Article paru dans le bulletin « Combattre pour le socialisme » n°52 (n°134 ancienne série) - 05 décembre 2013 :

 

 

Enseignement public

Pour briser l'offensive contre le statut et l'enseignement public, une bataille décisive :

combattre pour imposer la rupture de la collaboration des dirigeants syndicaux, en premier lieu du SNUIPP et du SNES, avec le gouvernement

 

Cet article est rédigé alors que le gouvernement est confronté à un regain de mobilisation des enseignants des écoles contre son décret « rythmes scolaires ». Il est néanmoins obligé d’ouvrir un autre front, tout aussi nécessaire que redoutable pour lui, celui de la redéfinition des métiers de l’enseignement, plus simplement celui de la liquidation des statuts enseignants. Nous avons déjà largement évoqué la signification de la contre-réforme des rythmes scolaires et nous y reviendrons plus loin. Nous avons aussi relaté la tentative de mobilisation des enseignants, il y a presque un an, pour s’y opposer et comment les directions des deux principaux syndicats, en particulier celle du SNUIPP, avaient sabordé ce combat pour permettre au gouvernement de ne pas reculer sur une partie essentielle de son dispositif contre l’enseignement public.

En cette rentrée, l’application du décret ne concernait que 20% des écoles du pays. Mais ses effets ont été tellement dévastateurs, que les enseignants directement impliqués mais également ceux qui auraient à les subir à la rentrée 2014 ont surmonté une certaine résignation consécutive à leur défaite et ont entamé de nouvelles mobilisations.

Ces mobilisations éparpillées dans un premier temps ont connu une certaine centralisation avec l’appel lancé par des syndicats minoritaires (SNUDI-FO, Sud-éducation, CGT-éduc’action, FAEN) à une grève nationale le 14 novembre. Et le fait majeur, c’est que malgré le refus de la direction nationale du SNUIPP d’y appeler, ce sont des dizaines de sections départementales de ce syndicat qui ont rejoint cet appel, le plus souvent sommées de le faire par des enseignants qui aspiraient au front uni des syndicats contre le décret scélérat de ce gouvernement.

C’est donc dans ces circonstances peu favorables, que, malgré tout, plus de 30% des enseignants des écoles ont fait grève dans le pays, avec parfois des pourcentages dépassant largement les 50%. A Paris, ville-département qui est passée en totalité aux nouveaux « rythmes », la mobilisation a été très importante.

Au sein du Conseil national du SNUIPP, quelques jours après cette grève, les représentants des sections départementales les plus sensibles aux aspirations des enseignants ont essayé d’affronter les dirigeants nationaux, indéfectibles soutiens du gouvernement. Mais force est de constater que ceux-ci sont parvenus à maintenir leur cap. Ainsi l’appel à une grève nationale le 5 décembre se fait sur des mots d’ordre qui tournent le dos à la revendication des enseignants : « abrogation du décret “rythmes scolaires“ ».

Pour le gouvernement, la réussite de sa contre-réforme « rythmes scolaires » conditionne sa capacité à liquider les statuts enseignants et tout particulièrement ceux de 1950. Peillon vient en effet d’ouvrir les « groupes de travail » sur la « redéfinition des métiers de l’enseignement » avec les directions de toutes les organisations syndicales. La bataille pour que la direction du SNUIPP exige l’abrogation du décret Peillon est essentielle pour empêcher la destruction de l’enseignement public et des statuts des personnels. Tout aussi déterminant dans cette perspective est le combat pour imposer aux dirigeants syndicaux, principalement ceux du SNUIPP et ceux du Snes, de s’opposer à la casse des statuts et pour cela de commencer par refuser la concertation, qui en est l’instrument, dans le cadre des « chantiers » ouverts par Peillon.

Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, il est nécessaire de procéder à quelques rappels historiques sur l’enseignement public et plus particulièrement sur l’enseignement primaire et leurs enseignants.

Des rappels historiques nécessaires

Toute l’histoire de l’enseignement public en France est étroitement liée aux luttes de classes. Sans entrer dans les détails, rappelons que la Commune de Paris, entre autres mesures révolutionnaires, décréta l’enseignement obligatoire, laïque et gratuit à tous les degrés. La séparation de l’Église et de l’État fut proclamée. Les écoles religieuses devinrent propriétés communales et pourvues par un personnel laïque. L’écrasement de la Commune par les Versaillais signifia la fin de ces mesures progressistes. Pour autant, il était nécessaire à la bourgeoisie, pour ses propres intérêts de réorganiser le système scolaire. Il y avait d’abord la nécessité pour une fraction croissante du patronat de disposer d’ouvriers sachant lire, écrire et effectuer des calculs élémentaires pour qu’ils puissent utiliser des machines plus complexes. D’autre part la fraction républicaine de la bourgeoisie avait besoin d’appuis pour barrer la route à une éventuelle restauration monarchique soutenue alors par l’Église. C’est ainsi, que la bourgeoisie promulgua les lois de Jules Ferry de gratuité de l’enseignement primaire (1881), de laïcité et d’obligation scolaire de 7 à 13 ans (1882). De plus, les instituteurs, jusqu’alors rétribués par les municipalités (qui intervenaient dans leur recrutement), devenaient fonctionnaires rémunérés par l’État (1886).

