Grèce :
Après
les élections du 25 janvier
Les
élections législatives grecques du 25 janvier dernier, débouchant sur l’élection
d’une majorité relative de députés pour Syriza, ont constitué un développement
politique dont la portée s’étend bien au-delà des frontières grecques.
Dans
toute l’Europe, tout travailleur conscient a à l’esprit le sort épouvantable
que les tenants du mode de production capitaliste infligent aux masses
grecques depuis six ans : il y voit l’annonce du sort qui lui est
réservé par le gouvernement et la bourgeoisie de son propre pays, à mesure que
les développements de la crise y exercent leurs ravages. Aussi l’émergence de
Syriza, « nouveau » parti de « gauche », présenté comme un
adversaire implacable de l’« austérité », n’a pu manquer d’attirer
son attention.
Du côté
des principales bourgeoisies d’Europe et des gouvernements à leur service,
depuis six ans, la Grèce constitue un véritable laboratoire des politiques
anti-ouvrières rendues indispensables – de leur point de vue de classe – par la
résurgence de la crise du capitalisme. Quelle que soit la contre-réforme qu’un
de ces gouvernements tente de mettre en œuvre contre les acquis ouvriers, on
peut être certain qu’elle a d’ores et déjà été mise en œuvre en Grèce.
C’est
pourquoi la défaite électorale du principal parti bourgeois grec, la Nouvelle
Démocratie, et l’élection d’une majorité relative de députés issus de Syriza a
retenti aux oreilles des capitalistes comme un signal d’alarme : il s’agit
pour eux de faire un « exemple » en mettant rapidement les dirigeants
de ce parti à plat ventre – chose que, nous le verrons, ces dirigeants s’empressent
de faire avec une célérité remarquable.
Il est
pourtant incontestable que l’émergence de Syriza ouvre une nouvelle page dans l’histoire
du combat acharné que se livrent les deux classes fondamentales de la société
capitaliste en Grèce : alors que l’effondrement historique du principal
parti d’origine ouvrière, le PASOK, aurait pu conduire les travailleurs grecs à
l’impasse, ces derniers ont au contraire trouvé un recours électoral pour
exprimer la persistance de leur volonté de combat contre les coups qui leur
sont portés. Pour quiconque cherche une issue au déferlement implacable des
contre-réformes anti-ouvrières, l’analyse attentive de ce qui est en train de
se passer en Grèce est une nécessité politique immédiate.
La prétendue « crise
grecque » : une manifestation de la crise générale du mode de
production capitaliste
Si les
Merkel, Hollande, FMI, BCE et consorts accordent tant d’importance aux
développements politiques dans ce petit pays de 11 millions d’habitants, dont
le PIB représente 2,3% du PIB des pays de la zone euro, c’est précisément qu’il
n’existe pas de « crise grecque ». Les causes invoquées de la crise, en
Grèce – des montagnes de créances pourries accumulées par le capital financier,
une dette publique exorbitante - sont caractéristiques de toutes les puissances
impérialistes.
Le
fléau qui accable les masses grecques depuis six ans tient à deux
racines : d’une part, du point de vue de son développement industriel, la
Grèce est un nain économique dans la zone euro, ce qui rend son endettement d’autant
plus insupportable ; d’autre part, ce pays a été massivement investi par
les banques françaises et allemandes en particulier.
Le
passage de la Grèce à l’euro, en 2001, s’était effectué au prix d’un camouflage
massif de la dette publique grecque par la banque centrale grecque et son
président d’alors, Loukas Papademos.
En 2010, le Premier ministre grec, Papandréou, dont les liens personnels avec
le capital financier ont fait l’objet de scandales à répétition, décidait de « révéler »
la réalité de la dette publique grecque. Fin 2011, Papandréou remettra à Papademos les rênes du pouvoir pour mener à bien la politique
dite d’« austérité »… Quant aux puissances dirigeantes de l’Union
européenne, c’est la crainte d’une réaction en chaîne gigantesque, heurtant de
plein fouet les banques françaises et allemandes, qui les a conduites à exiger
que la Grèce subisse une thérapie de choc anti-ouvrière.
Depuis
2010, les plans dits de « sauvetage » de la Grèce, financés par le
FMI, la BCE et les ténors de l’Union européenne ont été en réalité des plans de
sauvetage des banques, qui ont perçu au nom du règlement de la « dette »
grecque des injections massives de capitaux, puis se sont défaussées de leurs
créances pourries sur le compte des Etats ou d’autres
spéculateurs.
Depuis
2010, l’Etat grec a dû procéder à des dizaines de
milliards de coupes budgétaires, sabrant et laminant tous les services publics
et les acquis ouvriers ; son PIB a chuté de plus de 25%; la Constitution a
dû être amendée pour faire du règlement de la « dette » la priorité
de l’Etat ; trois « memorandums »,
consignant la longue liste des contre-réformes anti-ouvrières exigées par la « Troïka »,
ont été votés ; malgré les coups portés aux masses grecques, le poids de la « dette »
n’a cessé de s’accroître, passant de 299,6 milliards d’euros et 129,7% du PIB
en 2009 à 318,7 milliards d’euros et 171% du PIB en 2013 !
En
somme, au sein même de la vieille Europe, un pays capitaliste « avancé »
subit depuis 6 ans le sort réservé jusqu’alors aux pays dominés par l’impérialisme :
et si le caractère insoutenable de la « dette » grecque ne fait
mystère pour personne, s’il est certain que tôt ou tard la Grèce est destinée à
basculer dans l’abîme, Paris, Berlin, Londres s’affairent encore littéralement
à hypothéquer tout le pays pour quelques euros de plus, pour maintenir à flot
leurs propres capitalismes encore quelque temps.
Il
serait pourtant erroné de clamer que les masses grecques seraient laminées par
le seul fait de « diktats » imposés de l’extérieur : si l’on
considère que l’un des « fleurons » de la bourgeoisie grecque est
constitué par ses armateurs, qu’une partie importante de ses exportations est
constituée de produits agricoles, que son industrie représente moins d’un
cinquième du PNB tandis que le tourisme représente à peine moins, on comprend
que l’économie grecque est une économie dépendante : c’est pourquoi la
fraction dominante de la bourgeoisie grecque a lié son sort, vaille que vaille,
à celui de l’Union européenne.
Pourtant,
que le prolétariat grec parvienne à donner un coup d’arrêt au cycle infernal
des contre-réformes, qu’il impose le non-paiement de la « dette », et
ce rapport de domination pourrait aussitôt révéler sa face cachée : ainsi,
si l’exposition officielle des banques françaises aurait été réduite au minimum
depuis 2010, l’engagement de l’Etat français dans les
plans de « sauvetage « représenterait plus de 40 milliards, soit
autant que les coupes prévues dans le cadre du « pacte de
stabilité ». Qu’en Europe, le maillon grec cède, et c’est tout le château
de cartes des capitalismes d’Europe, avec l’endettement abyssal de ses Etats et les montagnes de créances pourries accumulées par
ses banques, à hauteur de centaines de milliards, qui pourrait être ébranlé.
