Espagne :
Combattre
pour que les directions des organisations ouvrières
rompent avec la bourgeoisie et se prononcent contre la formation
d’un gouvernement du PSOE avec les partis bourgeois
Élections législatives de
décembre 2015 : un nouveau recul des partis ouvriers
Résultats
des élections législatives du 20 décembre 2015 :
|
Résultats
en % des Votants |
Nbre de députés 2015 |
Nbre de députés 2011 |
Parti
Populaire |
28,72 |
123 |
183 |
PSOE |
22,01 |
90 |
110 |
Podemos |
20,66 |
69 |
X |
Ciudadanos |
13,93 |
40 |
X |
Unité
Populaire (ex-Izquierda Unida) |
3,67 |
2 |
11 |
PNV
(Basques) |
1,2 |
6 |
5 |
Démocratie
et Libertés [1] |
2,25 |
8 |
16 |
« Gauche
basque » |
0,87 |
2 |
7 |
« Gauche
catalane » |
2,39 |
9 |
3 |
Résultats
en % des inscrits |
1996 |
2000 |
2004 |
2008 |
2011 |
2015 |
Abstentions |
22,62 |
31,29 |
24,34 |
26,15 |
28,31 |
26,80 |
Parti
Populaire |
29,87 |
30,38 |
28,24 |
29,30 |
31,99 |
20,84 |
PSOE |
28,97 |
23,31 |
31,89 |
32,17 |
20,60 |
15,97 |
Izquierda Unida |
8,11 |
3,72 |
3,71 |
2,75 |
4,96 |
2,67 |
Podemos |
|
|
|
|
|
14,98 |
Ciudadanos |
|
|
|
|
|
10,11 |
Principaux partis "Nationalistes" |
5,95 |
4,77 |
5,75 |
3,92 |
5,69 |
4,87 |
Divers |
4,48 |
6,53 |
6,06 |
5,72 |
8,45 |
3,77 |
Ces
résultats expriment une défaite cuisante des partis issus du mouvement ouvrier,
PSOE et Izquierda Unida
(lié au PCE). Ces partis totalisent 18,64 % des inscrits contre
30,94 % pour le Parti populaire (PP) et Ciudadanos,
principaux partis bourgeois, alors que, déjà en 2011, le PSOE recueillait son
plus mauvais résultat depuis la fin du franquisme.
Entre
2008 et 2015, le PSOE passe de 11 millions à 5,5 millions de voix, et
Izquierda Unida est
définitivement hors-jeu, avec moins de un million de voix et seulement deux
députés.
C’est aussi une défaite pour le PP, parti
traditionnel de la bourgeoisie espagnole : il passe de près de 11 millions
à un peu plus de 7 millions voix. Pourtant, pour les partis représentants de la
bourgeoisie, le recul du PP est compensé par les 3,5 millions de voix qui ce
sont portées sur Ciudadanos, nouveau parti prétendant
à occuper la place du PP tout en apparaissant comme n’ayant aucun lien avec la
transition post-franquiste.
Même si aujourd’hui en Espagne s’ouvre une
situation inédite où aucun camp ne peut légitimement prétendre au pouvoir, les
rapports politiques n’ont jamais été aussi défavorables aux partis issus du
mouvement ouvrier.
L’apparition
de Podemos : un facteur de crise pour le PSOE sans être l’ouverture d’une
alternative politique
Un nombre massif d’Espagnols qui votaient
traditionnellement pour les partis issus du mouvement ouvrier (PSOE et Izquierda Unida) et une grande
partie de la jeunesse ont voté Podemos qui, nationalement, talonne le PSOE avec
un peu plus de 5 millions de voix. Podemos ne parvient pas à devancer le PSOE,
uniquement grâce aux votes de l’Andalousie et de l’Estrémadure, où le PSOE
s’est maintenu en tête.
Inversement, c’est en partie là où l’effondrement du
PSOE a été le plus important que Podemos a réalisé ses meilleurs résultats.
C’est le cas en Catalogne, en particulier à Barcelone, tout comme dans les
banlieues ouvrières de Madrid ou au Pays basque.
Plus largement, Podemos est devenu la première force
politique en Catalogne et au Pays basque, la seconde à Madrid, en Galice, aux
Canaries et aux Baléares. Mais ce n’est pas Podemos seul qui réalise ces
résultats : dans plusieurs régions, ses candidats se présentaient sur des
listes de coalition avec d’autres partis.
Il faut toutefois relativiser la
« performance » de Podemos. Certes, ce parti est au coude à coude
avec le PSOE, mais ce dernier n’a jamais été aussi bas, et pour l’instant,
Podemos est loin d’occuper la place qu’avait le PSOE.
La plupart des analystes politiques de
« gauche » répètent la même formule : « c’est la fin du
bipartisme », reprenant là les termes d’Iglesias,
le dirigeant de Podemos, qui déclarait le 20 décembre au soir : « Aujourd’hui une nouvelle Espagne est
née, celle qui met un terme au système de l’alternance. »
Même
s’il est vrai qu’aujourd’hui aucun des partis traditionnels, le PP et encore
moins le PSOE, n’est à même de former seul un gouvernement, cette analyse,
considérant que l’opposition PSOE-PP n’est qu’une question de
« bipartisme », nie l’origine de classe de ces partis. La défaite
historique du PSOE, la place centrale qu’occupe désormais l’organisation
petite-bourgeoise Podemos, combinée à une défaite relative des partis bourgeois,
traduisent d’abord l’impuissance politique des masses espagnoles.
La politique de Rajoy : tenter de favoriser la « reprise »
en amplifiant les coups contre les masses
Le PP
est arrivé au pouvoir en 2011, après des élections anticipées provoquées par le
PSOE. S’appuyant sur la politique que le PSOE au pouvoir avait menée, le
gouvernement Rajoy a amplifié les coups contre les
masses.
Dans
les domaines régaliens (sécurité, défense, justice, politique extérieure), les
dépenses de l’État ont diminué de 22 % en 5 ans et les moyens consacrés à
la culture, la santé et l’éducation ont été réduits de 10 % à 30 %.
Les dépenses consacrées aux infrastructures ont baissé de 53 %, à la
recherche de 33 %. Le non-remplacement de 9 fonctionnaires sur 10 et la pression
sur les salaires des agents publics ont permis d’importantes économies. Les
dépenses d’indemnisation du chômage ont été réduites. Le régime des retraites a
été réformé pour contenir l’évolution des prestations. Ces mesures ont permis
d’économiser 57 Md€ et de ramener la dépense publique à son niveau de 2006.
Dans le même temps, le gouvernement a augmenté les taux de « l’impôt sur
le revenu de l’activité et de l’épargne », de l’impôt sur les sociétés, de
la TVA et des impôts relevant des communautés autonomes ainsi que les
cotisations sociales. Les recettes fiscales ont augmenté de 33 md€ entre 2012
et 2014.
Il faut
ajouter à cela un plan de recapitalisation des banques de 127 md€, dont près de
60 md€ sur les fonds publics. En parallèle, les gouvernements des communautés autonomes
vont appliquer la même rigueur à leurs budgets.