Toutes ces lois, pour radicales qu’elles puissent paraître, étaient bien éloignées de celles prises par la Commune. En particulier, elles maintenaient un enseignement confessionnel très important et elles réservaient la gratuité à la seule école primaire. Dans un premier temps, les instituteurs soutinrent la bourgeoisie dans son combat contre la monarchie et contre l’Église. Mais dès qu’ils voulurent se rassembler et se constituer en syndicat, le gouvernement ouvrit les hostilités contre eux. Et pendant des décennies, les instituteurs syndicalistes subirent des persécutions, des déplacements d’office et pour certains même, la révocation. Les instituteurs occupaient une place singulière dans leur commune ou leur quartier vis-à-vis des paysans et des ouvriers dont ils instruisaient les enfants. Pour surmonter un certain isolement, pour résister aux pressions du maire, de l’inspecteur, du curé et parfois d’un petit chef de directeur, ils avaient besoin de solidarité. Avec leur tradition de combat, d’organisation et leur instruction, les instituteurs ont fourni de nombreux militants au mouvement ouvrier.

Après la Seconde Guerre mondiale, le Syndicat national des instituteurs qu’ils avaient constitué a su préserver l’unité du syndicalisme enseignant (FEN) alors que la scission syndicale divisait le mouvement syndical confédéré. Pendant des dizaines d’années, la FEN a été la seule fédération syndicale dans laquelle cohabitaient tous les courants politiques du mouvement ouvrier. Elle était donc, pour les enseignants, la seule fédération représentative dont ils pouvaient à tout moment se saisir pour réaliser leur unité pour faire valoir leurs revendications.

Avec l’explosion du nombre d’élèves après la Seconde Guerre mondiale, la bourgeoisie exigea des gouvernements qui la représentaient de procéder aux « réformes structurelles » pour tailler dans les dépenses de l’enseignement public. Mais il y avait loin de la coupe aux lèvres. Pendant des décennies, les mobilisations des lycéens et des étudiants pour préserver leur droit aux études et la résistance des enseignants dotés d’une fédération syndicale très puissante ont fait obstacle à certaines contre-réformes ou en ont atténué les effets. La bourgeoisie a compris très vite que pour avancer dans la réalisation de ses objectifs, il fallait détruire la FEN, qualifiée de « forteresse enseignante », et, pour ce faire, détruire le syndicat qui en constituait le noyau : le Syndicat national des instituteurs (SNI).

15 années décisives lui permirent d’atteindre cet objectif.

Quelques repères :

- 1977, création de conseils d’école pour commencer à mettre les enseignants sous la pression des « représentants élus » de parents d’élèves

- 1987, le gouvernement Chirac essaie de mettre en place des maîtres-directeurs dans les écoles, ouvrant la voie à leur transformation en chefs d’établissement (ce dispositif sera annulé à la suite de la défaite de Chirac aux présidentielles de 1988 avec la réélection de Mitterrand)

- 1989-1991, un ensemble de coups majeurs portés contre l’école primaire et contre les instituteurs par le gouvernement Mitterrand-Rocard, Jospin étant ministre de l’Education nationale :

- Suppression des écoles normales remplacée par des IUFM, et formation professionnelle rémunérée ramenée à un an au lieu de deux

- Suppression programmée du corps des instituteurs par extinction

- Suppression de la retraite à 55 ans pour les nouveaux enseignants des écoles

- Suppression du logement de fonction (ou de l’indemnité représentative)

- Déconnexion du temps de service des enseignants de celui de leurs élèves avec mise en place d’un temps de service flexibilisé (36 heures annualisées)

- Obligation pour chaque école, à l’instar des écoles privées confessionnelles, d’élaborer un projet d’école.

Toutes ces contre-réformes n’auraient pas pu aboutir sans la collaboration que les dirigeants du SNI et ceux de la FEN ont apportée aux différents gouvernements dans leur politique contre l’enseignement public. Le corps des instituteurs en a été profondément affecté, divisé durablement (statut des instituteurs/statut des professeurs des écoles) et ce faisant affaibli. Le SNI a perdu des syndiqués écœurés par dizaines de milliers. Mais le soutien apporté aux plans des gouvernements par les dirigeants de la FEN avec l’affaiblissement de la fédération syndicale qu’il a provoqué était insuffisant pour la bourgeoisie en crise. Pour mener à leur terme le démantèlement de l’enseignement public et la liquidation des statuts de ses personnels, il était nécessaire que la FEN soit détruite. Et cette destruction qu’aucun gouvernement n’avait été capable de réaliser, c’était aux propres dirigeants de la FEN de l’accomplir. Il leur revenait de liquider eux-mêmes de l’intérieur la « forteresse enseignante ». C’est ce qu’ils firent avec un zèle sidérant, avec la complicité de tous les appareils attachés à la défense de l’ordre bourgeois. La destruction de la FEN en 1992 a été un coup terrible porté aux personnels de l’Education nationale et au-delà à l’ensemble du prolétariat.

Un sort particulier fut réservé au 1er syndicat de la FEN, celui des instituteurs, le SNI. Si les autres syndicats maintinrent une relative unité (SNES, SNESup,…). Le SNI, lui, connut un sort bien différent : ses dirigeants et leurs opposants le détruisirent totalement, allant jusqu’à faire disparaître le nom même du syndicat, comme trois ans auparavant, le gouvernement avait décidé de faire disparaître le nom d’instituteurs pour les maîtres d’écoles.

Sur les dépouilles du SNI, deux syndicats se constituèrent à l’initiative de ceux qui avaient été à l’initiative de sa destruction. L’ancienne direction nationale UID (proche du PS) constitua le Se-UNSA. Les minoritaires UA (proches du PCF) et de l’EE (proches de la LCR) constituèrent le SNUIPP-Fsu. Il faut noter que les directions de ces deux syndicats dès le départ, chacune sur son registre, se placèrent résolument dans le plein soutien avec les gouvernements successifs.

« Rythmes scolaires » : étape décisive dans la casse de l’école publique :
de la « semaine Darcos » …

Il faut d’abord rappeler que le gouvernement Sarkozy avait procédé à la rentrée 2008 à sa propre « réforme des rythmes scolaires », souvent présentée sous l’appellation de « semaine Darcos », du nom du ministre de l’Education nationale de ce gouvernement. C’est fin septembre 2007 que Darcos avait annoncé son intention de supprimer la classe le samedi matin, ce qui supprimait 2 heures d’enseignement pour les élèves des écoles primaires.