Les masses grecques :
immolées sur l’autel du capitalisme en crise
Dans le
même temps où elles volaient au secours de leurs banques en faillite, les
ténors de l’Union européenne ont récité en boucle cette litanie : « Les
Grecs ont vécu au-dessus de leurs moyens ». « Les Grecs » dont
il est question ne sont ni les armateurs, ni le clergé orthodoxe – tous deux
exemptés d’impôts. Ce sont les masses grecques, les travailleurs qui ont
arraché leurs acquis dans le prolongement du combat pour en finir avec la
dictature des colonels, ce sont les jeunes coupables de revendiquer le droit
aux études et à une vie décente. Voilà la nécessité première pour le mode de
production capitaliste en crise : pour maintenir ce qui peut l’être des
taux de profit, il faut réduire autant que possible la valeur de la force de
travail, quitte à condamner une fraction croissante du prolétariat à la misère
et à la déchéance.
Depuis
2010, les coups portés aux masses grecques ont été d’une violence inouïe. Les
salaires de tous les travailleurs ont été massivement amputés, de 40% en
moyenne ; le salaire minimum a chuté de 750 à 450 euros ; les
pensions de retraite ont été laminées. Plus de 60% de la population se trouve
au bord du « seuil de pauvreté »… défini à partir du revenu médian
qui n’a lui-même cessé de dégringoler. Des impôts et taxes nouveaux n’ont cessé
de s’accumuler. Encore faut-il savoir que des centaines de milliers de
travailleurs travaillent désormais « bénévolement » en échange du
gîte et du couvert, tandis que d’autres sont victimes de retards de paiement
chroniques.
Les
licenciements massifs, jusqu’au licenciement de dizaines de milliers de
fonctionnaires, ont abouti au taux de chômage le plus élevé d’Europe : si
les estimations d’Eurostat, à plus d’un quart de la population active, sont de
toute manière largement sous-évaluées, c’est plus d’un jeune sur deux qui ne
travaillerait pas, voire aurait renoncé à chercher un travail.
Depuis
2012, le droit du travail a été littéralement vidé de sa substance, instaurant
la primauté des accords d’entreprise sur les accords de branche et les clauses
les plus défavorables aux travailleurs. Dans des secteurs-clés tel celui du
métro d’Athènes, les conventions collectives ont été dénoncées. Les
négociations salariales de branche ont été supprimées et les syndicats évincés.
Les
principales entreprises publiques ont été privatisées, d’autres purement et
simplement liquidées, à l’image de la télévision publique ERT, dont les
employés ont été licenciés. 91 portions du territoire grec, notamment des îles,
ont été vendues. 85 000 boutiques ont fermé à Athènes.
Pour
des centaines de milliers de grecs, le droit à la santé, à une protection
sociale, aux études, l’accès à l’électricité n’existent plus. Les hôpitaux
publics, les écoles et universités publiques ont été laminés. Pour beaucoup, la
privation de soins est devenue la règle. 85% de la population n’a plus les
moyens de se chauffer l’hiver.
Les
libertés démocratiques élémentaires, comme le droit de grève ou de
manifestation, ont été corsetées par des dispositifs de réquisition ou d’interdiction.
L’appareil policier a été renforcé, armé, formé avec diligence par Berlin pour
infliger la répression la plus féroce.
Le taux
de suicide a explosé, de même que le taux de mortalité infantile.
Tel est
le terrible bilan des trois « memorandums »
adoptés entre 2010 et 2012.
À trois reprises depuis
2009 :
les masses grecques ont dégagé une majorité pour les partis d’origine ouvrière
Le
prolétariat n’a pas subi tous ces coups sans engager en réponse de puissants
combats. Ce faisant, les travailleurs et la jeunesse grecs ont cherché à se
saisir de toutes leurs organisations : syndicats et partis.
On ne
peut comprendre l’émergence de Syriza – sauf à la présenter comme une sorte de « divine
surprise » - si l’on ne prend pas en compte le fait qu’à trois reprises,
depuis les prémices de la crise, les travailleurs et la jeunesse grecs ont
dégagé une majorité électorale pour les partis et organisations issus du
mouvement ouvrier.
Élections législatives en
Grèce depuis 2009 |
||||
|
2009 |
Mai 2012 |
Juin 2012 |
2015 |
Inscrits |
9 930 717 |
9 949 401 |
9 947 876 |
9 911 495 |
Votants |
7 042 512 |
6 476 745 |
6 216 498 |
6 330 786 |
Exprimés |
6 856 067 |
6 324 096 |
6 155 464 |
6 181 274 |
Abstentions |
3 074 650 |
3 624 904 |
3 791 536 |
3 729 726 |
Vote pour les partis d’origine
ouvrière |
||||
PASOK |
3 012 373 |
833 452 |
756 024 |
289 482 |
KKE |
517 154 |
536 105 |
277 227 |
338 138 |
Syriza |
315 627 |
1 061 928 |
1 655 022 |
2 246 064 |
DIMAR |
- |
386 394 |
384 986 |
30 074 |
KIDISO |
- |
- |
- |
152 230 |
Autres listes* |
NC |
91 426 |
28 008 |
52 135 |
Total en voix |
3 845 154 |
2 909 305 |
3 101 267 |
3 108 123 |
Total % |
56,08% |
46% |
50,38% |
50,28% |
Vote pour les partis
bourgeois |
||||
ND |
2 295 967 |
1 353 646 |
1 825 497 |
1 718 815 |
LAOS |
386 152 |
182 925 |
97 099 |
63 692 |
Aube Dorée |
- |
440 966 |
426 025 |
388 447 |
Grecs Indépdts |
- |
671 324 |
462 406 |
293 371 |
Ecologistes |
173 449 |
185 485 |
54 408 |
Allié Syriza |
Alliance libérale |
- |
250 023 |
98 140 |
- |
La Rivière |
- |
- |
- |
373 868 |
Divers |
- |
330 769 |
90 237 |
234 958 |
Total en voix |
2 855 568 |
3 415 138 |
3 053 812 |
3 073 151 |
Total % |
41,65% |
54% |
49,61% |
49,71% |
* Autres
listes d’origine ouvrière : coalition Antarsya,
maoïstes, organisations pseudo-trotskistes (OKDE, EEK)
En
2009, en juin 2012, puis en janvier 2015, l’expression électorale d’une
majorité des seuls partis et organisations issus du mouvement ouvrier a posé la
question d’un gouvernement des organisations ouvrières unies, appuyé sur les
puissantes organisations syndicales grecques – GSEE pour le secteur privé et Adedy pour le secteur public. Reflétant l’intense lutte de
classe du prolétariat grec, ces élections ont aussi nourri le développement d’importantes
mobilisations et de mouvements de grève.
