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Article paru dans CPS n°25 (107) de juin 2006

« Révolution bolivarienne » au Venezuela (2ème partie) :

Où va le Venezuela ?

Un césarisme populiste aux relents de pétrole


Rappelons ici la conclusion de la première partie de cet article, intitulé « le prétendu « socialisme du 21ème siècle à l’épreuve des faits », qui analysait, domaine après domaine, les réalisations du pouvoir « bolivarien » :

« La rente pétrolière accrue sert aujourd’hui de matelas à Chavez pour amortir les contradictions sociales profondes du pays qui ne sont en rien résolues, pour se livrer à un numéro d’équilibriste, parfois comique au fil de ses improvisations télévisées dominicales (dans l’émission Alo presidente), louvoyant entre les aspirations des masses  et les besoins des différentes fractions de la bourgeoisie, en se présentant comme le défenseur de toute la nation contre l’impérialisme américain.

Le populisme en uniforme de Chavez s’inscrit dans une longue tradition latino-américaine, le césarisme, comme nous y reviendrons dans la seconde partie de cet article, sinon que c’est un césarisme pétrolier. Bien des militaires au pouvoir avant lui se sont parés de atours du « socialisme » en fonction des besoins du moment.
Précisément, l’avons vu, en réalité, il n’y a pas de transformation fondamentale des rapports sociaux au Venezuela. Ni expropriation des grands propriétaires terriens, ni celles des capitalistes financiers qui détiennent la dette publique, ni celles des banques ou des principales entreprises d’un pays toujours gangrené par la corruption et par la misère. »

De tels régimes ne sont pas un phénomène nouveau, en particulier en Amérique latine. Léon Trotsky caractérisait ainsi le régime du général Cardenas au Mexique où il trouva asile les dernières années de sa vie :
« Dans les pays industriellement arriérés, le capital étranger joue un rôle décisif. D'où la faiblesse relative de la bourgeoisie nationale par rapport au prolétariat national. Ceci crée des conditions particulières du pouvoir d'État. Le gouvernement louvoie entre le capital étranger et le capital indigène, entre la faible bourgeoisie nationale et le prolétariat relativement puissant. Cela confère au gouvernement un caractère bonapartiste sui generis particulier. Il s'élève pour ainsi dire au‑dessus des classes. En réalité, il peut gouverner, soit en se faisant l'instrument du capital étranger et en maintenant le prolétariat dans les chaînes d'une dictature policière, soit en manœuvrant avec le prolétariat et en allant même jusqu'à lui faire des concessions et conquérir ainsi la possibilité de jouir d'une certaine liberté à l'égard des capitalistes étrangers. » (L’industrie nationalisée et la gestion ouvrière, juin 1938)

Avec l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales en Bolivie, la palette de ces régimes s’est encore élargie. Réprimant des grèves d’un côté (Morales a fait donner la troupe contre ceux de la compagnie aérienne LAB),  tentant de se subordonner la Centrale Ouvrière Bolivienne (nous y reviendrons plus largement dans un prochain numéro), le même Morales a sorti le 1er mai un décret de prise de contrôle des hydrocarbures. Dans tous ces domaines, il suit le chemin tracé par Chavez. Sa « nationalisation » du pétrole (pour six mois) vaut, en tout cas pour l’instant, celles de Chavez que nous avons abordées dans la première partie de cet article. Il s’agit en fait de renégocier la répartition des royalties. A ce sujet on pourrait se contenter de mentionner la réaction du New York Times du 8 mai, parue sous le titre  « En Bolivie, beaucoup de fumée sans feu » et qui souligne que ce décret n’a rien à voir avec les confiscations intervenues sur ce continent dans les années 50 et 70. Chavez a donc fait un émule, jusque dans la promulgation en Bolivie d’une réforme agraire qui prévoit, comme au Venezuela, de ne pas toucher un seul hectare des terres effectivement utilisées par les grands propriétaires.

Mais dans toute l’Amérique latine s’exprime sous des formes diverses et parfois contradictoires un même mouvement : les bourgeoisies locales, prises entre les exigences léonines de l’impérialisme et des grandes firmes capitalistes, et étant incapables d’une manière générale de recourir à des régimes dictatoriaux, louvoient entre les classes. Ajoutons que les concessions plus ou moins significatives qui sont consenties ici ou là aux masses divisent les bourgeoisies nationales.

Le Venezuela de Chavez concentre ce mouvement, dont l’origine plonge ici dans le bouleversement profond qu’a représenté, en 1989, le soulèvement connu sous le nom de caracazo.


Le caracazo


Entre 1958 et 1989, le pouvoir au Venezuela a été partagé entre les deux principaux partis, l’Action Démocratique, un parti bourgeois adhérent de l’Internationale Socialiste, et la COPEI, un parti d’inspiration démocrate-chrétienne, selon le régime dit du Pacte de Punto Fijo. Les signataires de ce pacte signé en 1958 s’engageaient à respecter les résultats des élections et à former des gouvernements de vaste coalition, assurant à chacun un « juste » partage du gâteau que représentait l’Etat. Alors que partout en Amérique latine, l’instabilité et les coups d’Etat militaires donnaient le ton, la bourgeoisie vénézuélienne s’est payé le luxe d’une « démocratie » parlementaire stable, la colossale rente pétrolière lui permettant de nourrir grassement chacune de ses fractions. Après le choc pétrolier de 73, on parla même de « Venezuela saoudite ».
A l’époque Carlos Andrés Perez (président et dirigeant de l’AD) parle de « semer le pétrole », des autoroutes, des usines hydroélectriques sont construites. En 1975, Perez nationalise la métallurgie, en 1976, il nationalise le secteur pétrolier, créant PDVSA, une des plus importantes compagnies mondiales du secteur.
La classe dirigeante, étroitement liée à l’impérialisme, vit de façon complètement parasitaire aux crochets de l’Etat. La situation permet même à la classe ouvrière de décrocher quelques gains, surtout celle du secteur pétrolier (économat, etc). Mais les dépenses ont vite fait de dépasser les revenus pétroliers et la dette, tant interne qu’externe, croît à une vitesse exponentielle. D’autre part la manne pétrolière a entraîné une tendance à la monoproduction, les autres secteurs économiques devenant beaucoup moins attractifs.