Bien évidemment, comme toujours, des arguments justifiaient l’opération. D’abord, cette « libération » du samedi matin était censée permettre d’améliorer la vie des familles. Et puis grâce à ces heures « libérées », les enseignants – dont le service ne se trouvait pas réduit – pourraient accorder une « aide personnalisée » aux élèves rencontrant des difficultés. Ces 2 heures hebdomadaires supplémentaires ont été réparties en général en augmentant d’une demi-heure leur journée de classe, la faisant passer de 6 heures à 6 heures et demie. Ces enfants devaient donc venir en classe soit plus tôt le matin que leurs camarades, soit empiéter sur la pause de midi, soit quitter la classe le soir après les autres. Derrière l’affichage du gouvernement, la réalité c’est qu’au prétexte de la mise en place de cette « aide personnalisée », il a pu supprimer des milliers de postes de Rased, c’est-à-dire des enseignants spécialisés qui jusqu’alors, prenaient en charge, pendant le temps scolaire, les élèves en difficulté. D’autre part pour les enseignants, leur temps d’enseignement hebdomadaire passant à 24h et leur temps de service étant maintenu à 27h, ils avaient alors 3 heures qui pouvaient être annualisées, soit plus de 10% de leur temps de service.

A aucun moment, la direction du SNUIPP n’a condamné, la suppression du samedi matin ou la diminution du temps d’enseignement pour les élèves, regrettant uniquement que cette annonce ait été faite sans concertation préalable. Ensuite avec les directions du Se-UNSA et du Sgen-Cfdt, elle a signé un protocole de discussion avec le gouvernement pour l’aider à mettre en place sa contre-réforme. Et si seules les directions du Se et du Sgen ont signé l’accord final, c’est qu’une consultation de la profession et le refus de nombreuses sections départementales ont empêché la direction du SNUIPP de le signer également.

Il faut donc le marteler, ces dirigeants qui disent avoir toujours condamné la contre-réforme Darcos ont au contraire tout fait pour l’aider à la mettre en œuvre. Et c’est aujourd’hui avec le même zèle, même s’ils n’ont pas le même rôle, qu’ils tentent d’aider le gouvernement actuel à mettre en place sa contre-réforme.

… au décret Peillon

Peillon a mis en avant sa réforme dite des rythmes scolaires en la parant de toutes les vertus, la première d’entre elles étant bien sûr « l’intérêt des enfants ». On a vu comment Darcos mettait en avant, lui aussi, « l’intérêt des élèves en difficulté ». Donc pour Peillon, dans son discours bien rôdé de bonimenteur, les élèves auraient des journées moins longues et une matinée supplémentaire, de préférence le mercredi, qui leur donnerait davantage de « temps de qualité » d’enseignement. De plus, ils pourraient accéder à des activités périscolaires à la suite de leur journée de classe abrégée. Evidemment, pas de remise en cause de la suppression de 2 heures hebdomadaires d’enseignement, principale mesure du gouvernement précédent. Et l’aide personnalisée de Darcos hors temps scolaire est maintenue sous une nouvelle dénomination (activités pédagogiques complémentaires), même si sa durée est diminuée.

Il faut maintenant se pencher sur la signification réelle de cette contre-réforme pour comprendre son importance capitale pour le gouvernement. Les lecteurs pourront se reporter également aux numéros précédents de CPS (49, 50 et 51).

D’abord, au prétexte de la mise en place des activités périscolaires, le décret Peillon prévoit que ce sont les maires qui déterminent désormais l’organisation scolaire, les prescriptions nationales étant à minima (24 heures de temps scolaire hebdomadaire en 9 demi-journées). Pratiquement, toutes les dérogations peuvent être accordées par les Dasen (nouvelle appellation des Inspecteurs académiques), il est même possible que d’ici peu certaines zones rurales ou de montagne puissent être dispensées de la 9e demi-journée.

Ainsi donc, c’est le cadre national de l’enseignement primaire qui est concassé avec des organisations de la semaine variant d’une commune à l’autre et parfois au sein de la même commune. Le gouvernement, qui a provoqué cette situation, veut s’appuyer sur les dysfonctionnements qu’elle génère pour attaquer le statut des enseignants des écoles. Il devient impossible pour les enseignants-remplaçants de respecter leurs obligations de service en intervenant au cours d’une même semaine sur plusieurs écoles ayant une organisation et des horaires différents. Qu’à cela ne tienne, le gouvernement présente aussitôt un projet de décret qui permettrait à cette catégorie d’instituteurs de dépasser les 24 heures d’enseignement statutaire, pouvant récupérer ces heures supplémentaires non rémunérées ultérieurement, quand les besoins du service le permettraient.

Casse du cadre national de l’enseignement primaire avec sa municipalisation, subordination du scolaire au périscolaire, mise en cause du statut des enseignants…, on va voir dans la partie suivante ce que cela signifie concrètement dans les communes ayant appliqué ce décret à la rentrée 2013.

