C.P.S. Nouvelle série n°58 (n°140) 10 octobre 2015 ‑ Éditorial :
GROUPE pour |
La
construction du parti ouvrier révolutionnaire la
construction de l’internationale ouvrière rév |
« L’impérialisme,
c’est la réaction sur toute la ligne ». Qui peut douter, à observer l’état du monde
aujourd’hui, de la vérité de cette formule de Lénine ? Ce sont les guerres
atroces qu’il provoque en Irak, en Syrie, au Yémen ; c’est la répression
massive assortie de milliers d’assassinats politiques en Egypte pour maintenir
son «ordre», ce sont les emprisonnements sine
die et sans jugements de milliers de Palestiniens en Israël, qui est sa
tête de pont au Moyen‑Orient. Quand 800 millions d’êtres humains sont
officiellement recensés comme en situation de famine, on apprend que les trusts
et les courtiers de l’agro alimentaire prient chaque jour pour que les catastrophes
climatiques type El Nino prennent cette année une dimension particulièrement
ample, détruisent à une échelle de masse les récoltes... et donc permettent des
opérations spéculatives juteuses sur les produits alimentaires.
Face
aux émigrés, «quotas» et barbelés, «hotspots» et expulsions, contrôles de police et matraques
Telle
est la réalité de l’impérialisme aujourd’hui, qui se manifeste aussi par ces
immenses vagues d’émigrés cheminant sur les routes d’Europe, accueillis par les
barbelés et les matraques de la police, dont le bruit est à peine couvert par
les discours d’un répugnant «humanisme» à la gloire des «valeurs» de l’Union
européenne ; les discours des Merkel, Cameron, Juncker, sans oublier bien
sûr ceux du pape et, en bonne place, ceux de Valls et Cazeneuve.
La
seule responsabilité incombe à l’impérialisme. La carte de l’émigration recoupe
celle des guerres menées depuis un quart de siècle par l’impérialisme :
Afghanistan, Irak, Syrie, corne de l’Afrique, et celle de la misère qu’il provoque
(Afrique subsaharienne).
Une
pesante campagne médiatique (des médias entièrement possédés par les Bolloré,
Bouygues, Drahi) voudrait nous faire croire qu’en Europe se mène un combat titanesque
entre les «barbares» (Orban, les dirigeants des pays de l’Est) et les
«humanistes» (Merkel, Juncker, Hollande) qui se réclameraient des «traditions d’accueil»
de l’Europe. Il faudrait savoir de quelles «traditions» ils parlent. De la
«tradition d’accueil» des Républicains espagnols entassés dans le camp de
Rivesaltes en Pyrénées orientales, où les hommes survivaient en mangeant des
rats ? C’est bien là la «tradition» réelle de la bourgeoisie et de ses
gouvernements en matière d’accueil !
Certes les conflits au sein de l’UE ne sont pas
feints. Mais ils n’opposent pas humanistes et barbares. Ils opposent les
intérêts des différentes bourgeoisies nationales en Europe. Ainsi, soutenue par
le patronat allemand, Merkel a vu dans cette émigration une aubaine : une
main‑d’œuvre souvent qualifiée prête à accepter des conditions salariales
misérables. Mais l’»humanisme» de Merkel s’arrête là où s’arrêtent les besoins
de l’économie capitaliste allemande. Et lorsque Merkel a jugé que lesdits besoins
étaient satisfaits, elle a en toute «humanité» décidé... de rétablir les
contrôles de police à la frontière !
Le
gouvernement, par la bouche de Valls, a immédiatement emboîté le pas. Il est
vrai que l’état misérable de l’économie française ne permet pas au gouvernement
français de jouer les généreux. Dès le départ, il refusait les «quotas»
impératifs proposés par l’Allemagne avant de s’y rallier et de chiffrer la
«générosité» à 24 000 sur deux ans ! En attendant, ratonnades et
expulsions continuent : chasse aux campements improvisés à Paris et
ailleurs, matraques policières à Vintimille, barbelés à Calais : c’est ce
que Valls appelle : un «équilibre entre fraternité et maîtrise des
frontières».
À l’égard
des émigrés, contre les «quotas», contre le tri fait entre «bons» et «mauvais»
émigrés dans des «hotspots»,
véritables camps de concentration modernes, les militants révolutionnaires,
dans la tradition de la Commune de Paris qui avait largement intégré dans le
rang de ses propres délégués nombre d’émigrés de toute l’Europe, doivent
combattre dans le mouvement ouvrier pour qu’il fasse sien les mots d’ordre suivants :
·
accueil de tous les émigrés, disposant de droits égaux aux autres :
santé, éducation, droits politiques ;
·
libre circulation ! A bas les quotas et les contrôles
policiers ;
·
régularisation de tous les sans-papiers, anciens comme nouveaux.
Et
alors que la réponse de Hollande à l’émigration consiste à étendre les
bombardements en Syrie, arrêt des bombardements ! Troupes françaises hors
de Syrie, d’Irak, du Liban, de l’Afrique – voir déclaration de notre Groupe
dans ce numéro de CPS, page 14.
Ajoutons :
Hollande vient de recaser les deux navires Mistral destinés à Poutine au
dictateur égyptien Sissi. Il a déclaré, fier de son exploit, que l’Egypte « est l’acheteur considéré comme celui
qui devait être préféré parce que nous avons une coopération militaire ».
Sissi s’en félicite : « Au
niveau stratégique, les deux pays ont les mêmes objectifs. La France considère
que nous sommes un pilier de stabilité dans la région et nous ferons tout pour
l’être ». C’est avec le concours de l’Arabie Saoudite que l’affaire a
été montée. Elle escompte qu’à un moment donné l’Égypte pourrait être
militairement un soutien au Yémen. Les princes d’Arabie Saoudite font partie
des « bons amis » de François Hollande et pour cause : ils
figurent dans le top des meilleurs clients de l’industrie d’armement de l’impérialisme
français. Depuis le début de l’année, 124 exécutions ont lieu dans ce pays sous
des prétextes religieux, mais en fait il s’agit essentiellement d’opposants au
régime. Le prochain sur la liste, Ali Al‑Nimr, est condamné « pour avoir manifesté contre le régime
alors qu’il avait 17 ans ». A tout moment, il peut être décapité au
sabre. Puis son corps sera crucifié afin d’être exposé jusqu’à une
décomposition avancée. Voilà ce que sont les « amis » de François
Hollande, de ce gouvernement au service de l’impérialisme français.
Crise
chinoise ou épicentre chinois de la crise mondiale ?
