« Combattre pour le socialisme » n°56 nouvelle série (n°138) – 19 février 2015 :

 

À bas l’Union nationale !
Pour le Front unique des organisations ouvrières (partis et syndicats)
pour mettre en échec le gouvernement Hollande‑Valls‑Macron‑Pinel !
Rupture des directions des organisations ouvrières
avec le gouvernement et le MEDEF !


 

Unions nationales d’hier et d’aujourd’hui

 

« À bas l’“union sacrée” des ouvriers et des capitalistes dans tous les pays, car cette « union » a condamné et condamne l’humanité aux horreurs d’une guerre impérialiste de brigandage faite dans l’intérêt des capitalistes ! ».

Ainsi concluait Lénine en avril 1917 en réponse à l’ «accusation » selon laquelle les bolcheviks travaillaient pour le gouvernement de Guillaume II. La situation n’est pas la même en 2015 et en 1917. En 1917, les champs de bataille et les charniers couvraient toute l’Europe. Les guerres impérialistes restent aujourd’hui, si l’on peut dire « localisées » : en Afrique, au Moyen-Orient et même à l’est de l’Europe, en Ukraine. Mais hier comme aujourd’hui, l’» union sacrée » demeure au service de la même cause : celle de la guerre impérialiste. Confirmation en a été donnée par Le Drian en personne, ministre de la défense, qui a ouvertement défini le contenu politique du 11 janvier comme un soutien aux interventions militaires de l’impérialisme français : « Il y a un lien entre le 11 janvier 2015 et le 11 janvier 2013 […] Le 11 janvier 2013, c’était le début de l’opération au Mali. C’est le même ennemi. La menace intérieure et la menace extérieure ne font qu’un ».

Et voilà pourquoi, au-delà des différences de situation, cette formule de Lénine, ce mot d’ordre de Lénine sont les nôtres.

Le 11 janvier a vu les dirigeants du PS, du PCF, de la CGT, de FO, de la FSU se ranger derrière le gotha de la réaction mondiale qui flanquait Hollande et Valls, les dirigeants de toutes les puissances impérialistes, ceux de l’Union européenne (Merkel, Cameron, Rajoy), la brochette des égorgeurs des peuples, les Netanyahou, Sissi, Bongo. Elle faisait suite aux attentats djihadistes des 5 et 7 janvier (voir le communiqué de notre Groupe dans ce numéro).

Le 13 janvier, après une Marseillaise unanime qui n’avait pas résonné au Palais-Bourbon depuis 1918, les députés adoptaient à l’unanimité moins un député UMP – avec l’abstention des députés du PCF, abstention pas moins infâme que le vote favorable des députés PS, « frondeurs » compris - le renforcement de l’intervention militaire française en Irak. Le porte-avions “Charles-de-Gaulle” était envoyé aux abords de ses côtes. Les annulations de postes dans l’armée étaient pour une bonne part elles-mêmes annulées. 1400 postes étaient créés dans la police.

La manifestation du 11 janvier avait été convoquée sous la bannière de la « liberté d’expression ». Elle n’a pas tardé à se révéler pour ce qu’elle était : à savoir le contraire de ce qu’elle prétendait être, un formidable levier pour interdire la liberté d’expression. Le sommet de l’ignominie était atteint par la ministre de l’Éducation nationale, Vallaud‑Belkhacem. Cette dernière répondait à l’Assemblée nationale au sinistre Goasgen, député UMP, applaudisseur frénétique de tous les massacres opérés par l’État d’Israël contre le peuple palestinien, militant de toujours pour la pénalisation de l’antisionisme.Abondant dans le sens de ce dernier qui réclamait des sanctions contre tous ceux qui avaient refusé dans les établissements scolaires de participer au grand frisson sacré de la minute de silence, elle annonçait des sanctions, pas seulement lorsqu’il y avait « apologie du terrorisme », mais lorsqu’avaient été posées des « questions insupportables ». Parmi ces « questions insupportables » , elle en citait une entre autres : « N’y a-t-il pas deux poids deux mesures » ?

En effet, n’y a-t-il pas deux poids, deux mesures quand on se rappelle que Hollande, grand pourfendeur de la barbarie contre les dessinateurs de Charlie Hebdo, avait applaudi aux massacres de Gaza cet été, déclarant que c’était « le droit d’Israël de se défendre », allant jusqu’à interdire des manifestations contre les massacres à Gaza et à faire inculper un de ses organisateurs ?

On lira avec attention dans ce même numéro l’article consacré à l’Enseignement. Qu’il nous suffise ici de dire ce qu’il en est des « défenseurs de la liberté d’expression » qui sont au gouvernement : 4 mois de suspension pour un professeur de philosophie de Poitiers accusé d’avoir invité les élèves à réfléchir sur « les causes du terrorisme » ; des gosses de 8, 9 ans interrogés dans les commissariats de police, pour ne pas avoir respecté la minute de silence, et dans certains cas, leurs parents poursuivis pour avoir protesté ! Et pendant ce temps, l’éditorial du SNES – le journal du syndicat censé défendre l’enseignant de Poitiers titrait son éditorial : « Toujours Charlie ! ». Ce qui, nonobstant le fait que les responsables syndicaux locaux ne peuvent faire moins que protester contre la sanction, signifiait : « Vous pouvez cogner ! ».

Cogner ? C’est ce que font les flics à Calais contre les immigrés syriens, afghans, érythréens et autres qui cherchent désespérément à passer en Angleterre et, en attendant, vivent dans des conditions ignobles de froid, de crasse, de sous-alimentation : des dizaines de cas de brutalité allant jusqu’à des fractures de membres. Et lorsque les associations de défense des immigrés s’en plaignent publiquement au ministre Cazeneuve, celui-ci s’indigne : « Les faits ne sont pas avérés. Et ils peuvent toujours porter plainte... à la police ».

Valls parle, selon Le Monde du 14 janvier, d’un « esprit du 11 Janvier ». C’est sans doute cet « esprit du 11 Janvier » qui a conduit, depuis ladite date, à des dizaines de condamnations pénales à des peines allant jusqu’à des années de prison fermes « pour apologie du terrorisme » - le plus souvent suite à une simple altercation avec la police. C’est cet « esprit du 11 Janvier » qui a conduit à la multiplication depuis cette date des agressions anti-arabes (davantage en quelques jours que durant toute l’année 2014). On voit quel sens précis il faut donner à la déclaration du même Valls à l’Assemblée : « Nous sommes en guerre ». C’est vrai. Et on sait contre qui.

