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Article paru dans CPS nouvelle série n°36 du 29 mars 2009

La clé du succès de la grève générale en Guadeloupe et Martinique :

« le LKP ne ressemble en rien aux syndicats de métropole,
autrement constructifs et responsables 
» (Laurence Parisot)


S’il ne fallait qu’un indice de l’importance politique des grèves générales de Guadeloupe et de Martinique, la haine manifeste des porte-parole de la bourgeoisie métropolitaine suffirait. Le nommé Lefebvre, porte-parole de l’UMP, a donné le ton en traitant le LKP, le collectif contre l’exploitation, de « tontons macoutes ». Ces derniers étaient les escadrons le mort des dictateurs Duvalier père et fils à Haïti, qui sévissaient en parfait accord avec leur puissant voisin yankee dont la bête noire est Cuba.


Or c’est la révolution prolétarienne, qui en 1986 a chassé le fils Duvalier, dit « bébé doc », du pouvoir …  et c’est l’impérialisme français et son gouvernement qui a accueilli les bras ouverts ce « réfugié » aux mains couvertes de sang. Quel cynisme effroyable que d’entendre les souteneurs des Duvalier injurier ainsi leurs ennemis ! Début mars, c’est le figaro qui compare Elie Domota, porte-parole du LKP, à Robert Mugabe. Et dans Le Parisien du 9 mars, Mme Parisot s’indigne du protocole d’accord imposé par la grève générale, « contraire aux valeurs de la République » et dénonce le « climat de terreur » imposé selon elle par le LKP, avant de menacer par avance de dépôts de bilan punitifs (c’est la « terreur » ordinaire exercée par le patronat sur tous les salariés).

Mais Mme Parisot livre dans la même interview la clé du succès remporté par la grève générale de 44 jours en Guadeloupe, entraînant celui de Martinique : « Le LKP ne ressemble en rien aux syndicats de métropole, autrement constructifs et responsables ».

Les travailleurs, la jeunesse de métropole, doivent prendre pour argent comptant cette déclaration et la grève générale en Guadeloupe est incontestablement un levier pour combattre et mettre en échec la politique  « constructive et responsable » des dirigeants syndicaux métropolitains Thibault, Mailly, ou Aschieri.


A l’initiative de l’UGTG, un cadre de front unique est constitué :
le « Liyannaj Kont Pwofitasyon »


En novembre, la direction de l’UGTG, forte notamment de son succès aux prud’homales 2008 (51% des suffrages), lançait un appel aux organisations syndicales, associatives, politiques. C’est de cet appel dont est né le collectif contre l’exploitation, (ou « contre les abus » pour coller plus près au créole, mais certainement pas de ce pléonasme métropolitain « d’exploitation outrancière »). Ce collectif rassemble d’emblée des forces de nature sociale diverses, puisque, outre les syndicats (sauf la CGC) et plusieurs partis du mouvement ouvrier, on trouve les Verts, des associations carnavalesques, les syndicats métropolitains et chrétiens, etc. La plate-forme du LKP est le reflet de cette alliance. Elle est basée sur les revendications ouvrières, au centre desquelles se trouve la revendication d’une augmentation de 200 euros des salaires, bourses étudiantes, retraites et minima sociaux.

Mais on y trouve de tout, et en particulier une main tendue permanente vers les petits patrons, opposés aux békés, nous y reviendrons. Ainsi Elie Domota déclarera-t-il dans un discours de bilan, tenu le 13 mars au Palais de la mutualité de Pointe-à-Pitre :
« Faisons en sorte de développer la production locale, faisons plus souvent un petit tour au marché - même si des fois il nous arrive de penser ou constater que les denrées sont un peu cher, mais eux aussi vendront moins cher, faisons leur confiance... Faisons en sorte d’acheter notre poisson, de nous tourner vers la production locale...
Pour que justement ces 200 euro servent à développer la production locale, à développer l’emploi. »

Mais la plateforme du LKP reste vertébrée, comme ce collectif, par les organisations et les revendications ouvrières  - au sujet desquelles il faut noter que la CTU est dirigée par les camarades d’idées du NPA, la CGTG par un militant de Combat Ouvrier, l’organisation-sœur de Lutte ouvrière aux Antilles, tandis que l’UGTG elle a participé à plusieurs reprises à des conférences caraïbes impulsées par  « l’Entente Internationale des Travailleurs et des Peuples » (POI).
Outre les 200 euros, la baisse des prix des carburants, des denrées alimentaires, des transports, le gel des loyers sont mis en avant.