Or à la fin des années 70, les prix du pétrole commencent à se stabiliser sur le marché mondial et entament une baisse continue. Les revenus du pays périclitent car si en 1982, le baril de pétrole vaut encore 15,93 $ de 1973, en 1998, il n’en vaut plus que 3,19 ! Le revenu national brut moyen est de 5 845 $ en 1984 et il n’est que de 6 012 $ en 1998…. Cela entraîne un accroissement colossal de l’endettement, de 9% du PNB en 1970 à 53% en 1994. L’Etat est hypertrophié, une corruption endémique gangrenant chacun de ses rouages

Le tournant mondial vers le monétarisme du début des années 80 rend le poids de la dette tout à fait écrasant. L’heure est aux politiques « d’ajustement structurel ». Le niveau de vie des masses commence à baisser, le chômage augmente rapidement, les quelques acquis sont remis en cause ou supprimés. Le taux de pauvreté passe de 18% de la population en 1980 à 65% en 1996, la plus forte hausse du continent pour cette période. La pression s’accumule et les années 1980 sont ponctuées de grèves ouvrières et de manifestations étudiantes.

En 1987, après un nouveau plan d’ajustement le gouvernement de Luis Herrera Campings (COPEI) fait face à des luttes ouvrières qui culminent dans une grève générale. La classe ouvrière est en train de se radicaliser. En 1989, à l’occasion des élections présidentielles, Perez revient au pouvoir porté par les votes populaires, à cette époque AD, bien qu’étant un parti entièrement bourgeois, est encore vu par les masses comme « un parti du peuple », tant du fait de sa lutte passée contre les dictatures militaires que du fait qu’il dirige la Confédération des Travailleurs Vénézuéliens, le syndicat de la classe ouvrière. Pourtant quelques jours après son investiture, loin de ramener l’âge d’or des années 70, Perez lance le « grand tournant », un programme économique dirigé contre les masses qui se concrétise notamment par une brutale dévaluation de la devise nationale face au dollar, ce qui entraîne une brusque augmentation des prix et des taux d’intérêt bancaires, les prix de certains produits contrôlés sont libérés, les subventions aux entreprises sont supprimées, un plan de privatisation est dressé, le prix de l’essence augmente de 80%, celui des services publics de 40% à 100%.

Le 27 février 1989, le jour de l’entrée en vigueur du doublement des tarifs des transports en commun, la colère longtemps contenue s’épanche. Des centaines de milliers d’habitants des quartiers pauvres, les barrios, qui dominent Caracas, se répandent dans la ville et partout dans le pays les pillages de magasins se multiplient. Les affrontements avec les forces de l’ordre, qui ont reçu l’ordre de mater les manifestants avec fermeté, se multiplient. L’état de siège est décrété, le bilan officiel de la répression avance le chiffre de 243 manifestants exécutés par les forces de l’ordre, mais certains estiment le chiffre véritable à 3000.

Pourtant l’appareil d’Etat est ébranlé et il ne peut cacher ses divergences sur la politique à mener, un  certain nombre d’officiers refusent par exemple de faire tirer sur la foule …dont le colonel Chavez. La police est dissoute et c’est l’armée et la garde nationale qui prennent en mains la répression, mais on assiste parfois à des mutineries. L’Etat issu du pacte du Punto Fijo est à bout de souffle, les masses sont dans la rue, et la classe politique et la bourgeoisie s’affolent, n’ayant que le rempart de l’armée pour protéger leur pouvoir. Le magazine Elite commente : ‘‘Le mythe de la plus solide démocratie bourgeoise d’Amérique latine ne survécut pas cinq jours’’ (13/03/1989).
Le Venezuela est entré dans une nouvelle phase de son histoire.


Chavez : du coup d’état manqué à l’élection de 1998


Suite à cet ébranlement, les partis traditionnels de la bourgeoisie vénézuélienne, AD et COPEI, se décomposent tandis que la direction de la CTV se soumet de plus en plus à l’appareil d’Etat et accepte d’accompagner la politique voulue par la bourgeoisie. Parallèlement, la Causa R (R pour Radical), une petite organisation issue des rangs du PCV acquiert une influence non négligeable, déjà en 1989 elle a pris la direction du syndicat des métallurgistes de Guayana.

C’est à ce moment là que la figure du lieutenant-colonel Hugo Chavez Frias, un parachustiste, apparaît sur la scène politique. C’est un militaire nationaliste qui fait profession de progressisme comme l’Amérique du Sud en a tant connu. Né en 1954 dans une famille de la classe moyenne en partie d’ascendance indienne. il s’engage dans l’armée en 1971. Dans les années 1980, il forme un mouvement politique clandestin dans les rangs de l’armée, le Mouvement Bolivarien Révolutionnaire (MBR). Durant le Caracazo il refuse de donner l’ordre à ses hommes de tirer sur la foule.
En 1992, avec un groupe d’officiers, Chavez tente un coup d’Etat qui échoue. Dans une allocution télévisée, il explique que « nous avons échoué … pour l’instant (pro ahora) ». Le fait d’assumer honnêtement son échec, un fait plutôt rare, conjugué à la haine de la vieille classe politique corrompue, va lui assurer une certaine popularité et la formule « pro ahora » devient un véritable slogan populaire. Chavez est condamné à vingt ans d’emprisonnement, mais durant sa relégation son prestige ne fait que croître. A la suite d’accusations de corruption, le président Perez, est chassé du pouvoir en 1993 par des manifestations de masse. Les présidentielles anticipées, marquées par un taux d’abstention de 60%, voient la victoire avec seulement 25% des voix du vieux politicien bourgeois Rafael Caldera, le parrain du pacte du Punto Fijo, appuyé sur la minuscule Convergence Démocratique. Ces élections sont aussi marquées par la percée du candidat de La Causa R, Andes Velasquez, dirigeant du syndicat des métallos de Guayana, qui arrive en seconde position. Il ne fait aucun doute que l’élection de Caldera est due à une fraude massive.
En 1994, Caldera fait libérer Chavez qui s’attelle à la construction de son propre courant politique en sortant de la clandestinité le Mouvement Bolivarien Révolutionnaire (MBR), qui deviendra par la suite le Mouvement pour la Vème République (MVR).

