Article paru dans le bulletin « Combattre pour le socialisme » n°54 (n°136 ancienne série) - 31 mai 2014 :

 

Enseignement public :

Peillon parti, Hamon poursuit et amplifie sa politique,
appuyé sur la collaboration des directions syndicales

 

Contrairement à un discours souvent tenu par Hollande, par son gouvernement, ses médias, et relayé par les dirigeants syndicaux, l’enseignement n’est pas un domaine préservé des coupes budgétaires. Au contraire, dès maintenant, le gouvernement procède à marche forcée dans la mise en œuvre des réformes structurelles nécessaires pour réduire les dépenses du plus gros budget de l’Etat, celui de l’Education nationale. Celui-ci étant consacré essentiellement aux rémunérations des personnels et en particulier à celles des enseignants, on comprend mieux la volonté récurrente des gouvernements successifs de s’en prendre aux statuts des enseignants pour en permettre la réduction.

Ainsi, alors que le gouvernement Hollande-Ayrault-Duflot-Pinel subissait une déroute électorale aux municipales qui allait entraîner son remaniement, c’est entre les deux tours, alors qu’au ministère Peillon préparait ses cartons, dans une communion remarquable, les dirigeants syndicaux et ceux du ministère, chacun dans son rôle, scellaient la liquidation des décrets de 1950 sur les obligations de services des enseignants du second degré. Peillon aura arrangé cette liquidation avec la collaboration de la direction du Snes, c’est Hamon qui la promulguera.

Le projet de décret Peillon présenté au CTM du 27 mars

Préparé par des mois de concertation, officieuse et officielle, le comité technique ministériel (CTM) a donc pu adopter le projet de décret Peillon sur le statut des enseignants du secondaire. Même si le gouvernement avait été mis en difficulté au mois de décembre par le développement d’une des rares grèves significatives à l’échelle de toute une fraction de la profession des enseignants, celles des CPGE. Cette grève, ainsi que des dizaines de prises de position d’AG, d’HMI, dans les établissements, menaçaient le projet Peillon. Le 12 décembre, le gouvernement annonçait qu’il repoussait la prise de décision et ouvrait une nouvelle période de concertation avec les dirigeants syndicaux du second degré, à commencer par ceux du Snes. Pendant deux mois, les contacts se firent en catimini puis, le 10 février, le Snes annonçait pour le 12 février la tenue d’une réunion qualifiée de « conclusive », sur la base d’une nouvelle « fiche-métier ». Dès cet instant, le gouvernement pensait pouvoir s’engager avec le soutien de la direction du syndicat clé, le Snes.

Le 18 mars, la rédaction du projet de décret qui devait être présenté la semaine suivante au CTM était rendue publique. Son article 11 abroge les décrets de 1950 que les enseignants étaient parvenus à préserver depuis 64 ans. Et sur leur dépouille, le gouvernement impose une nouvelle définition du métier d’enseignant contenue dans les articles 2 et 3.

Ainsi l’article 2 précise : « Dans le cadre de la réglementation applicable à l’ensemble des fonctionnaires en matière de temps de travail et dans celui de leurs statuts particuliers respectifs, les enseignants mentionnés à l’article 1er du présent décret sont tenus d’assurer, sur l’ensemble de l’année scolaire.

I Un service d’enseignement dont les maxima hebdomadaires sont les suivants (ce passage reprend les maxima des certifiés, des agrégés, PLP, PEGC, les maxima spécifiques des enseignants d’EPS, tels qu’ils existent aujourd’hui).

II Les missions liées au service d’enseignement qui comprennent les travaux de préparation et les recherches personnelles nécessaires à la réalisation des heures d’enseignement, l’aide et le suivi du travail personnel des élèves, leur évaluation, le conseil aux élèves dans le choix de leur projet d’orientation en collaboration avec les personnels d'éducation et d'orientation, les relations avec les parents d'élèves, le travail au sein d’équipes pédagogiques constituées d’enseignants ayant en charge les mêmes classes ou groupes d’élèves ou exerçant dans le même champ disciplinaire. Dans ce cadre, ils peuvent être appelés à travailler en équipe pluri-professionnelle associant les personnels de santé, sociaux, d’orientation et d’éducation. »

