Une offensive contre la classe ouvrière et la jeunesse d’une violence
inédite
Le
contenu de la loi El Khomri peut être analysé article par article, ligne à
ligne. Chaque article constitue une attaque contre les acquis du prolétariat,
un moyen d’augmenter l’exploitation de la force de travail, de nouvelles
libertés données aux patrons de licencier, de diminuer les salaires, d’augmenter
le temps de travail, etc.
Nous ne
le referons pas ici. Car ce qui est important au-delà de l’analyse détaillée de
tel ou tel article, c’est de saisir ce qui est au cœur de l’offensive du
gouvernement Hollande-Valls-Macron- Baylet-El Khomri. Ce qui est au cœur de l’offensive
et contient l’ensemble des attaques, c’est l’inversion de la hiérarchie des normes.
Jusqu’alors, la loi définissait les garanties générales dont disposaient tous
les prolétaires pour poser des bornes à l’appétit sans limite des patrons dans
l’exploitation de la force de travail. Les conventions collectives apportaient
des garanties supplémentaires – nécessairement supérieures à celles offertes
par la loi. L’accord d’entreprise ne pouvait lui-même qu’offrir des garanties
supérieures à celles offertes par la convention collective. Cette hiérarchie
définissait ce qu’on appelait le « principe de faveur ».
Des
lois Auroux en 1982 à l’ANI (Accord national interprofessionnel), en passant
par l’accord « représentativité » de 2008 (signé par la direction de
la CGT), une rafale de dispositions législatives ont successivement étendu le
domaine des dérogations à ce « principe de faveur ». Mais ici, il ne
s’agit plus de « dérogations » à la norme, car il n’y a plus de
norme. Désormais, ce qui prime, c’est l’accord d’entreprise, les « mesures
supplétives » ou « d’ordre public » (la loi) n’intervenant qu’à
défaut d’accord d’entreprise. Il n’y a donc plus de code du travail ou, si l’on
préfère, il y autant de codes du travail qu’il y a d’entreprises, comme l’a
indiqué le secrétaire général de la CGT, Martinez.
C’est donc un pas considérable dans le sens
de l’atomisation du prolétariat qui n’existe comme « classe pour soi », c’est-à-dire comme classe soudée par
la conscience de ses intérêts communs, qu’à travers ses acquis collectifs et en
premier lieu ses organisations.
Précisément, la loi El Khomri s’en prend
violemment à cette possibilité que la classe ouvrière…........................ (suite page 2)
a de s’organiser,
en particulier à travers les organisations syndicales. Tel est le sens de la
disposition concernant l’organisation des « referendums d’entreprise ».
Désormais, si les organisations syndicales représentant la majorité des
travailleurs à travers les élections professionnelles précédentes s’opposent à
un accord, il est possible aux organisations minoritaires (qui évidemment
seront les organisations pro-patronales, type CFDT) d’exiger que l’accord soit
soumis à un referendum d’entreprise. Il s’agit de dresser le vote référendaire
contre le vote pour les délégués du personnel, de dresser le plébiscite
patronal contre le vote émis sur un terrain de classe pour les syndicats
ouvriers contre le patron. C’est ce qui a été fait à Smart pour passer
par-dessus l’opposition des délégués syndicaux à un « accord » d’augmentation
du temps de travail (notons qu’à ce genre de vote participent toutes les
catégories, y compris celles qui n’auront pas à subir les conséquences de l’accord !).
C’est ce qui n’avait pas pu être fait à la FNAC, où les syndicats majoritaires
avaient refusé d’entériner le travail du dimanche.
Il est
clair qu’à partir de là la place même des représentants syndicaux est en cause.
C’est par l’intermédiaire de leurs délégués - pour peu que ceux-ci jouent le
rôle que la classe ouvrière leur assigne - que les travailleurs
individuellement soumis à toutes les pressions peuvent résister à la volonté
incessante du patron d’augmenter l’exploitation de la force de travail. Mais,
désormais, ce rôle de rempart à la surexploitation est quasiment anéanti. Et
par conséquent c’est l’existence même de syndicat qui est remise en cause.
Une volonté de combat qui se
manifeste immédiatement
A peine
connu, le projet de loi El Khomri suscite dans le prolétariat et la jeunesse un
mouvement de rejet considérable. Remarquons que les directions syndicales le
connaissaient depuis des semaines puisqu’elles le négociaient. C’est ce que
reconnaît d’ailleurs à sa façon la direction de Force ouvrière lorsqu’elle se
plaint que tel ou tel article a été ajouté au dernier moment. Autrement dit,
tout le reste leur avait été soumis préalablement. Mais arrive le moment où le
gouvernement lui-même est bien dans l’obligation de le rendre public. La
réaction est immédiate, d’abord à travers les « réseaux sociaux », et
particulièrement dans la jeunesse.