 

L’ «esprit du 11 Janvier » plane sur la discussion parlementaire de la loi Macron

 

L’« esprit du 11 Janvier » est partout. Il est aussi et d’abord à l’Assemblée nationale. Car dès le 12 janvier, à l’Assemblée, il n’y a pas relâche. L’offensive anti-ouvrière ne saurait connaître de trêve sous prétexte des événements. C’est tout le contraire. L’Union nationale doit permettre d’accélérer l’offensive. À l’ordre du jour, ouverture de la discussion sur la loi Macron. Le Monde raconte :

« La tonalité des débats, en ce premier jour de réunion de la commission spéciale, est loin d’être à l’affrontement. Probablement la gravité du moment y contribue-t-elle, mais pas seulement. “On n’était pas sur les articles les plus difficiles mais ça n’empêche pas de constater que nous sommes dans un climat très constructif”, reconnaît Jean Frédéric Poisson, porte-parole des membres de l’UMP de la commission »

L’« esprit du 11 Janvier », « mais pas seulement ». En effet ! Il y a aussi le contenu de la loi Macron qu’en conscience – si on peut dire – l’UMP ne peut qu’approuver. De cette loi Macron, Hollande a fait une étrange apologie : « Ce n’est pas la loi du siècle ». Il a ses raisons. Mieux vaut la banaliser le plus possible. Autrement dit, mieux vaut en masquer le contenu : à savoir une attaque qualitativement supérieure à tout ce qui précède contre ce qui reste d’acquis du prolétariat.

Gérard Filoche, membre du Bureau national du PS – et dont on se gardera bien d’endosser toutes les positions politiques, en particulier son récent appel (lui aussi) à la manifestation du 11 janvier, a une autre appréciation. Il caractérise cette loi comme « le recul le plus spectaculaire du droit du travail depuis le Conseil national de la Résistance », autrement dit depuis les conquêtes qui ont suivi la seconde guerre mondiale, conquêtes qui étaient le sous-produit de la mobilisation révolutionnaire des masses, consécutive à la Libération. Et il détaille pourquoi :

- extension du travail du dimanche, derrière laquelle il faut voir la volonté de « casser la semaine de travail et la durée légale du travail ». Par ailleurs, la prétendue augmentation du salaire horaire du travail du dimanche est une escroquerie puisque celle-ci est soumise à « négociation avec les partenaires sociaux » donc au bon vouloir patronal ;

- jusqu’à minuit, le travail n’est plus considéré comme travail de nuit mais rebaptisé « travail de soirée »;

- facilitation des licenciements en cas de « plan social » . Le patron décide à sa guise de qui il licencie en fonction du seul impératif du profit. Les « maisons-mères » sont dispensées de l’obligation de financer les « plans sociaux » dans les filières ;

- fin de l’élection des conseillers prud’homaux ;

- transformation des amendes pénales en amendes administratives pour les patrons, remise en cause des prérogatives des inspecteurs du travail au profit d’arrangements entre les directeurs du travail (hauts fonctionnaires) et les patrons ;

- remise en cause des prérogatives de la médecine du travail : visites moins fréquentes, qui pourront, dans certains cas être effectuées par d’autres professionnels (qui seront plus aisément sous influence patronale) ;

- possibilité élargie d’ouvertures de lignes de bus privées entre villes, ce qui consiste à organiser une concurrence à bas prix par rapport à la SNCF (comme le gouvernement l’a déjà fait pour le fret), dans le but évident de fermer des lignes et d’exercer une pression supplémentaire dans le sens de la liquidation du statut cheminot.

Mais si graves que soient déjà ces attaques, le clou de la loi Macron est sans doute ailleurs, dans l’amendement de l’article 2064 du Code civil. Jusqu’ici, la relation patron-salarié faisait exception à la règle qui régit les contrats privés entre personnes. Ces derniers contrats stipulent les obligations des uns et des autres et interdisent pour le temps que dure le contrat tout appel à la justice tant que les termes librement négociés entre les deux parties sont respectés. À l’inverse le contrat de travail, contrat de subordination du salarié à l’employeur, impliquait jusqu’à présent que cette subordination était nécessairement encadrée par le Code du travail, limite légale à l’exploitation, quand bien même le salarié – du fait d’une situation de détresse particulière – se déclarerait prêt à renoncer aux garanties qu’il offre.

C’est précisément ce statut d’« exception » du contrat de travail qui disparaît, permettant au patron et au salarié de décider d’un commun accord, « librement », que, dans ce cas, le Code du travail n’est plus opposable. Cela veut dire que le « Code du travail » devient optionnel. C’est la mort de celui-ci, le retour au « contrat de gré à gré », à la loi Le Chapelier qui, en 1791, au compte de la bourgeoisie et contre le prolétariat en plein essor, interdisait à la fois les coalitions ouvrières et les droits et conventions collectives pour les travailleurs. C’est donc peu dire avec Filoche qu’il s’agit du recul le plus spectaculaire du droit du travail depuis le Conseil national de la Résistance ».

 

Dirigeants CGT et FO ne font même pas mine de combattre la loi Macron

 

Force est de le constater : les dirigeants CGT et FO n’ont pas même fait mine (on peut déjà employer le passé) de combattre cette loi.

Il faut commencer par évoquer la suppression de l’amendement sur “le secret des affaires”, finalement retiré de la loi, qui permettait d’inculper quiconque était accusé d’avoir divulgué des informations sur l’entreprise au nom de la lutte contre “l’espionnage industriel”. À ce propos, la confédération CGT s’est fendue d’un bref communiqué, qui commence ainsi : « Suite à une forte mobilisation des journalistes et des citoyens, l’amendement qui devait introduire la notion de ‘‘secret des affaires’’ dans la loi Macron a été retiré à la demande du gouvernement, ce 30 janvier. Dans un communiqué du 1er février, le SNJ CGT se réjouit du retrait d’un amendement qu’il a qualifié de liberticide… »

Tout est pesé dans ce court texte :

1°) Il est bien souligné que les travailleurs – et donc la confédération – ne sont pour rien dans le retrait de cet amendement, qualifié pourtant de ‘‘liberticide”. Alors que non seulement le mouvement ouvrier doit être à la pointe du combat pour la défense des libertés démocratiques, mais encore que cette loi aurait représenté un formidable moyen d’imposer le silence à tout syndicaliste et, plus généralement, à tout travailleur, sous peine de 3 ans de prison et 375000 euros d’amende (le tout double, en cas d’» atteinte aux intérêts économiques essentiels de la France »).

2°) Message implicite aux patrons, au gouvernement : la direction de la CGT, quant à elle, continuera à pratiquer la « confidentialité », nécessaire au « bon fonctionnement » des organismes de participation (conseils d’administration…).

Sur la loi elle-même, le 26 janvier, la direction de la CGT a publié un communiqué dont voici le début :

« Ce lundi, jour de l’ouverture du débat parlementaire sur le projet de loi Macron, des milliers de salariés de retraités et de privés d’emplois se sont rassemblés et ont manifesté leur hostilité à ce projet de loi, incarnant déréglementation du travail, les attaques contre la prud’homie, privatisation, diminution des protections et des garanties collectives des salariés au profit du patronat et de la libéralisation du travail. Depuis plusieurs jours sur tout le territoire, de nombreuses initiatives (manifestations, rassemblement, dépôt de motion, interpellation des députés, pétition…) ont eu lieu. Dans plusieurs départements, ces initiatives, souvent unitaires avec FO, Solidaires et FSU ont convergé vers les préfectures, les chambres de commerce et d’industrie et les permanences des élus parlementaires. »

Ainsi, la direction de la CGT a opposé à la nécessaire centralisation du combat pour le retrait de la loi Macron dans une manifestation nationale à l’Assemblée nationale pour imposer à la majorité PS-PCF, la poussière des initiatives disloquées “vers les préfectures, les chambres de commerce et d’industrie et les permanences des élus parlementaires.”. Tout travailleur sait bien que ce genre d’‘‘initiative” ne peut aboutir à rien d’autre qu’à entériner la loi.