Cet article, présenté en toute mauvaise foi par les dirigeants du Snes comme la « sécurisation » des fameux maxima des décrets de 1950, est en réalité le coin enfoncé dans les services, puisque les enseignants sont « tenus d’assurer sur l’ensemble de l’année » et dans le cadre de la définition du temps de travail de la Fonction publique (1607 heures annuelles) l’ensemble des tâches du point II, c'est-à-dire, tout, n’importe quoi, et sans réelle limite de temps. En effet, selon le décompte des semaines, il faudrait 42 heures sur 36 semaines pour atteindre les fameuses 1607 heures. De 15 ou 18 heures de service à 42 heures de cours, mais aussi de suivi, réunions, travail en équipe, il y a pour les administrations une large marge.

La réalité, c’est que les enseignants deviennent absolument taillables et corvéables à merci, à tout moment et au claquement de doigt du chef d’établissement ; ils devront se rendre à l’évidence, la nouvelle définition des services représente une terrible aggravation des conditions de travail, et même d’existence. Ces heures de présence en plus au collège ou au lycée, strictement décomptées par l’administration, se feront en plus du travail « invisible » qui le restera, préparation de cours, corrections de copies. C’est là ce que le chœur des directions syndicales appelle la reconnaissance du travail, en adéquation aux nouvelles exigences pédagogiques !

D’ailleurs, dans le cadre de la préparation de la rentrée 2014, le gouvernement, qui prépare la modification du décret sur les conseils pédagogiques et un décret sur la mise en œuvre des conseils école-collège ou de cycles, a trouvé immédiatement comment utiliser ce temps, au point que Roland Hubert, secrétaire national du Snes, écrit dans l’US n° 741 (09/05/2014) : « Le ministère travaille à l’installation du conseil école-collège et des conseils de cycle en articulation avec le conseil pédagogique. Le résultat, quoiqu’en disent les responsables de la DGESCO, est la mise en place d’une usine à gaz dans laquelle les enseignants, mais aussi les personnels d’encadrement, passeront d’innombrables heures de réunions parfaitement inutiles et qui, au bout du compte, donneront tout pouvoir au chef d’établissement pour imposer des pratiques fondées sur une vision bien éloignée de celle des enseignants et de leur professionnalité. » Quelle meilleure illustration de ce qu’est le contenu concret du projet de décret Peillon ? Dommage que Roland Hubert ne fasse pas le lien entre les deux projets de texte ! Il en tirerait certainement des conclusions édifiantes.

L’article 3, quant à lui, permet au chef d’établissement de différencier les services, et surtout les salaires, ou du moins les indemnités accompagnant les missions dites « complémentaires » : « Les enseignants exerçant ces missions peuvent bénéficier d’un allégement de leur service d’enseignement attribué sur décision du recteur de l’académie. Lorsque la mission est réalisée au niveau de l’établissement, la décision du recteur intervient après proposition du conseil d’administration de l’établissement d’affectation de l’enseignant. »

Quelles sont ces fameuses missions ? Professeur principal, coordinateur, de niveau, de matière, référent culturel, informatique, bref il s’agit de dégager dans l’établissement toute une hiérarchie intermédiaire, toute une série de fonctions, auxquelles on accéderait sur proposition du conseil pédagogique, du CA, bref du chef d’établissement, de ses sbires, des « représentants » aux conseils, y compris syndicaux. Si seule une infime minorité accédait à des décharges horaires, ces petits marquis de l’établissement verraient leur ordinaire amélioré tandis que les autres n’auraient plus que les yeux pour pleurer sur chaque année supplémentaire de gel du point d’indice.

Le décret institutionnalise et élargit les compléments de service sur d’autres établissements, y compris en dehors de la commune. Quant au complément dans d’autres matières que celles du recrutement, il n’a nullement disparu s’il est conditionné à l’acceptation de l’enseignant : la réalité, c’est que les enseignants devront choisir entre un complément à 40 kilomètres ou plus, ou une autre matière… C’est ce que la direction du Snes invoque comme progrès par rapport aux décrets de 1950.