C’est
là que surgit la pétition « Loi
Travail ; non merci ! » qui demande à El Khomri de "renoncer à son projet". Cette
pétition est étonnante à plus d’un titre. La porte-parole, Caroline de Haas,
est... patronne d’une petite entreprise, et aussi... ancienne collaboratrice de
Vallaud-Belkhacem alors ministre des droits de la femme. Elle est entourée de
responsables syndicaux CGT, FO, UNEF, UNSA, etc., dont certains le sont à un
niveau élevé et dont on peut s’étonner qu’ils n’aient pas eu comme première
préoccupation de faire adopter l’exigence de retrait du projet de loi à leur
organisation syndicale ! On le comprend mieux lorsque le succès de la
pétition s’accompagne de toute une série d’articles politiquement intéressés
qui glosent sur les « nouvelles
formes de militantisme, qui ne passent plus par les organisations, etc. ».
Il est clair qu’il y a une opération politique visant à faire croire que ce ne
sont pas les organisations syndicales qui ont les clefs du combat, qu’il ne
sert à rien de s’adresser à elles, etc.
Cela n’enlève
rien au fait que le succès massif de la pétition (qui franchit rapidement le
cap du million de signataires) révèle un état d’esprit dans le prolétariat et
la jeunesse, et que cet état d’esprit est clairement au combat.
La prise de position de l’UNEF
Dès le
19 février, l’UNEF se fait l’expression de ce rejet massif en déclarant :
« L’UNEF
exige donc le retrait du projet de loi El Khomri. C’est un préalable avant
toute discussion sur les véritables attentes des jeunes pour leur insertion
professionnelle : accès au CDI, fin des discriminations contre les jeunes
pour l’accès aux droits sociaux, reconnaissance des qualifications dans les
conventions collectives... »
En
retour, la prise de position de l’UNEF reçoit un écho considérable. Il y a là
une véritable leçon de choses. Malgré son affaiblissement considérable dû à la
politique de ses dirigeants, en particulier à la politique de cogestion de la
misère des universités, qui va, dans le cadre de la loi Pécresse, jusqu’à la
prise en charge des licenciements, l’UNEF continue d’occuper une place centrale
et d’être un enjeu considérable chaque fois que se trouve posée la question du
combat contre le gouvernement dans la jeunesse. Cela est vrai en dépit de
toutes les affirmations contraires des divers groupes gauchistes décomposés.
Cela est vrai en dépit de toutes les tentatives avortées de constituer des
organisations syndicales rivales à partir de forces politiques liées à telle ou
tel appareil du mouvement ouvrier.
La
prise de position du 19 février ouvrait une brèche dans le dispositif de
collaboration du gouvernement avec les appareils. Il fallait de toute urgence,
y compris d’ailleurs en y en intégrant l’UNEF, prendre une initiative visant à
fermer cette brèche. Ce fut la fonction de la déclaration commune du 23
février.
La déclaration
CGT-CFDT-FSU-UNEF, déclaration d’allégeance au gouvernement
« Les
organisations signataires ne sont pas satisfaites de ce projet et demandent le
retrait de la barèmisation des indemnités prudhommales dues en cas de
licenciement abusif et des mesures qui accroissent le pouvoir unilatéral des
employeurs. Elles conviennent de travailler ensemble sur la construction de
droits nouveaux, et sur les autres articles du projet, notamment, sur les
licenciements économiques, le forfait jours, l’organisation du travail et la
santé au travail, l’apprentissage… Les organisations signataires, conscientes
des enjeux et des responsabilités du mouvement syndical sont porteuses de
propositions et sont disponibles pour engager le dialogue permettant le
développement de l’emploi, la lutte contre la précarité et la sécurisation des
droits des salarié-e-s. »
Tel est
le texte adopté le 23 février. Son sens est limpide. En demandant le retrait de
l’un des 52 articles du projet de loi, il s’agit d’indiquer que les 51 autres
sont tout à fait acceptables et qu’ils peuvent donner lieu à dialogue social
pour leur mise en œuvre. C’est du reste ce que dit la suite qui fait avec
insistance état de la « disponibilité »
des directions syndicales pour « engager
le dialogue ».
À vrai
dire, le texte est écrit sous la dictée de la CFDT, derrière laquelle Martinez
et Groison (FO n’est pas signataire) peuvent se camoufler au nom de « l’unité ».
C’est un remake de 2010, où Thibault,
au nom de « l’unité », avait combattu avec la dernière énergie contre
l’exigence de retrait de la contre-réforme Sarkozy des retraites.
