Le retrait intégral du projet de loi El Khomri signifie : défaire le gouvernement !

Unité des organisations syndicales CGT, FO, FSU, UNEF !

Rupture de toute discussion avec le gouvernement :

ni amendement ni « réécriture » !


Il faut maintenant imposer aux dirigeants des confédérations ouvrières et de la

FSU, avec l’UNEF, qu’elles appellent les travailleurs et les jeunes à une

puissante manifestation unitaire, nationale, centrale à Paris,

au siège du pouvoir !

Halte au matraquage de la jeunesse ! Front unique des confédérations

ouvrières CGT et FO, de la FSU et de l’UNEF face à l’État policier !

 

Une offensive contre la classe ouvrière et la jeunesse d’une violence inédite

Le contenu de la loi El Khomri peut être analysé article par article, ligne à ligne. Chaque article constitue une attaque contre les acquis du prolétariat, un moyen d’augmenter l’exploitation de la force de travail, de nouvelles libertés données aux patrons de licencier, de diminuer les salaires, d’augmenter le temps de travail, etc.

Nous ne le referons pas ici. Car ce qui est important au-delà de l’analyse détaillée de tel ou tel article, c’est de saisir ce qui est au cœur de l’offensive du gouvernement Hollande-Valls-Macron- Baylet-El Khomri. Ce qui est au cœur de l’offensive et contient l’ensemble des attaques, c’est l’inversion de la hiérarchie des normes. Jusqu’alors, la loi définissait les garanties générales dont disposaient tous les prolétaires pour poser des bornes à l’appétit sans limite des patrons dans l’exploitation de la force de travail. Les conventions collectives apportaient des garanties supplémentaires – nécessairement supérieures à celles offertes par la loi. L’accord d’entreprise ne pouvait lui-même qu’offrir des garanties supérieures à celles offertes par la convention collective. Cette hiérarchie définissait ce qu’on appelait le « principe de faveur ».

Des lois Auroux en 1982 à l’ANI (Accord national interprofessionnel), en passant par l’accord « représentativité » de 2008 (signé par la direction de la CGT), une rafale de dispositions législatives ont successivement étendu le domaine des dérogations à ce « principe de faveur ». Mais ici, il ne s’agit plus de « dérogations » à la norme, car il n’y a plus de norme. Désormais, ce qui prime, c’est l’accord d’entreprise, les « mesures supplétives » ou « d’ordre public » (la loi) n’intervenant qu’à défaut d’accord d’entreprise. Il n’y a donc plus de code du travail ou, si l’on préfère, il y autant de codes du travail qu’il y a d’entreprises, comme l’a indiqué le secrétaire général de la CGT, Martinez.

C’est donc un pas considérable dans le sens de l’atomisation du prolétariat qui n’existe comme « classe pour soi », c’est-à-dire comme classe soudée par la conscience de ses intérêts communs, qu’à travers ses acquis collectifs et en premier lieu ses organisations.

Précisément, la loi El Khomri s’en prend violemment à cette possibilité que la classe ouvrière…........................ (suite page 2)

a de s’organiser, en particulier à travers les organisations syndicales. Tel est le sens de la disposition concernant l’organisation des « referendums d’entreprise ». Désormais, si les organisations syndicales représentant la majorité des travailleurs à travers les élections professionnelles précédentes s’opposent à un accord, il est possible aux organisations minoritaires (qui évidemment seront les organisations pro-patronales, type CFDT) d’exiger que l’accord soit soumis à un referendum d’entreprise. Il s’agit de dresser le vote référendaire contre le vote pour les délégués du personnel, de dresser le plébiscite patronal contre le vote émis sur un terrain de classe pour les syndicats ouvriers contre le patron. C’est ce qui a été fait à Smart pour passer par-dessus l’opposition des délégués syndicaux à un « accord » d’augmentation du temps de travail (notons qu’à ce genre de vote participent toutes les catégories, y compris celles qui n’auront pas à subir les conséquences de l’accord !). C’est ce qui n’avait pas pu être fait à la FNAC, où les syndicats majoritaires avaient refusé d’entériner le travail du dimanche.

Il est clair qu’à partir de là la place même des représentants syndicaux est en cause. C’est par l’intermédiaire de leurs délégués - pour peu que ceux-ci jouent le rôle que la classe ouvrière leur assigne - que les travailleurs individuellement soumis à toutes les pressions peuvent résister à la volonté incessante du patron d’augmenter l’exploitation de la force de travail. Mais, désormais, ce rôle de rempart à la surexploitation est quasiment anéanti. Et par conséquent c’est l’existence même de syndicat qui est remise en cause.