Toutes
les décisions politiques des puissances impérialistes pour rétablir l’»ordre»
impérialiste ne font que générer un plus grand désordre, plaçant l’Union
européenne au bord de l’implosion. Telle est la leçon de la vague d’émigration
en Europe produit des interventions militaires impérialistes. Toutes les
décisions prises par les gouvernements bourgeois pour juguler la crise du mode
de production capitaliste ne font qu’accumuler les explosifs pour une
déflagration plus destructrice encore dans l’avenir : telle est la leçon
de la «crise chinoise».
La
«crise chinoise» n’est pas une crise chinoise. Voilà la première chose qu’il
faut dire. Elle marque simplement le déplacement vers la Chine de toutes les
contradictions accumulées du mode de production capitaliste. On ne peut comprendre
la «crise chinoise» sans évoquer ce qu’écrivait Trotsky dans la préface à l’édition
française de La Révolution permanente :
« On
ne peut (...) comprendre le capitalisme national si on ne l’envisage pas comme
une partie de l’économie mondiale. Les particularités économiques des différents
pays n’ont pas une importance secondaire. Il suffit de comparer l’Angleterre et
l’Inde, les États‑Unis et le Brésil. Les traits spécifiques de l’économie
nationale, si importants qu’ils soient, constituent, à un degré croissant, les
éléments d’une plus haute unité qui s’appelle l’économie mondiale... »
Dans
ce numéro de CPS, nous revenons
longuement sur les ressorts internes (qui tiennent aux particularités chinoises,
à la façon dont le capitalisme y a été rétabli ce « qui n’est pas d’une
importance secondaire ») et externes de la crise chinoise qui a pris
la forme d’une crise boursière. Contentons‑nous ici de faire les
remarques suivantes : derrière la crise boursière, il y a la crise de surproduction.
Et le premier facteur de la crise de surproduction, c’est la stagnation de la
demande des vieilles puissances impérialistes en matière de marchandises
chinoises. Les moyens par lesquels le gouvernement chinois, qui coïncide avec l’appareil
du PCC, a dès 2009 tenté de repousser les échéances de la crise en mettant en
œuvre un gigantesque plan de relance, se retournent aujourd’hui brutalement
contre l’économie chinoise. Le surinvestissement (relire l’article sur la Chine
dans CPS 54 de mai 2014) a généré à la fois le surendettement de l’État
central comme celui des régions, faisant peser le risque du krach bancaire. La
surproduction immobilière s’est accompagnée d’une gigantesque bulle
spéculative, puis d’un retournement des prix dans ce secteur. La spéculation,
alimentée par un recours débridé au crédit, s’est alors déplacée sur le terrain
de la bourse avant que la bulle boursière n’éclate à son tour.
Le
fait est, qu’à cette étape, ce qui frappe c’est l’impuissance du gouvernement
chinois à juguler cette crise.
Mais
il est de première importance de souligner un autre élément. La crise ne peut
être saisie abstraction faite de la lutte des classes en Chine (relire CPS 57 de mai 2015), en particulier de l’intense
activité de classe, malgré ses limites politiques, de la classe ouvrière
chinoise. En effet, les augmentations de salaires arrachées minent l’avantage comparatif des marchandises
chinoises face à la montée en puissance de pays‑ateliers en plein essor :
Vietnam, Bengladesh, Mexique, mais aussi Inde. En retour, le ralentissement économique
aiguillonne l’activité du prolétariat.
Ce n’est
donc pas à tort que Le Monde du 11
août évoque « le lien direct qui
existe entre ralentissement économique et hausse du mécontentement social (...)
China Labour Bulletin relève 1223 grèves et autres formes de protestation des
travailleurs dans les six premiers mois de l’année 2015, tandis qu’elle en
constatait 437 dans la même période en 2014. »
Or le
gouvernement chinois ne peut tenter de redresser la situation qu’en s’en
prenant violemment au prolétariat, en diminuant le coût de la force de travail.
Le fait qu’il envisage pour stopper la glissade boursière d’engloutir dans la
Bourse une bonne part du fonds national de pension qui alimente les maigres
retraites des vieux travailleurs chinois l’indique assez. C’est pourquoi on
peut s’attendre à une intensification des combats de classe en Chine, dans un
pays où la puissance sociale du prolétariat est gigantesque, quand bien même,
répétons‑le, à ce stade, son expression politique reste limitée.
Des
conséquences énormes à l’échelle mondiale
D’ores
et déjà les conséquences du ralentissement chinois ont des effets gigantesques.
La Chine est le premier importateur de matières premières : pétrole,
charbon, minéraux de toutes sortes, produits agricoles... La baisse de la demande
chinoise a pour effet une baisse continue des prix de ces marchandises. Depuis
2011, le cuivre a perdu 50% de sa valeur, le fer 73%, le pétrole 60%. Les
conséquences sont immédiates sur les pays dont l’économie était largement fondée
sur l’exportation de ce type de produits. Cela vaut d’abord pour les pays dont
l’essentiel des exportations consiste en hydrocarbures : Venezuela,
Algérie, Iran... Mais c’est toute l’Amérique latine qui est entrée en récession :
le Venezuela, mais aussi le Brésil et ses produits agricoles, le Chili et son
cuivre, l’Équateur, provoquant ou amplifiant crises politiques... et attaques
redoublées contre les conditions d’existence des masses. Le Canada lui‑même,
dont l’exploitation des schistes bitumeux a cessé d’être rentable, est entré en
récession. L’Australie, eldorado des exploitants miniers en tout genre, est
touchée. On apprend que la grande banque américaine Goldman Sachs vend précipitamment
ses mines…
Pourtant,
on a entendu dire par Gabriel, ministre PSD de l’économie allemande, que l’Allemagne
ne subirait que des conséquences minimes : « La part de la Chine
dans les exportations de l’Allemagne est de 8%, la part de l’Europe dépasse les
40%». (...) Une grande part des exportations allemandes est à destination de la
zone euro ». Et Hollande sans crainte du ridicule : « Notre
économie est assez solide... ».
Y
croient‑ils eux‑mêmes ? Les conséquences ne peuvent pas être
abordées à partir des relations commerciales entre deux pays, prises
séparément, mais, comme l’explique Trotsky, à partir « d’une plus haute
unité qui s’appelle l’économie mondiale ». Le Japon, un des deux plus
grands créanciers du monde et des pays européens, est directement atteint. Le
PIB y a reculé ainsi que la production industrielle au cours du dernier trimestre.
