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Article publié dans Combattre pour le Socialisme n°10 (92) de décembre 2002

Brésil:

Pour un gouvernement du seul PT,
sans représentant de la bourgeoisie, de l'impérialisme

 

Un événement considérable


Le 27 octobre, Luiz Inacio Lula da Silva dit Lula, l'un des fondateurs et la principale figure du Parti des Travailleurs du Brésil était élu à la présidence de la République avec un score écrasant: 62% des suffrages exprimés soit cinquante deux millions de voix. En même temps que lui était élu à la vice-présidence  José Alencar, dirigeant du Parti Libéral, parti bourgeois lié à une des grosses sectes chrétiennes du Brésil, et patron du plus gros groupe textile du pays – bien que ni Alencar, ni son parti, ne soient mentionnés sur le bulletin de vote.

  Vu la place décisive du Brésil en Amérique Latine et son importance dans l'économie mondiale (c'est le sixième pays du monde par sa population, le onzième par son P.I.B. supérieur à 600 milliards de dollars), le résultat de cette élection est de toute façon un événement considérable. Il l'est encore plus dans une situation où l'Amérique du Sud est dans un état de crise économique presque généralisé (voire d'effondrement dans des pays comme l'Argentine ou l'Uruguay, dans lesquels les PIB devrait reculer respectivement de 16% et 11% cette année), et dans une situation d'instabilité croissante (situation pré-révolutionnaire en Argentine, instabilité politique marquée au Vénézuéla, en Equateur, en Bolivie).

  C'est dans cette situation qu'il faut apprécier le résultat des élections des 6 et 27 octobre derniers, la poussée généralisée vers les candidats du Parti des Travailleurs, l'élection à la présidence de la République de son dirigeant historique.


 

6 octobre 2002: une "vague rouge" (Le Monde) vers les candidats du PT


Au lendemain du 1er tour des élections, Le Monde écrivait:

"Porté par une "vague rouge" d'une ampleur inespérée, le PT devient le premier parti brésilien à la Chambre des députés (91 sièges sur 513), et la troisième force au Sénat (14 sièges sur 81)."

Encore faut-il préciser que dans nombre de circonscriptions, le PT avait soutenu des candidats d'autres formations, à commencer par celle du Parti Libéral (PL), parti bourgeois. Mais si l'on reprend les résultats des élections depuis 1994, on peut mesurer à quel point la poussée vers les candidats du PT est gigantesque.

C'est bien sûr le cas pour l'élection présidentielle. Le résultat de Lula a varié comme suit – pour le premier tour:


 

Election présidentielles en voix et %- niveau national

 

1994

1998

2002

Abst (/inscrits)

17,76%

21,49%

17,76%

Nuls (/votants)

18,70%

19,70%

10,39%

PT (voix et % exprimés)

17 122 127

27,04%

21 475 218

31,71%

39 443 765

46,44%

 


Pour 2002, Serra, candidat "officiel" de la bourgeoisie brésilienne et soutenu par Cardoso et son parti "social-démocrate" a obtenu 23,20% des voix, Garotinho, pasteur évangéliste du "Parti Socialiste", 17,87%,  Ciro, du Parti Populaire Socialiste issu de l'ancien Parti Communiste Brésilien (stalinien), 11,97%, et Zé Maria, du parti Socialiste des travailleurs Unifié, issu d'une scission du PT et se réclamant du trotskysme, 0,47%.

Mais, pour en rester à la progression du PT, si l'on prend les Etats décisifs, les plus peuplés et industrialisés (le Brésil est un Etat fédéral à "l'image" des Etats-Unis), on constate que le score des candidats présentés par le PT est en progression à tous les échelons, et pas seulement pour l'élection présidentielle (source: tribunal supérieur électoral du Brésil, qui ne fournit pas de pourcentages pour l'élection des gouverneurs en 1994).


 

Etat de Sao Paulo

 

1994

1998

2002

présidentielle

4 205 530

 27,01%

4 688 677

28,84%

9 102 435

46,11%

Gouverneur

2 085 193

14,86%

3 738 750

 22,51%

6 358 382

32,45%

Sénateur

4 218 379

 -

6 718 463

43,13%

10 491 345

29,86%

 

Etat de Rio de Janeiro

 

1994

1998

2002

présidentielle

1 689 772

25,69%

2 851 274

42,32%

3 284 258

40,17%

Gouverneur

662 144

10,73%

néant

 -

1 954 379

24,45%

Sénateur

2 249 861

-

néant

-

1 766 988

11,75%

Minas Gerais (Capitale: Belo Horizonte)