Paris, Aubervilliers, Roubaix : des exemples démonstratifs

Dès le 3 octobre, plus de 80% des enseignants des écoles d’Aubervilliers ont fait grève contre l’application du décret Peillon. Cette ville est l’une des 5 de la Seine-Saint-Denis à avoir appliqué ce décret dès cette rentrée. Le maire PS, bon petit soldat du gouvernement, n’avait tenu aucun compte de la demande de report exprimée par les conseils d’école. C’est donc un véritable bazar qui a été organisé dans des écoles qui auraient plus que d’autres besoin de sérénité. Les enseignants se sont vus enjoints de laisser leur classe, dès la fin du temps scolaire, pour les activités périscolaires. Mais pour les enseignants et pour leurs élèves, la salle de classe n’est pas un simple local. C’est un lieu qui leur est dévolu pendant toute une année, où chacun a ses repères, ses affaires, sa place réservée. L’enseignant qui a organisé sa classe doit pouvoir y accéder à tout moment, même après la classe, pour corriger les cahiers de ses élèves pour préparer les activités ultérieures, les affichages. On peut imaginer dans quel état ces salles de classes sont rendues après la pratique d’activités encadrées par des animateurs qui n’ont pas les mêmes exigences que les enseignants. Le maire PS d’Aubervilliers a même demandé à G. Pau-Langevin, ministre déléguée auprès de Peillon, que les inspecteurs fassent pression sur les enseignants récalcitrants pour qu’ils renoncent à leur salle de classe. Par ailleurs, des « missionnaires », diligentés par l’administration, ont été envoyés dans les écoles pour tenter de convaincre les enseignants que le chaos organisé l’était pour le bien de l’école.

On se souvient que c’est à Paris, il y a un an, que la mobilisation des enseignants avait surgi contre la contre-réforme « rythmes ». Un front uni de tous les syndicats parisiens des enseignants des écoles s’était constitué contribuant à une grève presque totale le 22 janvier. On avait expliqué comment les directions du SNUIPP et de la Fsu avaient réussi à saborder et à conduire à une défaite le mouvement des enseignants en le détournant de ses objectifs. C’est à Paris, malgré la trahison des dirigeants nationaux du SNUIPP, que les enseignants avaient tenté de poursuivre leur combat contre le gouvernement et contre la mairie. Grèves, manifestations, assemblées, délégations à répétition, les instituteurs s’étaient dépensés en vain face au gouvernement qui savait qu’un recul à Paris aurait signifié son échec. Les enseignants parisiens épuisés par un combat dont les enjeux les dépassaient, avaient dû donc, de guerre lasse, amers et résignés, subir l’application du décret Peillon.

Mais les effets dévastateurs à la rentrée ont été au-delà de leurs craintes. Ils ont été confrontés à la remise en cause du fonctionnement de leurs écoles, à l’impossibilité de faire leur métier correctement (chassés de leur classe à 15 h, deux fois par semaine), à l’insécurité pour leurs élèves, à l’intrusion continue d’adultes non identifiés, à la dégradation de l’hygiène des locaux. La contre-réforme a même produit une véritable violence pour les plus jeunes enfants en maternelle, quand certains d’entre eux étaient réveillés de leur sieste pour participer aux activités périscolaires. Les enseignants étaient contraints de livrer bataille pour faire valoir leurs droits et ceux de leurs élèves. Un combat quotidien épuisant, porté particulièrement par les directeurs d’école, qui a conduit de nombreux d’entre eux au surmenage et à l’arrêt maladie. D’ailleurs, ce sont 419 d’entre eux (sur 662) qui ont envoyé une lettre collective au recteur de Paris valant réquisitoire contre la réforme Peillon et son application.

Sur la base de ce qu’ils subissent, ils écrivent : « Or, fonctionnaires d’État en charge de mission d’Education Nationale, nous souhaitons affirmer fortement ici qu’à l’école, l’important c’est l’École, autrement dit les apprentissages. Apprentissages qui doivent se construire dans de bonnes conditions, dans la sérénité. Des apprentissages menés sous la responsabilité d’adultes formés, habilités. Des apprentissages qui trouvent leur légitimité dans le cadre de programmes officiels, appliqués sur l’ensemble du territoire national ». Et après avoir pointé tous les graves problèmes engendrés par cette réforme, ils ajoutent : « Depuis un mois, les bâtiments scolaires sont réduits à des lieux d’accueil pour enfants où différents adultes possédant des statuts mal identifiés par les élèves passent faire avec eux des « activités », le scolaire peinant à trouver sa place dans la confusion générale des espaces et des rôles de chacun. Il nous semble particulièrement important que l’institution qui nous emploie réaffirme aujourd’hui la prépondérance de l’École à l’école ».

On peut ajouter un problème qui n’est pas spécifique à la ville de Paris. Dans les écoles maternelles, les Atsem interviennent en aide aux enseignants en formant un binôme avec eux, chacun avec sa qualification et sa fonction bien définies. Or il est désormais demandé aux Atsem de prendre en charge les élèves dans la classe après le temps scolaire pour faire des ateliers. Ces personnels n’ayant pas obtenu du temps de préparation pour exercer ces nouvelles fonctions sont amenés à le « prendre » au détriment du temps qu’ils consacrent en aide aux enseignants pendant le temps scolaire. Pour les enseignants, cela représente une dégradation flagrante de leurs conditions de travail. Et en corollaire, cela montre qu’en maternelle, un enseignant qualifié pourrait être remplacé par une Atsem détentrice d’un CAP petite enfance… De plus, pour ces jeunes enfants, il devient difficile de repérer qui est leur maître.

Évoquons aussi le cas de Roubaix. Cette ville a reçu le 3 septembre la visite de Peillon, accompagné de deux autres ministres. Une telle présence gouvernementale valait approbation de l’application par le maire PS du décret « rythmes scolaires ». Or que se passe-t-il dans les écoles de cette ville ? On apprend que tous les matins les élèves ont classe 3 heures et demie et même 4 heures le mercredi matin, car il n’y a plus de limite maintenant. Rappelons que précédemment, une demi-journée ne devait pas excéder 3 heures de classe. Et surtout, dans cette ville, ce sont 90% des élèves qui sont mis à la rue dès 15h15, trois après-midi par semaine. On voit là la manifestation concrète du cynisme de ceux qui proclament n’avoir que l’intérêt des élèves comme motivation.