Réactions dans la jeunesse,
réactions dans la CGT : les appareils syndicaux sont contraints de
tourner...
Mais
cette fois la manœuvre va échouer. Car dans la jeunesse, le rejet ne faiblit
pas. Et dans la CGT, dans la FSU, les réactions sont très vives par rapport à
la signature de cette déclaration commune appréciée pour ce qu’elle est :
une trahison des intérêts ouvriers. Il faut y voir les réactions de la classe
ouvrière et de la jeunesse mais aussi des échelons intermédiaires de l’appareil
syndical, dont l’existence est directement menacée par les dispositions sur le « referendum
d’entreprise ».
Citons
parmi une multitude d’autres la déclaration de la CGT Commerce :
« La Fédération CGT Commerce, Services et
Distribution est atterrée par le communiqué commun publié le 23 février 2016
après la réunion de dix organisations syndicales à l’initiative de la CGT. Nous
nous prononçons pour le retrait immédiat et sans conditions du projet de Loi
dit El Khomri, car il ne s’agit pas de « risques » pour les
salarié-e-s et les jeunes, mais de jeter les travailleurs en pâture au
patronat, en abrogeant des conquêtes sociales. Nous nous questionnons sur le
passage : “Elles conviennent de travailler ensemble sur la
construction de droits nouveaux, et sur les autres articles du projet,
notamment, sur les licenciements économiques, le forfait jours, l’organisation
du travail et la santé au travail, l’apprentissage,…“ Pour notre Fédération, il
est hors de propos d’engager la négociation sur ce projet de Loi rétrograde
alors que nos camarades sont jetés en prison, convoqués par les forces de l’ordre
ou licenciés à cause de leur engagement aux côtés des salarié-e-s. »
Dans la
FSU, quoiqu’à un degré moindre, il y a aussi quelques réactions cinglantes
telles celle du SNASUB d’Aix-Marseille :
« La
section du SNASUB-FSU de l’Académie d’Aix-Marseille est profondément choquée
par la réaction de nos instances nationales et la teneur de la déclaration de
Bernadette Groison quant au projet de réforme du code du travail.
Nous
ne voulons pas d’un syndicat d’accompagnement ni d’un syndicat qui oublie sa
base et les idées qu’il se doit de porter.
La
responsabilité de la FSU n’est pas d’engager un quelconque dialogue, mais d’exiger
le retrait immédiat de ce projet qui vise à détruire la protection du
travailleur et ne créera aucun emploi (...)
En
conséquence nous mandatons notre fédération afin de refuser toute discussion
tant que le projet n’aura pas été retiré. » (Motion du 26 février 2016)
Il faut
le remarquer : ces deux motions comme beaucoup d’autres relient l’exigence
du retrait et l’injonction aux directions syndicales de ne pas participer à la
concertation.
Mais le
1er mars, les organisations de jeunesse (UNEF, MJS, UEC, NPA jeunes,
etc.) lançaient un appel à une "journée de mobilisation" pour le
retrait du projet de loi le 9 mars, le jour où il devait être adopté au conseil
des ministres.
Compte
tenu des réactions dans la jeunesse et dans les organisations elles-mêmes, la
position du 23 février n’est plus tenable, sauf à prendre le risque de perdre
tout contrôle sur le mouvement qui s’esquisse. Dès lors, alors que CFDT, UNSA,
CFTC adoptent un second communiqué de soutien au gouvernement, les dirigeants
CGT, FO, UNEF, FSU, Solidaires, UNL, FIDL sont contraints de prendre position
pour le « retrait du projet de loi » en date du 3 mars :
« Le
mouvement social s’étend. Une imposante majorité considère que le projet de
réforme du code du travail est une menace pour les salarié-es
et ne créera pas d’emplois. Nous le pensons aussi !
Les
premières réactions syndicales et citoyennes ont contraint le gouvernement à un
premier recul. Mais ni le changement de date ni le changement de titre ne rend
ce projet acceptable.
Le
31 mars, les salarié-es, les privé-es
d’emplois, les jeunes, les retraité-es ont toutes les
raisons de se mobiliser ensemble, par toutes les formes, y compris par la grève
et les manifestations sur tout le territoire, pour obtenir le retrait du projet
de loi de réforme du code du travail, et pour l’obtention de nouveaux droits,
synonymes de progrès social, pour gagner aussi une autre répartition des
richesses dans une société solidaire. »
Même
affaiblie par l’affirmation fausse selon laquelle le gouvernement a commencé à
reculer et par le baratin sur « les
nouveaux droits », « une
autre répartition des richesses » qui tentent de noyer l’exigence de
retrait pur et simple, c’est un tournant. Du reste les masses ne retiennent qu’une
chose : la prise de position pour le retrait.
