Article paru dans le bulletin « Combattre pour le socialisme » n°53 (n°135 ancienne série) - 19 mars 2014 :

 

Afrique du Sud : confrontées à la crise du capitalisme,
les masses noires se dégagent de la tutelle de l’ANC
et s’engagent dans la recherche d’une autre issue politique.

Le congrès de la NUMSA, première fédération syndicale d’Afrique du Sud,
propose la construction d’un « mouvement pour le socialisme ».

 

Première partie : après la mort de Mandela,
retour sur l’histoire de la lutte contre l’apartheid

 

Décembre 2013 : grand-messe autour de Mandela

La mort de Nelson Mandela, le 5 décembre 2013, a fourni aux tenants des principales puissances impérialistes l’occasion d’une opération de propagande de grande ampleur. Par dizaines, flanqués d’un chœur de journalistes accordés au même diapason, présidents des métropoles impérialistes et dictateurs à leurs bottes ont afflué vers Johannesburg pour chanter des cantiques à la gloire du « dialogue », de la « coopération » et du « pardon » entre bourreaux et victimes.

C’est sur indications de la CIA que Mandela fut arrêté, en 1962, par le régime de Pretoria et emprisonné pendant 27 ans : foin de ces vieilles histoires ! C’est ensemble qu’Obama et Bush ont salué la mémoire de l’ancien « terroriste ».

L’impérialisme anglais, ancienne puissance coloniale en Afrique du Sud, fut sous Thatcher le plus fidèle allié du régime d’apartheid : qu’importe ! Cameron, héritier de Thatcher, a fait lever à Downing Street, en l’honneur de Mandela, le drapeau… britannique.

Et c’est avec un empressement comparable à celui qu’il consacre à ses opérations de guerre au Mali ou en Centrafrique que François Hollande a fait affréter deux avions pour participer à l’hommage : il s’y est présenté au coude-à-coude avec Sarkozy, nanti au demeurant d’un évêque.

Ainsi, tous les pillards et les bouchers de l’Afrique, ceux-là mêmes qui y font la guerre en permanence, qui occupent d’un bout à l’autre le « continent noir » en vue d’y perpétuer leur domination et garantir les profits de leurs groupes industriels, étaient au premier rang pour saluer l’« œuvre » du premier président noir d’Afrique du Sud…

En vérité, dans l’esprit de tous ces visiteurs, c’était moins l’ancien dirigeant de l’ANC que le combat historique des masses noires contre l’apartheid, contre le système de ségrégation et d’exploitation hérité du colonialisme, qu’il s’agissait d’enterrer. Qu’on en juge aux termes de cet éloge funèbre écrit par Obama :

« Lors de son procès en 1964, voici ce qu’a déclaré Nelson Mandela sur le banc des accusés :

"Au cours de ma vie, je me suis entièrement consacré à la lutte du peuple africain. J'ai lutté contre la domination blanche et j'ai lutté contre la domination noire. Mon idéal le plus cher a été celui d'une société libre et démocratique dans laquelle tous vivraient en harmonie et avec des chances égales. J'espère vivre assez pour l'atteindre. Mais si cela est nécessaire, c'est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir."

Nelson Mandela a vécu pour cet idéal et il en a fait une réalité (…) Son engagement à transférer le pouvoir et à se réconcilier avec ceux qui l'ont emprisonné donne un exemple qui devrait inspirer toute l'humanité, que ce soit dans la vie des nations ou dans nos propres vies personnelles. »

« Démocratie », » égalité des chances » : si l’on considère que l’Afrique du Sud est notoirement considérée comme l’un des pays les plus inégalitaires du monde – mais aussi un pays où l’on mitraille les mineurs grévistes - on comprend aisément qu’il n’y a là que mystification. Car l’essentiel est qu’en renvoyant dos-à-dos « domination noire » et « domination blanche » - tirant un trait d’« égalité » entre l’immense majorité des opprimés et l’infime minorité des oppresseurs – Mandela s’est targué, au nom de la « démocratie », d’avoir empêché le déferlement d’une révolution.

Du point de vue des dirigeants impérialistes, Mandela est un homme digne d’hommages parce qu’il a accompli ce « miracle » : accéder au pouvoir, porté par des décennies d’une lutte formidable des masses noires contre l’apartheid, une lutte révolutionnaire… et se « réconcilier avec ses ennemis ». Mandela a reçu l’ultime salut des dirigeants impérialistes parce qu’il a su maintenir intact leur « ordre ».

Et si Obama et consorts se sont précipités aux obsèques de Mandela, c’est que, précisément, le régime mis en place et vertébré par l’ANC depuis 1994 connaît aujourd’hui les plus sérieux remous de son histoire.

Quelques rappels nécessaires

Les dirigeants impérialistes qui sont allés rendre cet « hommage » ont été les principaux soutiens du régime d’apartheid. Et c’est en continuité avec cette histoire qu’ils ont soutenu Mandela.

Rappelons quelques faits. C’est en 1948 que le Parti National, parti des colons blancs d’Afrique du Sud, a mis en place à Pretoria le régime d’apartheid. L’apartheid érigeait en système toutes les conséquences du colonialisme blanc, colonialisme « de peuplement » : la ségrégation de fait y prit force de loi au nom de la séparation systématique des « races » et des « ethnies ». La grande majorité de la population, constituée par les masses noires, était dépossédée, privée de droits, de terres, d’instruction ou d’accès élémentaire aux services de santé, parquée et entassée dans des réserves (bantoustans) et ghettos (townships) d’où l’on n’était autorisé à sortir que muni d’un permis de travail (pass). Le soir, un couvre-feu veillait à ce qu’aucun Noir ne fût autorisé à s’aventurer dans les rues blanches. L’immense majorité des terres et des richesses était (et reste aujourd’hui) aux mains des blancs : l’immense majorité de la population, noire, s’entassait (et s’entasse encore) dans une infime portion du territoire.

Dans le contexte colonial de l’époque, c’est à peine si un tel régime jurait avec les méthodes employées, ailleurs, par les puissances impérialistes « démocratiques » : à tel point que le régime de Pretoria ne sortit du Commonwealth qu’à son initiative, en 1961, et qu’il fut membre fondateur de l’ONU.

La mise en place de ce régime n’a pas été sans susciter de mouvements de résistance parmi les masses noires : les organisations nationalistes petites-bourgeoises noires, l’African National Congress (ANC) et le Pan African Congress (PAC) ont pris la direction de ces mobilisations sur le terrain de la « non-violence ». Cette première vague de mobilisations subit une défaite cuisante : elle fut brisée par le massacre de dizaines de manifestants pacifiques à Sharpeville (1960) suivie d’une répression féroce, l’interdiction de l’ANC, du parti stalinien SACP et du PAC. L’ANC fut alors laminée, les masses noires politiquement décapitées et ce d’autant plus que la direction de l’ANC, après avoir prêché aux masses de se livrer en pâture à la répression sur le modèle « gandhien », engagea un tournant vers la « lutte armée » : Mandela fut lui-même livré au régime de Pretoria par les services secrets américains et incarcéré pour près de trois décennies.

