Éditorial du bulletin « Combattre pour le socialisme » n°54 (n°136 ancienne série) - 31 mai 2014 :

Note de lecture : « Marx écologiste »

 

CPS a publié deux articles qui contribuent au combat politique en défense du marxisme contre l’idéologie au service de la réaction, l’écologie dite « politique », portée par les partis bourgeois Verts comme en France EELV. Il s’agit des articles « Face à l’imposture écologique : contre la destruction de la planète par le capitalisme, une seule issue combattre pour le socialisme » (CPS nouvelle série n°39 (121) – janvier 2010) ; « Catastrophe de Fukushima : sortir du nucléaire ou sortir du capitalisme ? Un cataclysme d’une portée planétaire » (CPS nouvelle série n° 43 (125) – mai 2011). Ces deux articles sont disponibles sur le site de CPS, socialisme.free.fr.

En septembre 2011, les Éditions d’Amsterdam ont publié la traduction d’une série d’articles écrits par John Bellamy Foster rassemblés dans un recueil intitulé Marx écologiste. J.B. Foster ne partage probablement pas le combat politique de notre Groupe : c’est un promoteur de l’écosocialisme aux Étas-Unis. Le titre du recueil peut paraître ambigu en donnant une image réductrice et déformée de la pensée de Marx. Néanmoins, CPS recommande la lecture de cet ouvrage. En se basant sur de nombreux textes de Marx et d’Engels (Le Capital, l’Idéologie Allemande, Dialectique de la Nature, l’Anti-Dühring, le Manifeste du Parti Communiste parmi de nombreuses autres références), J.B. Foster procède à des analyses qui sont autant de pavés dans la mare fangeuse des Verts et dans les eaux nauséabondes dans lesquelles pataugent des chiens de garde du capital que sont les marchands et promoteurs de la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) (1).

Il ne s’agit pas ici de résumer le livre mais seulement d’en rappeler les grandes lignes.

L’homme et la nature

Le premier fil conducteur est de rappeler comment Marx (on doit toujours associer Engels ici et tout au long de cette note) concevait les rapports de l’homme et la nature. Toute l’élaboration de Marx peut se résumer à sa critique du programme de Gotha, congrès fondateur du Parti ouvrier socialiste allemand en mai 1875 où il corrige la phrase « Le travail est la source de toute richesse » en expliquant « Le travail n’est pas la source de toute richesse. La nature est tout autant la source des valeurs d’usage (qui sont bien, tout de même, la richesse réelle) que le travail, qui n’est lui-même que l’expression d’une force naturelle, la force de travail de l’homme ».

S’appuyant sur les découvertes de leur temps, par exemple L’origine des espèces de Darwin ou les progrès de l’anthropologie avec Morgan, « Marx et Engels virent immédiatement que la théorie de Darwin impliquait « la mort de la théologie » et Marx affirma qu’elle fournissait « les fondements de nos conceptions dans l’histoire naturelle » » (Marx écologiste, p. 19). Critiquant le matérialisme vulgaire de Feuerbach, sans employer le terme de « coévolution », Marx développe la relation dialectique entre l’homme et la nature, relation qui ne peut être comprise qu’en considérant l’Homme en général mais en partant de l’homme réel, c’est-à-dire dans le contexte de rapports sociaux de production donnés. Dans un article brillant « Objectif-Subjectif » (La Vérité n° 573 – septembre 1976), Stéphane Just résumait : « Au point de départ, il y a la nature qui conditionne du point de vue externe et interne l’homme, mais par son activité c’est l’homme qui devient sujet, il modifie la nature qui est son objet, mais il redevient objet de cette nature modifiée par son activité objectivée. Ce rapport n’est pas une sorte de jeu de tennis – la balle une fois dans un camp, l’autre dans l’autre camp- mais un métabolisme, un échange constant ».