Enfin, le décret consacrerait la disparition des heures de décharge statutaires, et d’abord l’heure de chaire. Cette heure disparaîtrait au profit d’une pondération, de 1,1 en première et terminale, 1,25 en BTS, et 1,5 en CPGE. Cette modification avait entraîné le mouvement en décembre dans les classes prépas tant elle signifiait pour les enseignants une augmentation du temps de travail et une baisse de la rémunération. Les dirigeants syndicaux prétendent, comme ceux du Snes, que la pondération est plus « juste », pour certains, et plus restrictive pour d’autres… une position fermement syndicale ! Des enseignants réunis en HMI ont décidé pour tenter d’y voir plus clair, de comparer leurs services avec l’heure de chaire et avec le passage à la pondération : 25 % gagnaient quelque rémunération, 25 % se trouvaient dans la même situation, et 50 % y perdaient. Cet échantillonnage n’est certes pas scientifique, mais il donne une indication, et ce n’est pas un hasard si la direction du Snes fait mine de demander un relèvement du taux de pondération dans chaque niveau.

Le projet de décret adopté au CTM

Après avoir permis au gouvernement de sauver son projet le 12 décembre en acceptant la concertation, après avoir poursuivi les tractations de façon clandestine pendant deux mois, la direction du Snes dans un premier temps fait la promotion du projet présenté le 12 février. Elle publie sur son site une fiche « d’analyse » de ce que le gouvernement a présenté et y note une foule d’ « acquis du Snes », et, dans un communiqué, elle rassure : il s’agirait de la sécurisation de l’identité professionnelle. Les enseignants des CPGE, eux, se voient coupés du reste de la profession, du moins du point de vue tactique, avec un groupe spécifique ; pour le reste, le décret s’applique à eux comme aux autres !

Cette manœuvre autorise le gouvernement à présenter son projet de décret en CTM le 27 mars. Le Sgen-CFDT jubile ! « Les décrets de 1950 ont vécu, vive le décret 2014 », tout en notant que, certes, le Sgen attendait mieux, mais que rompre avec les décrets de 1950 c’est déjà bien, et que personne ne l’avait fait, y compris lors de la grande offensive de 1970/1972, pendant laquelle le gouvernement Pompidou-Chaban avait dû remballer l’annualisation qu’il cherchait à mettre en œuvre. Ce n’est pas Châtel qui dirait le contraire, lui qui, contrit, chante sur tous les toits que c’est ce qu’il aurait dû faire.

La direction du Sn-FO-lc mène une campagne pour le retrait de projet de décret, principalement en vue des élections professionnelles de l’automne 2014, pour apparaître comme le syndicat pur qui s’est prononcé pour la défense inconditionnelle des décrets de 50 et le retrait du projet Peillon. Non seulement la pureté de cette position ne change rien à l’affaire, tant que la direction du Snes peut continuer à manœuvrer les mains libres, mais cette position n’est pas si pure : en effet, le Sn-FO-lc a décidé de défendre sa position… dans les instances de participation, à commencer par le CTM du 27 mars. Les enseignants connaissent tous la valeur des positions « pures » dans les instances de participation du ministère de l’Éducation nationale, comme le projet de calendrier scolaire rejeté à l’unanimité des représentants syndicaux au CSE du 14 novembre 2013. Le dit calendrier est depuis en vigueur. Les tartuffes de la direction du Sn-FO-lc ont le secret espoir de bénéficier de la désaffection prévisible des enseignants pour leur syndicat historique, le Snes, dans les élections professionnelles ; leur souci n’est pas de mener un combat décidé de front unique pour imposer à la direction du Snes qu’elle se prononce pour le retrait… par exemple, et de boycotter le CTM.

Tout le monde s’est rendu au CTM, et la direction du Snes en position d’amendement. Comme les vrais amendements avaient déjà été adoptés entre décembre et février, il aurait été étonnant que le gouvernement en intègre d’autres. En conséquence, la direction du Snes avait décidé de s’abstenir. Non seulement c’était la forme du blanc seing, mais encore cette abstention a permis au gouvernement de se prévaloir d’un vote positif majoritaire, avec 5 voix pour (dont UNSA et Sgen), 4 contre (Sn-FO-lc, CGT, et Snuep), tandis que le Snes, mais aussi le Snep, s’abstenaient avec 6 voix….