Et pour la première fois depuis bien longtemps, l’épargne privée recule... Que
le mouvement s’amplifie, et le fragile équilibre des pays fortement endettés d’Europe
– au premier rang desquels la France ‑ risquerait d’être mis à bas par l’augmentation
des taux d’intérêts sur les obligations d’État...
Mais
on ne cesse de vanter la reprise américaine. Le voilà, nous dit‑on, le
nouveau moteur de l’économie mondiale ! Mais il est aussi illusoire d’attendre
le salut de l’économie mondiale de la «reprise» américaine qu’il était
illusoire de l’attendre hier de la «croissance» chinoise. D’ailleurs qu’en est‑il
de cette «croissance» américaine ? Le 1er août, Le Monde claironne dans son titre :
« La croissance américaine repart » ; mais lisons l’article
qui suit : « L’Amérique doit s’habituer à des taux de croissance
inférieurs à ceux qu’elle a connus dans le passé en période de reprise... L’investissement
des entreprises, qui est habituellement un important moteur de croissance, fait
du surplace. Les dépenses de logiciels, recherche développement et équipements
ont ainsi baissé de 0,6%. Il s’agit de la plus mauvaise performance depuis le
dernier trimestre 2012... la situation dans le secteur pétrolier s’aggrave avec
une chute de 68% des investissements au deuxième trimestre... »
Quant
au miracle du plein emploi américain, ce n’est rien d’autre, à vrai dire, qu’un
énorme bobard ! Là encore, lisons ce qu’écrit Le Monde (17 septembre) ‑ en petits caractères, les gros
titres étant à la gloire du «plein emploi» : « Au total, plus de
94 millions d’Américains en âge de travailler sont actuellement exclus –
volontairement ou involontairement – du marché de l’emploi. Depuis le début de
la crise, 14,9 millions de travailleurs potentiels supplémentaires manquent à l’appel,
un chiffre à comparer aux 10 millions d’emplois créés depuis le début de la
crise... L’industrie, qui employait 22% de la main‑d’œuvre il y a
quarante ans n’occupe plus que 8% des actifs américains ». Et le mouvement,
loin de se réduire, s’est à vrai dire amplifié durant les derniers mois...
Telle
est la réalité de la reprise américaine. Et si quelqu’un ne s’illusionne pas là‑dessus,
c’est bien Jannet Yellen, la présidente de la Réserve fédérale (Fed). Depuis
des mois et des mois, le monde entier est suspendu à la décision de la Fed :
va‑t‑elle augmenter les taux d’intérêts ? Il faudrait sans
doute le faire car la distribution à tout va de liquidités comporte le risque
majeur de bulles spéculatives. Ces liquidités, faute de trouver à s’investir
dans la production, alimentent la spéculation, notamment la spéculation boursière.
Or toute l’histoire du mode de production capitaliste montre le danger d’une
augmentation effrénée des valeurs boursières déconnectées de toute augmentation
réelle de la production. Un danger que dénonçait déjà Greenspan, un des
prédécesseurs de Yellen, celui de « l’exubérance irrationnelle des
marchés ». Mais l’augmentation des taux d’intérêt de la Fed n’est pas
moins dangereuse. Elle risquerait de provoquer un brutal afflux de capitaux des
pays dits « émergents » (qu’il vaudrait mieux appelés dominés) vers
les USA, la dévaluation des monnaies de ces pays – déjà largement engagée de la
Turquie à la Russie, du Brésil à l’Iran –, la tentative désespérée des
gouvernements de ces pays de lutter contre au prix de l’épuisement de leurs
réserves en dollars, etc. Elle risque aussi de provoquer un krach obligataire
(les anciennes obligations contractées à des taux inférieurs perdant de leur
valeur).
Et
voilà pourquoi Yellen et les autres membres du directoire de la Fed font du
surplace en disant : «Marchons, marchons !», reportant de mois en
mois toute augmentation des taux. Les contradictions qui sont les leurs ne sont
pas simplement des contradictions qui traversent leurs cerveaux. Ce sont en
définitive les insurmontables contradictions du système capitaliste lui‑même.
France :
le marasme économique persiste et s’aggrave
Après
les 0,7% de croissance du premier trimestre dont s’enorgueillissait le
gouvernement, le second trimestre a été marqué par un retour à la stagnation. C’est
d’autant plus significatif que le PIB est bien loin de rendre compte de la
réalité de la production capitaliste. Rappelons que le PIB inclut les gains
purement spéculatifs, par exemple les gains boursiers.
Les Echos du 11 septembre rendent sans doute mieux
compte de la réalité de l’économie capitaliste française en notant : « La production industrielle a
reculé de 0,8% au mois de juillet (‑ 1% pour la seule production manufacturière,
hors énergie), après un mois de juin déjà décevant (production industrielle
stable, production manufacturière en repli de 0,6%). Tous les secteurs de l’industrie,
de l’automobile à l’agroalimentaire, en passant par la machine‑outil, ont
vu leur production reculer. Seul le raffinage enregistre une hausse en juillet,
mais la production de ce secteur avait plongé au cours des mois précédents en
raison de mouvements de grève. Bref, il y a peu de matière à optimisme. »
La
conjoncture ne fait ici que renforcer une tendance historique sur laquelle CPS est souvent revenu, mais il faut
rappeler que depuis 2008, la production industrielle a baissé de plus de
16% ; elle ne compte que pour 11% du PIB, et l’industrie a perdu
446 000 emplois. Certes à l’exception de l’Allemagne qui en a gagné
129 000, le mouvement touche tous les pays capitalistes avancés (voir ci‑dessus
la situation aux USA), mouvement brutalement accéléré par la crise depuis 2008.
Mais il est plus ample en France où se surajoute à la tendance historique
générale des faiblesses propres au capitalisme français.
Le
même journal, Les Echos, attribue la
faiblesse du capitalisme français bien sûr au «coût du travail» trop élevé.
Demeure pourtant un problème : alors que le gouvernement s’enorgueillit
sans vergogne des 33 milliards d’euros de cadeaux patronaux au budget 2016, l’investissement
demeure désespérément atone. Les cadeaux du CICE, du pacte de responsabilité
sont utilisés non pour investir mais pour augmenter les «marges» (les profits)
des entreprises. Car pour investir, il faudrait avoir des perspectives d’élargissement
de la production. Ce qui n’est justement pas le cas.
Une
certitude : c’est le prolétariat encore et toujours qui paie la note. Le
gouvernement avait annoncé triomphalement en juillet que le chômage avait cessé
d’augmenter. Mais les données à fin août indiquent que le nombre de
chômeurs de catégorie A s’est accru de 20 000 pour atteindre un record
« historique » de 3,57 millions. Pour enrayer la progression des
statistiques, le gouvernement a trouvé une solution. Des centaines de personnes
ont été recrutées à Pôle Emploi pour faire la chasse aux « mauvais
chômeurs » et pour conduire des « études de dossiers » qui
peuvent entraîner une radiation immédiate.
