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(article paru dans CPS n°42) du 10 février 2011

Quatre semaines après la chute de Ben Ali: 

Enseignements et perspectives de la révolution tunisienne


Un coup de tonnerre a déchiré le ciel de plomb du capitalisme en crise : pour la première fois depuis longtemps, les travailleurs, la jeunesse, les exploités de tout un pays posent la question du pouvoir. Ce n’est pas seulement que, le 14 janvier 2011, les masses tunisiennes ont chassé un tyran soutenu par Paris ; c’est qu’elles veulent aujourd’hui mettre à bas tout l’édifice de la dictature, contrôler leur propre pays.
Trop habitués à régner sans partage sur un monde qu’ils exploitent et qu’ils pillent sans vergogne, les dirigeants des puissances impérialistes, les grands bourgeois des grandes métropoles, leurs valets, leurs agents, leurs flics et leurs barbouzes ne l’avaient pas vu venir. S’ils sont angoissés par les aléas d’une crise mondiale dont ils portent la responsabilité, c’est sans grande crainte que, pour y répondre, ils ont jusqu’à maintenant redoublé de férocité dans leurs opérations de brigandage - fait payer leur crise aux travailleurs, à la jeunesse, aux masses des pays dominés par l’impérialisme. Et voilà que, dans un petit pays de 10 millions d’habitants, les masses répondent à cette violence par leur violence révolutionnaire.
Après vingt ans de litanies sur les « maux imputables à toute révolution », c’est avec une angoisse mal dissimulée que les tenants de l’ordre capitaliste voient ressurgir ce spectre qui ne les hantait plus : certains essaient de le conjurer en agitant l’épouvantail de l’islamisme... mais leur discours ne convainc personne. D’autres invoquent la main invisible de Washington... mais voilà qu’en Egypte, un poulain parmi les poulains de la Maison Blanche est menacé par des centaines de milliers de manifestants exigeant son départ. On essaie alors d’étouffer la révolution derrière un rideau de fumée « démocratique », de l’enterrer sous des couronnes mortuaires parfumées au jasmin... et voilà que, quelque part en Tunisie, flambe un commissariat de la dictature.
En Tunisie, c’est bien la révolution qui a commencé : elle réveille, du Maghreb au Moyen-Orient, l’espoir de renverser le talon de fer des roitelets et des généraux. Aux portes de la vieille Europe, elle étincelle par la vigueur de sa jeunesse et fait souffler un vent nouveau. C’est une révolution prolétarienne, qui, si elle a su fédérer autour d’elle les plus larges couches sociales dans la lutte contre le dictateur, n’en a pas moins les travailleurs et la jeunesse pour forces motrices.


Un mouvement spontané, réponse des masses à la crise du capitalisme


C’est en conséquence directe de la crise du capitalisme qu’a éclaté la révolution tunisienne. En effet, pour exécrable et révoltant qu’ait été le régime de Ben Ali, sa seule nature ne permet pas d’expliquer le mouvement fulgurant qui a conduit à la fuite du dictateur. Ce mouvement est né de l’indignation collective suscitée, le 17 décembre, par l’immolation par le feu de Mohamed Bouazizi, jeune diplômé réduit à vendre des légumes à la sauvette dans sa ville de Sidi Bouzid, au centre du pays. Bouazizi entendait protester contre les brimades infligées par une agente de la police tunisienne, qui lui a confisqué sa marchandise et l’a humilié publiquement.
La nouvelle est suivie immédiatement de manifestations à Sidi Bouzid, qui affrontent la répression policière et s’étendent rapidement aux villes et aux régions voisines. Le 24, deux jeunes sont abattus par la police à Menzel Bouzaïane, mais la mobilisation ne faiblit pas. Le 27, les protestations gagnent Tunis, la capitale. L’importance de ces mobilisations contraint Ben Ali à s’exprimer à la télévision: il limoge le gouverneur de Sidi Bouzid... mais dénonce l’action d’une « minorité d’extrémistes » et annonce le durcissement de la répression. Les dix premiers jours de l’insurrection ont ainsi été ceux d’une déflagration spontanée, traversant rapidement le pays.
Si ces manifestations ont pris d’emblée une telle étendue, c’est qu’il existe dans le pays des centaines de milliers de jeunes pour qui le destin de Bouazizi s’apparente au leur : sa fin symbolise l’avenir auquel les voue le capitalisme en crise. Dans le pays, 30% des jeunes sont au chômage, qui touche plus d’un jeune diplômé sur deux : ce taux est deux fois plus élevés dans les régions du centre. L’éclatement depuis 2008 de la crise mondiale du capitalisme, la fermeture complète des vannes de l’immigration par les puissances capitalistes d’Europe ont anéanti pour ces jeunes tout espoir d’un avenir décent ; la hausse historique des prix alimentaires les a fait basculer dans une précarité extrême. La mort de Bouazizi, la répression sanglante des protestations ont fini de les convaincre que la révolution constituait pour eux la seule réponse possible.
Ils se sont engagés dans la lutte contre Ben Ali et son régime avec d’autant plus de détermination qu’ils ont été instruits par les luttes passées des travailleurs et de la jeunesse du pays: peu après le déclenchement de la crise du capitalisme, en 2008, la région de Gafsa, voisine de celle de Sidi Bouzid, avait déjà connu une insurrection d’ampleur.