À l’issue
de chaque élection, les dirigeants des partis et organisations d’origine
ouvrière se sont entendus… pour ne surtout pas s’entendre : ils ont pavé
la voie à la constitution de gouvernements anti-ouvriers mettant en œuvre les
contre-réformes les plus criminelles.
Décomposition du PASOK
Depuis
1974 et jusqu’en 2012, le mouvement ouvrier grec a été dominé par un parti de
type social-démocrate, parti ouvrier bourgeois : le PASOK. Certes pourri
dès l’origine, fondé par les tenants d’une des grandes familles bourgeoises du
pays – les Papandréou – ce parti n’en a pas moins émergé à la suite des
puissants combats du prolétariat grec et de la jeunesse pour mettre à bas la
dictature des colonels. Alors que le parti socialiste grec originel avait été
réduit depuis des décennies à sa plus simple expression – la majorité de ses
militants ayant fondé le parti communiste grec, le KKE, dès l’orée des années
1920 –, c’est aussi l’effroyable bilan du stalinisme, conjointement à l’absence
d’une avant-garde révolutionnaire en Grèce, qui a conduit à la domination du
PASOK sur le mouvement ouvrier (nous renvoyons nos lecteurs à l’article paru
dans CPS n°40 de mai 2010, qui
revient de manière détaillée sur l’histoire des luttes de classes en Grèce).
Au-delà
de ses scores électoraux, ce parti dirigeait également le principal courant à
la tête des organisations syndicales, le PASKE.
C’est
pourquoi, dès les prémices de la crise, le prolétariat et la jeunesse grecs ont
exprimé leur volonté de résister à l’offensive anti-ouvrière engagée par le
parti bourgeois au pouvoir avant 2009 – la Nouvelle Démocratie – en élisant une
large majorité de députés des partis d’origine ouvrière : à lui seul, le
PASOK obtenait plus de 43% des suffrages exprimés et 160 députés sur 300 à l’Assemblée
grecque, la Vouli. Si l’on y additionne les scores
réalisés par les partis et coalitions issus du stalinisme – KKE et Syriza –,
les partis d’origine ouvrière totalisaient plus de 56% des voix.
Cependant,
aidés par les ex-staliniens dans le rôle du repoussoir, les dirigeants du PASOK
ont mis en œuvre une politique en tous points contraire aux raisons pour
lesquelles les travailleurs et la jeunesse grecs avaient voté. Dès le lendemain
des élections, sur fond de déclarations alarmistes concernant l’état réel de la
dette publique, le chef du PASOK et Premier ministre Georges Papandréou
annonçait qu’il abandonnait le programme de campagne de son parti et s’engageait
dans la mise en œuvre d’une politique d’« austérité » sous tutelle de
la « Troïka » FMI-UE-BCE. Ce faisant, le PASOK a sapé les bases mêmes
sur lesquelles il reposait.
Après
une première phase, au cours de laquelle le puissant appareil du PASOK est
parvenu à contenir les masses grecques, la contradiction entre le caractère
ouvrier du PASOK et la politique qu’il a menée a nourri une crise destructrice
en son sein. À plusieurs reprises, Papandréou a dû exclure des députés de son
propre parti, parce qu’ils refusaient de voter les plans anti-ouvriers. En
cause : les manifestations ouvrières massives dirigées vers la Vouli, cherchant à dicter aux députés du PASOK le rejet des
contre-réformes.
Même si
les dirigeants syndicaux de la GSEE et de l’Adedy,
étroitement liés au PASOK voire à la Nouvelle Démocratie, se sont d’emblée
disposés sur le terrain d’une « autre répartition des sacrifices » -
acceptation de fait des plans anti-ouvriers -, les relations entre le PASOK et
la bureaucratie syndicale dirigeante se sont dangereusement tendues, le soutien
à la politique de ce parti devenant intenable.
C’est
pourquoi l’initiative visant à liquider la majorité PASOK et le parti lui-même,
au compte de la bourgeoisie, est venue de ses dirigeants : en octobre
2011, aux abois, Papandréou annonçait qu’il organisait un référendum sur le
maintien de l’adhésion à l’Union européenne. Par ce biais, il entendait
confronter les masses grecques à un choix cornélien : soit rester dans l’UE…
et accepter sans broncher la poursuite des contre-réformes ; soit sortir
de l’UE… et subir le contrecoup dévastateur d’un retour à la drachme assorti d’une
dévaluation massive.
Mais
les impérialismes dominants d’Europe exercent alors les plus brutales pressions
pour interdire qu’un tel référendum voie seulement le jour : Papandréou,
jouant la contrition « patriotique », passe alors un accord d’« union
nationale » avec la Nouvelle Démocratie et le LAOS chauvin et raciste.
Puis il démissionne au profit d’un gouvernement de cette coalition, dirigé par
un représentant direct du capital financier : Papademos,
ancien cadre de la BCE et ancien directeur de la Banque centrale grecque.
Le
PASOK s’est engagé dans un processus de décomposition accéléré : dès mai
2012, son électorat est divisé par 4. Les dirigeants du PASOK n’en ont pas
moins choisi de fournir à la Nouvelle Démocratie – de concert avec DIMAR,
scission du parti ex-stalinien KKE – l’une des deux béquilles qui lui ont
permis d’avancer. Les élections de janvier 2015 ont consacré l’effondrement
complet du PASOK, qui avec moins de 300 000 voix a perdu plus de 90% de
son électorat de 2009. On peut dire que le PASOK est aujourd’hui au bord de la
disparition.
Le parti « communiste »
KKE : l’autre mâchoire de l’étau qui enserre le prolétariat
De
manière plus succincte, il convient de faire rapidement un sort au parti
ex-stalinien grec, le KKE.
L’article
publié dans CPS n°40 de mai 2010 a
rappelé le bilan effroyable des dirigeants du KKE à l’issue de la seconde
guerre mondiale : d’un parti hégémonique dans tout le pays, ce parti est
devenu une force secondaire dans le mouvement ouvrier grec, entaché pour
toujours par son rôle dans les défaites sanglantes qui ont permis le
rétablissement d’une monarchie en Grèce, puis l’instauration de la dictature
des colonels. Tant qu’il subsiste, le KKE n’en joue pas moins un rôle important
dans le cadenassage des masses grecques à travers son
statut de repoussoir et sa pratique constante de la division et de la calomnie.
