Article paru dans le
bulletin « Combattre pour le socialisme » n°42 (n°124 ancienne série)
- 10 février 2011 :
Notes
sur la situation économique
Depuis
bientôt quatre ans, la pire crise du capitalisme depuis 1929 continue de se
manifester encore et toujours, sous différentes formes, et voilà qu’en ce début
d’année resurgit brutalement le spectre de la crise alimentaire. Celle-ci vient
s’ajouter au principal problème devant
lesquels se trouvent aujourd’hui le mode de production capitaliste : une
accumulation de dettes explosive. L’envolée du prix des matières premières
vient ainsi réaffirmer avec violence que la crise du capitalisme n’est pas
finie, loin s’en faut. La reprise, la seule véritable reprise que l’on peut
déceler, c’est celle des profits et des bonus. A contrario, les travailleurs et la jeunesse voient leurs
conditions d’existence et leurs droits les plus élémentaires faire l’objet
d’attaques d’une brutalité inouïe, sous les coups de la crise elle-même, et
sous ceux des gouvernements bourgeois cherchant à redonner de l’air à leur
capitalismes nationaux dans ce marasme économique. Ainsi, au chômage de masse,
et particulièrement chez les jeunes, à l’explosion du coût des produits de
bases pour une grande partie de l’humanité, s’ajoute la remise en cause, plus
directe et plus brutale que jamais, dans de nombreux pays européens, du droit à
l’éducation et au savoir, du droit à la santé, ou encore du droit au logement.
C’est au fond l’incapacité récurrente du mode de production capitaliste à
satisfaire les besoins les plus élémentaires qui s’exprime de manière écœurante
depuis presque quatre ans, et c’est ce que rappelle à sa façon la crise
alimentaire.
La crise alimentaire
En
2008, le monde était secoué par des nombreuses émeutes de la faim, conséquence
des variations criminelles du prix des
matières premières et agricoles. En ce début d’année, l’indice des prix
alimentaires de la FAO a dépassé les niveaux records qu’il avait atteints en
2008 et il se trouve actuellement à son plus haut niveau depuis sa
création en 1990. Aujourd’hui c’est de nouveau le droit de vivre qui est
objectivement contesté à des millions d’individus. Les liquidités qui sont
encore quotidiennement injectées dans le système financier participent
évidemment de cette explosion des prix agricoles à travers la spéculation
meurtrière qu’elle rend possible. C’est ainsi que l’on apprend qu’un trader
dénommé « Choc Finger »
s’est approprié la plupart des stocks mondiaux de cacao en juillet 2010 pour
1,2 milliard de dollars, ou encore que JP Morgan a fait main basse sur la
moitié des stocks de cuivre du marché londonien pour 1,5 milliard de dollars (Le Monde) !!
Mais il
serait trop aisé de réduire le problème alimentaire à une poignée de
spéculateurs, aussi mal intentionnés soient-ils. L’explosion du prix des
matières premières alimentaires réside aussi et surtout dans les déséquilibres
profonds que le mode de production capitaliste suscite et qui le caractérisent,
c’est-à-dire dans son incapacité chronique à générer une production efficace,
harmonieuse, une production tournée vers la satisfaction des besoins des
masses. Il faut par exemple rappeler que pour permettre aux constructeurs
automobiles de se refaire une virginité écologique à bon prix, des quantités
très importantes de céréales sont détournées vers la filière des
agro-carburants par les capitalismes européens et américain, au dépend de
millions de personnes ne pouvant pas se nourrir décemment. Les estimations font état de 10% de la
récolte mondiale de maïs et jusqu’à 35% de celle de la canne à sucre (Le Figaro). « Les
stocks mondiaux de céréales - toutes céréales confondues - seront en
2011 de 427 millions de tonnes, contre 489,8 en 2009. Cette perte de près
de 63 millions de tonnes est imputable pour plus des deux tiers aux Etats-Unis
et à l’Union européenne. C’est là que les stocks sont les plus restreints. Et
c’est notamment dû à la diversification des productions de céréales vers les
agrocarburants. » (Les Echos). Cette dégradation directe et brutale
des conditions d’existence de millions de travailleurs et de jeunes dans le
monde a déjà suscité des réactions. Et quelles réactions ! C’est sur fond
de hausse brutale du prix des produits de première nécessité (et de chômage),
conséquence immédiate des variations sur les cours mondiaux, que se sont
déclenchés, ce qui allait devenir les révolutions tunisienne et égyptienne. En
Algérie, au Yemen, en Jordanie la colère gronde contre des gouvernements
corrompus qui sont incapables de maitriser un tant soit peu cette inflation
galopante des denrées de base, quand ils n’en profitent pas eux-mêmes à travers
la spéculation locale.