Une volonté de combat qui se manifeste immédiatement

A peine connu, le projet de loi El Khomri suscite dans le prolétariat et la jeunesse un mouvement de rejet considérable. Remarquons que les directions syndicales le connaissaient depuis des semaines puisqu’elles le négociaient. C’est ce que reconnaît d’ailleurs à sa façon la direction de Force ouvrière lorsqu’elle se plaint que tel ou tel article a été ajouté au dernier moment. Autrement dit, tout le reste leur avait été soumis préalablement. Mais arrive le moment où le gouvernement lui-même est bien dans l’obligation de le rendre public. La réaction est immédiate, d’abord à travers les « réseaux sociaux », et particulièrement dans la jeunesse.

C’est là que surgit la pétition « Loi Travail ; non merci ! » qui demande à El Khomri de "renoncer à son projet". Cette pétition est étonnante à plus d’un titre. La porte-parole, Caroline de Haas, est... patronne d’une petite entreprise, et aussi... ancienne collaboratrice de Vallaud-Belkhacem alors ministre des droits de la femme. Elle est entourée de responsables syndicaux CGT, FO, UNEF, UNSA, etc., dont certains le sont à un niveau élevé et dont on peut s’étonner qu’ils n’aient pas eu comme première préoccupation de faire adopter l’exigence de retrait du projet de loi à leur organisation syndicale ! On le comprend mieux lorsque le succès de la pétition s’accompagne de toute une série d’articles politiquement intéressés qui glosent sur les « nouvelles formes de militantisme, qui ne passent plus par les organisations, etc. ». Il est clair qu’il y a une opération politique visant à faire croire que ce ne sont pas les organisations syndicales qui ont les clefs du combat, qu’il ne sert à rien de s’adresser à elles, etc.

Cela n’enlève rien au fait que le succès massif de la pétition (qui franchit rapidement le cap du million de signataires) révèle un état d’esprit dans le prolétariat et la jeunesse, et que cet état d’esprit est clairement au combat.

La prise de position de l’UNEF

Dès le 19 février, l’UNEF se fait l’expression de ce rejet massif en déclarant :

« L’UNEF exige donc le retrait du projet de loi El Khomri. C’est un préalable avant toute discussion sur les véritables attentes des jeunes pour leur insertion professionnelle : accès au CDI, fin des discriminations contre les jeunes pour l’accès aux droits sociaux, reconnaissance des qualifications dans les conventions collectives... »

En retour, la prise de position de l’UNEF reçoit un écho considérable. Il y a là une véritable leçon de choses. Malgré son affaiblissement considérable dû à la politique de ses dirigeants, en particulier à la politique de cogestion de la misère des universités, qui va, dans le cadre de la loi Pécresse, jusqu’à la prise en charge des licenciements, l’UNEF continue d’occuper une place centrale et d’être un enjeu considérable chaque fois que se trouve posée la question du combat contre le gouvernement dans la jeunesse. Cela est vrai en dépit de toutes les affirmations contraires des divers groupes gauchistes décomposés. Cela est vrai en dépit de toutes les tentatives avortées de constituer des organisations syndicales rivales à partir de forces politiques liées à telle ou tel appareil du mouvement ouvrier.

La prise de position du 19 février ouvrait une brèche dans le dispositif de collaboration du gouvernement avec les appareils. Il fallait de toute urgence, y compris d’ailleurs en y en intégrant l’UNEF, prendre une initiative visant à fermer cette brèche. Ce fut la fonction de la déclaration commune du 23 février.

La déclaration CGT-CFDT-FSU-UNEF, déclaration d’allégeance au gouvernement

« Les organisations signataires ne sont pas satisfaites de ce projet et demandent le retrait de la barèmisation des indemnités prudhommales dues en cas de licenciement abusif et des mesures qui accroissent le pouvoir unilatéral des employeurs. Elles conviennent de travailler ensemble sur la construction de droits nouveaux, et sur les autres articles du projet, notamment, sur les licenciements économiques, le forfait jours, l’organisation du travail et la santé au travail, l’apprentissage… Les organisations signataires, conscientes des enjeux et des responsabilités du mouvement syndical sont porteuses de propositions et sont disponibles pour engager le dialogue permettant le développement de l’emploi, la lutte contre la précarité et la sécurisation des droits des salarié-e-s. »

Tel est le texte adopté le 23 février. Son sens est limpide. En demandant le retrait de l’un des 52 articles du projet de loi, il s’agit d’indiquer que les 51 autres sont tout à fait acceptables et qu’ils peuvent donner lieu à dialogue social pour leur mise en œuvre. C’est du reste ce que dit la suite qui fait avec insistance état de la « disponibilité » des directions syndicales pour « engager le dialogue ».