 

1994

1998

2002

présidentielle

1 532 740

 21,90%

2 129 100

28,06%

4 990 106

53,01%

Gouverneur

585 173

9,77%

1 122 007

 16,13%

2 813 857

30,73%

Sénateur

1 369 632

-

néant

 

3 301 171

20,57%

 

Bahia (Capitale: Salvador)

 

1994

1998

2002

présidentielle

1 310 823

 35,20%

1 372 797

35,34%

2 899 280

55,28%

Gouverneur

-

-

524 796

 15,17%

2 057 022

38,47%

Sénateur

692 321

-

néant

 

1 803 228

18,42%

 

Un seul Etat fait réellement exception, celui du Rio Grande Sul dont la capitale est Porto Alegre, dirigé jusqu'ici par le courant "Démocratie Socialiste" du Parti des Travailleurs, lié au Secrétariat Unifié (LCR):

 

 

1994

1998

2002

présidentielle

1 610 379

33,48%

2 460 551

49,05%

2 667 309

45,18%

Gouverneur

1 560 992

34,37%

2 295 503

 45,92%

2 196 006

37,25%

Sénateur

919 568

?

néant

-

2 018 322

18,31%

 


Dans la mesure où les candidats de ce courant ne sont pas pénalisés en tant que tels dans les autres endroits du Brésil, une seule conclusion s'impose: c'est le bilan de la politique menée dans cet Etat et sa capitale par les militants liés au SU, notamment l'escroquerie du "budget participatif", présenté aujourd'hui en France comme la panacée universelle. Rappelons à cet égard qu'il s'agit de faire décider d'une partie des dépenses municipales par des Assemblées de quartier – regroupant une très faible partie de l'ensemble de la population, étant acquis au point de départ que la Mairie paie la dette, offre un certain nombre de subventions aux capitalistes, etc. (comme d'ailleurs ce fut fait au niveau de l'Etat par ces "révolutionnaires" amis d'Alain Krivine et Olivier Besancenot).

  Cela dit:  la poussée vers les candidats du PT est générale, au delà de telle ou telle circonstance locale.


27 octobre 2002, Lula élu, Alencar hué: les masses ont voté
pour en finir avec les partis bourgeois et leur politique


Une anecdote résumerait à elle seule quel est le contenu du vote qui s'est porté sur les candidats présentés par le PT. Au soir de l'élection présidentielle, lors de la fête suivant la proclamation de la victoire de Lula:

" Lorsque Lula a soulevé le bras de son vice président de droite, ce geste n'a non seulement pas été applaudi, mais a provoqué des sifflets et un silence pesant. Alors Lula a placé Alencar au fond de la tribune". (selon le journal argentin Clarin du 28/10).

  Ce rejet du grand patron que Lula s'est choisi comme colistier exprime que les masses brésiliennes ont cherché à voter pour en finir avec les politiques et les gouvernements au service du Capital et de l'impérialisme. Le fait est qu'il leur était impossible d'exprimer un vote de classe pour les élections présidentielles du fait du ticket Lula-Alencar. Que Lula et la direction du PT l'aient imposé n'est pas indifférent. Cela ne saurait gommer la volonté des masses laborieuses du Brésil. Il suffit pour s'en convaincre de voir en quels termes la presse en rendait compte:

  "L'arrivée au pouvoir de la gauche après trois tentatives infructueuses a nourri les impatiences d'un pays où les inégalités ne cessent de croître. (…)Pour le politologue Leoncio Martins Rodrigues, "la pression pour que les promesses électorales soient tenues est un problème que le nouveau gouvernement aura à affronter immédiatement".

(…)« le candidat Lula a promis une hausse de 100 % (du salaire minimum) »(…)

Enfin et surtout, il a fait naître l'espoir dans de nombreuses catégories sociales : les fonctionnaires qui n'ont pas été augmentés depuis huit ans ; les sans-terre, qui espèrent une réforme agraire ; les plus pauvres, qui attendent du nouveau gouvernement une amélioration de leurs conditions de vie. Le programme phare du président Da Silva, "Faim zéro", prévoit une distribution de coupons alimentaires à 44 millions de pauvres et indigents dont le coût est estimé à 5 milliards de reals en 2003. Bref, Lula "va se trouver coincé entre deux feux : celui du mouvement social et celui des marchés financiers" » (Le Monde du 29/10/02)

  Une dépêche AFP du 28/10 permet de compléter encore le tableau (nous soulignons):

