Article paru dans
le bulletin « Combattre pour le socialisme » n°53 (n°135 ancienne
série) - 19 mars 2014 :
Afrique du Sud : confrontées
à la crise du capitalisme,
les masses noires se dégagent de la tutelle de l’ANC
et s’engagent dans la recherche d’une autre issue politique.
Le congrès de la NUMSA, première
fédération syndicale d’Afrique du Sud,
propose la construction d’un « mouvement pour le socialisme ».
Première partie : après la mort de
Mandela,
retour sur l’histoire de la lutte contre l’apartheid
Décembre 2013 :
grand-messe autour de Mandela
La mort
de Nelson Mandela, le 5 décembre 2013, a fourni aux tenants des principales
puissances impérialistes l’occasion d’une opération de propagande de grande
ampleur. Par dizaines, flanqués d’un chœur de journalistes accordés au même diapason,
présidents des métropoles impérialistes et dictateurs à leurs bottes ont afflué
vers Johannesburg pour chanter des cantiques à la gloire du « dialogue »,
de la « coopération » et du « pardon » entre bourreaux et
victimes.
C’est
sur indications de la CIA que Mandela fut arrêté, en 1962, par le régime de
Pretoria et emprisonné pendant 27 ans : foin de ces vieilles histoires !
C’est ensemble qu’Obama et Bush ont salué la mémoire de l’ancien « terroriste ».
L’impérialisme
anglais, ancienne puissance coloniale en Afrique du Sud, fut sous Thatcher le
plus fidèle allié du régime d’apartheid : qu’importe ! Cameron,
héritier de Thatcher, a fait lever à Downing Street,
en l’honneur de Mandela, le drapeau… britannique.
Et
c’est avec un empressement comparable à celui qu’il consacre à ses opérations
de guerre au Mali ou en Centrafrique que François Hollande a fait affréter deux
avions pour participer à l’hommage : il s’y est présenté au coude-à-coude
avec Sarkozy, nanti au demeurant d’un évêque.
Ainsi,
tous les pillards et les bouchers de l’Afrique, ceux-là mêmes qui y font la
guerre en permanence, qui occupent d’un bout à l’autre le « continent noir »
en vue d’y perpétuer leur domination et garantir les profits de leurs groupes
industriels, étaient au premier rang pour saluer l’« œuvre » du
premier président noir d’Afrique du Sud…
En
vérité, dans l’esprit de tous ces visiteurs, c’était moins l’ancien dirigeant
de l’ANC que le combat historique des masses noires contre l’apartheid, contre
le système de ségrégation et d’exploitation hérité du colonialisme, qu’il
s’agissait d’enterrer. Qu’on en juge aux termes de cet éloge funèbre écrit par
Obama :
« Lors de son procès en 1964, voici ce
qu’a déclaré Nelson Mandela sur le banc des accusés :
"Au cours de ma vie, je me suis
entièrement consacré à la lutte du peuple africain. J'ai lutté contre la
domination blanche et j'ai lutté contre la domination noire. Mon idéal le
plus cher a été celui d'une société libre et démocratique dans laquelle tous
vivraient en harmonie et avec des chances égales. J'espère vivre assez pour
l'atteindre. Mais si cela est nécessaire, c'est un idéal pour lequel je suis
prêt à mourir."
Nelson Mandela a vécu pour cet idéal et il en
a fait une réalité (…) Son engagement à transférer le pouvoir et à se
réconcilier avec ceux qui l'ont emprisonné donne un exemple qui devrait
inspirer toute l'humanité, que ce soit dans la vie des nations ou dans nos
propres vies personnelles. »
« Démocratie », » égalité
des chances » : si l’on considère que l’Afrique du Sud est
notoirement considérée comme l’un des pays les plus inégalitaires du monde –
mais aussi un pays où l’on mitraille les mineurs grévistes - on comprend
aisément qu’il n’y a là que mystification. Car l’essentiel est qu’en renvoyant
dos-à-dos « domination noire » et « domination blanche » -
tirant un trait d’« égalité » entre l’immense majorité des opprimés
et l’infime minorité des oppresseurs – Mandela s’est targué, au nom de la « démocratie »,
d’avoir empêché le déferlement d’une révolution.
Du
point de vue des dirigeants impérialistes, Mandela est un homme digne
d’hommages parce qu’il a accompli ce « miracle » : accéder au
pouvoir, porté par des décennies d’une lutte formidable des masses noires
contre l’apartheid, une lutte révolutionnaire… et se « réconcilier avec
ses ennemis ». Mandela a reçu l’ultime salut des dirigeants impérialistes
parce qu’il a su maintenir intact leur « ordre ».
Et si
Obama et consorts se sont précipités aux obsèques de Mandela, c’est que,
précisément, le régime mis en place et vertébré par l’ANC depuis 1994 connaît
aujourd’hui les plus sérieux remous de son histoire.
Quelques rappels nécessaires
Les
dirigeants impérialistes qui sont allés rendre cet « hommage » ont
été les principaux soutiens du régime d’apartheid. Et c’est en continuité avec
cette histoire qu’ils ont soutenu Mandela.
Rappelons
quelques faits. C’est en 1948 que le Parti National, parti des colons blancs
d’Afrique du Sud, a mis en place à Pretoria le régime d’apartheid. L’apartheid
érigeait en système toutes les conséquences du colonialisme blanc, colonialisme
« de peuplement » : la ségrégation de fait y prit force de loi
au nom de la séparation systématique des « races » et des « ethnies ».
La grande majorité de la population, constituée par les masses noires, était
dépossédée, privée de droits, de terres, d’instruction ou d’accès élémentaire
aux services de santé, parquée et entassée dans des réserves (bantoustans) et
ghettos (townships) d’où l’on n’était autorisé à sortir que muni d’un permis de
travail (pass). Le soir, un couvre-feu veillait à ce
qu’aucun Noir ne fût autorisé à s’aventurer dans les rues blanches. L’immense
majorité des terres et des richesses était (et reste aujourd’hui) aux mains des
blancs : l’immense majorité de la population, noire, s’entassait (et
s’entasse encore) dans une infime portion du territoire.
Dans le
contexte colonial de l’époque, c’est à peine si un tel régime jurait avec les
méthodes employées, ailleurs, par les puissances impérialistes « démocratiques » :
à tel point que le régime de Pretoria ne sortit du Commonwealth qu’à son
initiative, en 1961, et qu’il fut membre fondateur de l’ONU.
La mise
en place de ce régime n’a pas été sans susciter de mouvements de résistance
parmi les masses noires : les organisations nationalistes petites-bourgeoises noires, l’African
National Congress (ANC) et le Pan African
Congress (PAC) ont pris la direction de ces
mobilisations sur le terrain de la « non-violence ». Cette première
vague de mobilisations subit une défaite cuisante : elle fut brisée par le
massacre de dizaines de manifestants pacifiques à Sharpeville (1960) suivie
d’une répression féroce, l’interdiction de l’ANC, du parti stalinien SACP et du
PAC. L’ANC fut alors laminée, les masses noires politiquement décapitées et ce
d’autant plus que la direction de l’ANC, après avoir prêché aux masses de se
livrer en pâture à la répression sur le modèle « gandhien », engagea
un tournant vers la « lutte armée » : Mandela fut lui-même livré au
régime de Pretoria par les services secrets américains et incarcéré pour près
de trois décennies.