Nouvelle mobilisation pour l’abrogation du décret Peillon

Fondamentalement, ce sont les conditions concrètes de dégradation de leurs conditions de travail qui ont poussé les enseignants directement concernés par l’application du décret à se remobiliser. Le « trop c’est trop » en a été un moteur. Mais ce mouvement n’a absolument pas été organisé par les dirigeants des principaux syndicats (SNUIPP et Se-UNSA), bien au contraire. C’est donc, malgré eux, que les enseignants ont commencé à protester en guettant comment les « autres » réagissaient à ce qu’ils devaient subir. Ce sont les enseignants d’Aubervilliers qui ont donné les premiers le signal du combat. On a vu que la morgue du maire de cette ville, traitant les enseignants comme des subalternes, a certainement contribué à rassembler les instituteurs de cette ville.

Mais les réactions de rejet de la réforme étaient générales tant ses effets étaient délétères. Les enseignants n’étaient pas les seuls personnels concernés. Ainsi, les employés territoriaux intervenant dans les écoles ont vu, du jour au lendemain, leurs conditions de travail bouleversées. Les animateurs recrutés dans l’urgence et sans qualification exigée, les membres des associations sollicités, les retraités se sont très souvent trouvé désemparés avec la prise en charge de groupes aux effectifs importants. Il faut dire que pour diminuer la facture des mairies, un décret augmentant le nombre d’enfants par animateur avait été promulgué. Quant aux parents, eux aussi ont compris que derrière les discours bienveillants, la réalité était toute autre. Se sont donc multipliées dans un éparpillement flagrant toutes sortes d’initiatives le plus souvent contre la réforme, parfois seulement contre l’insuffisance des moyens pour la mettre en œuvre.

Au sein même des principaux syndicats, la volonté d’en découdre des enseignants a tenté de se manifester.

Le secrétaire général du Se-UNSA indique que 100 syndiqués ont renvoyé leurs cartes entre janvier et juin. Il considère que c’est rien ! Mais chacun peut comprendre qu’un tel acte ne représente que la partie émergée de l’iceberg. Ce sont sans doute des milliers de syndiqués qui ne renouvelleront pas leur adhésion cette année.

Un même phénomène touche le SNUIPP, premier syndicat, affecté par un retard de syndicalisation. Dans ce syndicat, il est souvent de bon ton d’indiquer que sa direction serait moins dans l’accompagnement des réformes que celle du Se-UNSA. Les enseignants, en lisant sa presse syndicale, ont bien du mal, ces temps-ci, à voir cela. Il y a effectivement des différences, mais elles ne concernent nullement la volonté de ces directions de soutenir le gouvernement mais la meilleure manière d’y parvenir. Et pour l’instant, la direction nationale du SNUIPP est parvenue à s’opposer à la revendication d’abrogation du décret Peillon qu’expriment majoritairement les enseignants.

En septembre et octobre, la direction du SNUIPP a multiplié les interventions sur le fait que c’était une insuffisante concertation au niveau des écoles qui serait responsable du rejet par les enseignants de la réforme et elle mettait en avant que là où cette concertation avait été prise en compte, elle avait produit des effets bénéfiques. Ainsi fin septembre, une pétition était lancée dont le titre donnait la tonalité : « Rythmes scolaires : c’est avec NOUS ! » La pétition commence par : « Nous voulons une réforme des rythmes scolaires … ». Puis suit la demande d’ouverture de discussions pour la réécriture du décret. Dans quel but ? « L’avis du conseil d’école doit obligatoirement être pris en compte. » Cela signifie que la direction syndicale revendique l’atomisation totale du fonctionnement des écoles, école par école, pour la mise en œuvre de la contre-réforme. Elle revendique donc que les conseils d’école, où s’affrontent des intérêts divergents, imposent aux enseignants un fonctionnement particularisé. C’est la pulvérisation du corps des enseignants qui est préconisé.

Dans l’Humanité du 1er octobre, S Sihr, secrétaire général du SNUIPP, donnait un entretien. On sait que ce journal est celui du PCF, parti dont les députés ont tous voté la loi dite de « refondation » contre l’enseignement public. Les questions sont donc aussi significatives que les réponses.

« Des ajustements seront-ils suffisants ou la question d’une suspension de la réforme se pose-t-elle ? »

S Sihr : « Non ce n’est pas d’actualité. Il faut penser aux parents qui se sont organisés pour ce passage à quatre jours et demi d’école. On ne peut pas leur dire maintenant qu’on arrête tout. (…) »

Décidément ce « brave homme » a plus de sollicitude pour les intérêts supposés des parents que pour ceux réels des enseignants qu’il est censé défendre.

« Alors comment l’améliorer ? » Et S Sihr est heureux de pouvoir donner ses préconisations : « D’abord l’adhésion » qui permet d’aboutir à « un consensus entre élus, parents et enseignants » et enfin « les possibilités de dérogation ».

« La situation semble très compliquée en maternelle… » S Sihr y voit « une donnée à modifier. »

Mais ces tentatives d’anesthésie n’ont aucun effet sur les enseignants. Des grèves d’animateurs, de personnels territoriaux, d’enseignants se multiplient en ordre dispersé. Des petits syndicats (FO, Sud, CGT…) convoquent une intersyndicale le 22 octobre. Les directions des deux principaux syndicats ne répondent pas à l’invitation. Ce sont donc ces seules organisations minoritaires qui lancent, à la veille vacances de Toussaint, un mot d’ordre de grève nationale pour le jeudi 14 novembre, dont les enseignants auront la connaissance à la rentrée, le 4 novembre. Cet appel sur lequel figuraient 7 logos syndicaux (des syndicats territoriaux étant associés à l’appel) revendiquait « la suspension immédiate de la mise en œuvre de la réforme et l’abrogation du décret sur les rythmes scolaires ».