Lors des présidentielles de décembre 1998, Chavez est élu avec 56,24% des voix, porté au pouvoir tant par les classes populaires que par une partie significatives de la bourgeoisie vénézuélienne et les classes moyennes. Sa victoire sur les candidats de l’oligarchie est à la fois le reflet déformé de la volonté des masses, séduites par son discours populiste et nationaliste, de trouver une issue à la crise socio-économique qui les frappe, mais elle exprime aussi la volonté de la bourgeoisie de trouver elle aussi une solution à la crise récurrente de l’Etat vénézuélien, convaincue par les propos de Chavez (cités dans la 1ère partie): « J’ai dit ça  avant de devenir président, disons en 95 ou 97… Le Venezuela est une sorte de bombe (tic toc ! tic toc !). Nous allons commencer à en désactiver le mécanisme. Et aujourd’hui, ce n’est pas qu’elle est totalement désamorcée mais je suis sûre qu’il est de moins en moins probable que cette bombe explose aujourd’hui »


Constitution d’une Ve république de type bonapartiste


Chavez prend ses fonctions en février 1999. Dans une adresse à la nation, il annonce aussitôt l’organisation d’un référendum devant approuver la convocation d’une Assemblée Constituante, dont le but est de renouveler les institutions en bout de course, cette solution étant évoqué par une partie de la classe politique depuis le Caracazo. Le  « oui » l’emporte avec 73% des voix. Dans la foulée les bolivariens de tout poil emportent une très large majorité à la Constituante qui adopte la nouvelle Constitution avec une majorité de 95%. Cette Constitution est elle même soumise à un nouveau référendum : 72% de oui.
La Constitution de la Ve République, un document pléthorique que les Vénézuéliens surnomment le « machin », est un régime bonapartiste typique. Le président nomme lui-même son vice-président, n’a pas de premier ministre, nomme et renvoie les ministres comme bon lui semble. Il peut dissoudre l’Assemblée, un Congrès à une seule chambre.
Elle réforme profondément les institutions judiciaires du pays, le président nommant désormais le procureur général et les membres de la Cour Suprême, elle réforme également le système électoral. Elle institue des référendums consultatifs, révocatoires et approbatoires. Elle octroie aussi quelques droits et garanties formels pour les travailleurs et les classes populaires. Le nom du pays est changé en République Bolivarienne du Venezuela.

Mais le régime que met en place Chavez est aussi largement vertébré par l’armée. Ce dernier parle d’ailleurs sans cesse « d’alliance civico-militaire ». Cela se traduit avant tout par la place importante que prend la caste des officiers au sein de l’Etat, 800 au total à des degrés divers, ministres, gouverneurs, vice ministres, directeurs d’entreprises publiques… Rien qu’au sein de la Constituante sur 131 élus, 26 étaient des militaires, tous élus du Front Patriotique de Chavez. Mais l’armée est aussi omniprésente dans la vie sociale et dans les programmes des misiones. D’autre part, une partie de la population est enrôlée dans une milice, les Unités Populaires de Défense, placée sous l’autorité directe de Chavez.

A tout bonaparte il faut un bras politique. Celui de Chavez est le mouvement pour la Ve République (MVR). C’est un front qui regroupe pêle-mêle des organisations de base dans les quartiers populaires, les Cercles Bolivariens, et un large éventail de partis ou de cercles de la gauche radicale, mais aussi des politiciens venant d’AD et de la COPEI, qui cherchent à se refaire une virginité politique…. C’est un appareil bureaucratique sans démocratie interne, sans autorité politique en dehors de la personne de Chavez.

La « gauche » vénézuélienne a fourni de nombreux cadres au MVR. Rangel le vice président, fut trois candidat de la gauche aux présidentielles, Ali Rodriguez Araque, ministre de l’énergie fut un dirigeant de La Causa R. Luis Miquilena dirigeait le syndicat des chauffeurs de bus dans les années 40 et dirigea un Front Patriotique après le Caracazo. Jorge Giordani, ministre de la planification, est un ancien du MAS. La majeure partie de la gauche vénézuélienne est issue du PCV et de ses scissions le MAS de Teodoro Petkoff et La Causa R. Mais la plupart de ces partis n’ont qu’une existence toute théorique et ne fonctionne souvent plus que comme des appareils destinés à propulser la candidature de leurs dirigeants, la plupart n’ont même plus de presse indépendante.
Il faut dire quelques mots du parti « révolution et socialisme » fondé en 2005 et issu de l’OIR (Option de Gauche Révolutionnaire). Ce parti regroupe en effet nombre de militants se réclamant du trotskysme au Venezuela. Or il s’est constitué en se déclarant «partie intégrante du processus dirigé par le commandant Chavez », et, lors de son congrès de fondation il s’est adressé « respectueusement »  à Chavez (sic et re-sic) pour lui demander « de se mettre à la tête d’un gouvernement des travailleurs ». Une de ses figures dirigeantes, Orlando Chirino, a expliqué à Prensa Latina qu’il n’est aucunement question avec le PRS de concurrencer le MVR… D’ailleurs, pour les élections d’octobre 2004 déjà, l’OIR s’était prononcée pour l’organisation de primaires afin de départager les candidats « bolivariens ». Cependant aux législatives de décembre 2005, quelques candidats se sont présentés de façon indépendante, recueillant quelques centaines de voix.
Les Cercles Bolivariens ont un rôle particulier : ce sont des instruments d’encadrement politique de proximité des masses des quartiers populaires, ils servent d’ossature pour la mise en place des programmes sociaux du gouvernement. Ils doivent élire domicile dans un bâtiment gouvernemental et prêter serment à la Constitution de la Ve République. Comités de base du nouveau régime, ils vont jouer un rôle non négligeable pour faire échouer les plans des forces réactionnaires.


La réaction, soutenue par l’impérialisme US, combat pour renverser Chavez


En 2000, des élections générales, prévues par la nouvelle Constitution, se tiennent après une grève générale en octobre dans le secteur pétrolier pour des augmentations de salaires. Chavez remporte les présidentielles avec 59% des voix, aux législatives la coalition chaviste emporte deux tiers des sièges et une majorité de postes de gouverneurs et de maires aux élections locales. Le pays est aux pieds de Chavez, il contrôle l’Etat de bas en haut avec sa coalition qui comprend le MVR, mais aussi le Mouvement Vers le Socialisme (MAS), Patrie Pour Tous (PPT), une organisation issue de La Causa R, le PC vénézuélien et quelques autres petits partis. De plus la situation économique du pays s’améliore grâce à l’accroissement des rentrées pétrolières.
Un des premiers actes de la nouvelle Assemblée est de voter la loi dite des pouvoirs spéciaux qui permet à Chavez de légiférer par voie de décrets-lois dans un certain nombre de domaines limités, pouvoir limité dans le temps à novembre 2001. A l’extrême limite de ce délai, Chavez publie 49 décrets-lois. Les principaux portent sur une restructuration de l’industrie pétrolière et l’esquisse de la réforme agraire (cf. la 1ère partie de cet article).