Aux
antipodes de la légende moderne qui voudrait que les grandes puissances furent
au premier rang de la lutte contre l’apartheid, c’est précisément au cours des
années 1960 que l’Afrique du Sud connut un véritable « boom »
économique sous l’afflux massif de capitaux venus d’Europe ou d’Amérique du
Nord. En parallèle à l’existence d’immenses richesses minérales dans le
sous-sol du pays, l’apartheid garantissait aux trusts miniers l’accès à des
réserves massives de main-d’œuvre taillable et corvéable à merci. Ainsi, les
puissances impérialistes ont profité du système d’apartheid pour piller
l’Afrique du Sud, de la même manière qu’elles pillent l’ensemble du continent
africain.
Cet
investissement massif s’est accompagné d’un soutien politique résolu :
Washington, Londres et Paris se sont ainsi régulièrement opposés aux
résolutions de « sanctions » - symboliques - discutées à l’ONU au
cours des années 1970. Jusque dans les années 1980, sous la houlette de
Thatcher, l’impérialisme anglais a affiché un soutien sans fard au régime de
Pretoria. Quant à l’impérialisme français, il fut de De
Gaulle jusqu’à Mitterrand le premier fournisseur d’armes du régime d’apartheid,
en contrepartie d’un accès privilégié à l’uranium sud-africain.
C’est
en considération des mêmes motifs que les puissances impérialistes ont
longtemps soutenu le régime d’apartheid et qu’elles chantent, aujourd’hui, les
louanges de Mandela.
Les véritables héros de la
lutte contre l’apartheid : les masses noires et, en leur sein, la classe
ouvrière
C’est
bien à l’encontre de toute la chape de plomb impérialiste que les masses noires
se sont engagées, au cours des années 1970 et 80, dans un combat croissant pour
leur dignité et leurs droits élémentaires, leur libération nationale… et pour
le socialisme, seul moyen véritable d’extirper les racines de l’apartheid.
Dans
une large mesure, ce combat s’est développé hors des canaux du Congrès National
Africain (ANC) de Mandela ou de son compère stalinien, le Parti Communiste
Sud-Africain (SACP). De l’émergence du mouvement de la « Conscience noire »
initié par Steve Biko, dans les années 1960-1970, à l’essor du mouvement
ouvrier noir - jusqu’à l’unification d’une confédération ouvrière de masse, la
COSATU, en 1985 - ce combat recouvre des décennies d’expérience politique et de
sacrifices quotidiens.
C’est
l’irruption de la classe ouvrière noire organisée, et non la « lutte armée »
menée de l’extérieur par l’ANC, qui a marqué le début de la fin pour le vieux
régime d’apartheid : dès 1973, une vague de grèves dans les mines a
constitué le signe avant-coureur de la vague révolutionnaire qui allait se
répandre dans le pays à partir des manifestations étudiantes et émeutes de
Soweto, durement réprimées, en 1976. En 1987, la grève générale des mineurs –
réalisée parce que la classe ouvrière avait construit dans sa lutte de
puissantes organisations – a porté un coup décisif au régime d’apartheid.
Dans
les années 1980, la jonction réalisée entre les luttes de la classe ouvrière et
celles de la jeunesse ont permis le développement d’une véritable situation
révolutionnaire à une échelle de masse – s’étendant à l’ensemble des townships
à travers des associations, des collectifs (les civics), voire des milices
ouvrières qui se centralisaient et se coordonnaient de manière croissante à
travers les diverses organisations existantes : le régime de Pretoria touchait
à sa fin.
Ainsi,
l’histoire de la lutte des masses noires contre l’apartheid fournit une
illustration saisissante à la théorie de la révolution permanente de
Trotsky : à l’époque impérialiste, seule la classe ouvrière, classe
révolutionnaire, est à même de réaliser jusqu’aux tâches historiques de la
bourgeoisie dans les pays dominés (indépendance nationale, tâches démocratiques).
En Afrique du Sud plus qu’ailleurs, rétablir effectivement la souveraineté
nationale des masses noires suppose de revenir sur tout l’héritage du
colonialisme et de l’apartheid et donc, exproprier la bourgeoisie blanche et
les trusts, les fermiers blancs, liquider tout l’appareil d’État hérité de
l’apartheid. Révolution « démocratique » ou « nationale »
et révolution prolétarienne, socialiste, ne font qu’un.
Mais si
la classe ouvrière fut la force décisive du combat contre l’apartheid, elle ne
disposait pas de l’instrument qui lui eût permis de prendre effectivement la
direction du mouvement révolutionnaire : un parti ouvrier révolutionnaire.
Cette faille a permis aux puissances impérialistes et à la bourgeoisie blanche
d’Afrique du Sud d’empêcher le renversement de leur « ordre » en
favorisant la prise de contrôle du mouvement révolutionnaire par l’ANC.
Le rôle joué par Mandela et
l’ANC
Contre
la vague révolutionnaire, lorsque la répression « traditionnelle »,
appuyée sur les petits blancs armés, n’a plus suffi, le régime d’apartheid a eu
recours à la guerre civile : les milices de l’Inkhata
Freedom Party, mouvement ethniciste
« zoulou », ou les vigilantes
(gangs de voyous employés pour « nettoyer » les townships) stimulés
et armés par le régime d’apartheid, ont procédé à la répression sanglante des
manifestations anti-apartheid, massacrant notamment les militants ouvriers par
centaines. En 1985, l’état d’urgence est décrété, la répression prenant des
dimensions gigantesques.
Les
métropoles impérialistes n’en appréciaient pas moins que l’apartheid avait fait
son temps: il s’agissait de trouver une issue qui leur permît de poursuivre le
pillage du pays tout en désamorçant le mouvement révolutionnaire. Il fut temps
pour le président PW Botha d’écouter le conseil de son « amie sincère »
Margaret Thatcher, dans une lettre écrite en 1985 : « Je crois très fermement que vous devriez
prendre des mesures concrètes dans les prochains mois (…) Je continue à croire,
comme je vous l'ai dit, que la libération de Nelson Mandela aurait plus
d'impact que presque n'importe quelle autre mesure que vous pourriez prendre ». Dès
cette époque, répression et négociations avec l’ANC se conjuguaient pour
imposer la « sortie de crise » la moins défavorable à la bourgeoisie
blanche.
Il faut
le dire : dans ce sens, les dirigeants de l’ANC et en particulier Mandela
sont allés au-delà de toutes les espérances du régime de Pretoria et de ses
parrains. Prendre les rênes du mouvement de fond contre l’apartheid, pour mieux
tenter de l’enterrer : telle a été la mission « historique » que
l’ANC a cherchée à remplir. Mandela, à peine libéré, a fait usage de son
immense prestige pour mener cette mission à bien : il a bénéficié pour
cela du soutien des puissances impérialistes (Thatcher accordant asile et
subventions à de nombreux cadres de l’ANC, alors même qu’elle recevait Botha à
Londres, en 1984), des appareils du mouvement ouvrier (maintenant des liens
privilégiés avec le paravent « syndical » de l’ANC, le SACTU,
pourtant exsangue), du régime de Pretoria (Mandela acceptant d’engager des
négociations secrètes avec Botha avant même d’avoir reçu l’accord de son
parti), des Eglises (dont l’influence réactionnaire
est restée vivace dans les ghettos)… et plus encore du parti « communiste »
SACP, sous perfusion du Kremlin, qui a mis en œuvre tout son savoir-faire en
matière de noyautage et de gangstérisme pour asseoir son contrôle sur le
mouvement ouvrier et faire prévaloir l’orientation de l’ANC.