Aux antipodes de la légende moderne qui voudrait que les grandes puissances furent au premier rang de la lutte contre l’apartheid, c’est précisément au cours des années 1960 que l’Afrique du Sud connut un véritable « boom » économique sous l’afflux massif de capitaux venus d’Europe ou d’Amérique du Nord. En parallèle à l’existence d’immenses richesses minérales dans le sous-sol du pays, l’apartheid garantissait aux trusts miniers l’accès à des réserves massives de main-d’œuvre taillable et corvéable à merci. Ainsi, les puissances impérialistes ont profité du système d’apartheid pour piller l’Afrique du Sud, de la même manière qu’elles pillent l’ensemble du continent africain.

Cet investissement massif s’est accompagné d’un soutien politique résolu : Washington, Londres et Paris se sont ainsi régulièrement opposés aux résolutions de « sanctions » - symboliques - discutées à l’ONU au cours des années 1970. Jusque dans les années 1980, sous la houlette de Thatcher, l’impérialisme anglais a affiché un soutien sans fard au régime de Pretoria. Quant à l’impérialisme français, il fut de De Gaulle jusqu’à Mitterrand le premier fournisseur d’armes du régime d’apartheid, en contrepartie d’un accès privilégié à l’uranium sud-africain.

C’est en considération des mêmes motifs que les puissances impérialistes ont longtemps soutenu le régime d’apartheid et qu’elles chantent, aujourd’hui, les louanges de Mandela.

Les véritables héros de la lutte contre l’apartheid : les masses noires et, en leur sein, la classe ouvrière

C’est bien à l’encontre de toute la chape de plomb impérialiste que les masses noires se sont engagées, au cours des années 1970 et 80, dans un combat croissant pour leur dignité et leurs droits élémentaires, leur libération nationale… et pour le socialisme, seul moyen véritable d’extirper les racines de l’apartheid.

Dans une large mesure, ce combat s’est développé hors des canaux du Congrès National Africain (ANC) de Mandela ou de son compère stalinien, le Parti Communiste Sud-Africain (SACP). De l’émergence du mouvement de la « Conscience noire » initié par Steve Biko, dans les années 1960-1970, à l’essor du mouvement ouvrier noir - jusqu’à l’unification d’une confédération ouvrière de masse, la COSATU, en 1985 - ce combat recouvre des décennies d’expérience politique et de sacrifices quotidiens.

C’est l’irruption de la classe ouvrière noire organisée, et non la « lutte armée » menée de l’extérieur par l’ANC, qui a marqué le début de la fin pour le vieux régime d’apartheid : dès 1973, une vague de grèves dans les mines a constitué le signe avant-coureur de la vague révolutionnaire qui allait se répandre dans le pays à partir des manifestations étudiantes et émeutes de Soweto, durement réprimées, en 1976. En 1987, la grève générale des mineurs – réalisée parce que la classe ouvrière avait construit dans sa lutte de puissantes organisations – a porté un coup décisif au régime d’apartheid.

Dans les années 1980, la jonction réalisée entre les luttes de la classe ouvrière et celles de la jeunesse ont permis le développement d’une véritable situation révolutionnaire à une échelle de masse – s’étendant à l’ensemble des townships à travers des associations, des collectifs (les civics), voire des milices ouvrières qui se centralisaient et se coordonnaient de manière croissante à travers les diverses organisations existantes : le régime de Pretoria touchait à sa fin.

Ainsi, l’histoire de la lutte des masses noires contre l’apartheid fournit une illustration saisissante à la théorie de la révolution permanente de Trotsky : à l’époque impérialiste, seule la classe ouvrière, classe révolutionnaire, est à même de réaliser jusqu’aux tâches historiques de la bourgeoisie dans les pays dominés (indépendance nationale, tâches démocratiques). En Afrique du Sud plus qu’ailleurs, rétablir effectivement la souveraineté nationale des masses noires suppose de revenir sur tout l’héritage du colonialisme et de l’apartheid et donc, exproprier la bourgeoisie blanche et les trusts, les fermiers blancs, liquider tout l’appareil d’État hérité de l’apartheid. Révolution « démocratique » ou « nationale » et révolution prolétarienne, socialiste, ne font qu’un.

Mais si la classe ouvrière fut la force décisive du combat contre l’apartheid, elle ne disposait pas de l’instrument qui lui eût permis de prendre effectivement la direction du mouvement révolutionnaire : un parti ouvrier révolutionnaire. Cette faille a permis aux puissances impérialistes et à la bourgeoisie blanche d’Afrique du Sud d’empêcher le renversement de leur « ordre » en favorisant la prise de contrôle du mouvement révolutionnaire par l’ANC.

Le rôle joué par Mandela et l’ANC

Contre la vague révolutionnaire, lorsque la répression « traditionnelle », appuyée sur les petits blancs armés, n’a plus suffi, le régime d’apartheid a eu recours à la guerre civile : les milices de l’Inkhata Freedom Party, mouvement ethniciste « zoulou », ou les vigilantes (gangs de voyous employés pour « nettoyer » les townships) stimulés et armés par le régime d’apartheid, ont procédé à la répression sanglante des manifestations anti-apartheid, massacrant notamment les militants ouvriers par centaines. En 1985, l’état d’urgence est décrété, la répression prenant des dimensions gigantesques.

Les métropoles impérialistes n’en appréciaient pas moins que l’apartheid avait fait son temps: il s’agissait de trouver une issue qui leur permît de poursuivre le pillage du pays tout en désamorçant le mouvement révolutionnaire. Il fut temps pour le président PW Botha d’écouter le conseil de son « amie sincère » Margaret Thatcher, dans une lettre écrite en 1985 : « Je crois très fermement que vous devriez prendre des mesures concrètes dans les prochains mois (…) Je continue à croire, comme je vous l'ai dit, que la libération de Nelson Mandela aurait plus d'impact que presque n'importe quelle autre mesure que vous pourriez prendre ». Dès cette époque, répression et négociations avec l’ANC se conjuguaient pour imposer la « sortie de crise » la moins défavorable à la bourgeoisie blanche.

Il faut le dire : dans ce sens, les dirigeants de l’ANC et en particulier Mandela sont allés au-delà de toutes les espérances du régime de Pretoria et de ses parrains. Prendre les rênes du mouvement de fond contre l’apartheid, pour mieux tenter de l’enterrer : telle a été la mission « historique » que l’ANC a cherchée à remplir. Mandela, à peine libéré, a fait usage de son immense prestige pour mener cette mission à bien : il a bénéficié pour cela du soutien des puissances impérialistes (Thatcher accordant asile et subventions à de nombreux cadres de l’ANC, alors même qu’elle recevait Botha à Londres, en 1984), des appareils du mouvement ouvrier (maintenant des liens privilégiés avec le paravent « syndical » de l’ANC, le SACTU, pourtant exsangue), du régime de Pretoria (Mandela acceptant d’engager des négociations secrètes avec Botha avant même d’avoir reçu l’accord de son parti), des Eglises (dont l’influence réactionnaire est restée vivace dans les ghettos)… et plus encore du parti « communiste » SACP, sous perfusion du Kremlin, qui a mis en œuvre tout son savoir-faire en matière de noyautage et de gangstérisme pour asseoir son contrôle sur le mouvement ouvrier et faire prévaloir l’orientation de l’ANC.