Il sait en particulier ce qu’il faut penser de la “délégation à la permanence des élus” (toutes tendances confondues), puisque c’est cette tactique qui a déjà été mise en œuvre sur la loi flexibilité (dite ANI) du gouvernement avec le succès que l’on sait. Car ce n’est certes pas par une discussion policée entre gens de bonne compagnie que la loi peut être retirée. La nouvelle manifestation de veulerie des prétendus “frondeurs” du PS, qui après avoir menacé de refuser de voter la loi s’adressent aujourd’hui respectueusement à Hollande, le montre encore : “En retirant de la loi ses dispositions les plus contestables – et en gardant quelles autres ?, ndlr - l’exécutif saurait faire de cette année 2015 le point de départ d’une relance réussie du quinquennat”. Il faut en conclure que le combat effectif pour le retrait de la loi supposerait l’irruption massive du prolétariat sur son propre terrain de classe, allant saisir la majorité à l’Assemblée pour la contraindre à refuser de la voter. Mais de cela, ni la direction Lepaon, ni la direction Martinez – que la presse complaisante affecte de croire “plus dure” -, ne veut entendre parler.

 

Pour Mailly, dirigeant FO, le salut passe par le dialogue avec l’UMP

 

« Le sursaut républicain du dimanche 11 janvier appelle des décisions et des orientations qui ne peuvent être uniquement, même si elles sont nécessaires, des réponses en termes de sécurité et de justice. »

Dans son interview à France 2 du 28 janvier, Mailly prend sa place pleine et entière dans l’union nationale, y compris le soutien aux mesures sécuritaires du gouvernement. Et d’ailleurs lorsqu’il évoque la loi Macron, ce n’est jamais du point de vue des intérêts ouvriers, mais toujours du point de vue de l’‘‘intérêt national”. Il ne s’agit pas de combattre pour le retrait de la loi Macron, dont la “critique” est plus que limitée (« loi fourre-tout, avec une logique de fond qui est une logique libérale »), mais pour une « autre politique économique... », dont il prétend d’ailleurs qu’elle serait davantage favorable aux entreprises, c’est-à-dire aux patrons. « Il y a un problème d’orientation économique en France... Il faut rebooster l’économie, redonner confiance (ndlr à qui ?), savoir où l’on va... Quand vous avez une croissance très faible » , « un pouvoir d’achat qui est en berne, quand beaucoup d’entreprises (ndlr : voilà ; on sait à qui !) vous disent qu’elles ont des problèmes de demande (...), on a un chômage qui malheureusement augmente », déplore Mailly.

Passons sur l’éternelle baliverne qui consiste à expliquer aux patrons qu’ils ont intérêt à augmenter les salaires, donc à diminuer leur propre profit ! Le fait est que Mailly se soucie d’abord du carnet de commandes des entreprises, prétendant au fond que patrons et ouvriers sont ensemble victimes du « problème d’orientation économique ». En somme, et au bout du compte, les intérêts des uns et des autres coïncident. Ce n’est donc pas une surprise de voir Mailly se féliciter, au sujet de la loi Macron, d’être reçu… par le groupe UMP, dont le seul rôle au Parlement est de pousser le gouvernement à aller plus avant, plus brutalement contre les intérêts ouvriers « On a demandé à être reçus par les groupes » à l’Assemblée nationale, a-t-il signalé. « L’UMP nous a reçus,  mais pas le groupe socialiste. ». Inutile d’en dire plus....

 

La collaboration des dirigeants syndicaux à la remise en cause des délégués du personnel

 

CPS n° 55 avait indiqué l’objectif de la concertation sur le “dialogue social” dans l’entreprise et les “seuils sociaux”. Le MEDEF s’était saisi de la proposition de Rebsamen, ministre du travail, qui affirmait clairement l’objectif : faire sauter les “seuils sociaux” qui instituent le droit des travailleurs d’élire leurs délégués du personnel à partir de 11 salariés. Il était allé plus loin, non seulement en reprenant cette proposition à son compte, mais encore en préconisant la fusion de toutes les instances (DP, CE, CHSCT) en un seul “conseil d’entreprise”. Le délégué syndical – qui dans le cadre actuel est nommé par le syndicat d’une organisation nationalement “représentative” - devait désormais, selon ces propositions, faire partie des élus du Conseil d’entreprise (ce qui faisait disparaître de nombreux délégués syndicaux de syndicats minoritaires).

CPS 55 avait aussi indiqué le fait que les appareils syndicaux – CGT et FO – avaient d’ores et déjà accepté la suppression des DP dans les entreprises de 11 à 50 salariés et concluait : « En prenant en charge l’éviction des délégués du personnel des entreprises, les appareils CGT et FO font œuvre de haute trahison : ils désarment la classe ouvrière dans l’entreprise au moment où le patronat et le gouvernement par la voix du banquier Macron, livrent bataille pour faire des négociations au niveau de chaque entreprise le cheval de Troie pour laminer les acquis ouvriers, en particulier la durée légale du temps de travail. »

Mais, dira-t-on, la “négociation” a finalement échoué et il n’y a pas eu accord. Pourtant, tout était réglé. La CGT et FO, après avoir fait leurs “propositions”, ne signaient pas, laissant CFDT, CFTC et CGC signer, permettant de valider l’accord (puisque les trois font plus de 50% des voix). Et voilà qu’au dernier moment, pressés par plusieurs milliers de signatures contre l’accord, les représentants de la CGC font volte-face et renoncent à signer.

Du coup dirigeants CGT et FO se félicitent bruyamment. Mais le gouvernement et le MEDEF ne sauraient renoncer. Signature ou pas, ils peuvent s’appuyer à fond sur le fait que les mêmes dirigeants leur ont fourni abondance de munitions pour porter un coup aux droits syndicaux. Rebsamen a d’ailleurs annoncé immédiatement après l’“échec” de la concertation MEDEF-directions syndicales la relance de la dite concertation sous la houlette du gouvernement. Cela tombe bien : les dirigeants syndicaux ne voulaient plus se réunir au local du MEDEF mais “en terrain neutre”. Le but est de négocier un “projet de loi” qui, d’une manière ou d’une autre, reprendra tout ou partie des exigences du MEDEF. Ce n’est donc que partie remise.