Et chacune de ces revendications-là heurte directement le gouvernement et surtout le patronat béké, ces descendants des esclavagistes qui occupent une position monopolistique qui leur permet d’imposer des prix qui, pour les pâtes par exemple, sont facilement le triple de ceux pratiqués dans les grandes surfaces de la métropole. Elles heurtent directement les relais du pouvoir métropolitain, colonial, à savoir les conseils généraux et régionaux, et donc le PS qui les dirige depuis 2004 en Guadeloupe, ou le PPM en Martinique – et c’est pourquoi le PS est le seul parti lié au mouvement ouvrier à ne pas être membre du LKP, même si dans la pratique nombre d’élus (y compris le député des Abymes) et militants PS en sont partie prenante.

Et c’est parce qu’il est vertébré par les organisations ouvrières, et d’abord les syndicats guadeloupéens UGTG, CGTG et CTU (et non les antennes des syndicats de la métropole), que le LKP va jouer le rôle d’un véritable état-major de la grève générale qu’il prépare, et à laquelle il appelle à compter du 20 janvier.

Une véritable grève générale…


Grâce à la force de l’unité syndicale (et des partis), l’appel à la grève générale est accueilli avec confiance par les masses de l’île tandis que de leur côté les stations-services sont mises à l’arrêt. De fait, l’île est rapidement paralysée. Des manifestations de soutien immenses ont lieu. Le 30 janvier, dans un contexte de paralysie totale de l’île, 60 000 personnes manifestent à Pointe-à-Pitre et Basse-Terre, pour une population totale de 450 000 habitants. L’atmosphère se tend : le souvenir de la répression de la révolte ouvrière de mai 1967 par le pouvoir gaulliste (des dizaines de morts) est dans toutes les mémoires. Le service d’ordre du LKP s’assure de la réalité de la grève générale, fait au besoin fermer les commerces – c’est ce que les bourgeois, Sarkozy en tête dans son discours de Saint Quentin, appellent « un climat de violence », c’est en réalité l’expression parfaitement légitime de la lutte de classe, force contre force, contre la violence patronale et raciste. Comme à un autre moment les manifestants feront refluer les gendarmes mobiles, submergés par le nombre. Comme Elie Domota n’hésitera pas à élever la voix, outrage suprême apparemment inacceptable pour le patron du Medef de Guadeloupe qui y verra une « agression » - mais la tradition des « békés » n’est pas de tolérer qu’un esclave, même affranchi, ose défier ses anciens maîtres. Il n’y a pas d’autre raison aux poursuites judiciaires engagées contre Elie Domota que cette haine de classe de l’exploiteur contre l’exploité, du colonisateur contre le colonisé.

C’est encore à l’appel du LKP que la Martinique embraye, le 5 février, à l’appel d’un collectif qui cette fois ne rassemble « que » la totalité des organisations syndicales, pour des revendications similaires.

A plusieurs reprises, d’immenses manifestations viennent appuyer la grève. Les négociations sont publiques, et se font sur la base exclusive de la plate-forme du LKP. Tous les soirs des meetings de compte-rendu ont lieu. L’état-major de la grève générale est ainsi constamment sous le regard vigilant des masses populaires.

Ce n’est que quinze jours après le début de la grève générale, et après les manifestations du 29 janvier, que le gouvernement dépêche son secrétaire d’Etat Jégo en Guadeloupe. A peine lancé, tel un yo-yo, il va être rappelé à Paris en catastrophe le 8 février, alors qu’il avait promis de ne pas partir avant qu’un accord soit trouvé. Pourquoi ce revirement? C’est que le pré-accord prévoit un recul considérable du pouvoir devant la grève générale sur la question des 200 euros, mais aussi de la baisse des prix. Il heurte de plein fouet les békés. C’est pourquoi le gouvernement de ces békés métropolitains que sont les grands bourgeois tente d’empêcher cet aboutissement.