La
crise alimentaire est une manifestation des plus violentes des ravages que
produit la crise du capitalisme, de ses conséquences les plus infâmes sur le
quotidien de millions d’hommes et de femmes. Mais cette hausse des prix des
matières premières, et de l’inflation qui en résulte, fait également resurgir
le caractère artificiel de la prétendue reprise au grand jour. Au moment où cet
article est écrit, les derniers chiffres de l’inflation en zone euro (2.4%), et
les angoisses immédiates à propos d’une possible remontée des taux d’intérêt
qui tuerait la prétendue reprise, viennent rappeler brutalement à l’ensemble
des gouvernements européens, ainsi qu’aux Etats-Unis, que la maigre croissance que certains pays ont pu afficher
ces derniers mois reposait en très grande partie sur les plans de relance et
les liquidités des banques centrales.
Perspective d’ensemble
Ainsi
ce ne sont pas les « bons » chiffres de la croissance américaine au
dernier trimestre qui vont permettre d’effacer d’un trait le tableau d’ensemble
extrêmement sombre que présentent les économies des principaux pays
capitalistes dominants. Les récentes mises à jour des projections économiques
des principaux organismes, tels l’OCDE ou le FMI, réaffirment le constat d’un
ralentissement de la pseudo reprise : “La
croissance, bien plus dynamique dans les économies de marché émergentes [nous
y reviendrons], demeure faible et inégale
dans la majeure partie de la zone de l’OCDE marquée de plus par un récent
infléchissement ”. Même constat à l’ONU, pour qui les perspectives “ demeurent incertaines et entourées de
risques sérieux de baisse. ” selon un récent rapport. Par exemple, “ la croissance économique a ralenti nettement
au troisième trimestre dans la zone euro, à 0,4% après 1% sur les trois mois
précédents, selon Eurostat. Pour l’ensemble de l’Union européenne, la
croissance a atteint finalement 0,5% ”. On apprend même récemment que le
PIB de l’Angleterre s’est contracté de 0,5% au dernier trimestre 2010.
Certes,
ces perspectives de croissance demeurent légèrement positives mais, comme l’ont
remarqué de nombreux économistes, ces chiffres de croissance ne permettent
absolument pas d’envisager une amélioration substantielle de la situation.
Ceux-ci ne sont suffisants, ni pour permettre une baisse des taux de chômage,
qui avoisinent les 10% dans la plupart des pays développés, ni pour envisager
une quelconque résorption du fardeau écrasant de la dette publique. Ce même
rapport de l’ONU estime d’après le Monde
que “ Depuis le milieu de l’année, la
reprise de l’économie mondiale perd de sa dynamique, et la croissance attendue
en 2011 et 2012 sera insuffisante pour permettre de résorber le chômage suscité
par la crise”.
D’autre
part, il faut également rappeler que la prétendue reprise, temporairement
aperçue ici ou là dans les pays capitalistes dominants, est le produit logique
des interventions des banques centrales et des gigantesques plans de relance
mis en œuvre par les états bourgeois, au prix de déficits publics colossaux et
d’un endettement historique. En fin de compte, les états bourgeois se sont
entièrement substitués au secteur privé dans des pans entiers de l’économie
capitaliste, et l’arrêt de nombre de ces perfusions étatiques dévoile au grand
jour l’étendue et la profondeur de la crise.