Dans
cette situation, quand bien même le résultat d’une telle politique ne garantit
nullement le redressement du capitalisme français sur le marché mondial, la
bourgeoisie et son fidèle serviteur, le gouvernement Hollande‑Valls‑Macron‑Pinel
n’ont pas d’autre politique que celle d’œuvrer à l’augmentation du taux d’exploitation
de la force de travail.
Macron
au MEDEF : « Vous avez non seulement l’amour, mais les preuves d’amour »
« Les
preuves d’amour », c’est ce dont témoigne l’interview ‑ programme de Valls aux Echos du 24 août qui annonce, après le
CICE, après le pacte de responsabilité, la suite de l’offensive contre le
prolétariat :
« Notre
économie est enfin entravée par des réglementations excessives ou trop
complexes. (...). C’est le sens de la loi croissance, qui vient d’être
promulguée : ouverture des commerces le dimanche, ouverture des lignes d’autocar,
ouverture de l’accès aux professions de notaire, d’huissier…
Enfin, dans un pays qui connaît un chômage de
masse depuis plus de trente ans, agir pour l’emploi, c’est se poser la question
de la réforme du marché du travail. (...) nous devons repenser la façon d’élaborer
une réglementation du travail devenue trop complexe. D’ores et déjà, nous avons
permis aux entreprises d’ajuster, par accord collectif, salaires et temps de
travail quand elles traversent une période de difficultés, accéléré les
décisions des prud’hommes, réformé les procédures de licenciement collectif –
elles sont aujourd’hui trois fois moins contestées qu’en 2013. (...)
(La)
rentrée. Elle sera marquée par de grands chantiers de réformes, avec toujours
ces objectifs : croissance, emploi, baisse de la fiscalité. J’en donnerai
trois exemples.
D’abord,
le projet de loi de finances pour 2016. A travers le pacte de responsabilité et
de solidarité, l’ampleur du soutien aux entreprises ne sera pas remise en
cause. (...) L’impôt sur le revenu sera aussi modernisé grâce à la mise en
œuvre du prélèvement à la source, qui entrera en vigueur en 2018.
La
rentrée sera également marquée par un projet de loi sur le numérique qui
soutiendra les nouvelles formes de l’innovation, leurs nouveaux acteurs, leurs
nouveaux usages, tout en protégeant les consommateurs. Amplifier l’activité
économique, créer des opportunités, ce sera également l’objectif d’une seconde
loi croissance prévue en 2016.
Troisième
grand chantier : continuer de bâtir notre modèle de
« flexisécurité » à la française. Pour cela, il faut faire confiance
au dialogue social à tous les niveaux, et notamment dans l’entreprise. J’attends
ainsi beaucoup des propositions audacieuses que me remettra Jean‑Denis
Combrexelle. L’objectif, c’est de laisser plus de liberté aux entreprises et
aux salariés pour prendre les décisions les mieux adaptées pour eux. »
Tout
y est. Prenant appui sur les défaites sans combat sur les lois flexibilité
procédant de l’ANI (accord national interprofessionnel) et sur la loi Macron,
Valls annonce la suite.
La
suite, c’est le budget 2016. Valls renvoie dans les cordes le PS lui‑même
qui, à son bureau national, s’était vaguement prononcé pour une « réorientation
du pacte de responsabilité ». Cette prise de position ne constituait
en rien une rupture avec la politique du gouvernement. Mais c’était déjà trop !
Valls rappelle à qui l’aurait oublié que la Ve République n’est pas « le
régime des partis ». Les députés du PS sont invités à voter
servilement, à se coucher.
Dit
autrement, toute remise en cause réelle du gouvernement et de sa politique
consisterait précisément pour la majorité PS‑PCF à rejeter le carcan de
la Ve République, à se déclarer souveraine. Mais les députés PS‑PCF,
en dehors du surgissement des masses, n’y songent pas une seconde.
Toujours
est‑il qu’au moment où 33 milliards supplémentaires sont offerts au
patronat dans ce budget, 4 000 postes supplémentaires sont supprimés dans
les ministères «non prioritaires», les dotations aux collectivités
territoriales connaissent une véritable saignée avec les conséquences en termes
de suppressions de poste, de mobilité forcée pour les fonctionnaires
territoriaux, de liquidation des services sociaux et culturels à ce niveau, d’augmentation
des impôts locaux, etc.
La
suite, c’est le projet de loi sur le numérique. Il serait mieux nommé «projet
de loi pour la liquidation des garanties collectives des travailleurs». Car de
quoi s’agit‑il au nom de l’usage des nouveaux outils de travail ?
Voyons ce que dit Le Monde du 16
septembre du rapport Mettling – qui a pourtant donné lieu à un communiqué enthousiaste
de la direction de la CGT ‑ qui préfigure la rédaction de la loi : « Le
«forfait jours» est «la
réponse la plus adaptée aux salariés autonomes du numérique». Mais ce
dispositif (...) n’est pas sécurisé sur le plan juridique (...) la justice a
annulé des accords qui l’instituaient dans certaines branches notamment au
motif que les obligations sur les temps de repos n’étaient pas respectées.
(...) Les salariés du numérique soumis au forfait‑jour devraient pouvoir
déroger aux dispositions sur les repos (onze heures consécutives par jour et
trente‑cinq heures consécutives par semaine, au minimum). Ainsi ils
feraient face aux « coups de bourre » ponctuels sans que la
responsabilité de l’entreprise soit susceptible d’être mise en jeu ».
C’est une constante historique : dans le système capitaliste, toute
innovation technique est utilisée pour accentuer l’exploitation capitaliste,
dégrader les conditions d’existence du prolétariat.
La
suite enfin et surtout, c’est « la flexisécurité à la française » autrement
dit la mise en charpie du Code du travail.