Ainsi,
tout en occupant sa place dans les instances de la GSEE et de l’Adedy, le courant syndical du KKE n’en anime pas moins son « front
syndical » distinct – le PAME - qui s’est fait une spécialité de
manifester en cortège séparé dans les rues d’Athènes. Ainsi, s’il combat avec
acharnement toute perspective de front unique ouvrier, toute unité syndicale
sur le terrain des revendications ouvrières, le KKE n’a pas dédaigné de porter
secours à la Nouvelle Démocratie, à la fin des années 1980, pour empêcher le
maintien au pouvoir du PASOK.
Lorsque
la pression des masses grecques sur la majorité du PASOK a atteint son
paroxysme, c’est l’appareil du KKE qui a pris le relais dans la défense de l’ordre
bourgeois : le 20 octobre 2011 – dix jours avant que Papandréou n’organise
le sabordage de sa propre majorité –, le service d’ordre du KKE et du PAME a
violemment barré la route aux cortèges massifs de manifestants qui affluaient
en direction de la Vouli pour exiger le rejet des
plans d’« austérité » votés ce jour-là. Un membre de ce service d’ordre
décédait suite à l’inhalation massive de gaz lacrymogènes employés par la
police grecque : la direction du KKE accusait aussitôt les « provocateurs »
de cet « assassinat ».
Il n’est
pas possible de revenir en détail sur tous les développements de la lutte des
classes en Grèce au cours de cette période : c’est ainsi que s’est
développé au cours de l’année 2011 le mouvement « Ne paie pas ! »
qui, appuyé par le syndicat de l’électricité en rupture avec le PASOK, a
organisé entre autres actions le rétablissement gratuit de l’électricité dans
de nombreux logements. C’est aussi à l’issue de cette même année que s’est
développé dans le pays un mouvement de type « Indignés », associant à
toutes les niaiseries du genre (« C’est nous qui décidons »)
certaines initiatives de type accès gratuit aux soins, à l’éducation, etc. L’essentiel
est que, cadenassées par les dirigeants du PASOK et du KKE, de leurs
lieutenants à la tête de la GSEE, de l’Adedy et du
PAME, les masses grecques ont été maintenues dans l’impasse politique.
L’émergence de Syriza
En mai
2012, les élections législatives sont marquées par cette impasse : l’abstention
explose et dépasse allègrement le tiers des inscrits. Le vote pour les partis
et organisations d’origine ouvrière s’effondre et se disperse. Les partis
bourgeois ressortent nettement majoritaires. De manière secondaire, toutefois,
Syriza est parvenu à capter une fraction de l’électorat ouvrier au détriment du
KKE et du PASOK, avec plus d’un million de voix.
Cependant,
les divisions internes à la bourgeoisie grecque (effondrement du LAOS,
dissidence des Grecs Indépendants sur une base « souverainiste »)
ne permettent pas à la Nouvelle Démocratie de constituer une majorité
gouvernementale. Syriza – arrivé en seconde position – se voit confié le rôle
de constituer une telle majorité.
La
progression électorale remarquable de Syriza – passée en trois ans d’une
position marginale au statut de première liste d’origine ouvrière – procède
pour l’essentiel de ce fait : ses dirigeants, considérant leur relative
faiblesse, se sont crus autorisés à mener campagne contre les « memorandums »… quittes à assurer ensuite qu’ils en
négocieraient un autre.
Par le
jeu des institutions grecques, les dirigeants de Syriza se voient contraints de
mener formellement une politique qu’ils ont toujours combattue : celle du
front unique ouvrier. Ils proposent une alliance de gouvernement « anti-austérité »
au PASOK et à DIMAR – qui refusent au nom du respect des « memorandums » – et se tournent vers le KKE – qui
décline tout accord au nom du « combat contre la social-démocratie ».
L’impossibilité de constituer un gouvernement conduit alors à l’organisation de
nouvelles élections en juin 2012 : plusieurs centaines de milliers de
travailleurs et jeunes supplémentaires, tirant les leçons de l’épisode, se
détournent du PASOK, du KKE, de DIMAR ou de l’« extrême-gauche » pour
se tourner vers Syriza.
Les
résultats des élections de juin 2012 sont ainsi marqués par un paradoxe :
tandis que les partis et organisations d’origine ouvrière redeviennent
majoritaires en voix, l’électorat bourgeois s’est concentré sur la Nouvelle
Démocratie qui arrive en première place. La Constitution grecque, qui accorde
un « bonus » de 50 sièges de députés pour le parti arrivé en tête,
permet à la Nouvelle Démocratie de constituer un gouvernement d’« union
nationale » avec l’aide du PASOK et de DIMAR : un gouvernement « majoritaire »
à la Vouli mais minoritaire dans les urnes et
illégitime aux yeux des masses, ce qui aura des conséquences sur le plan de la
lutte des classes.
Une organisation d’origine
ouvrière… sur le terrain liquidateur de l’« eurocommunisme »
À l’origine de Syriza, il y a une
fraction de l’ex-appareil stalinien : l’ancien parti « communiste »
dit « de l’intérieur ». En 1989, les initiateurs de Syriza ont rompu
définitivement avec le KKE sur le terrain de l’« eurocommunisme » :
ils ont fondé le Synaspismos (« Coalition de
gauche, des mouvements sociaux et de l’écologie ») deux ans plus tard. Au
cours des années 2000, Synaspismos forme l’épine
dorsale d’une coalition plus large, Syriza (« Coalition de la gauche
radicale ») qui rassemble, dans une grande cacophonie, pas moins de 17
composantes » écologistes », « maoïstes », « citoyennes »,
« social-démocrates » ou
pseudo-trotskistes.
À la
marge du PASOK et du KKE, Syriza s’est positionné comme un laboratoire de la
décomposition du mouvement ouvrier et un fervent partisan de l’« Union
européenne » : autant dire que l’importance soudaine qu’a prise cette
coalition constitue un balbutiement de l’Histoire. Du reste, immédiatement
après leur percée électorale de 2012, les dirigeants de Syriza vont faire tout
leur possible pour s’excuser de leurs prises de position contre les « memorandums », rassurer les principales bourgeoisies d’Europe
sur leur volonté de rester à tout prix dans l’UE et de payer « autrement »
la dette : au cours de ses longues tournées européennes, Tsipras se
précipite aussi bien auprès du directeur de la BCE, Draghi,
que du ministre allemand des Finances, Schauble, et
jusque dans le giron du Pape François. Tsipras se présente encore comme
candidat à la présidence de l’Union européenne en 2014, sous la bannière du
Parti de la Gauche européenne.
Du même
élan, Syriza œuvre à boucher toute perspective aux masses grecques sur le
terrain de la lutte des classes.
