et l’objectif est désormais de se débarrasser du gouvernement de Roussev et de mettre en place par tous les moyens disponibles un gouvernement excluant le PT, gouvernement dont la tâche immédiate sera de mater le prolétariat brésilien.

Les prolétariats d’Amérique latine n’ont pas dit leur dernier mot

Au bout du compte, c’est parce qu’elle doute des capacités du gouvernement de Roussev à briser la résistance du prolétariat que la bourgeoisie brésilienne a opéré ce tournant. Mais ce doute est alimenté par l’activité de classe du prolétariat et de la jeunesse du Brésil. Mouvement de la jeunesse contre l’augmentation du prix des transports, grèves dans de nombreux secteurs (pétrole, automobile, enseignement, etc.) qui, dans certains cas, ont même fait reculer le patronat, la classe ouvrière brésilienne a mené sur son propre terrain de classe des combats vigoureux comme l’indique l’article de CPS n° 59 : « depuis juin 2013, le Brésil a connu un véritable réveil de la lutte de classe du prolétariat et de la jeunesse... ». La classe ouvrière est sans aucun doute disponible pour combattre l’offensive réactionnaire. Mais la nasse dans laquelle l’appareil du PT, celui de la CUT, cherchent à emprisonner les travailleurs et la jeunesse consiste à détourner cette aspiration sur le terrain de la défense du gouvernement Roussev-Temer (intégrant désormais Lula). Or ce qui donne la force à l’offensive réactionnaire au Brésil, c’est précisément la politique ouvertement réactionnaire aux services des intérêts capitalistes dudit gouvernement. À cet égard la conclusion de l’article de CPS 59 qui définit deux axes de combat pour la construction d’un regroupement révolutionnaire au Brésil demeure entièrement valide : d’une part le combat pour que le PT rompe l’alliance avec le PMDB, que soient chassés les ministres bourgeois ; d’autre part la rupture de la CUT avec le gouvernement dirigé par Roussev. Ce n’est que sur cette orientation que l’offensive réactionnaire peut être repoussée et vaincue.

En Argentine, la violente offensive engagée par Macri contre les masses a commencé. La facture des fonds vautour sera d’une manière ou d’une autre payée par les masses. Un plan de suppressions de dizaines de milliers de fonctionnaires est en route. La libération des changes signifie une dévaluation massive du peso, donc va produire une inflation galopante. Les prix vont s’envoler d’autant que les subventionnements des produits de première nécessité vont être supprimés. Le prolétariat ne demeurera pas inerte. C’est à des développements importants de la lutte des classes qu’il faut s’attendre. Toute la question est de savoir si à travers ces développements les matériaux pour la construction de véritables partis ouvriers révolutionnaires peuvent s’agréger.

En Europe

La suite dira si les développements du combat de la jeunesse et du prolétariat français contre le projet de « loi Travail » du gouvernement Hollande-Valls constituent un tournant en Europe. Sans doute la classe ouvrière en Europe n’est pas restée sans réaction. La récente grève de 24 heures en Grèce contre les nouvelles et violentes mesures anti-ouvrières du gouvernement Tsipras-Kammenos en témoigne. Mais ce qui caractérise jusqu’à ce jour les réactions de la classe ouvrière, c’est qu’elles demeurent cadenassées par les appareils syndicaux et sans perspective politique. Au Portugal, le prolétariat par son propre mouvement a interdit au PSP de nouer l’alliance gouvernementale avec les partis bourgeois qu’il ambitionnait. Ce n’est pas négligeable. En même temps, le gouvernement dirigé par le PSOE (et soutenu par le PCP et le « Bloc des gauches », sorte de Syriza portugais), s’il a fait quelques concessions mineures aux revendications ouvrières, a surtout fait allégeance à la troïka.

À vrai dire, ce qui domine, c’est la crise économique et politique de l’Union européenne sans que la classe ouvrière puisse faire prévaloir ses propres solutions. Pour ce qui est de la crise économique, on a vu comment la BCE essayait vainement d’y répondre. Politiquement, la « crise des réfugiés » en dit long sur ce qu’est l’Union européenne. La décision de ne plus admettre en Europe un seul réfugié, fut-il syrien ou irakien, de renvoyer même ceux qui sont déjà là - avec la contrepartie parfaitement illusoire d’en faire venir un nombre équivalent de Turquie - met au grand jour la barbarie de l’UE et de chacun de ses gouvernements. Barbarie, dont Can Dündar, journaliste d’opposition turc, encourant la prison à vie, a donné toute la mesure dans une tribune parue dans Le Monde du 16 mars : « L’Europe loue un camp de concentration à l’extérieur de ses frontières et ferme les yeux sur l’oppression exercée par le gardien volontaire de ce camp. » L’accord UE-Turquie place de fait « le gardien de camp » Erdogan en position de force sur un plan intérieur pour continuer et accélérer l’offensive contre les libertés démocratiques, la répression des opposants politiques et le massacre des Kurdes. Tous les discours sur les « valeurs démocratiques, humanistes, etc., de l’UE » se révèlent pour ce qu’ils sont : une répugnante mystification pourtant véhiculée à longueur de colonne par les dirigeants syndicaux en particulier. La façon dont a été prise cette décision en dit long également. Merkel ne s’est pas embarrassée de tous le fatras de la « légalité » des institutions européennes. Elle a négocié directement avec la Turquie, répondant ainsi de manière pratique à la question : qui est maître en Europe ? Pour le reste, et sur le fond, elle ne risquait pas d’être contredite, en tout cas pas par le gouvernement dirigé par Hollande et Valls. C’est ce dernier qui avait déclaré lors de son voyage en Allemagne : « Plus un seul réfugié » !