Le
rapport Combrexelle et l’inversion de la hiérarchie des normes :
un saut qualitatif dans les attaques contre le prolétariat
Il n’est
pas exagéré de dire que le rapport Combrexelle ‑ qui n’est rien d’autre
que le rapport que le gouvernement s’est fait à lui‑même ‑
constitue un dynamitage total du Code du travail. Le précédent CPS (CPS
57 du 13 mai) en avait indiqué l’essentiel. Désormais c’est l’accord d’entreprise
qui ferait loi en matière de conditions de travail, de temps de travail, de
rémunération, de seuil de déclenchement des heures supplémentaires, etc. Le
Code du travail serait réduit à une portion congrue : maximum de 48 heures
– pour combien de temps ? (voir ci‑dessus le projet de loi sur le
numérique) – une journée de repos par semaine (idem). On saisit la totale
hypocrisie de la prétendue polémique entre Macron et Valls sur le maintien des
« 35 heures », dont il faut rappeler que, dès le départ, elles n’ont
jamais constitué une définition hebdomadaire du temps de travail, mais une
moyenne dans le cadre de l’annualisation. En tout état de cause, à partir de la
mise en œuvre du rapport Combrexelle, il n’y a en réalité plus aucune
définition légale du temps de travail.
Il
faut enfin préciser un aspect essentiel dudit rapport, à savoir la primauté de
l’accord d’entreprise sur le contrat de travail. Autrement dit, le travailleur
embauché sur la base d’un certain contrat peut se voir imposer de nouvelles conditions
de travail, de rémunération, de temps de travail, évidemment plus défavorables
au nom de l’accord d’entreprise. Il ne peut désormais rien objecter à cela, et
s’il refuse ces nouvelles conditions, il peut être licencié avec des indemnités
minimales puisque dit le rapport, l’» accord
d’entreprise » représente l’» intérêt
général ».
La
destruction du Code du travail, des garanties collectives via le dialogue
social :
les directions syndicales s’apprêtent à prendre en charge cette offensive
Remarquons‑le :
dans sa tribune aux Échos,Valls relie
étroitement la réalisation de son objectif politique sur l’inversion de la
hiérarchie des normes au « dialogue social à tous les niveaux ».
À l’échelle
de l’entreprise, ce sont les « accords majoritaires ». C’était déjà
le cas de l’ANI qui, retranscrit dans la loi, a donné la loi flexibilité qui
permet d’ores et déjà aux entreprises, sous prétexte de difficultés, de
négocier des « accords compétitivité ». C’est la loi sur le dialogue
social de 2007 qui a instauré cette règle – un accord est valide s’il est signé
par les représentants d’organisations syndicales qui ont obtenu 50% ou plus de
voix aux élections professionnelles ‑ et qui se révèle pour ce qu’elle
est : une machine de guerre contre les garanties collectives nationales
arrachées par le prolétariat. Or non seulement elle a été alors soutenue par
les dirigeants de la CGT en particulier (accessoirement par la FSU) mais ceux‑ci
continuent à en être des ferments supporters. « C’est un plus pour la
démocratie sociale » déclare Martinez à Libération le 15 septembre.
Au
niveau national, l’inversion de la hiérarchie des normes passe par la
conférence sociale du 19 octobre. Il est clair que, du point de vue des
intérêts ouvriers, les organisations syndicales doivent refuser de prêter la
main à cette offensive. Cela signifie affirmer dès maintenant : nous
refuserons de participer à la conférence sociale du 19 octobre.
Or
telle n’est pas du tout la position des dirigeants CGT et FO. Après avoir
laissé entendre qu’elle n’irait pas, la direction FO s’est ravisée. Quant à la
direction de la CGT, après avoir annoncé dès fin juin qu’elle irait (« Jusqu’à
présent nous sommes allés à toutes », disait le 29 juin Martinez aux Échos), elle fait mine d’hésiter.
L’interview
de Martinez à Libération est
éclairante quant à la volonté de celui-ci de masquer le contenu pourtant très
clair de l’offensive gouvernementale. Il commence par affirmer que « la
position du gouvernement est très ambiguë » : il est bien le seul
à la trouver telle ! S’agissant de l’allégement du Code du travail, il
déclare sans rire :
Question :
« Mais ne disiez‑vous pas,
récemment, être favorable à un allégement du Code du travail ? »
Réponse :
« Bien sûr. Il faut enlever toutes
les dérogations patronales. Attention, nous ne sommes pas contre la négociation
d’entreprise ou de branche. Nous y sommes même favorables lorsqu’elle permet d’améliorer
les conditions de travail. »
C’est
sûrement de cela qu’il s’agit. Qui peut croire une seconde que gouvernement et
patronat veulent alléger le Code du travail pour améliorer les conditions de
travail ?
Puis
quant à la présence à la conférence, il déclare : « Quant au prochain rendez‑vous, pour l’instant, on ne sait
pas exactement ce qui va s’y discuter. Si c’est pour casser le Code du travail,
on n’ira pas. Mais si c’est pour parler des salaires ou des 32 heures, on
ira en courant. »
Bigre !
Martinez ne sait pas de quoi on va discuter à la prochaine conférence sociale ?
Il est bien le seul ! Quant à « discuter des salaires », en
effet la conférence sociale va en discuter puisque dans le cadre de l’inversion
de la hiérarchie des normes, l’accord d’entreprise pourra diminuer les salaires
ou encore fixer au‑delà de 35 heures le seuil de déclenchement des heures
supplémentaires !
Soyons
clairs ! Si Martinez jette un brouillard épais sur les enjeux réels de la
conférence du 19 octobre, c’est pour justifier la présence de la direction de
la CGT. Faire croire que cette conférence pourrait discuter d’une
« amélioration » du Code du travail ou d’une augmentation des salaires
est un stratagème grossier pour justifier cette participation.
À
quoi sert le dialogue social ? Michelin, Smart, Air France
Il
est vrai que pas un jour ne se passe sans une déclaration des dirigeants
syndicaux se réclamant du dialogue social ou ce qui est la même chose de la
« démocratie dans l’entreprise » pour une meilleure « efficacité
économique ». C’est là un terrain sur lequel ils peuvent sans difficulté
converger avec les intérêts patronaux.
C’est
ce dont se vante sans vergogne la direction de l’entreprise Michelin. Sénard,
son patron, déclare au Monde (29
juillet) : « Désormais, nous souhaitons être partout le plus
compétitif et le plus agile afin de faire face aux soudains à‑coups de
marchés. Cela passe partout par le dialogue social. Le meilleur exemple
est la négociation menée récemment au sein de notre usine de Roanne. Ce site
avait un avenir incertain. Après discussion, nous avons réorganisé la
production afin d’élargir de 220 à 365 jours la plage d’ouverture du site. C’est
en passant par ce type d’accord que l’on va réussir à résister... ». Et ce n’est pas fini. Michelin
annonce un plan de réduction d’effectifs, en particulier dans le personnel
administratif et de gestion sur le site de Clermont‑Ferrand. Mais avec un
« dialogue social de qualité »
que ne peut‑on espérer...