… contre la « vie chère », c’est-à-dire contre
le caractère colonial de l’économie des Antilles « françaises »


Selon le quotidien France-Antilles, cité par Challenges:
« la viande est 43% plus chère en Guadeloupe et en Martinique. Le prix des produits de marques est en moyenne deux fois plus élevé qu'en métropole : 3,85 euros le kilo de pâtes Panzani, contre 1,65 dans l'Hexagone; 3,14 euros les 6 canettes de Coca-Cola, contre 2,31; sans parler des yaourts La Laitière, quatre fois plus chers ! Même la banane accuse une différence de prix pouvant aller jusqu'à 30%. »

Ces prix, tout comme celui de l’essence, sont particulièrement intolérables dans des îles où le chômage est massif, (29 % de la population active en 2005), et touche 60 % des moins de 25 ans. Les Rmistes sont 2,7 fois plus nombreux dans la population qu'en France. En 2000 le revenu annuel moyen représentait 9465 euros, soit 63 % du revenu national moyen. 14 % du parc immobilier est composé de cases traditionnelles ou d'habitat de fortune, forme polie pour nommer les bidonvilles de Pointe-à-Pitre ou les taudis ruraux. D’où viennent ces prix qui prennent à la gorge ? Du véritable racket qu’exercent les békés, ces bourgeois blancs descendant des propriétaires d’esclaves. Selon Challenges, toujours :
« Aux premiers rangs desquels figure le clan Bernard Hayot. Il suffit de se pencher sur le registre du commerce pour mesurer l'étendue de cet empire. Plus de 500 sociétés répondent au nom de Hayot dans les départements d'outre-mer. On trouve de tout. Sociétés immobilières, agroalimentaire, restauration, musées...
Mais c'est surtout grâce à la distribution que le Groupe Bernard Hayot s'est classé au 119e rang des fortunes françaises en 2008, la sienne étant évaluée par Challenges à 350 millions d'euros. Le conglomérat a mis la main sur les concessions automobiles, les locations de voitures. Les cinq enseignes Mr. Bricolage des Antilles lui appartiennent ainsi que le Décathlon local. Surtout, il dispose de trois hypers Carrefour : deux en Martinique et un en Guadeloupe.
Il partage ce secteur très convoité avec la famille Gérard Huyghues Despointes, qui truste environ 60% des supermarchés des deux îles et l'essentiel des importations via une dizaine de sociétés de grossistes. Son frère, Alain Huyghues Despointes, a bâti son groupe grâce à des licences exclusives de grandes marques. Coca-Cola, Orangina, Yoplait, Candia, Miko... sont fabriqués dans ses usines. Conséquence : pour remplir leurs rayons, les grandes surfaces «indépendantes», comme Cora ou Système U, sont obligées de passer par Alain ou Gérard. Et d'en payer le prix... Les marges des hypermarchés Carrefour propriétés des grands groupes familiaux antillais s'élèvent de 30 à 35%», avance Michel Branchi (ancien chef d'enquête de la direction de la concurrence de Martinique). Soit près de 10 points de plus qu'en métropole »

Cette infime minorité capitaliste profite de sa position dans une économie soumise dès l’origine aux besoins de la métropole, et donc incapable de produire a minima ce qu’elle consomme. C’est d’ailleurs cette situation qui a abouti à l’instauration d’une prime de 40% pour les fonctionnaires, dite « prime de vie chère », prime arrachée et défendue par la grève, notamment en 1953.
La remise en cause de la vie chère, c’est bien la remise en cause de l’économie coloniale sur l’île.


La grève générale fait affleurer la question du pouvoir
… et donc celle du retrait des forces françaises


Békés et gouvernement n’entendent pas donc pas céder. Jégo, traité de tous les noms par Sarkozy, est sur la touche en attendant d’être relancé ailleurs. Le gouvernement tente de briser la grève, par le pourrissement, et la répression.
Devant le changement de situation, le LKP appelle à durcir la grève, en installant des barrages routiers, qui durant quelques jours bloquent la circulation, tandis que la nuit des émeutes se déroulent à proximité des quartiers les plus pauvres de Pointe-à-Pitre. En Martinique aussi, les jeunes commencent à se soulever contre le pouvoir colonial. Les forces de répression de l’Etat français, compagnies de CRS et de gendarmes mobiles qui ont été constamment renforcées sur l’île, interviennent violemment. Des dizaines d’arrestations, passage à tabac de certains leaders syndicaux, comme Alex Lollia, aux cris de « sales nègres » donnent le ton. C’est dans ces circonstances que le syndicaliste Jacques Bino trouve la mort dans des conditions douteuses. Il est clair que le gouvernement en porte l’entière responsabilité.

Mais la répression n’aboutit pas. On n’est plus en mai 1967. Les rapports politiques interdisent la répression directe et brutale. La jeunesse repousse à plusieurs reprises les gendarmes mobiles qui doivent être cantonnés dans les casernes.