Encore
aujourd’hui, l’automobile constitue de loin l’exemple le plus frappant de ce
phénomène: “ Les ventes de voitures
neuves ont baissé de 5,5% en 2010 dans l’Union européenne comparé à l’année
précédente, sur fond de disparition des primes à la casse, selon des données
publiées vendredi par l’Association des constructeurs automobiles européens.[…]
Les immatriculations avaient été dopées en 2009 par les primes à la casse introduites
dans une série de pays afin d’aider le secteur plombé par la crise économique,
et qui sont progressivement arrivées à expiration. Sur le seul mois de décembre
2010, les ventes ont enregistré un nouveau recul, pour le neuvième mois
d’affilée. Elles ont baissé de 3,2% sur un an, à 1.009.638 unités. Le déclin
est cependant moins prononcé que les mois précédents: il avait atteint 7,1% en
novembre et 16,6% en octobre. Parmi les grands marchés automobiles européens,
les immatriculations ont baissé de 23,4% en 2010 en Allemagne avec 2,92
millions de véhicules, de 9,2% en Italie à 1,96 millions et de 2,2% en France à
2,25 millions. En revanche, elles ont augmenté de 3,1% en Espagne à 982.015, de
1,8% au Royaume-Uni à 2,03 million et même de 54,7% en Irlande à 88.273 unités,
après une chute de 62,1% en 2009.”(AFP). Et, une fois de plus, ce qui vaut
en particulier pour le marché automobile, vaut pour l’économie capitaliste dans
son ensemble : “ Dans un pareil
contexte, mener à bien la transition d’une reprise soutenue par l’action des
pouvoirs publics vers une croissance auto-alimentée relève d’un défi de taille.
”(OCDE).
Une
autre illustration du fait que ce sont les plans de relance des états bourgeois
qui ont permis à l’économie mondiale de faire une “ pause ” dans la crise nous
vient des USA où le Congressional Budget
Office est parvenu, dans un récent
rapport, à la conclusion suivante : le plan de relance américain a permis
de faire travailler entre 1.4 à 3.6 millions de chômeurs entre juillet et
septembre et de faire progresser la production nationale de 1.4 à 4.1% sur
cette période. Quelle reprise !!
Pour
conclure ces perspectives générales, il nous faut rappeler en termes précis la
contradiction qui se manifeste actuellement au sein des pays capitalistes
dominants. Pour tenter d’éviter un effondrement généralisé de l’activité
économique dans nombre de pays comme ce fut le cas en 1929, les états bourgeois
ont choisi de soutenir directement l’activité économique en abreuvant certains
secteurs économiques fondamentaux au moyen de déficits publics colossaux et
d’un creusement de la dette publique sans comparaison depuis la seconde guerre
mondiale.
Simultanément,
les banques centrales, n’ont cessé de prêter des liquidités par centaines de
milliards pour temporairement et artificiellement maintenir en équilibre la
montagne de dettes, privées comme publiques, qui menace à tout moment de
s’effondrer. Si d’une certaine façon, elles y sont à moitié parvenues, le
problème n’en a été que reporté et amplifié. Aujourd’hui, les niveaux de dettes
publiques sont tels qu’ils imposent à de nombreux états de réduire brutalement
leur déficit public. Or, du fait de la dépendance extrême de l’activité
économique aux mesures de soutien, ces coupes budgétaires violentes ne pourront
pas rester sans effets sur la prétendue reprise.
L’OFCE
considère par exemple que “ le
resserrement synchrone des finances publiques aura l’effet inverse : un
impact récessif puissant ”. Ou encore, formulé en des termes plus policés
cela donne : “ Les bienfaits de
l’assainissement budgétaire ne se font pleinement ressentir qu’à moyen terme,
tandis qu’à court terme, c’est la croissance de la demande agrégée qui s’en
trouve affectée. ”(OCDE). Et c’est cette contradiction qui s’est exprimée
d’une façon saillante en Irlande après s’être manifestée en Grèce, et qui
pourrait rattraper le Portugal et l’Espagne d’ici peu.
La crise de la dette :
l’Europe aux abois …
Après
la Grèce, c’est donc l’Irlande qui se trouve à son tour au bord de la faillite.