L’arrivée au pouvoir de l’ANC en 1994

En 1994, fruit d’années de négociation entre l’ANC et les tenants du régime d’apartheid, étaient organisées les premières élections nationales ouvertes aux Noirs de l’histoire du pays. Combattre pour le socialisme, sous la direction de Stéphane Just, dégageait les contradictions inhérentes à cette situation nouvelle :

« Le mardi 26 avril commençaient, pour la première fois en Afrique du Sud, des élections ouvertes à la population noire, majoritaire dans le pays. Le 10 mai, Mandela était proclamé président de l'Afrique du Sud, premier président noir dans l'histoire de ce pays. Après quarante-cinq années d'un Apartheid institutionnel succédant lui-même à plus de deux siècles de colonialisme, c'est un bouleversement considérable ; mais parce que ni la nature de l'état ni la situation économique et sociale des masses noires opprimées n'ont changé, ce bouleversement en prépare nécessairement d'autres. »

Ces élections ont été rendues possibles par la signature d’accords préalables entre les tenants du régime d’apartheid et les dirigeants de l’ANC, accords dits de Kempton Park. Du côté de l’ANC, ils peuvent être résumés à une capitulation quasi-totale, un abandon de son propre programme en contrepartie d’un accès – qui au départ devait être limité – au pouvoir politique :

« Les négociations conduites durant quatre ans furent difficiles : la mobilisation des masses noires (grève générale, affrontements avec les milices de l'Inkatha, avec les collaborateurs, la police blanche ; oppositions puissantes au sein des organisations syndicales…) a contraint l'ANC à de longues interruptions des négociations officielles.

Mais peu à peu, la direction de l'ANC a pu s'engager sur le terrain choisi par la bourgeoisie blanche : ayant dès l'origine rejeté l'exigence du pouvoir noir et de l'expropriation du capital, elle a peu à peu capitulé, abandonnant sa propre ligne, renonçant à exiger une assemblée constituante, acceptant la nécessité d'une majorité qualifiée, la mise en place d'une constitution négociée, de pouvoirs fédéraux (lesquels garantissent des "sanctuaires" aux Blancs et aux Zoulous)… Finalement, faute de pouvoir imposer l'exigence du "pouvoir noir" les masses n'ont pu empêcher ce processus d'arriver à son terme. »

Ainsi, le cadre institutionnel même dans lequel étaient organisées les élections était celui d’une constitution provisoire « octroyée » par le régime d’apartheid – qui, pour l’essentiel, fut confirmée lors de l’adoption ultérieure d’une constitution définitive par le Parlement dominé par l’ANC : à travers le système fédéral, la bourgeoisie blanche conservait son emprise sur le « poumon » économique du pays – la région du Cap – tandis que la province du Kwazulu-Natal ou la « reconnaissance » des « chefs traditionnels » offraient l’opportunité à l’Inkatha de conserver une certaine influence – son dirigeant Buthelezi, sanglant auxiliaire du régime d’apartheid, se voyant même confié le poste de ministre de l’Intérieur en 1999 !

Un ravalement de façade en noir pour l’apartheid, toutes choses restant égales par ailleurs : la mainmise sur les moyens de production et les richesses du pays restant aux mains de la bourgeoisie blanche – aux Noirs, encore et toujours les ghettos, la misère… avec, il est vrai, le droit de vote et la liberté de circulation. Telles furent les termes de l’« accord » qui permit à l’ANC d’accéder au pouvoir.

Une situation lourde de contradictions

Pourtant, à quatre reprises – en 1994, 1999, 2004, 2009 – les masses noires ont massivement porté au pouvoir une majorité de l’ANC : elles attendaient de cette organisation qu’elle tînt ses promesses – celle d’une véritable réforme agraire redistribuant la terre à ceux qui la travaillent, dans un pays où plus de 80 % des terres restent aux mains des Blancs ; celle de la nationalisation des mines, détenues par les trusts impérialistes ; du développement du droit à l’instruction, à la santé, à une vie décente… Bref, en votant pour l’ANC, les masses exprimaient la volonté de voir réalisé un véritable pouvoir noir, au service des masses noires.

Il faut le rappeler : pour mieux prendre le contrôle du mouvement révolutionnaire des années 1980, les dirigeants de l’ANC et du SACP ont pris appui sur un document programmatique – la « Charte de la Liberté » - et un double-langage, qui consistait à affirmer qu’il fallait franchir l’« étape » de la « révolution démocratique » avant d’envisager d’atteindre celle de la « révolution économique ». D’un côté, les dirigeants de l’ANC s’opposaient pratiquement à la prise révolutionnaire du pouvoir et faisaient alliance avec la bourgeoisie blanche ; de l’autre, le SACP se chargeait de subjuguer les masses – en commençant par l’appareil de la COSATU et de ses syndicats – en promettant la mise en place « ultérieure » de la nationalisation des mines ou de la réforme agraire… et en liquidant au besoin ses opposants.

Deux articles de fond, publiés dans CPS n° 49 et 50 (nouvelle série), l’ont montré : au pouvoir depuis 1994, les dirigeants de l’ANC se sont pleinement intégrés au système de pillage impérialiste du pays, foulant au pied toutes les aspirations des masses noires et les maintenant dans la misère la plus complète – tandis que ses dirigeants s’enrichissaient en constituant une bourgeoisie noire parasitaire et dépendante des trusts miniers.

Contenues et étouffées par le formidable appareil de l’ANC et du SACP, les aspirations des masses noires n’ont néanmoins jamais cessé de s’exprimer. En 2004, la contradiction à l’œuvre dans le pays a culminé avec l’élection d’une majorité de plus des 2/3 du Parlement pour l’ANC, tandis que l’Inkatha et le Parti National se retrouvaient réduits à la portion congrue : de puissantes luttes du prolétariat ont recommencé à s’engager, malgré l’étouffoir constitué par les dirigeants de la COSATU et du SACP, qui ont trouvé une première expression centralisée avec de puissantes grèves de fonctionnaires.

Avec le développement de la crise du capitalisme, ces rapports se sont tendus à l’extrême.

A partir de 2004 : crise dans l’ANC et rôle crucial de la « Triple Alliance »

Lors des élections de 2009, si l’ANC est ressortie une nouvelle fois majoritaire, pour la première fois depuis 1994 une opposition bourgeoise substantielle s’est regroupée au Parlement : en effet, le précédent congrès de l’ANC s’était soldé par la victoire – obtenue par des méthodes de gangster – de la fraction dirigée par Jacob Zuma, au détriment du président sortant, Thabo Mbeki. En conséquence, toute l’aile la plus « pragmatique » de l’ANC – celle qui prêchait la conciliation la plus ouverte avec la bourgeoisie blanche – a quitté l’ANC pour former une organisation rivale, le COPE : après les élections, cette organisation s’est empressée de faire alliance avec le successeur du Parti National comme représentant de la bourgeoisie blanche, l’Alliance Démocratique (DA).