Il y a eu alors un événement notable, c’est que de très nombreux enseignants se sont saisis de cette initiative qui correspondait à leurs revendications. Les responsables des sections départementales du SNUIPP ont été « chahutés » par des syndiqués qui ne comprenaient pas que le SNUIPP soit absent de cet appel. Certaines sections départementales ont rejoint l’appel et en définitive, elles étaient une quarantaine a appelé à la grève le 14 (ou le 13, dans certains départements). Les autres ont demandé des comptes à la direction nationale qui avait caché en interne le fait qu’elle avait été invitée à l’intersyndicale et qu’elle avait refusé de s’y rendre.

C’est ainsi qu’en dépit du non-appel à la grève des deux principaux syndicats nationaux, environ 30% des instituteurs ont fait grève le 14 (sans compter ceux qui avaient fait grève la veille et qui en général n’étaient pas les mêmes). Il s’agit d’une moyenne, et dans de nombreux départements et à Paris, le taux de grévistes était beaucoup plus élevé.

Pour les dirigeants des petits syndicats, leur apparente radicalité est assez liée au fait que fin 2014 auront lieu les élections professionnelles. Leurs préoccupations ne sont de ce point de vue pas les mêmes que celles des enseignants. Ces derniers veulent le front uni de leur syndicat pour arracher l’abrogation du décret Peillon. Ce qui implique d’obtenir que la direction du SNUIPP adopte cette revendication car cela modifierait de manière déterminante la situation. Ces dirigeants ne tiennent pas tellement à ce que le SNUIPP adopte cette position, car ce qu’ils souhaitent, c’est recueillir dans un an les voix des électeurs SNUIPP dépités et d’accueillir ses syndiqués écœurés par la politique de la direction du SNUIPP.

Or tout combat sérieux nécessite le rassemblement le plus large pour vaincre. Certains enseignants sont prêts à combattre même sans le syndicat majoritaire, c’est tout à leur honneur. Mais plus nombreux encore sont ceux qui savent que « si l’on n’a pas le SNUIPP avec nous, c’est qu’il est contre nous », et que dans ces conditions, la victoire est compromise. Ils le savent par leur expérience et en particulier celle du combat sabordé en janvier-février, et ils ne sont pas disposés à être abusés une fois encore. Alors le combat pour obtenir que la direction du SNUIPP adopte l’exigence d’abrogation du décret doit rassembler les premiers car « qui peut le plus, peut le moins » et les seconds qui pensent que c’est la condition de la victoire.

Nous venons d’avoir connaissance de l’appel adopté par 15 enseignants à l’école A. Dumas de Courbevoie, qui va tout à fait dans ce sens :

« Abrogation du décret "rythmes scolaires" ! 

La réforme dite « des rythmes scolaires » dégrade considérablement les conditions de travail des enseignants, sans améliorer celle des élèves.

La grande majorité des enseignants s'est prononcée pour son abrogation. Il y a maintenant urgence : la responsabilité de la direction du SNUIPP-FSU (ainsi que celle du Se-UNSA) est d’être la porte-parole des enseignants et, pour cela, elle doit se prononcer clairement pour l’arrêt immédiat de cette réforme et l’abrogation du décret Peillon. ».

Cet appel qui circule sur plusieurs communes est très intéressant. Il exprime nettement un sentiment trop souvent diffus que l’on peut résumer par : « les syndicats doivent être avec nous. » Que les signataires aillent en délégation au siège du SNUIPP (et du Se) porter l’exigence formulée par cet appel et notent les réponses qui leur seront apportées ne peut que leur mieux faire apprécier où se trouvent les obstacles et comment les surmonter.

Au sein même du Conseil national du SNUIPP, réuni les 19 et 20 novembre, de nombreux responsables de sections départementales ont mis en cause la direction nationale et son orientation qui tourne le dos aux aspirations des enseignants. Mais celle-ci a tenu bon sur l’essentiel (le refus de la revendication d’abrogation) concédant des modifications marginales pour ne pas se couper de façon trop nette des enseignants comme peuvent encore le faire, de manière provocatrice, les dirigeants du Se-UNSA. La direction du SNUIPP a réuni une intersyndicale le 20 où elle a refusé de reprendre à son compte la position des autres syndicats mobilisés. Elle a avec eux appelé à une grève nationale le 5 décembre mais sur sa propre position qui essaie de noyer la réforme « rythmes scolaire » dans un ensemble informe.

L’introduction du communiqué du SNUIPP d’appel à la grève en est la preuve :

« Grève le 5 décembre dans les écoles : Pour la réussite des élèves, la vraie priorité, c’est la transformation de l’école. Rythmes scolaires, budget, conditions de travail des enseignants, le ministre doit répondre ! ». Et dans la plateforme qui comprend 9 points, un seul concerne la réforme « rythmes » :

« Une autre réforme des rythmes.

- Remise à plat partout où les écoles le demandent. Pas de généralisation en 2014 : suspension et ouverture immédiate de discussions pour écrire un nouveau décret des temps scolaires. »

Un quatre-pages vient d’être envoyé qui titre en énorme : « Une grève pour transformer l’école ». Et la direction nationale a proposé aux sections départementales de leur fournir une banderole pour les manifestations du 5 décembre avec le texte suivant : « Rythmes, conditions de travail, budget… Du concret très vite » (sic !)

On le voit, rien n’est laissé au hasard : il s’agit, avec tous les moyens dont dispose le syndicat, pour sa direction, d’escamoter totalement les revendications des enseignants.