Ajouté
à ça, un décret-loi sur les « mesures urgentes pour la réforme du marché
du travail » reprend pour l’essentiel les revendications patronales que le
PSOE n’avait pas pu satisfaire (malgré deux « réformes »
du marché du travail en 2010 et 2011).
Ces
coups, ajoutés à ceux portés contre l’Éducation (loi Wert
votée en 2013), la Santé, la suppression des subventions aux hôpitaux, la
réduction du personnel hospitalier et bien d’autres, ont fini par porter leurs
fruits.
Ainsi,
depuis 2013, une reprise de la croissance économique se précise. Merkel et Dragui expliquent : « les réformes mises en œuvre en Espagne sont l’exemple à suivre
pour sortir de la crise ». Et
Rajoy peut pavoiser : « Nous avons reconstruit notre économie en un temps record, nous
avons les meilleures fondations et le vent souffle en notre faveur. »
Le PIB,
après avoir baissé de 3,6 % en
2009 (au moment où éclate la crise en Espagne), est encore de - 2,6 % en
2012, de - 1,7 % en 2013 ; en 2014, il passe à + 1,4 % et en
2015 à + 3,1 %.
La
balance courante est passée d’un déficit de 110 milliards en 2008 à un excédent
de 5 milliards en 2013, en raison d’une baisse des importations (-1,5 % par
rapport à 2008) et à une augmentation des exportations (+21 % sur la même
période). Pour ne prendre qu’un exemple : l’automobile représente
15 % des exportations, et leur
volume a augmenté de 5,5 % au premier trimestre 2014.
Comme
nous l’avons dit plus haut, cette reprise a été permise grâce à une baisse
généralisée des salaires et une flexibilisation toujours plus importante des
emplois. Pourtant, c’est une reprise incertaine. Voici ce qu’en disent les Échos du 24 mars 2015 : « (…)
la production industrielle espagnole n’a pas progressé (…) La réindustrialisation sera longue et difficile », prévient Thibault Mercier [économiste chez
BNP Paribas]. (…). « L’investissement productif est reparti, mais il
reste en deçà de son niveau d’avant-crise », remarque pour sa part Denis Ferrand, directeur général de COE-Rexecode, pour qui « il ne faut pas exagérer la
portée du rebond espagnol » (…) « La vraie compétitivité passe par
l’amélioration de la productivité. Or, en Espagne, la hausse de la productivité
pendant la crise s’explique par l’effondrement de l’emploi dans les secteurs
peu productifs. »
La
dette extérieure s’est remis à augmenter début 2014 ; la dette publique
frise les 100 % du PIB en 2015 (soit 1000 md€), contre 40 % en 2007.
La dette privée est encore plus lourde.
Les
secteurs du bâtiment et de l’immobilier, au cœur de la croissance espagnole
avant l’éclatement de la crise, sont aujourd’hui sinistrés. Un chiffre :
la consommation de ciment est passée de 55,9 millions de tonnes en 2006 à 10,6
en 2012… Une chute spectaculaire, ramenant à la consommation de 1967.
Il va
donc de soi pour la bourgeoisie espagnole que la violence des coups portés ne
doit pas faiblir, la survie du capitalisme espagnol est en jeu.
Des coups contre les masses
appuyés sur un dialogue social permanent
En
février 2012, un décret-loi sur les « mesures urgentes pour la réforme du
marché du travail » est adopté par le gouvernement Rajoy ;
au menu : forte réduction du coût du licenciement, suppression de
l’autorisation administrative de licenciement économique, extension des
possibilités de modifications unilatérales du contrat de travail, priorité à la
négociation d’entreprise pour flexibiliser les conditions de travail... Or,
même si la politique des pactes sociaux entre les directions des organisations
syndicales, le gouvernement et les dirigeants syndicaux, telle que l’avait
pratiquée Zapatero, est abandonnée par Rajoy, le
dialogue social restera la camisole qu’enfilent les directions syndicales au
prolétariat.
« Dès le 30 novembre, dix jours
seulement après les élections, le gouvernement demandait aux directions des
CCOO et de l’UGT d’entamer des négociations avec les organisations patronales
afin de préparer la réforme du marché du travail, et de trouver un accord en
urgence. (…) Ils firent donc le choix de se rendre à la convocation du
gouvernement et du patronat. Malgré le contenu de la contre-réforme, pire
destruction des droits des travailleurs en Europe à cette date, les dirigeants
syndicaux n’en faisaient pas un casus belli, et le texte était adopté le 10
février. » (CPS n°46, 18 avril 2012)
Début
2012, les organisations syndicales signent un accord interprofessionnel
triennal qui met en œuvre des pertes de pouvoir d’achat cette année-là et une
modération salariale liée aux résultats des entreprises. Cet accord sera
ensuite décliné dans les accords de branches. De tels accords seront signés
dans la métallurgie, la chimie et les caisses d’épargne.
Pire
encore, dans l’automobile, les directions syndicales vont signer une série
d’accords d’entreprises dits de « compétitivité ». En 2010, c’est
Nissan-Renault, dans ses usines de Barcelone, qui ouvre la marche : l’UGT
accepte un gel des salaires jusqu’en 2014, une hausse du temps de travail à
salaire égal et une plus grande flexibilité dans l’aménagement du temps de
travail. Un nouvel accord est signé en 2013, avec l’ensemble des organisations
syndicales : il prévoit que les nouveaux embauchés auront un salaire de
35 % inférieur aux autres. D’autres constructeurs vont emboîter le pas :
en février 2012, Seat ; en mai 2012, PSA ; en novembre 2012,
Renault ; en 2013, General Motors et Ford… Chaque fois, l’UGT (parfois les
Commissions ouvrières), prend en charge ces pactes, laissant isolés les
ouvriers de l’automobile entreprise par entreprise.
C’est
en s’appuyant sur l’isolement des travailleurs et sur la signature d’accords au
niveau national que les constructeurs parviennent à faire avaler à la classe
ouvrière l’inéluctabilité de leurs plans. Leur discours sera relayé par les
directions syndicales : « Nous ne pouvons pas tout accepter, mais
pas non plus être trop exigeants dans les négociations, car ce plan est très
important pour nous, reprend M.
Martin Puertas (UGT). Il permettrait de créer de
l’emploi dans les usines Renault durant plusieurs années.» (Le
Monde, 8 novembre 2012)
Candido Ménedez, dirigeant UGT, a clairement exprimé
le contenu de ces négociations :
« Nous devons faire une politique qui favorise le maintien et la création
de secteurs industriels avec une plus grande valeur ajoutée. » Une
déclaration qui se passe de commentaire.
Un recul sans précédent pour
les masses espagnoles
L’Espagne
de 2016 est plus pauvre que celle de 2008, les masses y connaissent une
dégradation catastrophique de leurs conditions d’existence, car le moteur de la
« reprise économique » c’est une baisse générale des salaires :
des spécialistes estiment que les salaires réels ont baissé de plus de 8 %
entre 2009 et fin 2013.