La rupture métabolique

Le deuxième fil conducteur est le rappel et l’exégèse de nombreux textes des deux fondateurs du matérialisme dialectique sur les conséquences de l’activité humaine sur la nature. Dans Le Capital, en particulier les livres I et III, Marx, se référant aux travaux de l’agrochimiste Justus Von Liebig, analyse comment le développement de l’agriculture dans le cadre du capitalisme conduit à un appauvrissement des sols sans précédent. John Bellamy Foster cite le livre I du Capital : « Avec la prépondérance toujours croissante de la population urbaine qu’elle entasse dans des grands centres, la production capitaliste amasse d’un côté la force motrice historique de la société et perturbe d’un autre côté le métabolisme entre l’homme et la terre, c'est-à-dire le retour au sol des composantes de celui-ci usées par l’homme sous forme de nourriture et de vêtements, donc l’éternelle condition d’une fertilité du sol […]Mais en détruisant les facteurs d’origine simplement naturelle de ce métabolisme, elle oblige en même temps à instituer systématiquement celui-ci en loi régulatrice de la production sociale, sous une forme adéquate au plein développement de l’homme. […]. Et tout progrès de l’agriculture capitaliste est non seulement un progrès dans l’art de piller le travailleur, mais aussi dans l’art de piller le sol, tout progrès dans l’accroissement de la fertilité dans un laps de temps donné est en même temps un progrès de la ruine des sources de cette fertilité […] Si bien que la production capitaliste ne développe la technique et la combinaison du procès de production social qu’en ruinant en même temps les sources vives de toute richesse : la terre et le travailleur. » .  C’est Marx et Engels qui élaborent et développent le concept de la « rupture métabolique ». John Bellamy Foster indique : « L’idée développée par Marx d’une rupture métabolique était l’élément fondamental de sa critique écologique ».

Ce concept ne se réduisait pas à la question agraire. Ainsi John Bellamy Foster précise : « Dans le cadre de leur analyse de la rupture métabolique, Marx et Engels ne s’en sont pas tenus au cycle des nutriments de la terre, ou aux relations ente villes et campagnes. A divers moments de leur travail, ils ont évoqué des problèmes comme ceux de la déforestation, de la désertification, du changement climatique, de la disparition des cerfs des forêts, de la pollution, des déchets industriels, du relâchement de substances toxiques, du recyclage, de l’épuisement des mines de charbon, des maladies, de la surpopulation et de l’évolution (ou de la coévolution) des espèces ». Ainsi, John Bellamy Foster rapporte : « Marx observait que l’agriculture « lorsqu’elle se développe spontanément et n’est pas contrôlée…laisse derrière elle des déserts ». Au sein de l’industrie aussi, Marx était préoccupé par les masses énormes de déchets produites et mettait en avant l’importance de la « réduction » et de la « réutilisation » des déchets en particulier dans la section du Capital intitulée « Utilisation des résidus de production » (livre III). Qui plus est, il dit explicitement que ces problèmes continueront à affliger toute société s’efforçant de construire un régime socialiste (ou communiste) ».

« Le développement soutenable »

John Bellamy Foster démontre que l’idée du « développement soutenable » est inscrite d’une manière constante chez Marx et Engels : « En soulignant la nécessité de préserver la terre pour « les générations suivantes », Marx saisissait l’essence de l’idée contemporaine de développement soutenable […] Marx était profondément préoccupé par le problème des limites écologiques et de la soutenabilité ».  Il indique « Ce qui l’intéressait à l’origine dans ce domaine - et cet intérêt ne devait pas cesser de croître -, c’était les questions de durabilité et de régulation rationnelle du métabolisme des sociétés humaines et de la nature à travers l’organisation du travail humain. Pour lui, il s’agissait d’une question centrale pour la construction d’une société communiste, qui exigeait une nouvelle relation à la nature ». Il cite Marx : « Du point de vue d’une organisation économique supérieure de la société, le droit de propriété de certains individus sur des parties du globe paraîtra aussi absurde que le droit de propriété d’un individu sur son prochain. Une société entière, une nation et même toutes les sociétés contemporaines réunies ne sont pas propriétaires de la terre. Elles n’en sont que les possesseurs, elles n’ont que la jouissance et doivent léguer aux générations futures après l’avoir améliorée en boni patres familias [bons pères de familles] » (Le Capital, livre III). Une analyse de l’auteur qui a dû faire enrager la réaction peinte en vert, les écologistes, qui n’ont de cesse d’accuser Marx et d’Engels de « prométhéisme » et de « productivisme ».

Fort à propos, l’auteur rappelle que dans la continuité de Marx et Engels, les marxistes ont porté une grande attention à la dégradation de l’environnement dans la société capitaliste. Il se réfère à Auguste Bebel, Rosa Luxembourg, Nicolas Boukharine et Karl Kautsky (pour ce dernier, à propos de son ouvrage « La question agraire » dans lequel il étudie les conséquences de l’utilisation massive d’engrais artificiels). Il souligne l’importance que Lénine accordait à la question de l’écologie : «  Dans ses écrits et ses déclarations, Lénine soulignait que le travail humain était tout à fait incapable de se substituer aux forces de la nature et qu’une exploitation rationnelle de l’environnement, ou une gestion scientifique des ressources naturelles, était essentielle. En tant que principal dirigeant du nouvel Etat soviétique, il prônait le « préservation des monuments de la nature », et nomma à la tête du Commissariat à l’éducation Anatoli Vassilievitch Lounatcharski, un écologiste convaincu, qui était chargé des questions de conservation pour toute la Russie ». L’URSS a été le premier Etat au monde à fonder une réserve naturelle, dans le sud de l’Oural, à des fins exclusives d’étude scientifique de la nature. Lénine considérait que les travaux de Ernst Haeckel, biologiste allemand qui inventa le terme « écologie » et posa les bases de cette science, constituaient un apport décisif au matérialisme scientifique. L’auteur ajoute « Lénine avait un respect immense pour V.I. Vernadsky, le fondateur de la géochimie (ou biogéochimie) et l’élaborateur du concept dialectique de Biosphère ». Sous l’impulsion des dirigeants du jeune Etat ouvrier, il s’est développé dès le début des années 1920 une brillante école de renommée internationale dans le domaine des sciences de l’environnement.