En septembre, son secteur bancaire, déjà largement sous perfusion étatique,
finissait de se vautrer. Anglo Irish Bank
annonçait alors une perte gigantesque, conduisant le gouvernement irlandais à
nationaliser la banque pour éponger ses dettes. Cette tentative de sauvetage
désespérée a littéralement fait exploser le déficit budgétaire à 32% du PIB, et
la dette publique a crû en conséquence au niveau record de 100% du PIB. Or, si
dans un premier temps le gouvernement irlandais a pu laisser croire qu’il
n’avait pas de problème de financement dans la mesure où il n’avait pas besoin
de lever de fonds dans les semaines à venir, la panique a commencé à se
manifester courant novembre lorsque l’Allemagne a publiquement envisager la
possibilité de restructurer la dette de certains états, c’est-à-dire de faire
“payer le privé”. Récemment, évoquant le futur mécanisme européen de gestion
des crises, le ministre allemand des finances Wolfgang Schäuble a plaidé pour « un outil de restructuration des
dettes publiques impliquant la participation du secteur privé »
(Le Figaro). Il ne faut surtout pas en déduire que sans ces déclarations
allemandes, l’Irlande aurait pu sauver la face. Non, ces déclarations ont juste
servi de détonateur à une poudrière qui menaçait d’exploser à tout instant.
Les
taux sur la dette irlandaise se sont alors envolés, entraînant avec eux les
taux portugais et espagnols, et accentuant ainsi la pression sur le
gouvernement irlandais. Dès lors, l’Allemagne, l’Angleterre et le FMI, et dans
une moindre mesure le Portugal et l’Espagne, ont pressé l’Irlande d’accepter
une aide conjointe du Fond Européen de Stabilisation Financière, du FMI, et du
Royaume-Uni. Cette aide n’a qu’un objectif: éviter un effondrement généralisé
du secteur bancaire irlandais auquel l’Allemagne et l’Angleterre sont très
exposées. En contrepartie, le gouvernement irlandais a dû encore durcir son
(troisième !) plan de rigueur.
Bilan :
35 milliards d’euros d’aide pour les banques, et 15 milliards de coupes
budgétaires supplémentaires pour les masses (c’est-à-dire environ 8% du PIB !).
Les Irlandais paieront un taux d’intérêt de 5,8% sur ces “généreuses” lignes de
crédit (contre 5,2% pour les Grecs). Et, cerise sur le gâteau, le gouvernement
irlandais aux abois a décidé de siphonner 17,5 milliards d’euros d’un fonds
national de retraite... pour recapitaliser les banques !
Malgré
ce budget d’une violence inouïe, et ce prêt international de 85 milliards
d’euros, le risque de contagion n’a pas pour autant disparu. Bien au contraire,
d’abord le Portugal, ensuite l’Espagne, et plus récemment la Belgique et
l’Italie ont vu leur écart de taux vis à vis des “Bunds” (bon du Trésor allemand) s’accroître brutalement. “"A l’exception peut-être de
l’Allemagne, il me semble qu’aucune dette souveraine n’est sûre", indiquait
lundi Mark Grand, du fonds Southwest Securities, en Floride, traduisant le
sentiment de nombreux gérants américains. ” (Le Monde). C’est aujourd’hui le Portugal qui semble être le
prochain pays à réclamer un prêt d’urgence. Comme l’explique K. Rogoff, “Avec un scénario de base d’une récession ou
d’une croissance anémique couplée à une austérité budgétaire pour de nombreuses
années à venir, il est probable que le Portugal fera tôt ou tard la demande
d’une aide extérieure.”. Et
derrière, c’est l’Espagne qui se retrouverait plongée dans la tourmente. Avec
le taux de chômage européen le plus élevé (20%), le marché immobilier européen
le plus délabré et un système bancaire à l’agonie (92 milliards de pertes
depuis 4 ans), cela ne serait absolument pas surprenant. Le gouvernement
socialiste espagnol vient d’ailleurs d’annoncer qu’il recapitaliserait les
caisses d’épargne à hauteur de 20 milliards d’euros. Réduction des salaires des
fonctionnaires, coupes dans les budgets pour les masses et 20 milliards pour les
banques !
Aujourd’hui,
face à une dette qui étouffe littéralement les économies, qui sert à justifier
les pires contre-réformes et qui engloutit des volumes considérables du budget
de l’état dans le remboursement des intérêts de celle-ci, la question de la
répudiation de cette dette se pose objectivement au prolétariat. Il n’y a pas
d’issues aux problèmes des travailleurs et de la jeunesse qui ne passe par une
dénonciation pure et simple de la dette publique.