Le taux
de chômage (20,9 %) est le deuxième plus élevé de l’Union européenne ; 50 % de la jeunesse est au chômage. Un
million et demi de personnes entre 16 et 29 ans n’ont pas de travail et ne se
forment pas, et si leur nombre a baissé depuis 2009, c’est que beaucoup sont
partis à l’étranger. Le pays est donc ancré dans un chômage de masse.
En
2012, le risque de pauvreté des chômeurs a augmenté de 13 points depuis le
début de la crise ; il existe près de 2 millions de ménages dont tous les
membres sont au chômage et près de huit cent mille où aucun de ces membres ne
perçoit de revenu. Près de la moitié des chômeurs n’est plus indemnisée. Au dernier trimestre 2015, la population
active était à son plus bas niveau depuis le premier trimestre 2008.
Les
créations d’emplois sont en grande majorité des emplois précaires (64 % de
contrats temporaires à temps plein). Des emplois fragiles, qui avaient été les
premiers supprimés au moment de l’éclatement de la crise (2,5 millions
d’emplois temporaires ont été perdus entre 2008 et 2013).
C’est
aussi la vie quotidienne des masses espagnoles qui ne cesse de se
dégrader : expulsion de leur logement pour ceux qui ne peuvent plus payer,
coupures d’eau, de gaz, d’électricité. De plus en plus d’Espagnols en sont
réduits à se nourrir grâce aux associations caritatives.
La réaction des masses à la
politique du PP
La
politique d’accords des directions des organisations syndicales avec le
patronat, combinée à la défaite historique du PSOE aux élections de décembre
2015 et la place centrale qu’occupe désormais Podemos, traduisent d’abord
l’impuissance politique des masses espagnoles. Pourtant, depuis 2011, face la
politique de Rajoy, une puissante volonté de
résistance du prolétariat et de la jeunesse s’est exprimée.
Ce fut
d’abord les deux journées de « grève générale », appelées par les
directions confédérales en 2012, après l’adoption de la loi sur la
« réforme » du marché du travail. Largement suivies, elles seront
sans lendemain et resteront enfermées dans le cadre fixé par les directions
confédérales : les objectifs assignés à ces grèves n’étaient pas le
retrait de la loi, mais une inflexion de celle-ci.
Des
mouvements importants vont se développer face aux coupes budgétaires. En 2011,
les enseignants madrilènes engagent des mouvements de grève contre l’offensive
menée par la présidente (PP) de la région. Les Commissions ouvrières
s’intègrent aussitôt dans ce mouvement qui va prendre de l’ampleur, avant que
les directions syndicales organisent son isolement dans une
« plate-forme » intégrant les syndicats mais aussi une multitude
d’association ou de mouvements citoyens. En 2012, ce mouvement prend une
ampleur nationale (contre la loi Wert). Là encore,
les directions syndicales ne prendront pas en charge l’organisation du combat,
s’abritant derrière la « plate-forme » citoyenne, dite « marée
verte ».
Des mouvements
similaires se développent ensuite dans différents secteurs, tous sur le modèle
de la « marée verte », et plus significativement dans la santé
(« marée blanche »). Sur la base de ces « marées », les
directions syndicales confédérales et professionnelles constituent en avril
2012 une « plateforme pour la défense sociale et les services
publics », regroupant avec eux 150 associations. Une manière d’éviter la
confrontation directe avec le gouvernement...
En
juillet 2012, le gouvernement Rajoy annonce le pire
programme d’austérité depuis le début de la crise. Des manifestations
spontanées éclatent, surtout à Madrid. Les directions syndicales de la fonction
publique appellent alors à des
manifestations dans toute l’Espagne, qui seront massives. Mais le cadre est
fixé : il faut que le gouvernement ouvre le dialogue, comme en témoigne
cet extrait de l’appel à la grève : « Le
nouveau plan de rigueur annoncé par Rajoy au Congrès
des Députés ne va pas rester sans réponse et nous disons à ce gouvernement qu’il
joue actuellement avec du feu. (…) Ce gouvernement n’a pas arrêté de décréter
des coupes, de mépriser la négociation, le consensus et le dialogue social. Un
dialogue social qui a été un outil très précieux pour défendre l’État
providence et l’équilibre des relations du travail et que maintenant Rajoy méprise à nouveau. »
La
question de la manifestation aux Cortès (Parlement) pour empêcher le vote des
mesures d’austérité du gouvernement Rajoy va se poser
concrètement, mais les masses se retrouvent face à une ribambelle de journées
d’actions. Et si le 15 septembre 2012, un samedi, à l’appel de l’UGT, des CCOO
et de la « plate-forme sociale », se tient une manifestation
nationale, l’objectif de cette manifestation n’est pas d’interdire le vote des
coupes budgétaires, ce qui supposerait d’affronter le gouvernement, mais :
« Les syndicats [il faut
entendre les directions syndicales]
soutiennent que les efforts de réduction du déficit sont injustement concentrés
sur les classes populaires et exigent un référendum sur cette politique. »
(Le Monde, 15 septembre 2012).
Pourtant, les masses seront présentes, démontrant leur volonté de combat.
Bien
sûr, il n’est pas possible dans le cadre de cet article de détailler toutes les
initiatives prises par les appareils pour briser cette volonté de combattre qui
s’exprima lors de manifestations massives et de grèves jusqu’au début 2013… On
y entend toujours le même refrain :
« Nous enjoignons au
gouvernement de l’Espagne de négocier, car il existe encore une certaine marge
d’autonomie dans la façon de mettre en place les politiques d’austérité et les
politiques structurelles imposées par les institutions européennes depuis le
mois de mai 2010. » (Ignacio Fernández Toxo,
président de la Confédération Européenne des Syndicats - CES -, secrétaire
général de Commissions ouvrières, cité par
Le Monde, 29 mars 2012).
Présentée
comme l’aboutissement de ces tentatives de combat, une « Marche de la
Dignité » se tient le 22 mars 2014 à Madrid, rassemblant plusieurs
centaines de milliers de manifestants. Cette marche était convoquée par une
kyrielle de groupes : du SAT (Syndicat andalou des travailleurs) aux
dizaines de collectifs composant le syndicalisme « alternatif », en
passant par les mouvements sociaux et la multitude de groupes de tout type dont
la liste serait sans fin ; sans oublier les assemblées du 15-M (Indignés),
la PAH (Plate-forme contre les expulsions de logement), la « Coordination 25-s », etc.
Le
manifeste d’appel à cette marche se concluait ainsi : « Une mobilisation contre le paiement de la dette, pour un emploi
digne, pour un revenu suffisant, pour les droits sociaux, pour les libertés
démocratiques, contre les coupes, la répression et la corruption, pour une
société d’hommes et de femmes libres ; une mobilisation contre un système,
un régime et des gouvernements qui nous agressent et ne nous représentent pas.