La FEDEMARCAS renâcle devant ces décrets qu’elles considèrent comme tournés contre les entreprises, le droit de propriété. La bureaucratie CTV, elle aussi on le verra confrontée à une offensive de Chavez qui veut s’emparer de la centrale syndicale, joint sa voix au concert de protestations, expliquant que la remise en cause des droits patronaux menacent les droits des travailleurs ! FEDEMARCAS et bureaucratie CTV convoquent donc, ensemble (!), une grève générale pour le 10 décembre 2001. Son succès tient essentiellement au lock-out organisé par le patronat et au battage médiatique, ainsi qu’à des difficultés financières du régime liées à une baisse momentanée du cours du pétrole.
L’opposition croit alors avoir les mains libres et les manœuvres commencent.

Chavez s’est déjà attiré la haine d’une partie de la bourgeoisie qui l’avait soutenu en 1998 et n’a pas eu en retour les prébendes promises (ainsi le rédacteur en chef d’El Nacional qui était pressenti pour le ministère de la Culture). Les grands groupes de presse se mettent à vouer Chavez aux gémonies. Le patronat n’a guère apprécié la révocation de la loi permettant de ne pas payer d’indemnités de licenciement aux  travailleurs – aussi théorique cette révocation soit elle. Qui plus est Chavez a décidé de faire appliquer le code fiscal, menace de fermeture des entreprises à la clé, ce qui est pour le moins mal vu dans un pays où jusqu’alors l’évasion fiscale était considérée comme un sport national, avec la complicité de l’Etat qui vivait essentiellement des rentrées pétrolières. Enfin, la volonté affichée de Chavez de réorienter une partie de la rente pétrolière vers les classes les plus pauvres, pour éviter une explosion sociale, est vécu comme un coup direct au portefeuille de la petite bourgeoisie, par exemple les classes moyennes habituées à payer leurs assurances santé privées, se sentent exclues des programmes des misiones. Pour tous ceux-là Chavez devient à ce moment un ennemi à abattre.

Or, Chavez a aussi de nouveaux ennemis à l’extérieur : Washington, avec l’arrivée de Bush et le tournant plus agressif qu’il impulse à la politique étrangère, considère avec suspicion ce gouvernement qui notamment affiche sa sympathie pour Castro, et qui ne lui obéit pas au doigt et à l’œil, alors que la politique de toujours de l’impérialisme US en Amérique latine est de combattre pour des pouvoirs à sa botte.
 


2002 : un coup d’état réactionnaire se heurte à la mobilisation des masses
et se retourne en son contraire


Début 2002, une alliance hétéroclite anti Chavez se met en place : la FEDEMARCAS, les bureaucrates de la CTV, les hauts fonctionnaires de l’Etat, les dirigeants de PDVSA, des militaires liés à l’ancienne classe politique, les dirigeants d’AD et de la COPEI, la haute Eglise, des patrons de la presse comme Cisneros, le tout coordonné par l’impérialisme américain, en la personne de son ambassadeur Charles Shapiro. Leur objectif commun : le retour à l’ancien régime.
Une « grève générale » est convoquée pour le 9 avril, d’abord pour 24 heures, puis à durée illimitée. Le 11, une manifestation appelée par la CTV se dirige sur le palais présidentiel de Miraflores. Des provocateurs et la Police Métropolitaine de Caracas, dirigée par Alfredo Pena, affrontent les militants bolivariens, il y a 15 morts. L’opposition crie au crime contre l’humanité ! Des militaires s’emparent aussitôt de Chavez… qui ne lève pas le petit doigt pour se défendre et se laisse enfermer à Fort Tiuna.
Pedro Carmona, patron de la FEDEMARCAS, est désigné président par intérim. Un nouveau gouvernement est formé, l’Assemblée dissoute, les 49 décrets-lois de 2001 abrogés, le Haut Tribunal de Justice et le Conseil National Electoral sont dissous, des maires et des gouverneurs destitués, les accords avec Cuba sont annulés. Le nouveau gouvernement est immédiatement reconnu par les Etats Unis et l'Union Européenne. Une vaste chasse à l’homme contre les bolivariens et les militants syndicaux indépendants est engagée par des groupes paramilitaires.

Mais les masses commencent à réagir, et le 12 au soir, les barrios commencent à descendre sur Caracas. Le 13 c’est tout le pays qui s’embrase. Les métallos de Guayana occupent leurs usines, les ouvriers de Puerto La Cruz et Carabobo les imitent aussitôt. A Maracay, une manifestation se dirige sur la caserne de parachutistes et exige qu’on lui remette des armes. Partout dans le pays on assiste à la même scène, des foules qui marchent sur les casernes. Les rues de Caracas s’hérissent de barricades, la foule attaque la Police Métropolitaine. Les manifestants s’emparent des stations de télévision. L’insurrection paralyse le pays et les putschistes sont impuissants. Les soldats tiennent alors des assemblées et décident de ne reconnaître que l’administration Chavez. Une bonne partie de la haute hiérarchie militaire qui était restée attentiste bascule alors dans le camp du président. Carmona est arrêté.

Sans avoir jamais appelé à résister, Chavez est sorti de sa prison et la bourgeoisie vénézuélienne lui confie le soin de faire rentrer les choses dans l’ordre. Dans le style grotesque qui lui est coutumier, Chavez fait alors son apparition aux balcons de Miraflores, et, une croix en main (!), il harangue la foule : « Paix ! Rentrez à la maison, tout est sous contrôle… Cercles Bolivariens, s’il vous plaît, je ne veux pas vous voir en armes. C’est une révolution pacifique.».

Que voilà un révolutionnaire résolu ! Il choisit la voie de la conciliation avec les putschistes au lieu de les écraser. Seul Carmona sera emprisonné un temps… et il parvient « miraculeusement » à s’échapper et à se réfugier à l’ambassade de Colombie. Une soixantaine de généraux et d’amiraux sont mis à la retraite d’office. Les hauts fonctionnaires, la direction de PDVSA et les directions des médias sont laissés en place. Plus fort encore, le général Lucas Rincon, qui avait lu à la télévision une fausse lettre de démission de Chavez, est nommé ministre ! De son côté, la Cour Suprême, nommée par Chavez, décrète qu’il n’y jamais eu de coup d’Etat. Le seul qui ne s’en sortira pas, c’est Carlos Ortega, président de la CTV, qui vient d’être récemment condamné à 16 ans de prison….