Mai 2013 : Syriza
contribue au combat contre la grève générale
Au
lendemain des élections de 2012, le gouvernement Samaras (ND-PASOK-DIMAR) engage
une nouvelle phase de l’offensive contre le prolétariat : pour mener à
leur terme les contre-réformes les plus dévastatrices – liquidation du droit du
travail et des conventions collectives, plan de licenciement de 150 000
fonctionnaires impliquant la liquidation de leurs statuts, privatisations et
fermetures d’entreprises publiques… –, il est nécessaire de franchir de
nouveaux pas dans la voie de l’écrasement pur et simple du mouvement ouvrier.
Mais
les travailleurs ont à l’esprit le fait que ce gouvernement haï est un
gouvernement illégitime. Au cours de l’année 2013 notamment, plusieurs
secteurs-clés du prolétariat s’engagent dans de puissantes grèves qui posent,
dans leur développement, la question de la grève générale :
successivement, les travailleurs du métro, des cheminots et conducteurs de bus,
des enseignants et personnels des écoles, les hôpitaux, les universités… s’engagent
dans des grèves massives, dirigées par des assemblées générales. Le
gouvernement Samaras répond par la répression la plus brutale, en décrétant les
grèves et manifestations « illégales » ou en recourant à des ordres
de réquisition. Toutefois, ce n’est pas tant cette répression qui vient à bout
de la détermination du prolétariat que la politique des dirigeants du mouvement
ouvrier eux-mêmes.
Un
exemple flagrant de cette trahison organisée a eu lieu en mai 2013, lors de la
grève des enseignants grecs du secondaire. Réunis en assemblées générales
massives, en réaction à l’accroissement de leur temps de travail pour permettre
de licencier 10 000 d’entre eux, les enseignants ont engagé un puissant
mouvement de grève, balayant les ordres de réquisition émis par le
gouvernement. Ils se sont adressé à leur syndicat, l’OLME, pour qu’il appelle à
la grève générale.
Les
dirigeants de l’OLME (le secrétaire général de ce syndicat étant alors… membre
du courant syndical lié à la Nouvelle Démocratie !), préférant louvoyer
face à la détermination des enseignants, ont d’abord renvoyé la décision à la
direction de la fédération de fonctionnaires – l’Adedy.
Puis la direction d’OLME a fait savoir que le syndicat était disposé à mettre
fin à la grève… à cette seule condition que le gouvernement lève ses ordres de
réquisition : une proposition inspirée directement par les dirigeants de
Syriza. Enfin le 16 mai, en présence de dirigeants syndicaux largement « mandatés »
pour appeler à la grève générale, le dirigeant de l’OLME contourne la
difficulté en demandant aux bureaucrates de se prononcer… sur l’existence des « conditions
nécessaires » et sur le « soutien suffisant » à la grève
générale : prétextant ne pas avoir de « mandat » sur ce sujet,
les dirigeants syndicaux ont alors choisi de s’abstenir massivement. La grève
était officiellement terminée.
L’axe
du « combat contre Aube Dorée », l’organisation authentiquement
fasciste qui tente de se constituer en Grèce, a également, en dernière analyse,
servi de dérivatif au combat pour la grève générale – combat qui par essence
conduit à poser la question du pouvoir.
Certes,
les initiatives prises notamment par certains anarchistes grecs pour organiser
des milices de jeunes et de travailleurs, affrontant avec courage les bandes d’Aube
Dorée, étaient en soi justes et salutaires : car ce parti ouvertement
nazi, dont les dirigeants ont une histoire qui les renvoie en fil direct à la
dictature des colonels, constitue une véritable menace pour les masses grecques
et pour l’existence même du mouvement ouvrier.
Mais
Aube Dorée existe parce qu’il prend racine dans l’appareil d’Etat policier qui le vertèbre et le protège : s’il a
pu multiplier ratonnades sanglantes et assassinats politiques assumés, c’est qu’il
existe dans la bourgeoisie grecque et jusqu’au sein des gouvernements grecs des
éléments qui considèrent que l’option fasciste peut passer à l’ordre du jour
dans un futur indéterminé, sur les ruines du mouvement ouvrier que le
gouvernement Samaras s’efforçait de détruire.
Or, à
la fin de l’année 2013 – dans des conditions où les grèves de fonctionnaires
continuaient de placer le gouvernement Samaras dans une situation difficile –,
les dirigeants du mouvement ouvrier, et notamment ceux de Syriza, ont offert à
ce même gouvernement l’opportunité de se refaire une santé : ils ont
appelé, non pas à l’écrasement pur et simple d’Aube Dorée, mais à son « interdiction »
par le gouvernement. Qui s’est empressé d’arrêter quelques cadres de ce parti
pour donner le change, dans un climat de « front républicain ».
Inutile
de préciser que, quoi qu’il advienne de la « coquille » Aube Dorée,
les bases d’une organisation fasciste en Grèce – qui se trouvent dans l’appareil
d’Etat – restent, à ce jour, parfaitement intactes.
Du congrès de Syriza au « programme
de Thessalonique »
En
juillet 2013, la direction de Synaspismos décide de
constituer Syriza en parti. L’organisation du « congrès fondateur »,
à marche forcée, avec un ordre du jour centré sur l’organisation interne et un
nombre pléthorique des « délégués » (3430 !) ne laissent aucun
doute sur les objectifs : assurer le contrôle total de l’appareil sur le
parti. Depuis 2012, Syriza a connu un afflux considérable d’adhésions :
ses effectifs ont quasiment doublé, jusqu’à 35 000 membres. Le congrès
montre que ce mouvement vers Syriza a puisé à deux sources opposées.
D’une
part, il est indéniable qu’un certain nombre de travailleurs et de jeunes ont
cherché à se saisir du cadre offert par Syriza pour y chercher une issue
politique. Certains amendements présentés par l’opposition interne, la « Plate-forme
de gauche », ont ainsi rencontré un écho significatif, de 30 à 40% des
voix pour le non-paiement de la « dette », ou pour la
nationalisation des banques ou « des secteurs stratégiques de l’économie »
sous contrôle « des travailleurs et du peuple ». Mais tout en
défendant certains mots d’ordre justes, la « gauche » de Syriza joue
son rôle de flanc-garde : elle défend la perspective abstraite d’un « gouvernement
de gauche » d’où le PASOK est exclu par avance, ou la constitution d’un « front
uni des partis de gauche »… excluant donc les syndicats comme les partis « qui
ont mené des politiques d’austérité ». Orientation qui revient en
définitive à faire obstacle à tout combat véritable pour le front unique
ouvrier.
D’autre
part, usant de sa nouvelle importance, la direction de Syriza a développé des
réseaux clientélistes pour poser les bases d’un appareil renforcé. Ainsi,
Tsipras est élu avec 72% des mandats comme président du parti : ce congrès
ouvrait la voie à une vaste révision au rabais des quelques éléments favorables
aux masses dans le programme de Syriza.