Par conséquent nous exigeons qu’ils s’en
aillent. Que s’en aillent le gouvernement du Parti populaire et, également,
tous les gouvernements qui sabrent dans les droits sociaux fondamentaux, tous
les gouvernements qui collaborent avec les politiques de la troïka. »
Mais
aucune perspective politique. Car seul le front unique des organisations
ouvrières, UGT et CCOO, reprenant à leur compte ces revendications, rompant le
dialogue social avec la bourgeoisie, combattant pour chasser le gouvernement Rajoy et sa majorité au Parlement aurait été à même
d’ouvrir une perspective politique au prolétariat et la jeunesse. À l’inverse,
en écartant dédaigneusement ces organisations, les organisateurs de cette
« marche » laisseront les mains libres aux directions de l’UGT et le
CCOO, leur laissant l’occasion de renouer avec le dialogue social.
Ainsi,
le 18 mars 2014, Rajoy se réunissait au palais de la
Moncloa avec les présidents de la CEOE (le Medef espagnol), de la CEPYME
(Confédération espagnole des petites et moyennes entreprises) et les
secrétaires généraux des CCOO et de l’UGT. Après cette réunion, un communiqué
officiel était publié, déclarant qu’« après
avoir analysé la situation que traverse le pays, (ils) se sont engagés à impulser le dialogue social. »
Suite à
cette première rencontre, plusieurs accords seront signés en 2014. Le
dispositif visant en enfermer le prolétariat dans le cadre du dialogue social
est complet. D’un côté les directions syndicales refusant de prendre en charge
le combat contre le gouvernement, et réintégrant son dispositif de dialogue
social ; de l’autre, la galaxie citoyenne propulsée par le mouvement des
Indignés, pour qui il s’agit en aucun cas de poser la question du pouvoir,
leurs représentants expliquant : « les syndicats font partie du problème et non de la solution »,
laissant le prolétariat et la jeunesse désarmés.
La grève des mineurs des
Asturies pouvait ouvrir la perspective
d’un affrontement général avec le gouvernement
Le
bassin minier des Asturies a été un foyer de lutte de la classe ouvrière
espagnole, depuis la grève insurrectionnelle de 1934, en passant par les grèves
contre le pouvoir franquiste en 1962.
En
pleine restructuration depuis 20 ans, les mines de charbon ont progressivement
fermé. À ce jour, une quarantaine est encore en activité, faisant travailler
8.000 mineurs. Mais le charbon espagnol, plus cher que le charbon importé,
dépend des subventions de l’État. En 2011, l’Union européenne demandait que ces
subventions prennent fin en 2018.
Le
gouvernement Rajoy décidait alors de réduire les
aides au secteur de 63 %. Jusqu’à 30.000 emplois directs ou indirects
étaient menacés.
Le 28
mai 2012, les mineurs se lancent dans une grève, reconduite jusqu’au 1er
juin, date à laquelle est lancée une grève illimitée qui conduit à l’occupation
des puits mais aussi des routes et chemins de fer menant aux sites
d’extraction. Le 18 juin, une journée de grève générale est appelée par les
deux principaux syndicats UGT et CCOO dans les régions minières touchées par
les mesures du gouvernement (Castille, Andalousie, Aragon, Asturies). Selon les
syndicats, la grève est très largement suivie, avec une adhésion de 100 %
dans les bassins miniers concernés. Un mouvement relayé par celui des
enseignants, des ouvriers des chantiers navals et surtout des travailleurs des
transports.
Un mot
d’ordre apparaît : « Nous ne
sommes pas des indignés, nous en avons marre ! » Le caractère que
prend cette grève ne fait que confirmer cette appréciation : « Le conflit des mineurs espagnols, en
grève depuis deux mois, a redoublé de violence vendredi avec de nouveaux
affrontements dans le nord du pays qui ont fait deux blessés, pendant que la
"marche noire" s’approche de Madrid, où elle doit arriver mardi
soir.(…). » (La Dépêche, 6
juillet 2012)
L’arrivée
de cette « marche noire » à Madrid va exprimer clairement
l’aspiration des masses espagnoles à affronter directement le gouvernement en
suivant l’exemple des mineurs. Le 10 juillet, les mineurs arrivent à Madrid
dans la nuit. Ils sont accueillis par des milliers de madrilènes aux cris
de : « Madrid obrero está con los mineros », « ¡ Que viva
la lucha de la clase obrera ! », « ¡
Si esto no se arregla, guerra, guerra, guerra ! »(« Si ça n’est pas abrogé, guerre, guerre, guerre ! ») » (Libération, 9 juillet 2012)
La même
aspiration s’exprime tout au long de la « marche noire » des
mineurs : « “Nous autres, nous n’avons pas peur de la police, si
on nous attaque, on répondra. On ne va pas lâcher notre objectif “, assure Arturo San Gil, qui en est à sa
troisième marche noire en deux décennies. (…) Et de rappeler avec fierté :
“En Espagne, ce sont
les mineurs qui ont déclenché les principales luttes. Rappelez-vous la guerre
civile, elle a commencé dans les Asturies, au fond des mines. Aujourd’hui, notre
mouvement pourrait réveiller d’autres secteurs.“ » (Libération, 9 juillet 2012)
Alors
que le jour même de cette manifestation le gouvernement annonçait de nouvelles mesures
d’austérité, la grève des mineurs, conjuguée aux mouvements de nombreux
secteurs contre la politique anti-ouvrière du gouvernement Rajoy,
posait objectivement la question de l’appel immédiat à la grève générale de
l’ensemble du prolétariat espagnol par les directions de l’UGT et des
Commissions Ouvrières, pour vaincre et chasser ce gouvernement.
En
l’absence d’une telle perspective, malgré l’ampleur du soutien populaire, et la
détermination et la combativité des mineurs, ce mouvement va être liquidé par
les directions syndicales du secteur minier :
« Nous
avons décidé de réorienter la mobilisation, c’est pourquoi les travailleurs
retranchés dans les différents puits sortiront aujourd’hui [jeudi] et demain,
le 3 août, les activités reprendront dans les mines", a déclaré dans un communiqué le syndicat
UGT, à l’origine de la grève avec celui des Commissions ouvrières (CCOO). (…)
Étant donné que le gouvernement dit "ne pouvoir apporter aucune
solution en 2012" pour le secteur du
charbon, déclare l’UGT, "un nouveau calendrier d’actions et de
mobilisations" sera élaboré par les
syndicats.” (Le Monde, 3 août
2012)
La
défaite de la grève des mineurs fermait la possibilité de combattre la
politique « d’austérité” du gouvernement Rajoy
sur un terrain d’affrontement de classe, laissant la porte grande ouverte aux
illusions frelatées portées par les Indignés.
Les objectifs de Podemos
Dès les
élections européennes, Podemos fait un carton. En à peine six mois, il parvient
à rassembler 1,2 million de voix et à talonner Izquierda
Unida.