Non seulement cette politique ne se heurte à aucun combat sérieux de la part des organisations du mouvement ouvrier, mais ces derniers y collaborent pleinement. Du côté des dirigeants syndicaux, c’est un silence assourdissant. Quant aux dirigeants des partis sociaux-démocrates, ils en sont pleinement partie prenante. En Allemagne, sur cette question comme sur les autres, le SPD se comporte en véritable porteur d’eau de Merkel (rappelons que le SPD est intégré au gouvernement Merkel de « grande coalition »). Les commentaires sur les résultats des élections en Allemagne ont beaucoup insisté sur les succès de l’» Alternative pour l’Allemagne » dont la dirigeante propose de tirer à balles réelles sur les réfugiés. Ce n’est certes pas un évènement secondaire quand on sait que ce sont des membres de ce parti qui sèment la terreur contre les camps de réfugiés en Saxe par exemple. Mais on a moins insisté sur un résultat concomitant : à savoir la défaite cuisante du SPD. Dans le Bade-Wurtemberg et la Saxe, le SPD perd entre un tiers et la moitié de ses sièges, ramené à des scores entre 10,6 et 12,7 % des voix, historiquement bas. Et même en Rhénanie, il recule. Sans doute moins que dans les élections partielles en France où, entre 2012 et 2016, le PS a perdu... 4 électeurs sur 5. Le sévère échec du PSOE en Espagne complète le tableau (voir article dans ce numéro de CPS). La politique de prise en charge par les PS des violentes contre-réformes bourgeoisies à travers toute l’Europe reçoit sa sanction immédiate.

Combattre pour la construction de partis ouvriers révolutionnaires

A cette étape, la décomposition des partis sociaux-démocrates continue et s’accélère. Les partis ex-staliniens se survivent quant à eux de manière toujours plus étriquée, tout en continuant à jouer un rôle considérable pour imposer l’orientation de « dialogue social » sur la mise en œuvre des contre-réformes dans les syndicats.

Cette décomposition n’est en rien compensée : il n’y a pas à cette étape de véritable tendance à la recomposition du mouvement ouvrier sur un nouvel axe : celui de la révolution prolétarienne.

Il est pourtant certain qu’en relation avec de puissantes mobilisations de classe à venir, dans les syndicats comme dans les vieux partis, des militants tendront à rompre avec la politique réactionnaire de leurs dirigeants. En France, les vigoureuses réactions dans la CGT à la politique de Martinez signant le 23 février un accord avec la CFDT sur le terrain du soutien à la « loi Travail » – réactions contraignant Martinez à une inflexion politique (voir par ailleurs) – indiquent ce qui se produira à une plus large échelle et de manière beaucoup plus radicale à une autre étape. Nous avions noté ce qu’avait signifié l’élection de Corbyn à la tête du Labour en Grande-Bretagne. Toutefois, il faut remarquer aujourd’hui son alignement derrière Cameron sur le vote en faveur du maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne. Cela montre qu’aucune illusion n’est permise. En l’absence d’un véritable regroupement militant sur le programme révolutionnaire, d’une taille significative, l’aspiration à une politique de rupture avec le capitalisme est condamnée à être dévoyée.

La situation est différente aux États-Unis où le prolétariat américain ne dispose pas de parti propre. Mais le succès de Saunders - qui va jusqu’à parler de « socialisme » dans sa campagne aux primaires américaines, témoigne à sa façon de l’aspiration du prolétariat américain à se doter d’un tel parti. Toutefois, la fonction de la candidature de Saunders est justement de contenir cette aspiration, de faire en sorte qu’elle ne se réalise pas, de cantonner la « contestation » au sein du Parti Démocrate, parti de l’impérialisme américain, comme en témoigne son engagement en cas de défaite aux primaires à faire la campagne d’Hillary Clinton.

La constitution d’une force politique intégrant les acquis politiques de la 1ère, 2e, 3e  et 4e  Internationales, ainsi que ceux du Comité fondé par Stéphane Just, est donc de toute première importance pour l’avenir. C’est en cela que le renforcement de notre Groupe (dont les militants sont rassemblés autour du bulletin Combattre pour le Socialisme) est absolument nécessaire. Nous invitons nos lecteurs à y contribuer.

 

 

25 mars 2016

 

 

 

 

 

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