... tout en maintenant le fil de la concertation avec le gouvernement
Le
gouvernement quant à lui a immédiatement vu le danger. Il annonce une nouvelle
tournée de concertation et reporte l’adoption du projet au conseil des
ministres de 15 jours. Les dirigeants syndicaux s’y précipitent. Leur politique
consiste à faire le grand écart. Dans le bureau du ministre, la demande de
retrait du projet de loi occupe dans leur discours une place très secondaire. « La CGT a présenté son projet pour un
code du travail du XXIe siècle qui dote les salariés de droits nouveaux
et de garanties effectives pour répondre aux enjeux de notre temps. » Ainsi
débute le compte-rendu de la rencontre par la CGT. Suivent les 32 heures, les « droits attachés à la personne »
(c’est-à-dire, quoiqu’en disent les dirigeants, une autre version du CPA
contenu dans la loi), etc.
Quant à
FO, dans le bureau du ministre, le mot d’ordre de retrait se transforme en...
suspension :
« Force
ouvrière a rappelé sa demande de suspension du texte ce qui signifie de
remettre à plat, mais sans date, et de redémarrer la concertation. Le Premier
Ministre a répondu que le report était une suspension, ce qu’a contesté Force
ouvrière. »
Valls
ne résiste pas au plaisir de se payer la tête de Mailly. Vous voulez la
suspension ? Vous l’avez ! Le projet est reporté de 15 jours !
Certes,
le résultat de la concertation ne peut satisfaire entièrement le gouvernement.
Il aurait fallu pour cela que les dirigeants renoncent officiellement à l’exigence
de retrait. Ce qu’ils ne pouvaient pas faire. Mais il n’est pas nul. Elle
permet à El Khomri de dire : « La
discussion a eu lieu et tout le monde est d’accord qu’il faut réformer le code
du travail ».
Le 9 mars : claire
manifestation de la disponibilité des travailleurs et de la jeunesse au combat
Les
appareils CGT, FO, FSU finissent par se rallier à la journée d’action du 9 mars
lancée par les organisations de jeunesse en se gardant bien toutefois d’appeler
à la grève ; ils n’appellent qu’à des rassemblements. Cette journée d’action
indique aux appareils qu’ils ne peuvent sans perdre tout contrôle abandonner le
mot d’ordre de retrait du projet. Le 9, la mobilisation des masses impose la
transformation des rassemblements prévus en manifestations. Il y a des
centaines de milliers de manifestants, mais, plus que le nombre, importe le
fait que les manifestations sont soudées par le mot d’ordre : « Retrait
du projet de loi ». Il faut préciser que le même jour les cheminots sont
appelés à la grève. Dans le cadre de l’ouverture du rail à la concurrence, l’objectif
du gouvernement est de liquider le statut des cheminots, en particulier le RH
77 qui définit les horaires, droit au repos, etc., des roulants. Il le fait au
nom d’une « convention collective commune » de tous les travailleurs
du rail. Le ministre Vidalies explique dans Le
Monde du 16 mars : « Au
premier juillet, les textes régissant le régime actuel tant à la SNCF que dans
le privé deviennent caducs. Pour les remplacer, trois textes doivent être
adoptés d’ici là : ce décret socle, un accord de branche négocié entre
partenaires sociaux, et, dans chaque société un accord d’entreprise. J’ai
décidé de présenter dès février ce projet de décret pour lancer le mouvement.
Après concertation, je l’ai modifié et précisé. J’ai retenu dans le texte
une position intermédiaire entre les règles du public et les règles du privé. »
(souligné par nous)
On ne
saurait exprimer plus clairement les objectifs du gouvernement : la
liquidation des garanties statutaires des cheminots de la SNCF (car évidemment
les règles du privé sont beaucoup plus défavorables pour les travailleurs). N’est-il
pas évident dès lors que la seule position conforme aux intérêts ouvriers est
la défense inconditionnelle du RH77, ce qui exclut la participation à une « négociation »
dont l’objectif explicite est sa liquidation ?
La
position des dirigeants CGT (flanqués de SUD) est à l’exact opposé comme l’indique
leur communiqué : « Le
9 mars 2016, les cheminots sont appelés à agir par la grève pour exiger
des embauches, des augmentations de salaire ainsi qu’un haut niveau de sécurité
autour d’un décret socle (proposé par le gouvernement) qui déterminera la
réglementation du travail et le temps de travail de tous les cheminots (SNCF et
entreprises ferroviaires privées). »
C’est
malgré la prise de position des dirigeants syndicaux que les travailleurs de la
SNCF se sont mis en grève de manière significative le 9 mars. Et sans aucun
doute, la volonté de rejoindre la jeunesse dans le combat contre le
gouvernement y a été pour beaucoup.