Le 31
janvier 2015, Podemos appelait à une « marche pour le changement », à
Madrid, qui réunira des dizaines de milliers de manifestants. Mais qu’elle
était la revendication de cette marche ? Il n’y en avait pas. Pour Iglesias, le leader de Podemos, il s’agissait de mobiliser
le « rêve », avec pour mot d’ordre : « si se puede » (« oui
c’est possible »). Tout un programme, plutôt, l’expression de l’absence de
tout programme, de toute perspective.
« Le premier travail de Podemos consiste
à « traduire » le discours traditionnel de la gauche à partir d’axes
discursifs capables d’emporter l’adhésion la plus large : les questions de
la démocratie, de la souveraineté et des droits sociaux. « Concrètement, précise
Lago, nous ne parlons pas de capitalisme. Nous
défendons l’idée de démocratie économique. » Oubliée, donc, dans les discours, la dichotomie
« gauche-droite » : « La ligne de fracture, explique
M. Iglesias, oppose désormais ceux qui comme
nous défendent la démocratie (...) et ceux qui sont du côté des élites, des
banques, du marché ; il y a ceux d’en bas et ceux d’en haut ; (...)
une élite et la majorité » (Le
Monde Diplomatique, 22 novembre 2014).
Pour
Podemos, il ne faut en aucun cas parler ni d’ouvriers, ni de capitalisme, ni de
socialisme… En fait, ils se réclament de Don Quichotte !… De plus, on
retrouve chez Podemos, comme chez les Indignés, le refus de la forme
parti :
« C’est surtout l’héritier des
mouvements sociaux et plates-formes citoyennes, comme les Indignés de mai 2011,
qui ont essaimé pendant la crise. “Podemos est parvenu à canaliser ces énergies vers
une option politique concrète“, estime
Fernando Vallespín.
Cet héritage explique la structure résolument
participative du parti, qui répond aux attentes des Espagnols, désireux de
s’emparer du débat politique. Les 265.000 adhérents de Podemos ne paient pas de
cotisation au parti, qui se finance, pour l’instant, via le « crowdfunding ». Ils se réunissent en groupes
géographiques ou sectoriels, les « cercles », organisés partout en
Espagne, en toute autonomie. (…)
Au sein de ces cercles, comme au niveau
national, Podemos exploite tous les outils du numérique, (…) Les instruments
numériques correspondent bien à la philosophie participative du groupe. Grâce à
eux, “les
cercles et les gens [sont] les principaux promoteurs des initiatives, débats et
consultations citoyennes qui définiront l’action de Podemos“, pouvait-on lire dans le document de
candidature de Pablo Iglesias et de son équipe aux
organes centraux de Podemos.” (Les
Echos, 11 décembre 2014)
Pour Iglesias, peu importe la perspective politique, l’essentiel
est de « mobiliser ce que personne
n’a mobilisé : l’illusion. » Il s’agit pour lui d’opposer le
« peuple » à la « caste » dans laquelle il inclue sans
différenciation, le PP au pouvoir, les grands médias, les institutions de
l’État, autant que les organisations traditionnelles du mouvement
ouvrier : le PSOE ou les deux grandes confédérations ouvrières,
Commissions Ouvrières et UGT…
Le
programme économique de Podemos est tout aussi… accommodant. Par exemple ? « le but n’est pas de ne pas payer la dette… Nous pouvons essayer
de promouvoir un processus de restructuration ordonné de la dette en Europe et
spécialement dans les pays de la périphérie… ». Ainsi en août 2015,
quand en Grèce Tsipras capitulait devant les principaux impérialismes
européens, Podemos continuait de soutenir le parti « frère ». Iglesias déclarait : « … c’était une situation limite : soit l’accord, soit une
sortie de l’euro », ajoutant que, « d’une
certaine manière le gouvernement [grec]
a gagné en stabilité », et « en
même temps, il a obtenu que le sujet de la restructuration de la dette soit
envisagée »… Une bien belle « victoire » pour les masses
grecques en effet. Le numéro deux de l’organisation déclarait également que les
élus de Podemos auraient pu voter oui à l’accord européen, qui prévoyait
pourtant l’application des mesures d’austérité rejetées par un referendum en
Grèce…
Et de
la même façon que Podemos s’engage à respecter le cadre de l’économie capitaliste,
cette organisation ne considère pas qu’il est nécessaire d’en finir avec la
monarchie.
Podemos : pour une
réforme constitutionnelle… sans remettre en cause la monarchie
« À la mort de Franco, le 2 novembre
1975, Juan Carlos, qu’il a désigné comme son successeur, accède au trône. Très
rapidement, il va se lancer dans une opération de "réforme politique"
du franquisme pour préserver l’État bourgeois espagnol et ses institutions
essentielles. Le gouvernement Juan Carlos – Suarez constitué en juillet 1976
(au retour de Juan Carlos d’un voyage aux États-Unis) accouchera d’une loi de
"réforme politique", validée par référendum en 1976.
Cette loi correspond à la nécessité pour la
bourgeoisie espagnole d’adapter la forme de sa domination aux nouveaux rapports
politiques avec sa classe ouvrière, de tenter de préserver contre elle
l’essentiel des institutions de l’État. (…).
Mais elle est lourde de dangers :
l’apparition de fissures dans l’édifice franquiste peut précipiter l’irruption
révolutionnaire des masses. C’est pourquoi de nombreux secteurs de la
bourgeoisie espagnole s’opposent à la "réforme politique", comme plus
tard certains secteurs de l’armée tenteront un coup d’État dans une tentative
vaine de rétablir l’ordre antérieur des choses.
La loi de "réforme politique"
garantit cependant l’essentiel : elle préserve l’État bourgeois.» (Combattre pour le Socialisme, mars 2001)
La
monarchie est le principal garant de la continuité des institutions héritées du
franquisme. Mais Podemos ne se prononce ni pour en finir avec elle, ni pour la
République. Citons Iglesias :
« Nous avons été confrontés à un cas
d’école lors de la visite officielle du roi d’Espagne au Parlement européen, le
15 avril 2015. (…) Il existe, grosso modo, deux options. La première, généralement
adoptée par la gauche - dont Izquierda Unida (Gauche unie) -, consiste à dire : “Nous sommes républicains.
Nous ne reconnaissons pas la monarchie, nous n’irons donc pas à la réception en
l’honneur du roi d’Espagne. Nous ne reconnaissons pas cet espace de légitimité
pour le chef de l’État.“ Même si c’est
une position parfaitement tenable sur le plan éthique et moral, elle nous place
immédiatement dans l’espace de la gauche radicale, dans un cadre très
traditionnel. Cela nous aliène instantanément de larges couches de la
population qui éprouvent de la sympathie pour le nouveau roi (…). La
monarchie figure toujours parmi les institutions les plus appréciées en Espagne.
(…) Deux options, donc : soit nous n’allons pas à la réception et nous
restons coincés dans la grille d’analyse traditionnelle de l’extrême gauche,
qui offre très peu de possibilités d’action ; soit nous y allons (…).
Nous y sommes allés, mais sans rien changer à
notre façon de nous présenter, avec nos vêtements de tous les jours, en ignorant
le protocole. » (Le Monde Diplomatique, juillet 2015).
