Brésil :
Après les élections, le gouvernement de
collaboration de classes
Roussef‑Temer est prêt à reprendre l’offensive
au compte des intérêts de l’impérialisme et de la bourgeoisie.
Comment s’organiser pour ouvrir une issue politique ?
À peine réélue, Dilma
Roussef annonce qu’elle gouvernera au compte des intérêts de la bourgeoisie
Le 26
octobre au soir, Dilma Roussef était réélue, en ticket avec un représentant de
la bourgeoisie, Michel Temer, et de son parti le plus
traditionnel, le PMDB. Son score était officiellement de 51,64 %, avec
54 500 000 voix, tandis que son opposant, Aecio
Neves, recueillait 48,36 %, et 51 040 000
voix. Si les votes blancs et nuls ont
sensiblement reculé entre le premier et le deuxième tour, fait significatif,
l’abstention, elle, a augmenté pour dépasser 21 %. Au total, plus du quart des électeurs
n’a voté pour aucun des deux candidats. Une victoire étriquée pour le deuxième
mandat de l’héritière de Lula. En 2010, elle réalisait 56,05 % des inscrits, et
a même perdu en voix par rapport à il y a quatre ans : elle réalisait
alors 55 752 000 voix.
La
campagne a été très tendue entre les deux tours, faite de coups bas, de révélations
faites par la grande presse de scandales de corruption contre le PT, dans un
pays que la corruption gangrène. Si le camp du PT s’est un peu ressaisi,,
redonnant une tonalité de classe au scrutin, il n’était en réalité pas possible
de fait de voter pour la seule Dilma Roussef, comme candidate présentée par le
PT, mais bien pour un ticket représentant l’orientation de collaboration de
classe mise en œuvre depuis 12 ans. Et malgré les tensions de la campagne, le
soir même du second tour, Dilma Roussef tendait la main à son opposant du PSDB Aecio Neves, représentant les intérêts
de l’impérialisme au Brésil, au point que la presse anglo-saxonne le qualifiait
de candidat le plus ouvertement pro-marché depuis des décennies. Inquiète des
fluctuations boursières, Dilma Roussef voulait aussi rassurer les dits « marchés ».
Dans la foulée, un projet de loi présenté par le gouvernement Roussef-Temer se traduisait par la simplification de la fiche de
paie, c'est-à-dire l’exemption pour la bourgeoisie et les revenus supérieurs de
payer certaines cotisations sociales de fonds de prévoyance et de « soutien
au travailleur ». En contrepartie, le taux de l’équivalent local de la
TVA, la taxe SELIC, était augmenté.
De même,
tous ceux qui ont mené campagne pour une assemblée constituante en seront pour
leurs frais : Dilma leur annonce que la « réforme politique »
sera le fait du Parlement régulièrement élu, où d’ailleurs le PT a encore perdu
des sièges, passant de 90 à 70 sur 500.
La
nature du gouvernement de Dilma Roussef est bien la même que celle de son
gouvernement précédent : c’est un gouvernement bourgeois, dont la spécificité
est d’être un gouvernement de collaboration de classes, dans le sens où il est
vertébré par le parti ouvrier brésilien, le PT, en coalition avec d’autres
partis bourgeois, dont le PMDB, parti issu de l’opposition légale durant la
dernière période de la dictature militaire et qui a pris en charge la « transition
démocratique », en 1985, par l’élection du président Tancredo
Neves (le grand-père de Aecio
Neves), puis par Jose Sarney. Ce parti est le pivot
de l’alliance avec la bourgeoisie brésilienne, mais aussi des institutions
issues de la « transition ».