De janvier à juin 2008 : cinq mois d’insurrection à Redeyef


Le 5 janvier 2008, dans la ville minière de Redeyef, la publication des résultats frauduleux d’un « concours d’embauche » (80 reçus pour 1000 inscrits) a donné le coup d’envoi à une insurrection qui a duré cinq mois. Principal accusé dans cette affaire de piston: le député du parti au pouvoir RCD, Amara Abassi, également patron de plusieurs entreprises de sous-traitance... et secrétaire régional de l’union syndicale UGTT (Union Générale des Travailleurs Tunisiens). Derrière son népotisme, le bilan d’un système d’exploitation dont les racines remontent à l’époque coloniale: la Compagnie des Phosphates de Gafsa, principal employeur de la région, a réduit en vingt ans ses effectifs de 14000 employés à 4800. Propriétaire avec l’Etat tunisien de la quasi-totalité des terres environnantes, elle interdit le développement de l’agriculture, évince toute concurrence et réduit la population à l’état de réserve de main-d’oeuvre captive. Réduite à l’extraction des matières premières « utiles » aux capitalistes français, sans aucun égard pour les besoins de la population, l’économie de cette ville est symbolique du sort réservé à nombre de régions du pays.
Pendant cinq mois, le « peuple des mines » de Redeyef va monter à l’assaut du ciel. Dans le même temps où ils dénoncent l’appareil régional du syndicat, les jeunes de la ville organisent l’occupation du siège local de l’UGTT, brisant les scellés apposés aux lieux par les bureaucrates : ils sont rapidement rejoints par les veuves de mineurs, les invalides, les mineurs licenciés, et font basculer de leur côté des militants locaux... c’est comme cela, en brisant et en submergeant les obstacles dressés par les appareils corrompus, que les exploités se réapproprient leurs organisations traditionnelles. La ville passe bientôt sous le contrôle de sa population, qui s’y organise de façon exemplaire: « La nuit, des jeunes patrouillent dans Redeyef par petits groupes pour la protéger », indique un article du Monde Diplomatique de juillet 2008. Le mouvement devenu grève générale se répercute jusqu’à la préfecture de Gafsa.


Des répercussions profondes dans tout le pays


Ce mouvement, que le Monde Diplomatique caractérisait alors comme « le plus long, le plus puissant et le plus mûr qu’ait connu l’histoire sociale récente de la Tunisie » a marqué une rupture dans l’histoire du régime mis en place par Ben Ali: le talon de fer en vigueur depuis plus de vingt ans est bousculé. Le régime y répond par le quadrillage policier, le déploiement des blindés, la répression à balles réelles: par dizaines, des jeunes sont arrêtés et torturés, les dirigeants de la grève générale condamnés à des peines de dix ans de prison. En l’absence du moindre média digne de ce nom dans le pays, la dictature parvient, pendant des mois, à maintenir l’insurrection à huis clos.
Pourtant, la ténacité des insurgés parvient à générer une onde de choc significative sur l’UGTT. En juin 2008, dans deux meetings de Gafsa et Kasserine, les dirigeants syndicaux sont sommés d’étendre la grève en soutien à Redeyef: ils s’y refusent et sont hués. La direction de l’UGTT engage même des procédures disciplinaires contre ses propres militants, en parallèle à la répression policière: mais rien n’y fait, cette expérience instruit au contraire une fraction croissante du prolétariat. 
Les luttes internes à l’UGTT sont ravivées dans la période qui suit: l’opposition à la direction, attisée par les masses, se manifeste avec d’autant plus de vigueur que la crise s’exacerbe, que les coups et contre-réformes se multiplient. A partir d’octobre 2008 et au cours des deux années suivantes, à plusieurs reprises, les syndicats enseignants de l’UGTT sont ainsi contraints d’appeler à la grève. En 2009, malgré la réélection de Ben Ali, le processus s’accélère sous la pression des masses: « Les mouvements sociaux étaient très forts (...) l’exécutif de l’UGTT a été obligé de suivre ses militants, qui étaient massivement investis dans ces mouvements. » croit pouvoir affirmer une dirigeante syndicale à Mediapart (19/1/2011): en réalité, la direction syndicale réprime ses militants grévistes, étouffe les mobilisations, mais se trouve confrontée en même temps à une lutte sans précédent des travailleurs pour se réapproprier la confédération - une lutte contre l’appareil.
Deux mois avant l’insurrection de Sidi Bouzid, les syndicats enseignants suspendent le « dialogue » avec le régime au nom de revendications salariales et annoncent de nouvelles grèves en janvier. Plus encore que les protestations de l’ordre des avocats, humiliés par la dictature, cette brèche ouverte dans la chape de plomb du régime offrira un point d’appui aux jeunes chômeurs insurgés.