Podemos
choisit en réalité le soutien à la monarchie. Quand en juin 2014 les députés
votaient à 85 % pour la loi intronisant Philippe de Bourbon, suite à
l’abdication de Juan Carlos, Iglesias expliquait :
« il ne s’agit pas d’un débat sur la forme de l’État. Il s’agit d’un débat
pour savoir si les Espagnols sont majeurs et s’ils ont le droit de décider ou
s’ils doivent rester sous tutelle des élites des partis qui prennent les
décisions dans les salons privés des restaurants au lieu de les soumettre aux
citoyens. »
Le même
aveu de soumission aux institutions apparaît dans la composition des listes de
Podemos pour les élections législatives de décembre 2015. On y retrouve
pêle-mêle : des magistrats, le dirigeant d’un syndicat des Gardes civils
(police à statut militaire héritée du franquisme) et surtout un ancien général.
Cette dernière recrue est plus qu’un symbole : c’est l’ancien général de
l’armée de l’air et le chef d’état-major des armées (à ce titre, il joua un
rôle majeur dans la guerre menée par l’OTAN en Libye en 2011). C’est cet
homme-là que Podemos place en deuxième position sur sa liste dans la province
de Saragosse, le présentant comme le futur ministre de la défense d’un
gouvernement de Podemos…
Une
dirigeante de Podemos, élue européenne mais surtout représentante du courant
« anticapitalistas » du parti, Teresa
Rodriguez, explique que cette candidature se justifie au nom du respect de la
« pluralité » de Podemos. Mais elle va plus loin en soutenant la
position de Podemos de respecter les accords signés entre l’état espagnol et
l’OTAN.
Et
cette politique va à l’encontre de l’aspiration des masses d’en finir avec les
institutions héritées du franquisme.
Le renouveau des aspirations
républicaines
Or, la
contestation de la monarchie a refait surface ces dernières années. En
plusieurs occasions, on voit réapparaître de façon de plus en plus évidente,
les références à la République. Lors de manifestations des enseignants à Madrid
en 2011 et 2012, les drapeaux républicains ont fait leur apparition, tout comme
le 22 mars 2014, à l’arrivée de la « marche de la dignité » à Madrid.
Mais il faut surtout parler des manifestations qui eurent lieu en faveur de la
République au moment de l’abdication de Juan Carlos.
La
« transition » a mis sous le boisseau la nécessité de faire le bilan
des décennies franquistes, cela au nom de la réconciliation nationale autour
d’une soi-disant démocratie retrouvée. Or, aujourd’hui, en particulier dans la
jeunesse, la nécessité de se réapproprier son passé se fait de plus en plus
vive.
Quant
au PSOE, inconditionnellement pour la défense de la monarchie, il adoptait en
2013, lors de sa conférence chargée de définir le projet du parti, l’épigraphe
suivante : « La tradition culturelle
et politique du PSOE est la Constitution de 1978. Mais il l’a approuvée et
soutenue comme l’expression d’un cadre juridico-politique qui nous rendait la
liberté, la démocratie et l’État social et de droit. Cette Constitution a
consacré la monarchie parlementaire comme forme d’État, c’est l’un des grands
accords consensuels sur lesquels notre Transition s’est fondée, comme toute
notre vie démocratique ces trente-cinq dernières années ». Il faut
pourtant préciser que bien qu’adoptée par la majorité de la conférence, cette
déclaration de soumission à la monarchie était votée sous les huées d’une
partie des présents. Ainsi, même si cela ne s’est pas exprimé publiquement, il
existe au sein du PSOE la réfraction de l’aspiration à en finir avec la monarchie.
Les élections municipales et
régionales de mai 2015 : un premier coup de semonce
Des
élections régionales se tenaient, en mai 2015, dans 13 des 17 communautés
autonomes que compte l’Espagne. Un mois plutôt, une première élection se tenait
en Andalousie.
On
assistait au recul du PP : alors qu’il gouvernait 13 régions précédemment,
il ne se maintiendra que dans 4 régions, notamment grâce au soutien de Ciudadanos.
L’abstention,
combinée aux bulletins blancs et nuls, était de 35,6 %. Le PP recueillait
19,2 % des voix des inscrits, le PSOE 17,8 %, Podemos 9,3 %, Ciudadanos 6,4 % et Izquierda
Unida 2,5 %.
Malgré
son résultat mitigé, Podemos doublait le nombre de ses voix depuis les
Européennes : il passait de 1 million à 2 millions de voix environ. Mais,
nulle part, un parti n’était en mesure de constituer seul une majorité dans les
parlements régionaux.
Ainsi,
plusieurs configurations vont se présenter dans la constitution des
gouvernements régionaux : en Andalousie, c’est une coalition PSOE-Ciudadanos qui forme le gouvernement, dans les Asturies, ce
sont le PSOE et IU qui gouvernent ensemble ; en revanche, dans 4 régions
(Aragon, Baléares, Estrémadure et Valence), un président PSOE est élu avec les
voix de Podemos.
S’agissant
des municipales, la configuration est différente. Podemos ne désignait pas de
listes ; à la place, se présentaient des listes de coalition regroupant
des membres d’associations représentant la « société civile »
(Plate-forme des victimes des hypothèques, à Barcelone ; « plates-formes
citoyennes » Ganemos
- « nous gagnons » -, qui s’étaient constituées dans plusieurs villes
en Espagne en vue des municipales, etc.), mais aussi des sections locales de
Podemos, Izquierda Unida,
les Verts, etc.
Les
Municipales constituent la victoire la plus emblématique de ces listes,
victoire attribuée à tort à Podemos seul. Ces listes prennent la direction des
deux villes les plus importantes du pays : Barcelone et Madrid, mais aussi
de trois capitales de provinces. Ce sont au total neuf villes de plus de cent mille
habitants dont le maire sera issu de ce type de listes.
Pour le
PP, ces élections sont aussi un retour de balancier par rapport aux élections
de 2011 où il avait pris de nombreuses municipalités au PSOE : alors qu’il
dirigeait 38 villes de plus de cent mille habitants depuis 2011, il n’en a plus
que 18, tandis que le PSOE repasse lui de 11 à 23 villes. Il faut préciser que
souvent ces basculements se font avec le soutien des listes
« citoyennes », et que les villes que ces dernières gagnent le sont
grâce au soutien du PSOE.
Les élections régionales
catalanes : un facteur de crise de l’État espagnol
En
2005, le « gouvernement tripartite » catalan (PSC, IU/Les Verts et
ERC) établit avec la formation bourgeoise Convergences et Union (CiU) un accord sur un nouveau statut d’autonomie de la
Catalogne. Cet accord prévoyait notamment de définir la Catalogne comme
« nation », de créer une circonscription catalane pour les élections
européennes et de reconnaître deux langues officielles. Le nouveau statut
d’autonomie est approuvé par le Parlement catalan en septembre 2005. Aussitôt,
le PP dépose un recours devant le tribunal constitutionnel.