En
septembre 2014, à l’occasion d’une exposition commerciale internationale,
Tsipras présente son « programme de Thessalonique » : il demande
l’« annulation de la majeure partie de la dette publique » (ce qui
revient à reconnaître la nécessité de la « rembourser »), préconise
le renforcement des fonds propres des banques privées et envisage la création d’une
« banque publique d’investissement » pour la « relance de l’économie
réelle ». Avec cela, un saupoudrage caritatif pour la fraction du
prolétariat la plus accablée par la crise : l’électricité « nécessaire »
gratuite et des bons alimentaires pour 300 000 foyers, le relèvement du
salaire minimum à 750 euros (en deçà de son niveau d’avant 2009), la gratuité
du logement pour 30 000 personnes, etc.
Ce
programme est, certes, inadmissible en l’état par les principales bourgeoisies
d’Europe : mais l’essentiel est que, ce faisant, Syriza conditionne toute
sa politique à la conclusion d’un accord avec l’Union européenne et ses autres
débiteurs. Qui plus est, tous les piliers du mode de production capitaliste
sont préservés : les nationalisations sont écartées, le non-paiement de la
« dette » évacué, le capital financier préservé au point de se voir
promettre d’être renfloué. En somme, la « gauche radicale » grecque s’est
présentée aux élections de janvier 2015 avec un programme… qui en rabat
sérieusement sur ceux que pouvaient présenter un François Mitterrand ou un
Andréas Papandréou en 1981.
Constitution du gouvernement
Tsipras-Kammenos : après la tragédie PASOK, la farce SYRIZA
C’est
bien malgré ce programme qu’une importante fraction des masses grecques s’est
tournée, en désespoir de cause, vers Syriza lors des dernières élections :
du reste, cette défiance se manifeste aussi dans le fait que le score atteint
par ce parti se situe bien en deçà du score réalisé par le PASOK en 2009.
Cumulés, les partis et organisations d’origine ouvrière rassemblent à peine
plus de 50% des suffrages. Avec 36% des voix et 149 sièges sur 300 à la Vouli, Syriza ne peut prétendre gouverner seul :
toutefois, il existe une majorité nette des partis d’origine ouvrière avec 177
députés pour Syriza, le PASOK et le KKE.
Il est
fort possible que la proposition d’un gouvernement des seuls partis ouvriers se
fût d’emblée heurtée à un refus sec des restes du PASOK comme de ceux du
KKE : mais il est en revanche certain que les dirigeants de Syriza y ont
tourné le dos d’emblée. Au lendemain des élections, parmi diverses listes
bourgeoises pressenties, Tsipras a en définitive opté pour la plus
réactionnaire : les Grecs Indépendants, scission droitière de la Nouvelle
Démocratie sur le terrain du « souverainisme », de la lutte contre l’immigration
et d’une défense acharnée des piliers de la bourgeoisie « nationale ».
L’accord
avec les Grecs Indépendants implique, notamment, l’engagement de ne pas
remettre en cause les exonérations d’impôts consenties aux deux piliers de la
bourgeoisie grecque : les armateurs et l’Eglise
orthodoxe, premier propriétaire terrien du pays. Plus encore, la constitution
du gouvernement Tsipras-Kammenos constitue un gage donné d’avance à la
bourgeoisie grecque : Syriza ne gouvernera pas contre leurs intérêts. Dans
la foulée, Tsipras parvient à embarquer dans son équipe l’ « opposition » pseudo-trotskiste
de service : le principal dirigeant de la « plate-forme de
gauche » acceptait de s’asseoir sur ses critiques en contrepartie d’un
poste de ministre de l’environnement.
Il s’agit
là d’une mauvaise parodie de la tragédie jouée auparavant par le PASOK allié à
la Nouvelle Démocratie.
À plat ventre devant l’Union
européenne et la bourgeoisie grecque
À l’instar de Papandréou qui « abandonnait »
publiquement ses promesses de campagne au lendemain des élections de 2009, il n’a
pas fallu un mois à Syriza pour s’engager devant la Commission européenne à ne
pas appliquer une seule des mesures symboliques qu’il avait défendues au cours
des élections. Le 20 février, Tsipras a conclu un accord avec l’Eurogroupe à Bruxelles : en échange de la poursuite
des « aides » convenues avec le précédent gouvernement et d’un
changement de nom de leurs interlocuteurs, Syriza et Kammenos s’engagent à
gouverner… aux mêmes conditions que leurs prédécesseurs. Le Monde rend compte jusque dans le détail de ce qui n’est pas même
une capitulation :
« Au terme d’une réunion qui s’annonçait
interminable et qui n’a finalement duré que deux heures, vendredi 20 février,
les Européens ont donc annoncé s’être mis d’accord sur une « procédure »
de renégociation du programme d’aide (130 milliards d’euros en tout). L’Eurogroupe a jugé recevable la demande d’Athènes de
prolonger ce plan au-delà de fin février. (…)
Athènes s’engage à achever le travail du
précédent gouvernement, celui du conservateur Antonis
Samaras, en mettant en œuvre les réformes imposées par la troïka des créanciers
– FMI, Banque centrale européenne (BCE) et Commission de Bruxelles – pas encore
toutes sur les rails. En échange, le pays pourra toucher environ 7 milliards d’euros
restant à verser sur le total des crédits alloués. Athènes dispose quand même
de « flexibilités » : le chef du gouvernement grec, Alexis
Tsipras, pourra modifier la liste des réformes à accomplir, à condition qu’elles
préservent l’équilibre des finances publiques.
Pour que l’extension de quatre mois soit
validée, les Grecs devront soumettre leur liste de réformes, d’ici au lundi 23
février, pour validation par « feu » la « troïka » (Athènes
a obtenu qu’on n’emploie plus ce terme, honni en Grèce, et qu’il soit remplacé
par « les institutions). »
Tsipras
concluait cette séance par une déclaration triomphaliste : « Hier, nous avons franchi une étape
décisive en abandonnant l’austérité, les plans de renflouement et la “troïka”.
(…) Nous avons gagné une bataille, pas la guerre. Les véritables difficultés
(…) sont devant nous ». En Grèce, ses prédécesseurs de la Nouvelle Démocratie
se montraient plus sobres : « le
nouveau gouvernement retourne en fait au point où nous avions laissé les
choses, mais dans des conditions bien pires » !