Lockout patronal : nouvelle riposte ouvrière


Les forces réactionnaires reprennent leur souffle, n’ayant donc nullement été décapitées, et complotent de plus belle. Le 2 décembre 2002, le patronat déclenche un lock-out  général.
La FEDEMARCAS avec la complicité de la direction de PDVSA organise l’asphyxie du pays, le but étant de restreindre la production et la distribution du pétrole. La direction de la compagnie va jusqu’à saboter les installations, ce qui, couplé avec le blocus organisé par les capitaines des pétroliers, paralyse une partie de l’approvisionnement du pays et quasiment toutes les exportations. Le lock-out est effectif dans d’autres secteurs, les banques ferment leurs portes une bonne partie de la journée, les écoles privées sont fermées de même qu’une grande partie des commerces, notamment les supermarchés, ainsi que de nombreuses usines. Les employeurs enjoignent à leurs salariés de rester chez eux, leur promettant le paiement des journées non travaillées. Les grands médias publient à longueur de journée des appels à la population pour qu’elles descendent dans la rue afin de chasser le gouvernement Chavez, des groupes terroristes commencent même des actions de sabotage…

Une nouvelle fois Chavez reste passif, face à l’agitation organisée par la bourgeoisie. Il prend bien quelques mesures comme le contrôle des changes et des prix, mais rien de bien radical, face à l’anarchie qui s’est emparée du pays. Ce sont encore les masses qui par leur mouvement vont faire reculer la bourgeoisie…

A Caracas, les habitants commencent à s’organiser dans un premier temps pour organiser le ravitaillement en ouvrant des boutiques communautaires où la nourriture et l’essence sont distribuées gratuitement ou à bas prix, certains s’emparent des écoles fermées pour les faire rouvrir. Une manifestation s’empare même d’une station de télévision pour demander le contrôle des médias par la population. Mais le mouvement touche aussi le cœur de la classe ouvrière : une partie des installations de PDVSA sont occupées par les travailleurs, qui en chassent les cadres et se mettent à faire tourner les raffineries et les installations pétrolières sous leur contrôle, comme à Yagua, El Palito, où ils s’emparent aussi des camions de la compagnie Ferrari pour le transport du pétrole, à Puerto La Cruz où une nouvelle direction de la raffinerie est élue par les travailleurs eux-mêmes. Les métallos de Guayana, eux, s’emparent des installations gazières pour reprendre l’approvisionnement de leurs usines. Dans d’autres unités de production, de telles formes de contrôle ouvrier ont lieu aussi, à Maracay et partout dans le pays. Dans le pays, des usines de grands groupes capitalistes, comme Parmalat, Polar ou Coca-Cola, sont occupées par la Garde Nationale ou la population.

Le lock-out se transforme en son contraire : une véritable flambée révolutionnaire, dans laquelle la classe ouvrière, les masses populaires, prennent le contrôle d’une partie de l’appareil productif qui passe sous contrôle ouvrier, ce qui n’a rien à voir avec l’expérience de cogestion que Chavez va initier par la suite comme on l’a vu dans la première partie de cet article.
Entre les pertes générées par le lock-out et les occupations d’usines par les travailleurs, des fissures apparaissent dans les tenants du lock-out et les partisans d’un recul. Le « mouvement bolivarien » lui est divisé, entre les radicaux qui souhaitent en appeler aux masses pour les utiliser comme masse de manœuvre, et les modérés qui sont à la recherche d’un compromis avec l’opposition, compromis qui pourrait être scellé par des élections anticipées, à la seule condition que le lock-out soit levé. Une médiation internationale se met aussi en place sous les auspices du secrétaire général de l’OLAS, l’ex-président colombien Cesar Gaviria, et du « groupe des Amis du Venezuela », emmené par Lula et qui comprend le mexicain Fox, le chilien Lagos, Aznar et les Etats-Unis…..
Mais au final c’est le mouvement des masses, réaffirmé par une manifestation d’un million à Caracas en février 2003, qui a raison du lock-out.
Chavez en profite pour reprendre en main PDVSA, licenciant pour abandon de poste 18 000 salariés soit près de la moitié de l’effectif, du haut en bas de l’entreprise, mais laissant toutefois une partie de la direction qui avait ouvertement soutenu le lock-out en place.


Le référendum révocatoire, nouvel échec des opposants et de l’impérialisme


Après le putsch manqué et le lock-out, l’opposition est extrêmement affaiblie, alors que les masses qui sont descendues dans les rues par deux fois déjà sentent leur force. Ne pouvant défaire le gouvernement sur le terrain où elle a déjà subi deux défaites, la rue, l’opposition abat une nouvelle carte, le référendum révocatoire prévu par la constitution bolivarienne.
Dès novembre 2003, la « coordination démocratique » qui rassemble toutes les forces réactionnaires, largement financées par l’ambassade américaine, lance une pétition pour l’obtenir. Malgré leurs richesses, cette campagne tourne au canular : des morts signent, tel patron fait signer l’ensemble de ses employés, etc. 3 100 000 signatures sont recueillies mais le Conseil National Electoral n’en valide que 2,5 millions … à peine 100 000 de plus que le nécessaire (20% du corps électoral). Chavez accepte le cadre de ce référendum. Appuyé par une croissance importante de l’économie, les premiers résultats des misiones, la campagne en sa faveur est un succès pour lui. Près d’un million de personnes vont passer par les Unités Bolivariennes Electorales, durant une campagne où se déclinera le thème du non (le vote pour le maintien de Chavez correspond au vote « non ») : « Non aux privatisations », « Non au démantèlement des misiones », « Non au passé », « Non à leur retour ». De fait, le référendum devient effectivement un référendum pour ou contre la restauration d’un gouvernement à la botte de l’impérialisme US, dans lequel, sans entretenir aucune illusion sur Chavez, le « non » est la seule réponse possible.

La participation au référendum d’août 2004 atteint un record historique, 87%, la participation augmente de 55% par rapport à la présidentielle de 2000 et cela essentiellement dans les barrios, les quartiers populaires, des quartiers qui n’avaient quasiment même pas voté pour la dernière présidentielle. Chavez remporte une victoire nette avec une avance de 18% (59% contre 41%). La Coordination Démocratique réagit en appelant à des manifestations mais cette fois les Etats-Unis les lâchent : «Le référendum est derrière nous, il faut désormais trouver une façon de coopérer», précise Colin Powell. (Le Figaro 07/10/04). Le vice-président vénézuélien, Rangel, s'empresse de saluer ces «déclarations très positives». Elles correspondent, selon lui, «aux relations qu'entretenaient historiquement les Etats-Unis et le Venezuela». Et de conclure : «Nous avons quelques différences politiques, mais elles se résolvent en dialoguant.» (idem). Chavez avait d’ailleurs expliqué que sa victoire était « la seule garantie de la livraison (de pétrole) aux Etats-Unis et aux autres marchés ». Les affaires reprennent aussitôt : après les élections, Chavez signe un accord pour des investissements de 5 milliards de dollars avec Texaco-Mobil et Exxon pour explorer les champs de pétrole et de gaz du bassin de l’Orénoque.