Les
nombreux commentaires envisageant aujourd’hui la possibilité d’une
restructuration de la dette publique ne sont que le pendant bourgeois de cette
question existentielle pour le mode de production capitaliste : comment
purger ces montagnes de dettes qui étouffent littéralement les économies capitalistes
? K. Rogoff semble d’ailleurs, et à juste titre, extrêmement sceptique sur le
plan de sauvetage de l’Irlande: “ A cet
égard, le sauvetage de l’Irlande est particulièrement déconcertant. Ce que
l’Union européenne et le FMI ont réellement fait est de convertir une dette
privée en une dette souveraine. Les obligataires privés, les investisseurs et
les entités financières qui prêtent aux banques ont pu retirer leurs fonds en
masse et les voir remplacés par une dette publique. Les Européens ont-ils décidé
que le défaut de paiement souverain est plus facile à gérer, ou imaginent-ils
que cela n’arrivera simplement pas ? ”
Voilà
la question fondamentale: qui paiera en dernier ressort ? Jusqu’au bout les
capitalistes tenteront de faire en sorte que ce soit le prolétariat. Pour
l’instant, avec la complicité criminelle des appareils syndicaux, ils y
parviennent largement. Néanmoins, il n’est pas certain que les plus violentes
attaques soient suffisantes pour éviter de poser cette question fondamentale
que l’on peut formuler autrement: pourra-t-on éviter une dévalorisation massive
de capital fictif ? De plus en plus pensent que non:“ Le dernier round comprendra sans doute une nouvelle vague de
restructuration des dettes européennes, comme celles qui conclurent la crise de
la dette latino-américaine dans les années 1980.” (K. Rogoff). “Il sera très difficile d’éviter (une
restructuration de la dette) pour tous les pays” (T. Mayer, économiste en
chef de Deutsche Bank)
Et
l’Europe semble même s’être résolue à cette perspective inévitable, bien que
tentant une fois encore de retarder l’échéance : “ C’est donc pour calmer les investisseurs que l’UE a pris soin dimanche
de clarifier deux choses : seules les obligations d’État contractées après
juin 2013 seront assorties de clauses d’action collective permettant, en cas de
risque de défaut de paiement d’un Etat, de modifier les conditions de
remboursement. Deuxièmement, les créanciers privés seront sollicités "au
cas par cas", sur une base contractuelle et de manière graduelle. S’il
s’agit "seulement" d’une crise de liquidité, les créanciers du
secteur privé seront seulement "encouragés à maintenir leur
exposition", c’est-à-dire à ne pas vendre leurs titres de dette pour s’en
débarrasser. En revanche, s’il s’agit d’une crise de solvabilité, l’aide
européenne sera assortie de l’obligation non seulement de mener un programme
d’ajustement budgétaire, mais aussi de restructurer la dette. L’Etat concerné
négociera alors avec ses créanciers privés. Il pourra être décidé de rééchelonner
les remboursements, de baisser les taux d’intérêt prévus, voire de réduire les
montants à rembourser.” (L’Expansion).
Quels
que soient les détails entourant ce Fonds Européen de Stabilité Financière, et
son prétendu succès, la zone euro ne résistera pas à un éventuel défaut de l’un
de ses pays membres. Aux regards des éléments précédemment exposés, cela semble
pourtant plus que probable.
… et les États-Unis
objet de toutes les incertitudes
Nous
venons de voir que la question de la dette s’exprime violemment en Europe. En
revanche, les États-Unis, de par leur poids économique et le rôle hégémonique
du dollar, semblent en apparence épargnés. Il n’en est rien. Revenons d’abord
sur quelques faits.
L’économie
américaine vient de croître de 3,2% au dernier trimestre 2010 et de 2,9% sur
l’année 2010. Si vu d’Europe une telle croissance fait rêver certains, ce
chiffre est faible au regard des « sorties de crise » passées. Par
exemple, selon le Figaro, les
dépenses de consommation ont crû de 3,5% en 2010 après avoir reculé pour la
première fois depuis cinquante ans, mais il faut remonter à 1961 (hormis 2008
et 2009) pour trouver un chiffre plus faible ! Si les États-Unis semblent
être techniquement sortis de la « récession », ils n’en demeurent pas
moins en crise. Le taux de chômage stagne à 10% officiellement. Et la véritable
mesure du chômage, celle incluant le travail précaire et les temps partiels
subis, s’établit à 17% ! Cette croissance, quelle qu’elle soit, est
incapable de créer le moindre emploi.