Une victoire étriquée, qui
marque le recul continu du PT
Au premier comme au second tour de cette élection,
la tendance au recul historique du PT s’est exprimée. Sans rentrer dans le détail,
ce tableau, qui ne prend en compte que les données du PT au premier tour depuis
2002, est tout à fait saisissant.
|
% des
exprimés |
Total
voix |
% des
inscrits |
2014
Dilma Roussef |
41,5 |
43 267
488 |
30, 56 |
2010
Dilma Roussef |
46.81 |
47 651
434 |
35, 14 |
2006 Lula |
48.60 |
46 661
414 |
40, 82 |
2002 Lula |
46.44 |
39 455
233 |
45, 81 |
On le
comprend clairement, depuis 2002, c’est un déclin très net pour le PT, en
pourcentage des inscrits, un recul continu (l’augmentation du nombre d’électeurs
jusqu’en 2010 est en réalité due à la croissance démographique importante du Brésil,
et à l’entrée de nouveaux inscrits dans le corps électoral). Il faut le dire
aussi, si le taux d’abstention de 19 % peut paraître faible, dans un pays où le
vote est obligatoire pour une partie des électeurs, il est le plus fort depuis
2006. Il faut ajouter les votes blancs et nuls, traditionnellement forts au Brésil :
28 % des électeurs ne se sont pas prononcés au premier tour, et ne sont pas décomptés
dans le total des exprimés.
Ce déclin
est donc marqué par une abstention ouverte ou indirecte, tout particulièrement
dans l’électorat traditionnel du PT. Ce qui se traduit notamment, dans la géographie
du vote Neves par rapport au vote Roussef. Le pays
semble coupé en deux, le Nordeste et l’Amazonie ont placé Dilma Roussef
largement en tête, tandis que le Centre, le Sud et le Sudeste
ont placé Aecio Neves
devant, parfois largement. Qu’est-ce que le Sud, le Centre et le Sudeste ? Ce sont les régions les plus peuplées,
notamment les régions industrielles du triangle, Rio, São Paulo, Belo Horizonte.
Dans l’État
de São Paulo, Neves est très largement en tête :
seule une poignée de communes, se comptant sur les doigts de la main, placent
Dilma Roussef en tête, dans un État de 40 millions d’habitants, le plus peuplé
de tout le pays mais aussi le plus industrialisé. La banlieue de São Paulo, qui
avait vu surgir de puissantes grèves contre la dictature et sa politique
salariale, grèves qui, s’opposant au « syndicalisme corporatiste » hérité
de la période de Vargas et contrôlé par la dictature, ont donné naissance à un
puissant mouvement ouvrier, le PT en 1980 et la CUT en 1983. C’est en
particulier dans l’ABC pauliste (du nom de trois villes de la banlieue sud de São
Paulo) que le PT a été fondé. Les résultats y sont historiquement
dramatiques ! A São Bernardo do
Campo (le B de l’ABC), les résultats, même en pourcentage des exprimés,
sont éloquents : en 2002, Lula réalisait au premier tour 60 % des voix, en
2006 encore 51 %, en 2010 Dilma Roussef était encore en tête avec 46 % des
exprimés et, en 2014, elle ne fait plus que 32 % et est devancée par Neves. A Santo André, le A de l’ABC, c’est la même courbe,
mais elle plonge plus vite encore : en 2002, on part de 57 % pour Lula, en
2006 celui-ci ne regroupait plus que 42 % de voix, en 2010 Dilma rassemblait 39
% des voix et en 2014 elle n’atteignait plus que 25 %, largement devancée par Neves (44 %), pour se retrouver à égalité avec Marina
Silva.
On
pourrait multiplier les exemples, dans l’État de São Paulo, dans le Minas Gerais, ou encore dans la région de Porto Alegre, municipalité tenue dans les années 90 par la
tendance du Secrétariat unifié qui y inventait le « budget
participatif »… Globalement, dans les régions les plus urbaines et là où
se trouve le cœur de la classe ouvrière brésilienne, c’est un désaveu cinglant
pour le PT.