John Bellamy Foster relate : « Mais avec la mort précoce de Lénine et le triomphe du stalinisme à la fin des années 1920, les conservationnistes furent accusés de « bourgeoisie ». Pire encore avec l’ascension de Lyssenko, devenu arbitre de la science biologique, des attaques « scientifiques » furent lancées d’abord contre l’écologie puis contre la génétique (2). A la fin des années 1930, le mouvement soviétique de conservation était complétement décimé. ».

En guise de conclusion

Incontestablement les travaux de Foster contribuent à l’armement politique contre les détracteurs du marxisme sur les questions de l’écologie. En complément, l’auteur, bien que se réclamant lui-même de l’écosocialisme, fustige les partisans réactionnaires de « la seconde contradiction ». Ces derniers, pour expliquer la crise du mode de production capitaliste et, en particulier, la baisse tendancielle du taux de profit, proposent de substituer à la contradiction fondamentale entre le capital et le travail la «  contradiction écologique » que Marx aurait occultée. John Bellamy Foster résume ainsi cette idéologie réactionnaire : « La dégradation de ces conditions de production a entraîné une augmentation des coûts pour le capitalisme, comprimant les profits d’un côté des coûts (ou de l’offre) : c’est la « seconde contradiction » du capitalisme. ». Pour ses partisans, la priorité pour surmonter la crise n’est pas d’exproprier le capital mais d’abord de résoudre la seconde contradiction. Il s’agira après de s’occuper de la « première contradiction » (en réalité elle est dans la démonstration souvent (re)niée au nom du consensus écologique).

C’est une idéologie dans laquelle s’engouffrent de nombreux défenseurs de la propriété privée des moyens de production. L’auteur réplique, entre autres, qu’au contraire « Nous aurions tort de sous-estimer la capacité du capitalisme à accumuler au beau milieu de la plus flagrante des destructions écologiques, à profiter de la dégradation environnementale (par exemple la florissante industrie de la gestion des déchets) et à continuer à détruire la planète jusqu’au point de non-retour - tant pour les sociétés humaines que pour la plupart des espèces vivantes ». Parmi les promoteurs de la seconde contradiction, on trouve bien entendu les partis Verts. Mais ils pullulent aussi au sein de la « gauche de la gauche » (le NPA, le PG) et des débris des partis staliniens et d’organisations décomposées se réclamant du trotskisme (3).

 

2 mai 2014

 

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Notes sur « Marx écologiste » :

 

1)              Définition de la CE : « la RSE concerne l'intégration volontaire par les entreprises de leur rôle social, environnemental, et économique. Elle couvre, par exemple, la qualité globale des filières d'approvisionnement, de la sous-traitance, le bien-être des salariés, leur santé, l'empreinte écologique de l'entreprise… ».  On a vu ce qu’il en était de cette « éthique, des chartes de bonne conduite et normes de qualité sociale et environnementale » dans la sous-traitance des  entreprises du textile au Bengladesh !

2)              « L’affaire Lyssenko » fut l’épisode le plus commenté dans le monde scientifique de l’après-guerre avec la destitution de la génétique soviétique et de son plus éminent et courageux chercheur Vavilov par la bureaucratie stalinienne  (cf à ce propos le livre de Medvedev Grandeur et chute de Lyssenko et l’essai de Stephen Jay Gould in Quand les poules auront des dents Paris, Fayard, 1984).

3)              Tamuro, le chef de fil de l’écosocialisme au SU, engagé dans sa croisade contre ce qu’il considère comme « le lourd héritage productiviste de Léon Trotsky » et sa « rupture (sic) avec le legs des écrits de Marx dans ce domaine », se doit de considérer sans plus d’explication que « la thèse d’une  écologie de Marx, défendue par JB Foster est  quelque peu abusive ». Par ailleurs, ce faussaire, entraîné par sa volonté de trop vouloir prouver à charge contre Trostsky, en vient à lui suspecter des sympathies lyssenkistes ; il suffit de rappeler que Trotsky a été assassiné 8 ans avant « l’affaire Lyssenko » !

 

 

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