" Les défis qui attendent Lula sont innombrables et à la mesure des espoirs qu'il a fait naître. Mais ces espoirs pourraient se révéler être des bombes à retardement"

". Outre le salaire minimum, le réajustement des retraites et pensions sera aussi à la fois un point d'honneur et un point noir pour un gouvernement qui se veut populaire. Même problème pour les fonctionnaires, qui ont voté en masse pour le PT, et qui sont à bout, après une stagnation de leurs traitements depuis 8 ans, alors que les tarifs, médicaments et produits de première nécessité n'ont cessé d'augmenter. »

Des années au bord de la banqueroute


Si les masses se sont tournées vers les candidats présentés par le PT, c'est dans l'espoir qu'il soit mis fin à une situation qui n'a cessé d'empirer depuis des années.

  Dans son édition d'octobre, Le Monde diplomatique donne des éléments permettant de mesurer le désastre qu'a été pour la population laborieuse brésilienne la politique menée dans les années 90, et notamment depuis la fin de l'hyper-inflation par la mise en place du "plan réal" de 1994 qui a stabilisé la monnaie au détriment des masses pour attirer les investissements.

" Conséquence de l'ouverture économique et d'une politique visant à attirer les capitaux étrangers, le flux de ces derniers en direction du Brésil est passé de 43,3 milliards d'euros (6% du PIB) en 1995 à 201,5 milliards d'euros en 1999 (21,6% du PIB). C'est en offrant les taux d'intérêts réels les plus élevés du monde durant la plus grande partie de son gouvernement que, entre prêts privés et prêts provenant d'organisme internationaux, M. Cardoso a obtenu ces ressources. (…)

L'ouverture de l'économie a provoqué à la fois une rapide augmentation des importations et la perte de ce qui constituait l'une des conquêtes de l'économie brésilienne, sa compétitivité à l'étranger. Il en a résulté un déficit de la balance commerciale comme jamais le pays n'en avait connu.

  (…) Dans le même temps [de 1992 à 1997] la balance des paiements a évolué d'un excédent de 15,4 milliards d'euros à un déficit de 8,4 milliards (…). Le niveau d'endettement du secteur public a progressé vertigineusement, de 30% du PIB en 1994 à 61,9% en juillet 2002. "

  Le Monde diplomatique précise encore:

"Les dépenses d'éducation représentent 20,3% des dépenses courantes en 1995; elles ne comptent plus que pour 8,9% en 2000; le paiement des intérêts de la dette, qui absorbait 24,9% des recettes, en détourne aujourd'hui 55,1%. L'ensemble des dépenses d'éducation et de Santé est désormais inférieur au montant de ces intérêts.(…)

"Si, en 1991, 53,7% des travailleurs avaient pris pied dans l'économie formelle et accédé aux droits que confère un contrat de travail, ils ne sont plus que 45% en 2000."

  Les problèmes de logement (favelas) et ceux des paysans sans terre se sont accrus. La question de la réforme agraire reste explosive, les occupations de terre à l'initiative du "mouvement des sans-terre" sont monnaie courante.

Ajoutons que la dévaluation du réal en 1998, suite au refus provisoire du gouverneur du Minas Gerais et ancien président, Itamar Franco, de payer la dette de son Etat, montrait déjà qu'il était intenable à long terme de poursuivre cette politique sans aboutir rapidement à une catastrophe du type de celle de l'Argentine. Et depuis cette dévaluation, le FMI a dû intervenir cet été en accordant un prêt de 30 milliards de dollars au Brésil, prêt considéré comme le plus important de son histoire, après plusieurs milliards déjà prêtés en 1998, pour éviter une nouvelle fois la faillite de l'Etat fédéral.

  Sur les dernières années, selon le FMI, la croissance du PIB au Brésil a été de 0,2% en 1998, 0,8% en 1999, 4,4% en 2000, 1,5% en 2001 et devrait être autour de 1,5% pour 2002.

  Enfin, la crainte qu'ont les capitalistes de ce que pourrait signifier la victoire du PT a provoqué, depuis le début de l'année, une chute du cours du Real, la monnaie brésilienne, de plus d'un tiers face au dollar.

  C'est cette toile de fond qui a amené à la situation issue des élections. Mais si les masses ont cherché à utiliser le vote PT, ce mouvement a été limité par la politique même de ce parti.