Les élections de 2014
sanctionnent 12 ans de PT au gouvernement
Dès
2002, Lula a inscrit la politique du PT au pouvoir dans le cadre de la
soumission aux intérêts de l’impérialisme, à commencer par le paiement de la
dette extérieure, qu’il s’est engagé à honorer, avant même d’entrer au
gouvernement, au moment où le Brésil semblait menacé par la situation de
l’Argentine. Cet engagement l’a amené à défendre une politique qui a favorisé
le secteur agro-industriel, c'est-à-dire la classe des latifundiaires et les
grandes entreprises multinationales qui agissent au Brésil, soit en achetant
des terres, soit en produisant des semences OGM, pour permettre l’exportation
de produits agricoles, les produits tropicaux traditionnels, mais aussi le soja
ou l’élevage sur les terres défrichées de l’Amazonie.
Cette
politique a permis à ces groupes de dévaster la forêt primaire sans ménagement,
et sans régler la question foncière, puisque la « réforme agraire »,
véritable serpent de mer, a été encore plus ralentie sous les gouvernements du
PT qu’à l’époque de la dictature militaire, le dernier gouvernement militaire,
le gouvernement Figuereido (1979-1985), ayant
distribué plus de terres que le gouvernement Roussef (2010-2014). C’est
notamment l’augmentation des prix des produits agricoles qui a soutenu le boom économique
durant la période de gouvernement du PT. Pour autant, cette politique, dans la
continuité de celle menée depuis la dictature militaire, a fait connaître au Brésil,
comme à d’autres pays de la région, une certaine désindustrialisation, alors
que, notamment l’État de São Paulo avait connu un véritable développement au
milieu du XXe siècle, avec l’implantation d’industries métallurgiques
provenant pour certaines de capitaux étrangers, mais aussi, parfois, d’une
industrie locale soutenue autrefois par l’État, comme le montre le développement
d’une industrie nucléaire civile locale ou l’entreprise aéronautique Embraer, ou de la sidérurgie.
En
contrepartie de cette politique, une part minime du revenu national a été
consacré à une politique de soutien aux plus pauvres par l’intermédiaire de
bourses, subventions, aides (dont la plus connue est la « bolsa familia »). Ces
soutiens ont effectivement maintenu une partie de la population pauvre au
niveau de la ligne de flottaison, essentiellement dans les États de pauvreté
endémique que sont le Nordeste et l’Amazonie : paysans sans terre chassés
des campagnes, venant s’entasser dans les favelas, ou cherchant à s’employer en
Amazonie, où les latifundiaires ont réussi grosso modo à les exclure de la
course à la terre. C’est là l’essentiel de la politique sociale du PT.
Pour le
reste, le prolétariat a été touché par la politique des gouvernements vertébrés
par le PT : recul de l’âge de la retraite pour les fonctionnaires sous
Lula, privatisation des nouvelles activités de Petrobras, notamment sur les
champs pétroliers découverts dans la dernière décennie, privatisation des aéroports,
libéralisation du marché du travail par la sous-contractation
qui permet de déroger aux conventions collectives, investissement minimal dans
l’enseignement public ou dans la santé, maintien d’un large secteur privé dans
ces deux domaines. Même les dernières promesses faites après juin 2013
d’augmenter les budgets du plan national pour l’éducation ne distinguent pas
l’enseignement public de l’enseignement privé, c'est-à-dire qu’une part non négligeable
du financement public est absorbé par l’enseignement privé, constitué aussi
bien de l’enseignement confessionnel que de groupes privés.
Avec la
récession économique qui touche le Brésil depuis maintenant plus d’un an, la construction
autour du compromis PT-bourgeoisie brésilienne s’effondre : d’une part la
nécessité de s’en prendre aux « dépenses sociales » ressurgit pour la
bourgeoisie brésilienne ; d’autre part, le mythe de l’élévation du niveau
de vie d’une part de la population a commencé à s’effondrer, face à l’inflation
notamment. C’est le sens des journées de juin 2013.