 

Les syndicats demeurent un enjeu de première importance de la lutte des classes

 

La politique des directions syndicales suscite cependant des résistances au sein même des organisations. À travers l’épisode qui a abouti au départ de Lepaon, on a vu de nombreuses prises de position qui, loin de se situer sur le terrain vermoulu des règlements de compte au sein de l’appareil, reliaient le combat contre les mœurs corrompues du sommet et l’orientation de la direction CGT, en particulier sur la question des “seuils sociaux”. On lira avec attention parmi les contributions militantes dans ce numéro l’intervention d’un délégué syndical CGT à l’Assemblée des syndicats CGT du Puy-de-Dôme et l’écho incontestable recueilli. C’est bien pourquoi les intérêts généraux de l’appareil exigeaient que soit mis fin au “désordre” au sommet qui libérait dans une certaine mesure la parole des militants. Ce qui vient d’être fait avec la nomination de Martinez comme secrétaire général, et de son équipe, après des semaines de guérilla interne.

Au moment où ces lignes sont écrites se tient le congrès national confédéral FO. Même dans le cadre de ce congrès, où comme à la CGT, le filtre fonctionne pour que les voix discordantes soient écartées, il est possible que parvienne un écho assourdi de l’interrogation de militants sur le soutien de Mailly à l’union nationale et au dialogue social. C’est en tout cas ce que laisse entendre le compte-rendu du premier jour de congrès par le journal Le Monde:

« C’est devant une salle peu attentive que Serge Gentili, un militant FO d’Aéroports de Paris, a recouru à des accents révolutionnaires lors du 23congrès de Force ouvrière. “ Il faut que notre confédération se radicalise contre le capitalisme, a-t-il lancé aux 2 500 délégués réunis à Tours, lundi 2 février. Il faut rompre avec un faux dialogue social qui est une mascarade.” Avant lui, d’autres délégués d’extrême gauche ont réclamé une grève interprofessionnelle pour « bloquer l’austérité ».

Le Monde mêle tout et son contraire – en ajoutant d’ailleurs la remarque fielleuse d’une “salle peu attentive”. Car à vrai dire, l’évocation de la “grève interprofessionnelle” ne gêne en rien l’appareil central. C’est même devenu à FO une incantation rituelle, celle de la grève de 24 heures, suite à quoi tout rentre dans l’ordre. Autre chose est évidemment la demande de rupture avec le dialogue social (même si on peut contester l’adjectif “faux” dialogue social”, puisqu’au contraire il s’agit d’une “vraie” collaboration pour liquider les acquis ouvriers). À la CGT, comme à FO, et aussi à la FSU, la contradiction entre la politique bourgeoise de l’appareil et la nature de classe de l’organisation syndicale n’a pas disparu. Elle ne pourra que resurgir avec force dès que le prolétariat lui-même se remettra en mouvement.

 

Le prolétariat plus que jamais paralysé

 

Ce n’est certes pas encore le cas. L’épisode de l’union nationale n’a fait que renforcer le sentiment d’impuissance du prolétariat. Les rares tentatives de mouvement, dans la plupart des cas, se fracassent sur la politique des appareils syndicaux.

Ce fut le cas chez les éboueurs de Marseille. Après 5 jours de grève, les éboueurs ont repris le travail sans obtenir la moindre de leurs revendications. Non seulement ils n’ont pas obtenu le retour au système du fini – parti qui pendant des décennies avait permis aux éboueurs de quitter le travail au terme de la tournée. Mais encore, la très modeste revendication de création (ou plutôt de rétablissement) de 10 des 25 postes supprimés précédemment est passée à la trappe. Tessier, le représentant patronal de la collectivité de communes, exulte : « Il n’y aura pas une création de poste, seulement de la mobilité interne ». Quant au responsable FO, Rué, après avoir expliqué que « la grève, c’est ce qu’il faut absolument éviter » et que la direction avait dû lancer un préavis sur l’injonction de la base, il se flatte de sa propre capitulation : « La preuve est faite qu’entre gens sensés, on peut arriver à un accord ». Et Tessier peut conclure : « La privatisation n’est pas un sujet tabou », indiquant par là, que contre les éboueurs, il entend pousser son avantage.

L’issue est la même chez les chauffeurs routiers. Dans ce secteur, la concurrence des ouvriers des pays de l’est de l’Europe est terrible. En vertu du scélérat accord européen sur les “ travailleurs détachés”, ils peuvent être embauchés en France sans que le patron soit astreint à payer les cotisations sociales de droit français. Mais il y a plus. Les grandes entreprises de transport routier comme Dentressangle ont créé leurs propres filiales dans ces pays, ce qui leur permet de payer les camionneurs pour un salaire de quelques centaines d’euros. Elles tournent la loi qui en théorie limitent la durée de travail de ces camionneurs en France. Dans ces conditions les salaires des travailleurs routiers, y compris ceux dont le contrat de travail est entièrement soumis au droit français, est misérable. D’où la revendication de 5% d’augmentation.

Mais les routiers sont victimes d’une véritable politique de bousille de la part de leurs dirigeants syndicaux. Il ne s’agissait pas véritablement de grève, mais de barrages “ciblés” et limités. Ajoutons que le “mouvement” était appelé par plusieurs syndicats, dont la CGT et FO, mais pas par le syndicat majoritaire CFDT, qui finalement appelait le mercredi 28 tout en indiquant à qui voulait l’entendre que “personne ne peut donner une augmentation de 5%”. Et dès 17 heures, tous les dirigeants syndicaux appelaient à lever les barrages au nom de l’ouverture des négociations sous l’égide du gouvernement. Dans ces conditions, point besoin d’être grand clerc pour connaître l’issue des dites négociations. C’est la défaite totale qui est annoncée.

 

La situation de la bourgeoisie française l’exige : le gouvernement est sommé de frapper toujours plus fort !

 

C’est fort de cet immense désarroi du prolétariat que la bourgeoisie exige du gouvernement qu’il frappe toujours plus fort. “ Fouette, cocher !” voilà ce qu’exige inlassablement les représentants du capital financier du gouvernement Hollande-Valls-Macron-Pinel, son obligé.

« Il faudrait des remèdes autrement plus vigoureux pour sortir le pays – et la zone euro – du piège de la “stagnation séculaire” », déclare doctement Claire Guélaud dans Le Monde de l’Économie. Et de citer favorablement le livre de Marie-Paule Virard et de Patrick Artus (ce dernier est conseiller économique de la banque Natixis) :

« Ils proposent de ramener le smic de 62% à 50% du salaire médian - soit une baisse de 20%, ndlr - … “de mettre en place un contrat de travail unique – c’est-à-dire de liquider le CDI –, de repousser d’une année l’âge de la retraite pour tous et de stabiliser les dépenses vieillesse dans le produit intérieur brut à 14%, de placer les négociations salariales sous surveillance ».

Déjà on peut entendre le fracas des premiers tirs d’artillerie qui précèdent la prochaine offensive au sol en particulier contre la jeunesse. Cela prend comme toujours la forme de “rapports” dont le gouvernement commence toujours par dire qu’“ils ne l’engagent pas” : par exemple celui qui propose de faire payer au tarif fort des droits d’inscription aux étudiants étrangers (pour commencer) ; ensuite, celui qui suggère la fin de l’APL pour les étudiants ou la fin du cumul de cet APL et de la demi-part fiscale liée à la déclaration de l’étudiant comme faisant partie du foyer fiscal. On ne fera que mentionner ici la nouvelle offensive contre l’enseignement public en particulier la réforme des collèges (voir Article enseignant).