Chavez en appelle à nouveau à la réconciliation nationale : « Nous acceptons les positions de ceux qui ont voté 'oui' et nous souhaitons aussi qu'ils acceptent cette victoire comme une victoire nationale. » Il demande à l’opposition « de nous rejoindre dans l’unité nationale, l’union de tous les Vénézuéliens, pour faire de la Cinquième République une réalité, pour faire de ce projet consacré dans la Constitution bolivarienne une réalité ».

Cependant le référendum a vu apparaître des tensions entre les partis qui se réclament de Chavez et les masses. Dans le cours de la campagne, Chavez doit dissoudre le comando Ayacucho, la coalition qui rassemble ses partisans pour la remplacer par le comando Maisanta où il intègre des personnalités non identifiées aux partis et des personnalités issues des barrios. Cela se prolonge lors des élections locales d’octobre 2004, où un conflit éclate pour l’organisation de primaires afin de départager les différents candidats portant l’étiquette bolivarienne.


Chavez tente de prendre le contrôle de la CTV…


L’un des objectifs de Chavez en arrivant au pouvoir était de mettre sous contrôle le mouvement ouvrier et les syndicats. Durant sa campagne de 1998, il parlait au sujet de la CTV de « mafia syndicale qu’il faut détruire ». Celle-ci a été fondée en 1936, dans le cours de grèves victorieuses contre les compagnies pétrolières dans les années 1936-1937. Elle fut aussi l’organisatrice de grèves dures contre le dictateur Jimenez dans les années 1950 et à l’origine de sa chute. Bien qu’au départ, elle fut une organisation ouvrière indépendante créée par les travailleurs, elle s’est très vite subordonnée à l’Action Démocratique, un parti bourgeois et elle a été un élément important du régime du Punto Fijo. Sa direction n’hésitera pas à participer au licenciement de syndicalistes jugés trop indépendants par le patronat, et aura même recours à des méthodes de gangsters pour asseoir son emprise. Elle profite largement du financement des agences américaines et notamment de l’argent de l’American Institute for Free Labor Development (AIFLD), une succursale de l’AFL-CIO, très liée au Département d’Etat.
Durant les années 80, la CTV s’intègre à des commissions tripartites de cogestion avec les chambres du commerce et les représentants du gouvernement. Et pourtant, c’est encore elle qui organise la grève générale qui va aboutir au Caracazo de 1989 !

Mais les vagues de privatisation, le développement du chômage et du secteur informel, l’ont profondément saignée, de 26,4% de syndiqués en 1988 on passe à 13,5% en 1995 (essentiellement concentrés dans la fonction publique et le secteur pétrolier). Et dans le cours des années 90, elle ne fait plus qu’accompagner les politiques d’ajustement.

Un des principaux points des débats de la Constituante de 1999 fut de discuter des moyens de mettre le syndicalisme sous contrôle, la Constituante discuta par exemple de la confiscation des biens de la CTV ou même de sa dissolution. Mais la solution retenue, c’est l’élection d’une nouvelle direction, certes une première dans l’histoire de la confédération, mais c’est aussi l’intervention directe de l’Etat bourgeois dans le mouvement syndical.

En octobre 2000, éclate une grève des ouvriers du pétrole, dont le syndicat, le Fedepetrol est dirigé par Carlos Ortega qui est aussi le dirigeant national de la CTV. Chavez annonce qu’il ne cédera jamais mais au bout de trois jours il doit lâcher l’augmentation de salaire réclamée. C’en est trop. Aussitôt le processus de « relégitimation » de la direction syndicale est enclenché.

Fin octobre, l’ensemble des électeurs, bourgeois et salariés, syndiqués et non-syndiqués, doit se prononcer sur la tenue d’une élection à la tête de la CTV ! La participation est seulement de 23% mais la majorité se prononce pour l’organisation de ces élections. C’est le Conseil National Electoral, donc l’Etat bourgeois, qui décide des modalités de cette élection !
La direction sortante se regroupe autour de Carlos Ortega, sous l’étiquette de « Front Unitaire des Travailleurs ». Les chavistes sont eux organisés dans le « Front Bolivarien des Travailleurs », mais divisés entre ceux qui souhaitent rompre avec la CTV et ceux qui veulent se battre pour en prendre la direction. Ces derniers l’emportent (leur candidat est Aristobulo Isturiz, futur ministre de l’Education de Chavez…). D’autres courants louvoient entre ces deux pôles : celui de Ramon Machuca, président du syndicat de l’usine SIDOR, celui d’Orlando Chirino, qui se réclame du trotskysme et dirige la Fédération des Travailleurs de Carabobo, qui se prononce contre les interférences de l’Etat dans les affaires syndicales mais finit par se rallier à la FBT.
Le processus de vote prend presque cinq mois, 980 000 syndiqués peuvent se prononcer, la participation est d’environ 50% et Ortega obtient une confortable majorité de 64% des voix, les soupçons de fraudes étant très forts… Ortega s’allie aussitôt avec la FEDEMARCAS, ce qui pousse un certain nombre de syndicalistes dans les bras des chavistes de la FBT : Machuca mais aussi Rafael Rosales, nouveau président de Fedepetrol, Rondon (fonctionnaires), Torrealba (métro).
 
La direction de la CTV va se discréditer totalement en participant au putsch d’avril 2002, puis au lock-out, mais aussi en s’opposant à l’augmentation du salaire minimum ou au moratoire sur les licenciements, en soutien à la FEDEMARCAS. Carlos Ortega s’enfuit au Costa Rica pour être repris à l’occasion d’un retour clandestin et condamné à 16 ans d’emprisonnement.