Un syndicat sous tutelle de la dictature, que la lutte du prolétariat régénère


Il s’impose ici de procéder à un retour sur la nature de l’UGTT: ni syndicat « pur » et sans reproche, ni simple émanation de la dictature, l’UGTT est une organisation historique du prolétariat tunisien qui a dégénéré à la défaveur des régimes de l’ancien président tunisien Bourguiba, puis de Ben Ali.
Fondée en 1946 sur les décombres de la CGTT (dissoute en 1938 par l’administration coloniale française), l’UGTT a joué un rôle important dans la lutte du peuple tunisien pour l’indépendance. A partir de 1956, la Tunisie devenue indépendante est dirigée par le parti « socialiste » destourien du président Habib Bourguiba. Exploitant frauduleusement la référence au socialisme pour dévoyer les aspirations des masses, Bourguiba interdit toute opposition politique et cherche à imposer sa tutelle à l’UGTT.
Il n’y parvient toutefois jamais totalement: dans les années 1970, l’abandon de toute référence « socialiste » par les destouriens et l’intensification des coups portés au prolétariat s’accompagnent d’importantes luttes de classes qui se répercutent sur la confédération. En 1978, une puissante grève générale est réprimée dans le sang: l’UGTT est littéralement décapitée, ses dirigeants emprisonnés. Puis en 1983-84, les « émeutes du pain » secouent à nouveau la confédération... qui fait les frais de la répression sanguinaire exercée, sur ordre de Bourguiba, par un général formé à Saint Cyr: Zine El Abidine Ben Ali.
Sur la base de cette répression qui brise pour des années la capacité de résistance du prolétariat, Ben Ali peut déposer Bourguiba et lui succéder en 1987, pour instaurer un régime de fer: un policier pour 80 habitants et bien plus encore de mouchards, l’absence de toute liberté démocratique réelle, le maillage serré, sur tout le territoire, d’un parti-Etat fort de deux millions d’adhérents - le Regroupement Constitutionnel Démocratique (RCD). A partir de cette époque, l’UGTT semble totalement sous contrôle, sa direction en symbiose avec le pouvoir. Pourtant, les conséquences de l’insurrection de Redeyef et le déferlement de la révolution tunisienne vont montrer que cette puissante organisation reste un enjeu de la lutte des classes.


La lutte pour le contrôle de l’UGTT permet la jonction avec le prolétariat


Pour spontanée qu’elle ait été à l’origine, l’insurrection partie de Sidi Bouzid n’est parvenue à s’étendre qu’en effectuant la jonction des manifestations avec la masse du prolétariat – jonction qui permettra à son tour le regroupement de larges couches de la société. Sur le modèle de l’insurrection de Redeyef, les travailleurs et jeunes de Tunisie y sont parvenus en se battant pour imposer leurs exigences à l’UGTT. Toutefois, de bout en bout, ce combat s’est heurté à l’appareil du syndicat.
Le bureau exécutif de l’UGTT, « élu » sous l’emprise du parti de la dictature RCD, a condamné dès l’origine l’insurrection de Sidi Bouzid. Le syndicat n’en a pas moins été profondément secoué par le mouvement des masses: le 27 décembre, des centaines de militants syndicaux de l’enseignement, des services de santé, des postes et télécommunications se sont rassemblés devant le siège central de l’UGTT, posant de fait la question d’un appel à la grève générale. Sans y parvenir, ils ont néanmoins exprimé l’aspiration profonde de la masse des travailleurs, qui feront par la suite basculer des sections entières de la confédération.
Le 5 janvier est annoncée la mort de Mohamed Bouazizi: 5000 manifestants escortent son cercueil. A Ben Arous, non loin de la capitale, la section UGTT appelle à faire grève et manifester. Le lendemain, l’ordre des avocats appelle à la grève générale. L’UGET (Union Générale des Etudiants Tunisiens) organise des grèves et manifestations à Sousse et à Tunis, dispersées par la police. Reflétant l’état d’esprit du prolétariat, les lycéens manifestent ou occupent leurs lycées dans tout le pays. Le 8, l’UGTT ne peut faire l’économie d’appeler à une manifestation massive dans la capitale. Malgré l’opposition de l’appareil syndical, l’aspiration à la grève générale tend peu à peu à s’imposer.
Ces jours sont ceux de la prise de conscience collective d’une puissance réprimée depuis 26 ans: celle du prolétariat tunisien qui se mobilise. Signe que la question démocratique reste à régler dans le pays, les masses disputent le drapeau tunisien et l’hymne national à la dictature: ils clament que le pays est à eux. Des lycéens, cloîtrés dans les cours de lycées, inventent une nouvelle forme d’expression: serrés les uns contre les autres, ils forment les slogans « LIBERTÉ », « COLÈRE », « LA TUNISIE EST LIBRE ».