Tout ce dispositif politique a eu pour effet de boucher l’issue aux enseignants qui, dans l’expectative, n’ont pas eu les forces de surmonter les obstacles politiques à leur mobilisation. Cela est très significatif, y compris dans le déroulement du congrès du Snes.

Le congrès du Snes : « Je m’attendais à davantage de débat » (Frédérique Rolet, Tout’éduc)

Le congrès national du Snes s’est tenu à Marseille du 31 mars au 4 avril, immédiatement après l’adoption du projet Peillon au CTM. Juste au lendemain des élections municipales, qui auraient pu apparaître comme un coup de semonce, ceux qui soutiennent le gouvernement pourraient connaître le sort du PS. Mais la direction tenait bien la barre de ce congrès.

Il faut le dire aussi, en l’absence de mouvement chez les enseignants, en l’absence de pression, les congrès académiques ont très généralement soutenu la ligne du secrétariat national. Un seul congrès académique s’est prononcé clairement pour le retrait du projet Peillon, celui de Lille, traditionnellement oppositionnel même si le S3 de Lille appartient à la tendance majoritaire U et A. Certains, comme ceux des académies parisiennes, en particulier celle de Versailles, mettaient en garde contre la position du Snes en CTM qui, selon elle, pourrait apparaître comme un « soutien au gouvernement » ; à la tribune du congrès, un des représentants de la délégation de Créteil émettait le vœu que le Snes, lors des élections professionnelles qui auront lieu à l’automne 2014, ne connaisse pas de débâcle comparable à celle du PS… Les préoccupations bureaucratiques en termes de sièges, décharges, ne sont jamais loin, mais, en l’occurrence, elles marquent aussi les limites de la possibilité pour le Snes de prendre en charge la politique gouvernementale impunément.

Pour le reste, c’est le traditionnel ballet des tendances minoritaires, cependant relativement peu représentées durant un congrès national du Snes, notamment par rapport à la FSU. L’École émancipée veut le retrait du projet Peillon pour ouvrir de nouvelles discussions, c'est-à-dire trouver d’autres moyens et d’autres formulations pour la même politique. URIS, l’agence du POI et de FO dans le Snes, ne combat même pas formellement pour le retrait du projet Peillon (cela ne réapparaît que dans ses textes d’appel à voter pour l’élection à la Commission Administrative Nationale, vote qui a lieu après le congrès lui-même), mais propose dans le congrès un seul amendement au vote pour demander « au nouveau ministre, de surseoir à la publication du décret examiné au CTM du 27 mars, de rouvrir de nouvelles négociations et de répondre aux revendications du Snes-FSU ». L’art de ne pas gêner la direction du Snes, à l’intérieur, pour mieux faire campagne pour le compte de FO.

Comme le montre la Lettre de liaison du courant Front Unique n° 232, seule cette tendance a mené un combat sans condition pour le retrait du projet de décret Peillon. Si le congrès avait adopté cette position, cela aurait rendu bien difficile la situation du gouvernement, au moment même du « remaniement », cela aurait affaibli sa position même après le CTM et aurait ouvert la voie pour que la profession puisse se saisir du combat pour le retrait de ce projet de décret. Cependant, le congrès a rejeté, par 354 voix contre et 30 voix pour, la motion proposée par le délégué Front unique.

L’autre grande préoccupation de l’appareil au congrès, a été comment faire la soudure du dialogue social avec le nouveau gouvernement en formation, le gouvernement Hollande-Valls-Pinel. La nomination de Valls ne facilitant pas la tâche aux dirigeants pour justifier le dialogue social avec l’ex-premier flic de France. Au soulagement des dirigeants du Snes, Hamon, présenté comme un expert en dialogue social et appartenant à la soit disant « aile gauche » du PS, était nommé au grand ministère de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur. Immédiatement, Bernadette Groison déduisait de cette nomination une probable « sécurisation » des 60 000 postes, malgré la recherche avide par ce nouveau gouvernement de 50 milliards d’euros d’économie pour satisfaire les revendications du patronat.