L’arrivée au pouvoir de
l’ANC en 1994
En
1994, fruit d’années de négociation entre l’ANC et les tenants du régime
d’apartheid, étaient organisées les premières élections nationales ouvertes aux
Noirs de l’histoire du pays. Combattre
pour le socialisme, sous la direction de Stéphane Just, dégageait les
contradictions inhérentes à cette situation nouvelle :
« Le mardi 26 avril commençaient, pour
la première fois en Afrique du Sud, des élections ouvertes à la population
noire, majoritaire dans le pays. Le 10 mai, Mandela était proclamé président de
l'Afrique du Sud, premier président noir dans l'histoire de ce pays. Après
quarante-cinq années d'un Apartheid institutionnel succédant lui-même à plus de
deux siècles de colonialisme, c'est un bouleversement considérable ; mais
parce que ni la nature de l'état ni la situation économique et sociale des
masses noires opprimées n'ont changé, ce bouleversement en prépare
nécessairement d'autres. »
Ces
élections ont été rendues possibles par la signature d’accords préalables entre
les tenants du régime d’apartheid et les dirigeants de l’ANC, accords dits de Kempton Park. Du côté de l’ANC, ils peuvent être résumés à
une capitulation quasi-totale, un abandon de son propre programme en
contrepartie d’un accès – qui au départ devait être limité – au pouvoir
politique :
« Les négociations conduites durant
quatre ans furent difficiles : la mobilisation des masses noires (grève
générale, affrontements avec les milices de l'Inkatha,
avec les collaborateurs, la police blanche ; oppositions puissantes au
sein des organisations syndicales…) a contraint l'ANC à de longues
interruptions des négociations officielles.
Mais peu à peu, la direction de l'ANC a pu
s'engager sur le terrain choisi par la bourgeoisie blanche : ayant dès
l'origine rejeté l'exigence du pouvoir noir et de l'expropriation du capital,
elle a peu à peu capitulé, abandonnant sa propre ligne, renonçant à exiger une
assemblée constituante, acceptant la nécessité d'une majorité qualifiée, la
mise en place d'une constitution négociée, de pouvoirs fédéraux (lesquels
garantissent des "sanctuaires" aux Blancs et aux Zoulous)…
Finalement, faute de pouvoir imposer l'exigence du "pouvoir noir" les
masses n'ont pu empêcher ce processus d'arriver à son terme. »
Ainsi,
le cadre institutionnel même dans lequel étaient organisées les élections était
celui d’une constitution provisoire « octroyée » par le régime
d’apartheid – qui, pour l’essentiel, fut confirmée lors de l’adoption
ultérieure d’une constitution définitive par le Parlement dominé par
l’ANC : à travers le système fédéral, la bourgeoisie blanche conservait
son emprise sur le « poumon » économique du pays – la région du Cap –
tandis que la province du Kwazulu-Natal ou la « reconnaissance » des « chefs
traditionnels » offraient l’opportunité à l’Inkatha
de conserver une certaine influence – son dirigeant Buthelezi, sanglant
auxiliaire du régime d’apartheid, se voyant même confié le poste de ministre de
l’Intérieur en 1999 !
Un
ravalement de façade en noir pour l’apartheid, toutes choses restant égales par
ailleurs : la mainmise sur les moyens de production et les richesses du
pays restant aux mains de la bourgeoisie blanche – aux Noirs, encore et
toujours les ghettos, la misère… avec, il est vrai, le droit de vote et la
liberté de circulation. Telles furent les termes de l’« accord » qui
permit à l’ANC d’accéder au pouvoir.
Une situation lourde de
contradictions
Pourtant,
à quatre reprises – en 1994, 1999, 2004, 2009 – les masses noires ont
massivement porté au pouvoir une majorité de l’ANC : elles attendaient de
cette organisation qu’elle tînt ses promesses – celle d’une véritable réforme
agraire redistribuant la terre à ceux qui la travaillent, dans un pays où plus
de 80 % des terres restent aux mains des Blancs ; celle de la
nationalisation des mines, détenues par les trusts impérialistes ; du
développement du droit à l’instruction, à la santé, à une vie décente… Bref, en
votant pour l’ANC, les masses exprimaient la volonté de voir réalisé un
véritable pouvoir noir, au service des masses noires.
Il faut
le rappeler : pour mieux prendre le contrôle du mouvement révolutionnaire
des années 1980, les dirigeants de l’ANC et du SACP ont pris appui sur un
document programmatique – la « Charte de la Liberté » - et un
double-langage, qui consistait à affirmer qu’il fallait franchir l’« étape »
de la « révolution démocratique » avant d’envisager d’atteindre celle
de la « révolution économique ». D’un côté, les dirigeants de l’ANC
s’opposaient pratiquement à la prise révolutionnaire du pouvoir et faisaient
alliance avec la bourgeoisie blanche ; de l’autre, le SACP se chargeait de
subjuguer les masses – en commençant par l’appareil de la COSATU et de ses
syndicats – en promettant la mise en place « ultérieure » de la
nationalisation des mines ou de la réforme agraire… et en liquidant au besoin
ses opposants.
Deux
articles de fond, publiés dans CPS n°
49 et 50 (nouvelle série), l’ont montré : au pouvoir depuis 1994, les
dirigeants de l’ANC se sont pleinement intégrés au système de pillage
impérialiste du pays, foulant au pied toutes les aspirations des masses noires
et les maintenant dans la misère la plus complète – tandis que ses dirigeants
s’enrichissaient en constituant une bourgeoisie noire parasitaire et dépendante
des trusts miniers.
Contenues
et étouffées par le formidable appareil de l’ANC et du SACP, les aspirations
des masses noires n’ont néanmoins jamais cessé de s’exprimer. En 2004, la
contradiction à l’œuvre dans le pays a culminé avec l’élection d’une majorité
de plus des 2/3 du Parlement pour l’ANC, tandis que l’Inkatha
et le Parti National se retrouvaient réduits à la portion congrue : de
puissantes luttes du prolétariat ont recommencé à s’engager, malgré l’étouffoir
constitué par les dirigeants de la COSATU et du SACP, qui ont trouvé une
première expression centralisée avec de puissantes grèves de fonctionnaires.
Avec le
développement de la crise du capitalisme, ces rapports se sont tendus à
l’extrême.
A partir de 2004 :
crise dans l’ANC et rôle crucial de la « Triple Alliance »
Lors
des élections de 2009, si l’ANC est ressortie une nouvelle fois majoritaire,
pour la première fois depuis 1994 une opposition bourgeoise substantielle s’est
regroupée au Parlement : en effet, le précédent congrès de l’ANC s’était
soldé par la victoire – obtenue par des méthodes de gangster – de la fraction
dirigée par Jacob Zuma, au détriment du président sortant, Thabo
Mbeki. En conséquence, toute l’aile la plus « pragmatique »
de l’ANC – celle qui prêchait la conciliation la plus ouverte avec la
bourgeoisie blanche – a quitté l’ANC pour former une organisation rivale, le
COPE : après les élections, cette organisation s’est empressée de faire
alliance avec le successeur du Parti National comme représentant de la
bourgeoisie blanche, l’Alliance Démocratique (DA).
Cela ne
signifie en rien qu’une « aile gauche » ait triomphé dans l’ANC – au
contraire : pour mener à bien sa politique anti-ouvrière, la direction de
l’ANC a besoin plus que jamais des dirigeants du SACP et de ceux de la COSATU.