Entre le départ de Jégo et la reprise des négociations une question affleure : qui est le maître dans l’île ? Alors qu’on commence à entendre des « Domota président », alors que le Medef s’étrangle d’indignation, dans des termes qui seront relayés début mars par le sinistre Lefebvre déjà cité plus haut sur RMC : « Domota, on voit bien que c'est un indépendantiste et il a sans doute l'impression qu'il a été élu président de la République de la Guadeloupe (...) Il faut qu'il se calme ». La question est objectivement posée : que le LKP commence à assumer le pouvoir. Comment vérifier les livres de comptes des patrons qui affirment ne pas pouvoir payer, ou ne pas pouvoir baisser les prix ? Comment assurer, sur la base de la solidarité quotidienne entre Guadeloupéens, le ravitaillement, la distribution ? Pas autrement qu’en appelant systématiquement à le faire, qu’en commençant à placer les entreprises décisives sous contrôle ouvrier et paysan.

Mais cette issue se heurte à un double obstacle politique.

Le premier est bien évidemment la présence des forces de répression de l’Etat français, lesquelles, même bousculées par la jeunesse antillaise, ne cessent de se renforcer sur ordre du gouvernement au mois de février. A deux reprises, le LKP lance un appel « au mouvement ouvrier et démocratique international  » qui informe de l’arrivée de mille gendarmes mobiles supplémentaires, de la multiplication des arrestations, etc. et appelle au soutien contre la répression. Mais aucune organisation du mouvement ouvrier français ne va prendre position, ni combattre pour, le retrait des troupes.

Au contraire, là où cela a été possible, nous sommes intervenus. Ainsi, à l’initiative des militants révolutionnaires de notre Groupe, deux congrès académiques du SNES, à Clermont-Ferrand et Créteil, vont prendre position en ce sens.

Mais il faut noter que ni le NPA, ni LO, ni le POI, sans évidemment parler des centrales syndicales, ne prendront position en métropole pour le retrait immédiat des forces de répression. Pour le NPA, la « solidarité » avec la grève en Guadeloupe, c’est de  « préparer la grève générale » (tracts du 10 et 16 février). Pas un mot sur les troupes envoyées pour intimider, réprimer les masses de Guadeloupe. Le POI lui se prononce contre la répression, mais sans non plus demander le départ des troupes envoyées pour la mener !

Le second est que freine l’engagement vers l’indépendance de l’île le constat que dans les autres îles de la Caraïbe – Cuba excepté - règne le plus souvent une misère épouvantable, produit de l’oppression impérialiste. C’est en ce sens que la bourgeoisie et ses medias n’ont cessé de tenter de pousser Domota l’indépendantiste à la faute en cherchant à l’emmener sur ce terrain aujourd’hui miné politiquement pour les masses des Antilles françaises, qui n’ont pas envie de vivre comme en Jamaïque ou à Haïti.  Nous allons y revenir. Mais il faut constater dans un premier temps que, faute d’appui en métropole, d’abord, du fait de la politique traître des dirigeants du mouvement ouvrier et de leurs satellites d’extrême-gauche, la question du pouvoir ne pouvait que difficilement commencer d’être résolue.
La grève générale se maintenant dans le même temps, le gouvernement tentait de faire monter au créneau le PS. Celui-ci, qui dirige en Guadeloupe les deux conseils (régional et général) – institutions coloniales –, va plusieurs fois appeler à « assouplir la grève », avant d’envoyer tous ses élus d’Outre-mer rencontrer Sarkozy au lendemain du « sommet social » du 18 février. C’est évidemment apporter un soutien ouvert à Sarkozy, tentative à laquelle d’ailleurs s’est associé le PPM fondé par Aimé Césaire. Mais rien n’y fait : les institutions coloniales et les relais des partis parisiens ne peuvent étouffer le feu de la grève générale. Les négociations reprennent et le gouvernement Sarkozy-Fillon (avec Parisot) doit même intimer au Medef guadeloupéen l’ordre de revenir à la table des négociations et d’avaler un certain nombre de reculs incontestables, pour en finir avec cette grève.


D’importantes concessions


L’accord passé (sans le Medef) et son annexe sur les salaires comprend nombre de mesures favorables sans aucun doute aux masses. Ainsi l’augmentation des bourses étudiantes de 200 euros par mois, la baisse de 20% du prix des transports, la baisse du prix du carburant, de plus de 150 articles de consommation – notamment grâce à la baisse de « l’octroi de mer » perçu par la région sur nombre de produits importés –le gel du prix du pain, des loyers, la baisse des prix des services bancaires, la baisse du prix de l’eau, etc.