Les limites de la victoire du PT: la politique du PT, de Lula. Alliance avec le parti libéral …


De nombreux commentateurs annonçaient la victoire de Lula pour le premier tour. Ce ne fut pas le cas. Pourquoi? Fondamentalement parce que Lula et la direction du PT n'ont eu de cesse que de mettre eux-mêmes des brisants à la vague de fond qui les portait. A cet égard, rien n'est plus mensonger que de prétendre, comme le fait par exemple Le Monde cité plus haut, que Lula serait "pris entre deux feux : celui du mouvement social et des marchés financiers". Toute la politique du PT, de manière de plus en plus nette alors que l'échéance électorale se profilait, a consisté à afficher résolument son choix: du côté des "marchés", en réalité de la bourgeoisie brésilienne et de l'impérialisme.

  De ce point de vue, le premier acte sans ambiguïté de la direction du PT a été le choix de l'alliance avec le parti Libéral, parti bourgeois, choix qui a été imposé contre la volonté de secteurs entiers du PT. Pour exemple, dans le petit Etat d'Alagoas (nord-est du Brésil), le PT a refusé à l'unanimité cette alliance, qui le conduisait à soutenir un parti contrôlé localement par le plus gros entrepreneur de l'Etat et corrompu jusqu'à la moelle. La direction nationale le leur a imposé, leur a interdit d'avoir leur candidat. Dans de multiples Etats, le Parti Libéral a bénéficié d'un soutien inconditionnel du PT, imposé par la direction Lula, sans contrepartie (le PL soutenant des candidats opposés au PT dans des Etats comme Sao Paulo ou Rio de Janeiro).

  Ce n'était certes pas la première fois que le PT passait des alliances avec tel ou tel parti bourgeois ou des secteurs de ceux-ci. Mais l'alliance en bonne et due forme avec un parti tel que celui d'Alencar était une insulte faite aux travailleurs brésiliens et à de nombreux militants du PT.

  Elle matérialisait le cadre politique dans lequel se situait entièrement le programme du Parti des Travailleurs, même pimenté par des mesures sur les salaires mentionnées au début de cet article: un programme de défense du capitalisme en crise. Le Monde en donnait des extraits dans son édition du 30 octobre: " alléger les charges fiscales élevées touchant la production", " le développement d'un marché interne, en investissant résolument dans le secteur productif et en renforçant le secteur exportateur". Sur la dette, Lula, dès le début de la campagne, avait rejeté: "toute renégociation unilatérale, restructuration forcée ou encore tout refus de payer", tout en précisant que: "certaines entreprises pouvaient être privatisées ou administrées en partenariat avec l'initiative privée".

  Pour mesurer le chemin parcouru, il suffit de citer une interview du même Lula en 1999, au journal l'Humanité:

" Nous avons une position claire. En premier lieu, il faut rompre définitivement avec l'idée que le FMI puisse mettre son grain de sel dans l'économie brésilienne. Il a cassé la Russie, l'Indonésie, la Thaïlande, la Corée du Sud, le Mexique, et il est en train de casser le Brésil et l'Argentine. Les problèmes du Brésil sont de la responsabilité du gouvernement brésilien et le FMI n'a aucune autorité morale pour orienter économiquement un pays. En second lieu, il faut créer un climat politique pour renégocier la dette extérieure, car les pays pauvres ne pourront pas continuer à la payer. Il faut obtenir, pour le moins, qu'une partie de cette dette se transforme en investissements dans les secteurs productifs des pays débiteurs. C'est donc une lutte très dure que nous allons devoir mener."

  La possibilité de son élection a fait endosser à Lula les habits de "l'homme d'Etat" (symbolisés par sa conversion au costume trois pièces): la "lutte très dure" de 1999 a été jetée aux orties.


…"Pacte" avec le FMI, "pacte de transition" avec Cardoso


Il faut dire qu'avec la banqueroute des systèmes bancaires et des Etats argentins et uruguayens, le Brésil était et reste directement menacé. En plein mois d'août, la négociation par le gouvernement de Cardoso d'un prêt exceptionnel de 30 milliards de dollars avec le FMI a été assortie d'une condition dictée par l'impérialisme: que les quatre principaux candidats à l'élection présidentielle s'engagent par avance à honorer les remboursements de ce prêt. Lula a passé ce "pacte", puisque tel était le nom donné à cet accord préventif dont le contenu était que Lula s'engage plus formellement que jamais à faire face aux revendications des masses brésiliennes… en les rejetant au nom de la dette extérieure.

  Au Brésil, comme dans nombre de pays, la question du remboursement de la dette est une question politique centrale – rappelons encore une fois que pour le Brésil, son paiement dévore la moitié des dépenses budgétaires, et que même avec une croissance annuelle de 3,5%, elle ne diminuerait pas. Le pacte du 19 août avec le FMI illustre à quel point la dette est l'instrument par excellence de la soumission des pays dominés à l'impérialisme, à quel point le premier mot d'une politique favorable aux masses est sa répudiation pure et simple.