La
servilité totale de Syriza s’étend à la bourgeoisie grecque elle-même, alors
que Tsipras avait fait de la lutte contre la « fraude fiscale » un de
ses axes de campagne. La Repubblica
constatait ainsi le 18 mars: « La
Suisse souhaite conclure un accord fiscal avec la Grèce au plus tôt, mais à ce
qu’il semble, Athènes tergiverse. (…) Tsipras, après avoir annoncé une lutte
sans quartier à qui ne paye pas les impôts, donne l’impression de ne pas avoir
l’intention d’aller chercher l’argent là où il est caché. Or, dans les banques
helvétiques, selon les infos, seraient dissimulés entre 30 et 100 milliards d’euros
au noir. (…) En attendant, à Athènes les 2000 noms de fraudeurs grecs que l’ex-informaticien
de HSBC avait communiqués sont toujours inutilisés. «Jusqu’à présent, une seule
demande d’enquête nous est parvenue» font-ils savoir à Berne. »
Un gouvernement d’une
extrême faiblesse
En
quelques mois, Syriza a donc promis aux « institutions » de continuer
à rembourser la « dette », de ne rien entreprendre qui bouleverse son
« équilibre budgétaire », de poursuivre l’application des « memorandums », et a abandonné toute velléité de
toucher au moindre intérêt de la bourgeoisie grecque. Le problème est que le
gouvernement Tsipras-Kammenos est un gouvernement d’une extrême faiblesse face
aux masses : il ne dispose ni d’une base ni d’un appareil solide, et n’a
ni l’implantation dont disposait le PASOK dans le mouvement ouvrier, ni racines
profondes au sein de l’appareil d’Etat.
La
difficulté majeure ne réside certes pas dans les jacasseries ambiguës d’une
« opposition » interne dirigée par divers groupes pseudo-trotskistes :
ces « opposants » ont successivement accepté le programme de
Thessalonique, l’alliance avec les Grecs Indépendants et la nomination par
Tsipras de ministres ouvertement réactionnaires… l’un des dirigeants de
l’« opposition » ayant même accepté un poste au gouvernement.
Mais
Syriza est tiraillé entre deux pressions contraires : celles des masses
grecques, qui ont voté pour que leurs aspirations soient satisfaites, et celles
de la bourgeoisie, qui exigent la soumission de Syriza tout en aspirant à
liquider au plus vite ce parti. Tsipras est obligé de louvoyer entre les
aspirations des masses et celles de la bourgeoisie qui s’exercent par de
nombreux biais. De là provient la mauvaise farce des « réformes » et
initiatives politiques au rabais que Syriza a feint de mettre en œuvre en
attendant de se faire « retoquer » par Merkel et consorts : vote
d’une loi « humanitaire » aussitôt accablée des foudres de Berlin le
19 mars ; annonce d’une « réouverture » d’ERT (radio-télévision publique) pour laquelle le gouvernement
grec ne dispose pas de moyens, etc.
En mai,
tout en proclamant publiquement accorder la « priorité » au paiement
des salaires, Tsipras a brandi l’arme qui avait jadis servi à Papandréou :
après avoir changé son équipe de « négociateurs » sur un simple
claquement de doigt des « institutions », il a annoncé l’organisation
d’un référendum sur l’acceptation des mesures d’« austérité » qu’il
s’est engagé à mettre en œuvre. Ce faisant, il entend faire peser à plein
l’impasse politique sur le prolétariat.
Du côté des organisations
syndicales
Il
convient de dire quelques mots de la situation inédite au sein des principales
organisations syndicales grecques, profondément secouées par l’application des
« memorandums », la dislocation du PASOK,
la pression des masses et la volonté de la bourgeoisie grecque de les détruire.
Il n’est pas exagéré d’écrire que leur existence est aujourd’hui en jeu.
Organisations
syndicales de masse, avec des centaines de milliers d’adhérents dans un pays de
11 millions d’habitants, la GSEE et l’Adedy gardent
toutefois un lourd héritage des longues périodes de dictature qu’a connues la
société grecque au cours du XXe siècle. Sous les colonels, la GSEE
était quasiment devenue un organisme de contrôle du prolétariat par le
régime : il a fallu le puissant mouvement des masses et la réintégration
en son sein des syndicats clandestins dirigés par le PASOK ou le KKE pour que
le droit de tendance y soit rétabli, et la position majoritaire des
organisations du mouvement ouvrier réinstaurée. Puis en 1982, le gouvernement
d’Andréas Papandréou rétablissait d’importants droits syndicaux (notamment la
négociation des conventions collectives et des salaires).
Toutefois,
le PASOK n’a jamais aboli un système datant de la dictature anticommuniste de Metaxas : jusqu’en 2012, les syndicats étaient
financés pour la plus grande partie, non par les cotisations directes de ses
adhérents, mais par des « Foyers du Travail » chargé de récolter et
de redistribuer une partie des salaires prélevée directement par le patronat et
l’Etat. 90% des ressources de la GSEE provenait ainsi
des Foyers du Travail.
En
2012, le gouvernement Samaras a aboli le financement des syndicats par les
Foyers du Travail, en même temps qu’il liquidait les conventions collectives et
évinçait les syndicats des négociations salariales : tandis que les deux
dernières mesures remettent en cause l’existence même des syndicats, la
première prive l’appareil de ses conditions d’existence. Ces coups ont été
portés aux organisations syndicales après des années de collaboration des
dirigeants syndicaux aux contre-réformes via le « dialogue social »
et le sabotage des luttes engagées par les travailleurs grecs.
Les
appareils se « battent » pour leur survie avec les mêmes méthodes
pourries qui ont conduit aux défaites successives du prolétariat. Ils
s’appuient, en particulier, sur la CES ou le Bureau international du travail
pour faire constater à l’Union européenne l’« illégalité » des
mesures prises par le gouvernement de Samaras… en application des exigences de
cette même Union européenne.
Tsipras
promet aux bureaucrates la restauration d’un « dialogue social » qui
rétablirait les prébendes des appareils. Il plaide inlassablement auprès de la
bourgeoisie grecque dans ce sens. Mais la corruption officielle des dirigeants
syndicaux ayant été abolie, la bourgeoisie verra-t-elle d’un œil favorable son
rétablissement à ses frais ?
Si les
derniers congrès de la GSEE et de l’Adedy –
respectivement en mars et novembre 2013 – ne donnent qu’une expression très
atténuée et déformée de cette situation, l’évolution des rapports de forces au
sein de leurs organes dirigeants reste significative : la tendance liée
historiquement au PASOK passe de 22 à 16 sièges sur 45 à la tête de la GSEE, et
de 38 à 22 sièges sur 85 au Conseil général de l’Adedy.
Les courants liés au KKE et à Syriza n’en ont profité que de manière
marginale : ce sont des scissions de l’appareil dirigeant, animées par de
puissants syndicats en rupture avec le PASOK (électricité, métro d’Athènes),
qui ont capté la majeure partie des suffrages perdus par le PASOK.
La
question qui est posée par cette situation est la suivante : qui, du
prolétariat grec ou de la bourgeoisie, tirera profit de ce basculement ?