Mais une chose saute aux yeux : ce sont essentiellement les conseils régional et général, ainsi que l’Etat, qui passent à la caisse. Et il en va de même pour la question clé des salaires, on va le voir. Autre remarque : une des manières d’octroyer les 200 euros aux titulaires des minima sociaux (sauf les boursiers) est d’accélérer la mise en œuvre du RSA à taux exceptionnel, et de manière provisoire. Donc, et même si effectivement le revenu des récipiendaires de minima sociaux augmente, c’est dans le cadre de la politique du gouvernement. Autre exemple : les emplois « tremplins », l’apprentissage, qui sont proposés comme solutions au chômage des jeunes. D’ailleurs dans le discours de bilan de la grève qu’il prononce le 13 mars, Domota reconnaît que ces milliers de contrats aidés ne sont pas une solution « nous devons aujourd’hui nous battre pour le développement de véritables contrats de travail » précise-t-il.

Quant aux salaires, là aussi, l’accord « Jacques Bino » (en Martinique l’accord est similaire) renvoie, au moins dans un premier temps, à l’Etat et aux conseils général et régional l’essentiel du poids de l’augmentation. Augmentation, les termes sont pesés, de « revenu ». Selon la taille de l’entreprise, la quasi-totalité des 200 euros sont pris en charge donc sur l’impôt. De plus, ce bonus est exonéré de toutes charges, sauf CSG et CRDS. A noter que Lollia, secrétaire de la CTU et membre du NPA antillais, proposait dans France Antilles du 13/02 de « supprimer la CSG et la CRDS pour un temps » - non pas pour rétablir la cotisation ouvrière maladie, mais pour faire prendre en charge aussi une part de l’augmentation sur le budget de la sécurité sociale, ce qui revient à prendre d’une main (salaire différé) pour donner à l’autre !
Mais une clause prévoit – sans toujours préciser que cette augmentation est intégrée au salaire – qu’au bout des 12 mois d’aide des collectivités locales (50 euros par salarié par mois dans les petites entreprises) et des 36 mois d’aide de l’Etat (100 euros partout), le patronat prenne le relais. Voilà évidemment pourquoi le Medef a refusé de signer cet accord – qui du coup ne s’appliquait en théorie qu’à quelques milliers de salariés.
Mais le LKP a imposé, par la poursuite de la grève secteur par secteur, que les grands patrons acceptent aussi d’appliquer cette hausse et d’ouvrir les négociations pour les autres salaires sur la base de 6% d’augmentation prévus par l’accord.

On comprend la rage du Medef, mais on comprend aussi que les ambiguïtés du protocole et le rôle essentiel de payeur de l’Etat et des collectivités locales posent un problème politique au moment du relais. A cette étape, la fureur du patronat va certainement se traduire par l’organisation de dépôts de bilan, et notamment dans le secteur du tourisme particulièrement frappé par la grève.

Car s’il a dû reculer, si la grève a contraint y compris les plus gros employeurs à signer l’accord « Bino », il garde en main les moyens de repasser à l’offensive à une date ultérieure : les acquis de la grève, à cet égard sont bien fragiles.


Les causes de la « pwofitasyon » demeurent, et plongent leurs racines dans l’ordre colonial


Le fait que dans cette négociation l’Etat français soit intervenu – avec ses annexes locales – pour sauver le patronat local du pire et lui donner du temps pour préparer sa vengeance est significatif. Il s’agit de préserver un ordre colonial mis en place depuis que ces îles sont devenues au XVIIe siècle de véritables usines à sucre basées sur l’esclavage (les Indiens Arawaks vivant auparavant sur place furent exterminés). Le territoire de la Guadeloupe se couvre alors de ce qu’on appelle les « habitations », exploitations esclavagistes exploitant le travail d’une centaine d’esclaves en général. La population des Antilles trouve ainsi son origine, békés propriétaires, et esclaves. Les proportions de 1 pour cent n’ont guère changé. Durant tout le XVIIIe siècle, les fortunes s’accumulent dans cet ordre social particulièrement barbare, régi par le « code noir » de 1685.

L’abolition de l’esclavage est un produit de la Révolution française de 1789. Mais quand en 1848, pour la seconde fois l’esclavage est aboli, avec indemnisation des propriétaires ( !) le caractère de l’économie insulaire n’en est guère modifié. Des lois draconiennes sur le vagabondage furent adoptées pour empêcher la main-d’oeuvre de quitter les exploitations, des contrats d'engagement des travailleurs agricoles les attachaient aux exploitations, et furent mis en place des livrets, sur le modèle du livret ouvrier qui avait alors cours en métropole, et  des passeports intérieurs. Tout fut fait pour lier sous une nouvelle forme les anciens esclaves à la terre.