14 mars : une version
relookée du projet de loi... qui ressemble furieusement à la première
Le 14
mars, le gouvernement présente sa nouvelle version du projet de loi "après
concertation". Il n’y a en réalité rien de changé. La limitation légale
des indemnités prudhommales devient un « barème ». Quelle importance
puisque le projet de loi supprime tout plancher aux indemnités ? Quant à
la « garantie jeune universelle »,
c’est de la manière la plus éhontée qu’elle est présentée comme une avancée.
Elle revient à garantir aux jeunes... l’équivalent du RSA (assaisonnée bien sûr
d’un « suivi individuel » dans la recherche d’emploi).
Mais le
but est de réaliser une opération politique. La CFDT se déclare « satisfaite ».
Le soir même, le gouvernement réunit en séminaire les députés du PS dans une « ambiance
positive », puisque Cambadelis avait dit que le PS alignerait sa position
sur celle de la CFDT. Une fois de plus la preuve est faite : les députés
PS ne peuvent rompre avec le gouvernement que si les masses par leur mouvement
les prennent par le collet !
Quant
aux dirigeants CGT, FO, FSU, UNEF, s’ils murmurent qu’il y a des « reculs » – pour préparer les
leurs dans l’avenir ? –, ils ne peuvent lâcher le mot d’ordre de retrait.
Mais au soir du 14, la question centrale est bien celle-ci : comment
arracher le retrait ?
Un « agenda » pour
disloquer la mobilisation
Or les
dirigeants syndicaux ont prévu une kyrielle de journées d’action à travers tout
le mois de mars sur des sujets divers et variés pour noyer le combat pour le
retrait du projet de loi, épuiser travailleurs et jeunes, disloquer leur
volonté de combat. L’US, journal de
la FSU, les annonce en première page : « 8
mars, journée de la femme, 9 mars, 10 mars journée Retraités, 12 mars contre l’état
d’urgence, 22 mars journée Fonction publique, 29 mars contre la loi Travail ».
N’en
jetez plus, la cour est pleine ! « L’agenda » des appareils est si contraire aux aspirations des
travailleurs et des jeunes qu’ils ne pourront même pas le tenir jusqu’au bout.
Ainsi la prétendue « grève de la
Fonction publique » que Pour, le
journal de la FSU, annonçait en première page, n’aura pas lieu. Drôle de « grève »
annoncée sur le terrain d’un soutien ouvert à l’accord PPCR dans la Fonction
publique (voir CPS précédent et
article Enseignement dans ce présent numéro), accord tout entier tourné contre
le statut des fonctionnaires. La direction de la FSU s’accrochera avec l’énergie
du désespoir pour le maintien de cette « grève ». Las ! La CGT
renonce car l’appareil ne réussit pas à l’imposer à ses propres syndicats.
Quant au gouvernement, il lâchera quelques pièces jaunes aux fonctionnaires
sous la forme d’une augmentation de... 0,6 % du salaire en 2016 (et non
1,2 % comme on l’a entendu, puisque les 0,6 % supplémentaires le
seront en février 2017 !). Du reste, Bernadette Groison s’en satisfera
demandant au gouvernement de faire aussi bien, si l’on peut dire, en 2017 qu’en
2016 pour... faire avaler aux fonctionnaires l’accord PPCR ! Dans sa
lettre au ministre du 22 mars, elle ose écrire : « il va de soi que la mesure (de dégel du point fonction publique)
est celle du rendez-vous salarial de 2016 et que celui de 2017 devra suivre la
même tendance. En effet, les mesures contenues dans le protocole PPCR seraient
affaiblies et deviendraient vite obsolètes sans une politique régulière de
revalorisation du point ».
L’agenda
des appareils syndicaux a donc une fonction bien précise : isoler la
jeunesse, l’épuiser en mettant 3 semaines entre le 9 mars et l’appel au 31
mars, « journée d’action interprofessionnelle » contre le projet El
Khomri.
Dans la jeunesse, une
mobilisation qui se cherche.
Le gouvernement met immédiatement en œuvre la répression en application de l’état
d’urgence
Il ne
faut pas se leurrer : le dispositif des « journées d’action »
diverses pèse et rend plus difficile la mobilisation de la jeunesse. Certes le
9 mars, les cortèges jeunes sont fournis et ils le seront plus encore le 17,
nouvelle journée d’action à l’initiative de l’UNEF. Toutefois, dans la plupart
des facs, il n’y a pas véritablement grève, et les assemblées générales, à
quelques exceptions près, sont très maigres. Il en va un peu différemment dans
les lycées où le mouvement est plus puissant.