En lieu et place des alliances passées avec le Parti National ou l’Inkatha, désormais laminés, la « Triple Alliance »
devient la clef de voûte du régime de l’ANC.
Pendant
trois ans, cette alliance a tenu bon. Il faut, pour le comprendre, donner
quelques éléments d’appréciation sur la nature réelle du prétendu « parti
communiste » SACP : ce parti n’a jamais été un parti ouvrier de
masse, sur le modèle des partis ex-staliniens d’Europe. De composition
essentiellement blanche et extrêmement réduite lors de sa mise en coupe réglée
par la bureaucratie du Kremlin, à la fin des années 1920, ce parti est ensuite
entré en osmose avec la direction de l’ANC au sein de laquelle il a constitué
une école de cadres (Mandela ayant lui-même été membre de ce parti). Le SACP
est aussi une véritable police politique au sein du mouvement ouvrier
sud-africain : c’est lui qui a mis la COSATU en coupe réglée à la fin des
années 1980, a conquis peu à peu sa direction, sélectionné son appareil –
liquidant au besoin ses opposants par la calomnie, les poursuites… ou
l’intimidation et le meurtre.
En
2012, cependant, la déflagration partie de la grève des mineurs de Marikana a
marqué un tournant politique – mettant à mal la tutelle de l’ANC et du SACP sur
le mouvement des masses et bousculant la « Triple Alliance »
elle-même.
Deuxième partie : après le tournant de Marikana,
la classe ouvrière sud-africaine cherche une issue politique
Le tournant politique engagé
à Marikana
Malgré les
moyens considérables mis en œuvre par le gouvernement ANC dirigé par Jacob Zuma
pour s’auto-célébrer à travers les obsèques de
Mandela, la situation politique réelle dans le pays s’est exprimée jusqu’au
cœur des célébrations : le 10 décembre 2013, Zuma a été hué spontanément et
massivement. S’il est indéniable qu’au moins une partie des masses noires ont
cherché à rendre hommage à Mandela, en tant que figure dirigeante du combat
contre l’apartheid – et si un réel désarroi politique s’est exprimé au
demeurant, à travers les applaudissements réservés à Obama ou l’évêque Desmond
Tutu - la direction actuelle de l’ANC fait, elle, l’objet d’un rejet de plus en
plus massif.
Ce
rejet va bien au-delà de la seule figure de Zuma : certes mis en cause
personnellement pour des affaires de viol et de détournement de fonds, le
président sud-africain est aussi, et surtout, celui qui prend en charge, au
compte de l’ANC, la politique et la répression anti-ouvrières dans le pays –
celui qui porte la responsabilité du massacre de Marikana d’août 2012.
Depuis
cette date, sous l’effet de la crise du capitalisme, la situation politique en
Afrique du Sud connaît un tournant :
- D’une
part, pour satisfaire les exigences des trusts impérialistes, l’ANC et son
gouvernement se sont affranchis publiquement des revendications ouvrières
attachées à la « Charte de la Liberté ». Lors de son dernier congrès,
l’ANC a ainsi adopté un programme économique intégralement rédigé par la
bourgeoisie – le Plan de Développement National (NDP) – qui peut être résumé en
ces termes : démultiplication des cadeaux offerts à la bourgeoisie,
exacerbation de l’offensive contre les masses noires, liquidation définitive de
la référence à une nationalisation des mines ou à une véritable réforme
agraire. Du côté de la « Triple Alliance », le SACP s’attelle
consciencieusement à la réalisation d’une tâche rendue indispensable : la
destruction pure et simple de la COSATU en tant que confédération ouvrière de
masse ;
-
D’autre part, les masses noires et en particulier la classe ouvrière se sont
engagées, suite au massacre de Marikana, dans de puissants combats pour imposer
leurs revendications : grèves des mineurs d’août à octobre 2012, grèves des
camionneurs et des travailleurs de l’automobile, des travailleurs agricoles, de
la métallurgie… Cette intense lutte des classes va au-delà d’une succession de
grèves : elle se traduit par un vaste processus de recomposition syndicale et
politique, exprimant la recherche active d’une issue par d’importantes
fractions du prolétariat et de la jeunesse.
La grève des mines de
platine
Une
grève massive des mines de platine, engagée fin janvier et toujours en cours au
moment où cet article est écrit, fournit une expression significative de la
situation politique nouvelle en vigueur dans le pays depuis Marikana.
Cette
grève consacre tout d’abord un véritable bouleversement dans le secteur
minier : elle est en effet dirigée par le syndicat AMCU, fondé en 1999 à
l’issue de scissions successives du syndicat minier de la COSATU, la NUM.
Ainsi, en à peine plus d’un an, la NUM, dont l’appareil s’est érigé jusqu’au
bout en barrage à la volonté du prolétariat minier lors des grèves de la fin
2012, a perdu des dizaines de milliers d’adhérents : l’AMCU en a gagné une
fraction significative, qui montre que les mineurs, loin d’être démoralisés,
entendent poursuivre le combat pour leurs revendications.
La
principale revendication avancée – une augmentation des salaires à hauteur de
12 500 rands – est celle que portaient les mineurs de Marikana et la
plupart des comités de grève de 2012 : elle équivaut à un quasi-triplement des
salaires de misère en vigueur dans les mines et se distingue d’une simple
revendication « défensive ». A sa manière, elle manifeste le fait que
les mineurs aspirent à vivre décemment dans leur propre pays : ils
réclament des comptes pour toutes les années au cours desquelles, du point de
vue des masses, rien n’a fondamentalement changé malgré la « fin »
proclamée de l’apartheid. La grève est largement suivie – jusqu’à 80 %
début février, selon le journal patronal Les
Echos.
Ce
mouvement se heurte pourtant à de sérieuses limites : la direction de
l’AMCU entend avant tout se servir de son influence récemment acquise pour
gagner sa place à la table des négociations avec le patronat. C’est pourquoi la
direction de l’AMCU, se targuant de son caractère « responsable », a
limité la grève aux seules mines de platine – la grève ayant été décrétée « illégale »
dans les autres secteurs, où la NUM reste majoritaire. En 2012, le président de
l’AMCU, Joseph Mathunjwa, avait tourné le dos aux
mineurs de Marikana par crainte de la répression : c’est malgré lui que
les mineurs, blâmant avant tout les dirigeants de la NUM, ont afflué en masse
vers son syndicat.
La
première question posée est donc celle du contrôle de la mobilisation et des
syndicats par les travailleurs : or, la direction de l’AMCU ne se
distingue guère des dirigeants de la NUM en matière de gangstérisme. Le 20
janvier, selon un communiqué du jeune Workers And Socialist Party (WASP) d’Afrique du Sud, lors d’un meeting
de masse dans le bassin minier de Rustenburg, Mathunjwa,
appuyé par son service d’ordre, est allé jusqu’à désavouer publiquement les
dirigeants locaux de son propre syndicat… pour avoir appelé à la reconstitution
de comités de grève élus sur le modèle des grèves de 2012, et invité à leur
meeting le président du syndicat majoritaire de la métallurgie et de l’automobile
(NUMSA). De la même manière, les dirigeants de l’AMCU avaient auparavant appelé
leurs adhérents à boycotter une grève locale dans une mine de fer… parce
qu’elle était appelée par une section locale de la NUM.