Le congrès a alors adopté, pour sa clôture, une lettre ouverte au nouveau ministre :  « Le SNES-FSU syndicat majoritaire de ces personnels s'adresse à vous sur un certain nombre de points qui restent au cœur de leurs préoccupations. En premier lieu, il n'acceptera aucune remise en cause d'ici 2017 de l'engagement pris dans la loi, sur la création des 54 000 postes. Ce point est d'autant plus crucial que les moyens en emplois supplémentaires programmés pour la prochaine rentrée sont insuffisants pour absorber l'augmentation démographique importante dans le second degré.

La revalorisation de la rémunération des personnels du second degré et l'amélioration de leurs conditions de travail sont une urgence que le précédent gouvernement a ignorée.

Cette revalorisation doit être entamée sans délai. »

Ainsi, le texte adopté par le Snes exhorte le gouvernement à appliquer sa politique, en appelle à la loi de refondation ; quant à la « revalorisation » de la rémunération des personnels, ce sont des paroles prononcées après que le congrès a avalisé l’attaque majeure contre le statut des enseignants que signifie la liquidation des décrets de 1950. Le plus important, c’est que, « au-delà de ces mesures qui nécessitent un traitement rapide, nous avons également des propositions à vous faire »… et donc pour préparer une bonne reprise du dialogue social, il faut faire un geste, conseille la direction du Snes :

« Le nouveau calendrier scolaire contesté par toute la communauté éducative prévoit pour l'année 2013/2014 une demi-journée de rattrapage le 11 juin et une pré-rentrée le 29 août 2014, mesures perçues par les personnels comme provocatrices, voire vexatoires, et totalement inefficaces.

Le SNES-FSU vous demande d'abroger rapidement ces dispositions et de reprendre les discussions sur le calendrier scolaire triennal excluant toute mesure de rattrapage et pré-rentrée en août. »

Voilà ce qui faciliterait la tâche des directions syndicales, surtout en pensant aux élections professionnelles dans la foulée ; on notera d’ailleurs que le Snes ne parle pas des deux années scolaires suivantes, où la prérentrée est aussi en août ! B. Hamon n’a donc fait que suivre à la lettre le conseil amical de l’appareil du Snes.

Le gouvernement Hollande-Valls-Pinel annonce :
gel du point d’indice ad aeternam et assouplissement des rythmes scolaires

Si le gouvernement a repoussé la prérentrée 2014, et seulement celle-là, au 1er septembre, c’est bien pour mieux pouvoir avancer sur le reste. Or le nouveau gouvernement n’apporte à la table du dialogue que de mauvaises nouvelles. L’annonce du gel du point d’indice jusqu’en 2017 ne peut surprendre évidemment personne, tant elle a un caractère d’évidence dans la politique du gouvernement et de son pacte de responsabilité. Cela n’en constitue pas moins un point d’appui pour l’ensemble de la bourgeoisie qui prétend en faire autant pour l’ensemble des salariés du privé. Pour les fonctionnaires et les enseignants en particulier, c’est la poursuite de l’effondrement des salaires réels. Il est clair que du point de vue politique, le principe même d’une mesure générale, fût-elle une maigre compensation des pertes de salaire réel dues à l’inflation, semble quasiment aboli.

Si le principe de la progression de carrière existe encore, il n’en a pas moins été menacé, lui aussi, et le gouvernement cherche à ouvrir des discussions à partir du 19 mai, au niveau de toute la Fonction publique, sur la rémunération et les statuts, discussions dont fonctionnaires et enseignants peuvent tout craindre. Pour autant, les dirigeants syndicaux ne rompent nullement sur cette question, et même sur la question du point d’indice ; ils sont conviés à constater annuellement, à partir de 2015, qu’il ne sera pas possible de revenir sur le gel en raison tant de la conjoncture économique que des déficits.

L’autre grande annonce, c’est la question des rythmes scolaires. Valls l’a annoncé dans son discours de politique générale, Hamon a préparé le décret de façon accélérée afin qu’il soit appliqué à la rentrée 2014. Il faut dire que c’est la date butoir pour l’application générale, et que le décret est écrit pour « aider » les communes qui vont devoir organiser le temps périscolaire avec souvent de très faibles moyens.