Juin 2013, resurgissement de
la lutte des classes
C’est
de façon spontanée, après des années de calme, que la lutte des classes a
ressurgit au Brésil. En effet, le pacte du PT avec la bourgeoisie a été soutenu
de façon totale par la confédération syndicale CUT. Le prolétariat et la classe
ouvrière ont d’abord eu un préjugé favorable au gouvernement Lula qu’ils considéraient
comme le leur ; puis, devant sa politique ; ils se sont trouvé tétanisés
et paralysés par la collaboration de la direction de la CUT et la politique de
soutien de nombreuses tendances du PT. Cependant, cette déception, cette
amertume, s’était exprimée par le début du basculement du PT de son cœur
historique (São Paulo) vers le Nordeste, mais aussi par la scission du PSOL et
par le score relativement important d’Heloisa Helena
en 2006. Mais sur le terrain direct de la lutte des classes, rien ne s’était réellement
exprimé.
C’est
par la jeunesse que la lutte des classes s’est donc à nouveau exprimée au grand
jour, au départ par un mouvement contre l’augmentation du billet de transport
urbain. Si les « réseaux sociaux » sont pointés dans la mobilisation, il faut surtout souligner la
quasi-absence des organisations ouvrières (PT, CUT, UNE, etc.). On a même
constaté une tendance à s’en prendre au PT dans les manifestations, au point
que « O Trabalho », le courant lambertiste (1),
faisait campagne contre les « provocateurs », une tradition
maintenant bien ancrée chez ces derniers ! La réalité est surtout que le
mouvement ouvrier a été totalement dépassé, ses dirigeants s’étant trouvés dans
l’incapacité de contrôler le mouvement de la jeunesse qui a ébranlé l’ordre
politique brésilien ; la politique menée par celui-ci depuis des années,
en collaboration avec la bourgeoisie, a entraîné un rejet qui, certes par confusion réactionnaire,
s’étend au mouvement ouvrier lui-même. Ce sont donc les dirigeants du PT qui
portent la responsabilité de ce recul de la conscience.
Cependant,
malgré les manifestations massives, la jonction avec le prolétariat organisé a
eu du mal à se faire malgré quelques tentatives, notamment parmi les
travailleurs des transports publics de plusieurs localités. La responsabilité,
là encore, en incombe aux dirigeants de la CUT qui ont attendu la fin du
mouvement pour appeler à une journée d’action en juillet, improprement appelée « grève
générale », et dont les dirigeants eux-mêmes disaient qu’elle ne serait
pas dirigée contre Dilma, c'est-à-dire contre le gouvernement de collaboration
de classes. En réalité, cela a servi de couverture au gouvernement.
Les
journées de juin 2013 ont cependant libéré la lutte des classes jusque-là
largement comprimée. Même dans un ordre dispersé, d’importantes grèves
sectorielles se sont alors développées, aboutissant parfois à de retentissantes
victoires, comme la grève des balayeurs de Rio, qui ont obtenu une
substantielle augmentation de salaire, la grève des enseignants dans l’État de
Rio, la grève et l’occupation à l’université de São Paulo, la tentative de grève
dans le métro de São Paulo en juin 2014. Toutes ces grèves sont marquées par la
question des salaires.
________________
(1) Courant
ainsi nommé car dirigé par Lambert jusqu'à sa mort, courant dont le représentant français est le CCI (« courant
communiste internationaliste », lequel dirige en France le POI, « Parti
ouvrier indépendant »).
La question de la
constitution, utilisée par les appareils pour soutenir Dilma
Très
rapidement, en juin 2013, face à la menace politique représentée par le
surgissement de la lutte des classes, Dilma Roussef a proposé une « modification »
de la constitution, et un référendum pour ce faire. C’était évidemment une
diversion par rapport aux revendications, et une manœuvre bonapartiste. Les
partis bourgeois de la coalition gouvernementale s’y sont refusés, leur intérêt
étant dans le maintien des institutions issues de la « transition »,
mais les dirigeants du mouvement ouvrier, eux, ont joué à fond la carte de la réforme
politique, du référendum, ou encore de l’assemblée constituante. En juin 2013,
et jusqu’à l’élection. Mais qu’est-ce que cela signifie ?