Aucune illusion ne peut être entretenue : le feu roulant des attaques ne peut cesser que si le prolétariat et la jeunesse le mettent en échec. Car cette nécessité est guidée par la situation de la bourgeoisie française dans le cadre de la crise récurrente du mode de production capitaliste.

 

Économie : une situation périlleuse en Europe, plus périlleuse encore en France

 

« La reprise économique s’esquisse pour 2015 », titrait Le Monde du 24 décembre. C’est bien connu, et comme le dit la chanson : « Le bonheur, c’est toujours pour demain ». Mais en l’occurrence Le Monde du 24 décembre nous invite à croire... au Père Noël. Car à regarder les données objectives, strictement rien n’annonce une quelconque amélioration. La dette continue d’enfler (elle a pris 4 points de PIB en 2014), l’activité du secteur privé continue à se contracter, l’investissement des entreprises continue à diminuer ou stagne (dans les meilleurs trimestres), le chômage vole de record en record. Selon les chiffres officiels – qui sous-estiment grossièrement – voir à cet égard ce qui était dit dans CPS 55 – il y a eu 189 000 chômeurs de plus en 2014, après 174 800 de plus en 2013, près de 600 000 de plus depuis l’élection de Hollande. Dans les banlieues, il touche 50% des jeunes, un chiffre “grec” ou “espagnol”.

Sur le marché mondial, dans les relations entre puissances capitalistes, c’est la lutte de chacun contre tous. Mais en même temps, chacun dépend de tous. C’est encore plus vrai à l’échelle de l’Europe. Or la situation de l’Europe est particulièrement périlleuse. Jusqu’à un certain point, le taux de change entre monnaies est l’expression du rapport de forces entre les différentes puissances capitalistes – même si, de manière contradictoire, les uns et les autres, comme on le verra, ont intérêt à avoir une monnaie la plus faible possible pour gagner des marchés. En tout cas, il est hors de doute que dans la conjoncture présente la baisse de l’euro par rapport au dollar en particulier est l’expression de la faiblesse des économies des pays d’Europe.

Partout en Europe (sauf en Allemagne) une dette qui enfle, des investissements stagnants, et une déflation dont la menace se précise (‑ 0,2% en décembre) : déjà un fait dans le sud de l’Europe, elle se propage en son cœur, en particulier au sein de ce qui est censé constituer sa locomotive, l’Allemagne, où les prix à la consommation ont chuté de 0,3% en décembre, une première depuis 2009. Or cette déflation est à la fois l’effet de la récession (en particulier de la baisse des salaires et du resserrement du marché qui pousse à la baisse du prix des marchandises), et la cause de son amplification (puisque chacun attend pour acheter – ou s’agissant des capitalistes pour investir – que les prix baissent).

C’est ce qui a conduit Draghi au nom de la BCE à annoncer l’achat sur 18 mois de plus de 1100 milliards d’obligations sur le marché dit “secondaire” d’obligations d’État. Refusant de payer pour les autres, l’impérialisme allemand avait toujours opposé son veto à des rachats massifs de titres de dettes souveraines par la BCE. À présent, il s’y résout parce que la détérioration de la situation économique de ses rivaux au sein de l’UE pèse de plus en plus sur sa propre croissance, inférieure à celle de l’ensemble de la zone euro aux deuxième et troisième trimestres 2014. Pour autant, c’est aux conditions de l’impérialisme allemand qu’a été prise la décision de la BCE. D’une part, Merkel a insisté pour que ce « quantitative easing » soit couplé à l’intensification des « reformes structurelles » que chaque gouvernement devra mettre en œuvre sur le dos de son prolétariat. D’autre part la BCE ne conservera à son bilan que 20% des titres achetés, le solde étant porté à celui des banques centrales nationales afin de réduire au maximum la mutualisation des risques, honnie par l’Allemagne. Une nouvelle fois, éclate au grand jour la véritable nature de l’UE : un cadre de coopération conflictuelle entre impérialismes rivaux, cadre où s’exerce l’influence prépondérante de l’impérialisme allemand.

Mais les divisions en Europe ne sont pas circonscrites à l’UE : elles s’expriment aussi à ses frontières, où la décision de la BCE a fait une première victime collatérale : la Suisse. Anticipant cette décision et la baisse de l’euro qu’elle allait entraîner, la Banque nationale suisse a annoncé de manière précipitée et sans aucune coordination la fin du « plancher » de l’échange du franc suisse contre l’euro. En clair, jusqu’à cette annonce, on ne pouvait contre 1 franc suisse obtenir plus d’1,20 euro. Désormais, cette limite n’existe plus. Il est clair que la décision de la BNS était dictée par les intérêts des banque suisses... fusse au détriment d’ailleurs de l’industrie suisse dont les produits sont renchéris à l’exportation, contraignant le patronat à s’adapter… en procédant à des baisses de salaires.

La conséquence de la décision de la BNS a été la valorisation du franc suisse de 30% par rapport à l’Euro. Ce qui en dit long sur la confiance des “investisseurs” dans les économies de l’Union européenne.

Le but de la BCE est évident : d’une part, inonder le marché d’euros et par conséquent, en augmentant la masse monétaire en circulation, provoquer mécaniquement un effet inflationniste ; d’autre part, par le même biais, obtenir une nouvelle dévalorisation de l’euro par rapport aux autres monnaies, et donc améliorer la compétitivité des marchandises produites en Europe sur le marché mondial ; enfin, permettre aux banques qui se débarrassent ainsi dans de bonnes conditions de leurs obligations d’augmenter leur capital disponible et donc leur possibilité de prêter aux capitalistes à des conditions qui pousseraient ces derniers à investir.

Pourtant une question hante les spécialistes bourgeois de l’économie. Est-ce que cela va marcher ? Et tous de dire : rien n’est moins sûr. Car les capitalistes n’investissent que s’ils ont la perspective de produire. Et ils ne produisent que s’ils ont la perspective de vendre. Or la vente est ardue du fait de la saturation du marché. Et le marché est saturé du fait que – nonobstant le caractère florissant du marché à l’usage de la classe bourgeoise elle-même – la consommation populaire est d’autant plus limitée que baissent salaires et retraites et qu’augmente le chômage. Mais n’en déplaise à Mailly cité plus haut, il ne saurait être question de résoudre le problème en augmentant les salaires, car l’effet serait la baisse de compétitivité, donc la mévente des marchandises, donc à nouveau la surproduction. Par quelque bout qu’on prenne les choses, l’impasse est celle du mode de production capitaliste lui-même. On ne peut trancher le nœud gordien qu’en en finissant avec le capitalisme lui-même.