C’est
ce que viennent de confirmer les dernières statistiques de l’emploi
américain : « Par rapport à
décembre le chômage a reculé de 0,4 point [à 9% ndlr], indique le rapport
officiel sur l’emploi du département du Travail, alors que la prévision médiane
des analystes donnait une remontée du taux, à 9,5%. Le ministère indique qu’il
est difficile de se livrer à une comparaison d’un mois sur l’autre puisqu’il a
révisé entre-temps l’échantillon de la population servant de base au calcul du
taux de chômage. Un examen plus poussé des chiffres montre que la baisse du
chômage a résulté pour plus de moitié de l’exclusion statistique d’un nombre
important d’actifs non employés. Le rapport montre que la proportion des actifs
employés, n’a augmenté que de 0,1 point par rapport à décembre, à 58,4%, ce qui
est inférieur à son niveau de janvier 2010 (58,5%), quand le chômage atteignait
9,7%. Le fort recul du chômage apparaît d’autant plus étrange que les créations
d’emploi nettes du mois -mesurées sur la base d’une enquête statistique
différente -ont été quatre fois moins fortes que prévu par les analystes, et
trois fois inférieures à celles de décembre. Selon le ministère, l’économie
américaine n’a créé en effet que 36. 000 emplois de plus qu’elle en a
détruit en janvier. » (Le Monde). En revanche, le nombre d’heures
travaillées par ceux qui ont un emploi a sensiblement augmenté. Plus de
chômeurs et plus d’exploitation, voilà les recettes de la reprise !
Et que
dire du dernier plan de relance d’Obama qui proroge les baisses d’impôt
instaurées par Bush pour les 1% des contribuables les plus riches ? Ces
mêmes 1%, dignes descendants des 200
familles, se sont accaparés la moitié de la croissance économique
américaine au cours de ces trois décennies selon des études faites à partir des
statistiques fiscales. Et il s’agit donc d’une estimation minimum, étant donné
que ce sont également ces 1% qui cachent et masquent la majeure partie de leurs
revenus ! A côté de quoi, du fait de l’obligation légale pour 49 des 50
états américains de présenter un budget équilibré, des coupes massives de
budgets sociaux et des licenciements secs sont à venir en ce début d’année.
Mais n’est-il pas suffisant pour donner le sens de la politique d’Obama
d’indiquer qu’il vient de s’entourer des dirigeants des deux plus grandes
banques d’investissement américaines ? Il a ainsi nommé secrétaire général
à la Maison Blanche William Daley, dirigeant de JP Morgan Chase, et directeur
du Conseil Économique Gene Sperling, qui avait reçu 900 000 dollars de
Goldman Sachs en 2008 pour des « prestations » auprès des
investisseurs. Autrement dit, tiennent
les rênes les responsables directs de la spéculation effrénée qui en 2008 a
immédiatement précédé et provoqué l’effondrement bancaire qu’on connaît.
Or ce
nouveau plan de relance va littéralement faire crever le plafond de la dette
américaine. Actuellement celui-ci est d’environ 14 294 milliards de
dollars. Mais chaque jour passant, des milliards de dollars supplémentaires de
dettes sont accumulés si bien que, de l’aveu même du secrétaire au Trésor
Timothy Geithner, ce plafond sera sans doute atteint avant fin mars. Les états
américains sont eux-mêmes très endettés et présentent un déficit cumulé de 83
milliards de dollar. Et que dire des municipalités : « L’Etat américain n’est pas le seul à
s’endetter dangereusement. La situation financière des municipalités s’enfonce,
elle aussi, dans le rouge. Selon le Wall Street
Journal, celles-ci ont emprunté 122 milliards de dollars à court
terme et à taux variable en 2008. Une bonne partie de ce financement s’est
faite grâce à des lettres de crédit garanties par les banques. Il s’agissait à
l’époque de palier à l’effondrement de la demande sur le "muni bond
market", le marché des obligations des Etats, collectivités locales et
agences gouvernementales. » (L’expansion).