Un exemple supplémentaire. La direction du SNUIPP a une grande propension à utiliser les finances du syndicat, dont une bonne partie provient des cotisations de ses syndiqués, pour engraisser des agences de sondages. En général, la formulation et le choix des questions permettent d’obtenir les réponses souhaitées et à ce moment, le sondage est publié. Mais parfois les résultats obtenus ne sont pas ceux qui étaient escomptés. C’est ce qui s’est passé récemment pour un sondage commandé 15 000 euros à l’Institut Harris. A la question : « Avez-vous le sentiment que l’école primaire est aujourd’hui une priorité du Gouvernement de Jean-Marc Ayrault ? », on apprend que 70% des sondés ont répondu Non. A la question : « Êtes-vous favorable à la réforme des rythmes scolaires initiée par Vincent Peillon ? », 6% répondent Oui ! 72% ne veulent pas que la réforme soit appliquée. 65% estiment que les syndicats ne sont pas assez unis sur cette question. Et enfin, « Faites-vous confiance à Vincent Peillon sur la réforme des rythmes scolaires ? », 84% répondent Non ! Cette enquête a été menée auprès d’enseignants ayant une proximité avec le SNUIPP. Avec de tels résultats, pas étonnant que la direction nationale ait préféré demander aux responsables départementaux destinataires du sondage d’en assurer la plus stricte confidentialité.

Au moment où sont écrites ces lignes (le 30 novembre), nous ne savons pas quelle sera la participation à la grève du 5 décembre. Nous avons vu que la direction du SNUIPP, en travestissant les revendications des enseignants, fait tout pour empêcher sa réussite. Pour beaucoup d’enseignants (environ 100 000) elle survient 3 semaines après la précédente, ce qui peut aussi peser. Une chose est certaine, c’est la direction du SNUIPP qui porterait la responsabilité d’une nouvelle défaite.

Le gouvernement Hollande-Ayrault-Duflot-Pinel ouvre un nouveau front contre les enseignants

Comme on l’a vu, la situation est loin d’être stabilisée pour le gouvernement concernant la contre-réforme des « rythmes scolaires ». Mais dans le cadre de la crise du système capitaliste, la bourgeoisie française est dans une telle situation sinistrée que les attaques contre l’enseignement public, en particulier contre les enseignants, ne peuvent être différées. Les 15 milliards annuels d’économie que prévoit le gouvernement implique des coupes drastiques sur les budgets sociaux, la remise en cause du droit à la santé, du droit aux études. Le budget de l’Education nationale, ses 900 000 personnels, indépendamment des discours lénifiants, sont donc forcément en ligne de mire pour atteindre ses objectifs de réduction des dépenses publiques.

C’est pourquoi, Peillon, au nom du gouvernement Hollande-Ayrault-Duflot-Pinel, a ouvert le 20 novembre des discussions sur les métiers de l’enseignement déclinés en 13 groupes de travail. On doit ajouter qu’il s’agit des discussions officielles, parce que depuis des mois, les services du ministre mènent des concertations secrètes avec certains responsables syndicaux pour que les formulations employées dans les documents publics soient suffisamment floues pour masquer l’ampleur des attaques qu’elles recèlent. Mais, même avec le maximum de précautions, il est difficile d’abuser des enseignants qui savent lire et comprendre. Et, qui de plus, n’ont pas beaucoup de doutes sur les intentions du gouvernement. Toutes les directions syndicales ont accepté, elles, de rentrer dans la concertation avec le gouvernement qui n’a jamais caché sa volonté de casser les statuts enseignants et en particulier ceux régis par les décrets de 1950.

Le n° 222 de la Lettre de liaison des militants combattants pour le Front Unique des syndicats de l’enseignement public analyse les différentes attaques contenues dans les « fiches de travail » éditées par le ministère. L’indication « l’ensemble de ces missions s’effectue dans le cadre horaire de 1607 heures » dans la fiche concernant les professeurs du second degré représente, selon la Lettre de liaison, « les bases pour une augmentation et annualisation totale des services ». Concernant la suppression des décharges statutaires, la Lettre de liaison titre : « La liquidation générale des heures de décharge : une diminution considérable des salaires réels ». Il est ensuite expliqué comment le ministère voudrait augmenter la charge de travail des enseignants qui se verraient confier des missions supplémentaires par le conseil pédagogique et le conseil d’administration : « La soumission au cadre local serait donc désormais à l’œuvre, c’est tout le contraire d’un statut ! ». La Lettre de liaison conclut ainsi : « Il est donc nécessaire dès aujourd’hui de s’organiser pour imposer aux directions des organisations syndicales, à commencer par le Snes :

- Qu’elles se prononcent pour la défense inconditionnelle des décrets de 1950 !

- En conséquence, qu’elles sortent immédiatement du groupe de travail préparant la mise en œuvre de la destruction du métier d’enseignant dans le secondaire. »

Mener cette bataille pour que les dirigeants du Snes, tout particulièrement, défendent inconditionnellement les statuts et rompent la concertation avec le gouvernement est indispensable. Car, pour l’instant, le gouvernement peut se vanter d’avoir à sa table tous les dirigeants syndicaux au moment où il s’attaque aux enseignants.

Peillon tente de dresser les personnels les uns contre les autres en adoptant la stratégie du « diviser pour mieux régner ». Ainsi, les enseignants d’éducation prioritaires devraient être « choyés » en s’en prenant aux « nantis » que seraient les professeurs des classes préparatoires aux grandes écoles. Mais ceux-ci ne sont pas disposés à se laisser gruger. Ils savent que leur rémunération n’est pas volée et correspond à la valeur de l’enseignement supérieur qu’ils dispensent. Ils ont vite compris qu’il était prévu que leurs salaires seraient amputés de 10 à 20% à charge de travail équivalente. Aussitôt, comme une traînée de poudre, en défense de leurs décharges statutaires, ils ont multiplié assemblées générales, pétitions, une manifestation est prévue et un préavis de grève a été déposé pour le 9 décembre chez ces professeurs qui ne sont pourtant pas habitués à ces modes d’action.