Face à la répression: l’insurrection affronte l’appareil d’Etat et devient révolution


Ben Ali décide alors d’organiser une véritable saignée pour faire refluer les manifestations: du 8 au 9 janvier, des snipers abattent des dizaines de manifestants à Kasserine, Thala, Feriana, Regueb, Meknassi. Dans les jours qui suivent, ces meurtres seront étendus à tout le pays. Mais les jeunes de Kasserine et des villes alentour se retournent contre les forces de la dictature: la police est chassée, les commissariats et les locaux du RCD sont incendiés, les portraits de Ben Ali brûlés. Le mot d’ordre « Ben Ali dehors » devient la revendication commune à toutes les manifestations.
Par crainte du déclenchement d’une grève générale étudiante ou enseignante, Ben Ali ordonne la fermeture des établissements scolaires le 10 janvier. Les dirigeants de l’UGTT lancent encore à ce moment-là « un avertissement contre toute tentative (...) visant à faire endosser aux structures syndicales sectorielles ou régionales la responsabilité des derniers événements »: ils se voient pourtant contraints d’accepter des grèves régionales à Sidi Bouzid, Sfax, Kairouan, Tozeur. Le 12, la préfecture de police de Hammamet, assiégée par les jeunes, flambe.
Ben Ali a dans le même temps fait déployer l’armée dans toutes les villes. Mais les soldats fraternisent en plusieurs points du pays avec les manifestants: certains retournent même leurs armes contre la police. Confronté à cette situation, le chef des armées, le général Ammar – sous l’influence d’une diplomatie américaine décidée à lâcher Ben Ali pour sauver le régime – refuse de donner l’ordre de tirer.
Dès lors que le monstrueux appareil d’Etat de la dictature se trouve battu en brèche jusqu’en ses piliers – la police, le parti-Etat RCD, l’armée – se trouve réalisée la condition posée par Lénine au développement d’une véritable situation révolutionnaire: « Pour que la révolution éclate, il ne suffit pas, habituellement, que la base ne veuille plus vivre comme auparavant, mais il importe encore que le sommet ne puisse plus. ».


Ben Ali prend la fuite avec l’aide de l’armée


C’est confronté à un mouvement qui ébranle de fond en comble la dictature que Ben Ali, aux abois, cherche dans la direction de l’UGTT l’ultime rempart permettant de sauver sa peau: il répond favorablement aux demandes de « dialogue » répétées par l’appareil syndical. Il déclare qu’il ne se représentera pas en 2014, annonce le limogeage de son ministre de l’Intérieur, promet la liberté de manifester, la baisse des prix alimentaires et la libération de tous les manifestants arrêtés...
Le secrétaire général de l’UGTT, Abdessalam Jerad, répond « présent » à l’invitation du dictateur. Il se félicite à l’issue de l’entretien: « J’ai trouvé auprès du Président de la République une vision profonde des principaux problèmes et de leurs causes et une volonté de les résoudre.» 
Pour donner le change, la confédération appelle pour le 14 janvier à... deux heures de grève à Tunis, sans lieu de rassemblement ni manifestation: mais militants et travailleurs se rassemblent le jour dit devant le siège de l’UGTT et se dirigent vers le ministère de l’Intérieur, avenue Bourguiba, où se rejoignent bientôt des dizaines de milliers de manifestants scandant: « Du pain et de l’eau, mais Ben Ali non! »
Ben Ali peut bien, alors, décréter l’état d’urgence, interdire les rassemblements de plus de trois personnes, autoriser les tirs à balles réelles contre les manifestants: c’est peine perdue. Pour éviter que la haine du dictateur ne se répercute contre le régime dans son ensemble, le général Ammar convainc Ben Ali de quitter le pays. L’armée lui permet de le faire dans des conditions royales: on apprendra, dans les jours qui suivent, la disparition probable d’une tonne et demie d’or retirée des réserves de la banque centrale...
Le 15 janvier, l’Arabie Saoudite confirme avoir accueilli sur son sol le despote et sa compagne: un asile en terre wahabite que le tyran de Carthage, longtemps vanté par l’Elysée comme un « rempart contre l’islamisme », doit sans nul doute à l’intervention américaine...