Bien
entendu, la direction du PT n’a aucune intention de modifier la constitution réactionnaire
issue de la prétendu « transition démocratique », c'est-à-dire de la
transformation de la forme de domination politique de la bourgeoisie brésilienne,
passant de la dictature militaire à un régime de forme représentative, tout en
conservant intouché le cœur de l’État et de son appareil de répression. La « police
militaire » sévit contre les manifestations et les habitants des favelas
depuis des décennies comme aux plus beaux temps de la dictature, et la « justice »
interdit régulièrement les grèves à la demande des patrons ou des autorités
politiques. C’est donc essentiellement une manœuvre destinée à soutenir Dilma
Roussef dans la période électorale.
La
campagne pour l’assemblée constituante a donc donné lieu à une opération
politique de grande ampleur. Durant les semaines précédent le scrutin, la
direction de la CUT, et certains courants du PT, dont « O Trabalho », ont mené campagne sur ce terrain en
organisant eux-mêmes une consultation populaire pour une « réforme
constitutionnelle » et une « assemblée constituante souveraine et
exclusive ». Le vote a eu lieu pendant la célébration de la fête
nationale, une garantie patriotique. Et un peu moins de 8 millions de personnes
y ont participé, alors que l’objectif fixé par la direction de la CUT elle-même
était de 10 millions. Les résultats et les listes d’émargements ont été portés
par une délégation syndicale à Brasilia les 14 et 15 octobre, au Parlement et à
Dilma Roussef elle-même qui, bien entendu, en a immédiatement recueilli le
substantiel message, promettant une réforme politique pour le prochain mandat.
Cela a permis à la CUT d’appeler sans réticences aucune à voter pour Dilma,
c'est-à-dire pour voter pour le ticket Roussef-Temer,
tout comme le courant « O Trabalho » s’est
engagé « de toutes ses forces dans
la bataille électorale ».
Au-delà
de cette vaste opération cousue de fil blanc, qui a servi à faire la campagne électorale
de Dilma Roussef-Temer, il faut ajouter que le mot
d’ordre de constituante n’est pas d’actualité au Brésil où, de fait, la forme
de l’organisation politique a changé il y a trente ans, et où élire une
constituante remettrait à nouveau entre les mains de la bourgeoisie les choix
politiques quant aux questions constitutionnelles. La continuité de l’État
bourgeois et de la domination de la bourgeoisie et de l’impérialisme au Brésil
ne peut être brisée par de telles méthodes. Seul le mouvement des masses, appuyé
sur leurs organisations, et un gouvernement ouvrier peuvent engager le démantèlement
de l’ordre bourgeois. Or combattre pour un gouvernement ouvrier, signifie
combattre dans l’immédiat pour un gouvernement du seul PT, c'est-à-dire rompre
la collaboration de classes, c'est-à-dire l’opposé de cette campagne.
Face aux exigences du
capital, face au nouveau gouvernement de collaboration de classes :
quelle orientation ?
Le
gouvernement a donc commencé à donner des gages « aux marchés »,
chahutés dans l’entre-deux tours. Il a rassuré l’impérialisme, si besoin était,
en annonçant une série de premières mesures favorables à la bourgeoisie :
baisse de cotisations et d’impôts pour les riches, et augmentation de la taxe Selic, l’équivalent de la TVA. Mais en réalité, l’économie
brésilienne est entrée dans une phase de récession montrant que la crise
mondiale de l’économie capitaliste touche aujourd’hui de plein fouet le pays. Déjà,
depuis le début de l’année 2014, 240 000 emplois industriels ont été
supprimés. Les prix agricoles, le prix du pétrole ont commencé à baisser, ce
qui remet en cause la période de croissance connue jusqu’ici, puisque le Brésil
est essentiellement un fournisseur de matières brutes, de produits agricoles,
dans la division internationale du travail. Les perspectives de ralentissement
de la croissance chinoise, un des principaux clients du Brésil, sont des
menaces sérieuses pour l’économie brésilienne.