Cette
situation crée un terrain favorable aux entreprises de provocation et de
répression du pouvoir en application
de l’état d’urgence. Le 17 mars à Paris, utilisant opportunément l’appel
irresponsable et diviseur aux lycéens à un rassemblement séparé, la
manifestation lycéenne donne l’occasion à Valls, l’admirateur de Clemenceau
dans l’art de la répression, de faire montre de son talent de flic. Il envoie
ses casseurs attaquer les devantures de magasin sur le trajet de la
manifestation donnant l’occasion aux CRS de charger violemment le cortège. 8
jours avant à Lyon, suite à des affrontements avec les flics, deux jeunes
étaient jugés en comparution immédiate et l’un d’entre eux écopait de 6 mois de
prison ferme. À Lyon, Strasbourg, Tolbiac il fait fermer les facs par les
présidents d’université et à Tolbiac, il fait intervenir violemment les flics à
l’intérieur même de la fac pour interdire aux étudiants de se réunir en
assemblées générales. Des étudiants sont blessés et interpellés.
Mais le
24 mars, la répression atteint des sommets : la vidéo du lycéen de Bergson
à Paris traîné à terre, relevé pour être violemment frappé en est le concentré.
À Besançon, Marseille, Lyon, etc., partout le gouvernement fait donner la
violence de ses flics contre les manifestants. Les interpellations se
multiplient.
Il a
fallu que la scène du lycée Bergson fasse le tour des médias pour qu’il y ait
enfin un communiqué intersyndical. Mais que dit ce communiqué syndical ?
Il demande à la police... d’assurer la sécurité des manifestants !
C’est
au contraire aux organisations syndicales qui disposent de services d’ordre
expérimentés d’assurer la sécurité des manifestants. C’est la responsabilité
des dirigeants syndicaux.
Lors de
la comparution des étudiants de Tolbiac, aucune organisation syndicale n’était
présente. C’est inadmissible. Il faut dire qu’à l’université même les groupes « anti-orga »,
gauchistes décomposés ou se réclamant de l’anarchisme sont à l’œuvre. Les uns
prétendent expulser les organisations des assemblées générales et
mobilisations, les autres (les dirigeants des organisations) n’ont rien de
moins pressé que de s’engager sur le terrain de la défense des jeunes en proie
à la répression. En réalité, les uns et les autres se complètent parfaitement
le travail... pour le plus grand bénéfice du gouvernement !
La pseudo « coordination
étudiante » du 19 mars :
organisation de la dislocation et soutien à l’agenda des appareils syndicaux
Dans
des conditions où il n’y a presque nulle part de véritable grève à l’université,
la convocation d’une « coordination nationale étudiante » ne peut
être l’expression centralisée des étudiants en lutte, mais le rassemblement de
la « frange politisée ». Dans son supplément Combattre pour le Socialisme à l’adresse de la jeunesse en
date du 7 mars (voir dans ce numéro), notre Groupe concluait :
« Voilà
pourquoi la responsabilité de l’UNEF dans la continuité de sa prise de position
pour "le retrait de la loi... préalable à toute discussion" est incontournable :
- qu’elle convoque partout
dans les plus brefs délais des assemblées étudiantes ouvertes aux lycéens et
apprentis pour le retrait du projet de loi El Khomri mettant au cœur de la
discussion : quelle action organiser au plan national pour faire plier le
gouvernement, retirer le projet de loi ?
- qu’elle invite partout les
étudiants, lycéens, apprentis à élire dans chaque AG des délégués mandatés sur
la base de cette discussion ;
- qu’elle convoque dans les
meilleurs délais une Assemblée nationale des délégués des facs, lycées,
centres d’apprentissage pour décider nationalement de l’action à mener pour
le retrait du projet de loi ;
- qu’elle œuvre dans ce sens
à l’unité des organisations CGT, FO, FSU, UNEF. »
Le 19
mars, la « coordination nationale étudiante » avait peu à voir avec « l’Assemblée nationale des délégués de
facs, lycées, centres d’apprentissage pour décider nationalement de l’action à
mener pour le retrait du projet de loi ».
Non
seulement l’UNEF ne l’avait pas convoquée, mais elle était dans les mains de
forces politiques combattant toute présence des organisations. Au nom de la « souveraineté des assemblées générales »,
elle était dressée contre le front unique des organisations ouvrières. Au nom
de la lutte à la base, de la « reconduction
département par département », elle se dressait contre toute
perspective de combat centralisé contre le gouvernement, pour le défaire.