L’appel
à la grève de l’AMCU exprime malgré tout la volonté des mineurs et leur
pression sur le syndicat : la volonté des dirigeants de l’AMCU de signer
dès que possible un « accord » au rabais avec le patronat a, jusqu’à
maintenant, été contrecarrée. Début mars, Mathunjwa
se voyait encore contraint de déclarer que « les
adhérents décideront eux-mêmes sur la grève » (AFP, 6/3/2014). Le
patronat minier, peu hostile en principe à la reconnaissance de l’AMCU comme
nouvel « interlocuteur », appelle en conséquence… à l’arrestation des
dirigeants syndicaux, en représailles contre la mise en place de piquets de
grève dans les mines.
Bridés
pendant des années par la tutelle des dirigeants de la NUM, les mineurs
prennent ainsi une nouvelle fois la mesure de leur force. Les questions posées
par ce mouvement vont néanmoins au-delà du combat pour le front unique et pour
l’extension de la grève : en dernière analyse, les trusts miniers
préfèreront mettre la clef sous la porte plutôt que de céder aux revendications
des mineurs, contradictoires à la logique du profit.
Garantir
aux travailleurs des mines des conditions de vie et de travail décentes,
garantir au-delà la satisfaction des besoins sociaux élémentaires par
l’exploitation des ressources gigantesques du sous-sol d’Afrique du Sud au
profit des masses noires, cela suppose d’aller vers l’expropriation des mines
et, pour cela, d’avoir une réponse à la question du pouvoir. C’est aussi une
telle réponse qui donnerait toute sa vigueur au mouvement vers la grève
générale qui se développe dans le pays depuis 2012.
Le congrès exceptionnel de
la NUMSA (décembre 2013)
Le
congrès exceptionnel de la fédération syndicale majoritaire des travailleurs de
la métallurgie et de l’automobile, la NUMSA, qui s’est tenu du 17 au 20
décembre 2013, constitue de ce point de vue un pas en avant supplémentaire.
Ce
congrès, qui s’est tenu du 17 au 20 décembre 2013, affirme avoir réuni 1200
délégués représentant 338 000 ouvriers métallurgistes. Avec l’effondrement
de la fédération minière, la NUM, les dirigeants de la NUMSA peuvent désormais
se targuer de diriger la plus puissante fédération syndicale d’Afrique du Sud –
autrement dit, le plus grand syndicat d’Afrique.
La
décision de tenir ce congrès extraordinaire a été prise par un Comité Central
de la NUMSA le 11 août 2013, date qui a son importance. Dans un communiqué du
18/10/2013, le porte-parole de la fédération a justifié cette décision
ainsi : « Quand nous nous
sommes réunis à notre congrès national de juin 2012, nous n’aurions jamais
imaginé qu’un mouvement de libération comme l’ANC adopterait un document
néo-libéral comme le Plan de Développement National (National Development Plan, NDP). Nous ne savions pas non plus qu’un
massacre de travailleurs comme cela est arrivé à Marikana pouvait se réaliser
dans une Afrique du Sud démocratique. Nous ne pouvions non plus imaginer que
notre fédération – COSATU – serait à ce point paralysée et incapable de mener
la lutte élémentaire pour la mise en œuvre des résolutions, des programmes et
des campagnes du 11e congrès. Ce que nous n’avons pas non plus
anticipé, c’est que le président de la RSA, qui est également président de
l’ANC, signerait une loi de privatisation des routes publiques à travers les
péages électroniques. » (Karl Cloete,
porte-parole de la NUMSA).
Nous
verrons qu’en réalité, c’est une crise profonde, vitale au sein de la COSATU
qui s’est exprimée à travers ce congrès. Ainsi, dès avant son ouverture, le
président sortant de la fédération annonçait publiquement sa démission… tandis
que le parti ex-stalinien SACP faisait massivement pression sur les délégués au
travers d’une lettre ouverte, « Ne
jouez pas avec l’unité de la COSATU ».
Balayant
ces pressions avec une certaine tenue, le congrès de la NUMSA a adopté des
résolutions d’une importance considérable. Il a décidé :
● De
saluer Marikana comme un « tournant »
dans la situation politique en Afrique du Sud, alors même que la COSATU et son
syndicat minier s’étaient dressés contre la grève des mineurs en 2012. La NUMSA
a ainsi levé des fonds pour les familles des mineurs, et fait ovationner une
délégation de mineurs lors du congrès ;
● D’appeler
la COSATU à rompre avec le gouvernement – alors même que la confédération
syndicale est partie prenante de l’» Alliance Tripartite ». Dans ce
sens, le congrès a décidé que la NUMSA ne donnerait pas de consigne de vote aux
prochaines élections, qui auront lieu début mai 2014. Il faut préciser que,
jusqu’à une date extrêmement récente, les dirigeants de la NUMSA étaient
eux-mêmes affiliés au SACP… qui aurait selon eux cessé de constituer l’« avant-garde de la classe ouvrière » depuis
une date récente ;
● D’œuvrer
à la constitution d’un « nouveau
front uni (…) d’une manière similaire au Front Démocratique Uni (UDF)
des années 1980 », pour « la
mise en œuvre de la Charte des Libertés », incluant au premier chef la
nationalisation des mines et des monopoles ainsi que la réforme agraire ;
● D’« explorer l’établissement d’un mouvement pour
le socialisme » car « la
classe ouvrière a besoin d’une organisation politique engagée par sa politique
et son action pour l’établissement d’une Afrique du Sud socialiste ».
Une « commission
internationale » a été mise en place pour examiner les différentes sources
d’inspiration possibles telles que « le
Brésil, le Venezuela, la Bolivie et la Grèce » (sic). Une « conférence pour le socialisme »
doit être convoquée ultérieurement, avec pour date limite le premier Comité
central de la NUMSA de 2015.
Ces
orientations ne sont pas exemptes d’ambiguïtés et appellent éclaircissements et
commentaires. Toutefois, il convient d’emblée de souligner ce fait
essentiel : alors que, depuis la restauration du capitalisme en ex-URSS,
la référence au socialisme semblait avoir été effacée des consciences, alors
que la tendance générale dans le mouvement ouvrier depuis lors est à la
décomposition, une organisation syndicale de masse, dans un contexte de
mobilisation massive de la classe ouvrière pour ses revendications, affirme sa
volonté de doter la classe ouvrière d’un instrument politique, et fait du
socialisme sa référence.
A l’origine du congrès
exceptionnel : une crise destructrice dans l’appareil de la COSATU
Si la
direction de la NUMSA invoque le « tournant » de Marikana pour
justifier la convocation d’un congrès extraordinaire, cette affirmation ne
recoupe toutefois qu’une partie de la réalité.
Le
congrès extraordinaire a ainsi été placé sous le patronage du secrétaire
général suspendu de la COSATU, Zwelinzima Vavi : ce dirigeant a été le chef de file des
partisans de l’« indépendance » de la COSATU vis-à-vis du
gouvernement lors du dernier congrès de la confédération, en octobre 2012 (voir
l’article publié dans CPS n°50). Pour
autant, ni Vavi ni la direction de la NUMSA ne se
sont distingués jusqu’à une date récente par leur sympathie pour le mouvement
parti de Marikana : en octobre 2012, Vavi
déclarait encore que « Les grèves
sauvages servent de prétexte aux compagnies minières pour réduire les
effectifs. » (L’Humanité,
23/10/2012), tandis que les dirigeants de la fédération métallurgique faisaient
part de leur défiance : « Aucun
syndicat ne doit croire qu'il est immunisé contre un Marikana sur un lieu de
travail où il est organisé » (communiqué du 12/12/2012).