À vrai dire, le texte est écrit sous la dictée de la CFDT, derrière laquelle Martinez et Groison (FO n’est pas signataire) peuvent se camoufler au nom de « l’unité ». C’est un remake de 2010, où Thibault, au nom de « l’unité », avait combattu avec la dernière énergie contre l’exigence de retrait de la contre-réforme Sarkozy des retraites.

Réactions dans la jeunesse, réactions dans la CGT : les appareils syndicaux sont contraints de tourner...

Mais cette fois la manœuvre va échouer. Car dans la jeunesse, le rejet ne faiblit pas. Et dans la CGT, dans la FSU, les réactions sont très vives par rapport à la signature de cette déclaration commune appréciée pour ce qu’elle est : une trahison des intérêts ouvriers. Il faut y voir les réactions de la classe ouvrière et de la jeunesse mais aussi des échelons intermédiaires de l’appareil syndical, dont l’existence est directement menacée par les dispositions sur le « referendum d’entreprise ».

Citons parmi une multitude d’autres la déclaration de la CGT Commerce :

 « La Fédération CGT Commerce, Services et Distribution est atterrée par le communiqué commun publié le 23 février 2016 après la réunion de dix organisations syndicales à l’initiative de la CGT. Nous nous prononçons pour le retrait immédiat et sans conditions du projet de Loi dit El Khomri, car il ne s’agit pas de « risques » pour les salarié-e-s et les jeunes, mais de jeter les travailleurs en pâture au patronat, en abrogeant des conquêtes sociales. Nous nous questionnons sur le passage : “Elles conviennent de travailler ensemble sur la construction de droits nouveaux, et sur les autres articles du projet, notamment, sur les licenciements économiques, le forfait jours, l’organisation du travail et la santé au travail, l’apprentissage,…“ Pour notre Fédération, il est hors de propos d’engager la négociation sur ce projet de Loi rétrograde alors que nos camarades sont jetés en prison, convoqués par les forces de l’ordre ou licenciés à cause de leur engagement aux côtés des salarié-e-s. »

Dans la FSU, quoiqu’à un degré moindre, il y a aussi quelques réactions cinglantes telles celle du SNASUB d’Aix-Marseille :

« La section du SNASUB-FSU de l’Académie d’Aix-Marseille est profondément choquée par la réaction de nos instances nationales et la teneur de la déclaration de Bernadette Groison quant au projet de réforme du code du travail.

Nous ne voulons pas d’un syndicat d’accompagnement ni d’un syndicat qui oublie sa base et les idées qu’il se doit de porter.

La responsabilité de la FSU n’est pas d’engager un quelconque dialogue, mais d’exiger le retrait immédiat de ce projet qui vise à détruire la protection du travailleur et ne créera aucun emploi (...)

En conséquence nous mandatons notre fédération afin de refuser toute discussion tant que le projet n’aura pas été retiré. » (Motion du 26 février 2016)

Il faut le remarquer : ces deux motions comme beaucoup d’autres relient l’exigence du retrait et l’injonction aux directions syndicales de ne pas participer à la concertation.

Mais le 1er mars, les organisations de jeunesse (UNEF, MJS, UEC, NPA jeunes, etc.) lançaient un appel à une "journée de mobilisation" pour le retrait du projet de loi le 9 mars, le jour où il devait être adopté au conseil des ministres.

Compte tenu des réactions dans la jeunesse et dans les organisations elles-mêmes, la position du 23 février n’est plus tenable, sauf à prendre le risque de perdre tout contrôle sur le mouvement qui s’esquisse. Dès lors, alors que CFDT, UNSA, CFTC adoptent un second communiqué de soutien au gouvernement, les dirigeants CGT, FO, UNEF, FSU, Solidaires, UNL, FIDL sont contraints de prendre position pour le « retrait du projet de loi » en date du 3 mars :

« Le mouvement social s’étend. Une imposante majorité considère que le projet de réforme du code du travail est une menace pour les salarié-es et ne créera pas d’emplois. Nous le pensons aussi !

Les premières réactions syndicales et citoyennes ont contraint le gouvernement à un premier recul. Mais ni le changement de date ni le changement de titre ne rend ce projet acceptable.