En
2006, un accord reprenant les termes de ce statut est signé entre Zapatero,
alors au pouvoir, et Artur Mas, le dirigeant de CiU.
Le congrès puis le Sénat adopte ce projet. Le nouveau statut entre en vigueur
après un referendum qui se tient en Catalogne : il est approuvé par près
de 74 % des votants, mais la participation n’est que de 49 %.
En
2010, un arrêt du tribunal constitutionnel va invalider un certain nombre
d’articles de ce statut, notamment la référence à la « nation
catalane » et la définition du caractère préférentiel du catalan sur
l’espagnol. À partir de là, suit une vague de protestation en Catalogne, qui
culmine avec l’organisation d’une marche à Barcelone autour du slogan
« Nous sommes une nation. Nous décidons ». Elle est soutenue par
l’ensemble des partis, à l’exception du PP et de Ciudadanos,
et réunit plus d’un million de personnes. Cela en fait la manifestation la plus
importante de l’histoire de la Catalogne.
La
décision du tribunal constitutionnel, combiné au développement de la crise, va
contribuer à la montée en puissance de la volonté d’indépendantisme catalan.
Parallèlement, CiU, au pouvoir en Catalogne depuis
2010, soutient et met en œuvre les plans de rigueur, et doit affronter les
masses sur cette question.
Le 11
septembre 2012, jour de la fête nationale catalane, une nouvelle manifestation
de masse a lieu :
« “ Que veut cette foule ? Un nouvel État
d’Europe. Que veulent ces gens ? Une Catalogne indépendante “, hurlaient en catalan les manifestants
venus en famille et entre amis. (…) “ La crise donne des arguments pour
l’indépendance “, affirme Mar Tarres, une avocate de 24 ans (…). “ Il y a le
sentiment qu’il y a plus de coupes ici parce que nous payons pour les
autres. “, ajoute-t-elle. »
(Libération, 11 septembre 2012)
Pour le
gouvernement catalan, il s’agit d’utiliser la question de l’indépendance au
compte de la bourgeoisie catalane : la Catalogne (région la plus riche
d’Espagne), ne doit pas payer pour le reste du pays. Pour CiU,
il s’agit d’utiliser la question nationale pour faire pression sur Madrid.
C’est dans ce cadre, face à la nécessité de se faire une nouvelle crédibilité en
Catalogne, qu’Artur Mas convoque des élections anticipées en 2012. Cela ne
suffira pas, CiU perd le quart de son électorat et
c’est le parti indépendantiste et républicain, l’ERC, qui tire profit de la
situation en doublant le nombre de ses voix.
À partir
de là, se constitue un gouvernement de coalition CiU-ERC
qui va tempérer le programme de coupes précédemment engagé et lancer un
processus posant la question de l’indépendance nationale catalane, notamment en
tentant d’organiser un referendum d’autodétermination en 2014. Aussitôt
annoncée la date du referendum, le gouvernement Rajoy
saisira le tribunal constitutionnel pour le faire interdire, le déclarant
anticonstitutionnel : si la consultation s’est bien tenue en Catalogne en
novembre 2014, elle n’a aucun caractère légal.
C’est
un autre type de referendum qui a lieu lors des élections régionales catalanes
de septembre 2015. En effet, les partis nationalistes se présentaient en
faisant de ces élections une consultation pour ou contre l’indépendance. À cette
occasion, les partis au pouvoir en Catalogne constituaient une coalition
« Ensemble pour le oui ». Le résultat n’est pas net : même si
les partis pro-indépendantistes ou se présentant comme tels obtiennent la
majorité absolue au Parlement, ils n’obtiennent que 47,7 % des voix
exprimées.
Le 9
novembre 2015, le nouveau Parlement catalan adopte une résolution qui proclame « le début du processus de création
d’un état catalan indépendant sous la forme d’une république ». Cette
proclamation est assortie de la promesse d’organiser un referendum avant 2017,
lors duquel serait présenté le projet de Constitution de cette nouvelle
République catalane.
Mais
encore une fois, le tribunal constitutionnel annulait cette résolution alors
que Rajoy proclamait sa « fermeté et sa détermination » à défendre l’unité de
l’Espagne. Dans sa volonté de s’opposer au droit à l’autodétermination de la
Catalogne, le PP est soutenu par le PSOE autant que par Podemos. Ainsi, les
dirigeants de ces deux partis allaient rencontrer Rajoy
pour discuter de la question catalane.
Et
c’est seulement en janvier 2016 que le Parlement catalan parvient à élire un
nouveau président (membre de Convergence démocratique de Catalogne), avec les
voix des députés de la liste « Ensemble pour le oui » et de ceux de
la CUP. À peine élu, celui-ci modère les ardeurs indépendantistes en expliquant
que son gouvernement ne déclarerait pas unilatéralement l’indépendance de la
région. Dans une interview télévisée, il ajoutait : « Disposons-nous d’une puissance suffisante pour déclarer
l’indépendance de la Catalogne avec ce Parlement ? Pas encore ».
Pour lui, s’il doit y avoir indépendance de la Catalogne, c’est dans le cadre
des institutions espagnoles.
La
question catalane reste donc un facteur de crise pour la bourgeoisie espagnole,
et le fait que Rajoy ait demandé de former un
gouvernement d’unité nationale avec le PSOE pour la défense de l’unité
espagnole le démontre. De même, la question catalane est au centre des
discussions pour la formation d’un gouvernement entre Podemos et le PSOE.
L’enjeu du droit à
l’indépendance de la Catalogne pour le prolétariat espagnol
« Les tendances séparatistes posent
devant la révolution le problème démocratique du droit des nationalités à
disposer d’elles-mêmes. Ces tendances, considérées superficiellement, se sont
aggravées pendant la dictature. Mais tandis que le séparatisme de la
bourgeoisie catalane n’est qu’un moyen pour elle de jouer avec le gouvernement
madrilène contre le peuple catalan et espagnol, le séparatisme des ouvriers et
paysans n’est que l’enveloppe d’une révolte intime, d’ordre social. Il faut
établir une rigoureuse distinction entre ces deux genres de séparatisme.
Cependant, et précisément pour disjoindre de leur bourgeoisie les ouvriers et
les paysans opprimés dans leur sentiment national, l’avant-garde prolétarienne
doit prendre, sur cette question du droit des nationalités à disposer
d’elles-mêmes, la position la plus hardie, la plus sincère. Les ouvriers
défendront intégralement et sans réserves le droit des Catalans et des Basques
à vivre en États indépendants, dans le cas où la majorité des nationaux se
prononcerait pour une complète séparation. Ce qui ne veut nullement dire que
l’élite ouvrière doive pousser les Catalans et les Basques dans la voie du
séparatisme. Bien au contraire : l’unité économique du pays, comportant
une large autonomie des nationalités, offrirait aux ouvriers et aux paysans de
grands avantages du point de vue de l’économie et de la culture
générales. » (La Révolution espagnole et les tâches
communistes, L. Trotsky, 1931)
En
conséquence, une organisation révolutionnaire devrait se prononcer
inconditionnellement pour le droit à l’autodétermination du peuple catalan et
expliquer que seule la classe ouvrière est la classe capable de mener à bien
cet objectif.