Ne s’agit-il là pas d’une illustration parfaite de l’aggravation du problème
initial ? L’agence de notation Standard
and Poors a même brandi la menace de déclassement de la dette américaine.
Mais c’est surtout « afin que soient
adoptées au plus vite les recommandations de la commission Simpson Bowles qui « prônait de résorber le déficit
budgétaire en utilisant deux leviers : couper dans les dépenses,
réinstaller certains impôts abandonnés, et créer de nouvelles taxes » (Le
Monde).
Enfin,
la Fed a mis en œuvre le second round de « quantitative easing », ou assouplissement quantitatif. Il
s’agit d’une opération à travers laquelle la Réserve Fédérale Américaine va
acheter ou racheter directement 600 milliards de dollars de titres de dettes,
des bonds du Trésor US notamment, créant en contrepartie de la liquidité dans
le secteur bancaire. De fait, cela oriente le dollar à la baisse, ce qui
constitue outre une certaine monétisation de la dette, aussi et surtout un
levier pour tenter de relancer la machine américaine à travers les exportations
et une réduction de son endettement extérieur. C’est évidemment le premier
signe d’une âpre bataille qui se prépare entre capitalismes nationaux pour
arracher les meilleurs morceaux de la maigre croissance qui se profile. Martin
Wolf concluait ainsi une de ses récentes chroniques : « Au plus noir de la crise, les dirigeants
mondiaux se serraient les coudes. Désormais, la Fed va leur serrer la gorge un
par un. » !
Cette
attitude extrêmement agressive de la part de l’impérialisme US, doublée d’une
campagne violente contre l’arrimage du yuan au dollar, qui pourtant s’est
largement apprécié vis-à-vis du dollar ces dernières années, est la
manifestation plus vive de l’exacerbation de la concurrence entre capitalismes
nationaux dans cette période de crise durable. Ce qui n’est pas visible sur
l’euro du fait de la crise de la dette européenne, se mesure en revanche sur
les devises de nombre de pays émergents: en partie suite au « quantitative easing », le dollar
s’affaiblit durablement vis-à-vis de multiples devises. L’histoire montre hélas
que si la situation ne s’améliore pas, ce que tout pousse à croire, les états
nationaux pourraient en venir à des mesures de protectionnisme plus franches et
plus brutales, nourries sur fond de nationalisme.
Les émergents et la Chine,
une situation en trompe l’œil…
Paradoxalement,
les « émergents », semblent mieux faire face à cette crise que les
impérialismes européens et américain qui croulent sous le poids du chômage et
de la dette. Néanmoins, quels que puissent être les développements dans ces
pays, la Chine en premier lieu, ceux ci sont totalement subordonnés à une
reprise du cycle de production capitaliste dans les pays dominés, Etats-Unis et
Europe en particulier. D’abord, il faut
analyser que l’essentiel de la croissance de ces émergents provient directement
de leurs exportations vers l’Europe et les États-Unis : leur capacité à
écouler leurs marchandises sur les marchés des pays développés conditionne entièrement
leur perspective de croissance. Ensuite, pour l’économie mondiale dans son
ensemble, l’absence de toute reprise dans les pays capitalistes dominants
signifie l’absence de reprise significative dans le secteur des biens de
production qui, en dernier ressort, règle l’activité du mode de production
capitaliste. Dit autrement, il n’y a aucune perspective de reprise à long terme
sans reprise de l’investissement dans les biens de production, ce à quoi
s’oppose violemment la situation dans laquelle se trouve les USA, l’Europe et
accessoirement le Japon. C’est la conclusion à laquelle est parvenue B.
Bernanke, le président de la Fed, lors d’une de ses allocutions en
décembre : » Une forte
expansion des économies émergentes dépendra, au bout du compte, du rétablissement
des économies plus avancées ».