Le 31 mars, les salarié-es, les privé-es d’emplois, les jeunes, les retraité-es ont toutes les raisons de se mobiliser ensemble, par toutes les formes, y compris par la grève et les manifestations sur tout le territoire, pour obtenir le retrait du projet de loi de réforme du code du travail, et pour l’obtention de nouveaux droits, synonymes de progrès social, pour gagner aussi une autre répartition des richesses dans une société solidaire. »

Même affaiblie par l’affirmation fausse selon laquelle le gouvernement a commencé à reculer et par le baratin sur « les nouveaux droits », « une autre répartition des richesses » qui tentent de noyer l’exigence de retrait pur et simple, c’est un tournant. Du reste les masses ne retiennent qu’une chose : la prise de position pour le retrait.

... tout en maintenant le fil de la concertation avec le gouvernement

Le gouvernement quant à lui a immédiatement vu le danger. Il annonce une nouvelle tournée de concertation et reporte l’adoption du projet au conseil des ministres de 15 jours. Les dirigeants syndicaux s’y précipitent. Leur politique consiste à faire le grand écart. Dans le bureau du ministre, la demande de retrait du projet de loi occupe dans leur discours une place très secondaire. « La CGT a présenté son projet pour un code du travail du XXIe siècle qui dote les salariés de droits nouveaux et de garanties effectives pour répondre aux enjeux de notre temps. » Ainsi débute le compte-rendu de la rencontre par la CGT. Suivent les 32 heures, les « droits attachés à la personne » (c’est-à-dire, quoiqu’en disent les dirigeants, une autre version du CPA contenu dans la loi), etc.

Quant à FO, dans le bureau du ministre, le mot d’ordre de retrait se transforme en... suspension :

« Force ouvrière a rappelé sa demande de suspension du texte ce qui signifie de remettre à plat, mais sans date, et de redémarrer la concertation. Le Premier Ministre a répondu que le report était une suspension, ce qu’a contesté Force ouvrière. »

Valls ne résiste pas au plaisir de se payer la tête de Mailly. Vous voulez la suspension ? Vous l’avez ! Le projet est reporté de 15 jours !

Certes, le résultat de la concertation ne peut satisfaire entièrement le gouvernement. Il aurait fallu pour cela que les dirigeants renoncent officiellement à l’exigence de retrait. Ce qu’ils ne pouvaient pas faire. Mais il n’est pas nul. Elle permet à El Khomri de dire : « La discussion a eu lieu et tout le monde est d’accord qu’il faut réformer le code du travail ».

Le 9 mars : claire manifestation de la disponibilité des travailleurs et de la jeunesse au combat

Les appareils CGT, FO, FSU finissent par se rallier à la journée d’action du 9 mars lancée par les organisations de jeunesse en se gardant bien toutefois d’appeler à la grève ; ils n’appellent qu’à des rassemblements. Cette journée d’action indique aux appareils qu’ils ne peuvent sans perdre tout contrôle abandonner le mot d’ordre de retrait du projet. Le 9, la mobilisation des masses impose la transformation des rassemblements prévus en manifestations. Il y a des centaines de milliers de manifestants, mais, plus que le nombre, importe le fait que les manifestations sont soudées par le mot d’ordre : « Retrait du projet de loi ». Il faut préciser que le même jour les cheminots sont appelés à la grève. Dans le cadre de l’ouverture du rail à la concurrence, l’objectif du gouvernement est de liquider le statut des cheminots, en particulier le RH 77 qui définit les horaires, droit au repos, etc., des roulants. Il le fait au nom d’une « convention collective commune » de tous les travailleurs du rail. Le ministre Vidalies explique dans Le Monde du 16 mars : « Au premier juillet, les textes régissant le régime actuel tant à la SNCF que dans le privé deviennent caducs. Pour les remplacer, trois textes doivent être adoptés d’ici là : ce décret socle, un accord de branche négocié entre partenaires sociaux, et, dans chaque société un accord d’entreprise. J’ai décidé de présenter dès février ce projet de décret pour lancer le mouvement. Après concertation, je l’ai modifié et précisé. J’ai retenu dans le texte une position intermédiaire entre les règles du public et les règles du privé. » (souligné par nous)

On ne saurait exprimer plus clairement les objectifs du gouvernement : la liquidation des garanties statutaires des cheminots de la SNCF (car évidemment les règles du privé sont beaucoup plus défavorables pour les travailleurs). N’est-il pas évident dès lors que la seule position conforme aux intérêts ouvriers est la défense inconditionnelle du RH77, ce qui exclut la participation à une « négociation » dont l’objectif explicite est sa liquidation ?