Le
texte adopté par la dite « coordination » en témoigne. Après une
analyse plus qu’approximative du projet de loi, où il est affirmé par exemple
que « le gouvernement a commencé à
reculer », l’appel écrit :
« Pourtant,
le gouvernement est loin de nous faire plier. Notre mouvement a démarré
puissamment sur des dizaines d’universités, mais la colère qui s’est exprimée
est encore loin de s’être entièrement traduite dans les assemblées générales et
dans la rue. C’est pourquoi la principale tâche du mouvement dans les jours qui
viennent est celle de la massification par un travail d’explication sur les
conséquences de la Loi Travail pour les jeunes et la structuration de la
mobilisation dans chaque filière et département de nos universités. Pour cela,
il est indispensable d’arrêter le fonctionnement normal des activités dans nos
établissements, en construisant la grève à côté des enseignant-e-s et des
personnel-le-s et en la généralisant sur tous les campus. »
Passons
sur l’affirmation selon laquelle « notre
mouvement a démarré puissamment dans des dizaines d’universités ». C’est
prendre ses désirs pour la réalité ! Mais quelle perspective est tracée ?
Celle de « la massification par un
travail d’explication sur les conséquences de la loi... la structuration de la
mobilisation dans chaque filière et département... »
En
somme, le problème, c’est que les étudiants n’ont pas compris la loi. Et la
perspective, c’est la mobilisation, filière par filière, département par
département ! La loi met au centre la négociation entreprise par entreprise
et la coordination lui oppose la lutte département par département !
Donc
chacun doit prendre son bâton de pèlerin pour « arrêter le fonctionnement normal (sic !) des activités dans nos établissements ».
Que la victoire dépende de l’unité de la classe ouvrière et de la jeunesse
à travers l’unité de leurs organisations syndicales (CGT, FO, FSU, UNEF), voilà
qui n’effleure apparemment pas les brillants rédacteurs de l’appel de la
coordination ! Mais en réalité les « dirigeants » de la
coordination savent parfaitement que ce sont les dirigeants des syndicats qui
ont les clefs du camion ! Et voilà pourquoi, discrètement et sans jamais
dire qui a fixé l’agenda, l’appel de la coordination se termine par un
ralliement complet, intégral au dispositif des appareils syndicaux :
« Nous
appelons tous les secteurs à s’unir afin de faire aboutir nos revendications.
Nous appelons tou-te-s les
salarié-e-s, chômeur-euses, retraité-e-s,
étudiant-e-s, lycéen-ne-s dans la rue :
-
le jeudi 24 mars à une journée de mobilisation nationale et à des
manifestations,
-
le jeudi 31 mars, au côté des organisations syndicales (CGT, FO, FSU,
Solidaires), à une journée de grèves et manifestations massives qui doit ouvrir
un mouvement de grève reconductible et illimitée dans plusieurs secteurs de la
société,
- le
mardi 5 avril pour une journée de mobilisation nationale.
Nous
appelons aussi le 22 mars à une journée d’actions coordonnées dans toutes les
villes de France.
Seule
la lutte paye ! Nous la mènerons jusqu’au retrait total de la Loi Travail ! »
À vrai
dire, au-delà de ce ralliement au 22, au 24, au 31, la coordination ajoute le 5
avril. Le communiqué intersyndical diffusé au soir du 24 en rajoute encore.
Dans le compte-rendu qu’elle fait de l’intersyndicale, B. Groison annonce que l’intersyndicale
a discuté de l’appel au 5... et d’y rajouter une journée d’action le samedi
9... pour éviter d’avoir à appeler à la grève !
En même
temps, sans pouvoir encore évacuer le mot d’ordre de retrait auxquels les
jeunes et les travailleurs sont passionnément attachés, les directions
syndicales s’ingénient à le noyer dans mille autres mots d’ordre (« conquérir de nouveaux droits »,
« 32 heures », etc.). Comme toujours dans ce genre de situation,
c’est le journal du PCF L’Humanité
qui donne le la. Son édition du 24 mars, jour de la présentation du projet de
loi au Conseil des Ministres titre : « opposer
un contre-projet de gauche au projet de loi El Khomri ». Le sens de la
manœuvre est limpide. Après le contre-projet, il faut discuter « projet contre
projet ». Il faut donc renouer au plus vite le « dialogue social ».
Il faut donc renoncer au mot d’ordre de « retrait pur et simple ».
Toute la question est de savoir si les travailleurs et la jeunesse permettront
que cette manœuvre réussisse. Rien n’est moins sûr à cette étape.