 

Japon, Chine et États-Unis aussi

 

C’est dire les limites des expédients financiers de la BCE. Le problème est loin d’être propre à l’Europe. La BCE ne fait qu’emprunter le même chemin que la BoJ (Banque centrale du Japon) il y a deux ans. Or le Japon est aujourd’hui en récession. Certes dans un premier temps le yen a baissé, les exportations japonaises ont augmenté, la consommation de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie ont augmenté, stimulée en particulier par l’envolée boursière (les liquidités disponibles ont en effet alimenté la spéculation boursière). Mais l’effet a été de courte durée. La baisse du yen a renchéri les produits d’importation, en premier lieu l’énergie. Le gouvernement a décidé d’augmenter brutalement la TVA pour faire porter aux masses le fardeau de l’écrasante dette japonaise (plus de 200% du PIB). Du coup, la consommation populaire s’est effondrée. Fin du “miracle” japonais...

Des expédients financiers : c’est encore ce à quoi a recours le gouvernement chinois en décidant de baisser les taux d’intérêts de la banque centrale et de réduire le volume légalement obligatoire des fonds propres des banques. Là aussi il s’agit de stimuler les prêts bancaires, donc les investissements. De manière complémentaire, Pékin au début 2015 a donné son feu vert à un plan de relance de 920 milliards d’euros (16% du PIB chinois) en faveur de grands projets d’infrastructures afin de soutenir la construction, secteur-clef de l’économie chinoise. L’ensemble de ces mesures ont pour objectif d’enrayer la baisse de la croissance, située bien en-deçà du chiffre officiel de 7,4% pour 2014. Plus significatif encore est l’annonce de la contraction en janvier de la production industrielle chinoise, du fait notamment de la saturation des marchés d’exportation. Mais le remède risque d’être pire que le mal. La Chine croule déjà sous des milliers de projets non rentables (transports, stades et villes fantômes…), conséquences du gigantesque plan de relance décidé par Pékin en 2008. De ce fait, les banques chinoises sont grevées d’actifs douteux ou irrécouvrables. La crise de surproduction, le krach bancaire menacent.

C’est la situation de l’économie chinoise qui explique fondamentalement l’effondrement des matières premières : le pétrole mais aussi les métaux. Le pétrole comme le fer ont perdu plus de la moitié de leur valeur en six mois. Le facteur décisif, c’est le ralentissement économique, donc la baisse de la demande en énergie et en matières premières industrielles. Sans doute d’autres facteurs peuvent intervenir. Par exemple, il est clair que si l’Arabie Saoudite a décidé de ne pas réduire le débit de sa production, c’est aussi pour ruiner ou affaiblir ses concurrents : l’Iran, mais aussi les producteurs américains du gaz de schiste.

Mais cela constitue un élément secondaire. Le facteur premier, c’est encore et toujours la surproduction. Il faut avoir une bien courte vue pour imaginer que la baisse du pétrole, au-delà de l’effet d’aubaine qu’elle peut provoquer dans certains secteurs ou pour certains pays, constitue une “bonne nouvelle” pour l’économie capitaliste mondiale. Elle constitue au contraire une marque incontestable de la gravité de la maladie...

C’est dans ce contexte qu’il faut apprécier les communiqués de victoire, en premier lieu celui d’Obama dans son discours sur l’État de l’Union, sur l’économie américaine.

Il ne fait aucun doute que l’économie américaine a bénéficié – au détriment de ses concurrents – de la politique de la FED qui la première, avant la BoJ, avant la BCE, avait eu recours, et dans des proportions plus vastes, aux “rachats d’actifs”, le fameux “quantitative easing”, ainsi qu’à la baisse des taux directeurs (lesquels continuent d’ailleurs à être à l’étiage). Elle l’a fait en bénéficiant, en outre, de la place privilégiée du dollar dans les échanges mondiaux. Mais elle a bénéficié surtout – ce que les commentateurs bourgeois se gardent bien de dire - des violentes attaques contre les conditions d’existence de la classe ouvrière américaine permettant de lutter contre la baisse du taux de profit, et de la destruction de masses de capital vivant et mort (ce dont témoignent les fermetures massives d’usines dans l’industrie automobile par exemple).

Cela étant, les chiffres de l’économie américaine sont pour une large part une mystification. En premier lieu bien sûr celui du chômage. On annonce un taux de chômage de 5,6%. Mais le “taux de participation” - qui mesure la proportion de la population active qui occupe un emploi ou en cherche un - est de... 62%, en constante baisse ! Autrement dit, une proportion énorme de la population est dans une telle situation qu’elle a renoncé à chercher du travail. La réalité des États-Unis, c’est donc le chômage massif comme les salaires de misère. Là aussi : il faut rétablir les choses. On nous dit : il y a un point négatif dans la croissance américaine, à savoir la stagnation, voire la baisse des salaires. Mieux vaudrait dire : un des facteurs qui expliquent la “croissance” américaine, c’est justement... la baisse des salaries !

Et déjà, de nouveaux nuages s’accumulent. L’investissement des entreprises américaines, toujours inférieur à son niveau d’avant crise, a subi un net recul au dernier trimestre 2014 dans le domaine des biens d’équipements : - 2%, du jamais vu depuis 2009. Quant à l’embellie des firmes automobiles, elle arrive à son terme. Des bulles spéculatives menacent d’éclater dans plusieurs secteurs : sur celui jusqu’alors juteux du gaz de schiste, dont la rentabilité est remise en question par le prix bas du brut, mais aussi dans le secteur automobile, dont les ventes ont été artificiellement gonflées par le recours à des crédits subprimes, sur le modèle de ceux en vogue dans l’immobilier et à l’origine de l’éclatement de la crise financière en 2008 : en 2014, ce type de prêts a représenté le ¼ des 900 milliards de dollars de prêts auto consentis.

Enfin, toute une partie de la bourgeoisie américaine s’inquiète de la hausse du dollar dont l’impact se fait lourdement sentir. Le déficit commercial s’est ainsi creusé de 40 milliards au cours des trois derniers mois, détruisant près d’un point de croissance. Pour l’année 2014, il est en hausse de 6% par rapport à 2013. Euro, yen, dollar et même yuan : la guerre des monnaies s’intensifie, reflétant l’exacerbation des rivalités entre puissances, incapables de résoudre la crise et de ce fait contraintes, par le biais du cours des monnaies, à tenter de reporter sur leurs concurrentes une part toujours plus grande du fardeau de cette crise.

 

Grèce : un vote pour en finir avec la paupérisation, la misère, la déchéance
produites par la crise du capitalisme

 

Baisse des salaires, chômage de masse, liquidation du droit du travail, destruction des systèmes de santé et d’enseignement : face au déluge de feu qui s’abat contre le prolétariat, CPS a eu l’occasion d’analyser les raisons de la faiblesse relative de la réaction du prolétariat et sa raison fondamentale : son désarroi politique, sur lequel s’appuient, en même temps qu’elles l’alimentent, les directions traîtres du mouvement ouvrier. Et en même temps, nous n’avons cessé d’indiquer que dans des délais que nous ne pouvons prévoir, cette situation aura un terme.