Après les municipales, le message adressé aux élus locaux est : vous avez loisir d’aménager de façon dérogatoire le temps scolaire et périscolaire. En effet, il est prévu qu’une organisation bloquant une après-midi dans la semaine pour les activités périscolaires soit possible. Mais cela ne règle en rien le fait que c’est dans le cadre des  « projets éducatifs de territoire » que cette organisation se fait, participant encore plus de l’éclatement de la définition nationale des services et de l’organisation de l’année scolaire. En effet, la suppression d’une après-midi pourrait avoir pour conséquence de faire passer la semaine de cours, en vertu des 5 heures 30 maximum par jour, en dessous de 24 heures, ce qui nécessiterait l’allongement de l’année scolaire, en l’étalant sur 38 semaines par exemple, et même un peu plus, jusqu’à faire diminuer les congés de 12 jours. Mais cela pourrait aussi amener à choisir de repasser à 6 heures de classe par jour, ce qui est évidemment à l’opposé de ce que proposait le décret Peillon sur les rythmes scolaires, au nom de raisons pédagogiques. Ces dispositions ne peuvent s’appliquer que par un accord consensuel entre la collectivité territoriale et le conseil d’école, tandis que les autres organisations, elles, ont été imposées par les collectivités territoriales : mais en réalité, ce « consensus » nécessaire n’améliore rien, il ne fait que demander au conseil d’école de ratifier des dispositions participant de l’éclatement du cadre national et des statuts. Tant sur le plan du statut que du temps de travail, cette dérogation expérimentale est même une aggravation, en ce qu’elle considère l’annualisation comme entrant dans la réalité dès la rentrée 2014.

Le projet a été d’abord présenté aux secrétariats généraux « sous embargo », embargo levé le 27 avril par le tract du Snudi-FO, organisation qui se place sur le même terrain que le Sn-FO-lc, c’est-à-dire celui de la dénonciation, sans autre perspective que de tailler des croupières électorales au Snuipp. Le 28, le Snuipp lui aussi en divulgue le contenu, cela afin de préparer le CTM du 5 mai, par une conférence téléphonique  : l’objectif est de prendre la température des sections départementales sur la position à défendre dans ces instances de participation.

Si la direction du Snudi-FO dénonce le décret Peillon et les aménagements Hamon, elle ne déclare à aucun moment ni son intention de boycotter le CTM ni de s’adresser aux autres directions syndicales pour qu’elles dénoncent elles-mêmes le projet de décret. La direction du Snuipp a cadré sa conférence téléphonique auprès de ses sections départementales en s’inscrivant dans la participation : « A partir de là il nous semble qu'en l'état, il y a TROIS positions possibles que nous devons trancher : le refus de vote ou le vote en contre ou abstention ». La direction du Snuipp accepterait même les allongements d’année scolaire : « nous proposons de porter des amendements au décret qui permettraient une réelle réécriture (autorisant Poitiers, Munster, 4 jours avec étalement) et une proposition d’ajout à la circulaire modifiant le calendrier et écrivant noir sur blanc que l’année 2014/2015 est une année où le dépôt de projets dérogatoires est possible. La prise en compte ou pas de nos propositions sera un élément d’appréciation. La commission préparatoire au CSE aura lieu mercredi 30 avril au matin. »

Même si finalement le Snuipp a voté contre le projet de décret Hamon, celui-ci a été promulgué immédiatement après son passage au CTM, malgré la majorité de vote négatif. C’est ainsi la démonstration de la nature des instances de participation, et c’est aussi dans les faits, la démonstration que la position participationniste des directions syndicales permet au gouvernement de faire passer sa politique.

Il faut ajouter qu’un autre décret portant sur les obligations de service des enseignants des écoles est sur le point d’être publié. Il concerne les enseignants amenés à intervenir au cours d’une même semaine sur plusieurs écoles qui auraient des emplois du temps différents avec l’application du décret « rythmes scolaires ». Ce sont des dizaines de milliers de remplaçants et d’enseignants nommés à l’année sur des postes dits fractionnés, qui ne bénéficieraient plus du maxima hebdomadaire de services d’enseignement fixé à 24 heures. Ils pourraient être amenés à effectuer des heures supplémentaires gratuites – jusqu’à 4h par semaine - avec comme seule contrepartie la possibilité de voir leur service réduit… lorsque cela serait possible. On le voit donc, la contre-réforme « rythmes scolaires » représente, pour le gouvernement une opportunité de remettre en cause le statut et les obligations de service des enseignants des écoles et cela, au nom de la désorganisation du service… délibérément organisée.