Suite à ces événements, un certain nombre de syndicalistes commencent à envisager le départ de la CTV, certains franchissent le pas, avec ou sans vote de leurs militants. D’autre part le gouvernement bloque les fonds de la CTV ceux qui en convainc plus d’un de quitter le navire… En mai 2003, faisant fi des règles en la matière, le gouvernement Chavez, désigne d’autorité Chirino, comme le représentant du Venezuela à l’OIT.
Avec une bien plus grande énergie qu’il n’en a mis à combattre le coup d’état de 2002, Chavez finit par arriver à ses fins, s’appuyant sur la politique réactionnaire des dirigeant de la CTV : briser la centrale syndicale.


… avant d’impulser la formation de l’UNT


L’Union Nationale des Travailleurs est formellement fondée le 5 avril 2003, par le Front Bolivarien des Travailleurs, mais aussi Autonomie Syndicale, le Bloc d’Union Démocratique et Lutte de Classe de Carabobo (Chirino), des syndicats indépendants et des fédérations entières venant de la CTV (fonctionnaires, métro, chimie).

Son congrès de fondation les 1 et 2 août 2003 réunit 1300 délégués représentant 120 syndicats et 25 unions régionales. Il adopte un programme qui réclame la nationalisation des banques, la réouverture des entreprises fermées sous contrôle ouvrier, le refus du paiement de la dette extérieure, la semaine de 36 heures, l’indexation automatique des salaires, l’application effective de la loi de 2002 sur la sécurité sociale. L’UNT met en avant le contrôle ouvrier des entreprises, réclamé par de nombreux travailleurs qui ont fait leur expérience durant le lock-out.
Dans sa déclaration de principes elle se définit comme un « mouvement uni, autonome, démocratique, internationaliste, lutte de classe, pour l’égalité entre homme et femme et indépendant »… et qui lutte « pour transformer la société capitaliste en une société autogérée » et « pour un modèle anti-capitaliste de développement qui émancipera tous les êtres humains de l’exploitation de classe, de l’oppression, de la discrimination et de l’exclusion ». Un certain nombre de critiques fusent, toutes dirigées contre des ministres du gouvernement, jamais contre Chavez. Mais la ministre du Travail s’exprime devant le congrès où elle explique que c’est un moment décisif de la lutte contre la CTV !
On voit bien se dessiner le double mouvement qui est à l’origine de la fondation de l’UNT. L’initiative en appartient à l’évidence au pouvoir « bolivarien » dont l’objectif unique est de se doter de sa propre confédération pour faire pièce à la CTV. Mais la rupture avec la CTV reflète aussi le mouvement de la classe ouvrière qui a fait échouer le putsch, puis le lock out, qui par ses manifestations, par les occupations d’usine, a pris confiance en elle, en sa force. 

Un fait est significatif : les chavistes veulent nommer la confédération  « Union Bolivarienne des Travailleurs ». Ca ne passe pas.
Une direction provisoire est mise en place qui comprend notamment Orlando Chirino, Marcela Maspero, une ancienne de la COPEI, un parti bourgeois, Stalin Perez Borges, qui se réclame du trotskysme, Ruben Linares, etc.

Cependant les statuts du syndicat proposés par cette direction sont rejetés par les congressistes, il est donc décidé de renvoyer la discussion devant la base et de convoquer un nouveau Congrès pour adopter un statut. Mais le provisoire dure et à l’heure d’aujourd’hui ce Congrès n’est toujours pas convoqué…. Les structures de l’UNT se retrouvent donc dans le flou le plus complet avec une direction provisoire … qui dure.

L’UNT se développe néanmoins, notamment par le biais de référendums organisés dans les entreprises pour que les travailleurs choisissent le syndicat qui doit les représenter, référendums remportés dans l’écrasante majorité des cas par le syndicat UNT. Mais il reste difficile de définir la représentativité réelle de l’UNT par rapport à la CTV, selon le Ministère du Travail, en 2003-2004, sur les accords d’entreprise signés, 76,5% l’ont été par l’UNT et 20,2% par la CTV, dans le secteur privé l’UNT signe 50,3% de ces accords et la CTV 45,2%, la CTV reste donc relativement implantée.

Et la lutte pour le contrôle de l’UNT n’est pas tranchée.
Une bonne partie des locaux du syndicat est fournie par le Ministère du Travail. La ministre du Travail, Maria Cristina Iglesias intervient directement dans les problèmes internes du syndicat. En septembre 2005, l’UNT et la FBT organisent par exemple un atelier de travail à Caracas parrainé par la ministre du travail, où ils affirment « reconnaître le rôle dirigeant de notre président Hugo Chavez dans la révolution démocratique et participative. »
Avec l’ajournement sans cesse prolongé du second congrès, la direction provisoire incarne en fait le syndicat. Mais  elle est profondément divisée entre bolivariens qui s’entredéchirent et électrons plus ou moins libres. En octobre 2005, le « trotskyste » Orlando Chirino s’est adressé au Conseil National Electoral, donc à l’Etat bourgeois ( !), pour qu’il arrête une date concernant le Congrès de l’UNT. Fin 2005, s’est également tenue à Caracas une réunion de secteurs oppositionnels et de délégués de base pour exiger la tenue rapide d’un Congrès, en opposition directe avec les secteurs les plus proches du gouvernement. Ce combat pour que affirmer l’indépendance de l’UNT vis-à-vis du gouvernement, de l’Etat, est d’une importance cruciale. S’il venait à échouer, le prolétariat vénézuélien serait soumis pieds et poings liés au bolivarisme. Bien qu’il n’y ait pas de nationalisation Trotsky écrivait au sujet du Mexique dans les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste :

« La nationalisation des chemins de fer et des champs de pétrole au Mexique n’a évidemment rien de commun avec le socialisme. C'est une mesure de capitalisme d'Etat dans un pays arriéré qui cherche à se défendre de cette façon d'une part contre l'impérialisme étranger, et d'autre part contre son propre prolétariat. La gestion des chemins de fer et des champs de pétrole sous le contrôle des organisations ouvrières n'a rien de commun avec le contrôle ouvrier sur l'industrie, car, en fin de compte, la gestion est entre les mains de la bureaucratie ouvrière, qui est indépendante des travailleurs, mais en retour complètement sous la dépendance de l'Etat bourgeois. Cette mesure de la part de la classe dirigeante vise à discipliner la classe ouvrière, et à la faire travailler davantage au service des «intérêts communs» de l'Etat qui semblent se confondre avec les intérêts de la classe ouvrière elle-même. En réalité, toute la tâche de la bourgeoisie consiste à liquider les syndicats en tant qu'organes de la lutte des classes et à les remplacer par la bureaucratie syndicale comme organe de direction de l'Etat bourgeois sur les ouvriers.
Dans ces conditions, la tâche de l'avant-garde révolutionnaire consiste à conduire la lutte pour la complète indépendance des syndicats et pour l'introduction du contrôle ouvrier véritable sur la bureaucratie syndicale qui a été transformée en administration des chemins de fer, des entreprises de pétrole, etc. »