Après les élections
législatives de 2015
À
l’issue des élections de décembre dernier, le Parlement espagnol n’a jamais été
aussi fragmenté. Aucune coalition de partis n’est aujourd’hui en mesure de
former un gouvernement s’appuyant sur une majorité absolue. Les tractations ont
commencé aussitôt ouverte la session inaugurale du Parlement. Le 13 janvier,
fait inédit, ce n’est pas un membre du parti arrivé en tête lors des élections,
ici le PP, qui est désigné à la tête du Congrès, mais le socialiste Basque Patxi Lopez. Ce dernier est élu par les députés du PSOE et
de Ciudadanos, et grâce à l’abstention des députés du
PP.
Rajoy le premier tente de former un gouvernement, proposant une grande
coalition ; mais, rapidement, il doit jeter l’éponge, le dirigeant du PSOE
refusant cette alliance.
Depuis,
c’est le PSOE qui mène les négociations. Dans un premier temps, il recherche
une solution du côté de Podemos, mais les exigences d’Iglesias
sont impossibles à admettre pour le PSOE. Le 24 février, un accord PSOE-Ciudadanos est conclu. Podemos quitte alors les
négociations, refusant de s’allier à Ciudadanos. Mais
malgré ce premier accord, le nouveau gouvernement n’est pas encore près d’être
formé.
Au
centre du jeu, on trouve aujourd’hui le PSOE, partagé entre sa direction que
représente Sanchez et les barons du parti :
« C’est mal parti pour Pedro Sanchez. Il
est pourtant le seul qui pourrait devenir Premier ministre, car personne ne
pense soutenir Rajoy, explique Pablo Simon,
politologue à l’université Carlos-III de Madrid. Mais les rivalités internes du
parti ont court-circuité les négociations qui lui permettraient de gouverner en
minorité.
Tard dans la nuit du dimanche
27 décembre, après une réunion houleuse de plusieurs heures, les barons
socialistes ont interdit à Pedro Sanchez de chercher des alliances avec des
partis favorables au « séparatisme ». Cette ligne rouge
infranchissable concerne d’abord Podemos, qui défend la tenue d’un référendum
d’autodétermination en Catalogne, mais aussi diverses formations nationalistes
élues au Parlement. » (Le Monde, 31/12/2015)
S.
Diaz, présidente (PSOE) du gouvernement d’Andalousie où elle gouverne avec Ciudadanos, mène le combat contre l’alliance avec Podemos,
préférant une alliance PSOE-Ciudadanos-PP.
Pour la
bourgeoisie espagnole, la formation d’un gouvernement devient de plus en plus
urgente. La question catalane doit être résolue alors qu’elle tend à se
radicaliser en l’absence de gouvernement à Madrid… La situation économique
inquiète la bourgeoisie, il est urgent que la politique entreprise par Rajoy se poursuive… Rajoy déclare
lui-même : « La fragmentation
des forces politiques ne peut pas être un élément de paralysie, de blocage ou
d’inaction (…). L’Espagne ne peut pas se permettre une période d’incertitude
politique qui jetterait à la poubelle les avancées obtenues ces dernières
années grâce aux efforts de tous les Espagnols. »
Mais c’est aussi Bruxelles
qui presse à la formation d’un gouvernement : « la commission européenne s’est émue du vide politique espagnol.
Elle en a profité pour rappeler qu’elle réclamera de « douloureux
ajustements budgétaires » au prochain gouvernement, lequel devra
« poursuivre les réformes. » (La
Tribune, 25 janvier 2016)
Mais il
semble que la formation d’un nouveau gouvernement soit impossible et que de
nouvelles élections pourraient être convoquées.
Quelques conclusions
Le
résultat des dernières élections législatives, marquant un profond recul pour le
prolétariat avec la défaite des partis ouvriers traditionnels et l’impasse
politique que représente Podemos, il n’est pas possible de formuler à ce stade
une issue gouvernementale répondant aux besoins de la classe ouvrière.
Pour
que puisse s’ouvrir une issue gouvernementale, le premier combat à mener
devrait être que les directions des organisations ouvrières rompent avec la
bourgeoisie et se prononcent contre la formation d’un gouvernement du PSOE avec
les partis bourgeois.
Dans ce
sens, les directions des Commissions ouvrières et de l’UGT devraient faire
leurs les revendications du prolétariat et de la jeunesse, et non les
abandonner aux petits-bourgeois populistes de Podemos
et aux multiples associations « citoyennes » issues du mouvement des
Indignés. À commencer par exiger :
- l’abrogation des mesures prises par les
gouvernements Rajoy et Zapatero en matière de
retraite ou de « réforme » du marché du travail, de réduction des
dépenses de santé et d’éducation ;
-
l’échelle mobile des heures de travail et le développement d’une formation de
qualité pour la jeunesse, face au chômage de masse ;
- le
refus du paiement de la dette, l’expropriation du secteur bancaire sous
contrôle ouvrier ;
-
l’interdiction des expulsions, l’expropriation
des promoteurs immobiliers, la réquisition des logements, la réorganisation du
secteur au profit de la satisfaction des besoins des travailleurs,
l’annulation des dettes immobilières des ménages.
Enfin,
ils devraient se prononcer pour le droit inconditionnel des peuples d’Espagne à
disposer d’eux-mêmes. À commencer par le peuple catalan.
Les
directions syndicales devraient exiger que le PSOE fasse sien ces
revendications. C’est seulement ainsi que les masses se tourneraient à nouveau
vers ce parti. Le combat pour le front unique des organisations ouvrières sur
ce programme ouvrirait la perspective de la venue au pouvoir d’un gouvernement
résultant de ce front unique et dont les masses exigeraient la satisfaction de
leurs revendications politiques, sociales et nationales.
Cela « exige à l’évidence la liquidation de
l’État monarchique hérité de Franco, le respect scrupuleux des nationalités
opprimées à disposer d’elles-mêmes, dans la perspective d’une fédération des
républiques socialistes ibériques. » (CPS n° 3)
La
conclusion que nous donnions dans CPS
(n° 46), en 2012, reste
d’actualité :
« C’est seulement en s’engageant dans la
voie du socialisme que la misère grandissante peut reculer, que les besoins
sociaux peuvent être satisfaits. C’est dans ce combat que peuvent être résolues
les contradictions économiques et sociales du capitalisme en crise. C’est par
ce combat que peuvent être résolues les contradictions liées au désarroi de la
jeunesse et du prolétariat, qui cherche à combattre mais ne peut trouver
d’issue positive à cette étape. C’est de ce combat que pourra naître le
nécessaire parti ouvrier révolutionnaire, seul à même d’ordonner et d’organiser
le combat quotidien, comme celui pour ouvrir la perspective du
socialisme. »
26 février 2016