Certes
de temps en temps, il faut un peu « aider » à débloquer le dialogue
social. Ainsi dans l’usine Smart en Moselle, usine qui de l’aveu propre des
patrons n’est pas en difficulté mais que les patrons eux‑mêmes ont décidé
de mettre en concurrence avec l’usine Smart de Slovénie, les syndicats CGT,
CFDT, CFTC s’opposent au passage de 35 à 39 heures (les 4 heures
supplémentaires étant payées... 7 euros de l’heure !). Dès lors, pour
passer par-dessus cette opposition, la direction organise un
« referendum » ‑ avec du reste l’accord des directions
syndicales elles‑mêmes ! ‑, le résultat du referendum visant à
faire pression sur les syndicats, voire justifier leurs futures capitulations.
Il
faut noter que là comme ailleurs le referendum est le contraire de la
démocratie la plus élémentaire. Votent aussi bien ouvriers que cadres (dont
beaucoup travaillant au forfait annuel ne sont pas impliqués). Le résultat n’en
est pas moins significatif. Si, avec les cadres, la direction obtient la
« majorité », 61% des ouvriers se sont prononcés contre la
proposition patronale malgré le chantage à la délocalisation, donc au
licenciement. Ce chiffre est significatif de la volonté de résistance de la
classe ouvrière et de sa disponibilité au combat pour peu que lui soient faites
de vraies propositions d’action sur ses véritables revendications.
Mais quant à la véritable nature du « dialogue
social », c’est encore ce qui se passe à Air France qui est le plus
éclairant. En septembre 2014, une grève dure avait opposé pilotes de ligne et
direction. La direction du syndicat des pilotes (le SNPL) avait fini par
capituler, la responsabilité des syndicats des autres catégories de personnel
qui avaient contribué à l’isolement des pilotes étant aussi clairement engagée.
Non seulement le SNPL avait appelé à la reprise du travail, mais mieux même,
avait signé l’accord qui entérinait la création d’une compagnie low cost avec
pour les pilotes des conditions de travail brutalement dégradées. Aujourd’hui,
la direction pousse son avantage. Elle a traîné le SNPL en justice pour ne pas
avoir respecté les engagements pris au nom des pilotes en termes de gains de
productivité. Elle exige désormais, un plan succédant à un autre, que les
syndicats signent le suivant (Perform 2020) qui prévoit une nouvelle extension
de la compagnie low cost
tout en réduisant ses coûts de 1,1 milliard d’euros. Elle menace de supprimer
par licenciement pur et simple 3000 postes qui s’ajouteraient aux 5 200 postes
supprimés depuis 2010. Derrière le « dialogue », il y a toujours la
matraque.
Fonction
Publique : l’accord dit PPCR
La
liquidation du Code du travail pour les travailleurs du privé a pour pendant la
remise en cause la plus brutale du statut de la Fonction publique. Le banquier
Macron, dont la fonction politique est d’annoncer à grand fracas les objectifs
que le gouvernement dans son ensemble poursuit plus discrètement, a déclaré qu’»
il fallait en finir avec l’emploi à vie ». Il se trouve que ces
déclarations viennent ponctuer des mois de « négociations » entre
gouvernement et dirigeants syndicaux portant précisément sur l’évolution du
statut de la Fonction publique. On lira dans ce CPS le « supplément Fonction publique » qui éclaire les
enjeux et les met en relations avec les milliers de postes à supprimer dans la
Fonction publique territoriale, les hôpitaux, les ministères. On lira aussi
(présentation et texte d’orientation du courant « Front Unique ») dans
quelles conditions la direction de la FSU a frauduleusement imposé la signature
de la fédération, suscitant en son sein une vague de protestations, voire d’indignation
dans les sections départementales et les syndicats. Pourtant le succès de l’opération
gouvernementale est tout sauf assurée. La fédération de fonctionnaires FO n’a
pu signer ; et la CGT, malgré la campagne de ses dirigeants pour la
signature, risque fort de ne pouvoir signer non plus. A l’échelle de leurs
moyens, les militants révolutionnaires ont mené et mènent le combat contre
cette signature, comme ils continuent à exiger que la direction de la FSU
retire la sienne.
Si de
même que FO, la CGT et Solidaires ne signent pas, l’accord PPCR sera jeté aux
orties. Cela constituerait un coup d’arrêt à l’offensive gouvernementale et un
point d’appui au combat pour le boycott de la conférence sociale du 19 octobre
* (voir note en fin d’article, page 9). Cela révèle surtout une réalité :
la contradiction entre la nature ouvrière des organisations syndicales et le
caractère bourgeois de leur direction n’a pas disparu malgré l’affaiblissement
des organisations syndicales. Les syndicats demeurent un enjeu de première
importance de la lutte des classes.
Les
potentialités de combat du prolétariat demeurent
mais celui‑ci reste paralysé par les directions syndicales et son propre
désarroi
Ce
que réfractent les résistances dans les syndicats à la politique des directions
syndicales, comme les 61% des ouvriers qui ont voté Non au référendum patronal
à Smart, ce sont les potentialités du prolétariat qui demeurent. Mais elles
sont paralysées.
Elles
sont paralysées par la politique des directions. La politique du dialogue
social a pour pendant les éternelles journées d’action comme celle du 8 octobre
à l’appel de CGT‑FSU‑Solidaires. L’appel au 8 octobre constitue un
record du genre : le gouvernement n’y existe pas, le rapport Combrexelle n’y
existe pas, le budget 2016 n’y existe pas. A la place, les généralités
habituelles sur « les salaires, l’emploi, la protection sociale ».
A vrai dire, la fonction du 8 octobre est balisée. Elle constitue le préambule
de la conférence sociale du 19.
Elles
sont paralysées par l’absence de perspective politique qui supposerait que les
travailleurs puissent se saisir de l’existence de la majorité PS‑PCF au
Parlement. Or les députés PS et PCF ne bougent pas une oreille, frondeurs compris.
Il n’est qu’à voir le soutien unanime de cette majorité – le PCF compris, qui a
simplement regretté que les bombes n’aient pas la bénédiction de l’ONU ! ‑
à l’intervention en Syrie.