Cela ne signifie en rien qu’une « aile gauche » ait triomphé dans l’ANC – au contraire : pour mener à bien sa politique anti-ouvrière, la direction de l’ANC a besoin plus que jamais des dirigeants du SACP et de ceux de la COSATU. En lieu et place des alliances passées avec le Parti National ou l’Inkatha, désormais laminés, la « Triple Alliance » devient la clef de voûte du régime de l’ANC.

Pendant trois ans, cette alliance a tenu bon. Il faut, pour le comprendre, donner quelques éléments d’appréciation sur la nature réelle du prétendu « parti communiste » SACP : ce parti n’a jamais été un parti ouvrier de masse, sur le modèle des partis ex-staliniens d’Europe. De composition essentiellement blanche et extrêmement réduite lors de sa mise en coupe réglée par la bureaucratie du Kremlin, à la fin des années 1920, ce parti est ensuite entré en osmose avec la direction de l’ANC au sein de laquelle il a constitué une école de cadres (Mandela ayant lui-même été membre de ce parti). Le SACP est aussi une véritable police politique au sein du mouvement ouvrier sud-africain : c’est lui qui a mis la COSATU en coupe réglée à la fin des années 1980, a conquis peu à peu sa direction, sélectionné son appareil – liquidant au besoin ses opposants par la calomnie, les poursuites… ou l’intimidation et le meurtre.

En 2012, cependant, la déflagration partie de la grève des mineurs de Marikana a marqué un tournant politique – mettant à mal la tutelle de l’ANC et du SACP sur le mouvement des masses et bousculant la « Triple Alliance » elle-même.

 

Deuxième partie : après le tournant de Marikana,
la classe ouvrière sud-africaine cherche une issue politique

 

Le tournant politique engagé à Marikana

Malgré les moyens considérables mis en œuvre par le gouvernement ANC dirigé par Jacob Zuma pour s’auto-célébrer à travers les obsèques de Mandela, la situation politique réelle dans le pays s’est exprimée jusqu’au cœur des célébrations : le 10 décembre 2013, Zuma a été hué spontanément et massivement. S’il est indéniable qu’au moins une partie des masses noires ont cherché à rendre hommage à Mandela, en tant que figure dirigeante du combat contre l’apartheid – et si un réel désarroi politique s’est exprimé au demeurant, à travers les applaudissements réservés à Obama ou l’évêque Desmond Tutu - la direction actuelle de l’ANC fait, elle, l’objet d’un rejet de plus en plus massif.

Ce rejet va bien au-delà de la seule figure de Zuma : certes mis en cause personnellement pour des affaires de viol et de détournement de fonds, le président sud-africain est aussi, et surtout, celui qui prend en charge, au compte de l’ANC, la politique et la répression anti-ouvrières dans le pays – celui qui porte la responsabilité du massacre de Marikana d’août 2012.

Depuis cette date, sous l’effet de la crise du capitalisme, la situation politique en Afrique du Sud connaît un tournant :

- D’une part, pour satisfaire les exigences des trusts impérialistes, l’ANC et son gouvernement se sont affranchis publiquement des revendications ouvrières attachées à la « Charte de la Liberté ». Lors de son dernier congrès, l’ANC a ainsi adopté un programme économique intégralement rédigé par la bourgeoisie – le Plan de Développement National (NDP) – qui peut être résumé en ces termes : démultiplication des cadeaux offerts à la bourgeoisie, exacerbation de l’offensive contre les masses noires, liquidation définitive de la référence à une nationalisation des mines ou à une véritable réforme agraire. Du côté de la « Triple Alliance », le SACP s’attelle consciencieusement à la réalisation d’une tâche rendue indispensable : la destruction pure et simple de la COSATU en tant que confédération ouvrière de masse ;

- D’autre part, les masses noires et en particulier la classe ouvrière se sont engagées, suite au massacre de Marikana, dans de puissants combats pour imposer leurs revendications : grèves des mineurs d’août à octobre 2012, grèves des camionneurs et des travailleurs de l’automobile, des travailleurs agricoles, de la métallurgie… Cette intense lutte des classes va au-delà d’une succession de grèves : elle se traduit par un vaste processus de recomposition syndicale et politique, exprimant la recherche active d’une issue par d’importantes fractions du prolétariat et de la jeunesse.

La grève des mines de platine

Une grève massive des mines de platine, engagée fin janvier et toujours en cours au moment où cet article est écrit, fournit une expression significative de la situation politique nouvelle en vigueur dans le pays depuis Marikana.

Cette grève consacre tout d’abord un véritable bouleversement dans le secteur minier : elle est en effet dirigée par le syndicat AMCU, fondé en 1999 à l’issue de scissions successives du syndicat minier de la COSATU, la NUM. Ainsi, en à peine plus d’un an, la NUM, dont l’appareil s’est érigé jusqu’au bout en barrage à la volonté du prolétariat minier lors des grèves de la fin 2012, a perdu des dizaines de milliers d’adhérents : l’AMCU en a gagné une fraction significative, qui montre que les mineurs, loin d’être démoralisés, entendent poursuivre le combat pour leurs revendications.

La principale revendication avancée – une augmentation des salaires à hauteur de 12 500 rands – est celle que portaient les mineurs de Marikana et la plupart des comités de grève de 2012 : elle équivaut à un quasi-triplement des salaires de misère en vigueur dans les mines et se distingue d’une simple revendication « défensive ». A sa manière, elle manifeste le fait que les mineurs aspirent à vivre décemment dans leur propre pays : ils réclament des comptes pour toutes les années au cours desquelles, du point de vue des masses, rien n’a fondamentalement changé malgré la « fin » proclamée de l’apartheid. La grève est largement suivie – jusqu’à 80 % début février, selon le journal patronal Les Echos.

Ce mouvement se heurte pourtant à de sérieuses limites : la direction de l’AMCU entend avant tout se servir de son influence récemment acquise pour gagner sa place à la table des négociations avec le patronat. C’est pourquoi la direction de l’AMCU, se targuant de son caractère « responsable », a limité la grève aux seules mines de platine – la grève ayant été décrétée « illégale » dans les autres secteurs, où la NUM reste majoritaire. En 2012, le président de l’AMCU, Joseph Mathunjwa, avait tourné le dos aux mineurs de Marikana par crainte de la répression : c’est malgré lui que les mineurs, blâmant avant tout les dirigeants de la NUM, ont afflué en masse vers son syndicat.

La première question posée est donc celle du contrôle de la mobilisation et des syndicats par les travailleurs : or, la direction de l’AMCU ne se distingue guère des dirigeants de la NUM en matière de gangstérisme. Le 20 janvier, selon un communiqué du jeune Workers And Socialist Party (WASP) d’Afrique du Sud, lors d’un meeting de masse dans le bassin minier de Rustenburg, Mathunjwa, appuyé par son service d’ordre, est allé jusqu’à désavouer publiquement les dirigeants locaux de son propre syndicat… pour avoir appelé à la reconstitution de comités de grève élus sur le modèle des grèves de 2012, et invité à leur meeting le président du syndicat majoritaire de la métallurgie et de l’automobile (NUMSA). De la même manière, les dirigeants de l’AMCU avaient auparavant appelé leurs adhérents à boycotter une grève locale dans une mine de fer… parce qu’elle était appelée par une section locale de la NUM.