  Ce pacte illustre l'ampleur de la soumission de la direction du PT à l'impérialisme. Il a été prolongé par un "pacte de transition" dont l'initiative revient au gouvernement présidé par Cardoso: la mise en place d'une équipe "mixte" de cent personnes (moitié Cardoso, moitié désignée par Lula), chargée d'assurer la stabilité entre le résultat du second tour et la prise de fonction effective de Lula au premier janvier 2003. La participation de la direction du PT à ce "pacte" et à cette équipe n'a d'autres signification que d'affirmer sa volonté de préserver l'Etat, sa "continuité", et la constitution présidentielle et bonapartiste mise en place en 1989.


C'est dans la nature du PT, parti ouvrier-bourgeois dès l'origine


Même si la politique du PT n'a cessé d'évoluer vers le pire, vers la prise en charge ouverte de la défense de l'ordre bourgeois, s'alignant sur la dégénérescence du mouvement ouvrier à l'échelle internationale symbolisée par les sommets des "modernisateurs" (auxquels Clinton et Blair préféraient jusqu'ici inviter le président sortant, Cardoso), ce n'est pas d'aujourd'hui que le PT prend en charge les intérêts de la bourgeoisie et de l'impérialisme.

  Pour le comprendre, il est nécessaire de revenir aux origines du PT.

Entre 1975 et 1978 se sont multipliés les mouvements, les grèves, les manifestations du prolétariat contre la dictature militaire. Des noyaux se sont constitués à l'intérieur des syndicats subordonnés au pouvoir et contrôlés par les "pelagos" (littéralement "tapis de selle", c'est ainsi que les travailleurs désignaient les bureaucrates des syndicats officiels). Nombre de "pelagos" ont suivi le mouvement pour ne pas être submergés. Ils se sont placés à la tête de toute une série de grèves surtout à partir de 1978. C'est de ces grèves, de la volonté de lutter contre la dictature et ses complices (notamment le PC brésilien!) qu'est issu le mouvement qui a donné le jour au parti des Travailleurs, dont Lula était – en tant que dirigeant notoire des grèves de métallos- déjà le porte-parole.

Celui-ci se constitua donc fin 1979 début 1980, comme expression politique des aspirations des exploités, et se présenta rapidement aux élections (en 1982) avec le slogan: "tous les autres partis sont bourgeois, votez travailleur". Début 1980, contre ceux qui, en son sein, veulent qu'il se présente comme "parti de toute la société", le PT décide de se définir ainsi: "parti de masse large et ouvert, basé sur les travailleurs des villes et des campagnes"

Dans la foulée, contre les syndicats "officiels", le PT impulsa la constitution de la CUT, centrale syndicale regroupant rapidement des millions de travailleurs au Brésil, tandis que le PT en organisait directement des centaines de milliers.

  CPS n°55 précisait encore ceci:

"Pourtant, si le PT est devenu effectivement le parti du prolétariat brésilien, ce n'était pas le Parti ouvrier révolutionnaire, armé du programme de la révolution prolétarienne au Brésil, en Amérique Latine et dans le monde, dont le prolétariat du Brésil a besoin pour prendre le pouvoir et résoudre aussi bien les questions agraire, nationale et sociale qui se posent dans ce pays. Le PT a été, dès son origine, contrôlé par d'anciens "pélagos". Les chrétiens "sociaux", "progressistes", "réformateurs" se sont insérés dans le processus de sa formation. Son programme était dès 1980, au mieux, réformiste."


"De par sa nature même, le Labor Party ne peut conserver sa signification progressiste
que le temps d'une période de transition relativement brève."
(Léon Trotsky)


Dans les nombreuses discussions qu'il a eu dans les années 1937-1938 avec les militants de la section américaine de la Quatrième Internationale, Léon Trotsky a largement abordé la question du mot d'ordre de "Labor Party" pour les USA, du combat pour le parti ouvrier indépendant. Dans ces discussions, il insistait notamment sur le fait que: "La question du Labor Party n'a jamais été une question de "principe" pour les marxistes révolutionnaires. Nous sommes toujours partis de la situation politique concrète et des tendances de son développement", qu'un tel parti se justifiait en ce qu'il constituait: "le premier pas dans l'éducation politique".