Émergence des comités populaires


Ce n’est pas pour remettre en cause le régime, ni faire écho aux revendications des manifestants que l’armée a imposé cet exil doré au despote. Dans les heures qui suivent l’annonce de sa fuite, un couvre-feu est instauré: l’état d’urgence décrété par Ben Ali est maintenu. Les masses, encore pleines d’illusions sur un état-major qui n’a  jamais levé le petit doigt pour les défendre, acceptent.
Le « couvre feu » permet à des centaines de nervis issus du RCD ou de la police de faire régner la terreur trois jours durant: les policiers, au moment de la chute du dictateur, ont reçu l’ordre de rentrer chez eux... Les milices de la dictature, les policiers en civil tirent au hasard dans les rues, installent des snipers, font effraction dans les maisons et attaquent, la nuit, les marchés et réserves alimentaires pour rompre l’approvisionnement de la population.
Mais, dès le 16, ont émergé dans les quartiers et les villages des dizaines de comités populaires, des milices d’autodéfense constituées et soutenues par la population, qui gagnent à leur cause de nombreux soldats. Le pays se couvre de barrages oeuvrant à intercepter gros bras et caciques du régime en fuite. L’état-major lui-même est conduit à ordonner l’assaut contre le palais présidentiel, à Carthage, et en fait déloger la garde présidentielle.
Les « comités de quartier » ne sont pas tout à fait une innovation: le RCD n’a pas dédaigné, autrefois, d’en faire usage à des fins de contrôle de la population. Mais en reprenant ce modèle à leur compte, pour la première fois, les masses tunisiennes apprennent à exercer un véritable pouvoir: elles prennent en charge non seulement la défense des quartiers et la neutralisation des milices benalistes, mais aussi l’approvisionnement et d’autres tâches:  « Lors de ces veillées entre jeunes, on parle, on s’informe, on décide. On supplante les forces de l’ordre en assurant la sécurité. Des mots d’ordre sont lancés: faire des listes par quartiers des militants RCD, ne pas brûler les écoles... Le matin, on se substitue aux services municipaux en organisant le ramassage des poubelles », écrit un envoyé spécial du Monde Diplomatique (février 2011).


Le « gouvernement d’union nationale » est mis en échec


L’objectif essentiel des jours de terreur organisés par le RCD est de détourner l’attention des masses, loin des palais du pouvoir: ceux de la place de la Kasbah, où le premier ministre de Ben Ali, Ghannouchi, oeuvre à constituer un « gouvernement d’union nationale » dont la fonction première est de consolider le pouvoir du parti-Etat, battu en brèche par l’insurrection.
Le gouvernement d’ « union », proclamé le lundi 17 janvier, conserve au parti de la dictature tous les portefeuilles régaliens: l’Intérieur, la Défense, les Finances et les Affaires Etrangères. Il a la caution des petits partis de l’ « opposition » légale, vassalisée de longue date – en particulier parmi ceux-là: Ettajdid (« Renouveau »), héritier du Parti Communiste Tunisien. Il bénéficie d’un soutien de plus de poids encore: celui des dirigeants de l’UGTT, qui s’arrogent trois ministères, et assurent l’appui des députés et sénateurs issus de leurs rangs à la « majorité » RCD. L’UGTT va jusqu’à appeler publiquement les travailleurs à la reprise du travail « pour la défense des institutions »... de la dictature! Ghannouchi est, lui, tellement sûr de son fait qu’il déclare à la télévision être resté en contact avec le dictateur en exil...
Fait qui en dit long sur les tensions existant à l’intérieur de la confédération, un dirigeant syndical n’hésite pas à vendre la mèche: « Secrétaire général des médecins et des pharmaciens, élu à la commission administrative de l’UGTT, Sami Souhli raconte comment sa direction n’a pas perdu ses mauvaises habitudes en acceptant, sans consulter la base, de participer au gouvernement annoncé ce lundi. Un vote sur cette question devait intervenir lors d’une assemblée plénière de la commission administrative du syndicat. » (Mediapart, 19/1/2011)
Pourtant, l’opération est déjouée dès le lendemain: dans tout le pays, les manifestations reprennent au cri de « RCD dégage! ». Elles conduisent l’appareil de l’UGTT à faire volte-face et à retirer ses ministres du gouvernement.
Les velléités du gouvernement d’organiser la répression s’évaporent en deux jours: la direction du RCD fait mine de s’auto-dissoudre, les ministres RCD de quitter ce parti. Ghannouchi intervient à la télévision pour se présenter comme une « victime » de Ben Ali au même titre que les masses... Puis c’est au tour des policiers, 24h après avoir rangé les grenades lacrymogènes, de se joindre aux manifestations sous le prétexte de réclamer des droits syndicaux et des augmentations de salaires: autant de manoeuvres pathétiques pour sauver le pouvoir, l’appareil d’Etat de la dictature.