Lors de
son dernier congrès régulier, en juin 2012, la direction de la NUMSA appelait
encore les travailleurs à « rejoindre
les rangs de l’ANC et du SACP » pour favoriser la victoire de la « Révolution Nationale Démocratique ».
En octobre 2012, à l’issue du dernier congrès de la COSATU, c’est Vavi en personne qui a appelé à marcher sur le bassin de
Rustenburg pour « briser la
contre-révolution », autrement dit balayer les comités de grève élus
par les travailleurs.
Autant
dire que les positions de Vavi et consorts en faveur
de l’« indépendance syndicale » puisent à une autre source qu’à celle
d’une saine volonté de défendre les intérêts de la classe ouvrière. Elles
expriment plutôt la crainte profonde d’une partie croissante de l’appareil
syndical : celle de subir le sort de la NUM, laminée par la vague de
grèves issue de Marikana – une crainte explicitement exprimée par les documents
de congrès de la NUMSA.
Ces vélléités d’indépendance sont toutefois plus que n’en peut
supporter le reste de l’appareil confédéral, vertébré par le SACP : ce parti
est prêt à détruire toute la COSATU si les développements de la crise et la
politique du gouvernement le nécessitent.
C’est
ainsi qu’en août 2013, Vavi a été suspendu de manière
tout à fait contestable par un « Comité Central Exécutif » de la
COSATU, convoqué en-dehors des règles, sous l’accusation infâmante de viol. On
le constate : les dates coïncident avec la décision des dirigeants de la
NUMSA d’appeler à la tenue de leur congrès extraordinaire. Le secrétaire
général de la NUMSA, Irvin Jim, affirme par ailleurs avoir été poursuivi par
deux voitures emplies d’hommes armés lors de ce qui fut sa dernière
participation à une réunion du SACP…
Depuis
le congrès extraordinaire de la NUMSA, la crise s’est encore approfondie :
le 29 janvier, aux côtés de la fédération métallurgique, huit autres
organisations syndicales de la COSATU représentant les infirmières (DNUSA), les
fonctionnaires (PAWUSA et SASAWU), les personnels municipaux (SAMWU), de
l’alimentation (FAWU), de la communication (CWU), du commerce et de la
distribution (SACCAWU) et… les joueurs de football (SAFPU) ont appelé à la
tenue rapide d’un congrès extraordinaire de la confédération. En réponse,
l’appareil confédéral a décidé, le 26 février, d’engager une procédure
d’expulsion de la NUMSA.
On le
voit, la rupture d’une partie de la bureaucratie syndicale avec le SACP et
l’appareil confédéral est précipitée par les événements : à la lutte
croissante des masses pour leurs revendications correspond une crise profonde
dans l’appareil des syndicats. L’exigence d’une rupture de la COSATU avec le
gouvernement, avec la « Triple Alliance », est un mot d’ordre juste.
Pris en
tenaille entre l’appareil du SACP et la pression des masses, les dirigeants de
la NUMSA et consorts sont contraints de chercher une voix médiane, pour ne pas
être balayés comme l’a été la NUM : telle est la première signification du
« mouvement pour le socialisme »,
invoqué dans des termes et des délais suffisamment vagues pour laisser à
l’appareil de la NUMSA une marge de manœuvre conséquente.
Un précédent
historique : le second congrès de la FOSATU (avril 1982)
La
crise interne à l’appareil syndical ne suffit pas, cependant, à expliquer
comment une perspective telle que la construction d’un « mouvement pour le socialisme » ait pu jaillir et être
adoptée massivement lors d’un congrès syndical de masse. Cela peut seulement
être expliqué par l’histoire du mouvement ouvrier sud-africain et l’héritage
des luttes révolutionnaires du prolétariat noir. Le « mouvement pour le socialisme » invoqué par la NUMSA
n’est pas sans faire écho aux débats fondateurs de la COSATU, au cours des
années 1980.
La
COSATU ne saurait être réduite à une simple courroie de transmission « syndicale »
de l’ANC dans la classe ouvrière : bien au contraire, l’émergence de
syndicats ouvriers de masse en Afrique du Sud, au cours des années 1970-1980, a
eu lieu malgré la politique de l’ANC et du SACP – une orientation de soumission
pure et simple de la classe ouvrière à une direction nationaliste
petite-bourgeoise « démocratique ».
La
COSATU a été constituée en 1985 par la fusion d’organisations syndicales
d’histoires et d’orientations diverses. Si le SACP et l’ANC sont parvenus au
terme d’une longue lutte à prendre le contrôle de sa direction, l’aspiration à
l’unité, profonde dans la classe ouvrière, s’est également traduite par un
afflux massif et rapide d’adhérents : de moins de 500 000 membres
revendiqués lors de sa fondation, la COSATU en réunit plus d’un million et demi
aujourd’hui. A l’inverse, les organisations rivales de l’ANC – AZAPO et PAC –
qui ont incité les syndicats qu’ils contrôlaient à tourner le dos à
l’unification, sur des considérants sectaires, ont lourdement payé cette
erreur : elles y ont perdu leur fleuron syndical, la NUM, et ont posé la
première pierre de leur marginalisation politique.
La
NUMSA a son histoire particulière : l’essentiel de ses membres et cadres
fondateurs étaient issus de la Federation Of South African Trade Unions (FOSATU). Sans être pour la plupart
membres d’une organisation se réclamant du trotskisme, les dirigeants de la
FOSATU étaient largement influencés par l’héritage des militants trotskystes en
Afrique du Sud : ce sont en effet les trotskystes qui, les premiers, se
sont attelés dans les années 30 à la construction de syndicats noirs de masse –
en opposition frontale avec le cours imprimés au SACP par la bureaucratie
stalinienne. Ces combats ont laissé leur empreinte sur le mouvement ouvrier
sud-africain.
La
FOSATU se réclamait ainsi du socialisme : selon une orientation qui
s’inspire dans une large mesure de la théorie de la révolution permanente de
Trotsky, ils revendiquaient l’indépendance politique et organisationnelle de la
classe ouvrière, seule classe à même de mettre à bas le régime d’apartheid et
d’aller vers le socialisme – dans le même mouvement où la révolution
réaliserait les tâches démocratiques et nationales.
En
avril 1982, le second congrès de la FOSATU avait adopté et diffusé à une large
échelle le « rapport Foster », du nom d’un de ses principaux
dirigeants, appelant à la construction d’un « nouveau mouvement ouvrier » :
« Ce rapport prend acte des
modifications sociales survenues dans le pays ; il prend en considération
l’apparition d’une nouvelle situation pour la classe ouvrière et en tire des
conclusions sur la nécessité de construire un mouvement organisé et spécifique
de la classe ouvrière, dont les fonctions ne s’arrêteraient pas aux tâches
syndicales. Joe Foster emploie le terme de « mouvement ouvrier » avec
un certain nombre d’explications qui confèrent au concept un sens de mouvement
politique large de la classe ouvrière (…) Le rapport de congrès ne va pas plus
loin. Il ne précise pas les formes possibles ou souhaitables, pour la FOSATU,
de cette représentation politique de la classe ouvrière (…) Joe Foster avait,
toutefois, quelques mois avant le congrès de 1982, mentionné dans une interview
au journal SASPU la nécessité de construire un « parti des travailleurs ».