Une orientation pour
affronter le gouvernement et le vaincre
La voie
que proposent les appareils syndicaux et leurs compères "gauchistes"
qui trônent à la tribune des coordinations n’a rien d’original. Elle a déjà été
empruntée en 2003, en 2010 sur les contre-réformes des retraites et a toujours
conduit à la défaite. Cette voie, c’est celle des journées d’action « saute-mouton »
tous les trois jours ou tous les huit, et entre temps, l’invitation aux
travailleurs et aux jeunes « à la base » à remplir les interstices
via la « grève reconductible » décidée par les « assemblées
souveraines ».
Cette
savante tactique n’a qu’un but : éviter à tout prix l’affrontement avec le
gouvernement pour le vaincre, la centralisation du combat contre lui.
Aujourd’hui,
formuler de manière pratique la perspective du combat centralisée contre le
gouvernement, c’est avancer la perspective suivante :
dans l’unité CGT, FO, FSU, UNEF doivent
appeler à une puissante manifestation centrale au siège du pouvoir pour
arracher le retrait pur et simple du projet de loi El Khomri !
On
pourra lire dans ce numéro de CPS que
cette perspective a reçu un écho significatif là où les militants de notre
Groupe l’ont avancée. Mais elle surgit y compris de certains secteurs du
mouvement ouvrier qui commencent à tirer le bilan des défaites antérieures et
de la « tactique" qui y a conduit. C’est ce qui ressort par exemple
de la lettre au Bureau Confédéral de la section CGT Goodyear - dont
rappelons-le plusieurs militants sont sous le coup d’une peine de prison ferme.
Évoquant la journée d’action du 31 mars, elle écrit :
« Nous
vous demandons donc de vous positionner et nous faire savoir comment la
confédération CGT compte agir sur cette journée vitale pour la suite du mouvement
social dans notre pays !!!
Hier
encore, des dizaines de milliers d’étudiants étaient dans les rues, dans
beaucoup de régions, départements, villes, des syndicats nous informent qu’ils
organisent ce rassemblement du tous ensemble incontournable pour mettre en
échec la stratégie du gouvernement/MEDEF appuyée par les syndicats réformistes
....
Nous devons être tous
ensemble le même jour au même endroit, 500.000 personnes à Paris feront bien
plus de bruit que 500.000 dans toute la France, ce ne sera pas le nombre de
rassemblements qui comptera mais le nombre de rassemblé(E)s.
Depuis
des années nous ne cessons de demander cette union de toutes celles et tous
ceux qui ont soif de justice sociale, nous pouvons dès le 31 mars le mettre en
œuvre et faire reculer ceux qui nous méprisent depuis trop longtemps.
Nous
vous demandons de nous aider à faire du 31 mars 2016 une date historique de la
lutte sociale dans notre pays, retrait du projet de loi travail et arrêt des
poursuites contre les 8 Goodyear . »
En
demandant à la direction de la CGT d’organiser le 31 mars la montée sur Paris,
la section CGT Goodyear pose à sa manière la question de l’affrontement avec le
pouvoir. On peut évidemment discuter de telle ou telle formulation. La question
de la manifestation centrale n’est pas tellement motivée par exemple par le
fait qu’elle fera « bien plus de
bruit », mais bien qu’elle vise à affronter le gouvernement. Mais c’est
bien en réalité cette dernière question qui est posée à travers cette lettre.
Schäuble donne l’enjeu
Le Monde du 22 mars cite le ministre des finances
allemand Schäuble bien connu comme étrangleur en chef du peuple grec lors des « négociations »
de l’été dernier : « Je prie
pour que les réformes françaises aboutissent ». Derrière le
gouvernement français, il y a tous les gouvernements de l’UE, tout ce que l’Europe
comprend de réaction bourgeoise. Et pour cause. L’enjeu est considérable. Le
gouvernement Hollande-Valls ne survivrait pas au retrait du projet de loi El
Khomri. Au-delà même de la France, le retrait de ce projet constituerait un
formidable appel d’air pour les prolétariats d’Europe en Grèce, en Espagne, au
Portugal, en Grande-Bretagne, en Belgique et même en Allemagne.
Et c’est
pourquoi le sinistre Schäuble prie. Et c’est pourquoi, contre tous les Schäuble
d’Europe, il est d’une telle importance de tout mettre en œuvre pour que le
gouvernement soit affronté et vaincu. Cela ne dépend évidemment pas de l’action
du Groupe pour la construction du Parti ouvrier révolutionnaire, de l’Internationale
ouvrière révolutionnaire. Ce qui dépend de lui, c’est de définir le chemin qui
peut permettre cette défaite du gouvernement, et de défendre partout où c’est
possible cette orientation. Nous invitons nos lecteurs à renforcer ce combat.
Le 25 mars 2016
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