« Dégage »: le mot d’ordre de l’épuration


Le plan du RCD pour colmater les brèches, après la chute de Ben Ali, s’avère un échec complet: la révolution tunisienne n’a pu être avortée. Au contraire, le 23 janvier - alors que trois jours de « deuil national » ont été décrétés par les assassins au pouvoir pour faire taire les manifestants - un millier de jeunes partis des régions du centre atteignent, par leurs propres moyens, la capitale: ils s’arrêtent devant la Kasbah, siège du premier ministre. Leur objectif proclamé: occuper les lieux jusqu’à la chute du gouvernement. Ils reçoivent le soutien de la population, qui les ravitaille et les rejoint chaque jour par milliers.
Comme lors de la lutte contre Ben Ali, la véritable puissance de ce mouvement se trouve du côté du prolétariat: alors que le gouvernement Ghannouchi compte sur la reprise des cours, annoncée le 24, la presse tunisienne fait état de vifs échanges sur la place Mohamed Ali de Tunis, où se trouve le siège central de l’UGTT... ce sont les enseignants du primaire qui obtiennent un appel à une « grève générale illimitée » de leur secteur pour en finir avec le gouvernement. Elle est suivie à 90% les 24 et 25 janvier. Puis c’est le tour de la région de Sfax d’entrer en grève générale: le dirigeant local de l’UGTT y jure devant un meeting monstre que la lutte ne s’arrêtera pas « jusqu’à la chute du gouvernement ».
Conjointement à ce puissant mouvement pour en finir avec Ghannouchi et son gouvernement en pleine débâcle, les masses tunisiennes ont en réalité déjà commencé l’épuration. Le mot d’ordre « Dégage » s’adresse à toutes les personnalités jugées trop liées au régime: des journalistes signifient à leur rédacteur en chef de faire ses valises, des lycéens occupent le bureau de leur principal après la découverte de son rôle de mouchard sous Ben Ali, des étudiants contestent leurs présidents d’universités...
Dans de nombreuses entreprises du pays, les travailleurs s’organisent pour expulser leurs PDG: à Tunisair, à Tunisie Télécoms, dans les transports, au sein du groupe d’assurance Star... Phénomène qui constitue le point de départ de puissantes grèves, au cours desquelles les travailleurs revendiquent également l’extension à tous du meilleur statut professionnel: ainsi les travailleurs de branches filialisées de Tunisair, largement précarisés, ont-ils obtenu en quelques jours leurs réintégration dans la maison-mère et la reconquête du statut afférent.


La question du pouvoir est posée...


Avec l’émergence dans tout le pays de comités populaires, le développement d’une puissante mobilisation contre le gouvernement Ghannouchi, l’engagement dans tout le pays d’un puissant mouvement d’épuration, se développe à partir du 18 janvier une situation de double pouvoir. Dans plusieurs villes et villages du pays, l’appareil d’Etat et les caciques de la dictature ont été chassés: le 12 janvier déjà, à Kasserine, ville-martyr de la révolution, une véritable commune populaire s’est substituée à la police et au RCD. A Siliana, le 16, la population constatant la fuite des notables du RCD appelle à l’élection d’ « un conseil local pour la protection de la révolution et la gestion des affaires de la ville », d’un conseil régional sur le même modèle. A Sidi Bou Ali, dans la wilaya de Sousse, est également proclamé un « conseil local temporaire (...) jusqu’à ce qu’une nouvelle Constitution d’une société démocratique et populaire ouvre la voie à des élections » intégrant les comités de quartiers, mais aussi la communication, la propreté, la culture...
Ces embryons de contre-pouvoir, quoique traversés par des contradictions (ils se revendiquent de l’ « union nationale » et coordonnent leur action avec l’armée) soulèvent d’eux-mêmes la question d’une fédération des comités populaires aux niveaux régionaux et national. Cette question est posée dans l’UGTT sous une certaine forme: Mediapart fait ainsi état d’un dirigeant syndical qui « insiste pour que les comités de défense des quartiers, qui ont émergé ces derniers jours dans toute la Tunisie, et les comités d’entreprise soient enfin reconnus par l’Etat, et puissent se fédérer pour être représentés au Parlement tunisien. » (19/1/2011). Demander la « reconnaissance par l’Etat » ou la « représentation au le Parlement », autrement dit l’intégration aux institutions de la dictature, cela revient toutefois à vider de son sens une telle fédération – qui ne pourrait être qu’un puissant levier pour briser les appareils politique, policier, administratif et militaire du régime.


La direction de l’UGTT impose le statu quo


Mais alors que partout dans le pays les masses expriment l’exigence d’en finir avec le gouvernement Ghannouchi, c’est encore une fois l’appareil de l’UGTT qui va permettre aux notables issus du régime de se maintenir à la tête de leur Etat.
Jouant le chaud et le froid, la direction de cette confédération va, simultanément, entamer un « dialogue » avec Ghannouchi en vue de préparer un remaniement, et faire savoir dans le même temps qu’elle envisagerait de substituer à ce gouvernement un « comité de salut national » incluant « toutes les forces d’opposition, les associations de la société civile et des personnalités dissidentes comme le journaliste Taoufik Ben Brik » avec pour mission « de gérer les affaires courantes avant l’organisation, d’ici six mois, d’élections, et la mise en place d’une assemblée constituante » (Mediapart, 26/1/2011). Sans appeler donc à la seule initiative permettant réellement d’en finir avec le régime – la fédération des comités populaires intégrant syndicats et organisations ouvrières – l’UGTT donne le change, laisse croire à sa volonté d’en finir avec Ghannouchi... et impose la reprise du travail des instituteurs, tandis que la grève des enseignants du secondaire, prévue pour le 27, est annulée.
La voie est alors ouverte à la répression des centaines de jeunes qui continuent d’occuper la Casbah. Le 24 janvier, déjà, le général Ammar avait exprimé devant les jeunes sa véritable position politique: « Nous sommes fidèles à la Constitution du pays. Nous protégeons la Constitution. Nous ne sortirons pas de ce cadre » (AFP). L’armée quadrille ainsi la place, interdisant aux délégations venues rejoindre les jeunes d’y accéder... mais elle ne bloque pas la « contre-manifestation » des nervis du RCD, le 26, qui sera néanmoins repoussée.
Le lendemain est annoncé le remaniement du gouvernement Ghannouchi: les ministres RCD, trop connus et haïs des masses, sont remplacés par d’autres personnalités issues du régime. La direction de l’UGTT fait savoir son accord par le biais d’un subterfuge crapuleux: son bureau exécutif « lance un appel au Président de la République par intérim pour qu’il fasse montre d’une écoute attentive aux revendications des populations et de l’UGTT », ce qui ne signifie rien d’autre qu’une reconnaissance du régime. Les jeunes sont alors chassés sans ménagement de la Kasbah... et la confédération leur propose de les reconduire gratuitement au bercail.