Chavez combat pour le leadership régional


Fort du prestige que lui confère le fait, surtout en Amérique latine, d’avoir survécu politiquement aux diverses tentatives de l’impérialisme US de le renverser, Chavez occupe une place politique de plus en plus importante sur le continent américain. L’arme du pétrole y concourt, qu’il s’agisse de fournir à bas prix les mairies sandinistes au Nicaragua (mais pas le pouvoir central), Cuba, ou encore … le Bronx, mais aussi le gouvernement équatorien pour lui permettre de faire face à la grève des ouvriers du pétrole de ce pays (en septembre 2005). La rente pétrolière sert à appuyer des prétentions de plus en plus grandes, jusqu’à intervenir directement dans la campagne électorale présidentielle péruvienne pour soutenir un candidat contre un autre, ou téléphoner à Morales, en juin 2005, pour lui demander de contenir les manifestations.

Mais là encore il faut souligner que Chavez nourrit et prend appui sur la tendance forte des bourgeoisies nationales à chercher à gagner des marges de manœuvres face à l’impérialisme US.
Lors du dernier sommet des Amériques, tenu chez un autres des « amis » de Chavez, le péroniste argentin Kirchner, Chavez, Lula et celui-ci ont renvoyé aux calendes grecques le projet de zone de libre échange des Amériques défendu par Washington. Suite à cela, l’impérialisme US a passé des accords de libre échange avec le Pérou et la Colombie, et s’est apprêté à en faire de même avec l’Equateur. Aussitôt, Chavez a annoncé le départ du Venezuela de la CAN, Communauté Andines des Nations (« nations » particulièrement artificielles sur un continent comme l’Amérique latine) dont elle était membre avec les trois pays cités et la Bolivie. Parallèlement Chavez, cherchant à entraîner Morales, a entamé les pourparlers d’adhésion au Mercosur, marché commun qui regroupe pour l’instant les pays du sud du continent et le géant brésilien.
Mais les pays du Mercosur envisagent eux aussi, en y mettant des conditions, de participer au projet impérialiste de zone de libre échange des Amériques ..!

CAN, Mercosur, en tout cas, pour Chavez comme pour ses confrères, les relations internationales ne sont pas l’affaire des masses, et ne visent pas à aboutir au seul objectif – a fortiori pour qui se réclame du socialisme – qui permette d’unifier le sous-continent : la fédération socialiste d’Amérique latine.
Mais pour s’engager dans cette voie, il faut rompre avec la loi du profit, avec le pouvoir du capital, celui des multinationales comme celui des bourgeoisies locales, notamment des grands propriétaires terriens. Telle n’est pas, on l’a largement vu, la voie de Chavez.


Pour la défense inconditionnelle du Venezuela contre l’impérialisme,
dégager la classe ouvrière des filets du « bolivarisme »


En décembre 2005, les législatives ont vu l’élection d’une majorité écrasante pour Chavez. L’opposition, pour l’instant abattue comme on l’a vu, avait choisi de ne pas se présenter. L’abstention a été massive. En décembre 2006, se dérouleront des élections présidentielles, qui verront sans doute se reproduire le même scénario des législatives de 2005, d’autant que la bourgeoisie peut se faire au régime Chavez, qui joue un rôle sur tout le continent qui est celui défini par le vice-président Rangel dans une interview à pagina 12, une « digue » : 
«  Maintenant je puis vous dire qu'ils ne peuvent diriger ce pays [en parlant de la droite-Ndlr]. Chavez est une digue de contention, une digue contre les bouleversements sociaux et les marchés comprennent cela. Ils savent. Les marchés sont beaucoup plus intelligents que les analystes politiques car ils ne peuvent jamais se permettre de perdre. »

Tant que les cours du pétrole friseront les sommets, le succédané de « bolivarisme » aura des marges de manœuvre. Chavez ne serait pas le premier militaire sud américain à s’en prendre brutalement aux masses après avoir joué plusieurs années la carte du populisme – tout en préservant intacts les fondements de la société bourgeoise.

Les masses du Venezuela de leur côté ont remporté ces dernières années des succès non négligeables contre la réaction, malgré Chavez. Sous la « révolution bolivarienne » on a senti poindre la révolution prolétarienne.
Pour autant, leurs revendications les plus essentielles ne sont pas satisfaites et ne peuvent pas l’être par un régime qui émane de la caste des sous officiers et qui n’entend pas s’en prendre sérieusement à la propriété capitaliste.

Pour que leurs revendications et aspirations soient satisfaites, la dette extérieure doit être dénoncée, les latifundiaires expropriés, les grandes entreprises doivent être nationalisées sans indemnité ni rachat et placées sous le contrôle ouvrier réel et pas cosmétique. Au contraire de la forme d’autogestion (cf. la 1ère partie de l’article) actuellement existante, la nationalisation ne prend son sens que dans la mise sur pied d’un plan de production, rompant avec l’anarchie et la concurrence sauvage capitaliste, plan visant à produire en fonction des besoins. Autrement le « contrôle ouvrier » d’entreprises soumise à la loi du marché ne serait qu’un contrôle sur les condition de la concurrence, des licenciements, de tout le vieux fatras.

Pour aller dans cette voie, celle qui mène à la fédération socialiste de l’Amérique du sud, il faudra réunir les conditions de la venue au pouvoir d’un gouvernement qui soit celui des ouvriers, des paysans, des masses pauvres.

Impossible d’y aller si l’impérialisme reprend le contrôle direct du Venezuela, ce qui porterait un coup aux masses bien au-delà des frontières de ce pays. Cela les ramènerait en arrière et les assommerait. C’est pourquoi il faut se situer et agir autant que possible contre toutes les menaces et visées impérialistes qui pèsent sur le Venezuela.

Mais réunir les conditions de la venue au pouvoir d’un gouvernement au service des masses travailleuses, c’est lutter pour l’indépendance du mouvement ouvrier face au régime Chavez, contre toute confiance à celui-ci. C’est en particulier lutter contre la mise sous tutelle de l’UNT par le gouvernement, et pour la construction d’un authentique parti ouvrier révolutionnaire défendant le programme esquissé ci-dessus, et qui ne peut se construire qu’en rupture avec le « mouvement bolivarien ».


Le 2 juin 2006

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