L’appel à la grève de l’AMCU exprime malgré tout la volonté des mineurs et leur pression sur le syndicat : la volonté des dirigeants de l’AMCU de signer dès que possible un « accord » au rabais avec le patronat a, jusqu’à maintenant, été contrecarrée. Début mars, Mathunjwa se voyait encore contraint de déclarer que « les adhérents décideront eux-mêmes sur la grève » (AFP, 6/3/2014). Le patronat minier, peu hostile en principe à la reconnaissance de l’AMCU comme nouvel « interlocuteur », appelle en conséquence… à l’arrestation des dirigeants syndicaux, en représailles contre la mise en place de piquets de grève dans les mines.

Bridés pendant des années par la tutelle des dirigeants de la NUM, les mineurs prennent ainsi une nouvelle fois la mesure de leur force. Les questions posées par ce mouvement vont néanmoins au-delà du combat pour le front unique et pour l’extension de la grève : en dernière analyse, les trusts miniers préfèreront mettre la clef sous la porte plutôt que de céder aux revendications des mineurs, contradictoires à la logique du profit.

Garantir aux travailleurs des mines des conditions de vie et de travail décentes, garantir au-delà la satisfaction des besoins sociaux élémentaires par l’exploitation des ressources gigantesques du sous-sol d’Afrique du Sud au profit des masses noires, cela suppose d’aller vers l’expropriation des mines et, pour cela, d’avoir une réponse à la question du pouvoir. C’est aussi une telle réponse qui donnerait toute sa vigueur au mouvement vers la grève générale qui se développe dans le pays depuis 2012.

Le congrès exceptionnel de la NUMSA (décembre 2013)

Le congrès exceptionnel de la fédération syndicale majoritaire des travailleurs de la métallurgie et de l’automobile, la NUMSA, qui s’est tenu du 17 au 20 décembre 2013, constitue de ce point de vue un pas en avant supplémentaire.

Ce congrès, qui s’est tenu du 17 au 20 décembre 2013, affirme avoir réuni 1200 délégués représentant 338 000 ouvriers métallurgistes. Avec l’effondrement de la fédération minière, la NUM, les dirigeants de la NUMSA peuvent désormais se targuer de diriger la plus puissante fédération syndicale d’Afrique du Sud – autrement dit, le plus grand syndicat d’Afrique.

La décision de tenir ce congrès extraordinaire a été prise par un Comité Central de la NUMSA le 11 août 2013, date qui a son importance. Dans un communiqué du 18/10/2013, le porte-parole de la fédération a justifié cette décision ainsi : « Quand nous nous sommes réunis à notre congrès national de juin 2012, nous n’aurions jamais imaginé qu’un mouvement de libération comme l’ANC adopterait un document néo-libéral comme le Plan de Développement National (National Development Plan, NDP). Nous ne savions pas non plus qu’un massacre de travailleurs comme cela est arrivé à Marikana pouvait se réaliser dans une Afrique du Sud démocratique. Nous ne pouvions non plus imaginer que notre fédération – COSATU – serait à ce point paralysée et incapable de mener la lutte élémentaire pour la mise en œuvre des résolutions, des programmes et des campagnes du 11e congrès. Ce que nous n’avons pas non plus anticipé, c’est que le président de la RSA, qui est également président de l’ANC, signerait une loi de privatisation des routes publiques à travers les péages électroniques. » (Karl Cloete, porte-parole de la NUMSA).

Nous verrons qu’en réalité, c’est une crise profonde, vitale au sein de la COSATU qui s’est exprimée à travers ce congrès. Ainsi, dès avant son ouverture, le président sortant de la fédération annonçait publiquement sa démission… tandis que le parti ex-stalinien SACP faisait massivement pression sur les délégués au travers d’une lettre ouverte, « Ne jouez pas avec l’unité de la COSATU ».

Balayant ces pressions avec une certaine tenue, le congrès de la NUMSA a adopté des résolutions d’une importance considérable. Il a décidé :

● De saluer Marikana comme un « tournant » dans la situation politique en Afrique du Sud, alors même que la COSATU et son syndicat minier s’étaient dressés contre la grève des mineurs en 2012. La NUMSA a ainsi levé des fonds pour les familles des mineurs, et fait ovationner une délégation de mineurs lors du congrès ;

● D’appeler la COSATU à rompre avec le gouvernement – alors même que la confédération syndicale est partie prenante de l’» Alliance Tripartite ». Dans ce sens, le congrès a décidé que la NUMSA ne donnerait pas de consigne de vote aux prochaines élections, qui auront lieu début mai 2014. Il faut préciser que, jusqu’à une date extrêmement récente, les dirigeants de la NUMSA étaient eux-mêmes affiliés au SACP… qui aurait selon eux cessé de constituer l’« avant-garde de la classe ouvrière » depuis une date récente ;

● D’œuvrer à la constitution d’un « nouveau front uni (…) d’une manière similaire au Front Démocratique Uni (UDF) des années 1980 », pour « la mise en œuvre de la Charte des Libertés », incluant au premier chef la nationalisation des mines et des monopoles ainsi que la réforme agraire ;

● D’« explorer l’établissement d’un mouvement pour le socialisme » car « la classe ouvrière a besoin d’une organisation politique engagée par sa politique et son action pour l’établissement d’une Afrique du Sud socialiste ».

Une « commission internationale » a été mise en place pour examiner les différentes sources d’inspiration possibles telles que « le Brésil, le Venezuela, la Bolivie et la Grèce » (sic). Une « conférence pour le socialisme » doit être convoquée ultérieurement, avec pour date limite le premier Comité central de la NUMSA de 2015.

Ces orientations ne sont pas exemptes d’ambiguïtés et appellent éclaircissements et commentaires. Toutefois, il convient d’emblée de souligner ce fait essentiel : alors que, depuis la restauration du capitalisme en ex-URSS, la référence au socialisme semblait avoir été effacée des consciences, alors que la tendance générale dans le mouvement ouvrier depuis lors est à la décomposition, une organisation syndicale de masse, dans un contexte de mobilisation massive de la classe ouvrière pour ses revendications, affirme sa volonté de doter la classe ouvrière d’un instrument politique, et fait du socialisme sa référence.

A l’origine du congrès exceptionnel : une crise destructrice dans l’appareil de la COSATU

Si la direction de la NUMSA invoque le « tournant » de Marikana pour justifier la convocation d’un congrès extraordinaire, cette affirmation ne recoupe toutefois qu’une partie de la réalité.

Le congrès extraordinaire a ainsi été placé sous le patronage du secrétaire général suspendu de la COSATU, Zwelinzima Vavi : ce dirigeant a été le chef de file des partisans de l’« indépendance » de la COSATU vis-à-vis du gouvernement lors du dernier congrès de la confédération, en octobre 2012 (voir l’article publié dans CPS n°50). Pour autant, ni Vavi ni la direction de la NUMSA ne se sont distingués jusqu’à une date récente par leur sympathie pour le mouvement parti de Marikana : en octobre 2012, Vavi déclarait encore que « Les grèves sauvages servent de prétexte aux compagnies minières pour réduire les effectifs. » (L’Humanité, 23/10/2012), tandis que les dirigeants de la fédération métallurgique faisaient part de leur défiance : « Aucun syndicat ne doit croire qu'il est immunisé contre un Marikana sur un lieu de travail où il est organisé » (communiqué du 12/12/2012).