La concentration et l'industrialisation de l'activité sucrière, sa mutation vers la distillerie devant la concurrence de la betterave sucrière en métropole, fit apparaître de nouvelles exploitations, les usines, qui regroupaient en moyenne en Guadeloupe 2300 ha, à la place des anciennes habitations esclavagistes qui elles concentraient en moyenne 300 ha. Les latifundiaires progressaient, et mirent en place de nouveaux statuts pour leur main-d’oeuvre : le colonat partiaire, ou les ouvriers casés. Les colons partiaires étaient des métayers tenus de planter la canne, tout en bénéficiant d'une parcelle pour assurer leur propre subsistance. Ils étaient totalement dépendants des “usiniers” qui leur livraient la plupart des intrants, ils devaient rendre entre 1/3 à 2/3 de leur récolte, ils devaient en outre travailler sur l'exploitation principale durant les mois de récolte de la canne. Les ouvriers casés quant à eux étaient des ouvriers agricoles logés, à qui l'on concèdait un jardin potager, mais qui souvent pour leur subsistance devaient acheter au magasin de la propriété. M.F. Zébus, auteur d'un article en 1999 intitulé “Paysannerie et économie de plantation, le cas de la Guadeloupe. 1848-1980” sur la situation dans les campagnes guadeloupéennes après l'abolition, publié par la revue historique Ruralia, donne l'exemple de la répartition foncière d'une commune guadeloupéenne à la fin du XIXe siècle : 43 % des terres de cette commune éteient aux mains de deux usines, l'une modeste de 800 ha, l'autre beaucoup plus vaste possèdait en tout 8000 ha, dont 1800 sur le territoire communal. 50 % des terres agricoles éteient réparties entre 9 distilleries de taille moyenne allant de 20 ha à 300. La petite propriété n'occupait que 7 % des terres. La campagne était ainsi divisée entre un latifundium capitaliste, béké, et un microfundium interstitiel vivrier, la plupart de la main-d’oeuvre travaillant d'une manière ou d'une autre sur les grandes exploitations. Il faut ajouter à cela que les grands propriétaires avaient recours à des coolies indiens pour pallier le tarissement de l'apport de la traite et l'insuffisant excédent naturel .

Avec le recul de l’importance de l’industrie sucrière, la question foncière ne fut pas réglée pour autant. Si quelques latifundia ont été lotis durant les années 1960, à hauteur de quelques milliers d'hectares, pour créer des lots de 3 à 4 hectares comme sur Marie Galante en installant ainsi 1250 anciens colons et ouvriers sur des exploitations en définitive non viables, la grande propriété a traversé quasiment intacte toute l'histoire contemporaine. La mécanisation, le recours aux pesticides massifs aux conséquences sanitaires effroyables, le marché protégé de la banane, ont certes fait évoluer la production, mais pas le foncier, et les travailleurs agricoles ont largement été rejetés des Antilles, créant un vaste flux migratoire entretenu depuis la métropole, et nourri par la forte croissance démographique.

Aujourd’hui, sur l'archipel guadeloupéen, la structure de la main-d’oeuvre est l’héritage de la subordination totale aux intérêts de la métropole – pour le plus grand profit des békés. Seule 5 % de la population active est encore employée dans l'agriculture, 13 % dans le secteur secondaire, BTP compris... et encore faut-il considérer que dans le secteur industriel est compté le secteur de l'énergie, l'EDF étant le plus gros employeur industriel de l'archipel ! 78 % de la main-d’oeuvre est employée dans le secteur tertiaire, avec une part non négligeable de fonctionnaires qui représentent un cinquième du total de la population active. C'est le secteur touristique et hôtelier qui a pris le relais de l’exploitation agricole, et il assure 61 % des revenus classés  comme importation par l'entrée des devises, bien devant l'agriculture, elle-même largement subventionnée.

Le racisme colonial n'a évidemment pas disparu, les békés considèrant qu'il ne faut pas mélanger le “sang blanc” avec celui des anciens esclaves. Si une petite bourgeoisie noire a émergé, il n'en reste pas moins qu'un Antillais peut encore être giflé par un fonctionnaire pour avoir utilisé le créole dans un entretien ! Ceux qui migrent sont relégués aux banlieues de la région parisienne, comme le prolétariat issu des anciennes colonies d'Afrique et d'Afrique du Nord.