La position des dirigeants CGT (flanqués de SUD) est à l’exact opposé comme l’indique leur communiqué : « Le 9 mars 2016, les cheminots sont appelés à agir par la grève pour exiger des embauches, des augmentations de salaire ainsi qu’un haut niveau de sécurité autour d’un décret socle (proposé par le gouvernement) qui déterminera la réglementation du travail et le temps de travail de tous les cheminots (SNCF et entreprises ferroviaires privées). »

C’est malgré la prise de position des dirigeants syndicaux que les travailleurs de la SNCF se sont mis en grève de manière significative le 9 mars. Et sans aucun doute, la volonté de rejoindre la jeunesse dans le combat contre le gouvernement y a été pour beaucoup.

14 mars : une version relookée du projet de loi... qui ressemble furieusement à la première

Le 14 mars, le gouvernement présente sa nouvelle version du projet de loi "après concertation". Il n’y a en réalité rien de changé. La limitation légale des indemnités prudhommales devient un « barème ». Quelle importance puisque le projet de loi supprime tout plancher aux indemnités ? Quant à la « garantie jeune universelle », c’est de la manière la plus éhontée qu’elle est présentée comme une avancée. Elle revient à garantir aux jeunes... l’équivalent du RSA (assaisonnée bien sûr d’un « suivi individuel » dans la recherche d’emploi).

Mais le but est de réaliser une opération politique. La CFDT se déclare « satisfaite ». Le soir même, le gouvernement réunit en séminaire les députés du PS dans une « ambiance positive », puisque Cambadelis avait dit que le PS alignerait sa position sur celle de la CFDT. Une fois de plus la preuve est faite : les députés PS ne peuvent rompre avec le gouvernement que si les masses par leur mouvement les prennent par le collet !

Quant aux dirigeants CGT, FO, FSU, UNEF, s’ils murmurent qu’il y a des « reculs » – pour préparer les leurs dans l’avenir ? –, ils ne peuvent lâcher le mot d’ordre de retrait. Mais au soir du 14, la question centrale est bien celle-ci : comment arracher le retrait ?

Un « agenda » pour disloquer la mobilisation

Or les dirigeants syndicaux ont prévu une kyrielle de journées d’action à travers tout le mois de mars sur des sujets divers et variés pour noyer le combat pour le retrait du projet de loi, épuiser travailleurs et jeunes, disloquer leur volonté de combat. L’US, journal de la FSU, les annonce en première page : « 8 mars, journée de la femme, 9 mars, 10 mars journée Retraités, 12 mars contre l’état d’urgence, 22 mars journée Fonction publique, 29 mars contre la loi Travail ».

N’en jetez plus, la cour est pleine ! « L’agenda » des appareils est si contraire aux aspirations des travailleurs et des jeunes qu’ils ne pourront même pas le tenir jusqu’au bout. Ainsi la prétendue « grève de la Fonction publique » que Pour, le journal de la FSU, annonçait en première page, n’aura pas lieu. Drôle de « grève » annoncée sur le terrain d’un soutien ouvert à l’accord PPCR dans la Fonction publique (voir CPS précédent et article Enseignement dans ce présent numéro), accord tout entier tourné contre le statut des fonctionnaires. La direction de la FSU s’accrochera avec l’énergie du désespoir pour le maintien de cette « grève ». Las ! La CGT renonce car l’appareil ne réussit pas à l’imposer à ses propres syndicats. Quant au gouvernement, il lâchera quelques pièces jaunes aux fonctionnaires sous la forme d’une augmentation de... 0,6 % du salaire en 2016 (et non 1,2 % comme on l’a entendu, puisque les 0,6 % supplémentaires le seront en février 2017 !). Du reste, Bernadette Groison s’en satisfera demandant au gouvernement de faire aussi bien, si l’on peut dire, en 2017 qu’en 2016 pour... faire avaler aux fonctionnaires l’accord PPCR ! Dans sa lettre au ministre du 22 mars, elle ose écrire : « il va de soi que la mesure (de dégel du point fonction publique) est celle du rendez-vous salarial de 2016 et que celui de 2017 devra suivre la même tendance. En effet, les mesures contenues dans le protocole PPCR seraient affaiblies et deviendraient vite obsolètes sans une politique régulière de revalorisation du point ».

L’agenda des appareils syndicaux a donc une fonction bien précise : isoler la jeunesse, l’épuiser en mettant 3 semaines entre le 9 mars et l’appel au 31 mars, « journée d’action interprofessionnelle » contre le projet El Khomri.