Mais cette notion ne fut évidemment pas reprise au congrès du syndicat. » (C.
Jacquin, Une
gauche syndicale en Afrique du Sud (1978-1993), p. 54).
Les
conditions concrètes de la lutte contre l’apartheid n’ont pas permis à cette
avant-garde d’aller plus loin : confrontée aux assauts politiques
déterminés de l’appareil stalinien pour soumettre les dirigeants de la COSATU à
l’ANC, ils ont pâti de l’absence d’une véritable organisation révolutionnaire –
de l’absence de la IVe Internationale, détruite en 1952-53, et de la
dégénérescence des diverses organisations qui se réclamaient du trotskysme. Les
dirigeants de la FOSATU ont peu à peu capitulé : hostile à l’origine à la « Charte
de la Liberté » parce qu’elle s’opposait à la perspective d’une révolution
socialiste, la direction de la NUMSA a, par la suite, accepté d’en faire son « programme
minimum » et la condition de son soutien à l’ANC. Joe Foster lui-même a
rejoint les rangs du SACP et de l’ANC.
Pourtant,
alors qu’aujourd’hui la crise au sein de l’appareil de la COSATU conduit les
dirigeants de la NUMSA à rompre avec leurs anciennes tutelles, que les
dirigeants de l’ANC balaient toute référence à la « Charte de la Liberté »
pour mieux répondre aux exigences des capitalistes en crise, la direction de la
NUMSA se voit contrainte de renouer formellement avec certains éléments de
l’histoire de la FOSATU : la question d’un « mouvement politique de la classe ouvrière », un « mouvement pour le socialisme »,
ressurgit.
Nécessité d’un « nouveau front unique »
La
perspective d’un « nouveau front
unique », tel que le congrès de la NUMSA l’a appelé de ses vœux,
appelle d’autres commentaires.
La
crise ouverte de la COSATU – qui pourrait conduire à court terme à son
implosion – appelle aujourd’hui incontestablement un combat ouvert pour la
réalisation d’un front uni avec d’autres syndicats de la confédération, sur le
terrain des revendications ouvrières, pour la reconquête de la confédération
sur ce terrain - et pas uniquement en faveur d’un congrès extraordinaire ou de
la réintégration de l’ex-secrétaire général Vavi.
Le
combat pour un front unique se pose également en-dehors de la COSATU. Ce ne
peut être l’objectif de cet article que d’analyser dans tous ses détails les
développements de la lutte des classes dans une Afrique du Sud actuellement en
ébullition. Toutefois, c’est un fait incontournable que le mouvement des masses
noires se traduit par de nombreux éléments de recomposition politique ou
syndicale : comme la tutelle de l’ANC et du SACP craque de toutes parts,
surgissent de nouvelles organisations.
Ainsi,
dans le secteur minier, décisif, l’AMCU occupe désormais une place
incontournable. Chapeautée dès l’origine par un appareil embryonnaire – sans
qu’on sache d’où viennent ses ressources pour financer l’embauche de permanents !
– cette organisation est néanmoins traversée par la volonté de combat des
mineurs qui l’ont rejointe par dizaines de milliers. Mais le mouvement des
mineurs vers l’organisation ne s’arrête pas à l’AMCU et, dans les autres
secteurs que le platine, la NUM reste majoritaire.
Au-delà
de la classe ouvrière proprement dite, la question d’une jonction entre la
classe ouvrière et la jeunesse est posée : tandis que ce qui reste de la
ligue des jeunes de l’ANC (ANCYL) continue d’entretenir des relations tendues
avec la direction Zuma – sous la pression de la jeunesse noire en proie au
chômage et à la déqualification – récemment, le syndicat étudiant COSAS a fait
connaître sa volonté d’appeler au boycott des élections générales » tant que les étudiants ne verraient
pas leur droit aux études garanti » (Times d’Afrique du Sud, 30/1/2014). Cette organisation s’est
aussitôt attiré les foudres de l’ANC comme de l’Alliance Démocratique
(DA) : quoique l’on puisse penser de la validité d’une telle orientation,
elle reflète indubitablement une forte tension en milieu étudiant.
Ainsi,
la question d’un vaste front uni des organisations ouvrières et jeunes est
objectivement posée : un tel front uni constituerait le meilleur point de
départ pour donner une réponse à la question du pouvoir, aller vers la
constitution d’un parti ouvrier de masse.
Double langage
Toutefois,
les termes selon lesquels la NUMSA pose la question d’un « nouveau front uni » est lourde d’ambiguïtés. « Nouveau »,
parce que la référence explicite de la NUMSA est le « Front Démocratique
Uni » (UDF) dirigé par l’ANC dans les années 1980.
L’UDF a
été un des leviers majeurs utilisés par l’ANC pour imposer sa direction au
mouvement révolutionnaire des années 1980, utilisant frauduleusement
l’aspiration des masses noires à l’unité : front sans rivages, ouvert aux Eglises aussi bien qu’aux bourgeois blancs « libéraux »,
il ne constituait en rien une structure démocratique et limitait la perspective
politique commune à l’établissement d’une société « démocratique », à
l’« égalité entre Noirs et Blancs ». Ainsi, l’UDF évacuait toutes les
questions-clés de la lutte pour liquider effectivement l’apartheid et ses
conséquences. Tout en participant à l’UDF, une personnalité cléricale telle que
Desmond Tutu pouvait signer une « lettre ouverte » au régime de
Pretoria, côte-à-côte avec les dirigeants des principaux trusts impérialistes
et avec le dirigeant de l’Inkatha, Buthelezi !
La
COSATU, après avoir refusé un temps de se joindre à l’UDF, y était entrée –
renvoyant de facto ses revendications « socialistes » au niveau du
langage interne, tandis que la perspective avancée publiquement devenait celle
d’une « révolution démocratique ».
La
direction de la NUMSA, récemment, a conclu un « front uni » avec
diverses organisations de jeunesse sur la question de l’« emploi des
jeunes » : elle y fait question de son combat pour la « Révolution
Nationale Démocratique », terminologie héritée de l’ANC et du SACP. Ainsi,
sous prétexte d’« unité », la perspective du « socialisme »
brandie par le congrès de la NUMSA semble pouvoir disparaître ou réapparaître
au gré des événements… Ce qui montre à quel point l’appareil de la NUMSA reste
un appareil bureaucratique, enclin à battre en retraite dès lors que la
situation le lui permet.
Les élections du 7 mai 2014
La
perspective lointaine d’un « mouvement pour le socialisme », assortie
d’un refus de s’engager sur quelque terrain que ce soit lors des prochaines
élections, pose un autre problème : dès lors que les masses sud-africaines
tendent à mettre à mal la tutelle de l’ANC et engagent la lutte contre
l’offensive du gouvernement, de la bourgeoisie blanche et des trusts, dès lors
que la succession de grèves ouvrières massives, sur des revendications
offensives, tend vers la grève générale, les questions : quelle
alternative à l’ANC ? quelle réponse à la question du pouvoir ? se
posent de manière croissante et urgente.
Les
élections nationales de mai 2014 ne sont, à cet égard, nullement indifférentes
pour le prolétariat : ses résultats auront une influence sur les
développements de la lutte des classes. De son côté, la bourgeoisie, via
l’Alliance Démocratique, entend faire tout son possible pour mettre à mal la
majorité ANC à son profit – c’est-à-dire contre les masses.