Mais
surtout, parce que le capitalisme engendre par nature des déséquilibres,
certains de ces pays sont en surchauffe, et en premier lieu la Chine. Sa
croissance actuelle est en partie fondée sur une bulle immobilière alimentée
par une spéculation effrénée au point que le gouvernement vient de mettre en
place une taxe anti-spéculation. Des analystes de CitiGroup (experts en la
matière !) relèvent que l’investissement résidentiel représente 6.1% du
PIB chinois, un niveau similaire au record atteint aux Etats-Unis en 2005… Pour
être plus précis, le Monde Economie
du 18 janvier nous apprend que : « Le mégaplan de relance initié fin 2008 (400 milliards d’euros en deux
ans) alimenté en grande partie par le crédit bancaire, a conduit à une
multiplication des projets d’infrastructures, financés par des plateformes
locales associant collectivités et investisseurs. Or ces crédits bancaires sont
souvent garantis par des terres acquises à bas prix (ajoutons, :
souvent arrachés aux paysans avec les méthodes du gangstérisme pur et
simple : intimidations, violence, etc.)
par les gouvernements locaux mais revalorisés par de vastes projets immobiliers
développés avec des promoteurs. La plupart du temps, ces ensembles résidentiels
sont rapidement vendus à des spéculateurs, qui profitent de l’abondance des
capitaux disponibles ». Mais l’article conclut : « Que la spirale spéculative s’inverse
à mesure que les joueurs de ce casino géant réclament leur mise, et c’est la
déroute : certaines plateformes locales, par exemple, sont surendettés car
les projets d’infrastructure qu’elles ont mises en route ont une faible
rentabilité ». Enfin, une étude du National
Bureau of Economic Research a aussi montré que les prix de l’immobilier
avait crû de 800% en 7 ans !
Et
comment donc les gouvernements bourgeois envisagent-ils de lutter contre
l’inflation produit de la spéculation, contre cette surchauffe de
l’économie ? La réponse est donnée par exemple au Brésil dans le même le Monde Economie. « La lutte contre l’inflation passera enfin par une réduction des
dépenses publiques. Le nouveau gouvernement a évoqué un ajustement pouvant
aller jusqu’à 55 milliards de dollars ( 1,5% du PIB).(…) La mise en place de
projets ayant trait à l’éducation, la santé, l’assainissement, la construction
des voies ferrées ou encore à l’urbanisation des favelas sera retardée. »
La crise n’est pas finie
La
crise n’est pas finie, bien au contraire les questions essentielles se
concentrent devant nous. Les perspectives de croissance s’amenuisent, les déséquilibres fondamentaux
s’amplifient, comme l’illustre la question de la dette en Europe ou de la
spéculation en Chine, les premiers signes d’une attitude plus belligérante des
impérialismes nationaux d’un point de vue monétaire et commercial font jour, au
premier rang desquels l’impérialisme US, et enfin la crise alimentaire resurgit
violemment. Tous ces éléments n’expriment en dernier ressort qu’une seule et
même chose : le pourrissement au dernier degré du capitalisme, ce mode de
production qui règle tout en fonction du profit, de la rentabilité, ce système
qui chaque jour fait davantage étalage de son incapacité permanente à
satisfaire les besoins les plus élémentaires des masses. Dans ce contexte,
seront alors renouvelées et amplifiées les tentatives des gouvernements
bourgeois de faire payer cette crise du capitalisme aux travailleurs et à la
jeunesse. Seront aussi inévitablement exacerbées les antagonismes de classes
par ces attaques extrêmement brutales qui se préparent encore partout dans le
monde contre les conditions d’existence des masses. C’est ce dont nous venons
d’avoir confirmation au travers des évènements qui secouent le Maghreb et
l’Égypte. En Europe, même si, à l’heure actuelle, seules des aspirations et quelques
rares tentatives de combattre ces offensives sans précédent ont vu le jour, et
même si nulle part jusqu’à présent en Europe les travailleurs n’ont réussi à se
défaire de la camisole des directions syndicales, malgré des démarches en ce
sens, tout porte à croire que de nouvelles tentatives de combattre ces
contre-réformes et de chercher à en finir avec ce système capitaliste d’une
brutalité inouïe verront de nouveau le jour, car il faut le redire : il
n’y a aucune perspective ni issue positive pour le prolétariat et la jeunesse
dans le cadre du capitalisme.
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