"De par sa nature même, le Labor Party ne peut conserver sa signification progressiste que le temps d'une période de transition relativement brève", précisait encore Trotsky. Dans ce cadre, la politique des trotskystes devait avoir comme perspective la transformation de ce parti :

"Je ne dirai pas que le L.P. est un parti révolutionnaire, mais que nous ferons tout pour que ce soit possible (…) naturellement, il peut se cristalliser en un parti réformiste et un qui nous exclurait ! Mais nous serons une partie du mouvement."

  A cet égard, au Brésil, il était parfaitement correct de combattre pour la constitution du parti des Travailleurs et d'y participer à selon les considérants mêmes qu'exposait Léon Trotsky pour les USA. Mais – et la dégénérescence lambertiste de IVème Internationale – CIR qui a joué un rôle très important dans la constitution du PT n'y est pas pour rien – le PT a sans cesse affirmé d'avantage son caractère ouvrier-bourgeois sans qu'il ne s'en dégage ou s'y cristallise une fraction significative combattant sur et pour le programme de la Révolution prolétarienne.

  Ainsi, après avoir rejeté puis repris – timidement pour le moins – le mot d'ordre d'Assemblée nationale constituante, mot d'ordre permettant alors de s'opposer aux manœuvres de la bourgeoisie et de ses partis pour assurer une "transition pacifique" pour la sortie de la dictature militaire, le PT finissait par participer à la rédaction de la constitution présidentielle bonapartiste entérinée en 1989 et par l'approuver globalement. Arrivé à la direction de mairies comme Sao Paulo ou Porto Alegre dès les municipales de 1988, le PT allait ultérieurement y faire face et combattre dans le début des années 90 d'importants mouvements grévistes.

En 1989, Lula obtenait  47% des voix lors du second tour des présidentielles. Battu par la fraude électorale organisée au profit de Collor, le PT refusait de mobiliser pour l'annulation des élections. Après que le mouvement des masses, en 1992, ait finit par provoquer la chute de Collor, le PT laissait Itamar Franco assurer l'intérim et envisageait même un temps de participer au gouvernement! En 1994, ce sera le soutien au plan "real" au nom de la lutte contre l'inflation, qui entraînera la défaite du PT dans les élections. Fait significatif: 

"En son congrès, tenu du 27 novembre au 1er décembre 1991 à Sao Paulo, le PT a confirmé son caractère de parti ouvrier-bourgeois en déclarant officiellement qu'il considérait la démocratie bourgeoise comme une valeur universelle. En même temps ses liens avec la IIème Internationale sont devenus de plus en plus étroits."

  Depuis lors, on a pu le constater lors de la dernière campagne présidentielle, les prises de position affichées du PT n'ont cessé d'empirer, corrélativement avec le mouvement de l'ensemble des directions traditionnelles du mouvement ouvrier à l'échelle internationale, et de plus en plus avec l'approche de l'arrivée au pouvoir.

  Il n'empêche: le Parti des Travailleurs demeure le seul parti ouvrier de masse, non seulement au Brésil, mais dans toute l'Amérique latine. Ce sont les masses qui ont porté Lula à la présidence, qui ont fait mouvement vers le PT. Qu'elles aient dû supporter notamment la présence d'Alencar à la vice-présidence et les positions réactionnaires défendues par Lula durant la campagne n'est pas rien. Cependant, cela ne saurait effacer que l'élection de Lula ouvre une nouvelle étape de la lutte des classes au Brésil dont l'enjeu n'est autre que de savoir si Lula et le PT pourront faire refluer les masses, ou si, à l'inverse, les masses pourront submerger le PT et lui dicter leurs volontés. La direction du PT en a parfaitement conscience.


L'objectif de Lula et des siens: lier le PT et la CUT dans un "pacte national"


En annonçant dès le soir de son élection:

"Comme nous l'avons dit tout au long de notre campagne, notre gouvernement respectera les contrats et engagements pris par le gouvernement, contrôlera l'inflation et maintiendra une position de responsabilité budgétaire",

Lula déclarait aux masses brésiliennes "rien ne doit changer", quand celles-ci ont précisément exprimé l'espoir que tout change pour elles.

Face à cette contradiction potentiellement explosive, la direction du PT avait annoncé dès la campagne électorale son intention de réaliser un "pacte social" liant organisations ouvrières (CUT, PT) et paysannes (MST) avec le patronat brésilien sous l'égide de son gouvernement .