Aucune force ne se situe sur le terrain de la prise du pouvoir


Ainsi, pendant deux semaines, les masses en Tunisie ont posé la question du pouvoir. Quel gouvernement ? Quel régime ? Aux aspirations du prolétariat et de la jeunesse de Tunisie, le gouvernement et l’armée opposent la « continuité de l’Etat », la transition soi-disant démocratique: en réalité, ils manoeuvrent pour sauver l’essentiel de l’appareil d’Etat. La police n’est pas démantelée, la corruption et les corrompus sont encore en place, le couvre-feu n’a toujours pas été levé. Le gouvernement promet des élections générales d’ici 6 mois: mais, à raison, les masses ne lui accordent aucune confiance pour ce faire.
La « légalité » en place reste fondamentalement la légalité de la dictature. Les semblants de libertés démocratiques plus ou moins effectifs actuellement sont un état de fait imposé par le mouvement des masses: tout peut être remis en cause au moindre reflux du prolétariat. Toutes les forces de l’Etat tunisien se feraient un plaisir de se venger des humiliations subies depuis le 17 décembre avec férocité: déjà, Ghannouchi accorde aux policiers malmenés une augmentation de salaire, l’armée rappelle ses réservistes. Il ne peut être mis réellement fin à la dictature que dans un mouvement révolutionnaire balayant toutes les institutions du régime: à cet égard, pèse lourdement sur les masses l’absence d’un parti ouvrier révolutionnaire.
Les organisations issues du stalinisme jouent à cet égard un rôle profondément démobilisateur: Ettajdid, organisation née du Parti Communiste Tunisien en 1993, participe on l’a vu au gouvernement Ghannouchi, et fait campagne sur le terrain de la « lutte contre le chaos » - ce qui revient à tourner le dos à la révolution et à laisser les mains libres au régime.
Le Parti Communiste des Ouvriers Tunisiens – organisation d’inspiration « maoïste » - s’est empressé sitôt sorti de la clandestinité de fonder un « Front du 14 janvier » avec des groupes nostalgiques des dictatures de Nasser ou de Saddam Hussein, ainsi qu’avec la « Ligue de la Gauche Ouvrière » proche du NPA: mais, tout en réclamant la dissolution du Parlement et la chute du gouvernement Ghannouchi, ce Front ne dégage en termes de perspective qu’une « Assemblée Constituante ». Qui, quelle force peut et doit convoquer une telle Assemblée? Le Front du 14 janvier n’en dit mot, ne dit mot non plus de la police et de l’armée – se contentant de réclamer la dissolution de la seule police politique. Conçue de la sorte, l’ « Assemblée Constituante » n’est qu’une abstraction désincarnée brandie face à des adversaires qui, pour leurs parts, affûtent des armes bien réelles.
L’UGTT, force incontournable, reste dirigée par un appareil traître et lié à la dictature: quoiqu’elle ait été contrainte de rompre l’ « unité nationale », elle reconnaît implictement le régime, lui confie le soin de répondre aux revendications des masses par le biais de « commissions » diverses et variées, tout en se réclamant elle aussi, d’une Assemblée Constituante « octroyée », dans le cadre d’élections bourgeoises qui, si elles avaient lieu, permettraient à coup sûr au RCD, seule force d’envergure aux moyens considérables, de rafler la mise.


Pour une Assemblée Nationale Souveraine


La construction d’un parti ouvrier révolutionnaire et l’essor de la révolution prolétarienne ont ainsi partie liée: il s’agirait d’intervenir dans le mouvement des masses, de le nourrir en lui offrant une perspective concrète, de lever les obstacles politiques dressés par les autres forces, de gagner et de fédérer les meilleurs éléments.
Ce combat politique ne pourrait faire l’économie d’une intervention au sein de l’UGTT sur l’axe du combat pour la prise du pouvoir par les masses: pour en finir avec le gouvernement Ghannouchi et le patronat maffieux étroitement lié aux capitalistes français, pour un gouvernement ouvrier et paysan à même de répondre aux revendications. A l’image de l’expérience réalisée à Redeyef, ce combat, prenant appui sur le mouvement du prolétariat, serait également un combat physique pour le contrôle du syndicat – pour l’expulsion de la bureaucratie liée au régime.
Les comités populaires, les conseils populaires locaux et régionaux ont surgi pour un temps, spontanément, du mouvement des masses tunisiennes: nés de la lutte contre les milices du RCD, ils peuvent se régénérer sous la forme de comités d’épuration ou de comités révolutionnaires sur les lieux de travail. C’est de ces organes, intégrant les plus larges masses, que peuvent jaillir les fondements d’un nouveau régime.