Dans
ces conditions, c’est la petite bourgeoisie qui occupe le devant de la scène. L’été
a été ponctué de la révolte des éleveurs de porc. Précisons qu’en l’occurrence
il s’agit d’une petite bourgeoisie paupérisée, réduite à la misère par les
banquiers, les patrons de l’abattage, les grandes surfaces. La revendication de
prix garantis pourrait parfaitement être soutenue par le prolétariat
accompagnée du combat pour le contrôle ouvrier sur les prix mettant en évidence
les profits des capitalistes de l’abattage et de la distribution. Mais dans une
situation où les directions ouvrières ont la politique qu’elles ont, les
éleveurs se trouvent inévitablement placés sous la coupe de la grande
bourgeoisie, des dirigeants de la FNSEA qui en sont partie intégrante. Ce sont
eux qui ont encadré la montée sur Paris et obtenu du gouvernement... la
satisfaction de leurs propres revendications. Il en va ainsi des fonds pour l’extension
des exploitations, c’est‑à‑dire des fonds... pour la concentration
des exploitations, ce qui signifie que seront chassés de leur terre des
milliers d’exploitants !
Cette
paralysie du prolétariat n’est sans doute pas éternelle. Mais à ce stade, elle
pèse lourdement. Et elle ne pèse pas seulement en France. Elle constitue par
exemple un élément déterminant de la situation en Grèce au lendemain des
élections.
Premières
leçons des élections grecques
Si l’on
en croit les commentaires de la bourgeoisie, Syriza (épuré de ses opposants) a
gagné les élections. Les résultats de ces dernières manifestent des variations
assez insignifiantes par rapport à celles de janvier. Une nouvelle mouture du
gouvernement Tsipras‑Kammenos (dirigeant du
parti bourgeois des Grecs indépendants) est reconduite.
Mais
les commentaires ne sont pas les mêmes. A l’inquiétude de janvier a succédé la
« sérénité » à Berlin, à Paris, à Bruxelles. Tsipras s’est engagé à
faire avaler aux masses grecques le mémorandum du 13 juillet dernier. Quant à
ceux qui s’opposaient au mémorandum et qui avaient constitué l’Unité populaire,
ils ont été laminés, ne recueillant que 150 000 voix.
La
réalité des chiffres est en fait plus complexe. Il y a 693 000
abstentionnistes de plus qu’en janvier. Sur ces abstentionnistes, près de la
moitié avait voté Syriza en janvier, qui recule donc de plus de 300 000
voix. Ce n’est donc pas exactement un triomphe.
Mais
les partis bourgeois reculent plus encore. La baisse des voix cumulée de la
Nouvelle Démocratie, de Potami, d’Aube Dorée – qui recule aussi ! ‑,
des Grecs indépendants frise les 450 000 voix. C’est l’expression du fait
que si le prolétariat grec est désemparé, la bourgeoisie grecque elle‑même
est en crise, crise qui atteint sa représentation politique, en premier lieu la
Nouvelle Démocratie.
Quant
aux partis ouvriers traditionnels (KKE, et PASOK), ils demeurent électoralement
très faibles. La progression du PASOK est insignifiante. Il continue à payer sa
prise en charge ininterrompue pendant une décennie des mémorandums. Quant au
KKE, sa politique de division hystérique provoque une répulsion justifiée chez
les travailleurs et les jeunes.
En
clair, la haine des partis bourgeois a poussé une partie non négligeable des
travailleurs et des jeunes de Grèce à voter Syriza, à un degré bien moindre
PASOK ou KKE, une autre partie s’abstenant.
Il n’en
reste pas moins que les masses grecques ont élu une majorité de députés
KKE ‑ Syriza ‑ PASOK (respectivement 15, 145 et
17 députés). Au gouvernement d’alliance avec le parti ultra‑réactionnaire
des Grecs indépendants, il faut continuer d’opposer celui d’un gouvernement
KKE ‑ Syriza ‑ PASOK, sans représentant des
partie et organisation bourgeoise…
Cette
bataille ne se mène pourtant pas dans des conditions similaires à celles qui
prévalaient à l’issue des élections de janvier. La trahison de Tsipras après
celle des dirigeants du PASOK, l’adoption du mémorandum quelques jours après le
vote Non populaire massif au référendum, qui était précisément un Non au
mémorandum, a laissé le prolétariat dans une désorientation profonde. Cette désorientation
s’est traduite sur le plan de la lutte des classes directe. A vrai dire il n’y
a eu aucun mouvement un tant soit peu significatif contre le mémorandum du 13
juillet.
Pour
le prolétariat grec, la question centrale : celle du Parti ouvrier révolutionnaire...
Mais
que penser d’Unité populaire, constitué à partir des 25 députés de Syriza qui n’avaient
pas voté pour le referendum ? Certes, se pose la question de la faiblesse
de son score. S’élevant à un peu plus de 2,8% des votants, il ne permet pas à
cette formation d’avoir des députés. Nombre de travailleurs y compris parmi les
plus avancés sont sans aucun doute restés sceptiques quant aux dirigeants de
cette formation dont il faut rappeler qu’ils ont, pendant des mois, cohabité au
gouvernement avec le parti ultra‑réactionnaire des Grecs indépendants, et
qu’ils ont voté en juillet, pour la plupart, le « mandat » donné à Tsipras
pour négocier avec la troïka ; le mandat de la trahison…
Mais
la question essentielle n’est pas celle de son score. Si les 155 000 voix
qui se sont portées sur Unité populaire s’étaient portées sur un programme
clairement révolutionnaire, il aurait fallu considérer que du point de vue du
prolétariat grec un pas considérable aurait été franchi. Mais ce ne fut
nullement le cas. Là où la classe ouvrière grecque a un besoin urgent de
clarté, le programme d’Unité populaire demeure dans le clair obscur et la confusion.
Ainsi,
au lieu de formuler l’exigence de l’» annulation pure et simple de la
dette », ce programme propose l’annulation de « la majorité de la
dette ». Ce n’est pas un détail. C’est précisément par là qu’est passée la
trahison de Tsipras. Car si l’on parle de la « majorité de la
dette », la discussion est ouverte sur : quelle partie ? Avec
les créanciers, Tsipras a montré comment on passait de « la majorité »
à « une partie » puis au remboursement total.
Du
reste, s’agissant des rapports avec l’UE, le programme d’Unité populaire les
soumet à referendum : « La
question de la sortie de la Grèce de l’Union européenne peut être inscrite de
fait et à tout moment à l’ordre du jour. Dans ce cas, nous appellerons le
peuple à persister dans la mise en œuvre du programme progressiste qu’il a
choisi, en se prononçant, par référendum, en faveur du maintien ou de la sortie
de la Grèce de l’UE, comme cela s’est d’ailleurs déjà fait et se fait encore
dans d’autres pays européens. » Est‑ce à dire que ce programme
pourrait être compatible avec l’appartenance à l’UE ?