Seule la révolution a pu et pourra émanciper les masses opprimées des Caraïbes


Tous les pas significatifs vers l’émancipation des masses des Caraïbes sont liés à la révolution. Révolution française tout d’abord, laquelle abolira l’esclavage en février 1794. Cette abolition prend acte de la grande révolte des esclaves à Haïti – où ils sont plusieurs centaines de milliers – et aussi de la nécessité pour les révolutionnaires de s’appuyer sur les esclaves dans la guerre qu’ils mènent contre la bourgeoisie britannique. Plus précisément, c’est pour reprendre pied aux Antilles dont l’Angleterre l’a évincé, en s’appuyant sur la révolte des esclaves guadeloupéens de 1793, que la bourgeoisie révolutionnaire décrète l’abolition. Du coup, alors qu’en Martinique, les békés sont protégés par les troupes britanniques, en Guadeloupe l’envoyé de la convention Victor Hugue fait exécuter un millier d’esclavagistes, coupables d’avoir livré l’île au Royaume-Uni. Une fois la contre-révolution thermidorienne achevée en France et l’empire installé, Bonaparte rétablit l’esclavage et s’appuie cette fois sur les forces réactionnaires pour réaffirmer l’emprise française sur les îles. Mais Haïti deviendra, dans des conditions terribles qui ne l’y préparaient nullement, la première république noire indépendante de l’histoire. Au demeurant, profondément déstabilisé le système de l’esclavage vit ses dernières années : en 1808 l’Angleterre interdit la traite, tandis que la betterave sucrière rentre en concurrence avec la canne. En 1848, les abolitionnistes ont gain de cause.

Un siècle plus tard, siècle jalonné de révoltes ouvrières et paysannes aux Antilles, la vague révolutionnaire de la fin de la seconde guerre mondiale oblige l’impérialisme français, très affaibli, à se redisposer pour maintenir sa domination coloniale. C’est la fin de l’empire colonial, devenu « union française », l’abolition du code de l’indigénat, et, pour les plus anciennes des colonies des Antilles, de la Réunion, etc., la départementalisation. Mais celle-ci n’est mise en place qu’avec le soutien, donc la politique impérialiste, de la SFIO et du PCF (lequel s’oppose aussi à l’époque à l’indépendance algérienne).
C’est cette politique, concentrée dans le soutien de ces deux partis au gouvernement de Guy Mollet aux débuts de la guerre coloniale contre le peuple algérien, qui entraîne des combats jusqu’aux Antilles. C’est en effet en 1956 notamment qu’Aimé Césaire rompt avec le PCF. Dans une lettre ouverte à Thorez du 1er juin 1956 il dénonce le paternalisme du PCF vis-à-vis des peuples colonisés, le vote des pleins pouvoirs à Mollet, la tutelle du PCF sur ses sections « coloniales » :
« Il faut dire en passant que les communistes français ont été à bonne école. Celle de Staline. Et Staline est bel et bien celui qui a réintroduit dans la pensée socialiste, la notion de peuples «avancés» et de peuples «attardés». Et s'il parle du devoir du peuple avancé (en l'espèce les Grands Russes) d'aider les peuples arriérés à rattraper leur retard, je ne sache pas que le paternalisme colonialiste proclame une autre prétention. »
Plus loin : « le Parti Communiste Français pense ses devoirs envers les peuples coloniaux en termes de magistère à exercer, et que l'anticolonialisme même des communistes français porte encore les stigmates de ce colonialisme qu'il combat. Ou encore, ce qui revient au même, qu'il n'y aura pas de communisme propre à chacun des pays coloniaux qui dépendent de la France, tant que les bureaux de la rue Saint-Georges, les bureaux de la section coloniale du Parti Communiste Français, ce parfait pendant du Ministère de la rue Oudinot, persisteront à penser à nos pays comme à terres de missions ou pays sous mandat ».

Cette condamnation de l’attitude stalinienne et colonialiste du PCF tranche et bouleverse l’ordre politique. Le PCF est dès lors obligé de modifier son attitude au moins de façon superficielle : en 1957 et 1958 sont « fondés » le PC de Martinique, puis celui de Guadeloupe. Pour autant, s’il condamnait la politique du PCF, Césaire a pris un tournant politique réactionnaire qui l’amènera à occuper une position de notable en Martinique sans combattre l’ordre colonial, rompant progressivement avec le marxisme dont il se réclamait en fondant le Parti Progressiste Martiniquais, lequel se place sur le terrain de « l’autonomie », donc du refus de la rupture avec Paris.