Ce qui vient de se passer en Grèce sur le plan électoral donne une indication des développements à venir. Nous ne mettrons ici en évidence que quelques aspects essentiels de la situation dans ce pays, le prochain CPS comprenant un article plus approfondi sur les leçons qui s’en dégagent. La défaite nette du parti bourgeois Nouvelle Démocratie sur le plan électoral ne peut être séparée des tentatives faites par le prolétariat grec, la jeunesse pour en finir avec les attaques barbares contre ses conditions d’existence sur le terrain direct de la lutte des classes. À plusieurs reprises, le gouvernement grec confronté à la menace de la grève générale n’a dû son salut qu’à la politique de trahison éhontée des dirigeants syndicaux de la GSEE, de l’ADEDY utilement complétée par la politique de division de la PAME (centrale syndicale dirigée par le KKE, parti stalinien en Grèce). Remarquons qu’à la tête de ces organisations, les dirigeants syndicaux qui ont fait barrage au déferlement de la grève générale sont les dirigeants du PASOK, du KKE et aussi dans certains secteurs, tels celui de l’enseignement, ceux de Syriza lui-même.

Faute de trouver un débouché politique sur le terrain de la lutte des classes directe, le prolétariat et la jeunesse se sont saisis du terrain électoral pour chasser le parti Nouvelle Démocratie. Celui-ci était bruyamment appuyé par la “troika” haïe des masses grecques, troïka qui depuis des années exige inlassablement, au nom du paiement de la dette, baisse des salaires et des retraites, fermeture des hôpitaux et des universités, privatisations de tous les secteurs de l’économie, etc.

Il faut le noter. Ce n’est certes pas la première fois que le prolétariat grec se saisit du vote pour les partis d’origine ouvrière pour défaire la bourgeoisie. Rappelons que par exemple en 2009, les travailleurs avaient voté massivement pour le PASOK pour chasser – déjà - Nouvelle Démocratie. Il faut d’ailleurs indiquer que la défaite des partis bourgeois avait été à l’époque beaucoup plus ample encore qu’aujourd’hui. Les partis d’origine ouvrière rassemblaient 56% des voix contre environ 50 % des voix aujourd’hui.

Au sein de ce vote ouvrier, un fait dont la signification déborde de loin la Grèce est l’effondrement du PASOK. Depuis 2009, le PASOK a perdu plus de 9 électeurs sur 10 ! Il faut d’ailleurs y voir une preuve indirecte du caractère “ouvrier-bourgeois” de ce parti. La prise en charge directe, brutale, par le PASOK des plus violents plans contre les masses à travers le gouvernement Papandréou d’abord, puis sa participation au gouvernement Nouvelle Démocratie, a littéralement laminé ce parti car il ne peut exister qu’à travers le vote des masses laborieuses. À l’inverse, l’électorat bourgeois est resté largement fidèle à Nouvelle Démocratie qui ne perd qu’à peine plus de 100000 voix par rapport aux élections de 2012 par exemple.

Le second fait est la progression de Syriza. Syriza est à peine un parti. C’est un regroupement hétéroclite dont la colonne vertébrale est néanmoins constituée de l’ancien Parti communiste dit “de l’intérieur” flanqué d’une myriade de groupes plus ou moins gauchistes. En ce sens, il peut être considéré comme “parti ouvrier”, même s’il n’a pas hésité à intégrer en son sein des débris de groupes purement petits‑bourgeois, en particulier les “Verts” grecs.

La progression électorale de ce parti – qui depuis 2009 a multiplié par presque 7 le nombre de ses électeurs, la captation par lui d’une bonne partie de l’électorat qui se portait antérieurement sur le PASOK tient à une seule chose. Formellement, ce parti s’est prononcé contre les “mémorandum” pris en charge par les gouvernements dirigés par le PASOK puis Nouvelle Démocratie. Plus le temps passe, plus cette opposition apparaît d’ailleurs plus formelle que réelle. Avant même les élections, la direction de Syriza n’a cessé de donner des gages à la bourgeoisie grecque et aux dirigeants de la troïka ainsi qu’aux Églises, en premier lieu à l’Église orthodoxe grecque qui dispose de monstrueux privilèges (énorme propriété foncière, prise en charge par l’État du clergé, exonération fiscale). Voilà qui, du reste, explique largement les limites de la victoire de Syriza qui est bien loin de retrouver le vote populaire dont bénéficiait le PASOK en 2009. Le prolétariat grec a voté Syriza pour se débarrasser de Nouvelle Démocratie. Mais il l’a fait dans le plus grand scepticisme quant à la volonté réelle des dirigeants de Syriza de s’en prendre réellement au capital, ce dont témoigne aussi le faible enthousiasme populaire à l’annonce des résultats.

 

Syriza (comme le KKE et le PASOK) dressé contre la constitution d’un gouvernement des seuls partis ouvriers

 

Il n’en reste pas moins que le résultat des élections donne une majorité incontestable en sièges aux partis d’origine ouvrière à l’Assemblée nationale grecque, en vertu du système électoral qui amplifie considérablement au niveau des sièges l’écart en voix.

Syriza dispose de 149 sièges, le KKE de 17 et le PASOK de 13, soit 179 voix sur 300. N’en déplaisent à tous les commentateurs proches du PCF et des groupes plus ou moins gauchistes, il est juste de compter comme sièges de partis ouvriers-bourgeois les sièges du PASOK. La politique des dirigeants du PASOK a conduit à réduire à sa plus simple expression la force de ce parti. Il n’est pas encore détruit – quand bien même sa destruction n’est nullement impossible à brève échéance – et continue à avoir une réelle influence par exemple aux sommets des organisations syndicales.

La possibilité mathématique existe donc incontestablement de constituer un gouvernement des seuls partis ouvriers : un gouvernement Syriza-KKE-PASOK. Force est de le constater, les dirigeants de ces trois partis sont au moins d’accord sur une chose : pas question de constituer un tel gouvernement ! Mais évidemment la responsabilité principale appartient aux dirigeants de Syriza. Car c’est à eux que revenait la responsabilité de proposer la constitution d’un tel gouvernement. S’ils l’avaient fait, les dirigeants du KKE et du PASOK auraient été mis dans la situation de porter par leur refus la seule responsabilité de sa non constitution.

Si Syriza ne l’a pas fait, c’est pour une raison très simple. D’un tel gouvernement, les masses auraient été en situation de faire valoir leurs exigences. La toute première de ces exigences porte sur l’annulation pure et simple de la dette, le refus de la payer. Cette dette résulte à la fois des décisions budgétaires des gouvernements bourgeois, par exemple des sommes énormes englouties dans le budget militaire (la Grèce est ainsi le troisième client de l’industrie militaire française !) ; elle résulte de l’exonération d’impôts des patrons et de l’Église ; elle procède de prêts visant à renflouer les banques grecques, elles-mêmes souvent filiales de groupes bancaires émanant de puissances impérialistes dominantes. Elle n’est donc à aucun titre celle du peuple grec. Le peuple grec ne doit pas un sou !