Dans la jeunesse, une mobilisation qui se cherche.
Le gouvernement met immédiatement en œuvre la répression en application de l’état d’urgence

Il ne faut pas se leurrer : le dispositif des « journées d’action » diverses pèse et rend plus difficile la mobilisation de la jeunesse. Certes le 9 mars, les cortèges jeunes sont fournis et ils le seront plus encore le 17, nouvelle journée d’action à l’initiative de l’UNEF. Toutefois, dans la plupart des facs, il n’y a pas véritablement grève, et les assemblées générales, à quelques exceptions près, sont très maigres. Il en va un peu différemment dans les lycées où le mouvement est plus puissant.

Cette situation crée un terrain favorable aux entreprises de provocation et de répression du pouvoir en application de l’état d’urgence. Le 17 mars à Paris, utilisant opportunément l’appel irresponsable et diviseur aux lycéens à un rassemblement séparé, la manifestation lycéenne donne l’occasion à Valls, l’admirateur de Clemenceau dans l’art de la répression, de faire montre de son talent de flic. Il envoie ses casseurs attaquer les devantures de magasin sur le trajet de la manifestation donnant l’occasion aux CRS de charger violemment le cortège. 8 jours avant à Lyon, suite à des affrontements avec les flics, deux jeunes étaient jugés en comparution immédiate et l’un d’entre eux écopait de 6 mois de prison ferme. À Lyon, Strasbourg, Tolbiac il fait fermer les facs par les présidents d’université et à Tolbiac, il fait intervenir violemment les flics à l’intérieur même de la fac pour interdire aux étudiants de se réunir en assemblées générales. Des étudiants sont blessés et interpellés.

Mais le 24 mars, la répression atteint des sommets : la vidéo du lycéen de Bergson à Paris traîné à terre, relevé pour être violemment frappé en est le concentré. À Besançon, Marseille, Lyon, etc., partout le gouvernement fait donner la violence de ses flics contre les manifestants. Les interpellations se multiplient.

Il a fallu que la scène du lycée Bergson fasse le tour des médias pour qu’il y ait enfin un communiqué intersyndical. Mais que dit ce communiqué syndical ? Il demande à la police... d’assurer la sécurité des manifestants !

C’est au contraire aux organisations syndicales qui disposent de services d’ordre expérimentés d’assurer la sécurité des manifestants. C’est la responsabilité des dirigeants syndicaux.

Lors de la comparution des étudiants de Tolbiac, aucune organisation syndicale n’était présente. C’est inadmissible. Il faut dire qu’à l’université même les groupes « anti-orga », gauchistes décomposés ou se réclamant de l’anarchisme sont à l’œuvre. Les uns prétendent expulser les organisations des assemblées générales et mobilisations, les autres (les dirigeants des organisations) n’ont rien de moins pressé que de s’engager sur le terrain de la défense des jeunes en proie à la répression. En réalité, les uns et les autres se complètent parfaitement le travail... pour le plus grand bénéfice du gouvernement !

La pseudo « coordination étudiante » du 19 mars :
organisation de la dislocation et soutien à l’agenda des appareils syndicaux

Dans des conditions où il n’y a presque nulle part de véritable grève à l’université, la convocation d’une « coordination nationale étudiante » ne peut être l’expression centralisée des étudiants en lutte, mais le rassemblement de la « frange politisée ». Dans son supplément Combattre pour le Socialisme à l’adresse de la jeunesse en date du 7 mars (voir dans ce numéro), notre Groupe concluait :

« Voilà pourquoi la responsabilité de l’UNEF dans la continuité de sa prise de position pour "le retrait de la loi... préalable à toute discussion" est incontournable :

- qu’elle convoque partout dans les plus brefs délais des assemblées étudiantes ouvertes aux lycéens et apprentis pour le retrait du projet de loi El Khomri mettant au cœur de la discussion : quelle action organiser au plan national pour faire plier le gouvernement, retirer le projet de loi ?

- qu’elle invite partout les étudiants, lycéens, apprentis à élire dans chaque AG des délégués mandatés sur la base de cette discussion ;

- qu’elle convoque dans les meilleurs délais une Assemblée nationale des délégués des facs, lycées, centres d’apprentissage pour décider nationalement de l’action à mener pour le retrait du projet de loi ;

- qu’elle œuvre dans ce sens à l’unité des organisations CGT, FO, FSU, UNEF. »

Le 19 mars, la « coordination nationale étudiante » avait peu à voir avec « l’Assemblée nationale des délégués de facs, lycées, centres d’apprentissage pour décider nationalement de l’action à mener pour le retrait du projet de loi ».

Non seulement l’UNEF ne l’avait pas convoquée, mais elle était dans les mains de forces politiques combattant toute présence des organisations. Au nom de la « souveraineté des assemblées générales », elle était dressée contre le front unique des organisations ouvrières. Au nom de la lutte à la base, de la « reconduction département par département », elle se dressait contre toute perspective de combat centralisé contre le gouvernement, pour le défaire.