D’un
autre côté, un espace politique se dégage, du côté des masses, que d’autres
forces entendent occuper si le mouvement ouvrier ne s’y engage pas.
Témoin
d’une recherche politique dans le prolétariat : la naissance et le
développement rapide du Workers’And Socialist Party (Parti socialiste des travailleurs – WASP),
qui a été fondé fin 2012 par la fusion de certains comités de grève du bassin
de Rustenburg et le Democratic Socialist
Movement – une petite organisation qui se réclame
plus ou moins du trotskysme. Conçu en réalité comme une coalition en vue des
élections générales prévues en mai, le WASP revendique également le soutien
d’une petite fédération syndicale des transports, forte de 50 000
adhérents et issue d’une scission de la COSATU.
Le « manifeste »
électoral de ce parti, réduit à une page, se résume à défendre les mots d’ordre
de « nationalisation des mines,
fermes, banques et grandes entreprises sous le contrôle démocratique des
travailleurs », « création
d’emplois socialement utiles », un salaire de 12500 rands mensuels,
des « investissements massifs dans
le logement, l’électricité, l’eau, l’hygiène, les routes, les transports
publics et les services publics », une « éducation publique, gratuite, depuis la crèche jusqu’à
l’université », et une « assurance-santé
publique ouverte à tous ». En dehors des élections, la seule
perspective avancée pour réaliser ces objectifs est celle d’une « grève générale de 24 heures ».
Saluant
les décisions du congrès extraordinaire de la NUMSA, le WASP s’est adressé à ce
syndicat dans les plus mauvais termes possibles : il lui a proposé de le
rejoindre, purement et simplement. Néanmoins, les dirigeants du WASP ont raison
lorsqu’ils considèrent que le combat en vue d’apporter une expression politique
à la classe ouvrière noire sur le terrain des élections est un combat
incontournable.
A
témoin, la tentative engagée par Julius Malema,
ancien dirigeant de la ligue des jeunes de l’ANC (ANCYL), de capter à son
profit les voix ouvrières et jeunes qui se détacheront de l’ANC : son
parti, les Economic Freedom Fighters
(combattants de la liberté économique – EFF), dont il a été désigné « commandant
en chef » (sic), revendiquait récemment plus de 400 000 adhérents…
une cavalerie dans les chiffres, invérifiables et peu probables, qui a surtout
pour objectif d’en imposer aux dirigeants de la NUMSA et d’apparaître comme une
alternative immédiate à l’ANC.
Dans sa
déclaration de fondation, carnavalesque, l’organisation revendique notamment « l’expropriation des terres
sud-africaines sans compensation », la « nationalisation des mines, banques et autres secteurs
stratégiques de l’économie, sans compensation » et le développement
des services publics. En réalité, Malema,
personnalité plus que douteuse (voir CPS
n°50), entend rejouer, sous la forme d’une farce populiste, la tragédie de
l’accession au pouvoir de l’ANC sur le terrain de la « Charte de la
Liberté » et du double langage : son organisation embryonnaire n’est
pas une organisation ouvrière, mais elle dresse un obstacle à la constitution
d’une telle organisation.
A juste
titre, au sujet de cette organisation, le congrès de la NUMSA a relevé que « Les EFF soutiennent les
nationalisations mais n’ont jamais exprimé de soutien pour une nationalisation
sous contrôle ouvrier. En fait, ils ont indiqué récemment que cela pourrait
inclure, au moins temporairement, une prise de participation majoritaire de
l’État. Nous savons que la nationalisation en elle-même n’est pas
nécessairement dans les intérêts de la classe ouvrière » (rapport du
secrétariat lors du congrès). A juste titre également, la direction de la NUMSA
a fait savoir toute sa défiance à l’endroit de Malema
– lui-même un capitaliste enrichi du temps où il participait à la direction de
l’ANC. Reste que lui laisser le champ libre lors des élections de 2014
n’augurerait rien de bon quant à la construction effective d’un « mouvement
pour le socialisme » : les masses noires sud-africaines n’ont pas
besoin de formulations vagues, elles ont besoin d’un parti – un Parti Ouvrier
Révolutionnaire.
Quelques conclusions
De
toute évidence, sous le choc de la crise, les masses noires sud-africaines
cherchent à renouer avec leurs traditions révolutionnaires, celles du combat
contre l’apartheid. Elles se dégagent de la tutelle de l’ANC, engagent le
combat pour leurs revendications sur le plan de la lutte des classes directe,
mais aussi sur le terrain politique, celui de l’organisation. L’appréciation
selon laquelle les grèves parties de Marikana ont constitué un tournant
politique en Afrique du Sud est pleinement confirmée.
A
partir de 1994, compte tenu des contradictions inhérentes au vote massif des
masses noires en faveur de l’ANC, Combattre
pour le socialisme considérait que le mot d’ordre correspondant à la
situation était l’exigence du pouvoir noir, mot d’ordre transitoire vers le
gouvernement ouvrier.
Depuis
1994, les masses noires ont fait l’expérience des limites du vote pour l’ANC et
du gouvernement ANC : elles ont constaté, par leur expérience pratique,
que l’ANC les mystifiait et ne répondrait pas à leurs revendications et
aspirations fondamentales. Marikana – le massacre de dizaines de mineurs en
grève par un gouvernement de la majorité ANC – consacre le divorce entre les
masses noires et cette organisation.
En
Afrique du Sud, tout l’enjeu de la nouvelle situation politique est de
permettre – ou non – l’émergence d’une autre perspective : ce qui suppose
d’avancer vers la constitution d’un gouvernement ouvrier. C’est cette question
qui s’exprime et se pose à travers, notamment, les résolutions adoptées par le
congrès de la NUMSA.
Le
mouvement vers la constitution d’un parti ouvrier – ou d’un front unique
ouvrier revendiquant l’exercice du pouvoir – dépend des développements à venir
de la lutte des classes. L’appareil de la NUMSA reste un appareil
bureaucratique : poussé par la crise au sommet de la COSATU à brandir la
perspective d’un « mouvement pour le socialisme », il ne va pas
jusqu’à revenir sur ses compromissions passées, sur le bilan réel de l’ANC, du
SACP et de la COSATU au pouvoir. La porte reste ouverte à un brusque revirement
opportuniste.
Il n’en
est pas moins certain que l’alternative posée est fondamentalement ceci :
ou les masses noires parviendront, dans leur lutte, à dépasser les limites de
leur combat passé contre l’apartheid, ou leur mouvement refluera, faute de
perspective, au profit de la bourgeoisie.
Sur le
plan de la situation politique internationale, d’ores et déjà, l’affirmation
par le congrès de la NUMSA de la recherche d’un « mouvement pour le
socialisme » - après l’engagement de la COB en Bolivie en faveur d’un « parti
des travailleurs » - constitue un fait nouveau, d’une très grande
importance : il confirme pleinement notre appréciation selon laquelle
l’enfouissement de la perspective du socialisme, et la décomposition du
mouvement ouvrier, ne sont en rien des horizons indépassables.
L’Afrique
du Sud est un pays déterminant pour l’ensemble du continent africain :
qu’une organisation syndicale de masse s’engage effectivement dans la
constitution d’un parti ouvrier combattant pour le pouvoir, et un signal
puissant serait envoyé aux prolétariats de tout le continent et, au-delà, pour
s’engager dans ce sens.
Combattre
pour le socialisme reviendra sur ces questions.
Le 9 mars 2014
«
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