Le rôle des révolutionnaires serait de se battre à tous les niveaux – dans les syndicats comme dans les comités – pour que soit convoquée une Assemblée Nationale Souveraine intégrant les organisations ouvrières, composée de délégués élus, opposant au gouvernement Ghannouchi sa propre candidature à l’exercice du pouvoir.
A l’heure où les « nouveaux » gouverneurs du régime sont accueillis au cri de « Dégage », que les commissariats recommencent à brûler, la première tâche de cette Assemblée appuyée par les comités populaires serait de procéder au désarmement de la police et des milices de Ben Ali, à l’armement des milices populaires. Il s’agirait également d’intégrer les soldats, les invitant à former leurs propres conseils et à chasser leurs officiers et généraux pour leur substituer des dirigeants élus.
De la sorte, l’Assemblée Nationale Souveraine permettrait de satisfaire réellement aux revendications démocratiques des masses, de poser sur les ruines de la dictature et de ses institutions les bases d’un nouveau régime, d’un nouvel Etat appuyé sur la population laborieuse.


De la révolution « démocratique » à la révolution sociale


Mais pour être pleinement effective, la révolution tunisienne ne peut se limiter aux seules revendications démocratiques: impulsée depuis l’origine par le prolétariat et la jeunesse, née de la lutte contre les conséquences de la crise du capitalisme, elle se doit de répondre à leurs revendications sociales.
Ce ne sera pas la prétention de cet article que d’énoncer un programme exhaustif, qui serait incantatoire: il s’agit de procéder des problèmes concrètement posés par le mouvement des masses, tel que nous le connaissons aujourd’hui, pour y apporter des réponses révolutionnaires.
La hausse des prix alimentaires, celle des loyers et du coût de la vie, alimentés tant par la crise que par la corruption, constituent le problème le plus urgent pour les masses: l’organisation du contrôle ouvrier sur les prix, incluant l’ouverture des livres de comptes, constituerait un premier élément de réponse à cette situation.

Les biens du clan Ben Ali-Trabelsi, à l’intérieur du pays comme à l’extérieur, constituent une manne considérable issue du pillage de tout le pays, extorquée aux masses tunisiennes: mais aujourd’hui, ce sont les gouvernements impérialistes et la bourgeoisie tunisienne liée à l’impérialisme français qui entendent en disposer à leur guise. Il s’agit d’exiger leur confiscation et leur placement sous contrôle ouvrier – prélude au contrôle ouvrier sur toute la production.
Les travailleurs et la jeunesse de Tunisie exigent du travail, des logements, des conditions de vie décentes: ils s’opposent en cela à un système économique hérité du colonialisme, dans lequel le pays n’est conçu que comme un pourvoyeur de matières premières et de maind’oeuvre à bon marché, flanqué de zones touristiques. Il s’agit de réorienter la production en fonction des besoins de la population: l’organisation du contrôle ouvrier sur la production, d’un plan de production ambitieux orienté par les besoins est la seule perspective permettant de donner satisfaction aux masses. Elle suppose l’expropriation des capitalistes et des grands groupes français ou européens omniprésents dans le pays.
Ecrasée et pillée par une dette entretenue par les grandes puissances et notamment par Paris, contrainte d’observer des accords économiques, sécuritaires et sur l’immigration qui lui sont foncièrement défavorables, la Tunisie ne peut accéder réellement à l’indépendance qu’à travers la dénonciation de cette dette, et de ces « accords » conclus par la dictature. Seul un gouvernement ouvrier et paysan, institué par les masses, serait à même de prendre ces mesures: à la tutelle écrasante des métropoles impérialistes, il opposerait la perspective des Etats-Unis socialistes du Maghreb.


Rien n’est réglé


Au moment où s’achève cet article, le « nouveau » ministre tunisien des Affaires Etrangères est accueilli dans ses locaux par des fonctionnaires en grève qui l’invitent à « dégager ». Les gouverneurs nommés par Ghannouchi ont déjà fait l’objet d’un accueil similaire, sur fond d’affrontements avec la police tentée de renouer avec ses habitudes. Dans une nouvelle série de manoeuvres désespérées, le gouvernement a feint d’ « interdire » le RCD, mais ses réseaux, avec l’étiquette RCD ou une nouvelle, restent l’ossature du régime. De même, le Parlement totalement inféodé au RCD et à la dictature a voté un transfert massif de pouvoirs au « président par intérim ». Rien n’est réglé en Tunisie: avec la persistance de l’insurrection en Egypte, surviendront d’autres développements sur lesquels reviendra CPS.


Le 8 février 2011

 

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