En 1959 éclate la révolution cubaine, laquelle va prendre un caractère socialiste pour résister à la pression énorme de l’impérialisme US. Sans entrer ici dans les détails, cette révolution va montrer, malgré d’immenses difficultés, qu’il est possible dans les Antilles à la fois de ne pas être soumis à une grande puissance impérialiste et à la fois d’obtenir, en termes d’éducation, de santé, des résultats n’ayant positivement rien à voir avec ceux des pays voisins soumis à l’impérialisme – et occupés militairement par lui comme Haïti aujourd’hui.

C’est encore dans le mouvement vers la révolution prolétarienne dans les Caraïbes et en Amérique centrale des années 70 que l’on voit par exemple l’UGTG se constituer à partir des grèves des travailleurs agricoles, et ce sur le terrain de l’indépendance. L’UGTG se constitue donc dans le même mouvement que celui qui verra le renversement de la dictature de Somoza au Nicaragua, ou encore la prise du pouvoir sur la petite île de Grenade par le parti de Maurice Bishop. La Grenade sera aussi l’un des éléments du renversement de tendance des années 80, lorsque, après que les staliniens auront déposé et exécuté Bishop, l’impérialisme américain en tirera profit pour envahir militairement la Grenade (au moment où il combat les armes à la main dans toute l’Amérique centrale – Nicaragua, Salvador - contre la révolution).

Ces rapides éléments indiquent avec la plus grande netteté que c’est le mouvement vers la révolution, à notre époque, la révolution prolétarienne, ouvrière et paysanne, qui a été le levier de l’émancipation des masses des Caraïbes et d’Amérique centrale, et que réciproquement la revendication de l’indépendance réelle face à l’impérialisme américain, français ou britannique, est un élément fondamental de la stratégie révolutionnaire.


 « La Gwadloup, sé ta nou, la Gwadloup, sé pa ta yo » :
inconditionnellement pour l’indépendance de la Guadeloupe,
pour la fédération socialiste caraïbe


Ce qui s’est exprimé une nouvelle fois dans le slogan « la Gwadeloup sé tannou », c’est cette aspiration à la liquidation de l’ordre social hérité du colonialisme, lequel ne peut être liquidé sans que soient détruits les liens de subordination à la métropole impérialiste française. Sans qu’un gouvernement des ouvriers et des paysans ne prenne en main les affaires de l’île. Il est clair que, moins encore qu’il n’y a de « socialisme en un seul pays » il ne saurait y avoir de « socialisme en une seule île ». Le mouvement d’émancipation des peuples des Caraïbes et d’Amérique centrale est un. Un gouvernement ouvrier et paysan en Guadeloupe ne prendrait de sens qu’en établissant des relations fraternelles avec les autres îles, avec les pays d’Amérique latine et d’abord d’Amérique centrale – au premier rang desquels aujourd’hui se trouverait Cuba, malgré l’immense dégénérescence bureaucratique de la révolution cubaine qui met le pays aujourd’hui au bord du gouffre. Ce n’est que dans le cadre d’une fédération socialiste des Caraïbes et d’Amérique centrale qu’il serait possible de commencer à surmonter les séquelles épouvantables de la traite esclavagiste, de l’exploitation coloniale et tout ce qui en découle. C’est sur cette orientation générale que peuvent se constituer des partis ouvriers révolutionnaires dans cette région du monde.

Mais la responsabilité des directions du mouvement ouvrier, en France ou aux Etats-Unis, est colossale. En l’absence de Parti ouvrier révolutionnaire, c’est à elles qu’il faudra imposer de combattre contre leur propre impérialisme, pour le retrait des troupes d’occupation, de répression, des Antilles bien sûr mais aussi de Haïti, et pour la levée des sanctions et de l’isolement économique toujours en vigueur contre Cuba.

C’est ce combat qui en France s’est matérialisé par l’exigence du retrait des troupes envoyées par le gouvernement Sarkozy-Fillon pour réprimer la grève générale en Guadeloupe et en Martinique.

C’est cette orientation sur laquelle le Groupe pour la construction du Parti ouvrier révolutionnaire, et lui seul à notre connaissance, s’est situé, notamment en diffusant la déclaration que nous republions ci-après, ou en intervenant dans organisations syndicales (cf. les interventions militantes publiées dans ce numéro).


Le 25 mars 2009

 

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