Lors de son dernier congrès régulier, en juin 2012, la direction de la NUMSA appelait encore les travailleurs à « rejoindre les rangs de l’ANC et du SACP » pour favoriser la victoire de la « Révolution Nationale Démocratique ». En octobre 2012, à l’issue du dernier congrès de la COSATU, c’est Vavi en personne qui a appelé à marcher sur le bassin de Rustenburg pour « briser la contre-révolution », autrement dit balayer les comités de grève élus par les travailleurs.

Autant dire que les positions de Vavi et consorts en faveur de l’« indépendance syndicale » puisent à une autre source qu’à celle d’une saine volonté de défendre les intérêts de la classe ouvrière. Elles expriment plutôt la crainte profonde d’une partie croissante de l’appareil syndical : celle de subir le sort de la NUM, laminée par la vague de grèves issue de Marikana – une crainte explicitement exprimée par les documents de congrès de la NUMSA.

Ces vélléités d’indépendance sont toutefois plus que n’en peut supporter le reste de l’appareil confédéral, vertébré par le SACP : ce parti est prêt à détruire toute la COSATU si les développements de la crise et la politique du gouvernement le nécessitent.

C’est ainsi qu’en août 2013, Vavi a été suspendu de manière tout à fait contestable par un « Comité Central Exécutif » de la COSATU, convoqué en-dehors des règles, sous l’accusation infâmante de viol. On le constate : les dates coïncident avec la décision des dirigeants de la NUMSA d’appeler à la tenue de leur congrès extraordinaire. Le secrétaire général de la NUMSA, Irvin Jim, affirme par ailleurs avoir été poursuivi par deux voitures emplies d’hommes armés lors de ce qui fut sa dernière participation à une réunion du SACP…

Depuis le congrès extraordinaire de la NUMSA, la crise s’est encore approfondie : le 29 janvier, aux côtés de la fédération métallurgique, huit autres organisations syndicales de la COSATU représentant les infirmières (DNUSA), les fonctionnaires (PAWUSA et SASAWU), les personnels municipaux (SAMWU), de l’alimentation (FAWU), de la communication (CWU), du commerce et de la distribution (SACCAWU) et… les joueurs de football (SAFPU) ont appelé à la tenue rapide d’un congrès extraordinaire de la confédération. En réponse, l’appareil confédéral a décidé, le 26 février, d’engager une procédure d’expulsion de la NUMSA.

On le voit, la rupture d’une partie de la bureaucratie syndicale avec le SACP et l’appareil confédéral est précipitée par les événements : à la lutte croissante des masses pour leurs revendications correspond une crise profonde dans l’appareil des syndicats. L’exigence d’une rupture de la COSATU avec le gouvernement, avec la « Triple Alliance », est un mot d’ordre juste.

Pris en tenaille entre l’appareil du SACP et la pression des masses, les dirigeants de la NUMSA et consorts sont contraints de chercher une voix médiane, pour ne pas être balayés comme l’a été la NUM : telle est la première signification du « mouvement pour le socialisme », invoqué dans des termes et des délais suffisamment vagues pour laisser à l’appareil de la NUMSA une marge de manœuvre conséquente.

Un précédent historique : le second congrès de la FOSATU (avril 1982)

La crise interne à l’appareil syndical ne suffit pas, cependant, à expliquer comment une perspective telle que la construction d’un « mouvement pour le socialisme » ait pu jaillir et être adoptée massivement lors d’un congrès syndical de masse. Cela peut seulement être expliqué par l’histoire du mouvement ouvrier sud-africain et l’héritage des luttes révolutionnaires du prolétariat noir. Le « mouvement pour le socialisme » invoqué par la NUMSA n’est pas sans faire écho aux débats fondateurs de la COSATU, au cours des années 1980.

La COSATU ne saurait être réduite à une simple courroie de transmission « syndicale » de l’ANC dans la classe ouvrière : bien au contraire, l’émergence de syndicats ouvriers de masse en Afrique du Sud, au cours des années 1970-1980, a eu lieu malgré la politique de l’ANC et du SACP – une orientation de soumission pure et simple de la classe ouvrière à une direction nationaliste petite-bourgeoise « démocratique ».

La COSATU a été constituée en 1985 par la fusion d’organisations syndicales d’histoires et d’orientations diverses. Si le SACP et l’ANC sont parvenus au terme d’une longue lutte à prendre le contrôle de sa direction, l’aspiration à l’unité, profonde dans la classe ouvrière, s’est également traduite par un afflux massif et rapide d’adhérents : de moins de 500 000 membres revendiqués lors de sa fondation, la COSATU en réunit plus d’un million et demi aujourd’hui. A l’inverse, les organisations rivales de l’ANC – AZAPO et PAC – qui ont incité les syndicats qu’ils contrôlaient à tourner le dos à l’unification, sur des considérants sectaires, ont lourdement payé cette erreur : elles y ont perdu leur fleuron syndical, la NUM, et ont posé la première pierre de leur marginalisation politique.

La NUMSA a son histoire particulière : l’essentiel de ses membres et cadres fondateurs étaient issus de la Federation Of South African Trade Unions (FOSATU). Sans être pour la plupart membres d’une organisation se réclamant du trotskisme, les dirigeants de la FOSATU étaient largement influencés par l’héritage des militants trotskystes en Afrique du Sud : ce sont en effet les trotskystes qui, les premiers, se sont attelés dans les années 30 à la construction de syndicats noirs de masse – en opposition frontale avec le cours imprimés au SACP par la bureaucratie stalinienne. Ces combats ont laissé leur empreinte sur le mouvement ouvrier sud-africain.

La FOSATU se réclamait ainsi du socialisme : selon une orientation qui s’inspire dans une large mesure de la théorie de la révolution permanente de Trotsky, ils revendiquaient l’indépendance politique et organisationnelle de la classe ouvrière, seule classe à même de mettre à bas le régime d’apartheid et d’aller vers le socialisme – dans le même mouvement où la révolution réaliserait les tâches démocratiques et nationales.

En avril 1982, le second congrès de la FOSATU avait adopté et diffusé à une large échelle le « rapport Foster », du nom d’un de ses principaux dirigeants, appelant à la construction d’un « nouveau mouvement ouvrier » : « Ce rapport prend acte des modifications sociales survenues dans le pays ; il prend en considération l’apparition d’une nouvelle situation pour la classe ouvrière et en tire des conclusions sur la nécessité de construire un mouvement organisé et spécifique de la classe ouvrière, dont les fonctions ne s’arrêteraient pas aux tâches syndicales. Joe Foster emploie le terme de « mouvement ouvrier » avec un certain nombre d’explications qui confèrent au concept un sens de mouvement politique large de la classe ouvrière (…) Le rapport de congrès ne va pas plus loin. Il ne précise pas les formes possibles ou souhaitables, pour la FOSATU, de cette représentation politique de la classe ouvrière (…) Joe Foster avait, toutefois, quelques mois avant le congrès de 1982, mentionné dans une interview au journal SASPU la nécessité de construire un « parti des travailleurs ». Mais cette notion ne fut évidemment pas reprise au congrès du syndicat. » (C. Jacquin, Une gauche syndicale en Afrique du Sud (1978-1993), p. 54).