En cause : l’absence d’un
Parti ouvrier révolutionnaire
Nul ne
peut prédire si, et comment, le prolétariat grec reprendra le chemin du combat
pour sa défense et sa survie. Nul ne peut prédire quand et comment le
gouvernement Tsipras-Kammenos s’effondrera. Mais il ne fait aucun doute que l’émergence
de Syriza ne constitue qu’une parenthèse dans la guerre à mort que se livrent
les deux classes fondamentales de la société.
La
situation actuelle en Grèce reste marquée par une double impuissance :
celle de la bourgeoisie grecque tout d’abord – qui tout en appliquant une
kyrielle de contre-réformes assassines n’est pas encore parvenue à briser les
reins du prolétariat. Mais le prolétariat est lui aussi cantonné à l’impuissance,
faute de trouver une réponse satisfaisante à la question des questions – la
question du pouvoir.
Ce n’est
pas de l’absence d’un mouvement ouvrier puissant que pâtissent les masses
grecques : c’est au contraire de l’extrême abondance des fractions
bureaucratiques et de leurs satellites, fruits des défaites historiques
successives du prolétariat au cours de son histoire. On en retrouve en Grèce à
peu près toutes les formes et les déclinaisons, des « socialistes »
et ex-staliniens jusqu’aux pseudo-trotskistes et aux résurgences de l’anarchisme.
Toutes ces composantes déploient leur arsenal de fausses solutions et de vraies
trahisons pour dévoyer les vagues successives de luttes ouvrières.
La voie
qui mène à la recomposition du mouvement ouvrier sur l’axe de la révolution
prolétarienne, du combat pour le socialisme, est longue et jonchée d’obstacles ;
à chaque détour du chemin, se trouve un nouveau « conseiller » en
faux raccourcis. Telle est la situation qui, associée à l’absence d’un Parti
ouvrier révolutionnaire, explique qu’après les tentatives d’utiliser le PASOK,
et la décomposition accélérée de ce parti, un balbutiement de l’Histoire ait
conduit une fraction importante des masses grecques à propulser un débris issu
du stalinisme au premier plan de la scène politique.
Toute
la situation grecque conduit à cette conclusion : il n’est pas possible de
mener une politique favorable aux masses grecques sans en finir avec le
capitalisme. Tout le programme de Syriza le nie. Il ne fait aucun doute que des
fractions croissantes du prolétariat et de la jeunesse grecque en ont
conscience : mais il leur manque un parti, le Parti ouvrier
révolutionnaire, pour donner corps à cette idée.
Ce que défendraient des
militants révolutionnaires
En
Grèce, des militants révolutionnaires interviendraient sur les axes
suivants :
·
Ils avanceraient
en premier lieu l’exigence du non-paiement de la « dette » grecque et
celle de l’expropriation des capitalistes, à commencer par les banques, pour
prendre les mesures favorables aux travailleurs et répondre aux
revendications ;
·
Ils
combattraient dans le mouvement ouvrier pour que les « memorandums »
et toutes les mesures qui en découlent soient abrogés par la majorité des
partis et organisations ouvrières à la Vouli ;
·
Ils
caractériseraient nettement le gouvernement Tsipras-Kammenos pour ce qu’il
est : un gouvernement anti-ouvrier, contradictoire avec le vote des
travailleurs du 25 janvier, gouvernement qui doit être combattu et
chassé ;
·
Ils exigeraient
en conséquence la rupture des organisations syndicales avec ce gouvernement et
l’engagement du combat contre lui ;
·
Ils prendraient
appui sur l’existence d’une majorité des partis et organisations d’origine
ouvrière (Syriza, KKE, et PASOK) pour avancer la perspective d’un gouvernement
des organisations ouvrières unies, intégrant les organisations
syndicales ;
·
Enfin, ils opposeraient
clairement à l’Union européenne des capitalistes la perspective des États-Unis
socialistes d’Europe, en commençant par avancer le mot d’ordre : À bas
l’Union européenne !
« Front
unique avec le PASOK, avec les bureaucrates syndicaux » ? D’aucuns, à
l’extrême-gauche, ne manqueront pas de se gausser de cette perspective en
glosant sur les « illusions » que ce mot d’ordre induirait vis-à-vis
d’une social-démocratie « faillie ». Des
militants révolutionnaires répliqueraient qu’ils n’ont aucune illusion dans les
dirigeants du PASOK… mais aucune, non plus, dans les divers débris du
stalinisme criminel que la majorité de l’« extrême-gauche » grecque
courtise et sert inlassablement, tout en s’asseyant avec les bureaucrates au
sein des exécutifs syndicaux. Le Front unique ouvrier, levain du combat pour le
POR, est au contraire le plus sûr instrument pour balayer les appareils de tout
poil.
Ce que serait vraiment la « solidarité »
avec les masses grecques
Avancer
la perspective des Etats-Unis socialistes d’Europe
revient à reconnaître qu’en dernière analyse, l’issue pour les masses grecques
dépend du combat de l’ensemble des prolétariats d’Europe contre leurs propres
bourgeoisies.
Les
appareils en ont conscience, qui dans toutes leurs déclinaisons déploient des
écrans de fumée autour de la véritable nature de Syriza et du gouvernement
Tsipras-Kammenos. Rappelons que la CES et ses syndicats affiliés dans toute l’Europe
ont salué la victoire de Syriza comme « une chance pour l’Europe »,
tandis que du NPA jusqu’au sein du PS, en passant par le PCF et Mélenchon,
chacun y est allé de son petit couplet pour chanter les louanges de Tsipras
(Mélenchon allant jusqu’à occulter la nature de l’accord de Bruxelles en
beuglant ce grotesque cri de « victoire » le 20 février : « Hourra ! L’ignoble Schäuble
n’a pas eu le dernier mot ! Félicitations au gouvernement grec ! »).
Aujourd’hui,
les mêmes appareils s’affairent à « soutenir » le gouvernement
Tsipras-Kammenos en promouvant toutes les initiatives les plus dénuées d’effet
telles que : rassemblements et manifestations pour « faire pression »
sur l’Union européenne ou le FMI, pétitions et appels pour un « audit »
de la dette grecque, adresses aux gouvernements pour qu’ils « pèsent »
dans les négociations, etc.
Contre
toutes ces jacasseries stériles, rappelons l’évidence : dans un pays comme
la France, dont le gouvernement est intéressé par le « remboursement »
de la « dette » grecque, et alors que les banques françaises ont joué
un rôle majeur dans le fléau qui accable les masses grecques depuis six ans, la
première revendication effective de soutien aux masses grecques est d’exiger l’annulation
complète de la « dette » grecque auprès des banques et de l’Etat français. Si ces banques devaient faire faillite en
conséquence, se poserait immédiatement la question de
leur expropriation.
Le 3 mai 2015