Au-delà de cette première exigence, les travailleurs grecs auraient été amenés à en faire valoir d’autres : à bas l’euro ! rétablissement des salaires et pensions à leur niveau antérieur à 2008 ! rétablissement de tous les postes supprimés dans la Fonction publique ! annulation de toutes les contre-réformes du droit du travail, dans l’Enseignement, dans la Santé !

Inévitablement, l’exigence de l’annulation de toutes les privatisations opérées depuis 2009, de la nationalisation sans indemnité ni rachat de ces entreprises et des banques, de la soumission à l’impôt de l’Église et des capitalistes qui en sont totalement exonérés, sous peine d’expropriation immédiate, aurait surgi.

Voilà ce qu’il fallait éviter à tout prix. Et voilà pourquoi depuis des années les dirigeants de Syriza concoctaient cette alliance scélérate au gouvernement avec les Grecs Indépendants. Voilà pourquoi ils redoutaient plus que tout d’avoir une majorité absolue au Parlement, allant même jusqu’à s’abstenir de combattre pour qu’une partie de la jeunesse, frappée de plein fouet par la crise, puisse participer aux élections, ainsi que le révélait Libération la veille du scrutin : « la génération sacrifiée, les plus jeunes condamnés au chômage ou aux petits boulots à 400 euros, seront en partie exclus du scrutin. 100000 jeunes qui auront 18 ans cette année sont privés de vote. Ils auraient pu en principe être enregistrés sur les listes et voter, mais le gouvernement a invoqué une campagne électorale trop courte (3 semaines) pour anticiper cet enregistrement qui se déroule d’habitude en février. Reste que Syriza ne s’est pas trop battu pour ses voix perdues ».

 

En constituant un gouvernement avec les Grecs Indépendants, parti bourgeois ultra-réactionnaire,
les dirigeants de Syriza tentent de passer un nœud coulant autour du cou du prolétariat grec

 

Le parti des Grecs Indépendants est une scission de Nouvelle Démocratie. C’est donc un parti bourgeois qui dispose par ailleurs de caractéristiques bien précises.

C’est un parti ultra-clérical : « Nous croyons dans les valeurs et le caractère éternel de la religion orthodoxe », indique son programme. Il s’oppose à toute remise en cause des liens entre l’Église et l’État, il est violemment anti-laïque, se dresse contre la remise en cause de l’enseignement religieux à l’école, contre toute remise en cause des privilèges fiscaux de l’Église.

C’est un parti panhéllenique qui défend les revendications territoriales chauvines de la Grèce à Chypre, qui développe une rhétorique anti-macédonienne et anti-albanaise, qui défend l’énorme budget militaire grec et la place de la Grèce dans l’OTAN.

C’est un parti raciste, homophobe qui soutient que la Grèce ne doit pas tolérer plus de 2,5 % d’immigrés sur son territoire et donc chasser les autres.

C’est un parti qui non seulement se réclame clairement de la défense du capitalisme mais considère que la fiscalité sur les sociétés déjà dérisoire doit être baissée pour soutenir la « compétitivité » de l’économie grecque.

Voilà quelques-unes des « lignes rouges » que les Grecs Indépendants enjoignent à Syriza de ne pas franchir dans le cadre de l’alliance. En se rendant immédiatement après son intronisation au Mont Athos pour s’y incliner respectueusement devant les autorités de l’Église grecque, Tsipras a commencé à donner les garanties que ces « lignes rouges » ne seraient pas franchies. De même en nommant le dirigeant de ce parti au ministère de la Défense.

L’alliance avec les Grecs Indépendants  indique la nature du gouvernement Tsipras-Kammenos : un gouvernement bourgeois de collaboration de classes.

 

Tout dépend de la capacité du prolétariat et de la jeunesse grecs à imposer la rupture de l’alliance avec la bourgeoisie, l’expulsion du gouvernement des Grecs Indépendants

 

Il est tout à fait clair qu’avec un tel parti au gouvernement, aucune revendication ne peut être satisfaite pour les masses. Mieux encore, très rapidement, le feu roulant de l’offensive meurtrière contre elle reprendra inéluctablement. Du reste, les dix jours qui viennent de s’écouler sont très éclairants. En Europe, les prétendus amis et présumés ennemis du gouvernement Tsipras-Kammenos ont tous indiqué qu’il ne serait pas fait la ristourne d’un seul euro sur la dette grecque. La BCE a commencé à couper les fonds des banques grecques, lesquelles utilisaient ces fonds pour acheter de la dette publique grecque. Face à cela, le gouvernement grec a déjà de facto renoncé au combat pour l’annulation, ne serait-ce que d’une partie de la dette grecque. Le ministre de l’économie Varoufakis a donné toutes les garanties sur le fait que les privatisations opérées depuis 2008 ne seraient pas remises en cause.

La situation actuelle ne laisse pas place aux demi-mesures : ou bien la voie du combat pour l’expropriation du capital, la rupture avec la troïka et toutes ses exigences, ce qui commence par la dénonciation de la dette ; ou bien la soumission complète aux exigences du Capital, ce qui signifie que, non seulement les quelques engagements pris par Tsipras sur les augmentations des plus bas salaires et les retraites seront très rapidement mises au placard, mais encore qu’il faudra inlassablement programmer de nouvelles attaques. De par sa composition même, le gouvernement Tsipras-Kammenos ne peut emprunter que cette dernière voie.

 

En Grèce, en France, partout : la question décisive celle du Parti ouvrier révolutionnaire

 

Mais l’engagement du gouvernement Tsipras-Kammenos dans cette voie ne peut pas s’opérer sans soubresauts. Car la victoire électorale de Syriza s’est faite non seulement pour en finir avec les plans de misère et de famine de Samaras aux ordres de la troïka, mais aussi avec comme arrière-fond l’expérience de la trahison éhontée du PASOK depuis 2009. Comment les masses pourraient-elles tolérer sans réagir la reproduction par d’autres de la même trahison ?

La question qui demeure entière est de savoir ce qui triomphera de l’écœurement (voire du désespoir) ou de l’aspiration au combat pour une issue ouvrière. Nul ne peut prétendre avoir la réponse. Mais une chose est sûre : tout dépend de la constitution en Grèce d’un regroupement politique qui cherchera, contre la politique des dirigeants de Syriza, du KKE, du PASOK, les voies d’un programme révolutionnaire reliant l’exigence immédiate de constitution d’un gouvernement des seuls partis ouvriers appuyés sur l’existence de la majorité existant pour ces partis à l’Assemblée, au combat pour l’expropriation du capital, pour le socialisme. Inutile de le dire : un tel combat ne peut trouver d’issue sur le seul terrain national, quand bien même il s’engage d’abord sur le terrain national. C’est le combat pour les États-unis socialistes d’Europe.

A cet égard, dans des conditions différentes, c’est le même combat en France et en Grèce. C’est ce combat auquel, avec ses forces, notre Groupe pour la Construction du Parti Ouvrier Révolutionnaire, de l’Internationale Ouvrière entend contribuer. Nous invitons nos lecteurs à s’y associer.

 

 

Le 5 février 2015