Pour ce qui concerne les enseignants en éducation prioritaire, le gouvernement n’a nullement l’intention d’améliorer leur situation. On a vu comment ces dernières années le nombre d’élèves par classe avait augmenté, comment des postes avaient été supprimés, comment les remplacements moins qu’ailleurs avaient été assurés. Ainsi, l’annonce d’une éventuelle décharge de service pour les enseignants en éducation prioritaire ne concernerait qu’une fraction d’entre eux. La preuve : Peillon a adressé une lettre au Se-UNSA dans laquelle il écrit : « Vous avez appelé mon attention sur la question de l’allègement des obligations réglementaires de services pour les personnels enseignants exerçant dans les zones les plus difficiles de l’éducation prioritaire. (…) Je vous confirme que cette mesure sera étendue à l’ensemble des écoles appartenant aux réseaux d’éducation prioritaire considérés comme les plus sensibles, au même titre que les collèges. (nous soulignons, Ndlr) » Or le Se-UNSA dans sa lettre à Peillon n’évoquait nullement ces zones les plus difficiles de l’éducation prioritaire. On comprend donc l’entourloupe : pour beaucoup d’appelés de l’éducation prioritaire, il y aura bien peu d’élus à un éventuel allègement de service, uniquement ceux des zones « les plus difficiles ». On le voit, l’art de la division est employé à tous les degrés.

Même si ce « chantier » de démolition des statuts concerne tout particulièrement les professeurs du second degré, ceux du 1er degré ne sont pas épargnés. On a indiqué plus avant que la mise en œuvre de la réforme dite des « rythmes scolaires » avait permis au gouvernement de projeter la modification des obligations d’enseignement hebdomadaire pour les titulaires-remplaçants et d’autres enseignants intervenant sur plusieurs écoles en cours de semaine. Un projet de décret prévoyant, de fait, l’annualisation de leur temps hebdomadaire d’enseignement a été soumis aux organisations syndicales.

Il faut aussi souligner que la direction du Se-UNSA (et accessoirement celles du Sgen et d’une organisation corporatiste de directeurs, le Gdid) a profité des dysfonctionnements provoqués par la mise en place de la contre-réforme des « rythmes scolaires » pour adresser une lettre à Peillon revendiquant la transformation des écoles en Eple (comme les collèges et les lycées) et de doter les directeurs d’un statut. Extraits : « Il faut s’attaquer au fonctionnement même de l’école (…) Il est temps (…) d’aborder franchement la question de la création d’un établissement public local d’éducation et celle d’un statut d’emploi pour les directeurs. Cette évolution pourrait s’inscrire dans un cadre expérimental. » Les lecteurs attentifs de l’article enseignement du précédent CPS reconnaîtront là la demande formulée cet été par un député du PS, Luc Belot, qui avait reçu alors l’approbation du député UMP Reiss, les Epep et un statut pour les directeurs étant des revendications historiques de ce parti.

Combattre pour que les dirigeants syndicaux soient au service des personnels, que ceux du SNUIPP    exigent l’abrogation du décret Peillon, et que tous se prononcent pour la défense inconditionnelle des  statuts et rompent la concertation qui vise à les liquider

Au moment où nous bouclons cet article, quelques jours avant la grève du 5 décembre dans le primaire, alors même qu'apparaissent les premiers signes de la volonté des enseignants du secondaire de combattre en défense de leur statut, rien ne permet de dire si le corps enseignant réussira ou non à submerger le dispositif conjoint du gouvernement et des directions syndicales visant à lui imposer une remise en cause brutale de son statut, et en même temps à porter un rude coup à l'enseignement public. Dans ce dispositif, la place centrale est occupée par les directions du SNUIPP et du SNES. Toutefois, même lorsqu'elles défendent des mots d'ordre formellement plus corrects, les directions des syndicats minoritaires (CGT, FO, SUD) ont aussi la lourde responsabilité de ne jamais se situer sur le terrain du Front unique, de l'appel aux syndicats de la FSU pour que se réalise l'unité, et de contribuer ainsi à placer les enseignants dans une impasse.

L'étau dans lequel les uns et les autres entendent paralyser les enseignants ne pourra être brisé que par le surgissement de ceux-ci sur le terrain de la lutte des classes directe, surgissement débordant les appareils syndicaux. Ce sont les masses, et elles seules, qui peuvent imposer la rupture des dirigeants syndicaux avec le gouvernement : cela est vrai dans l'enseignement comme ailleurs.

Mais pour aider à ce surgissement, à la mesure de leurs forces, les militants révolutionnaires doivent indiquer la voie politique par laquelle ce surgissement peut s'opérer. Cette voie, c'est celle des initiatives qui peuvent et doivent être prises sous toutes les formes (appels aux dirigeants soumis à la signature des collègues, prises de position des assemblées générales) sur la même exigence : prononcez-vous pour la défense du statut, pour le retrait des projets du gouvernement visant à le liquider ! Prononcez-vous pour l'arrêt immédiat de la contre-réforme des « rythmes scolaires », pour l'abrogation du décret ! Et réalisez l'unité des syndicats sur cet objectif !

Parce qu'un coup d'arrêt donné dans l'enseignement à l'offensive réactionnaire du gouvernement constituerait un formidable encouragement pour toute la classe ouvrière et la jeunesse, l'enjeu de l'affrontement dépasse de beaucoup le corps enseignant lui-même.

Ainsi, le combat des militants révolutionnaires dans l'enseignement s'intègre dans le combat d'ensemble pour ouvrir une issue politique au prolétariat dans ce pays. Il s'inscrit dans le combat pour la construction du Parti Ouvrier Révolutionaire.

 

Le 1er décembre 2013

 

 

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