La nécessité de l’heure : imposer aux directions syndicales la rupture du dialogue social

Le gouvernement, malgré sa fragilisation, semble pourtant sur le point d’engranger, comme on dit dans le langage des appareils syndicaux, deux victoires politiques dans le secteur de l’enseignement : la liquidation des décrets de 1950, objectif de la bourgeoisie depuis des décennies, et l’aggravation des « rythmes scolaires », au point d’enfoncer un coin dans la définition des services des enseignants du premier degré pour aller vers l’annualisation et plus de 38 semaines de cours.

Les enseignants sont-ils subjugués par cette politique ? Bien entendu non : ils ont tenté de se mettre en mouvement dans l’enseignement primaire, ils ont tenté de le faire, au moins partiellement, dans l’enseignement secondaire. L’obstacle à la mobilisation a été et reste la position des directions syndicales, en particulier celles du Snes et du Snuipp, chacune à leur manière, et à leur place déterminante. Par leur approbation, par leur participation au processus d’écriture et d’adoption des décrets, elles portent aux enseignants un coup décisif. Ce faisant, elles portent aussi un coup au syndicat lui-même, construction historique de la profession.

Le Snes, qui portait alors un autre nom, a été formé en décembre 1935 dans le cadre de la préparation de la réunification de la CGT et de la CGTU. Il a constitué, il constitue encore le syndicat national, reposant sur un statut national, et c’est pour cette raison qu’il a la prééminence et qu’il est majoritaire dans les élections professionnelles. En rompant le lien étroit entre le statut (dont les décrets de 1950) et le syndicat - puisque celui-ci a, au vu et au su de tout le monde, pris en charge cette politique, allant même jusqu’à dénoncer dans sa presse les décrets de 1950 -, la direction du Snes s’engage dans une voie comparable à celle du Sni. La destruction du statut est parallèle à celle du syndicat. Si le Sni a été liquidé par sa direction avant que le statut des enseignants du premier degré soit constamment grignoté, celle du Snes elle a accepté la liquidation des décrets de 1950… ce qui aura sans aucun doute des conséquences sur le taux de syndicalisation, sur la vie des S1, sur les élections professionnelles…

Dans le premier degré, les enseignants ont engagé le combat contre le décret « rythmes scolaires ». Mais malgré leurs coups de boutoir, la direction du Snuipp (principal syndicat du 1er degré) a réussi à dévoyer leur combat pour protéger le gouvernement. La direction nationale de ce syndicat, incarnée par son secrétaire général et une publication (qui peut difficilement être caractérisée de syndicale), est largement fustigée dans les salles des maîtres. Mais au sein même de ce syndicat, les assauts des enseignants ont laissé des traces. Ainsi un nombre croissant de responsables départementaux critiquent de plus en plus ouvertement et vivement leur direction nationale. Ce sont ces responsables locaux, en effet, qui sont pris à partie dans les écoles, dans les réunions, par de nombreux enseignants, syndiqués ou non, remontés contre « le syndicat ». Ce sont eux qui constatent la désyndicalisation et le désinvestissement de militants écœurés ou résignés, et qui sentent leur position sociale (liée au rayonnement électoral du syndicat), menacée.

Cela indique clairement que le combat pour que les syndicats soient au service des travailleurs, conformément à leur objet, reste déterminant pour toute victoire. Pour les enseignants, il demeure donc nécessaire d’imposer aux directions syndicales la rupture du dialogue social avec un gouvernement qui défend les intérêts du capital. Les décisions prises tant au niveau de la Fonction publique que sur l’aménagement du décret « rythmes scolaires » le montrent assez. Imposer la rupture aux directions syndicales, imposer le front unique pour le retrait des projets de décrets, tant sur le statut des enseignants que sur les rythmes scolaires, tel est l’axe sur lequel les militants regroupés autour de Combattre pour le socialisme proposent de s’organiser dans l’enseignement.

 

Le 19 mai 2014

 

 

«

 

[  http://socialisme.free.fr - © A.E.P.S., 1 Bis Rue GUTENBERG, 93100 MONTREUIL  ]