Les conditions concrètes de la lutte contre l’apartheid n’ont pas permis à cette avant-garde d’aller plus loin : confrontée aux assauts politiques déterminés de l’appareil stalinien pour soumettre les dirigeants de la COSATU à l’ANC, ils ont pâti de l’absence d’une véritable organisation révolutionnaire – de l’absence de la IVe Internationale, détruite en 1952-53, et de la dégénérescence des diverses organisations qui se réclamaient du trotskysme. Les dirigeants de la FOSATU ont peu à peu capitulé : hostile à l’origine à la « Charte de la Liberté » parce qu’elle s’opposait à la perspective d’une révolution socialiste, la direction de la NUMSA a, par la suite, accepté d’en faire son « programme minimum » et la condition de son soutien à l’ANC. Joe Foster lui-même a rejoint les rangs du SACP et de l’ANC.

Pourtant, alors qu’aujourd’hui la crise au sein de l’appareil de la COSATU conduit les dirigeants de la NUMSA à rompre avec leurs anciennes tutelles, que les dirigeants de l’ANC balaient toute référence à la « Charte de la Liberté » pour mieux répondre aux exigences des capitalistes en crise, la direction de la NUMSA se voit contrainte de renouer formellement avec certains éléments de l’histoire de la FOSATU : la question d’un « mouvement politique de la classe ouvrière », un « mouvement pour le socialisme », ressurgit.

Nécessité d’un « nouveau front unique »

La perspective d’un « nouveau front unique », tel que le congrès de la NUMSA l’a appelé de ses vœux, appelle d’autres commentaires.

La crise ouverte de la COSATU – qui pourrait conduire à court terme à son implosion – appelle aujourd’hui incontestablement un combat ouvert pour la réalisation d’un front uni avec d’autres syndicats de la confédération, sur le terrain des revendications ouvrières, pour la reconquête de la confédération sur ce terrain - et pas uniquement en faveur d’un congrès extraordinaire ou de la réintégration de l’ex-secrétaire général Vavi.

Le combat pour un front unique se pose également en-dehors de la COSATU. Ce ne peut être l’objectif de cet article que d’analyser dans tous ses détails les développements de la lutte des classes dans une Afrique du Sud actuellement en ébullition. Toutefois, c’est un fait incontournable que le mouvement des masses noires se traduit par de nombreux éléments de recomposition politique ou syndicale : comme la tutelle de l’ANC et du SACP craque de toutes parts, surgissent de nouvelles organisations.

Ainsi, dans le secteur minier, décisif, l’AMCU occupe désormais une place incontournable. Chapeautée dès l’origine par un appareil embryonnaire – sans qu’on sache d’où viennent ses ressources pour financer l’embauche de permanents ! – cette organisation est néanmoins traversée par la volonté de combat des mineurs qui l’ont rejointe par dizaines de milliers. Mais le mouvement des mineurs vers l’organisation ne s’arrête pas à l’AMCU et, dans les autres secteurs que le platine, la NUM reste majoritaire.

Au-delà de la classe ouvrière proprement dite, la question d’une jonction entre la classe ouvrière et la jeunesse est posée : tandis que ce qui reste de la ligue des jeunes de l’ANC (ANCYL) continue d’entretenir des relations tendues avec la direction Zuma – sous la pression de la jeunesse noire en proie au chômage et à la déqualification – récemment, le syndicat étudiant COSAS a fait connaître sa volonté d’appeler au boycott des élections générales » tant que les étudiants ne verraient pas leur droit aux études garanti » (Times d’Afrique du Sud, 30/1/2014). Cette organisation s’est aussitôt attiré les foudres de l’ANC comme de l’Alliance Démocratique (DA) : quoique l’on puisse penser de la validité d’une telle orientation, elle reflète indubitablement une forte tension en milieu étudiant.

Ainsi, la question d’un vaste front uni des organisations ouvrières et jeunes est objectivement posée : un tel front uni constituerait le meilleur point de départ pour donner une réponse à la question du pouvoir, aller vers la constitution d’un parti ouvrier de masse.

Double langage

Toutefois, les termes selon lesquels la NUMSA pose la question d’un « nouveau front uni » est lourde d’ambiguïtés. « Nouveau », parce que la référence explicite de la NUMSA est le « Front Démocratique Uni » (UDF) dirigé par l’ANC dans les années 1980.

L’UDF a été un des leviers majeurs utilisés par l’ANC pour imposer sa direction au mouvement révolutionnaire des années 1980, utilisant frauduleusement l’aspiration des masses noires à l’unité : front sans rivages, ouvert aux Eglises aussi bien qu’aux bourgeois blancs « libéraux », il ne constituait en rien une structure démocratique et limitait la perspective politique commune à l’établissement d’une société « démocratique », à l’« égalité entre Noirs et Blancs ». Ainsi, l’UDF évacuait toutes les questions-clés de la lutte pour liquider effectivement l’apartheid et ses conséquences. Tout en participant à l’UDF, une personnalité cléricale telle que Desmond Tutu pouvait signer une « lettre ouverte » au régime de Pretoria, côte-à-côte avec les dirigeants des principaux trusts impérialistes et avec le dirigeant de l’Inkatha, Buthelezi !

La COSATU, après avoir refusé un temps de se joindre à l’UDF, y était entrée – renvoyant de facto ses revendications « socialistes » au niveau du langage interne, tandis que la perspective avancée publiquement devenait celle d’une « révolution démocratique ».

La direction de la NUMSA, récemment, a conclu un « front uni » avec diverses organisations de jeunesse sur la question de l’« emploi des jeunes » : elle y fait question de son combat pour la « Révolution Nationale Démocratique », terminologie héritée de l’ANC et du SACP. Ainsi, sous prétexte d’« unité », la perspective du « socialisme » brandie par le congrès de la NUMSA semble pouvoir disparaître ou réapparaître au gré des événements… Ce qui montre à quel point l’appareil de la NUMSA reste un appareil bureaucratique, enclin à battre en retraite dès lors que la situation le lui permet.

Les élections du 7 mai 2014

La perspective lointaine d’un « mouvement pour le socialisme », assortie d’un refus de s’engager sur quelque terrain que ce soit lors des prochaines élections, pose un autre problème : dès lors que les masses sud-africaines tendent à mettre à mal la tutelle de l’ANC et engagent la lutte contre l’offensive du gouvernement, de la bourgeoisie blanche et des trusts, dès lors que la succession de grèves ouvrières massives, sur des revendications offensives, tend vers la grève générale, les questions : quelle alternative à l’ANC ? quelle réponse à la question du pouvoir ? se posent de manière croissante et urgente.

Les élections nationales de mai 2014 ne sont, à cet égard, nullement indifférentes pour le prolétariat : ses résultats auront une influence sur les développements de la lutte des classes. De son côté, la bourgeoisie, via l’Alliance Démocratique, entend faire tout son possible pour mettre à mal la majorité ANC à son profit – c’est-à-dire contre les masses.