Le texte adopté par la dite « coordination » en témoigne. Après une analyse plus qu’approximative du projet de loi, où il est affirmé par exemple que « le gouvernement a commencé à reculer », l’appel écrit :

« Pourtant, le gouvernement est loin de nous faire plier. Notre mouvement a démarré puissamment sur des dizaines d’universités, mais la colère qui s’est exprimée est encore loin de s’être entièrement traduite dans les assemblées générales et dans la rue. C’est pourquoi la principale tâche du mouvement dans les jours qui viennent est celle de la massification par un travail d’explication sur les conséquences de la Loi Travail pour les jeunes et la structuration de la mobilisation dans chaque filière et département de nos universités. Pour cela, il est indispensable d’arrêter le fonctionnement normal des activités dans nos établissements, en construisant la grève à côté des enseignant-e-s et des personnel-le-s et en la généralisant sur tous les campus. »

Passons sur l’affirmation selon laquelle « notre mouvement a démarré puissamment dans des dizaines d’universités ». C’est prendre ses désirs pour la réalité ! Mais quelle perspective est tracée ? Celle de « la massification par un travail d’explication sur les conséquences de la loi... la structuration de la mobilisation dans chaque filière et département... »

En somme, le problème, c’est que les étudiants n’ont pas compris la loi. Et la perspective, c’est la mobilisation, filière par filière, département par département ! La loi met au centre la négociation entreprise par entreprise et la coordination lui oppose la lutte département par département !

Donc chacun doit prendre son bâton de pèlerin pour « arrêter le fonctionnement normal (sic !) des activités dans nos établissements ». Que la victoire dépende de l’unité de la classe ouvrière et de la jeunesse à travers l’unité de leurs organisations syndicales (CGT, FO, FSU, UNEF), voilà qui n’effleure apparemment pas les brillants rédacteurs de l’appel de la coordination ! Mais en réalité les « dirigeants » de la coordination savent parfaitement que ce sont les dirigeants des syndicats qui ont les clefs du camion ! Et voilà pourquoi, discrètement et sans jamais dire qui a fixé l’agenda, l’appel de la coordination se termine par un ralliement complet, intégral au dispositif des appareils syndicaux :

« Nous appelons tous les secteurs à s’unir afin de faire aboutir nos revendications. Nous appelons tou-te-s les salarié-e-s, chômeur-euses, retraité-e-s, étudiant-e-s, lycéen-ne-s dans la rue :

 - le jeudi 24 mars à une journée de mobilisation nationale et à des manifestations,

 - le jeudi 31 mars, au côté des organisations syndicales (CGT, FO, FSU, Solidaires), à une journée de grèves et manifestations massives qui doit ouvrir un mouvement de grève reconductible et illimitée dans plusieurs secteurs de la société,

- le mardi 5 avril pour une journée de mobilisation nationale.

 Nous appelons aussi le 22 mars à une journée d’actions coordonnées dans toutes les villes de France.

 Seule la lutte paye ! Nous la mènerons jusqu’au retrait total de la Loi Travail ! »

À vrai dire, au-delà de ce ralliement au 22, au 24, au 31, la coordination ajoute le 5 avril. Le communiqué intersyndical diffusé au soir du 24 en rajoute encore. Dans le compte-rendu qu’elle fait de l’intersyndicale, B. Groison annonce que l’intersyndicale a discuté de l’appel au 5... et d’y rajouter une journée d’action le samedi 9... pour éviter d’avoir à appeler à la grève !

En même temps, sans pouvoir encore évacuer le mot d’ordre de retrait auxquels les jeunes et les travailleurs sont passionnément attachés, les directions syndicales s’ingénient à le noyer dans mille autres mots d’ordre (« conquérir de nouveaux droits », « 32 heures », etc.). Comme toujours dans ce genre de situation, c’est le journal du PCF L’Humanité qui donne le la. Son édition du 24 mars, jour de la présentation du projet de loi au Conseil des Ministres titre : « opposer un contre-projet de gauche au projet de loi El Khomri ». Le sens de la manœuvre est limpide. Après le contre-projet, il faut discuter « projet contre projet ». Il faut donc renouer au plus vite le « dialogue social ». Il faut donc renoncer au mot d’ordre de « retrait pur et simple ». Toute la question est de savoir si les travailleurs et la jeunesse permettront que cette manœuvre réussisse. Rien n’est moins sûr à cette étape.