  Sans même attendre son intronisation officielle, le 7 novembre, Lula a convoqué les représentants de "toute la société" à Sao Paulo pour constituer un "Conseil de développement économique et social" (qui par bien des aspects, y compris ce nom, évoque le Conseil Economique et Social institué par de Gaulle en France, qui, cependant, n'a jamais réellement joué le rôle que de Gaulle voulait lui assigner). Ce conseil, pour le moment non-gouvernemental, pourrait, a déclaré Lula:

"se transformer en une institution capable de produire de nombreuses solutions comme cela n'a jamais été possible à ce jour au Brésil".

  En clair: ce conseil est un cadre d'association capital-travail. Il vise à lier aussi étroitement que possible la CUT au gouvernement que Lula devra constituer. Un des dirigeants de la CUT, devenu récemment dirigeant de la CISL (Confédération Internationale des Syndicats Libres), résumait toujours ce 7 novembre: "Il s’agit rien de moins que de parvenir, au niveau de l’État, au modèle de démocratie participative existant au niveau local à Porto Alegre ou à Sao Paulo ".

  Lula a aussi montré qu'il avait conscience que le sort du Brésil conditionne celui de tout le continent latino américain en déclarant, à cette même occasion:

"Pour des nations comme l'Argentine, l'Uruguay, le Paraguay et d'autres pays sud américains dans un état plus fragile et instable que le Brésil,  ce que nous faisons pourra servir de leçon amenant les gens à croire qu'il est possible de vivre tous ensemble dans la démocratie ainsi que la diversité".


Le PT contre … un gouvernement du seul PT


Le gouvernement que le PT se prépare à constituer se situe dans le prolongement de toute sa politique antérieure, et doit concentrer cette politique de la même manière que le fait la présence d'Alencar à la vice présidence de Lula.

  Dès le soir du second tour, José Dirceu, président du PT faisait la déclaration suivante:

" Le PT (Parti des Travailleurs) est prêt pour un gouvernement plus ample que la gauche. Il ne sera pas seulement un gouvernement du PT. Nous allons faire des alliances même avec des personnalités de la société civile"

  Depuis, les tractations vont bon train, la direction du PT s'appuyant sur l'absence de majorité au parlement – mais tant le système électoral brésilien qui l'interdit presque, que la politique d'alliances du PT en est responsable. Aux dernières nouvelles, un accord se dessinerait avec notamment le PMDB, Parti "Démocratique"qui fut le parti bourgeois d'opposition légale à la dictature militaire et qui a été de toutes les  combinaisons gouvernementales depuis lors (José Serra, rival de Lula au second tour, en est issu!). Le parti du président sortant, Cardoso, le Parti Social-Démocrate, a promis quant à lui d'être une "opposition constructive".


Pour un gouvernement du seul PT, sans représentant de la bourgeoisie – dehors Alencar!
Pour la rupture de la CUT avec le "pacte social" et le gouvernement


Seul peut satisfaire les aspirations immenses du prolétariat, de la jeunesse, des paysans brésiliens un gouvernement rompant avec les exigences de l'impérialisme, avec la bourgeoisie, engageant les expropriations nécessaires des capitalistes et propriétaires terriens pour commencer à organiser la production, industrielle et agricole, en fonction des besoins des masses. Un gouvernement qui assure à la population des salaires décents, de quoi manger, une existence digne. Un gouvernement qui refuse et rejette la dette publique, donne les moyens aux travailleurs et paysans de résister aux milices patronales et latifundiaires (qu'on se souvienne des "escadrons de la mort") en procédant, avec la CUT, à leur armement, etc. bref, un gouvernement s'engageant dans la voie du socialisme, du combat pour les Etats Unis Socialistes d'Amérique latine, un gouvernement agissant au compte des ouvriers et paysans du brésil.

  Ouvrir cette issue, en particulier au Brésil, ne peut se faire qu'en relation avec les organisations dont le prolétariat brésilien s'est doté dans son mouvement, le PT et plus encore la CUT, et pas autrement. Aujourd'hui, face aux engagements de Lula de se plier aux exigences de l'impérialisme, devant les annonces de formation d'un gouvernement de coalition préfiguré par la "commission de transition", devant la présence d'Alencar à la vice présidence: tout le combat politique au Brésil devrait être ordonné sur l'axe d'imposer au PT, à la CUT, qu'ils rompent avec la bourgeoisie, avec l'impérialisme, ce qui se concentre dans le combat pour un gouvernement du seul PT.

  Que le PT soit bien loin de disposer d'une majorité au parlement est loin d'être décisif: un tel gouvernement s'appuierait sur les masses laborieuses mobilisées, sur leur confédération syndicale, la CUT, mettrant dans le même mouvement à bas la République de type bonapartiste.