D’un autre côté, un espace politique se dégage, du côté des masses, que d’autres forces entendent occuper si le mouvement ouvrier ne s’y engage pas.

Témoin d’une recherche politique dans le prolétariat : la naissance et le développement rapide du Workers’And Socialist Party (Parti socialiste des travailleurs – WASP), qui a été fondé fin 2012 par la fusion de certains comités de grève du bassin de Rustenburg et le Democratic Socialist Movement – une petite organisation qui se réclame plus ou moins du trotskysme. Conçu en réalité comme une coalition en vue des élections générales prévues en mai, le WASP revendique également le soutien d’une petite fédération syndicale des transports, forte de 50 000 adhérents et issue d’une scission de la COSATU.

Le « manifeste » électoral de ce parti, réduit à une page, se résume à défendre les mots d’ordre de « nationalisation des mines, fermes, banques et grandes entreprises sous le contrôle démocratique des travailleurs », « création d’emplois socialement utiles », un salaire de 12500 rands mensuels, des « investissements massifs dans le logement, l’électricité, l’eau, l’hygiène, les routes, les transports publics et les services publics », une « éducation publique, gratuite, depuis la crèche jusqu’à l’université », et une « assurance-santé publique ouverte à tous ». En dehors des élections, la seule perspective avancée pour réaliser ces objectifs est celle d’une « grève générale de 24 heures ».

Saluant les décisions du congrès extraordinaire de la NUMSA, le WASP s’est adressé à ce syndicat dans les plus mauvais termes possibles : il lui a proposé de le rejoindre, purement et simplement. Néanmoins, les dirigeants du WASP ont raison lorsqu’ils considèrent que le combat en vue d’apporter une expression politique à la classe ouvrière noire sur le terrain des élections est un combat incontournable.

A témoin, la tentative engagée par Julius Malema, ancien dirigeant de la ligue des jeunes de l’ANC (ANCYL), de capter à son profit les voix ouvrières et jeunes qui se détacheront de l’ANC : son parti, les Economic Freedom Fighters (combattants de la liberté économique – EFF), dont il a été désigné « commandant en chef » (sic), revendiquait récemment plus de 400 000 adhérents… une cavalerie dans les chiffres, invérifiables et peu probables, qui a surtout pour objectif d’en imposer aux dirigeants de la NUMSA et d’apparaître comme une alternative immédiate à l’ANC.

Dans sa déclaration de fondation, carnavalesque, l’organisation revendique notamment « l’expropriation des terres sud-africaines sans compensation », la « nationalisation des mines, banques et autres secteurs stratégiques de l’économie, sans compensation » et le développement des services publics. En réalité, Malema, personnalité plus que douteuse (voir CPS n°50), entend rejouer, sous la forme d’une farce populiste, la tragédie de l’accession au pouvoir de l’ANC sur le terrain de la « Charte de la Liberté » et du double langage : son organisation embryonnaire n’est pas une organisation ouvrière, mais elle dresse un obstacle à la constitution d’une telle organisation.

A juste titre, au sujet de cette organisation, le congrès de la NUMSA a relevé que « Les EFF soutiennent les nationalisations mais n’ont jamais exprimé de soutien pour une nationalisation sous contrôle ouvrier. En fait, ils ont indiqué récemment que cela pourrait inclure, au moins temporairement, une prise de participation majoritaire de l’État. Nous savons que la nationalisation en elle-même n’est pas nécessairement dans les intérêts de la classe ouvrière » (rapport du secrétariat lors du congrès). A juste titre également, la direction de la NUMSA a fait savoir toute sa défiance à l’endroit de Malema – lui-même un capitaliste enrichi du temps où il participait à la direction de l’ANC. Reste que lui laisser le champ libre lors des élections de 2014 n’augurerait rien de bon quant à la construction effective d’un « mouvement pour le socialisme » : les masses noires sud-africaines n’ont pas besoin de formulations vagues, elles ont besoin d’un parti – un Parti Ouvrier Révolutionnaire.

Quelques conclusions

De toute évidence, sous le choc de la crise, les masses noires sud-africaines cherchent à renouer avec leurs traditions révolutionnaires, celles du combat contre l’apartheid. Elles se dégagent de la tutelle de l’ANC, engagent le combat pour leurs revendications sur le plan de la lutte des classes directe, mais aussi sur le terrain politique, celui de l’organisation. L’appréciation selon laquelle les grèves parties de Marikana ont constitué un tournant politique en Afrique du Sud est pleinement confirmée.

A partir de 1994, compte tenu des contradictions inhérentes au vote massif des masses noires en faveur de l’ANC, Combattre pour le socialisme considérait que le mot d’ordre correspondant à la situation était l’exigence du pouvoir noir, mot d’ordre transitoire vers le gouvernement ouvrier.

Depuis 1994, les masses noires ont fait l’expérience des limites du vote pour l’ANC et du gouvernement ANC : elles ont constaté, par leur expérience pratique, que l’ANC les mystifiait et ne répondrait pas à leurs revendications et aspirations fondamentales. Marikana – le massacre de dizaines de mineurs en grève par un gouvernement de la majorité ANC – consacre le divorce entre les masses noires et cette organisation.

En Afrique du Sud, tout l’enjeu de la nouvelle situation politique est de permettre – ou non – l’émergence d’une autre perspective : ce qui suppose d’avancer vers la constitution d’un gouvernement ouvrier. C’est cette question qui s’exprime et se pose à travers, notamment, les résolutions adoptées par le congrès de la NUMSA.

Le mouvement vers la constitution d’un parti ouvrier – ou d’un front unique ouvrier revendiquant l’exercice du pouvoir – dépend des développements à venir de la lutte des classes. L’appareil de la NUMSA reste un appareil bureaucratique : poussé par la crise au sommet de la COSATU à brandir la perspective d’un « mouvement pour le socialisme », il ne va pas jusqu’à revenir sur ses compromissions passées, sur le bilan réel de l’ANC, du SACP et de la COSATU au pouvoir. La porte reste ouverte à un brusque revirement opportuniste.

Il n’en est pas moins certain que l’alternative posée est fondamentalement ceci : ou les masses noires parviendront, dans leur lutte, à dépasser les limites de leur combat passé contre l’apartheid, ou leur mouvement refluera, faute de perspective, au profit de la bourgeoisie.

Sur le plan de la situation politique internationale, d’ores et déjà, l’affirmation par le congrès de la NUMSA de la recherche d’un « mouvement pour le socialisme » - après l’engagement de la COB en Bolivie en faveur d’un « parti des travailleurs » - constitue un fait nouveau, d’une très grande importance : il confirme pleinement notre appréciation selon laquelle l’enfouissement de la perspective du socialisme, et la décomposition du mouvement ouvrier, ne sont en rien des horizons indépassables.

L’Afrique du Sud est un pays déterminant pour l’ensemble du continent africain : qu’une organisation syndicale de masse s’engage effectivement dans la constitution d’un parti ouvrier combattant pour le pouvoir, et un signal puissant serait envoyé aux prolétariats de tout le continent et, au-delà, pour s’engager dans ce sens.

Combattre pour le socialisme reviendra sur ces questions.

 

Le 9 mars 2014

 

 

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