Une orientation pour affronter le gouvernement et le vaincre

La voie que proposent les appareils syndicaux et leurs compères "gauchistes" qui trônent à la tribune des coordinations n’a rien d’original. Elle a déjà été empruntée en 2003, en 2010 sur les contre-réformes des retraites et a toujours conduit à la défaite. Cette voie, c’est celle des journées d’action « saute-mouton » tous les trois jours ou tous les huit, et entre temps, l’invitation aux travailleurs et aux jeunes « à la base » à remplir les interstices via la « grève reconductible » décidée par les « assemblées souveraines ».

Cette savante tactique n’a qu’un but : éviter à tout prix l’affrontement avec le gouvernement pour le vaincre, la centralisation du combat contre lui.

Aujourd’hui, formuler de manière pratique la perspective du combat centralisée contre le gouvernement, c’est avancer la perspective suivante :

dans l’unité CGT, FO, FSU, UNEF doivent appeler à une puissante manifestation centrale au siège du pouvoir pour arracher le retrait pur et simple du projet de loi El Khomri !

On pourra lire dans ce numéro de CPS que cette perspective a reçu un écho significatif là où les militants de notre Groupe l’ont avancée. Mais elle surgit y compris de certains secteurs du mouvement ouvrier qui commencent à tirer le bilan des défaites antérieures et de la « tactique" qui y a conduit. C’est ce qui ressort par exemple de la lettre au Bureau Confédéral de la section CGT Goodyear - dont rappelons-le plusieurs militants sont sous le coup d’une peine de prison ferme. Évoquant la journée d’action du 31 mars, elle écrit :

« Nous vous demandons donc de vous positionner et nous faire savoir comment la confédération CGT compte agir sur cette journée vitale pour la suite du mouvement social dans notre pays !!!

Hier encore, des dizaines de milliers d’étudiants étaient dans les rues, dans beaucoup de régions, départements, villes, des syndicats nous informent qu’ils organisent ce rassemblement du tous ensemble incontournable pour mettre en échec la stratégie du gouvernement/MEDEF appuyée par les syndicats réformistes ....

Nous devons être tous ensemble le même jour au même endroit, 500.000 personnes à Paris feront bien plus de bruit que 500.000 dans toute la France, ce ne sera pas le nombre de rassemblements qui comptera mais le nombre de rassemblé(E)s.

Depuis des années nous ne cessons de demander cette union de toutes celles et tous ceux qui ont soif de justice sociale, nous pouvons dès le 31 mars le mettre en œuvre et faire reculer ceux qui nous méprisent depuis trop longtemps.

Nous vous demandons de nous aider à faire du 31 mars 2016 une date historique de la lutte sociale dans notre pays, retrait du projet de loi travail et arrêt des poursuites contre les 8 Goodyear . »

En demandant à la direction de la CGT d’organiser le 31 mars la montée sur Paris, la section CGT Goodyear pose à sa manière la question de l’affrontement avec le pouvoir. On peut évidemment discuter de telle ou telle formulation. La question de la manifestation centrale n’est pas tellement motivée par exemple par le fait qu’elle fera « bien plus de bruit », mais bien qu’elle vise à affronter le gouvernement. Mais c’est bien en réalité cette dernière question qui est posée à travers cette lettre.

Schäuble donne l’enjeu

Le Monde du 22 mars cite le ministre des finances allemand Schäuble bien connu comme étrangleur en chef du peuple grec lors des « négociations » de l’été dernier : « Je prie pour que les réformes françaises aboutissent ». Derrière le gouvernement français, il y a tous les gouvernements de l’UE, tout ce que l’Europe comprend de réaction bourgeoise. Et pour cause. L’enjeu est considérable. Le gouvernement Hollande-Valls ne survivrait pas au retrait du projet de loi El Khomri. Au-delà même de la France, le retrait de ce projet constituerait un formidable appel d’air pour les prolétariats d’Europe en Grèce, en Espagne, au Portugal, en Grande-Bretagne, en Belgique et même en Allemagne.

Et c’est pourquoi le sinistre Schäuble prie. Et c’est pourquoi, contre tous les Schäuble d’Europe, il est d’une telle importance de tout mettre en œuvre pour que le gouvernement soit affronté et vaincu. Cela ne dépend évidemment pas de l’action du Groupe pour la construction du Parti ouvrier révolutionnaire, de l’Internationale ouvrière révolutionnaire. Ce qui dépend de lui, c’est de définir le chemin qui peut permettre cette défaite du gouvernement, et de défendre partout où c’est possible cette orientation. Nous invitons nos lecteurs à renforcer ce combat.

Le 25 mars 2016

 

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