  Pratiquement les travailleurs et paysans du Brésil le savent: on ne pourra satisfaire leurs revendications, lutter contre le chômage et la misère, augmenter les salaires, réaliser la réforme agraire, en gouvernant avec des patrons, en se soumettant aux exigences du FMI. Les travailleurs et les paysans du Brésil le savent: leurs organisations, à commencer par la CUT, mais aussi le MST, n'ont pas pour fonction d'offrir leur caution par avance à un tel gouvernement de soumission à l'impérialisme, n'ont pas pour fonction de "pactiser" avec le grand Capital, mais de défendre leurs revendications, et en, conséquence de quitter le "conseil de développement économique et social", de refuser tout "pacte social", et de combattre – d'autant plus vu les liens de la CUT et du PT – pour un gouvernement du seul PT, sans représentant des partis bourgeois, de l'impérialisme.

Car la rupture avec tous les agents de l'impérialisme, des affameurs, des exploiteurs et des oppresseurs de l'immense majorité de la population brésilienne est la première condition pour mener une politique favorable à celle-ci.


Le prolétariat brésilien a besoin de son  parti Ouvrier Révolutionnaire


En 1994, Combattre pour le Socialisme rappelait:

"Toute organisation révolutionnaire combattant pour la construction du Parti ouvrier révolutionnaire se devait de participer à la constitution du PT. Mais c'était là une nécessité tactique, sur la ligne stratégique de la construction du P.O.R. Or le PT n'était pas et ne pouvait, dans sa totalité et comme tel, devenir le P.O.R. "

Ce n'est pas d'aujourd'hui que, pour freiner tout mouvement en ce sens, la direction du PT a sans cesse retreint les possibilités d'expression des différentes tendances qui le composent, publiquement comme en interne. CPS rappelait ainsi que lors du congrès de 1991:

"a été interdit aux "tendances et courants" de publier "des brochures, revues, ou tout autre moyen de communication destiné à organiser une intervention politique dans le mouvement syndical et/ou à diffuser des positions de tendances en dehors du PT".

En réalité, cet article n'a jamais été stricto sensu appliqué jusqu'au bout, ce qui aurait signifié engager l'expulsion des courants des courants "Démocratie Socialiste" et "O Trabalho" impulsés respectivement par le Secrétariat Unifié (Krivine/Besancenot) et la prétendue 4°Internationale de Lambert/Gluckstein, dont les positions sont connues et qui se sont exprimés récemment soit contre l'alliance avec Alencar (le premier), soit pour un gouvernement du seul PT (le second). Mais fondamentalement, ces courants trouvent leur place au sein du PT parce qu'ils ne se situent pas sur une autre ligne que celle de la construction du PT en tant que tel, et pas de l'indispensable Parti Ouvrier Révolutionnaire. Ainsi, l'un comme l'autre ont-ils appelé dans les élections à voter pour le ticket Lula-Alencar, violant les principes élémentaires de l'indépendance de classe. Mais il est vrai que le faire revenait à s'engager dans la rupture avec le PT – ce qui soit dit en passant n'interdit pas d'y mener un travail de fraction.

Mais avec l'accession du PT au pouvoir, en alliance avec la bourgeoisie, les possibilités de crise ouverte au sein du PT vont décupler tout comme les efforts de Lula et des siens de mise en coupe réglée du parti. Il va falloir faire avaler le paiement de la dette et toute la politique de Lula à des militants qui il y a quelques mois encore étaient unanimement contre le paiement de la dette et pour la rupture avec les politiques menées par les gouvernements bourgeois. Et que dire des militants de la CUT!

Il est quasiment certain que, au moins à moyen terme, des secteurs entiers du PT et de la CUT vont chercher à s'opposer à la politique que Lula s'apprête aujourd'hui à mettre en œuvre. Les délais de ce mouvement seront largement conditionnés par les développements de la situation économique internationale, qui pourront soit donner des marges de manœuvre au gouvernement présidé par Lula, soit au contraire précipiter l'affrontement entre les masses et ce futur gouvernement, ainsi que le patronat.

Reste à savoir si :

"Une force politique organisée, développant une politique cohérente, intervenant sur le programme de la révolution prolétarienne, en vue de construire le Parti ouvrier révolutionnaire s'organisera-t-elle et tirera-t-elle parti de ces contradictions pour construire le P.O.R.? Au moment actuel il n'est pas possible de répondre de Paris à cette question essentielle. (CPS n°55)


 

Le 28/11/2002

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