Cette
situation fait que l’impérialisme, la bourgeoisie brésilienne qui lui est
soumise, et son gouvernement de collaboration de classes vont devoir s’engager
dans une politique nouvelle, mettant fin au compromis établi à l’époque de
Lula, ou du moins le rognant, compromis par lequel les grandes entreprises, les
propriétaires terriens voyaient leurs intérêts fructifier, tandis qu’une infime
marge des profits était destinée à nourrir les programmes sociaux. Un plan « d’ajustement »
est nécessaire, ce que Neves exprimait par sa
candidature, mais un plan auquel le gouvernement de collaboration de classes
Roussef-Temer devra se plier lui aussi.
Quelle
ampleur aura-t-il ? Nul ne peut le dire, mais ce qui est certain, c’est
que cette politique s’opposera frontalement aux aspirations de la jeunesse et
des grévistes qui se sont exprimés depuis juin 2013. Il est certain aussi que
cela s’opposera à la volonté des électeurs du Nordeste et de l’Amazonie qui
survivent partiellement avec les programmes sociaux et qui ont voté Roussef
dans l’espoir de sauver ces programmes sociaux face à l’offensive à venir, et à
la politique de Neves. Il est aussi certain que cette
politique s’opposera au sens du vote de ceux qui, dans une certaine mesure, à São
Paulo et dans sa région industrielle, sont allés au deuxième tour voter Dilma
Roussef pour éviter la prise du pouvoir par Neves.
Alors,
malgré les difficultés politiques, il n’y a qu’une possibilité, combattre,
s’organiser pour imposer la rupture de la collaboration de classes.
Cela
passe d’abord par la CUT, dont la direction est le pilier principal du soutien
au gouvernement, notamment face aux mouvements de la jeunesse et du prolétariat.
La direction de la CUT doit rompre le dialogue social, dont le but est la mise
en œuvre des politiques d’ajustement, elle doit organiser le combat des
travailleurs pour leurs conditions d’existence et de travail, et le centraliser
face à la politique du gouvernement.
Cela
passe ensuite par la rupture du PT avec le gouvernement de collaboration de
classes : le PT n’a pas à mener la politique nécessaire à l’impérialisme
et la bourgeoisie.
Cela créerait
ainsi les conditions de la mobilisation du prolétariat et de la jeunesse dont
les aspirations et les besoins sont immenses. Cela permettrait de poser la
question du pouvoir, du gouvernement ouvrier et paysan, au travers du mot
d’ordre du gouvernement du seul PT. Seul un
gouvernement ouvrier et paysan pourrait résoudre les questions de la
terre, de la faim, du logement, les questions de l’enseignement public, de la
santé et des transports, de l’échelle mobile des salaires face à l’inflation,
et de l’échelle mobile des heures de travail face au développement du chômage,
seul un tel gouvernement pourrait organiser la production en fonction des
besoins des masses et non du profit des trusts impérialistes, seul un tel
gouvernement serait à même de régler la question de la dette et de la dépendance
du Brésil par rapport à l’impérialisme.
Bien
entendu, un tel gouvernement ne peut exister que parce que les masses mobilisées
imposeront aux dirigeants du PT de mener cette politique, à laquelle
aujourd’hui ils tournent totalement le dos.
Mais
combattre pour un véritable gouvernement ouvrier suppose de combattre
aujourd'hui, immédiatement, pour un gouvernement du seul PT, dont les
travailleurs exigeraient satisfaction de leurs revendications. C’est un combat qui doit être organisé et
coordonné, c’est ce à quoi un parti ouvrier révolutionnaire peut contribuer
positivement. Un tel parti n’existe pas aujourd’hui, et il reste à construire.
Mais
voilà l’axe sur lequel il est possible de militer et d’intervenir dans la lutte
des classes qui ne manquera pas d’exister dans les mois à venir et, dans ces
combats, sur cet axe politique, pourront se dégager les matériaux humains pour
la construction d’un parti ouvrier révolutionnaire au Brésil, participant du
mouvement pour la constitution d’une internationale ouvrière révolutionnaire.
Le 24 novembre 2014