De
même ce programme évoque‑t‑il la « nationalisation des
banques », mais ajoute « sous contrôle social », ce qui laisse
de côté la question décisive : sous le contrôle de quelle classe sociale
doit se faire ce contrôle ? D’ailleurs, Unité populaire se prononce
pour un « Front Populaire et patriotique », c’est‑à‑dire
pour une autre forme d’alliance avec des partis bourgeois.
Enfin,
le regroupement politique constitué prend le nom d’» Union » et non
de « Parti », ce qui n’est nullement une question de pure sémantique.
Cette « union » se présente elle‑même comme ouverte aux
« citoyens » de tous horizons, autrement dit de toute classe.
À l’inverse
de cette démarche, la leçon de dix années de lutte des classes en Grèce tient
en ceci. Les trahisons successives du PASOK et de Syriza indiquent que le prolétariat
grec a besoin d’un Parti ouvrier révolutionnaire, un parti qui ne louvoie pas,
qui tire clairement les leçons de ces trahisons, qui combat clairement pour un
gouvernement ouvrier, et qui indique non moins clairement ce que seraient ses
tâches. Sans prétendre formuler avec la précision que pourraient apporter des
militants vivant en Grèce ce que serait le programme d’un tel parti, notre
Groupe, en publiant en juillet un quatre-pages spécialement consacré à la
Grèce, a indiqué et soumis à la discussion quelles pourraient être les grandes
lignes d’un tel programme.
La
question du Parti ouvrier révolutionnaire, question décisive dans tous les
pays,
question décisive en France
Mais
si cette question du Parti ouvrier révolutionnaire est particulièrement aiguë
en Grèce eu égard à l’acuité de la crise, c’est à vrai dire partout la question
décisive. Mais il faut préciser une chose. Le parti révolutionnaire ne peut
surgir du néant, en dehors du mouvement ouvrier tel qu’il existe. Il trouvera
ses matériaux parmi les militants qui cherchent d’abord à se saisir des
organisations existantes, partis et syndicats, qui font leurs armes dans le
combat contre les directions traîtres de ces organisations, qui progressivement
et laborieusement généralisent les leçons de ce combat.
À cet
égard, le résultat des élections qui viennent de placer Corbyn
à la tête du Labour Party en Angleterre constitue une leçon. Le paradoxe est
que le dispositif qui visait à avancer dans la destruction du Labour comme
parti ouvrier, le recours à des « primaires ouvertes » pour désigner
le leader du parti, s’est retourné en son contraire. Des milliers de jeunes,
ceux‑là même qui s’étaient mobilisés contre la monstrueuse augmentation
des frais d’inscription à l’université il y a quelques années, ceux qui
subissent les « contrats zéro heure » ont rejoint les travailleurs et
les militants syndicaux pour aller voter Corbyn
contre les candidats peu ou prou « blairistes »,
c’est‑à‑dire visant à faire du Labour un instrument zélé du capital
contre le prolétariat britannique. Par ce vote, ils ont manifesté la volonté de
se saisir du Labour contre le gouvernement Cameron, au moment où celui‑ci,
fort de la majorité dont il dispose aux Communes, entend accentuer sa politique
violemment anti‑ouvrière. Cette dernière vient
de prendre la forme d’une attaque contre le droit de grève surpassant de loin
celle de Thatcher elle‑même. Les hurlements de dépit de la bourgeoisie
anglaise devant la victoire de celui qui refuse de chanter « God Save the queen »
et a combattu contre l’intervention britannique en Irak ont quelque chose de
profondément réjouissant, même si aucune illusion ne doit être entretenue :
contrairement à la réputation qu’on tente de lui faire, Corbyn
n’est ni « trotskyste », ni révolutionnaire.
Rien
de tel ne se passe aujourd’hui en France ni dans le PS ni dans le PCF qui s’apprêtent
aux élections régionales à subir une nouvelle déroute. Mais nous avons indiqué
plus haut à propos notamment de l’accord dit « PPCR » dans la
Fonction publique comment dans les syndicats, les militants s’étaient dressés
contre l’appareil qui voulait attacher le syndicat au char gouvernemental. Ce
mouvement demeure à cette étape limité, mais c’est dans ce mouvement que les
militants du Groupe pour la construction du Parti ouvrier révolutionnaire s’inscrivent
à la mesure de leur force, comme en témoigne les multiples interventions
militantes relatées dans ce numéro de CPS.
Il doit se prolonger dans les jours qui viennent dans le combat sur le mot d’ordre :
dirigeants CGT, FO boycottez la « conférence sociale » du 19 octobre !
Car
aujourd’hui, tout combat conséquent pour la construction du Parti ouvrier
révolutionnaire commence par le combat pour la rupture des organisations issues
du mouvement ouvrier avec la bourgeoisie et le gouvernement à ses ordres.
Si
elle était opérée, une telle rupture poserait immédiatement pour les masses la
question d’en finir avec le gouvernement Hollande‑Valls‑Macron‑Pinel,
utilisant à cette fin l’existence d’une majorité de députés PS‑PCF,
matérialisation de la défaite des partis bourgeois aux élections de 2012. Elle
mettrait à l’ordre du jour la constitution du gouvernement du front unique des
organisations du mouvement ouvrier dont les masses exigeraient la satisfaction
de leurs revendications.
Mais
le mot d’ordre de « gouvernement du front unique » n’est lui‑même
qu’un mot d’ordre transitoire. Nous n’entretenons aucune illusion sur la nature
des vieux partis (PS, PCF), quand bien même à un moment donné les masses leur
imposeraient la rupture avec les représentants directs de la bourgeoisie. Voilà
pourquoi, le but ne peut être que la constitution d’un véritable gouvernement ouvrier
prenant les mesures d’expropriation du capital, de démantèlement de l’État
bourgeois, mesures sans lesquelles aucun pas vers l’émancipation des travailleurs
n’est possible.
Au
moment où la barbarie étend chaque jour davantage son emprise hideuse, la
formule de Lénine qui figure en tête de notre bulletin n’a jamais été autant d’actualité :
« On ne peut aller de l’avant si on craint d’aller au socialisme. »
Le 23 septembre 2015
* Dernière minute :
« Accord » PPCR : Finalement,
alors que les organisations syndicales représentant plus de 50% des
fonctionnaires ont rejeté l’accord PPCR, Valls a décidé de faire un coup de
force et de l’imposer malgré tout. C’est dire l’importance que revêt pour le
gouvernement cet accord de destruction du statut des fonctionnaires. C’est dire
aussi le degré de trahison que représente notamment la signature de la
direction de la FSU, elle‑même résultant d’un coup de force dans la fédération.
«